11/01/2013
(NOR) Torpedo (Torpille) : une enquête difficile vers un engrenage létal
Mes programmes de ce début d'année 2013 sont placés sous le signe de la Scandinavie. Il m'a tout d'abord fallu digérer le final de Forbrydelsen et faire mon deuil de cette série danoise qui aura marqué mon ouverture au petit écran européen. Pour me changer les idées, j'ai choisi de poursuivre mes escapades scandinaves en mettant le cap plus au nord. Je suis remontée en Suède, où j'achève de rattraper la version anglaise de Wallander (sur laquelle je reviendrai très prochainement), et en Norvège, où je me suis plongée dans une mini-série intitulée Torpedo. Ce thriller s'est avéré très prenant.
Ecrite et réalisée par Trygve Allister Diesen, Torpedo (Torpille en version française) a été diffusée sur TV2 en 2007. Comprenant 4 épisodes de 48 minutes, elle a retenu l'attention en Norvège. La bonne nouvelle, c'est que cette intéressante fiction du petit écran nordique nous parvient enfin en France en ce début d'année 2013 grâce à Eurochannel qui continue d'être une voie d'accès à surveiller pour les productions européennes. La chaîne a en effet entrepris sa diffusion depuis la semaine dernière (les multi-rediffusions devraient vous permettre de la rattraper, et pour ceux qui n'ont pas Eurochannel, le service de VOD est à surveiller). Torpedo est une brève mini-série efficace que devraient apprécier les amateurs.
Terje Jonassen, un ancien soldat et commando, s'est reconverti depuis son retour à la vie civile en homme de main, redoutable notamment pour collecter les dettes de jeu. Son professionnalisme rigoureux permet souvent d'éviter que des situations sensibles ne dégénèrent : s'il ne cherche pas la violence pour la violence, il n'hésite pas à y recourir s'il s'y estime contraint et effraie facilement plus d'un récalcitrant. Terje est marié à Sissel, une belle femme dont le portrait s'affiche actuellement sur tous les écrans publicitaires de la ville. Ils ont ensemble une petite fille, Maja. Le défi quotidien de Terje est de trouver l'équilibre entre un travail où les commanditaires sont peu conciliants, avec des horaires parfois compliqués, et une vie familiale à soigner.
Mais tout bascule brusquement un jour. Une collecte de dette dont il devait avoir la charge tourne mal, notamment en raison des prises d'initiative peu inspirées de l'acolyte auquel il avait confié la tâche de finir le travail, Terje ayant préféré pouvoir profiter pleinement de l'anniversaire de sa fille. Ce dérapage suscite la colère du boss mafieux local, Cedomir. Cependant, le bien des affaires primant, Terje pense pouvoir vite tout arranger. Mais lorsqu'il rentre chez lui avec sa fille pour organiser l'anniversaire de cette dernière, il découvre le corps sans vie de sa femme dans la salle de bain : elle a été abattue à bout portant. Connu pour sa jalousie, Terje devient immédiatement un suspect privilégié pour la police.
Se sachant innocent, il n'entend pas rester les bras croisés et entreprend sa propre enquête pour retrouver le meurtrier. Plongeant dans les bas-fonds du crime organisé norvégien, la douleur lui faisant oublier toute prudence, il prend le risque de provoquer un engrenage dangereux. Mais il va aussi découvrir qu'il ne connaissait peut-être pas Sissel aussi bien qu'il le croyait.
