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16/01/2014

(RUS) Семнадцать мгновений весны / Semnadtsat mgnoveniy vesny (Seventeen Moments of Spring) : un espion soviétique dans les cercles du pouvoir nazi



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La figure de l'espion Russe continue d'inspirer les chaînes de télévision ces dernières années : aux États-Unis, la saison 2 de The Americans arrivera sur FX le mois prochain, tandis qu'ABC proposait de débuter 2014 dans les années 80 en cherchant à débusquer une taupe soviétique à la CIA avec The Assets. Inspirée d'une histoire vraie, cette dernière mini-série n'aura cependant tenu que deux épisodes avant d'être sacrifiée sur l'autel des audiences le week-end dernier. Un peu auparavant, il est aussi possible d'évoquer Ta Gordin en Israël qui, pareillement, mettait en scène les démêlés d'agents russes, de nos jours. Histoire de contrebalancer ces présentations et de poursuivre mes explorations de fictions d'espionnage, il était donc temps de changer de perspective, et de se placer, non plus du point de vue du pays infiltré, mais de celui de la Russie. Ou plus précisément de l'URSS !

Si My Télé is rich! a déjà eu l'occasion de parler à plusieurs reprises de séries russes, c'est la première fois que je remonte vraiment le temps dans le petit écran de ce pays : aujourd'hui, je vous propose de nous intéresser à une fiction soviétique, diffusée en 1973. Comportant 12 épisodes, de 70 minutes environ, Semnadtsat mgnoveniy vesny (Seventeen Moments of Spring) avait été proposée à l'époque en noir & blanc ; une version colorisée existe depuis 2009, mais elle conduit à faire perdre une quinzaine de minutes à chaque épisode, d'où la préférence accordée à l'originale. Réalisée par la cinéaste Tatyana Lioznova, cette série est une adaptation d'un livre de Yulian Semyonov. Elle met en scène une figure soviétique populaire de l'espionnage, Maxim Isaev, dont les aventures ont été relatées dans toute une suite de romans. Communément considérée comme un des thrillers soviétiques les plus aboutis dans le registre des jeux d'espion, cette série reste aussi l'une des plus populaires de l'histoire télévisée russe. Un grand merci à Greg pour m'avoir incité à débuter l'année 2014 avec ce très intéressant rattrapage.

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Si les conditions de création de Seventeen Moments of Spring, perceptibles à l'écran, sont celles de la Guerre Froide, la série traite d'une période antérieure. Elle se déroule à la fin de l'hiver 1945 en Allemagne. L'issue de la Seconde Guerre Mondiale ne fait alors plus guère de doute, mais ce qui est déjà en jeu dans l'esprit des différents protagonistes, c'est le sort de l'Europe après la capitulation nazie. Sur ce point, les Alliés -Américains et Anglais d'une part, Soviétiques d'autre part- ne partagent pas les mêmes vues. Essayant de tirer leur épingle de l'opposition latente existant au sein du camp adverse, des dignitaires nazis tentent d'initier des négociations de paix séparées, pour en finir avec le front ouest et présenter un rempart contre le communisme en Europe.

Max Otto von Stierlitz est un officier SS du service de renseignements (SD). S'il est parfaitement intégré dans les cercles du parti et du pouvoir nazi à Berlin depuis les années 30, son vrai nom est en réalité Maxim Isaev. Il est un colonel soviétique qui, non seulement transmet des informations importantes sur le régime, mais sabote aussi à l'occasion certains des projets de ce dernier. Il a su jusqu'à présent rester insoupçonné dans ce jeu d'échecs dangereux qu'il mène au sein des hautes sphères du pouvoir. En février 1945, Moscou le contacte au sujet de rumeurs de négociations séparées commencées en Suisse par un haut responsable du régime. Stierlitz a pour mission de déterminer la réalité de cette information et d'empêcher, si elle s'avère confirmée, que ces discussions aboutissent. Au sein d'un régime qui se sait condamné, l'agent soviétique va jouer une partie extrêmement risquée, d'autant que certains s'interrogent sur ses agissements passés...

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Seventeen Moments of Spring est une fiction d'espionnage finement menée. Délaissant le registre de l'action, elle s'inscrit dans un registre aussi feutré que tendu, dans lequel chaque protagoniste avance ses pions, jouant une partie dont il est parfois le seul à connaître l'existence. Le récit est complexe, cultivant une tension psychologique de plus en plus pressante au fur et à mesure que l'intrigue progresse. Les jeux d'espions mis en scène n'ont rien de coups d'éclats : ils reposent avant tout sur l'analyse, la réflexion, la logique et une prise de risque calculée pour atteindre l'objectif fixé. Une grande partie des manœuvres de Stierlitz consiste ainsi à prendre la bureaucratie SS à son propre piège de ses concurrences entre services, de ses querelles d'égos et de sa rigidité de fonctionnement. L'agent soviétique exploite les allégeances diverses au sein des cercles de pouvoir nazis pour mener à bien une partie où la moindre erreur, la plus petite faille dans ses justifications, peut lui être fatale. Le suspense est souvent intense, le danger permanent. A fortiori dans le contexte particulièrement fébrile de ce dernier hiver 1945 où tout paraît exacerbé : le soin même avec lequel Stierlitz s'efforce d'afficher une loyauté en apparence irréprochable finit par être source de soupçons à une période où ce sont les fondations du régime qui vacillent...

