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08/05/2014

(Pilote BR) FDP (Filhos da puta) : dura lex, sed lex

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Outre ses quelques grands thèmes (épidémie, religion), le Festival Séries Mania, c'est aussi l'occasion d'effleurer un peu la diversité du petit écran mondial, et donc l'occasion de voir traités des sujets pour le moins originaux. (fdp) (abréviation en VO sans doute jugée insuffisamment explicite, puisque le sens de l'acronyme a été ajouté entre parenthèses dans le titre au festival) appartient sans conteste à cette catégorie. Cette "comédie grinçante" (qui relève plus de la dramédie) de HBO Latino (chaîne dont je vous ai déjà parlé avec la chilienne Profugos ou encore la brésilienne Filhos do Carnaval) nous plonge dans le milieu du football... du point de vue de l'arbitre.

La série compte en tout 13 épisodes qui ont été diffusés du 26 août au 18 novembre 2012. Elle sera proposée en France (sur France Ô) à partir du 3 juin prochain, à l'occasion du Mondial de football, lequel se déroule justement... au Brésil. Étant donné qu'il reste assez rare que des fictions sud-américaines nous parviennent en dehors des telenovelas, et que le thème traité nous plonge dans le sport roi de ce pays, (fdp) apparaît comme une curiosité doublement intéressante. Au vu de ses premiers épisodes, le concept sur lequel elle repose a des limites, mais elle dispose cependant d'atouts qui méritent un coup d’œil.

[La review qui suit a été rédigée après le visionnage des deux premiers épisodes.]

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Lorsque débute (fdp), la vie personnelle de Juares Gomes (interprété par Eucir de Souza) est en pleine crise. Il lui faut en effet gérer une procédure de divorce houleuse, se battre pour la garde de son fils, mais aussi, au cours du deuxième épisode, revenir habiter un temps chez sa mère et découvrir que cette dernière ne mène pas la vie sage et rangée qu'il imaginait. En plus de jongler entre tous ces soucis, Juares Gomes exerce un métier pour le moins exposé : il est arbitre de football. Chaque semaine, des milliers de personnes le maudissent et l'insultent dans les stades où il officie, peu importe la qualité de son arbitrage et son respect des règlements. Il mène donc une carrière professionnelle sous haute tension, avec pour objectif d'arbitrer un jour une finale de Coupe du monde, dans le contexte extrêmement passionnel qui entoure ce sport au Brésil. (fdp) va nous faire vivre à ses côtés les péripéties qui rythment son quotidien.

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Lorsqu'elle s'essaie à la dramédie familiale, il faut reconnaître que (fdp) paraît très (trop?) classique, un peu poussive même dans la mise en scène des problèmes que cumule Juares dans sa vie privée. La série ne cherche pas à innover. Tout son intérêt repose en fait sur la confrontation de ces schémas narratifs extrêmement ordinaires avec un cadre autrement plus original pour une fiction : celui du monde du football. En lui-même, le choix d'un récit réalisé du point de vue de l'arbitre, anti-héros de la dramaturgie sportive par excellence, est déjà intriguant. Mais (fdp) va plus loin en proposant une immersion d'ensemble du téléspectateur dans l'ambiance de ce milieu. Outre l'arbitrage, elle alterne en effet différents angles d'approche, des médias jusqu'aux supporters. Mieux encore, elle entreprend de capturer et de retranscrire à l'écran l'atmosphère survoltée d'un stade de foot brésilien, laissant entrevoir, comme son titre l'annonce, la violence qui s'exprime à l'encontre de l'arbitre, avant même le début du match. Elle relève même avec brio le défi (notamment technique) difficile que représente la reconstitution crédible de matchs (du moins pour mon regard de néophyte), ce qui permet de voir Juares directement dans le feu de l'action.

C'est d'ailleurs sur le terrain que (fdp) s'épanouit vraiment, capable alors d'imbriquer différents niveaux d'enjeux qui constituent le cœur de la série. Tout d'abord, elle n'a pas son pareil pour faire rentrer le téléspectateur (même habituellement indifférent à ce sport) dans le match mis en scène : par l'intermédiaire de quelques séquences, brèves et s'enchaînant rapidement (nul n'a le temps de s'ennuyer, ni de décrocher), elle transmet toute la ferveur qui entoure la partie, et parvient à faire comprendre les problématiques d'arbitrage à trancher (lesquelles sont classiques : siffler un penalty, décider une expulsion...). En plus de tout cela, la série intègre parfaitement ces bouts de matchs dans son histoire. C'est-à-dire qu'elle ne se contente pas d'une approche sportive, mais qu'elle transpose sur le terrain les tensions introduites auparavant dans la vie personnelle de Juares. Ainsi, dans le premier épisode, le personnage est en pleine bataille judiciaire pour la garde de son fils. Or le juge est un fan d'une des équipes disputant la finale dans laquelle il officie. Se greffe donc un dilemme éthique avec lequel débat en son for intérieur Juares durant tout le match. Dans le second épisode, c'est avec l'ami de sa mère qu'il doit composer, un ami qui retrouve au fil de la partie tous les réflexes des supporters face à l'arbitre lorsque leur équipe perd... et hurle ses sentiments dans le micro qu'on lui a tendu. Autant de confrontations qui sont pour le moment gérées avec aplomb par Juares et qui donnent un piquant appréciable à la série.