Torpedo est un thriller musclé qui sait jouer sur plusieurs tableaux : c'est une série d'action, dont certains passages empruntent aux fictions de gangsters, mais qui ne néglige pas pour autant des passages plus posés permettant des développements personnels. Sa mise en scène, à la sobriété calculée, renvoie une impression de réalisme abrasif qui contribue grandement à la tension ambiante. Bénéficiant d'un scénario solide et bien huilé, la fiction sait ménager le suspense jusqu'à la fin. Elle a pour atout de se dérouler sur une durée brève (4 jours, soit un épisode par jour) : elle peut ainsi relater sans temps mort l'enchaînement rapide d'évènements qui vont complètement bouleverser la vie de son personnage principal. L'histoire nous est racontée uniquement du point de vue de ce dernier, permettant de partager ses questionnements, mais aussi de mesurer combien la situation lui échappe progressivement. Il faut dire que Treje est en bien des points le prototype du protagoniste de film d'action : sombre et efficace, il s'épanouit parfaitement dans l'atmosphère particulière de la mini-série. Avec détermination, mais aussi des limites comme ses éclats violents, il nous entraîne dans cette investigation difficile où il tente de faire preuve de la même froideur rationnelle qui lui servait tant dans son travail.
Très vite, Torpedo prend les allures d'une quête de vengeance, mais il serait bien réducteur de la cantonner uniquement à ce genre. En effet, elle est surtout l'histoire de la descente aux enfers d'un homme prêt à tout bousculer, jusqu'aux bas fonds les plus mal famés du crime norvégien, pour retrouver le meurtrier de sa femme. Avant d'envisager la revanche, il s'agit d'abord pour lui de comprendre ce qu'il s'est passé. Sur ce plan, la mini-série n'a pas son pareil pour jouer des faux semblants et des coïncidences, et nous lancer sur de multiples fausses pistes. A mesure que Terje progresse, tout ne cesse de se complexifier ; et il découvre qu'il ignorait bien des choses sur la vie de Sissel. Les doutes se multiplient alors : et si les secrets de sa femme avaient provoqué sa perte ? Au fil des rebondissements, Terje peine à faire le tri entre les mensonges et les demi-vérités que chacun consent à lui dire. Torpedo réussit très bien à nous glisser dans une ambiance tendue et paranoïaque, où il faut se méfier de tout et où rien ne doit être pris pour argent comptant. C'est un engrenage létal qui se met en branle, très bien géré jusqu'à la fin et un ultime twist qui laisse un goût chargé d'amertume en parfait accord avec le parti pris réaliste et la tonalité sombre de l'ensemble.
L'atmosphère pleine de tension que cultive Torpedo est renforcée par les intéressants choix faits par le réalisateur, Trygve Allister Diesen (un nom qui parlera peut-être à ceux qui ont apprécié Kommissarie Winter au printemps dernier sur Arte, puisqu'il s'était chargé de la réalisation des deux premiers épisodes). Filmée caméra à l'épaule, la mini-série bénéficie d'une réalisation extrêmement nerveuse, avec des plans toujours proches des protagonistes. Comme un écho à la tonalité de la mini-série, l'image est relativement sombre, avec une photographie qui semble jouer sur le contraste glacé entre la noirceur ambiante et le paysage enneigé qui est mis en scène (soit dit en passant, cet enneignement a laissé la téléspectatrice de latitudes tempérées que je suis effarée : comment est-il possible de conduire si vite sur une route si blanche ?!). A cela s'ajoute une bande-son sobre et appropriée, à l'image du générique (cf. vidéo ci-dessous).
Enfin, le casting se met au diapason. Le rôle principal est confié à Jorgen Langhelle qui trouve avec aisance ses marques dans ce registre de rudesse efficace caractérisant son personnage. Dans son entourage, on retrouve Aksel Hennie qui interprète son compère, plus souvent source d'ennuis que d'une réelle aide. La tête la plus connue du sériephile amateur du petit écran scandinave est sans doute Dejan Cukic (Hvor svært kan det være, Nikolaj og Julie, Borgia), que j'avais apprécié l'année dernière dans la série danoise Forestillinger, qui, cette fois-ci, incarne un chef mafieux que le héros va affronter. On croise également Rebekka Karijord, Gard Eidsvold, Lisa Werlinder, Kyrre Haugen Sydness, Morten Faldaas (Hjem), Maria Schwartz Dal, Anneke von der Lippe et Sven Nordin.