Si Seventeen Moments of Spring met en scène un agent soviétique aux nerfs d'acier, maître espion par excellence, cette figure idéale s'impose si fortement à l'écran parce que Stierlitz est justement confronté à des adversaires de choix qui ne sont pas cantonnés à une simple fonction de faire-valoir. Initialement, la série met l'accent sur ce qui réunit tous ces dignitaires nazis : ils semblent tous sortir du même moule à en croire les caractéristiques égrenées par les fichiers des services secrets soviétiques dont les présentations sonnent vite répétitives. Mais leurs aspirations et leurs modes de fonctionnement sont très divers. Le QG des SS, où une grande partie de l'action se déroule, devient un huis clos où chacun semble servir son propre agenda, manipulant, espionnant, omettant de transmettre des informations... Plusieurs individualités se démarquent par leur intelligence, comme autant de pièces-maîtresses sur l'échiquier que doit exploiter Stierlitz ; autant de pièces qui visent également au contrôle de l'échiquier. Un affrontement particulier, avec Heinrich Müller, offre quelques face-à-face d'une rare maîtrise et d'une intensité marquante. Ajoutant une tension supplémentaire, tous ont conscience de l'imminence de la défaite, de l'écroulement à venir du régime nazi. La série apparaît donc aussi en filigrane comme le portrait d'une institution condamnée.

Cette fin d'hiver 1945 confère d'ailleurs une dimension supplémentaire au récit, y compris pour Stierlitz qui a dû faire ses propres sacrifices pour maintenir sa couverture et une infiltration qui dure depuis les années 30. Si le professionnalisme de l'agent n'est jamais pris en défaut, avec une forme de célébration perceptible dans certaines scènes, Seventeen Moments of Spring n'est pas pour autant une fiction dénuée d'émotions. Les sentiments n'ont certes pas leur place dans les jeux d'espions létaux mis en scène, mais les protagonistes n'en demeurent pas moins des êtres humains. La façade présentée par le maître-espion soviétique n'est donc pas imperturbable. A ce titre, sa vie personnelle n'est pas ignorée : marié en URSS, Stierlitz n'a revu qu'une seule fois sa femme depuis le début de sa mission. Les services secrets russes avaient arrangé une rencontre dans un restaurant, mais les deux époux n'ont pu échanger directement pour des raisons de sécurité. Il s'ensuit une scène muette à l'écran, où un long regard croisé apparaît plus expressif que tout dialogue. Choisir entre les exigences de la mission et ce que, impulsivement, tout être humain ferait, est un arbitrage constant, dont la difficulté n'est jamais niée. Le sort de Katherin et de son enfant sera pareillement une source de dilemme que la série saura souligner.

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Sur la forme, Seventeen Moments of Spring bénéficie d'une réalisation soignée. Une voix off fait office de narrateur omniscient : guidant le téléspectateur dans le récit, elle le glisse également dans les pensées des personnages, offrant des parenthèses narratives instructives qui, si le style peut dérouter, permettent d'apporter une épaisseur supplémentaire au récit. De plus, la série a fréquemment recours à des images d'archives, présentant de cette manière des évènements ou des figures historiques. Si le récit n'est pas exempt d'inexactitudes historiques, cette inclusion de documents vidéos d'époque immerge vraiment le téléspectateur dans les enjeux du conflit. La bande-son ne laisse pas non plus indifférent, avec quelques chansons récurrentes, dont les versions chantées ou musicales rythment l'ouverture et la fin des épisodes, ainsi que plusieurs scènes marquantes. Les versions chantées, teintées d'une certaine mélancolie, sont interprétées par Joseph Kobzon qui -comme le soulignait Greg dans son commentaire- n'est pas un inconnu des sériephiles explorateurs puisqu'il figurera deux décennies plus tard dans la bande-son d'un des dramas sud-coréens les plus marquants des années 90, The Sandglass.

Enfin, un dernier élément qui permet à Seventeen Moments of Spring de se démarquer est la performance d'ensemble d'un casting très solide. Stierlitz est interprété par Vyacheslav Tikhonov (Voyna i mir -la version soviétique des années 60 de Guerre & Paix). S'il n'a pas son pareil pour incarner ce super-espion au nerf d'acier, toujours capable d'analyser froidement une situation pour en tirer le meilleur parti, l'acteur impressionne surtout par sa faculté à laisser entrevoir derrière ce masque de professionnalisme des émotions qu'il sait transmettre au téléspectateur : si les mots sont toujours réfléchis, le regard se fait plus parlant et expressif au cours de certaines scènes qui, sans nécessiter le moindre dialogue, capturent parfaitement les dilemmes et autres tiraillements de l'agent, touchant ainsi le public. Tikhonov est aussi aidé par les adversaires de valeur qu'il doit manœuvrer : Leonid Bronevoy (Müller) et Oleg Tabakov (Schellenberg) se révèlent parfaitement à la hauteur des affrontements relatés. A leurs côtés, on retrouve Rostislav Plyatt, Yuri Vizbor, Mikhail Zharkovsky, Nikolai Prokopovich, Nikolai Volkov, Yekaterina Gradova, Yevgeniy Kuznetsov, Lev Durov, Svetlana Svetlichnava ou encore Vasily Lanovoy.

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Bilan : Seventeen Moments of Spring est une prenante fiction d'espionnage, au scénario complexe et au suspense très efficace. Elle met en scène des protagonistes travaillés -qu'il s'agisse de l'espion soviétique ou bien des quelques individualités qui ressortent parmi les dignitaires nazis- dont elle orchestre avec soin les confrontations. Son rythme lent laisse la part belle à l'analyse et à la réflexion : c'est une partie létale, admirablement menée, qui se joue au QG SS, loin de tout coup d'éclat. L'ensemble n'est cependant pas dénué d'émotion et d'humanité. Par ailleurs, d'un point de vue de téléspectateur occidental, la série présente un intérêt particulier puisqu'elle propose la fin de la Seconde Guerre Mondiale à travers un regard russe avec, déjà, la future Guerre Froide en ligne de mire qui se perçoit dans la mise en scène méfiante des autres Alliés.

Une série donc recommandée aux sériephiles curieux et à tout amateur de fiction d'espionnage, en particulier ceux qui ont apprécié les perles du genre des années 70 que sont Tinker, Tailor, Soldier, Spy et The Sandbaggers. Et, pour une fois, ce sera l'occasion de voir mis en scène un espion soviétique... par une série soviétique. Ce fut en tout cas pour moi une très intéressante découverte.


