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13/01/2013

(UK) Wallander, saisons 1 à 3 : Tram wires cross northern skies...

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Comme je vous le disais vendredi en évoquant la norvégienne Torpedo, il flotte sur mon début d'année comme un parfum scandinave très prononcé. La série dont je vais vous parler aujourd'hui en est une nouvelle illustration, nous transportant cette fois en Suède. Wallander est le principal protagoniste d'une suite de romans de l'écrivain Henning Mankell (disponibles en France, mais que je n'ai jamais eu l'occasion de lire jusqu'à présent). L'inspecteur avait déjà connu des adaptations sur petit et grand écran dans sa Suède natale (il est fort possible que je revienne sur cette série ultérieurement), cependant en 2008, c'est la BBC qui a, à son tour, proposé sa propre version des romans de Mankell.

Tournée en Suède, Wallander est probablement la plus nordique des séries britanniques actuelles. Chacune de ses saisons est composée de 3 épisodes de 90 minutes. Elle compte pour le moment 3 saisons, soit 9 épisodes en tout. En France, c'est Arte (ainsi que sur 13e Rue) qui s'est chargée de la diffusion. En ce qui me concerne, j'ai vraiment savouré cette belle découverte (à raison d'un épisode par soir depuis le début de l'année). Wallander est une série à l'ambiance soignée, à l'esthétique magnifique, reposant sur une écriture solide et de bons acteurs.

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La série est entièrement centrée sur le personnage de Kurt Wallander, un détective de police officiant dans la petite ville d'Ystad, en Suède. Chaque épisode est l'occasion de partager avec lui ses doutes, ses réactions horrifiés et ses intuitions en suivant une enquête particulière, durant laquelle il est assisté par une équipe qui connaîtra des changements au cours de la série, principalement lors du passage de la deuxième à la troisième saison. S'investissant de façon démesurée dans les affaires qu'il doit résoudre, faisant souvent preuve d'une empathie qui menace à tout moment de le submerger, Wallander vit par et dans son travail.

La place occupée par son métier a logiquement des conséquences sur sa vie privée. Au début de la première saison, récemment séparé de son épouse, il a du mal à tourner la page et à envisager de reconstruire sa vie. De manière générale, ses relations familiales restent compliquées, aussi bien avec sa fille, Linda, qu'avec son père, Povel, qui n'a jamais approuvé son choix de carrière et dont la maladie diagnostiquée amène Kurt à se questionner sur leurs rapports. Si les épisodes proposent des enquêtes indépendantes, en revanche, les développements privés du personnage sont un fil rouge qui rythme chaque saison.

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Wallander se déroule dans une petite ville perdue dans la campagne suédoise, coincée entre ces champs aux couleurs changeantes peuplés d'éoliennes à perte de vue, et une mer étendant son horizon bleuté. Intégrant pleinement dans le récit ce décor, entre terre et mer, à la beauté et à la tranquillité apparentes, la fiction ne cessera de souligner le contraste apporté par l'horreur des faits divers qui viennent troubler ces lieux. Wallander est une oeuvre policière d'ambiance, dans laquelle le téléspectateur s'immerge. La durée des épisodes - 90 minutes - lui permet de trouver le juste équilibre dans son rythme de narration : tout en proposant des enquêtes généralement très solides, parfois particulièrement intenses, la série prend son temps pour développer une approche plus introspective inhérente à son parti pris de se centrer sur un personnage principal aux états d'âme multiples et fréquents, qui réfléchit beaucoup sur sa vie et sur tout ce que son métier l'amène à croiser.

Les intrigues sont ancrées dans la société suédoise moderne (immigration, fanatisme), ou conduisent à s'interroger sur la nature humaine. Elles ne sont étrangères ni aux excès de violence, ni à la surenchère de sordide. Pourtant Wallander marque avant tout le téléspectateur par l'investissement que va susciter chez lui ce détective usé, physiquement et mentalement, par un métier qu'il ne peut pourtant pas envisager de quitter. La série en dresse un portrait fascinant, nuancé, dépeignant les forces mais aussi les défauts et les failles. On s'attache à lui pour son humanité, pour sa capacité à refuser de finir désensibilisé par l'habitude de côtoyer des horreurs à la différence de certains de ses collègues, pour sa faculté à être toujours en mesure de se révolter, ou encore pour l'implication sans mesure dont il fait preuve dans ses affaires. Il porte en lui comme une déchirure, à la fois désabusé mais essayant de continuer d'aller de l'avant, incapable pourtant de ne pas répéter les mêmes erreurs. Son empathie et son entêtement professionnel restent les deux caractéristiques qui le définissent.

Signe de cette priorité donnée à cette figure centrale, durant certains épisodes, les enquêtes semblent presque en retrait, la série s'intéressant avant tout à la manière dont Wallander vit l'affaire à résoudre. On a l'impression de voir vasciller sous nos yeux ses dernières certitudes sur la nature humaine. Chaque saison apporte des développements consistants pour le personnage, explorant différentes thématiques. Il y a tout d'abord celle de la famille qui demeure un fil rouge constant : la série met en scène ses rapports difficiles avec sa fille, laquelle oscille entre la volonté de soutenir son père et la frustration que provoquent son ordre des priorités. La fiction revient aussi sur l'incompréhension qui sépare Wallander de son père, avec des blessures que la maladie de ce dernier va faire ressortir. La deuxième saison introduit un arc supplémentaire en plaçant Wallander face à sa conscience, à la responsabilité d'avoir dû tuer un homme. Quelque chose semble alors définitivement brisé en lui. Inlassablement il repart pourtant, reproduisant les mêmes schémas. La construction des saisons est cependant habile, à l'image du final de la troisième et du repos relatif qu'il semble trouver à la fin.