Bilan : Récit musclé et mouvementé d'une enquête qui ne cesse de se complexifier, Torpedo met en scène l'enclenchement d'un engrenage létal. Fiction à la tension efficace, prenante jusqu'à la fin, elle sait très bien entretenir les fausses pistes et multiplier les faux semblants, jusqu'à une résolution intéressante en parfait accord avec la tonalité quelque peu désillusionnée dans laquelle elle nous plonge. En résumé, il s'agit d'une mini-série intéressante dans son genre, une expérience qui devrait parler aux amateurs de suspense, d'action, comme à ceux qui ont succombé aux sirènes scandinaves.
NOTE : 7,25/10
Le générique de la série :
Une bande-annonce :
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05/02/2012
(DAN) Forestillinger (Performances) : la vie est une vaste représentation théâtrale où l'on joue tous un rôle
Cela faisait quelques mois que le Danemark ne s'était plus invité sur My Télé is Rich!. Non que j'avais délaissé le petit écran scandinave, ayant par exemple dévoré fin décembre la saison 2 de Borgen (à ce sujet, petit rappel : la saison 1 démarre ce jeudi, en prime-time en plus, sur Arte ; c'est l'occasion d'être curieux !), mais je n'étais plus partie à la découverte de nouveaux horizons. Or, suite au visionnage du pilote de Smash, j'avais envie de retrouver les coulisses d'une création artistique. Se programmer une intégrale de Slings & Arrows était évidemment tentant (même si peu raisonnable), mais je me suis rappelée que j'avais une autre série, danoise cette fois-ci, s'intéressant également au théâtre, qui m'attendait depuis quelques temps.
Forestillinger (Performances en version anglaise) est une série, composée de 6 épisodes d'1 heure chacun, diffusée par la chaîne publique danoise DR1 au printemps 2007. Ecrite par Lars Kjeldgaard, il s'agit de la première série télévisée du réalisateur Per Fly, avec lequel sont peut-être familiers ceux qui, parmi vous, s'intéressent au cinéma danois, notamment pour sa trilogie The Bench (2000), The Inheritance (2003) et Manslaughter (2005). Plus qu'une série sur les coulisses d'une représentation, Forestillinger est une véritable expérience narrative, assez fascinante, explorant sans artifice les relations humaines. Son visionnage aura été très intéressant.
Forestillinger s'intéresse aux coulisses de la préparation d'une adaptation de Venus et Adonis, de William Shakespeare, écrite par Marko, un directeur qui a révolutionné le théâtre danois dans les années 90. Même si tout le monde ne le sait pas encore, il s'agira de la dernière production du Théâtre Sortedam. Le récit couvre une période de six semaines qui s'ouvre avec le début des répétitions de la pièce, pour se conclure dans les applaudissements du public le soir de la première représentation.
L'originalité de Forestillinger tient à la construction narrative très particulière qu'elle adopte. En effet, chaque épisode couvre l'intégralité de ces six semaines, et la série va faire le choix de nous raconter cette période six fois, à travers les yeux d'un personnage différent à chaque fois. Six points de vue pour une même histoire en quelque sorte. Mais chacun des protagoniste apparaît à un croisement de sa vie, à l'heure de devoir assumer les conséquences de choix passés ou de prendre des décisions importantes pour le futur. Plus qu'une simple représentation théâtrale, le travail de mise en scène de ce poème shakespearien va se révéler être un véritable chemin introspectif, souvent douloureux, mais probablement nécessaire pour chacun d'entre eux.