NOTE : 8/10


Une bande-annonce de la série (dans sa version colorisée) :

La dernière image de la série (avec la chanson la plus récurrente de la bande-son) :

19/09/2013

(ISRL) Ta Gordin (The Gordin Cell / Mice) : jeux de dupes et d'espions russo-israéliens


"He didn't choose to betray. He was born to it."

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Si le dernier Festival SériesMania a conforté ma curiosité à l'égard du petit écran israélien, grâce aux découvertes des premiers épisodes de 30 shekel per hour et d'Ananda, les difficultés pour pouvoir visionner ces séries continuent de se confirmer. Hatufim nous est certes parvenue (merci Arte), dans le sillage tracé par le succès de Homeland, mais la barrière linguistique ne semble pas encore prête d'être résolue pour accéder à ce vivier de créations télévisuelles. Heureusement la magie d'internet opère parfois : une âme curieuse et charitable (en plus d'être bilingue) qui se lance dans le sous-titrage d'une série jusqu'alors inaccessible. C'est le chemin qu'a suivi Ta Gordin cet été. Cela tombe bien, car elle figurait parmi les quelques fictions israéliennes récentes que j'avais très envie de découvrir (une fiction d'espionnage, vous savez que je ne peux y résister...).

Créée par Ron Leshem, Ta Gordin (ou The Gordin Cell / Mice en version internationale) a été diffusée en Israël du 4 janvier au 22 mars 2012. Elle compte 12 épisodes de 40 minutes environ. Notez qu'elle avait été projetée en France au Festival SeriesMania 2012 (d'où l'importance du circuit des Festivals pour s'ouvrir au monde). A l'international, le format de Ta Gordin a retenu l'attention de NBC qui en a acheté les droits l'année dernière pour un éventuel remake. Une adaptation locale russe est également en projet. Sur le papier, cette série apparaît comme la cousine éloignée d'une autre série américaine récente : The Americans. Il est en effet question d'agents russes, de cellules dormantes... Mais elle se situe dans le présent, l'URSS n'est plus, les enjeux ont changé. Que se passe-t-il alors lorsque les anciennes allégeances sont rappelées pour réclamer une loyauté aux enfants des ex-agents ?

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Les Gordin sont une famille d'origine russe ayant immigré en Israël dans les années 90. En apparence sans histoire, Mikhail et Diana, ainsi que la mère de cette dernière, vivent dans un beau quartier résidentiel. Le couple a deux enfants, désormais adultes : l'aînée, Nati, une jeune femme pragmatique qui s'est éloignée et mène sa propre vie, et Eyal, un soldat décoré dans l'armée israélienne qui, lui, vit toujours chez ses parents. Le quotidien bien ordonnancé de Mikhail et Diana bascule lorsqu'une figure du passé ressurgit à leur porte : Yaakov, le responsable des opérations du SVR (le service des renseignements extérieurs russes, successeur du KGB) en Israël, vient les solliciter pour une mission. Il avait déjà embrigadé Nati il y a des années, mais cette fois, c'est d'Eyal dont il a besoin.

Or ce dernier ignore tout de l'ancienne vie parallèle de sa famille. Déterminé à s'intégrer dans le pays, il s'est efforcé de laisser derrière lui ses origines russes. En dépit des efforts de ses parents, qui tentent de fuir, puis de convaincre le SVR de les utiliser eux plutôt qu'Eyal, Yaakov poursuit implacablement ses projets à la recherche de quelque chose auquel seul le jeune homme peut accéder... Débute un jeu des manipulations complexe, riche en faux-semblants, où chacun sert ses propres intérêts. Les choses se compliquent d'autant plus que le Shabak (le Shin Bet, le service de sécurité intérieur israélien) se rapproche dangereusement du réseau d'agents russes. En effet, celui qui dirige l'investigation israélienne a des comptes personnels à solder avec Yaakov.

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Le premier atout de Ta Gordin est le cadre particulier dans lequel elle se déroule : à la différence de The Americans où les origines russes des protagonistes sont un arrière-plan parfois lointain et très lissé, la série israélienne embrasse au contraire une dimension résolument multiculturelle. Indirectement, il est donc question d'intégration, mais aussi de respect d'une certaine culture, voire de traditions, au sein de la communauté immigrante russe. De plus, Ta Gordin se vit linguistiquement puisqu'il s'agit d'une fiction bilingue, alternant constamment entre hébreu et russe - y compris chez ceux qui traquent ces agents extérieurs, car la connaissance de cette langue s'impose comme une nécessité jusqu'au sein de l'unité spéciale du Shaback. Si un téléspectateur à l'oreille non aiguisée mettra quelques épisodes pour distinguer les deux langues, pour un public international en quête de dépaysement télévisuel, cet effort de remise en contexte est très attrayant, fonctionnant un peu comme l'avait fait Im Angesicht des Verbrechens.

Cependant, à partir d'une telle base, Ta Gordin n'en décline pas moins une histoire assez neutre. La série ne s'embarrasse ni de politique, ni d'idéologie, posant des enjeux tels que l'histoire pourrait se dérouler dans n'importe quel cadre. C'est une pure fiction d'espionnage qui se réapproprie pleinement les codes les plus classiques du genre. La partie d'échecs qui se joue est létale, et ses finalités inconnues. On y trahit et on est trahi : la manipulation est constante, élevée au rang d'art, et les allégeances fluctuantes, le double-jeu régnant en maître. Privilégiant la progression de l'histoire, le récit est vif, sans temps mort, et n'hésite pas à prendre quelques raccourcis pour provoquer plus sûrement les confrontations. L'ambiance glisse peu à peu dans une paranoïa de plus en plus prononcée, chaque développement contribuant à s'interroger sur ce qui est réellement à l’œuvre et sur ce que cachent les ordres et les opérations montées. Ce ne sera que dans la toute dernière ligne droite que les pièces du puzzle s'emboîteront.