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Si cette série britannique capture à merveille l'ambiance scandinave de son sujet, elle le doit aussi aux moyens mis dans la forme. Tout d'abord il faut saluer le fait que Wallander ait été filmée dans la région de la ville de son héros, Ystad en Suède. Et même lorsque la fiction nous entraîne dans d'autres pays, comme durant la saison 3 où un épisode permet une incursion en Lettonie, le tournage s'y déplace. Nous avons donc droit à d'authentiques décors nordiques. Surtout, la réalisation, parfaitement maîtrisée, prend le temps d'inscrire les histoires dans les paysages dans lesquels se déroule l'action. Ces derniers sont superbement mis en valeur par une photographie absolument sublime qui laissera plus d'une fois le téléspectateur rêveur. Wallander respire la Suède et nous en offre une vue des plus belles.

Par ailleurs, la série est accompagnée d'une bande-son parfaite pour l'occasion. Rien n'y est laissé au hasard pour construire avec soin cette ambiance particulière : les thèmes récurrents, notamment au piano, se confondent à merveille avec le récit. Il faut dire que le ton est posé dès le générique, au cours duquel retentit une superbe chanson, teintée d'une douce mélancolie qui correspond si bien à la figure centrale de la série. A noter qu'elle a vu ses paroles spécialement réadaptées pour l'occasion, puisque dans sa version originale, elle ne parle pas du ciel du nord, mais de celui de... Melbourne. (Je vous renvoie à deux des vidéos ci-dessous ; puisque j'ai mis en bonus la chanson d'origine.)

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Enfin, Wallander ne serait pas ce qu'elle est sans le casting solide qu'elle ressemble. Kenneth Branagh porte véritablement la série grâce à une justesse d'interprétation et de nuances, où perce une force particulièrement impressionnante. Il s'est vraiment approprié ce personnage complexe qu'est Wallander, pour en proposer au téléspectateur une version crédible et solide. Comme il est la figure la plus importante, celle qu'on suit tout au long de chaque épisode, les autres restent logiquement plus en retrait. Au sein de sa famille, Jeany Spark (A Touch of Cloth) interprète sa fille, Linda, avec laquelle il entretient des rapports difficiles. David Warner (Masada, Marco Polo, Conviction, The Secret of Crickley Hall) joue durant les deux premières saisons son père.

Du côté de la police, les officiers qui l'entourent connaissent un renouvellement progressif au fil des trois saisons. Sarah Smart (Jane Hall, Five Days, The Secret of Crickley Hall), dans le rôle de Anne-Britt, a cependant quelques occasions d'être mise en avant, tout comme Tom Hiddleston (Suburban shotout, The Hollow Crown ; présent dans les deux premières saisons, l'acteur étant ensuite parti jouer les Dieux nordiques en colère sur grand écran). On croise également Sadie Shimmin et Richard McCabe. La saison 3 voit un renouvellement plus marqué, avec l'arrivée de Rebekah Staton, Mark Hadfield ou encore Barnaby Kay. De plus, Wallander, c'est aussi un joli défilé de guest-stars de luxe, avec de solides représentants du petit écran britannique et même... danois, puisque Soren Malling (Forbrydelsen, Borgen) est de passage dans le deuxième épisode de la saison 3.

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Bilan : Nous transportant dans des paysages sudéois sublimés par une magnifique photographie, Wallander propose une version particulièrement réussie du polar scandinave. Plus que ses enquêtes, la série interpelle grâce à l'intensité de son personnage central, qui partage avec le téléspectateur tous ses doutes et ses états d'âme, marqué par les atrocités qu'il a chaque jour à résoudre. Avec son casting très convaincant au sein duquel Kenneth Branagh tient là un de ses plus beaux rôles, et une écriture solide, il s'agit d'une série chaudement recommandée aux amateurs de policiers nordiques, et au-delà.


NOTE : 8/10


Le générique de la série :

Une bande-annonce (pour la saison 3) :

BONUS - La chanson qui retentit dans le générique en intégralité ("Nostalgia", par Emily Barker) :

11/01/2013

(NOR) Torpedo (Torpille) : une enquête difficile vers un engrenage létal

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Mes programmes de ce début d'année 2013 sont placés sous le signe de la Scandinavie. Il m'a tout d'abord fallu digérer le final de Forbrydelsen et faire mon deuil de cette série danoise qui aura marqué mon ouverture au petit écran européen. Pour me changer les idées, j'ai choisi de poursuivre mes escapades scandinaves en mettant le cap plus au nord. Je suis remontée en Suède, où j'achève de rattraper la version anglaise de Wallander (sur laquelle je reviendrai très prochainement), et en Norvège, où je me suis plongée dans une mini-série intitulée Torpedo. Ce thriller s'est avéré très prenant.

Ecrite et réalisée par Trygve Allister Diesen, Torpedo (Torpille en version française) a été diffusée sur TV2 en 2007. Comprenant 4 épisodes de 48 minutes, elle a retenu l'attention en Norvège. La bonne nouvelle, c'est que cette intéressante fiction du petit écran nordique nous parvient enfin en France en ce début d'année 2013 grâce à Eurochannel qui continue d'être une voie d'accès à surveiller pour les productions européennes. La chaîne a en effet entrepris sa diffusion depuis la semaine dernière (les multi-rediffusions devraient vous permettre de la rattraper, et pour ceux qui n'ont pas Eurochannel, le service de VOD est à surveiller). Torpedo est une brève mini-série efficace que devraient apprécier les amateurs.