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Bilan : Suivant des ressorts assez classiques, (fdp) est une dramédie dans laquelle le personnage central voit sa vie personnelle à problèmes s'entremêler avec sa vie professionnelle. S'il n'y a rien de neuf dans la gestion du versant privé, en revanche, c'est la particularité du métier de Juares qui confère à la série une originalité et un attrait indéniables. S'ouvrant au monde du football par le prisme de celui qui représente l'anti-héros par excellence de ce milieu, la série réalise un admirable travail d'immersion, permettant de faire prendre la mesure du contexte passionnel entourant ce sport au Brésil. La façon dont elle capture l'ambiance d'un match est notamment une réussite formelle à saluer. Grâce à leur brièveté (format d'une demi-heure), les épisodes évitent d'être étirés inutilement, même si c'est souvent dans la seconde moitié qu'ils prennent pleinement leur envol.

(fdp) saura-t-elle tenir la distance d'une saison ? Tout dépendra de sa capacité à continuer à faire se répondre le privé et le football. En tout cas, si elle intéressera sans doute plus les amateurs de ce sport, je suis la preuve qu'elle peut aussi être visionnée par des personnes à mille lieues de ce centre d'intérêt. Ce n'est certes pas une œuvre incontournable, mais c'est certainement une curiosité... à plus d'un titre !


NOTE : 6,5/10


Une bande-annonce de la série :

25/09/2013

(BR) Filhos do Carnaval, saison 1 : au nom du père et des fils, et du Carnaval

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En l'absence exceptionnelle du mercredi asiatique, je vous avais promis d'aller au-delà des destinations habituellement explorées sur ce blog. Après Israël la semaine dernière, changeons à nouveau de continent : direction aujourd'hui l'Amérique Latine, et plus précisément le Brésil. Au printemps dernier, la saison 1 de la chilienne Profugos m'avait beaucoup enthousiasmé (d'ailleurs, notez que la diffusion de la saison 2 a commencé depuis le 15 septembre dernier outre-Atlantique). L'an passé, c'était le Brésil que j'avais découvert grâce à Cidade dos Homens. Si bien que cet été, j'ai recherché une série susceptible de leur succéder. C'est finalement seulement en septembre que j'ai mis la main sur une perle rare qui a plus que retenu mon attention.

Filhos do Carnaval est une série brésilienne, comptant deux saisons pour un total de 13 épisodes. Elle est, comme Profugos, une production de HBO Latino. Elle a été diffusée de 2006 à 2009. En France, elle a été diffusée sur OCS et sur France Ô. Si elle a pour cadre un lieu que tout téléspectateur étranger a en tête en songeant au Brésil, une école de samba sur fond de préparation au carnaval, la série nous glisse dans la pègre locale et l'organisation des jeux d'argent. Cependant, c'est avant tout une histoire de relations familiales, centrée sur un père et ses fils, issus de femmes différentes, qui s'efforcent de trouver leur place les uns par rapport aux autres.

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Anésio Gebara est un patriarche qui règne sur des affaires très rentables. Il est propriétaire d'une école de samba, mais surtout en charge d'une loterie illégale. Son âge avançant, il envisage de plus de plus sa succession. Il faut dire qu'il a quatre fils, mais n'a reconnu que ses deux légitimes : Anesinho, l'aîné et son favori programmé pour prendre sa place, et Claudinho, qui joue le businessman loin de la ville où sont centralisés tous leurs revenus. Claudinho est né la même semaine que ses deux autres demi-frères : Brown, très investi dans l'école de samba, et Nilo qui sert de garde du corps à Anésio. Les liens qui unissent ces derniers à leur père biologique restent distendus, chargés de non-dits et d'incompréhensions.

Tout bascule le jour de l'anniversaire d'Anésio : au cours de la soirée festive organisée, Anesinho se suicide. Il laisse derrière lui un père profondément ébranlé et des affaires dans un état extrêmement chaotique avec des dettes dont il va rapidement falloir s'acquitter. Conscients du vide laissé par la disparition de leur aîné, les trois frères restants vont s'efforcer chacun de le remplir, espérant une redistribution des responsabilités. Les six épisodes que compte la saison suivent les trajectoires croisées de ces trois fils mal aimés qui cherchent leur place, par rapport à ce patriarche parfois si cruel qui n'a rien de paternel, mais aussi par rapport à eux et à la manière dont ils veulent mener leur vie.

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Rythmée par des airs de samba, des répétitions de l'école jusqu'au défilé final, Filhos de Carnaval est tout d'abord une fiction d'ambiance. Son décor est un acteur à part entière du récit. La tonalité y est empreinte d'un souci de réalisme et d'authenticité pour capturer les quartiers populaires brésiliens sans artifices, ni glamour. Elle propose une véritable immersion dans Rio de Janeiro, avec ses favelas, mais aussi ceux qui tirent les ficelles et parviennent à s'élever par l'intermédiaire d'activités illégales. C'est un portrait coloré et dense qui se dessine : par-delà la fébrilité des jeux d'argent mis en scène, il nous glisse dans un tourbillon plein de vie et de musique, parfois dur, mais jamais misérabiliste. Signe de sa richesse, la série joue aussi sur les croyances et les symboles qui comptent dans ce milieu, utilisant les rêves tournant autour de la loterie comme autant de possibles présages qui suscitent fréquemment l'inquiétude et de vives réactions de la part du patriarche. Exploitant ce riche univers, la série prend son temps pour y greffer et construire ses différentes histoires. L'ensemble de la saison tend vers un final sous forme d'apothéose qui donnera de beaux frissons : le soir du défilé du carnaval, parallèlement à la représentation, chaque fils prend des décisions déterminantes pour son futur. Un tournant qui parachève les évolutions dont la saison a été le témoin.