Pour autant, aussi codifiés que soient ces jeux d'espions, les premiers épisodes de Ta Gordin manquent de la tension légitimement attendue. La faute à une narration un peu trop huilée, un peu trop plate, qui va droit au but et déroule sans prendre le temps de nuancer ses propos, ni de s'intéresser à l'ensemble des possibilités que les situations dépeintes lui ouvrent. La seconde partie est plus accrocheuse, délivrant des épisodes intenses et prenants qui immergent totalement le téléspectateur dans la course contre-la-montre qui se joue. L'approche narrative très directe a une autre conséquence : la série se concentre avant tout sur l'engrenage qui va broyer ses protagonistes, sans trop s'attarder sur ces derniers. La caractérisation se contente du minimum, laissant quelques regrets tant il y avait de la matière pour approfondir les figures si ambivalentes qui peuplent la série. Les duplicités des uns, les déchirements des autres, les dilemmes posés, tout cela aurait mérité d'être développé avec plus d'ambitions. Au final, Ta Gordin est une fiction d'espionnage efficace, mais elle aurait pu acquérir une dimension supplémentaire si elle avait su explorer toutes ces pistes qu'elle ne fait qu'effleurer.

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Par ailleurs, Ta Gordin bénéficie d'une réalisation correcte, sans que la forme permette à la série de véritablement se démarquer. La caméra est plutôt nerveuse, la photographie assez claire, renvoyant une impression d'ensemble dynamique. Elle correspond à la tonalité du récit proposé. Pareillement, le générique reprend les crispations troublées et paranoïaques qui parcourent la fiction. Un petit reproche cependant : il lui manque un fond sonore peut-être plus identifiable que l'on associerait durablement à la série (cf., sur cette limite, la 2e vidéo ci-dessous pour un aperçu du générique).

Enfin, Ta Gordin rassemble un casting homogène. Ran Danker (dont les cinéphiles se souviennent peut-être pour le film Eyes wide open/Tu n'aimeras point en 2009) interprète Eyal Gordin, personnage souvent fuyant, mais intense, qui subit les évènements plus qu'il ne les provoque ou les comprend. Jouant sa soeur, Neta Riskin est celle qui a le rôle le plus ambivalent de la distribution, ayant l'occasion de souligner les talents d'actrice de son personnage reine de la manipulation. Slava Bibergal et Elena Yerlova - qui sait faire ressortir une froide détermination - interprètent leurs parents. Côté SVR, c'est Mark Ivanir (qu'on a déjà croisé sur ce blog dans une autre série empreinte d'ambiance russe, l'allemande Im Angesicht des Verbrechens, plus récemment vu aux États-Unis dans Royal Pains) qui incarne un Yaakov difficile à déchiffrer, maître-espion rompu à tous ces jeux létaux. Côté Shaback, le duo en charge du contre-espionnage russe est composé de Moni Moshonov (Be Tipul), pendant parfait à Yaakov ayant lui-aussi plus d'un tour dans son sac, et Aviv Alush (Asfur), nouveau venu plus impulsif qui doit encore faire ses preuves. On croise également Tom Hagi, Samuel Calderon, Nathalia Manor, Valeria Polyakova, ou encore Ischo Avital.

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Bilan : Fiction d'espionnage solide, Ta Gordin se réapproprie les ficelles classiques de ce genre, les adaptant au cadre familial atypique dans lequel la série se déroule. En douze épisodes, elle signe une intrigue complexe, rythmée par les manipulations et les trahisons de personnages ambivalents qui suivent tous leurs propres agendas. La série fait le choix de privilégier l'engrenage qui se referme sur la famille Gordin. Il en résulte quelques points perfectibles : la caractérisation des personnages aurait méritée d'être plus fouillée et aboutie, de même que le récit aurait parfois gagné à prendre son temps et à être moins précipité. Peut-être en attendais-je trop (depuis le temps que je souhaitais la voir). Reste que l'ensemble est très efficace, avec un cadre multiculturel russo-israélien qui constitue aussi un argument de poids.

C'est donc une série que je recommande à tout amateur de fictions d'espionnage, mais aussi aux téléphages curieux d'explorer le petit écran israélien. Une chose est sûre, elle a confirmé et conforté mon intérêt pour la télévision de ce pays, en espérant voir ses fictions continuer à nous parvenir, même au compte-goutte actuel !


Une dernière remarque, d'ordre technique : les sous-titres anglais de Ta Gordin se trouvent sur internet, mais les vidéos sont celles diffusées à la télévision israélienne, donc avec des sous-titres hébreux incrustés. Pensez à modifier les réglages des sous-titres que vous ajoutez de façon à ce que l'anglais ressorte. Bien réglée (à partir d'un lecteur tel que VLC), la superposition ne pose aucun problème pour le confort de visionnage.


NOTE : 7,25/10


Une bande-annonce de la série (sous-titrée anglais) :

Le générique :

12/07/2013

(Mini-série UK) Smiley's People (Les Gens de Smiley) : l'ultime confrontation de deux maîtres-espions


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Aujourd'hui, je vous propose de poursuivre mon cycle "Espionnage" avec un grand classique du petit écran britannique : Smiley's People (Les Gens de Smiley). Il s'agit du dernier acte d'une trilogie de l'écrivain John Le Carré, commencée avec Tinker Tailor Soldier Spy (La Taupe), puis qui s'est poursuivie dans The Honourable Schoolboy (Comme un collégien). Le premier roman a fait l'objet d'une adaptation en mini-série par la BBC en 1979, et les plus anciens lecteurs du blog parmi vous se souviendront sans doute combien ce visionnage m'avait marqué. Le second tome, où Smiley tient un rôle moins central, n'a pas été porté à l'écran, la chaîne faisant le choix de se concentrer directement sur l'ultime face-à-face entre Smiley et son vis-à-vis soviétique, Karla.