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Terje Jonassen, un ancien soldat et commando, s'est reconverti depuis son retour à la vie civile en homme de main, redoutable notamment pour collecter les dettes de jeu. Son professionnalisme rigoureux permet souvent d'éviter que des situations sensibles ne dégénèrent : s'il ne cherche pas la violence pour la violence, il n'hésite pas à y recourir s'il s'y estime contraint et effraie facilement plus d'un récalcitrant. Terje est marié à Sissel, une belle femme dont le portrait s'affiche actuellement sur tous les écrans publicitaires de la ville. Ils ont ensemble une petite fille, Maja. Le défi quotidien de Terje est de trouver l'équilibre entre un travail où les commanditaires sont peu conciliants, avec des horaires parfois compliqués, et une vie familiale à soigner.

Mais tout bascule brusquement un jour. Une collecte de dette dont il devait avoir la charge tourne mal, notamment en raison des prises d'initiative peu inspirées de l'acolyte auquel il avait confié la tâche de finir le travail, Terje ayant préféré pouvoir profiter pleinement de l'anniversaire de sa fille. Ce dérapage suscite la colère du boss mafieux local, Cedomir. Cependant, le bien des affaires primant, Terje pense pouvoir vite tout arranger. Mais lorsqu'il rentre chez lui avec sa fille pour organiser l'anniversaire de cette dernière, il découvre le corps sans vie de sa femme dans la salle de bain : elle a été abattue à bout portant. Connu pour sa jalousie, Terje devient immédiatement un suspect privilégié pour la police.

Se sachant innocent, il n'entend pas rester les bras croisés et entreprend sa propre enquête pour retrouver le meurtrier. Plongeant dans les bas-fonds du crime organisé norvégien, la douleur lui faisant oublier toute prudence, il prend le risque de provoquer un engrenage dangereux. Mais il va aussi découvrir qu'il ne connaissait peut-être pas Sissel aussi bien qu'il le croyait.

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Torpedo est un thriller musclé qui sait jouer sur plusieurs tableaux : c'est une série d'action, dont certains passages empruntent aux fictions de gangsters, mais qui ne néglige pas pour autant des passages plus posés permettant des développements personnels. Sa mise en scène, à la sobriété calculée, renvoie une impression de réalisme abrasif qui contribue grandement à la tension ambiante. Bénéficiant d'un scénario solide et bien huilé, la fiction sait ménager le suspense jusqu'à la fin. Elle a pour atout de se dérouler sur une durée brève (4 jours, soit un épisode par jour) : elle peut ainsi relater sans temps mort l'enchaînement rapide d'évènements qui vont complètement bouleverser la vie de son personnage principal. L'histoire nous est racontée uniquement du point de vue de ce dernier, permettant de partager ses questionnements, mais aussi de mesurer combien la situation lui échappe progressivement. Il faut dire que Treje est en bien des points le prototype du protagoniste de film d'action : sombre et efficace, il s'épanouit parfaitement dans l'atmosphère particulière de la mini-série. Avec détermination, mais aussi des limites comme ses éclats violents, il nous entraîne dans cette investigation difficile où il tente de faire preuve de la même froideur rationnelle qui lui servait tant dans son travail.

Très vite, Torpedo prend les allures d'une quête de vengeance, mais il serait bien réducteur de la cantonner uniquement à ce genre. En effet, elle est surtout l'histoire de la descente aux enfers d'un homme prêt à tout bousculer, jusqu'aux bas fonds les plus mal famés du crime norvégien, pour retrouver le meurtrier de sa femme. Avant d'envisager la revanche, il s'agit d'abord pour lui de comprendre ce qu'il s'est passé. Sur ce plan, la mini-série n'a pas son pareil pour jouer des faux semblants et des coïncidences, et nous lancer sur de multiples fausses pistes. A mesure que Terje progresse, tout ne cesse de se complexifier ; et il découvre qu'il ignorait bien des choses sur la vie de Sissel. Les doutes se multiplient alors : et si les secrets de sa femme avaient provoqué sa perte ? Au fil des rebondissements, Terje peine à faire le tri entre les mensonges et les demi-vérités que chacun consent à lui dire. Torpedo réussit très bien à nous glisser dans une ambiance tendue et paranoïaque, où il faut se méfier de tout et où rien ne doit être pris pour argent comptant. C'est un engrenage létal qui se met en branle, très bien géré jusqu'à la fin et un ultime twist qui laisse un goût chargé d'amertume en parfait accord avec le parti pris réaliste et la tonalité sombre de l'ensemble.

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L'atmosphère pleine de tension que cultive Torpedo est renforcée par les intéressants choix faits par le réalisateur, Trygve Allister Diesen (un nom qui parlera peut-être à ceux qui ont apprécié Kommissarie Winter au printemps dernier sur Arte, puisqu'il s'était chargé de la réalisation des deux premiers épisodes). Filmée caméra à l'épaule, la mini-série bénéficie d'une réalisation extrêmement nerveuse, avec des plans toujours proches des protagonistes. Comme un écho à la tonalité de la mini-série, l'image est relativement sombre, avec une photographie qui semble jouer sur le contraste glacé entre la noirceur ambiante et le paysage enneigé qui est mis en scène (soit dit en passant, cet enneignement a laissé la téléspectatrice de latitudes tempérées que je suis effarée : comment est-il possible de conduire si vite sur une route si blanche ?!). A cela s'ajoute une bande-son sobre et appropriée, à l'image du générique (cf. vidéo ci-dessous).