Car par-delà le travail d'immersion réalisé, la trame centrale de Filhos do Carnaval est celle d'une dynamique familiale. Ce n'est pas une simple série de gangsters centrée sur leur gestion des affaires et transposée au cadre brésilien, c'est avant tout le récit des relations d'un père avec ses fils, et la manière dont ces trois derniers cherchent à se positionner. Chacun apparaît insignifiant pour ce père qui n'a jamais eu d'yeux que pour Anesinho. Tandis que certains amorcent une quête de reconnaissances, d'autres songent plutôt à s'émanciper de cette figure autoritaire qui remplit si rarement le rôle qui devrait être le sien. Au fil de la saison, face à l'indifférence d'Anésino, c'est en réaction une quasi-dynamique fraternelle qui s'esquisse timidement. Claudinho, Brown et Nilo sont très dissemblables physiquement ; ils ont des caractères extrêmement différents. Mais s'ils n'ont jamais été proches, le décès de leur frère et le rejet de leur père les rassemblent un temps dans cette volonté de faire face et de remplir le vide laissé par leur aîné. Le plus lucide des trois, Nilo, sert de narrateur, dressant un portrait intime et sans complaisance de toutes les ambiguïtés de cette famille éclatée. Chacun a ses démons à surmonter, et chacun se façonne par rapport au père, soit en embrassant sa voie, soit en la repoussant. Au risque peut-être de répéter les mêmes tragédies...

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Sur la forme, Filhos do Carnaval a une volonté constante de sonner authentique. La photographie est plutôt sombre, la réalisation nerveuse, avec des plans parfois très heurtés, notamment lorsque les rêves d'Anésio viennent troubler le quotidien et l'inquiéter. La bande-son est omniprésente : outre la samba, le récit est aussi rythmé par des instrumentaux qui accompagnent les changements de tonalité, renvoyant soudain à des ambiances troublées après des passages plus calmes. L'ensemble fonctionne parfaitement pour construire un univers particulier dans lequel le téléspectateur se laisse entraîner sans difficulté, avec une atmosphère brésilienne dépaysante à souhait à l'image du générique représentatif des choix faits (cf. la 1ère vidéo ci-dessous).

Enfin, la série bénéfice d'un casting homogène qui retranscrit bien cet effort de réalisme et de sobriété. Parmi les trois frères survivants, Enrique Diaz (Cordel Encantado, 3 Teresas) interprète un Claudinho qui tente de prendre la suite de son aîné, mais n'a sans doute pas la carrure pour mener de telles affaires. Rodrigo dos Santos joue Brown, partageant le penchant de son père pour les femmes, au risque d'être confronté à ces paternités multiples si difficiles à gérer. Et Thogun incarne Nilo, le plus proche de leur père en raison de son travail, mais celui qui a paradoxalement le plus de recul par rapport à ce dernier, s'interrogeant notamment sur le sort de sa mère décédée quand il était bébé. Quant à Jece Valadão, il interprète le patriarche dont les actions et les propos conditionnent les décisions de chacun des frères. On retrouve également Mariana Lima (O Brado Retumbante), ou encore Felipe Camargo (Cordel Encantado, Som e Furia, Tempos Modernos), dans le rôle du frère aîné dont la mort bouleverse l'ordonnancement établi.

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Bilan : Filhos do Carnaval est une série d'ambiance qui réussit une belle immersion dans une Rio de Janeiro dont le portrait est riche, dense et extrêmement vivant, entre favelas et samba. Si elle emprunte aux fictions de gangsters en évoquant la gestion de jeux d'argent illégaux, et toutes les tensions et convoitises que de telles affaires peuvent générer, elle s'intéresse avant tout à une trame familiale centrale, suivant les trajectoires des trois fils survivants du patriarche et leurs rapports compliqués avec ce père qui les avait toujours ignorés au profit de leur aîné. Les relations mises en scène sont complexes, souvent ambivalentes, mais une intéressante maturation s'observe au fil de la saison. Ces six épisodes forment un arc qui se suit avec énormément de plaisir.

La saison 2 verra la dynamique quelque peu changer, car l'acteur incarnant Anésio est décédé entre les deux saisons : la mort du patriarche sera incluse dans le récit qui racontera comment les trois évoluent suite à cet évènement. J'espère pouvoir vous en parler prochainement (si je parviens à la trouver en VOST). En attendant, n'hésitez pas à prendre la direction de Rio de Janeiro, Filhos do Carnaval est un belle série qui mérite vraiment le détour. Ces explorations dans le petit écran d'Amérique du Sud se continuent de façon très positive.


NOTE : 8/10


Le générique de la série :

Une bande-annonce de la saison :


19/05/2013

(CHL) Profugos (The Fugitives), saison 1 : course-poursuite infernale entre trafiquants et autorités à travers le Chili

 

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En ce dimanche, pour oublier la pluie et le mauvais temps, je vous propose un peu d'évasion. My Télé is rich! met en effet le cap vers un nouveau pays, et un continent où j'ai encore beaucoup à explorer : direction l'Amérique Latine, et plus précisément aujourd'hui, le Chili. Je vais vous parler d'une série hispanophone qui a constitué cette semaine mon premier contact télévisuel (réussi !) avec le petit écran chilien.