Smiley's People est un roman qui a été publié en 1979. Son adaptation par la BBC a été diffusée en 1982. Prenant la suite de Tinker Tailor Soldier Spy, elle compte 6 épisodes. Côté casting, Alec Guinness reprend le rôle de George Smiley. Côté coulisses, John Le Carré, pas pleinement satisfait du résultat auquel a abouti la précédente mini-série, décide de plus s'investir dans la conception, non seulement au niveau de la production, mais aussi de l'écriture, puisqu'il en devient co-scénariste aux côtés de John Hopkins. Dans la lignée de Tinker Tailor Soldier Spy, Smiley's People est une incontournable fiction d'espionnage : son intrigue à tiroirs et ses nuances de gris s'appuient sur une solide galerie de personnages.

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Après l'identification de la taupe qui opérait au sein du Cirque (le MI-6) dans Tinker Tailor Soldier Spy, George Smiley avait un temps repris en main le service, puis il a été à nouveau évincé, retournant à cette retraite qu'il avait quittée pour chercher la source des fuites vers l'URSS au sein des renseignements britanniques. Dans Smiley's People, il est à nouveau rappelé pour une ultime mission : elle va venir conclure une confrontation emblématique de cette Guerre Froide qui a façonné un personnel et des méthodes de travail que d'aucuns renvoient désormais au passé. En effet, un ensemble d'évènements remet Smiley sur la piste de son puissant vis-à-vis soviétique, Karla.

Tout commence en France, où une réfugiée russe est sollicitée par les services de l'ambassade soviétique pour procurer des papiers officiels à une jeune femme présentée comme sa fille. Elle en informe le réseau d'un ex-général soviétique en exil, "Vladimir", qui dirige une organisation depuis Londres. Peu de temps après, ce dernier prend contact avec le MI-6 : il réclame de parler à son ancien officier de liaison, Max, pseudonyme de George Smiley. Une rencontre est organisée dans la précipitation. Mais l'ex-officier dissident ne l'atteindra jamais : il est assassiné en chemin. Smiley est alors rappelé en urgence. Il découvre que ses anciens réseaux ont été laissés à l'abandon par les nouveaux dirigeants du MI-6, lesquels le pressent d'éviter de faire la moindre vague : il convient de refermer l'affaire sans que le Cirque y soit associé.

Mais Smiley n'entend pas abandonner celui qu'il considérait comme un vieil ami. Qu'avait découvert Vladimir de si important ? La piste va conduire Smiley en Europe continentale, d'Allemagne jusqu'en Suisse, sur les pas d'un maître-espion soviétique qu'il affronte depuis plusieurs décennies : Karla. 

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Smiley's People est une oeuvre dense. Elle nous plonge dans les coulisses d'un affrontement de l'ombre, résidu d'une Guerre Froide qui a perdu le sens et le manichéisme de ses débuts. Les certitudes des uns et des autres se sont en effet étiolées au fil du temps et des réalités, et la série capture à merveille l'atmosphère désillusionnée, ambivalente et grise que représente le décor dans lequel baignent les services de renseignements. La progression du récit est lente, mais bénéficie d'une écriture d'une richesse rare, dont le soin du détail ne laisse rien au hasard. Tout en s'appuyant sur une galerie de personnages qui sont autant de produits, à des degrés divers, de cette confrontation Est-Ouest, elle dispose de dialogues subtils, où les non-dits semblent parfois peser plus lourds que les paroles échangées à haute voix. La mini-série glisse le téléspectateur dans un puzzle complexe et éclaté, où chaque protagoniste, chaque nouvel élément d'information, constitue une pièce inconnue dont il convient de prendre la mesure pour la replacer correctement et résoudre l'énigme posée par la mort de Vladimir. En fait, chacun est un pion sur un échiquier où se joue une partie qui ne dévoilera son véritable enjeu que lors du dénouement final, aboutissement de l'enquête méthodique et implacable conduite par Smiley.

Smiley's People est ainsi une série qui acquiert toute sa dimension lorsqu'on l'apprécie une fois sa conclusion berlinoise passée : elle est l'occasion d'assister à un ultime face-à-face entre deux maîtres-espions qui sont les symboles d'une époque révolue. Un des grands mérites de cette confrontation finale est qu'elle permet d'esquisser un portrait nuancé et fascinant, chargé d'autant d'ombres que de lumières, de George Smiley. A la fois tenace et usé, l'espion britannique se dédie entièrement à cette investigation qu'il pressent être son dernier coup d'éclat. Armé d'une détermination froide où perce dans le même temps un certain détachement flegmatique, Smiley se réapproprie sans hésitation les armes de son adversaire, usant de tous les moyens de pression dont il dispose... A tel point que la réussite de ses plans ne sera pas l'apogée attendu : la victoire remportée sur Karla semble ne pas avoir de saveur pour Smiley qui y assiste en spectateur. Fatigué, compromis, il paraît avoir laissé filer ses dernières illusions, jusque dans sa vie maritale : le briquet autrefois subtilisé par Karla et qu'il néglige à la fin symbolise son propre abandon de cette épouse volage dont il était tant épris. Smiley's People se conclut de façon plus amère que triomphante, refermant une intrigue parfaitement orchestrée, qui sied très bien à la tonalité ambiante de la mini-série.

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Outre la solidité de son scénario, Smiley's People repose également sur une galerie d'acteurs extrêmement convaincants, au sein de laquelle une partie reprend les mêmes rôles tenus dans Tinker Tailor Soldier Spy trois ans auparavant. Au centre du récit - même si la première demi-heure de la mini-série se déroule sans lui -, on retrouve à nouveau un Alec Guinness parfait. Son interprétation de Smiley est extrêment juste et riche en nuances. Il renvoie une image à la fois froide et posée. A sa persévérance intacte, vient s'ajouter un détachement fatigué, marque de la vieillesse, mais aussi de sa conscience de jouer ce qui est probablement son dernier round dans un milieu de l'espionnage qui a déjà considérablement évolué. En résumé, il se réapproprie pleinement ce personnage littéraire.