Enfin, le casting se met au diapason. Le rôle principal est confié à Jorgen Langhelle qui trouve avec aisance ses marques dans ce registre de rudesse efficace caractérisant son personnage. Dans son entourage, on retrouve Aksel Hennie qui interprète son compère, plus souvent source d'ennuis que d'une réelle aide. La tête la plus connue du sériephile amateur du petit écran scandinave est sans doute Dejan Cukic (Hvor svært kan det være, Nikolaj og Julie, Borgia), que j'avais apprécié l'année dernière dans la série danoise Forestillinger, qui, cette fois-ci, incarne un chef mafieux que le héros va affronter. On croise également Rebekka Karijord, Gard Eidsvold, Lisa Werlinder, Kyrre Haugen Sydness, Morten Faldaas (Hjem), Maria Schwartz Dal, Anneke von der Lippe et Sven Nordin.

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Bilan : Récit musclé et mouvementé d'une enquête qui ne cesse de se complexifier, Torpedo met en scène l'enclenchement d'un engrenage létal. Fiction à la tension efficace, prenante jusqu'à la fin, elle sait très bien entretenir les fausses pistes et multiplier les faux semblants, jusqu'à une résolution intéressante en parfait accord avec la tonalité quelque peu désillusionnée dans laquelle elle nous plonge. En résumé, il s'agit d'une mini-série intéressante dans son genre, une expérience qui devrait parler aux amateurs de suspense, d'action, comme à ceux qui ont succombé aux sirènes scandinaves.


NOTE : 7,25/10


Le générique de la série :

Une bande-annonce :

09/01/2013

(J-Drama) Double Face : un Infernal affairs japonais

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Restons au Japon en ce deuxième mercredi asiatique de l'année, pour revenir sur une mini-série diffusée à l'automne dernier que je m'étais promise de vite rattraper. Composée de deux parties d'1h30 chacune, Double Face présente tout d'abord une particularité dans sa conception : il s'agit d'une collaboration entre deux chaînes différentes, TBS et la câblée WOWOW. TBS a diffusé la première partie, intitulée Double Face - Sennyu Sosa-hen le 15 octobre 2012. Puis, le 27 octobre, la seconde et dernière partie, Double Face - Giso Keisatsu-hen, a été proposée sur WOWOW. C'est pour le moins inhabituel de voir ainsi deux chaînes collaborer de cette manière complémentaire.

Le résultat intriguait d'autant plus que Double Face est le remake du célèbre film de Hong Kong (qui a donné toute une trilogie, Infernal Affairs). Succès de 2002, il a déjà fait l'objet d'un remake américain au cinéma, The Departed (Les Infiltrés). Le Japon a donc proposé à son tour une version, télévisée cette fois, de l'histoire d'origine. L'ayant en DVD, j'ai hésité à réactiver mes souvenirs en revoyant Infernal Affairs avant de me plonger dans ce drama, mais c'est finalement seulement avec une mémoire floue et ma bonne impression générale que je me suis lancée dans Double Face. Je n'ai pas regretté l'expérience, car il s'agit là d'un drama special très solide.

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Double Face met en scène les destins croisés de deux hommes infiltrés chacun dans des camps opposés qu'ils sont censés, soit contribuer à détruire, soit rendre inoffensif. Ainsi Miriya Jun est un policier qui, depuis 6 ans, évolue en couverture auprès d'un groupe criminel local, l'Oda-gumi. La mission aurait dû se terminer il y a déjà plusieurs années, mais son supérieur hiérarchique, le seul qui connaît et peut prouver sa véritable identité, le presse de poursuivre la tâche jusqu'à ce que le boss du gang, Oda Hironari, soit inculpé. L'idéal serait une arrestation en flagrant délit lors d'un échange de marchandises, permettant de lier le criminel au trafic de drogue qu'il organise.

Mais les plans de la police sont fragilisés par le fait qu'Oda Hironari semble toujours particulièrement bien informé des opérations menées contre lui. En effet, il a envoyé un de ses propres hommes en couverture : Takayama Ryosuke. L'ayant connu adolescent, il a financé ses études et l'a encouragé à entrer dans la police pour lui servir d'informateur. Au sein des forces de l'ordre, la carrière de Ryosuke décolle pourtant rapidement, car il apparaît comme un officier de confiance et surtout très efficace. Au point de se voir chargé de débusquer la taupe opérant au sein de la police...

Arrive un moment où les mensonges permanents et le stress de l'infiltration commencent à lourdement affecter Miriya Jun et Takayama Ryosuke. Chacun s'interroge sur ce qu'il est devenu : existe-t-il encore une porte de sortie pour eux ?

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Double Face exploite efficacement les recettes classiques des fictions policières et de gangsters, tout en y intégrant une dualité intriguante et ambivalente liée à la double infiltration relatée. Si elle reste proche de l'original (d'après les souvenirs flous qu'il m'en reste), elle sait bien exploiter et se réapproprier le matériel de base. Chaque épisode met ainsi l'accent spécifiquement sur un des deux infiltrés, d'abord le policier, puis le yakuza, sans que l'homogénéité d'ensemble du récit n'en souffre. Par rapport à la durée du film original, ce sont 3 heures de fiction que le drama propose. Cela lui permet de développer plus avant certains éléments, en se reposant sur un construction narrative cohérente et solide, rondement menée jusqu'à son terme. Si elle s'offre des incursions dans le registre du thriller, avec plusieurs scènes très tendues ou marquées par d'explosion de violence, la fiction manque ici un peu d'éclat. Cependant ces limites sont compensées par un développement psychologique des personnages qui retient tout autant l'attention du téléspectateur.