Prófugos (Fugitifs en français) est, à l'instar de Epitafios et de Capadocia, ses prédécesseurs plus connus, une série de HBO Latin America. Bénéficiant d'une réalisation notamment confiée au cinéaste chilien, Pablo Larrain (dont le dernier film, No, est sorti en France en mars dernier), et au vénézuélien Jonathan Jakubowicz, sa première saison a été diffusée à l'automne 2011 (du 3 septembre au 27 novembre). Elle compte 13 épisodes de 45 à 50 minutes environ. Une seconde saison a été commandée, et a d'ores et déjà été tournée, prenant la suite des évènements relatés dans la première.

Série d'action mettant en scène des trafiquants de drogue, Prófugos est une fiction musclée, empruntant à l'occasion au road movie en traversant un pays sur lequel plane encore l'ombre de la dictature. Elle rassemblait donc sur le papier beaucoup d'éléments que j'apprécie ; et le résultat n'aura pas déçu mes attentes. 

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Prófugos s'ouvre sur l'organisation d'un transfert de cocaïne, de la frontière bolivienne jusqu'à un port chilien, afin d'embarquer la drogue pour l'Europe. L'opération, conduite par le cartel Ferragut dont la matriarche, Kika, dirige toutes les affaires depuis une prison, a été confiée au fils de cette dernière, Vicente, accompagné de trois mercenaires censés sécuriser le convoi. Le transfert de Bolivie jusqu'au Chili se déroule à merveille, peut-être même trop bien, mais tout dérape au moment d'embarquer la marchandise sur le bâteau. Renseignée par une source interne, la police débarque sur le lieu d'échange. Puis des tireurs embusqués inconnus déclenchent une fusillade qui transforme la scène de crime en véritable carnage. Les quatre trafiquants travaillant pour Kika Ferragut parviennent à s'échapper dans la confusion, mais perdent tout : l'argent et la drogue transportée. Ils sont contraints de s'enfuir, tandis que les autorités les désignent comme responsables du bain de sang qui vient d'avoir lieu.

Traqués par des hommes d'autres cartels rivaux et par les forces de l'ordre, ignorant ce qui a bien pu se produire, ils doivent s'allier pour survivre, même s'ils n'ont rien en commun, les tensions entre eux menaçant à tout moment de déraper. Vicente est un vétérinaire qui rêve de partir aux Etats-Unis, n'ayant jamais semblé taillé pour les affaires mafieuses de sa famille. Les deux mercenaires expérimentés sur lesquels il doit s'appuyer représentent les deux versants les plus antagonistes de l'histoire chilienne : Oscar Salamanca est un ancien révolutionnaire qui a pris les armes contre la dictature de Pinochet, tandis que Mario Moreno a lui servi le régime militaire. Quant au dernier homme de main, Tegui Gonzalez, il travaille pour la famille Ferragut depuis moins longtemps. Mais il est surtout un policier infiltré, dont le vrai nom est Álvaro Parraguez : il est celui qui a transmis l'information du lieu de la rencontre (sans savoir ce qui allait se produire). Devenus les quatre hommes les plus recherchés du Chili, ils se lancent dans une fuite à travers le pays pour tenter de survivre, face aux assassins mafieux et à des autorités gangrénées par la corruption au sein desquelles nul ne sait à qui faire confiance.

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Prófugos nous entraîne dans une vaste course-poursuite létale dans tout le Chili, entre guerres de cartels, vengeances personnelles et traques sans répit menées par les forces de l'ordre. Fiction entièrement feuilletonnante, elle ne correspond aux genres les plus répandus dans le petit écran chilien : il s'agit en effet d'une série d'action, résolument musclée. Elle ne manque ni de fusillades, ni d'éclats de violence, notamment des passages de tortures ou d'exécutions sommaires parfois difficilement soutenables. Elle met tout simplement en scène une lutte à mort, dépeignant sans complaisance, ni la moindre concession, un milieu impitoyable, celui des trafiquants de drogue, le tout se déroulant dans une société marquée par un passé de dictature sur laquelle pèse toujours bien des démons. Relatant une fuite en avant pour la survie, l'histoire adopte un rythme narratif prenant, ne tergiversant pas, et n'hésitant pas à redistribuer les cartes entre les différents camps. Au cours de la saison, le récit sera capable plusieurs orientations différentes à mesure que les enjeux et les forces à l'oeuvre se préciseront.

A partir du moment où la situation échappe aux quatre protagonistes principaux lors de la fusillade sur le port, Prófugos devient une série très explosive, qui va se construire sur des dynamiques relationnelles extrêmement mouvantes et des rapports de force permanents. Elle met en scène de fragiles alliances de circonstances, des trahisons préméditées ou provoquées par les évènements, et des double-jeux constants. Les obédiences et les motivations de chacun restent longtemps à définir au sein des membres du cartel Ferragut, mais aussi des forces de l'ordre qui les traquent. Fiction nerveuse et paranoïaque, cette série est peuplée de personnages dangereux qui suivent leurs propres agendas. Au fil de la saison, elle les entraîne toujours plus loin dans des voies sans retour dont nul ne ressortira indemme. En dépit de quelques raccourcis, la narration a le mérite de parvenir à garder globalement le contrôle de tous ses développements : sans lésiner sur le spectaculaire, elle évite la surenchère facile dans le registre de l'action. Tout en s'offrant quelques passages au suspense très réussi, la série maintiendra une tension efficace de bout en bout, jusqu'aux ultimes rebondissements des dernières minutes de la saison.

