Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

05/02/2012

(DAN) Forestillinger (Performances) : la vie est une vaste représentation théâtrale où l'on joue tous un rôle


 performances.jpg

Cela faisait quelques mois que le Danemark ne s'était plus invité sur My Télé is Rich!. Non que j'avais délaissé le petit écran scandinave, ayant par exemple dévoré fin décembre la saison 2 de Borgen (à ce sujet, petit rappel : la saison 1 démarre ce jeudi, en prime-time en plus, sur Arte ; c'est l'occasion d'être curieux !), mais je n'étais plus partie à la découverte de nouveaux horizons. Or, suite au visionnage du pilote de Smash, j'avais envie de retrouver les coulisses d'une création artistique. Se programmer une intégrale de Slings & Arrows était évidemment tentant (même si peu raisonnable), mais je me suis rappelée que j'avais une autre série, danoise cette fois-ci, s'intéressant également au théâtre, qui m'attendait depuis quelques temps.

Forestillinger (Performances en version anglaise) est une série, composée de 6 épisodes d'1 heure chacun, diffusée par la chaîne publique danoise DR1 au printemps 2007. Ecrite par Lars Kjeldgaard, il s'agit de la première série télévisée du réalisateur Per Fly, avec lequel sont peut-être familiers ceux qui, parmi vous, s'intéressent au cinéma danois, notamment pour sa trilogie The Bench (2000), The Inheritance (2003) et Manslaughter (2005). Plus qu'une série sur les coulisses d'une représentation, Forestillinger est une véritable expérience narrative, assez fascinante, explorant sans artifice les relations humaines. Son visionnage aura été très intéressant.

forestillingero.jpg

Forestillinger s'intéresse aux coulisses de la préparation d'une adaptation de Venus et Adonis, de William Shakespeare, écrite par Marko, un directeur qui a révolutionné le théâtre danois dans les années 90. Même si tout le monde ne le sait pas encore, il s'agira de la dernière production du Théâtre Sortedam. Le récit couvre une période de six semaines qui s'ouvre avec le début des répétitions de la pièce, pour se conclure dans les applaudissements du public le soir de la première représentation.

L'originalité de Forestillinger tient à la construction narrative très particulière qu'elle adopte. En effet, chaque épisode couvre l'intégralité de ces six semaines, et la série va faire le choix de nous raconter cette période six fois, à travers les yeux d'un personnage différent à chaque fois. Six points de vue pour une même histoire en quelque sorte. Mais chacun des protagoniste apparaît à un croisement de sa vie, à l'heure de devoir assumer les conséquences de choix passés ou de prendre des décisions importantes pour le futur. Plus qu'une simple représentation théâtrale, le travail de mise en scène de ce poème shakespearien va se révéler être un véritable chemin introspectif, souvent douloureux, mais probablement nécessaire pour chacun d'entre eux.

forestillingerb.jpg

Forestillinger est tout d'abord une véritable expérience narrative qui interpelle et interroge le téléspectateur sur son rapport à la réalité. Troublante et fascinante, elle souligne l'extrême subjectivité inhérente aux perceptions humaines. A priori, faire le choix de raconter une même période de temps, en empruntant six points de vue différents, aurait pu faire craindre un risque de répétition un peu lassante ; il n'en est rien. Car la première réussite de la série réside justement dans sa faculté à exploiter pleinement son intriguant concept de départ. Chaque heure éclaire un personnage dont on adopte la perspective, c'est-à-dire le ressenti, mais aussi la façon d'analyser et de comprendre tout ce qui l'entoure. Pour y parvenir, les scénaristes se livrent alors à un véritable exercice d'écriture et de réécriture permanente d'une même période.