Double Face prend en effet le temps de s'intéresser à ces deux personnages principaux, pressurés de part et d'autre. La mini-série insiste sur le thème de la perte d'identité, mettant en exergue les doutes, et plus généralement la solitude qui assaille les deux infiltrés. Sont particulièrement bien mises en scène les difficultés quotidiennes de l'exercice de double jeu auquel ils sont astreints et des mensonges qui finissent par troubler leurs repères. Figures ambivalentes par nature, ils ne sont pas moins humanisés : le drama éclaire leurs aspirations au changement, qu'il s'agisse d'un retour à une vie plus stable en fondant une famille pour le policier sous couverture, ou d'une émancipation de celui à qui il doit tout pour le yakuza. Après avoir vécu la vie d'un autre, instrumentalisés et sur-utilisés, chacun souhaiterait enfin vivre sa propre vie. Mais l'engrenage dans lequel ils évoluent n'offre pas d'issues satisfaisantes, et jusqu'au bout, la fiction sera cohérente avec elle-même, avec ses ambiguïtés, et avec le milieu mis en scène.

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Sur la forme, Double Face bénéficie d'une réalisation de bonne facture. Elle a en plus quelques vrais instants de grâce : Eiichiro Hasumi s'offre en effet plusieurs plans marquants et très inspirés, qu'il s'agisse de jouer sur la symbolique de certaines mises en scène ou sur la photographie et l'esthétique de divers passages, comme la scène de la première rencontre dans le passé entre Ryosuke et le boss yakuza (dont vous avez une screen-capture ci-dessous). La bande-son, sans prendre le pas sur le récit, parfois même très en retrait, l'accompagne cependant sobrement.

Enfin, côté casting, Double Face rassemble plusieurs têtes très familières du petit écran japonais. S'il manque peut-être une petite étincelle au duo principal, les deux acteurs, Nishijima Hidetoshi (Boku to Star no 99 Nichi, Strawberry Night), qui joue l'officier de police infiltré, et Kagawa Teruyuki (Nankyoku Tairiku, Ryomaden), font plus que correctement ce travail d'interprétation marqué par l'ambivalence et les dilemmes. C'est Kohinata Fumiyo (Ashita no Kita Yoshio, Marks no Yama, Jin) qui interprète efficacement le chef yakuza dont la chute représente l'enjeu de tout le drama. A noter que l'on retrouve également Wakui Emi (Bitter Sugar), Ito Atsushi (Densha Otoko) et Kadono Takuzo (Engine).

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Bilan : Double Face est un drama special solide qui entremêle les codes des fictions policières et celles de gangsters en s'intéressant à deux individus écartelés entre ces deux mondes opposés. La mise en scène de l'infiltration et de ses conséquences sur les infiltrés (la perte de repères et la volonté de sortir de cet engrenage) est particulièrement intéressante. Face aux deux portraits ambigus ainsi dépeints, le téléspectateur s'investit naturelement dans le sort de ces personnages déchirés. Double Face se montre un peu moins habile dans le registre du thriller, où il lui manque une dose de nervosité qui aurait permis à ce drama special d'acquérir une dimension supplémentaire. Mais il reste un remake sérieux et appliqué qui apporte une intéressante expérience à la télévision japonaise. J'espère la voir poursuivre sur cette voie !


NOTE : 7,75/10

08/01/2013

(DAN) Forbrydelsen, saison 3 : l'ultime enquête de Sarah Lund

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Un chapitre s'est refermé cet automne 2012. Forbrydelsen (The Killing, en version internationale) s'est en effet achevée fin novembre au Danemark, sur une troisième et dernière saison composée de dix épisodes. C'est une fiction qui gardera toujours une place particulière dans mon panthéon personnel des séries. Ma rencontre avec elle remonte à il y a deux ans, en janvier 2011, quand BBC4 s'était lancée dans sa diffusion. Etant donné ma fréquentation assidue du petit écran anglais, il était assez logique que je succombe à la "vague nordique" lorsqu'elle est arrivée outre-Manche. La première fois que je vous en ai parlé, c'était pour la désigner comme mon obsession du moment.

Il faut dire que Forbrydelsen a été mon déclic danois. Un coup de coeur qui m'a encouragé à explorer de nouvelles terres téléphagiques inconnues, notamment en Europe. Indirectement, elle a eu d'autres conséquences, comme celles de renouveler ma curiosité pour les polars scandinaves et de m'entraîner vers bien d'autres découvertes nordiques, littéraires notamment. Elle fut aussi l'occasion d'une rencontre avec une héroïne de fiction marquante, Sarah Lund, et un sens du fashion qui restera symbolisé par son éternel pull. Cette troisième saison, à côté d'une intrigue policière classique, avec ses cliffhangers toujours très efficaces, aura avant tout été une ultime enquête dédiée à ce personnage.

[La review qui suit contient des spoilers sur l'évolution générale de la saison. A lire à vos risques et périls.]

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Les débuts de la saison 3 de Forbrydelsen permettent de retrouver Sarah Lund avec de nouveaux projets : elle espère une promotion dans un département de police moins contraignant, tout en essayant tant bien que mal de renouer des liens avec son fils, Mark, devenu un jeune adulte et qui tend à l'éviter. Lorsqu'un corps non identifié est retrouvé dans le port, elle se voit confier l'affaire, en apparence destinée à être vite classée, sans imaginer l'ampleur que cette dernière s'apprête à prendre. D'autres marins sont en effet retrouvés morts sur le navire qu'ils étaient sensés garder. Ils étaient employés par Zeeland, une importante entreprise danoise notamment spécialisée dans le commerce maritime.