Forestillinger est tout d'abord une véritable expérience narrative qui interpelle et interroge le téléspectateur sur son rapport à la réalité. Troublante et fascinante, elle souligne l'extrême subjectivité inhérente aux perceptions humaines. A priori, faire le choix de raconter une même période de temps, en empruntant six points de vue différents, aurait pu faire craindre un risque de répétition un peu lassante ; il n'en est rien. Car la première réussite de la série réside justement dans sa faculté à exploiter pleinement son intriguant concept de départ. Chaque heure éclaire un personnage dont on adopte la perspective, c'est-à-dire le ressenti, mais aussi la façon d'analyser et de comprendre tout ce qui l'entoure. Pour y parvenir, les scénaristes se livrent alors à un véritable exercice d'écriture et de réécriture permanente d'une même période.
Chaque épisode opère une sélection des passages considérés comme importants pour le protagoniste concerné, apportant son lot de scènes inédites. Mais ce sont surtout les moments partagés à plusieurs qui retiennent l'attention : un même passage verra ses dialogues édités et pourra ainsi être relaté de manière complètement différente d'un personnage à l'autre. Le scénariste nous place véritablement dans leur tête, et la caméra nous montre, à travers leurs yeux, le déroulement des évènements. La façon dont un même échange peut sembler très dissemblable d'un épisode à l'autre, ou le fait que certains éléments sont occultés ou mis en lumière de manière exacerbée suivant le personnage, offre un storytelling mouvant qu'il est fascinant de voir se construire et se déconstruire, sans que l'on sache qu'elle est la version de l'histoire la plus proche de la réalité. A mesure que les pièces de ce vaste puzzle humain se mettent en place, la série devient une réflexion très intéressante sur notre façon d'appréhender ce qui nous entoure, tout en permettant une compréhension rare de ses protagonistes.
En effet, le second atout de Forestillinger tient à l'empathie que chaque personnage est capable de susciter. Tout en abordant des thématiques relationnelles relativement classiques, qu'il s'agisse d'amour, d'amitié ou des rapports parents/enfant, la série réussit à nous impliquer dans le sort de chacun. D'une finesse et d'une justesse psychologiques à saluer, elle place la compréhension de ses "sujets" au centre de son récit, s'efforçant de capturer l'essence de toutes ces personnalités très différentes. Pour cela, elle n'hésite pas à utiliser des parenthèses au cours desquelles les personnages se livrent directement face à la caméra. Ils donnent alors spontanément dans ce confessionnal improvisé leurs impressions sur ce qui vient de se passer, avec souvent une franchise rare. C'est sur ces bases solides que la série va pouvoir explorer les passions, les failles et les forces qui rythment les parcours de chacun. Si tous les épisodes ne se valent pas en intensité - le cinquième étant peut-être le plus faible -, ils trouvent tous une résonnance particulière auprès d'un téléspectateur qui ne reste jamais insensible.
Il faut dire que les six semaines choisies sont une période déterminante où chaque personnage se trouve à un carrefour. Ils voient leurs certitudes être remises en cause et vont finalement se découvrir eux-mêmes dans des circonstances personnelles et professionnelles peu plaisantes. Forestillinger acquiert ici une autre dimension. La série n'est pas une simple fiction sur les coulisses d'une production. Les lignes de démarcation entre la préparation de la représentation théâtrale et la vie de chacun des personnages se troublent peu à peu et finissent parfois par disparaître complètement. Pour les trois acteurs principaux de la pièce, ainsi que pour Marko, cette dernière devient un moyen d'exprimer leurs sentiments, et d'extérioriser les conflits et les émotions qui les déchirent. Paradoxalement, tandis que le théâtre apparaît comme une véritable métaphore de la vie, au fil des épisodes, la vie s'apparente elle de plus en plus à une vaste représentation où chacun joue et se voit attribuer un rôle.
Sur un plan formel, la maîtrise dont fait preuve Forestillinger contribue grandement à la réussite de la série. La réalisation est d'une sobriété travaillée, chaque plan semble étudié, alternant cadre serré ou large suivant l'impression de proximité que le réalisateur veut donner à la scène. La photographie est soignée, avec une dominante de couleurs froides qui correspond parfaitement à la tonalité avant tout dramatique de l'histoire. De plus, la série bénéficie également d'une bande-son originale superbe : entre accompagnement minimaliste au piano et passages plus dynamiques, la musique est un élément à part entière de la narration. Sur bien des points, l'influence de Per Fly est perceptible, et le petit écran fait sien une mise en scène très cinématographique.