En outre, parmi les acteurs de la mini-série précédente, on retrouve également Siân Phillips (I, Claudius), Beryl Reid (The Secret Diary of Adrian Mole Aged 13 3/4), Bernard Hepton (Secret Army, Colditz, Bleak House (1985), The Charmer) ou encore Anthony Bate (Game, Set, and Match). Quant à Patrick Stewart (Star Trek : The Next Generation), il reprend le rôle de Karla, omni-présent en arrière-plan sans avoir à prononcer une seule ligne de dialogue et que l'on apercevra uniquement pour le final berlinois. Parmi les autres figures, on croise également Eileen Atkins (Psychoville, Doc Martin), Curd Jürgens, Maureen Lipman (A Little Princess), Barry Foster (Fall of Eagles), Bill Paterson (Wives and Daughters, Criminal Justice, Little Dorrit, Law & Order UK), Michael Lonsdale, Mario Adorf (Der große Bellheim, La Piovra 4) ou encore Michael Elphick (Harry, Boon).

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Bilan : Dans la lignée de Tinker Tailor Soldier Spy, Smiley's People est une solide fiction d'espionnage, à l'intrigue complexe, dense et bien menée. S'appuyant sur un casting impeccable, elle nous glisse dans une partie de jeux d'espions où tous les coups sont permis, pour un enjeu qui ne se dévoilera que sur la fin lorsque le puzzle reconstitué permettra de prendre la mesure de tout ce qui s'est joué au cours des six épisodes. C'était mon deuxième visionnage de la mini-série en ce début de mois de juillet, et j'en ai peut-être encore plus apprécié les subtilités de l'ultime confrontation qui y est dépeinte, ainsi que celles du portrait qui est proposé de George Smiley. Une fiction incontestablement à ranger parmi les incontournables du genre !


NOTE : 8,5/10


Une bande-annonce de la mini-série :

Les génériques d'ouverture et de fin :

05/05/2013

(US) The Americans, saison 1 : jeux de miroirs faussés entre soviétiques et américains

 
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Retour aux Etats-Unis en ce dimanche ! Il faut dire que cette première moitié d'année 2013 est assez positive dans le petit écran américain. Il y a les valeurs sûres pour me confirmer tout le bien que je pense d'elles, avec une saison 4 de Justified qui a été à la hauteur (et sur laquelle il faut vraiment que je prenne le temps de revenir prochainement). Côté nouveautés, j'ai été agréablement surprise par une nouvelle venue dans le monde des séries, Sundance Channel, qui m'a conquise avec Rectify. Et j'ai même replongé dans les grands networks US grâce à Hannibal (qui, au vu de ses audiences, risque de ne pas échapper à la malédiction frappant invariablement toute nouveauté de networks que j'aime...).

En attendant de revenir sur toutes ces fictions, le billet du jour est consacré à une série dont j'ai déjà parlé il y a plusieurs mois, et dont la première saison s'est achevée ce mercredi aux Etats-Unis : The Americans. Le pilote s'était révélé très convaincant, les 12 épisodes qui ont suivi ont-ils confirmé les promesses entrevues ? Si je me suis beaucoup attachée à cette série, que j'ai suivie sans jamais prendre le moindre retard (un signe qui ne trompe pas), il aura cependant manqué quelque chose à cette première saison pour faire d'elle une fiction incontournable. Elle n'en reste pas moins une bonne série, solide, enthousiasmante à l'occasion. Nul doute que je serai au rendez-vous pour la saison 2.

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Rappelons brièvement l'histoire : se déroulant dans les années 80, The Americans met en scène un couple d'Américains en apparence ordinaires, Phillip et Elizabeth Jennings, qui derrière leur vie de famille bien rangée sont en réalité des agents soviétiques infiltrés aux Etats-Unis. Ils accomplissent pour leurs supérieurs diverses missions - de la collecte de renseignements à la capture ou à l'assassinat d'individus -, tout en tentant de préserver une façade de normalité qui leur permet de donner le change face au monde extérieur. Ce concept de départ a pour conséquence de fusionner vie privée et responsabilités professionnelles, chacune étant emboîtée dans l'autre, et la première servant à mener à bien les secondes. Cela permet un intéressant mélange : derrière le récit d'espionnage aux codes narratifs classiques pour ce genre, The Americans est une fiction relationnelle. User des sentiments pour parvenir professionnellement à ses fins se généralise d'ailleurs au fil de la saison, une relation prenant même un tournant inattendu au cours duquel les rapports de force s'inversent.

Cependant, c'est le couple Jennings qui demeure le sujet principal. Si la série échoue à exploiter de manière convaincante le parallèle potentiel entre ces derniers et leurs voisins, le couple de l'agent du FBI restant trop superficiel et plat pour intéresser, la caractérisation des deux agents soviétiques est en revanche autrement plus soignée et inspirée. Il faut dire que les divergences existant entre Elizabeth et Phillip avaient clairement été établies dès le pilote : ils abordent différemment aussi bien leur mariage, que leur mission en général. A partir de là, cette première saison joue sur ces deux ressorts pour rendre leur relation très mouvante, chacun semblant s'accrocher à ses certitudes ou chercher des repères par trop vacillants. Ce qui explique que The Americans renvoie parfois l'impression d'avancer d'un pas, pour ensuite reculer de deux, et enfin en sauter trois. Cependant sa grande réussite est de parvenir à capturer les dilemmes et les dualités de ce couple atypique. Bénéficiant d'une écriture engageante, assez fine psychologiquement, la série surprend ainsi tout particulièrement par sa faculté à nous impliquer dans les retombées personnelles de ces jeux d'espions qui n'en demeurent pas moins létaux.