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Pour autant, si Prófugos sait impliquer si fortement le téléspectateur dans son récit, c'est aussi parce qu'elle va très bien jouer sur l'ambivalence de ses quatre protagonistes principaux. Ils forment un groupe de fugitifs complexe, que rien ne prédisposait à voir travailler ensemble. Tout paraît en effet opposer ces figures qui ont chacune plus d'un secret, une histoire passée qui les ont façonnées et des principes ou convictions avec lesquels elles n'entendent pas transiger. S'ils sont forcés de s'unir contre ceux qui veulent leur mort, l'alliance qui se forme est extrêmement volatile, menaçant à tout moment de dégénérer pour le pire. Il s'ensuit donc une dynamique interne au groupe très dangereuse, renforçant ainsi la tension d'ensemble d'une série qui n'en manque déjà pas et troublant un peu plus la donne. Le risque d'explosion est d'autant plus palpable que se trouvent parmi eux des hommes endurcis qui n'hésitent pas à commettre sans sourciller des actes insoutenables. En dépit de quelques schémas répétitifs sur la fin, l'ensemble fonctionne : le téléspectateur en est réduit à constamment douter et à s'interroger sur ce qui déterminera et maintiendra la loyauté des uns et des autres, dans cette spirale infernale dans laquelle ils ont été, malgré eux, projetés ensemble.

Outre une histoire prenante, Prófugos a aussi le mérite de vouloir proposer une véritable immersion dans ce Chili au sein duquel elle se déroule. La série profite de la fuite relatée, qui lui fait traverser tout le pays, pour prendre à l'occasion des allures de road movie, entraînant le téléspectateur dans des paysages à part, des déserts arides aux sommets enneigés, des grandes villes aux plateaux à la végétation dense, éloignés de toute civilisation. Pour autant, elle est plus qu'une simple carte postale dépaysante, s'attachant aussi à parler de la société chilienne actuelle, revenant sur son passé et s'interrogeant sur son présent. Tout en révélant les fantômes persistants et les blessures non cicatrisées de la dictature militaire de Pinochet, elle met aussi en scène un pays sur lequel plane l'ombre des narcotrafiquants. A travers toutes les confrontations dépeintes, elle présente un Etat qui entend réussir à faire face et à ne pas sombrer dans une lutte engagée contre des cartels de drogue puissants et lourdement armés, qui ont les moyens d'ébranler les fondations de sa démocratie.

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Solide sur le fond, Prófugos bénéficie également d'une forme soignée. La réalisation est maîtrisée, tenant très bien la route dans le registre d'action investi, avec une caméra qui reste toujours nerveuse, sans tomber dans l'excès. On pourra peut-être discuter quelques-uns de ses choix, comme celui des flashbacks en noir et blanc de scènes déjà passées, ou encore des fusillades à la mise en scène perfectible, mais l'ensemble est convaincant et de bonne qualité. De plus, la série a aussi l'opportunité de nous entraîner dans un périple à travers le Chili que la caméra va vraiment prendre le temps de mettre en valeur, avec beaucoup de vues en hauteur, quelques time-lapses inspirés et plus généralement des cadres larges qui prennent la mesure du décor proposé : du désert d'Atacama au nord du pays à la Cordillère des Andes, en passant par les grandes villes, jusqu'aux réserves indiennes isolées, Prófugos bénéficie d'un paysage magnifique. Enfin, il faut noter une ambiance musicale également bien dosée. La bande-son est riche, entre thèmes instrumentaux et quelques chansons, notamment pour conclure chaque épisode, qui accompagnent bien la tonalité de l'ensemble (cf. la 3e vidéo ci-dessous).

Enfin, Prófugos bénéficie d'un casting homogène, réunissant à l'écran quelques figures expérimentées du petit écran chilien. Néstor Cantillana (Los Archivos del Cardenal, Peleles) interprète Vicente Ferragut, aspirant héritier que rien n'avait préparé à faire face à un tel fiasco. Francisco Reyes (Dónde está Elisa?, Conde Vrolok, El laberinto de Alicia, Pobre Rico) incarne le révolutionnaire Salamanca, et Luis Gnecco (Brujas, Papi Ricky, Soltera Otra Vez), l'ancien membre de la police de la dictature chilienne. Benjamin Vicuña (Héroes, Huaiquimán y Tolosa, Los simuladores, La dueña) joue quant à lui Tegui, le policier infiltré auquel la situation échappe tout autant. A leurs côtés, on retrouve notamment Marcelo Alonso, en responsable corrompu des forces de l'ordre, Aline Küppenheim en assistante du procureur qui essaie de mettre de l'ordre dans ce chaos, Camila Hirane en adolescente qui va perdre son innocence, propulsée dans cette chasse à l'homme à cause de son père, Luis Dubo, chef d'un cartel rival décidé à en finir avec les Ferragut, ou encore Blanca Lewin, avocate et surtout fille de Kika Ferragut, cette dernière étant incarnée par Claudia di Girolamo.

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Bilan : Série d'action, violente et explosive, Prófugos est une fiction feuilletonnante, prenante et vite addictive. Entraînant le téléspectateur dans le sillage de quatre fugitifs qui vont tout faire pour tenter de rester en vie, elle se révèle convaincante dans un registre à suspense efficacement conduit de bout en bout. De plus, elle propose aussi une véritable immersion chilienne, à la fois dépaysante grâce aux décors proposés, et éclairante sur la société actuelle du pays, entre échos de la dictature et luttes contre les narcotrafiquants. Plus encore que la brésilienne Cidade dos homens qui se situait dans un registre très différent, je me dis que Prófugos est peut-être le déclic que j'attendais vers le petit écran d'Amérique Latine, et surtout cette fois-ci, vers la partie hispanophone de ce continent.