Chaque épisode opère une sélection des passages considérés comme importants pour le protagoniste concerné, apportant son lot de scènes inédites. Mais ce sont surtout les moments partagés à plusieurs qui retiennent l'attention : un même passage verra ses dialogues édités et pourra ainsi être relaté de manière complètement différente d'un personnage à l'autre. Le scénariste nous place véritablement dans leur tête, et la caméra nous montre, à travers leurs yeux, le déroulement des évènements. La façon dont un même échange peut sembler très dissemblable d'un épisode à l'autre, ou le fait que certains éléments sont occultés ou mis en lumière de manière exacerbée suivant le personnage, offre un storytelling mouvant qu'il est fascinant de voir se construire et se déconstruire, sans que l'on sache qu'elle est la version de l'histoire la plus proche de la réalité. A mesure que les pièces de ce vaste puzzle humain se mettent en place, la série devient une réflexion très intéressante sur notre façon d'appréhender ce qui nous entoure, tout en permettant une compréhension rare de ses protagonistes.

forestillingers.jpg

En effet, le second atout de Forestillinger tient à l'empathie que chaque personnage est capable de susciter. Tout en abordant des thématiques relationnelles relativement classiques, qu'il s'agisse d'amour, d'amitié ou des rapports parents/enfant, la série réussit à nous impliquer dans le sort de chacun. D'une finesse et d'une justesse psychologiques à saluer, elle place la compréhension de ses "sujets" au centre de son récit, s'efforçant de capturer l'essence de toutes ces personnalités très différentes. Pour cela, elle n'hésite pas à utiliser des parenthèses au cours desquelles les personnages se livrent directement face à la caméra. Ils donnent alors spontanément dans ce confessionnal improvisé leurs impressions sur ce qui vient de se passer, avec souvent une franchise rare. C'est sur ces bases solides que la série va pouvoir explorer les passions, les failles et les forces qui rythment les parcours de chacun. Si tous les épisodes ne se valent pas en intensité - le cinquième étant peut-être le plus faible -, ils trouvent tous une résonnance particulière auprès d'un téléspectateur qui ne reste jamais insensible.

Il faut dire que les six semaines choisies sont une période déterminante où chaque personnage se trouve à un carrefour. Ils voient leurs certitudes être remises en cause et vont finalement se découvrir eux-mêmes dans des circonstances personnelles et professionnelles peu plaisantes. Forestillinger acquiert ici une autre dimension. La série n'est pas une simple fiction sur les coulisses d'une production. Les lignes de démarcation entre la préparation de la représentation théâtrale et la vie de chacun des personnages se troublent peu à peu et finissent parfois par disparaître complètement. Pour les trois acteurs principaux de la pièce, ainsi que pour Marko, cette dernière devient un moyen d'exprimer leurs sentiments, et d'extérioriser les conflits et les émotions qui les déchirent. Paradoxalement, tandis que le théâtre apparaît comme une véritable métaphore de la vie, au fil des épisodes, la vie s'apparente elle de plus en plus à une vaste représentation où chacun joue et se voit attribuer un rôle.  

forestillingerx.jpg

Sur un plan formel, la maîtrise dont fait preuve Forestillinger contribue grandement à la réussite de la série. La réalisation est d'une sobriété travaillée, chaque plan semble étudié, alternant cadre serré ou large suivant l'impression de proximité que le réalisateur veut donner à la scène. La photographie est soignée, avec une dominante de couleurs froides qui correspond parfaitement à la tonalité avant tout dramatique de l'histoire. De plus, la série bénéficie également d'une bande-son originale superbe : entre accompagnement minimaliste au piano et passages plus dynamiques, la musique est un élément à part entière de la narration. Sur bien des points, l'influence de Per Fly est perceptible, et le petit écran fait sien une mise en scène très cinématographique.

Enfin, Forestillinger doit également beaucoup à son casting, homogène, qui délivre un ensemble de prestations authentiques et troublantes à la hauteur de la subtilité et des ambivalences du scénario. Si Mark, interprété par Dejan Cukic (Nikolaj og Julie, Borgia), reste le pivôt central et le dénominateur commun de tous les récits, chaque acteur a droit à un épisode dans lequel il peut s'affirmer et s'imposer. Et tous sont capables de proposer des performances où l'émotion surgit à fleur de peau, à mesure que leur personnage se décompose sous l'oeil de la caméra. Par ordre d'épisode leur étant consacré - le dernier étant logiquement celui de Marko -, on retrouve Mads Wille, Sonja Richter (Forsvar), Sara Hjort Ditlevsen, Pernilla August et Jesper Christensen (Kroniken, Revelations).