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The Americans aborde certes le thème du couple - avec une base de départ assez unique -, mais elle reste une série d'espionnage. Elle gère d'ailleurs plutôt bien le dosage entre ces deux éléments. Les missions mises en scène ont ce côté besogneux, parfois anecdotique ou inutile, des fictions d'espionnage qui refusent de glamouriser cette profession. Le spectaculaire n'est pas le quotidien des protagonistes, et c'est tant mieux. Ce qui est au coeur de The Americans, c'est l'idée de l'infiltration : opérer en sol étranger et s'y fondre. Il s'ensuit un véritable jeu de miroirs faussé entre russes et américains. Cet aspect est un des éléments les plus intéressants de la série - même si elle ne l'exploite pas toujours pleinement. Autour d'une trame commune, elle nous fait vivre en parallèle plusieurs visions subjectives distinctes, des divergences se faisant jour au sein même de chaque camp.

Un des épisodes les plus intéressants de la saison est le quatrième, In Control. Il traite de la manière dont les soviétiques reçoivent et analysent un fait historique bien réel, la tentative d'assassinat sur le président Reagan. L'épisode montre combien chacun extrapole alors sur le futur des Etats-Unis, à partir d'informations parcellaires, avec des outils d'analyse personnels biaisés par une culture et par une compréhension des fondations du pays qui lui est propre. Ce thème des différences de mentalités revient également dans la relation qui se noue entre l'agent du FBI, Stan, et sa taupe à la rezidentura, Nina : il est perceptible dans leurs échanges, mais aussi dans l'évolution que connaît leur rapport. Le concept choisi par la série l'oblige à éviter tout manichéisme dans la mise en scène des deux camps. Par ses incursions dans les différences de perception de chacun - mais aussi en montrant leurs similitudes (l'écho que trouvent les différentes morts auprès des protagonistes), The Americans tient un sujet fascinant d'ambivalence, qui mériterait vraiment d'être exploré jusqu'au bout.

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Si ce ne sont ni les bonnes idées, ni le potentiel d'ensemble, qui font défaut à The Americans, il manque quelque chose à la série pour faire d'elle une grande. En premier lieu, c'est l'intensité qui pose problème dans certains épisodes. La série suit des intrigues souvent bien construites et exécutées de façon fluide, mais tout y semble toujours très calibrée, avec une relative prévisibilité qui empêche la tension de monter. De plus, on a l'impression que la fiction, du fait de son concept, se voit contrainte de préserver un statu quo qu'elle n'ose remettre en cause : il ne peut être envisagé que les protagonistes principaux (les Jennings et Stan) soient en danger, du moins pour le moment. Peut-être rejoint-on aussi ici une limite de l'historique : faire revivre la Guerre froide est intéressant, mais tout ne peut pas arriver. Si la série a démontré sa capacité à intégrer grande et petites histoires, il lui reste à montrer qu'elle saura quand il le faudra redistribuer les cartes. L'épisode final est assez révélateur des forces et limites de The Americans : il amène remarquablement le danger sur le couple - avec deux premiers tiers assez magistraux -, pour ensuite déjouer le tout par une simple course poursuite, avec des conséquences limitées sur la situation de chacun.

Le choix d'une retenue qui peut s'interpréter comme de la sobriété se retrouve dans le visuel de la série : pour nous plonger dans une ambiance 80s', outre une bande sonore marquée par cette époque (mais dont les chansons emblématiques restent utilisées avec une parcimonie bienvenue), The Americans fait le choix d'un esthétique un peu terne qui, visuellement, se rattache à cette période, loin de toute reconstitution flamboyante. Enfin, la série a le mérite de pouvoir s'appuyer sur un casting convaincant. Keri Russell (Felicity) et Matthew Rhys (Brothers & Sisters, The Mystery of Edwin Drood, The Scapegoat) n'y sont pas pour rien dans l'attachement et l'implication que leurs personnages peuvent susciter. En soutien, Margo Martindale délivre une prestation comme toujours admirable de maîtrise dans un rôle très ambigu qui, jusqu'au bout, prendra le contre-pied de bien des attentes et saura révéler de nouvelles facettes. Face à eux, Noah Emmerich dispose d'un personnage moins attrayant qui, cependant, forme un pendant assez naturel aux agents du KGB qu'il traque.

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Bilan : The Americans signe une première saison très solide et intéressante. La série a réussi son premier objectif : celui d'impliquer le téléspectateur auprès de son couple central, agents du KGB qu'elle est parvenue à humaniser, entremêlant habilement problématiques relationnelles et jeux d'espions. Elle laisse cependant l'impression de ne pas avoir toujours su exploiter pleinement le potentiel extrêmement riche de son concept et de toutes les thématiques qu'il permet d'aborder. C'est une bonne série à laquelle je me suis beaucoup attachée, mais elle demeure certainement perfectible. J'attendrai la saison 2 avec impatience, en espérant que les scénaristes auront appris de leurs limites au cours de cette première saison pour que The Americans acquiert toute l'intensité et l'ampleur qu'elle mérite, et qui est certainement à sa portée.


NOTE : 7,75/10


Le générique de la série :

BONUS - La chanson sur laquelle cette saison se conclut (Games without frontiers) :


03/03/2013

(UK) Complicit : questionnements et doutes sur la lutte antiterroriste et ses moyens

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Les thèmes de l'espionnage et de la lutte antiterroriste ont été tellement rebattus ces dernières années qu'il devient difficile de trouver une place dans ce - vaste - genre pour toutes les fictions qui s'y essaient encore régulièrement. Certaines y parviennent cependant. C'est le cas du téléfilm d'une durée d'1h30 diffusé par Channel 4, en Angleterre, le dimanche 17 février 2013, intitulé Complicit.

Ecrit par Guy Hibbert, il traite des moyens de cette lutte contre le terrorisme et plus précisément du choix du recours à la torture. D'une sobriété exemplaire, Complicit est un essai intéressant pour traiter de ce thème, loin de toute recherche de sensationnalisme ou de sur-dramatisation. C'est aussi l'occasion de retrouver David Oyelowo au MI-5 quelques années après Spooks, dans un registre bien différent que celui proposé par la référence anglaise d'espionnage de la dernière décennie.