En résumé, Prófugos est une série que je recommande à tous sériephiles ayant une inclinaison pour les fictions de gangsters, pour les histoires chargées d'ambivalence et de suspense, ou pour ceux qui ont un penchant pour l'évasion dans le magnifique décor offert par les paysages chiliens. Pour les curieux, notez que cette série est disponible en version originale sous-titrée anglais.


Pour ce qui est de la suite [SPOILERS], sachez que la saison 2 est annoncée comme prenant la suite directe de cette première saison, débutant par deux storylines : l'une mettant en scène l'incarcération en prison des protagonistes arrêtés en fin de saison, tandis que l'autre devrait nous raconter ce que devient l'argent de la famille Ferragut.


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de la série :

Le générique de la série :

BONUS - Une des chansons principales de l'OST ("Antes que", par Camila Moreno) :

18/11/2012

(BR) Cidade dos Homens (La Cité des Hommes) : portraits d'adolescence dans une favela de Rio de Janeiro

 

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Parmi les terres téléphagiques qui sont encore pour moi de vastes horizons inconnus figure l'Amérique Latine. Mes références s'y résument à quelques expériences occasionnelles (sans sous-titres..), comme le pilote de Capitu visionné pour un numéro de podcast. Cette destination est donc un de ces défis que j'ai très envie de relever. Généralement, quand je me lance à la découverte d'un nouveau continent, je privilégie en premier lieu les quelques séries les plus classiquement citées, histoire de poser un premier pied dans ce petit écran en sachant à peu près où je vais. C'est ainsi que ces dernières semaines, j'ai débuté le visionnage de la mexicaine Capadocia et de la série sur laquelle je vais revenir aujourd'hui : La Cité des Hommes.

Créée par Katia Lund et Fernando Meirelles, cette dernière est une fiction brésilienne, comptant en tout 4 saisons de 19 épisodes d'une trentaine de minutes chacune. Diffusée de 2002 à 2005 sur la chaîne Globo TV, elle prend la suite du marquant film La Cité de Dieu. Diffusée notamment sur France 5, l'intégrale est également disponible en DVD à un prix plus qu'abordable. Et si je vous avoue ne pas être (encore ?) tout à fait convaincue par Capadocia, il en va tout autrement pour Cidade dos Homens. Voilà un beau coup de coeur qui permet d'accueillir un nouveau pays sur My Télé is rich!, le Brésil (juste évoqué jusqu'à présent par la co-production des Mistérios de Lisboa).

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Cidade dos Homens nous plonge dans une des favelas de Rio de Janeiro, y racontant le quotidien de deux amis, Acerola et Laranjinha. Dans cette zone abandonnée par l'Etat aux trafiquants de drogue qui font régner leur propre ordre - sur les cartes de la ville, ces lieux sont une simple tâche verte, sans aucune précision, ni indication que des gens y vivent -, les deux adolescents expérimentent comme tout jeune de leur âge. On les suit dans le tourbillon qu'est leur vie de tous les jours, apprenant de leurs erreurs, découvrant les premières responsabilités, savourant les premiers amours et mesurant aussi les dangers de leur environnement difficile. Entre rêves de futur et dureté d'une réalité qui les oblige à vivre au jour le jour, ils poursuivent inlassablement leur marche en avant. Ils vont ainsi grandir et mûrir sous les yeux du téléspectateur.

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Cidade dos Homens, c'est tout d'abord le portrait d'un certain Brésil, dépeignant la réalité sociale des favelas et leur place dans le pays. La série se veut plus légère que le film La Cité de Dieu, mais elle n'en occulte pas moins les difficultés bien présentes, sans pour autant tomber dans un misérabilisme pesant. Il y a une volonté manifeste d'aller par-delà les préjugés et les clichés sur ces zones de non-droit, pour en décrire les problèmes du quotidien, mais aussi humaniser leurs habitants. Empruntant parfois un style proche du documentaire, très détaillé dans sa façon de dépeindre ces lieux, la série conserve toujours un parfum d'authenticité qui fait sa force.

On devine en arrière-plan de cette chronique sociale, mettant en scène les clivages d'une société, un projet pédagogique plus ou moins marqué des scénaristes suivant les histoires relatées. En exemple emblématique, on peut citer le dernier épisode de la saison 1, très intéressant, où l'on suit brièvement en parallèle un autre adolescent vivant en dehors de la favela. Tout en montrant combien l'antagonisme immédiat, nourri de préjugés, est bien réel entre ces jeunes issus de deux mondes si différents, la série le désamorce en insistant sur leurs points communs et leurs doutes partagés, s'adressant ici avant tout au téléspectateur. Dotée d'une écriture privilégiant une sincérité qui ne laisse pas indifférent, elle peut ainsi aborder légitimement ces thèmes sans jamais paraître trop didactique.

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Car Cidade dos Homens reste une série profondément humaine et attachante. Elle met en scène un duo d'adolescents complémentaires auprès desquels le téléspectateur s'investit vite avec une tendresse qui ne cesse de se renforcer au gré des péripéties. Acerola est un débrouillard avec un sens des affaires qui lui attire souvent bien des ennuis ; Laranjinha se tient plus en retrait, préférant profiter sans faire de vague et charmer les demoiselles. A travers eux, la série emprunte des ressorts propres aux fictions sur l'adolescence, traitant d'apprentissage de la vie. Ils ont des problématiques propres aux jeunes de leur âge. Cependant, du fait du cadre particulier dans lequel ils évoluent, Cidade dos Homens propose une relecture originale de ces thèmes familiers.