Enfin, Forestillinger doit également beaucoup à son casting, homogène, qui délivre un ensemble de prestations authentiques et troublantes à la hauteur de la subtilité et des ambivalences du scénario. Si Mark, interprété par Dejan Cukic (Nikolaj og Julie, Borgia), reste le pivôt central et le dénominateur commun de tous les récits, chaque acteur a droit à un épisode dans lequel il peut s'affirmer et s'imposer. Et tous sont capables de proposer des performances où l'émotion surgit à fleur de peau, à mesure que leur personnage se décompose sous l'oeil de la caméra. Par ordre d'épisode leur étant consacré - le dernier étant logiquement celui de Marko -, on retrouve Mads Wille, Sonja Richter (Forsvar), Sara Hjort Ditlevsen, Pernilla August et Jesper Christensen (Kroniken, Revelations).
Bilan : Disposant d'un casting convaincant et bénéficiant d'une réalisation impeccable, la grande originalité de Forestillinger tient à l'expérience narrative assez fascinante qu'elle fait vivre au téléspectateur. Pour exploiter pleinement ce concept d'une même période racontée suivant six points de vue différents, la pièce de théâtre est le cadre parfait. Quoi de mieux qu'une représentation artistique pour s'interroger sur notre perception fluctuante et subjective de la réalité, et plus généralement sur les rôles que la vie nous fait tous jouer consciemment ou inconsciemment ? De plus, en s'intéressant aux fondements des relations humaines, la série sait également jouer efficacement sur la carte du drama et de l'émotionnel.
Le résultat reste particulier (ce qui en soit est déjà un point positif), et Forestillinger peut sans doute dérouter plus d'un téléspectateur. Mais c'est une série qui mérite assurément le coup d'oeil pour son parti pris narratif. A découvrir !
NOTE : 8,5/10
Un aperçu de la série :
12:36 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : danemark, dr1, forestillinger, performances, per fly, mads wille, sonja richter, sara hjort ditlevsen, pernilla august, jesper christensen, dejan cukic | Facebook |
15/10/2011
(Pilote FR) Borgia : faut-il avoir foi en Tom Fontana ?
Cette année, j'ai l'impression de passer mon temps à assister à l'élection de papes. Prenez le dernier film que je suis allée voir au cinéma, Habemus Papam... A des lieues de la vision contemporaine de Nanni Moretti, il y a un autre versant, historique et autrement plus sombre, s'offre au sériephile : suivre les destinées d'une famille à la légende noire abondante, propre à nourrir tous les fantasmes des scénaristes, les Borgia. Ils auront été un peu la Guerre des boutons du sériephile en cette année 2011, avec une version proposée par Showtime au printemps, une autre qui a débuté en fanfare cette semaine en France, sur Canal +.
Il faut dire que la chaîne cryptée française avait mis les petits plats dans les grands et affichait une attrayante image internationale, allant jusqu'à enrôler la plume d'un grand du petit écran américain, Tom Fontana. J'ai suivi la saison 1 de The Borgias avec intérêt - même si la série n'est pas exempte de tout reproche (Pour rappel, ma critique de fin de saison). J'attendais avec autant d'impatience cette autre monture. Car l'intérêt de Borgia, c'est aussi de voir comment avec une autre approche, un autre savoir-faire, un même sujet peut être transposé à l'écran. The Borgias portait la marque de Showtime en poursuivant clairement le créneau ouvert par The Tudors, qu'allait-il en être de Borgia ?