forestillingern.jpg

Bilan : Disposant d'un casting convaincant et bénéficiant d'une réalisation impeccable, la grande originalité de Forestillinger tient à l'expérience narrative assez fascinante qu'elle fait vivre au téléspectateur. Pour exploiter pleinement ce concept d'une même période racontée suivant six points de vue différents, la pièce de théâtre est le cadre parfait. Quoi de mieux qu'une représentation artistique pour s'interroger sur notre perception fluctuante et subjective de la réalité, et plus généralement sur les rôles que la vie nous fait tous jouer consciemment ou inconsciemment ? De plus, en s'intéressant aux fondements des relations humaines, la série sait également jouer efficacement sur la carte du drama et de l'émotionnel.

Le résultat reste particulier (ce qui en soit est déjà un point positif), et Forestillinger peut sans doute dérouter plus d'un téléspectateur. Mais c'est une série qui mérite assurément le coup d'oeil pour son parti pris narratif. A découvrir ! 


NOTE : 8,5/10


Un aperçu de la série :


Commentaires

HUm, ça semble vraiment original et ce point de vue entièrement subjectif n'existe presque pas dans les séries ! Si en plus les personnages sont attachants et complexes, ça peut devenir passionnant !
J'essaierai peut-être à l'occasion, quand j'aurais rattraper mon retard (à commencer par Borgen, je n'ai toujours pas fini la saison 1 !) !

Écrit par : JainaXF | 05/02/2012

@ JainaXF : Merci de ton commentaire ! ;)

Forestillinger propose un exercice de style auquel on n'est pas habitué et qui confère une vraie originalité à la série. Ce n'est pas une exploitation typique du format télévisuel, et en soit, c'est déjà vraiment intéressant. Tous les personnages ne se valent pas ; le 3e et le 5e sont peut-être un peu en dessous en terme d'implication et d'empathie. Mais je trouve que l'ensemble reste fascinant comme un tout !

En attendant bon rattrapage de Borgen, tu as vu que Arte allait commencer la diffusion en prime-time à partir de jeudi ? C'est en VF, mais si jamais la chaîne te rattrape, tu peux te laisser tenter !

Écrit par : Livia | 06/02/2012

Cette mini-série a été pour moi une formidable expérience télévisuelle. La narration fragmentée selon les points de vue des protagonistes permet de donner aux personnages une grande profondeur psychologique, tout en étant ludique pour le spectateur amené à réinterpréter de multiples fois les évènements décrits.
Je dois dire que j'ai été un peu surpris par le dernier épisode, car il s'est avéré que ma vision du metteur en scène à l'issue des cinq premiers chapitres différait sensiblement du portrait final de Marko (un créateur à la personnalité torturée et habité par son art). C'est donc une réussite indéniable (même si sans doute trop atypique pour la télé française, où je ne verrais qu'Arte pour une éventuelle diffusion).

Je ne vois guère de séries adoptant cette construction entièrement subjective.Peut-être que l'on peut voir une parenté lointaine entre Forestillinger et le "Video cube" expérimental d'HBO qui proposait de voir la même scène de différents points de vue (mais là, c'était plus une question de changements de perspective).

Écrit par : Greg | 11/03/2012

@ Greg : Heureuse de lire tes impressions sur cette série ! Comme tu le dis, le visionnage de Forestillinger relève vraiment de l'expérience narrative ! J'ai été bluffée par cette approche de la subjectivité de chacun et du rapport de la réalité. C'était la première fois que j'assistais à une telle mise en scène.

C'est dommage qu'elle ne soit pas un peu plus connue, elle est un fascinant terrain de jeu pour tout apprenti scénariste ! Elle date de 2007, qui sait, peut-être Arte un jour... D'autant qu'elle rentrerait dans sa ligne éditoriale à plus d'un titre (série européenne, art...).

Écrit par : Livia | 17/03/2012

Les commentaires sont fermés.