Leur quotidien oscille entre l'insouciance propre à leur âge et la réalité de la favela : s'essayer aux premiers pas de l'amour implique aussi d'éviter autant que possible les trafiquants qui régissent les lieux et les ennuis qui les accompagnent. Outre la violence permanente, il faut aussi composer avec la pauvreté, et par exemple partir mendier à manger dans Rio quand il n'y a plus rien à la maison et que leur mère ne rentre pas avant plusieurs jours. Si elle peut être très dure, la série n'en conserve pas moins une vitalité pleine de fraîcheur, à la fois réaliste et remplie d'espoir. L'ensemble est rythmé, avec une durée assez brève des épisodes - une trentaine de minutes - qui fait que l'on ne s'y ennuie pas une seule seconde ; chacun aborde un thème précis, explorant un évènement ou un sujet précis représentatif d'un pan de vie dans la favola.

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L'impression d'authenticité qui caractérise Cidade dos Homens se retrouve dans la manière dont la série est filmée : la réalisation est nerveuse et dynamique. La caméra tressautante impose immédiatement une proximité, dépeignant le cadre de la favela et s'arrêtant avec des gros plans sur les protagonistes. Les condition de vie, mais aussi le dynamisme qui parcourt ces lieux, sont parfaitement capturés. De plus, le récit est accompagné d'une bande-son qui, pareillement, rythme et contribue à l'atmosphère de ce coin de Rio de Janeiro, aussi bien musicalement que dans les quelques chansons qui viennent notamment conclure des épisodes (on y trouve des chansons originales créées pour l'occasion, comme un rap "dialogué" entre les deux jeunes issus de deux mondes si différents dans l'épisode 4 de la saison 1 ; ou encore la chanson sur laquelle danse Acerola dans l'épisode 1 de la saison 2).

Enfin, Cidade dos Homens doit également beaucoup à ses acteurs. Tout en croisant des protagonistes récurrents, et avec en arrière-plan tout un entourage qui prend plus ou moins d'importance suivant les histoires relatées, la série se concentre avant tout sur son duo principal. Darlan Cunha (Laranjinha) et Douglas Silva (Acerola) sont deux jeunes, vivant eux-mêmes dans des favelas, qui apportent à l'écran une présence pleine de spontanéité à la fois rafraîchissante et attachante. Mêlant sens de la débrouillardise, pragmatisme et charisme, ils incarnent deux figures très différentes, qui donnent chacune l'occasion d'explorer des thèmes qui leur sont propres. Leur interprétation très juste confirme l'impression de réalisme qui ressort de la fiction.

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Bilan : Chronique sociale relatant le quotidien de deux adolescents, Cidade dos Homens nous plonge dans l'univers des favelas de Rio de Janeiro. Traversée par une vitalité communicative, la série traite de thématiques familières sur l'adolescence, sans occulter la violence et la pauvreté qui font partie intégrante de la vie de ses protagonistes. Entre espoir et réalisme, il s'agit d'une oeuvre profondément humaine, portée par des figures attachantes, qui a affiche aussi une ambition pédagogique, s'attachant à désarmorcer certaines peurs sur les favelas et ceux qui y habitent. Plus que tout, c'est une série qui respire le Brésil, offrant une bouffée de dépaysement et de découverte qui mérite assurément le détour.

En résumé, un portrait plein de vie à mettre en toutes les mains !


NOTE : 8/10


La bande-annonce de la série :


Le "rap" entre deux personnages durant l'épisode 4 de la saison 1 :



PS : Nous sommes rentrés dans les trois semaines que j'annonçais très chargées et compliquées pour le rythme de publication du blog. La première semaine de décembre connaîtra normalement une pause d'une semaine (comme à Pâques), en attendant, un petit ralentissement est également possible. Pas d'inquiétude, My Télé is rich! retrouvera un rythme de croisière normal courant décembre, mais même un blogueur a parfois une vie en dehors de ses colonnes.

21/05/2011

(BR/FR/POR) Les Mystères de Lisbonne (Mistérios de Lisboa) : fresque romanesque envoûtante dans le Portugal du XIXe siècle


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Les rapports du petit et du grand écrans sont souvent discutés. Particulièrement en France, où les deux ont longtemps été présentés artificiellement comme antinomiques. Cette semaine, Arte s'attachait à corriger ces préjugés, diffusant ces jeudi et vendredi soirs une des plus belles réconciliations qui soit. L'occasion de nous rappeler que le cinéma et la télévision sont deux formats différents, mais qui ont chacun des atouts propres à leur genre. C'est ce que Raoul Ruiz, l'esprit tourné vers ces telenovelas qu'il rêvait de réaliser, a parfaitement compris à travers ses adaptations des Mystères de Lisbonne.

Cette oeuvre est à l'origine un classique de la littérature portugaise du XIXe siècle, de l'écrivain Camilo Castelo Branco. Le cinéaste chilien l'a transposée au cinéma, dans un film sorti en fin d'année dernière, qui constitue une fresque unique d'une durée de 4 heures 30. Mais il a également réalisé une version destinée à la télévision : une mini-série, composée de six épisodes de 55 minutes chacun, que la chaîne franco-allemande proposait donc cette semaine, en VM. Si je n'ai pas vu la version cinématographique, j'ai trouvé que le rythme narratif du récit s'adaptait vraiment parfaitement au découpage par épisode permis par le passage au petit écran. Cela a été incontestablement ma découverte sériephile de la semaine.

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Nous plongeant dans un tourbillon de destinées entremêlées, Les Mystères de Lisbonne dévoilent, à travers une fascinante quête identitaire, les dessous de l'aristocratie portugaise du premier XIXe siècle.