Rome, 1492. Dans la péninsule italienne fragmentée, les Etats pontificaux doivent faire face à des menaces aussi bien extérieures qu'intérieures qui les fragilisent. Coincés entre les ambitions des grandes puissances militaires temporelles de cette Europe de la fin du Moyen-Âge, le Saint-Siège est aussi déchiré de l'intérieur, marqué par les rivalités entre les grandes familles romaines aux relations empoisonnées par des querelles intestines et des égos surdimensionnés. Le pape Innocent VIII est vieux, malade, ce qui attise un peu plus les ambitions de chacun en ces temps d'instabilité.
Rodrigo Borgia, neveu du Pape Callixte III, occupe le poste de vice-chancellier auprès du pape actuel. Issu d'une famille originaire d'Espagne, ce cardinal ne manque pas d'ambition : il distingue, par-delà le siège de Saint Pierre, le trône d'Espagne qu'il rêve pour sa descendance. Fin stratège politique, il organise méticuleusement, dans cette optique, la vie de ses divers enfants, illégitimes. Il répartit ainsi les fonctions entre ses fils adultes, suivant les compétences et mérites qu'il leur attribue : à l'aîné, Juan, le titre temporel de duc et les honneurs militaires ; à Cesare, le titre d'évêque et une vie d'homme d'Eglise que le jeune homme ne veut pas. Quant à sa seule fille, Lucrezia, elle arrive en âge d'être mariée ; à Rodrigo de trouver le meilleur parti qui servira ses intérêts.
Série historique ambitionnant de dépasser l'image figée qui peut être associée aux fictions en costumes, Borgia donne immédiatement le ton dès son introduction. Elle n'entend pas subir son cadre : ce sont des codes narratifs modernes qu'elle va utiliser pour s'approprier cet univers passé. Il en résulte un traitement des problématiques volontairement contemporain, avec une terminologie connotée (mafia, vendetta), destinée à mettre en lumière et à exacerber le caractère intemporel des jeux de pouvoirs relatés. Déchirant la toile spirituelle d'apparât, la série s'intéresse avant tout à la nature humaine. Laïcisant son sujet, elle met à jour les ressorts les plus intimes des protagonistes, s'intéressant aux passions et aux intérêts, tellement terrestres, qui meuvent leurs ambitions. Rome est présenté comme un lieu de pouvoir temporel ; le spirituel est un decorum remisé au second plan.
Introduction rapide, les débuts de Borgia manquent parfois de fluidité mais ne souffrent d'aucun temps mort. La série nous précipite dans un tourbillon de turbulences géopolitiques, au risque de donner l'impression d'être parfois trop riche : elle ne parvient en effet pas toujours à maîtriser la cohérence et la cohésion de sa narration. Parallèlement, sont posées de manière claire les bases des dynamiques au sein de la famille Borgia : un patriarche ambitieux, mais surtout très calculateur, des enfants logiquement instrumentalisés pour atteindre ses desseins. Le tableau présenté est globalement sombre : la série ne cherche pas à générer une empathie particulière, cultivant là son pessimisme ambiant. Comme dans The Borgias, c'est le personnage de Cesare qui démontre le plus intéressant potentiel, figure multidimensionnelle entièrement construite sur ses déchirures et ses paradoxes, il est sans doute aussi le plus travaillé.
Pour comprendre les ambitions affichées par Borgia, la comparaison avec The Borgias de Showtime est très instructive. Leurs différences manifestes de parti pris expliquent d'ailleurs que les séries ne s'adressent pas forcément au même public. Moins glamour que sa consoeur américaine, loin de son théâtralisme si soigné et huilé, Borgia fait le choix d'une forme d'authenticité plus abrasive. Optant pour une approche moins édulcorée, elle est plus brute, se laissant volontiers emporter par des excès de violence et par une mise en scène qui n'hésite pas à indisposer à l'occasion le téléspectateur. Alors que The Borgias propose un divertissement historique, lissant ses personnages et ses sujets de façon à nourrir et à encourager la vision romancée et folklorique que préconçoit le téléspectateur, Canal + veut au contraire rompre avec cet imaginaire.