Or Zeeland fait l'objet d'une attention toute particulière dans un contexte politique électrique, puisque des élections législatives sont prévues très prochainement. La société doit notamment rendre possible le plan de redressement économique, visant à faire face à la crise, que le Premier Ministre sortant soumet aux votes des électeurs. Son PDG, Robert Zeuthen, entend bien apporter son soutien à cette politique, en dépit de certaines dissensions en interne. C'est alors que sa fille, Emilie, est kidnappée. Quels liens existent entre le meurtre des trois marins étrangers et l'enlèvement de l'enfant d'un millionnaire ? Sarah Lund enquête, collaborant pour cela avec la Special Branch chargée de la sécurité du Premier Ministre, où elle retrouve une ancienne connaissance, Mathias Borch.

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Dans la continuité directe des précédentes saisons, la grande force de Forbrydelsen demeure sa capacité à se réapproprier avec assurance et un réel savoir-faire les recettes classiques de son genre. Poursuivant l'exploration des diverses facettes du polar, cette troisième saison s'intéresse au cas du kidnapping d'un enfant. L'affaire est traitée comme un thriller policier, Sarah Lund se lançant sur les traces du ravisseur tout en essayant de comprendre ce dernier, mais elle recouvre aussi des thématiques plus larges qui rappellent un des attraits majeurs de la série : sa richesse. Car cet enlèvement est l'occasion d'une exploration plus intime et personnelle de l'expérience traumatisante vécue par les parents de la disparue, tout en développant un dimension plus politique dès lors que la campagne électorale en cours se saisit du kidnapping pour l'instrumentaliser, notamment pour critiquer la gestion par les autorités - et donc par le gouvernement - de la situation.

La construction de l'intrigue obéit à des règles éprouvées qui démontrent une nouvelle fois leur efficacité. Le téléspectateur étant désormais familiarisé avec l'univers de Forbrydelsen, il faut reconnaître que le feuilletonnant bien huilé tend parfois à rebondir sur des retournements attendus, voire prévisibles. Pourtant la recette fonctionne toujours, bien aidée par une durée ni trop longue, ni trop courte (10 épisodes), et surtout par l'art du cliffhanger dans lequel la série excelle. Elle n'a pas son pareil en effet pour conclure chaque épisode sur un ensemble d'intrigues laissées en suspens. La tension qui sous-tend l'ensemble connaît alors des piques en mesure de s'assurer de la fidélité imperturbable d'un téléspectateur qui n'a qu'une seule envie : se précipiter sur la suite.

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Dans le même temps, Forbrydelsen est une série qui renvoie un miroir à la société au sein de laquelle elle se déroule. Sa force a toujours été de profiter des faits divers relatés pour permettre des éclairages plus larges. En arrière-plan, dans cette saison 3, on parle donc crise économique, délocalisation, et, peu à peu, tout un pan politique se greffe directement ou non à l'enquête en cours. Poursuivant la progression dans les échelons du pouvoir initiée au cours de la première saison, la série se propose de nous faire suivre cette fois le Premier Ministre du Danemark. Elle nous plonge dans une lutte électorale dans laquelle tous les coups sont permis. Cependant, si ses ambitions de polar aux ramifications plus vastes demeurent intactes, la saison ne convainc pas entièrement sur ce plan.

En effet, les protagonistes de ces jeux politiques manquent d'ampleur. Développés de manière trop superficielle, ils prennent place dans des scènes qui résonnent un peu artificiellement (un ressenti peut-être accru par les parallèles inconscients du téléspectateur avec Borgen). Pourtant ces réserves doivent être mises entre parenthèses en raison de la force et de la réussite de la conclusion. La résolution de l'intrigue ne déçoit pas, car on y retrouve le pessimisme ambiant qui a toujours été une part intégrante et la marque de fabrique de la série. Si l'ultime revirement du Premier Ministre peut sembler un peu rapide et précipité, l'impact des dernières scènes rappelant combien un être ordinaire pèse peu face aux intérêts du pouvoir est lui parfaitement réussi.

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Au fil d'une saison qui culmine avec ce troublant dernier épisode, l'élément important est l'évolution suivie par le personnage de Sarah Lund. Si on la retrouve fidèle à elle-même dans ses obstinations policières au cours de l'enquête, elle traverse cependant une période de doutes et de remise en cause. Ces développements psychologiques constituent l'apport le plus intéressant de ces dix épisodes. Blessée de voir son fils Mark couper les ponts alors même qu'il s'apprête à fonder une famille, elle s'interroge sur les décisions du passé qu'elle a prises, et sur ce qu'elle peut faire pour reprendre sa vie en main. Le retour de Borch intervient dans ces conditions, alors qu'elle souhaiterait reconstruire quelque chose sans répéter les mêmes erreurs.

Mais Sarah Lund échoue dans son projet de ne pas se laisser aspirer à nouveau par les horreurs de son quotidien, une volonté qui allait contre son tempérament et contre tout ce qui fait d'elle ce qu'elle est. Elle arrivait à saturation, mais son inlassable obsession et persévérance pour la vérité et la justice l'auront finalement précipitée sur une autre pente. Alors que tout aurait pu être réuni pour permettre une sorte de happy end teintée d'amertume par rapport à l'enquête, mais réconfortant pour sa vie personnelle, il n'en sera rien. Les dernières minutes laissent en réalité tout en suspens. Elles frustrent sur le moment intensément, et pourtant, l'acte de Sarah Lund apparaît dans la continuité logique de sa crise existentielle. Car, suivant la tonalité particulière de Forbrydelsen, trouver la paix était impossible.