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Edward Ekubo est un agent du MI-5. Cela fait trois ans qu'il surveille un individu ayant la citoyenneté britannique, suspecté d'appartenir à une mouvance terroriste, Waleed Ahmed. Au vu des indices et informations collectés, il est persuadé que ce dernier s'apprête à passer à l'action, planifiant une attaque à l'arme chimique au sein même du Royaume-Uni en recourrant à ce poison qu'est la ricine. Seulement sa conviction repose sur des déductions et des recoupements qui sont insuffisants pour convaincre ses supérieurs de l'urgence de la situation. Il parvient cependant à obtenir une surveillance à l'étranger de son suspect.

Passant par le Yemen, Waleed Ahmed arrive finalement au Caire. Il y est arrêté par la police locale en contact avec d'autres suspects de liens terroristes et des fermiers soupçonnés de produire le poison mortel. En débarquant en Egypte, Edward déchante cependant vite : les autres suspects sont tous revenus sur leurs aveux initiaux, extorqués après de rudes interrogatoires, et Waleed, affirmant avoir été victime de mauvais traitement, invoque sa citoyenneté britannique et les droits qui y sont attachés auprès des agents venus de l'ambassade. Seulement le temps presse, car Edward est persuadé que la ricine est déjà en route vers sa cible.

Un colonel des services de sécurité égyptien lui assure alors qu'il obtiendrait ces informations s'il avait l'occasion d'interroger son suspect suivant ses propres méthodes...

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Complicit est une fiction lente, d'une sobriété appliquée. Loin de toutes recherches de sensationnalisme, elle désamorce tous les clichés d'action ou de rebondissements multiples auxquels on associe communément nombre des fictions de ce genre. Le quotidien des services de renseignements britanniques y est rythmé avant tout par de longues surveillances et d'interminables procédures complexes. Pour nous présenter un exemple particulière d'affaire au sein de la lutte antiterroriste actuelle, le téléfilm adopte entièrement le point de vue d'Edward. La narration fait preuve alors d'une intéressante neutralité : laissant place à l'interprétation, elle donne des faits, expose des coïncidences et nous fait partager les soupçons du personnage principal, mais elle n'assène jamais une vérité univoque. Elle suggère, questionne implicitement, tout en subtilité. Cela a d'ailleurs pour conséquence de progressivement distiller le doute sur la réalité de la situation racontée, loin d'une simple chasse à un terroriste identifié : les intuitions et les déductions d'Edward sont-elles seulement justes, envers et contre le scepticisme de ces collègues et de ces supérieurs ?

Complicit est en fait une oeuvre qui évolue dans une zone grise, loin de tout manichéisme. Plusieurs réflexions s'esquissent au fil du récit. Initialement c'est la position même d'Edward au sein du MI-5 qui pose question : quelle est la source du manque d'avancement et de la relative défiance de ses supérieur ? Est-ce qu'il sur-interprète simplement des faits, sa compétence doit-elle remise en cause ou bien est-il victime d'une forme de discrimination parce qu'il n'appartient pas à l'establishment ? Ensuite, après l'arrestation de Waleed en Egypte, une autre problématique est introduite : jusqu'où peut-on aller pour récupérer des informations ? Quelle est la valeur (et la réalité) d'aveux obtenus sous la contrainte ? Une démocratie qui se veut garante des droits de l'homme peut-elle admettre et utiliser des régimes qui recourrent à la torture pour parvenir à ses fins ? Entre la position légale officielle et la réalité du terrain, où se situe le curseur ? La formulation de ces différentes problématiques demeure implicite, et surtout, Complicit n'impose aucune réponse toute faite, se contentant de présenter avec neutralité son cas d'espèce compliqué. La fin est à l'image de la tonalité de la fiction : ce n'est pas tant le recours à de telles méthodes que le fait d'avoir été découvert et exposé qui vaut condamnation.

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Sur la forme, Complicit est une fiction soignée. La caméra s'attarde sur les visages, capture les expressions plus parlantes que mille et un dialogues. Le téléfilm sait user du silence et se ménager des temps de pause quasi-introspectifs au cours desquels les mises en scène et les images prennent le relais pour raconter l'histoire. C'est donc une oeuvre digne d'intérêt à plus d'un titre, formellement solide et convaincante.

Enfin, Complicit est l'occasion, pour le nostalgique des jeunes années de Spooks de retrouver en agent du MI-5, David Oyelowo, dans un registre différent : celui d'un officier suivant obstinément ses instincts lesquels, peu à peu, lui font prendre une pente dangereuse où même le téléspectateur peut en venir à douter. Face à lui, Arsher Ali (Beaver Falls) nous offre notamment une grande et fascinante scène de confrontation dans les geôles égyptiennes. A leurs côtés, on retrouve quelques têtes familières du petit écran britannique, comme Stephen Campbell Moore (Titanic, Hunted), Monica Dolan (Occupation, Appropriate Adult), Sebastian Armesto (The Palace, Little Dorrit) ou encore Paul Ritter (Vera, Friday Night Diner). On croise également Nasser Memarzia et Makram Khoury (House of Saddam).

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Bilan : Au sein d'un genre d'espionnage où il est souvent facile de présenter des luttes manichéennes, avec des réalités bien identifiées et des camps clairement définis, l'approche de Complicit se révèle intéressante à plus d'un titre. Loin de toute surenchère, ce téléfilm relate un cas d'espèce particulier, en nous plongeant dans une zone grise où l'on est amené à questionner les motivations et les jugements de chacun : qu'il s'agisse d'Edward et de son obsession pour Waleed, ou du MI-5 et de ses réserves vis-à-vis de son agent. De même, les problématique du recours à la torture, mais aussi de son admission par une démocratie occidentale, sont esquissées, prouvant la richesse de cette fiction. Son traitement très neutre est un atout, même si c'est aussi une limite car on aurait aimé voir certains thèmes plus explorés, l'oeuvre préférant laisser souvent tout en suspens. L'ensemble n'en reste pas moins une approche de la lutte antiterroriste qui mérite la curiosité.


NOTE : 7,5/10


Une bande-annonce :