Non sans maladresses, Borgia semble en effet rechercher une forme de légitimité, historique, qui explique aussi l'impression d'académisme émanant de ces premiers épisodes. Cela donne une vision beaucoup plus sombre, moins consensuelle probablement, voire plus dérangeante, avec un rapport logiquement plus ambigu avec la série. Sans objectivement tendre vers une plus grande rigueur historique d'ensemble, Borgia joue en fait sur le ressenti du téléspectateur : elle veut que ce dernier ait l'impression de dépasser ses préconceptions pour s'immerger dans cette retranscription supposément expurgée de toute romance, mais aussi de son cadre théologique. C'est notamment ce qui explique le soin apporté à certains points de détails, dans le but de marquer et de conférer une impression d'authenticité : par exemple, dans ces deux premiers épisodes, plus que les explosions intermittentes de violence, ce sont les remèdes de la médecine qui servent cet objectif. Tout cela explique pourquoi Borgia apparaît bel et bien comme une fiction intemporelle sur le pouvoir, mais on y trouve aussi sans doute la limite du potentiel séducteur du concept.
Sur la forme, Borgia semble cultiver la même ambivalence qui la traverse sur le fond. C'est une série à la réalisation soignée et solide. La caméra a le sens des détails, et la photographie, à dominante plutôt sombre, reflète parfaitement la tonalité ambiante. Par rapport à The Borgias, la différence est ici aussi très parlante : s'attachant à une certaine forme de réalisme, Borgia ne donne pas l'impression de véritablement recréer sous nos yeux des toiles de peinture de la Renaissance. La bande-son s'inscrit dans la même approche ; avec, à noter, la présence d'un générique, ce qui fait toujours très plaisir.
Enfin, Borgia bénéficie d'un casting international sur lequel je vais avoir du mal à me prononcer, car j'ai vu les deux premiers épisodes en version française ; or je n'ai plus vraiment l'habitude de regarder des fictions doublées. Rodrigo Borgia est interprété avec sobriété et une évidente roublardise par John Doman. Les trois enfants, devenus adultes et dont il préside aux destinées, sont incarnés par Stanley Weber (Juan), Mark Ryder (Cesare) et Isolda Dychauk (Lucrezia). A leurs côtés, on retrouve notamment Art Malik, Diarmuid Noyes, Marta Gastini, Assumpta Serna, Andrea Sawatzki, Victor Schefé, Nicolas Belmonte, Dejan Cukic, Christian McKay, Miroslav Taborsky, John Bradley ou encore Karel Dobry.
Bilan : Entièrement consacrée à ces jeux de pouvoirs qui, parce qu'ils sont avant tout temporels, demeurent donc intemporels, Borgia est une série historique et politique à l'approche narrative résolument moderne, dépouillée de tout folklore. Le revers de la médaille est un certain excès d'abrasivité : il est assez paradoxal pour une fiction qui met à jour l'obscurité de la nature humaine de manquer à ce point d'humanité. La narration saccadée doit également mûrir pour gagner en cohésion et en homogénéité. Mais malgré ces reproches, les bases posées par ces deux premiers épisodes sont suffisamment solides et intéressantes pour mériter de laisser une chance à la série de se développer sur ces fondations.
Une chose est en revanche certaine, Borgia investit un registre qui lui est propre et ne marche certainement pas sur les plate-bandes de The Borgias.
NOTE : 6,5/10
La bande-annonce de la série :
Le générique :
12:11 Publié dans (Séries françaises) | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : france, borgia, canal +, john doman, isolda dychauk, art malik, diarmuid noyes, mark ryder, marta gastini, assumpta serna, stanlev weber, andrea sawatzki, victor schefé, nicolas belmonte, dejan cukic, christian mckay, miroslav taborsky, john bradley, karel dobry | Facebook |