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Sur la forme, Forbrydelsen bénéficie d'une réalisation toujours parfaitement maîtrisée. Ses images conservent cette photographie aux teintes grisâtres qui sied si bien à l'ambiance de polar sombre de la série. D'ailleurs, quand elle nous immerge dans les coulisses du quotidien du Premier Ministre, le contraste est alors particulièrement frappant avec Borgen, dont les partis pris esthétiques sont diamétralement opposés. De plus, les thèmes musicaux, caractéristiques, sont bien employés, notamment ce morceau qui conclut les épisodes contribuant à l'efficacité redoutable des cliffhangers de la série.

Enfin, Forbrydelsen rassemble un casting, parfaitement dans le ton, au sein duquel Sofie Grabol resplendit. L'actrice maîtrise à merveille les ambivalances et les paradoxes de son personnage, trouvant cet équilibre unique entre une force persévérante inarrêtable et cette touche de vulnérabilité face à certaines situations. Ses rapports avec son supérieur hiérarchique, Morten Suurballe, sont inchangés, conservant cette froide distance où s'ajoute une certaine compréhension. C'est Nikolaj Lie Kaas qui va cette fois incarner son partenaire pour l'enquête, l'entraînant dans des recoins personnels de son passé. Les parents de l'enfant kidnapé sont respectivement interprétés par Anders W. Berthelsen et Helle Fagralid. On retrouve également à l'affiche Sigurd Holmen le Dous, Stig Hoffmayer, Olaf Johannessen, Jonatan Spang, Trine Pallesen, Tammi Ost ou encore Peter Mygind.

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Bilan : Dans cette saison 3, Forbrydelsen conserve les recettes traditionnelles du polar, thriller tendu, parfois prévisible, mais rythmé par des cliffhangers parfaitement maîtrisés. Cependant son véritable apport tient au développement réservé à Sarah Lund. Ces dix épisodes sont l'histoire d'une tentative d'évasion impossible, d'une remise en cause - pour reprendre sa vie en main sans reproduire les mêmes erreurs - qui échoue, d'une saturation dont les signes étaient présents et qui explose finalement de la plus irrémédiable des manières. Jusqu'au bout, Forbrydelsen aura été fidèle à elle-même, marquée par ce parfum d'amertume désillusionnée qui caractérise cette sombre série.

Sarah Lund a donc définitivement raccroché ses pulls. L'avion s'est perdu dans la nuit. Reste à lui rendre une dernière fois hommage : merci pour toutes ces heures de tension vécues fébrilement devant le petit écran et pour m'avoir réconcilié avec un versant du polar que j'avais délaissé. Ces trois saisons furent une belle expérience sériephile. Une découverte qui reste hautement recommandée (si ce n'est pas déjà fait) !


NOTE : 8,5/10


Une bande-annonce de la saison :

05/01/2013

(Mini-série UK) Restless : un beau portrait de femme sur fond de jeux d'espions paranoïaques

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Au cours de la période des fêtes en Angleterre, outre des épisodes spéciaux de diverses séries, on retrouve aussi des fictions originales prévues pour l'occasion. Une réussite notable est à signaler pour cette fin 2012, venant conclure de belle manière une année qui aura été assez mitigée. BBC1 a en effet proposé à ses téléspectateurs Restless, une mini-série, en deux parties d'1h30, diffusée les 27 et 28 décembre 2012. Il s'agit de l'adaptation d'un livre de William Boyd (publié en France sous le titre La vie aux aguets), écrivain dont on se souvient que Channel 4 avait diffusé l'adaptation d'un autre de ses romans fin 2010, Any Human Heart. Bénéficiant d'une belle mise en scène, Restless dresse un prenant portrait de femme, tout en renouant avec les codes les plus efficaces des fictions d'espionnage (oui, ce début d'année est placé sous le signe de l'espionnage !). Un bien plaisant visionnage pour commencer 2013 !

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Restless débute dans les années 1970. Ruth Gilmartin, une doctorante de Cambridge, est en route pour rendre visite à sa mère, Sally. Mais cette dernière est particulièrement nerveuse et fébrile lorsque Ruth arrive avec son fils. Paranoïaque, elle est persuadée que, depuis que sa photo a été publiée dans un journal local, elle a été placée sous surveillance. Elle pense même sa vie en danger. Ruth balaie ces inquiétudes d'un revers de main sans les comprendre. Pour justifier ses craintes, Sally décide qu'il est temps de confier à sa fille des secrets issus d'un passé qu'elle a laissé depuis longtemps derrière elle. Elle lui remet un dossier dont le récit commence en 1939, à Paris. Elle s'appelait alors Eva Delectorskaya...

Réfugiée russe en France à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, elle est recrutée, après le meurtre de son frère par des fascistes, par Lucas Romer qui lui propose de rejoindre les services de renseignements britanniques. Un entraînement en Ecosse plus tard, elle est affectée à une compagnie du nom de AAS Ltd qui s'occupe de désinformation sur le continent européen. Que s'est-il donc passé pour Eva durant la Seconde Guerre Mondiale qui lui fait craindre pour sa vie trois décennies après ? Au fil de sa lecture, Ruth découvre une facette de sa mère dont elle ignorait tout, tout en essayant de l'aider à apaiser ses inquiétudes dans le présent. Le temps semble venu de solder le passé, à moins de risquer de rester à jamais aux aguets en attendant que le couperet tombe.