Le jeune João Pedro da Silva, âgé de 14 ans, est interne dans un pensionnat religieux. Recueilli et élevé par le responsable des lieux, le père Dinis, l'adolescent ignore tout de sa naissance et de sa véritable identité, enfant sans nom subissant les brimades de ses camarades à un âge où les question sur les origines s'éveillent. A la suite d'une violente altercation, Pedro, blessé à la tête, perd connaissance. Cette nuit-là, il reçoit la visite d'une mystérieuse femme. Si au réveil, le père Dinis et Dona Antonia, une carmélite dont il est proche, lui recommandent d'oublier tout cela, Pedro sait qu'il s'agit de la première pierre sur le chemin de la découverte de ses origines.

A partir de cet évènement qui sert de catalyseur, les récits vont peu à peu se succéder, révélations intimes de vies rarement heureuses qui ont, d'une façon ou d'une autre, influer et présider à la vie de Pedro, ce dernier restant  le fil rouge - et le narrateur - de cette histoire à la fois éclatée, mais pourtant toujours si fluide. Les Mystères de Lisbonne nous entraînent ainsi dans un voyage mouvementé à travers les destinées, souvent passionnelles et tragiques, de différents protagonistes. La mini-série remonte le temps, nous conduisant au-delà du Portugal, de Venise à la France impériale napoléonienne, pour proposer une fresque d'une densité aussi fascinante qu'envoûtante.

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Les Mystères de Lisbonne correspondent à une vaste fresque, tourbillonnante et captivante, dans laquelle on retrouve tant cette ambiance d'époque que ce style foisonnant caractéristique de la littérature du XIXe siècle. A la fois dense et contemplative, sans égale pour verser dans un romanesque magnifique où les sentiments les plus violents, de l'amour à la haine, s'expriment, la mini-série propose un récit aussi éclaté qu'extrêmement vivant. On y croise tous les ressorts scénaristiques propres à ce genre. Ainsi, sa dimension historique lui permet de dresser un portrait de cette société portugaise, soulignant l'hypocrisie des élites et les paradoxes du pragmatisme de chacun. Mais c'est aussi un récit d'aventures, rythmé par les choix des personnages et les passions brisées. Au final, c'est un tableau fascinant, extrêmement coloré, qui prend forme sous nos yeux, où tous les rebondissements et toutes les coïncidences se justifient comme autant de pièces d'un même puzzle, d'une même énigme identitaire qui se complète peu à peu.

En effet, le fil rouge que constituent les origines et, plus généralement, la vie de Pedro Da Silva sert de prétexte parfait pour nous entraîner dans un récit dilué, mais toujours admirablement maîtrisé, qui va prendre la forme d'une mosaïque de destinées éparses, que le sort conduira à entremêler. La construction en mini-série trouve ici toute sa justification : chaque épisode apparaît dédié à une thématique et se consacre à une destinée, semblant par certains côtés indépendant des autres, mais poursuivant toujours cette exploration d'une ligne de vie particulière et de toutes celles qui ont pu influer sur elle. Dotée d'une narration atypique, qui confine à une forme de surréalisme un peu théâtral aussi déroutant qu'envoûtant, Les Mystères de Lisbonne constitue une oeuvre à part qui happe le téléspectateur sans que ce dernier puisse s'en détacher.

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C'est en raison de ce surréalisme théâtral qu'il est difficile de distinguer le fond de la forme face aux Mystères de Lisbonne. En effet, ils finissent par se confondre, faisant tous deux partie intégrante d'une narration qui suit un style qui lui est propre. La réalisation apparaît semblable à une oeuvre d'orfèvre : chaque plan est particulièrement soigné, millimétré. Rien n'est laissé au hasard dans ce qui s'apparente presque à une succession de tableaux, d'instantané où la symbolique se dispute au suggestif de manière admirablement maîtrisée. Les changements de lieux, comme l'enchaînement des scènes dans un même récit, observent une forme d'invariable continuité qui parachève l'ensemble, apportant une consistance homogène à la façon dont l'histoire est racontée.

Enfin, Les Mystères de Lisbonne bénéficient d'un casting qui parvient à très bien retranscrire cette tonalité que le réalisateur choisit d'adopter. Adriano Luz incarne ce père Dinis, figure tutélaire omniprésente dont la destinée mouvementée semble liée à celle de Pedro. Ce dernier est joué par José Afonso Pimentel. A leurs côtés, on retrouve notamment Maria João Bastos, mère absente qui aura tant subi, Ricardo Pereira, constant protecteur à la vie débridée, mais aussi Clotilde Hesme, Julien Alluquette, Léa Seydoux, Melvil Poupaud, Sofia Aparicio ou encore Malik Zidi.

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Bilan : Sur fond de recherche des origines pour cet orphelin dont la mini-série narre en réalité la vie (des faits antérieurs déterminants jusqu'à la fin), Les Mystères de Lisbonne s'apparentent à une mosaïque tourbillonante de flashbacks qui vont progressivement former un tableau captivant, portrait de la société portugaise du XIXe siècle. Cette épopée romanesque nous présente ainsi des destinées entremêlées, souvent tragiques, marquées par une intensité émotionnelle constante et déterminante qui apporte une dimension supplémentaire à l'histoire.

En résumé, cette mini-série constitue une véritable expérience narrative qui se savoure comme rarement. Laissez-vous captiver. Pour les retardataires, il n'est pas trop tard... Rendez-vous sur le catch-up d'Arte !


NOTE : 9/10


La bande-annonce :