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Restless est un thriller qu'entoure un parfum de sourde paranoïa. C'est une fiction qui prend le temps de construire son ambiance, ne dévoilant ses cartes et les dessous de ses intrigues que progressivement. On aurait pu craindre que les constants aller-retours entre les années 40 et les années 70 portent atteinte à l'homogénéité du récit, il n'en est rien : dans l'ensemble, la mini-série parvient à bien gérer cette double construction en parallèle. Même si, en terme d'intensité et d'intérêt suscité, il faut reconnaître que les évènements qui se déroulent durant la Seconde Guerre Mondiale l'emportent du fait de leur force dramatique.

Ils sont l'occasion pour Restless de se réapproprier efficacement les codes classiques des fictions d'espionnage, en éclairant un enjeu particulier : celui de la maîtrise de l'information, ou plutôt de la désinformation. Partant de Belgique, sa mission entraînera Eva jusqu'aux Etats-Unis, durant les mois qui précèdent Pearl Harbor, pour tenter de rallier l'opinion publique américaine à l'idée d'entrer en guerre. Si cet éclairage est assez original, les développements suivent, eux, une approche autrement plus classique, jusqu'à l'ultime twist. Sans être exempt de reproche dans la manière dont l'intrigue se met en place, l'histoire reste rondement menée, ponctuée de passages de forte tension particulièrement réussis. Elle se révèle ainsi des plus prenantes.

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Au-delà du thriller, l'attrait de Restless doit aussi beaucoup à ses personnages. La partie se déroulant dans les années 40 permet d'apprécier le développement d'Eva : c'est un portrait assez fascinant qui s'esquisse sous les yeux du téléspectateur. Celui d'une jeune femme ordinaire qui se transforme et mûrit face à l'extraordinaire : de l'innocente réfugiée endeuillée, hésitante, manquant de confiance, elle devient peu à peu une espionne aguerrie. Son entraînement lui fait prendre conscience de ses capacités, tandis que les épreuves qu'elle devra ensuite affronter achèvent de l'endurcir. Des jeux d'espion aux jeux des sentiments, elle fait ses choix et les assument, gagnant en ampleur au fil de ces trois heures. Pleine de ressources, volontaire, mais avec aussi ses points vulnérables, notamment face à son supérieur hiérarchique, elle est une belle figure de fiction auprès de laquelle le téléspectateur va s'investir.

Dans les années 70, la paranoïa est également là, mais la tension se fait plus psychologique. Les craintes de Sally/Eva mettent du temps à être explicitées. Si bien que ce versant de la mini-série vaut surtout pour son traitement des rapports mère/fille, évoquant notamment l'impact des révélations relatives à la véritable identité de sa mère sur Ruth. Restless offre sans doute ici un récit plus limité, mais elle s'en sort pourtant relativement bien dans un registre plus intimiste. C'est à nouveau dans sa manière d'éclairer les fortes personnalités de ces deux femmes que la mini-série se démarque, d'autant qu'elles développent une dynamique très intéressante. Leur histoire offre un fil rouge complémentaire aux évènements des années 40, culminant dans une confrontation finale vers laquelle toute la mini-série est construite.

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Si le récit est efficace et retient l'attention de bout en bout, c'est aussi parce qu'il se dégage une atmosphère particulière de Restless qui sait parfaitement happer le téléspectateur : la mini-série doit ici beaucoup à une mise en scène très soignée. Le récit est globalement superbement porté à l'écran, renforçant l'implication du téléspectateur dans la destinée d'Eva. Non seulement la réalisation est appliquée, offrant quelques plans très inspirés, mais c'est aussi toute la reconstitution, des années 40 comme des années 70, qui est particulièrement belle. La photographie trouve les bonnes teintes ; les tenues des personnages sont très bien choisies. Et la bande-son parachève de poser l'ambiance de la plus convaincante des manières.

Enfin, Restless bénéficie d'un très solide casting. Pour ses passages se déroulant dans les années 40, la mini-série réunit dans ces jeux d'espion létaux une Hayley Atwell (The Prisoner, Les Piliers de la Terre, Any Human Heart) tout simplement rayonnante et un Rufus Sewell (Eleventh Hour, Les Piliers de la Terre) intriguant et mystérieux à souhait, tous deux ayant trouvé immédiatement le ton juste pour leurs personnages respectifs. Quant aux années 70, si elles tiennent malgré tout très bien, elles le doivent beaucoup à l'assurance de Michelle Dockery (Downton Abbey) et à la sobriété de Charlotte Rampling, interprétant Eva plus âgée, qui apportent une vraie classe à leurs personnages. Michael Gambon (Perfect Strangers, Wives & Daughters) joue alors Lucas Romer devenu un Lord anglais. Chacun de ces acteurs délivre une prestation impeccable, qui contribue à la force du récit. Parmi les rôles plus secondaires, notez également la présence notamment d'Adrian Scarborough (Cranford, Upstairs Downstairs) ou encore de Thekla Reuten (Sleeper Cell, Hidden).
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Bilan : Restless est une mini-série efficacement construite, à l'esthétique soignée et aboutie. Elle nous plonge dans une diffuse ambiance paranoïaque, retranscrivant des jeux d'espion qui gagnent en ampleur et en force au fil du récit. Portée par un très solide casting, elle fait preuve d'une intéressante maîtrise pour conduire le double récit mis en scène entre les années 40 et les années 70. Cependant elle reste aussi un superbe portrait de femme, évoquant une héroïne, marquée par les bouleversements européens du XXe siècle, que l'on voit s'affirmer sous nos yeux. Sans être exempt de tout reproche dans certains des choix narratifs faits, Restless offre 3 heures prenantes qui devraient plaire à plus d'un téléspectateur, amateur d'espionnage et au-delà.


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de la série :