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16/01/2014

(RUS) Семнадцать мгновений весны / Semnadtsat mgnoveniy vesny (Seventeen Moments of Spring) : un espion soviétique dans les cercles du pouvoir nazi



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La figure de l'espion Russe continue d'inspirer les chaînes de télévision ces dernières années : aux États-Unis, la saison 2 de The Americans arrivera sur FX le mois prochain, tandis qu'ABC proposait de débuter 2014 dans les années 80 en cherchant à débusquer une taupe soviétique à la CIA avec The Assets. Inspirée d'une histoire vraie, cette dernière mini-série n'aura cependant tenu que deux épisodes avant d'être sacrifiée sur l'autel des audiences le week-end dernier. Un peu auparavant, il est aussi possible d'évoquer Ta Gordin en Israël qui, pareillement, mettait en scène les démêlés d'agents russes, de nos jours. Histoire de contrebalancer ces présentations et de poursuivre mes explorations de fictions d'espionnage, il était donc temps de changer de perspective, et de se placer, non plus du point de vue du pays infiltré, mais de celui de la Russie. Ou plus précisément de l'URSS !

Si My Télé is rich! a déjà eu l'occasion de parler à plusieurs reprises de séries russes, c'est la première fois que je remonte vraiment le temps dans le petit écran de ce pays : aujourd'hui, je vous propose de nous intéresser à une fiction soviétique, diffusée en 1973. Comportant 12 épisodes, de 70 minutes environ, Semnadtsat mgnoveniy vesny (Seventeen Moments of Spring) avait été proposée à l'époque en noir & blanc ; une version colorisée existe depuis 2009, mais elle conduit à faire perdre une quinzaine de minutes à chaque épisode, d'où la préférence accordée à l'originale. Réalisée par la cinéaste Tatyana Lioznova, cette série est une adaptation d'un livre de Yulian Semyonov. Elle met en scène une figure soviétique populaire de l'espionnage, Maxim Isaev, dont les aventures ont été relatées dans toute une suite de romans. Communément considérée comme un des thrillers soviétiques les plus aboutis dans le registre des jeux d'espion, cette série reste aussi l'une des plus populaires de l'histoire télévisée russe. Un grand merci à Greg pour m'avoir incité à débuter l'année 2014 avec ce très intéressant rattrapage.

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Si les conditions de création de Seventeen Moments of Spring, perceptibles à l'écran, sont celles de la Guerre Froide, la série traite d'une période antérieure. Elle se déroule à la fin de l'hiver 1945 en Allemagne. L'issue de la Seconde Guerre Mondiale ne fait alors plus guère de doute, mais ce qui est déjà en jeu dans l'esprit des différents protagonistes, c'est le sort de l'Europe après la capitulation nazie. Sur ce point, les Alliés -Américains et Anglais d'une part, Soviétiques d'autre part- ne partagent pas les mêmes vues. Essayant de tirer leur épingle de l'opposition latente existant au sein du camp adverse, des dignitaires nazis tentent d'initier des négociations de paix séparées, pour en finir avec le front ouest et présenter un rempart contre le communisme en Europe.

Max Otto von Stierlitz est un officier SS du service de renseignements (SD). S'il est parfaitement intégré dans les cercles du parti et du pouvoir nazi à Berlin depuis les années 30, son vrai nom est en réalité Maxim Isaev. Il est un colonel soviétique qui, non seulement transmet des informations importantes sur le régime, mais sabote aussi à l'occasion certains des projets de ce dernier. Il a su jusqu'à présent rester insoupçonné dans ce jeu d'échecs dangereux qu'il mène au sein des hautes sphères du pouvoir. En février 1945, Moscou le contacte au sujet de rumeurs de négociations séparées commencées en Suisse par un haut responsable du régime. Stierlitz a pour mission de déterminer la réalité de cette information et d'empêcher, si elle s'avère confirmée, que ces discussions aboutissent. Au sein d'un régime qui se sait condamné, l'agent soviétique va jouer une partie extrêmement risquée, d'autant que certains s'interrogent sur ses agissements passés...

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Seventeen Moments of Spring est une fiction d'espionnage finement menée. Délaissant le registre de l'action, elle s'inscrit dans un registre aussi feutré que tendu, dans lequel chaque protagoniste avance ses pions, jouant une partie dont il est parfois le seul à connaître l'existence. Le récit est complexe, cultivant une tension psychologique de plus en plus pressante au fur et à mesure que l'intrigue progresse. Les jeux d'espions mis en scène n'ont rien de coups d'éclats : ils reposent avant tout sur l'analyse, la réflexion, la logique et une prise de risque calculée pour atteindre l'objectif fixé. Une grande partie des manœuvres de Stierlitz consiste ainsi à prendre la bureaucratie SS à son propre piège de ses concurrences entre services, de ses querelles d'égos et de sa rigidité de fonctionnement. L'agent soviétique exploite les allégeances diverses au sein des cercles de pouvoir nazis pour mener à bien une partie où la moindre erreur, la plus petite faille dans ses justifications, peut lui être fatale. Le suspense est souvent intense, le danger permanent. A fortiori dans le contexte particulièrement fébrile de ce dernier hiver 1945 où tout paraît exacerbé : le soin même avec lequel Stierlitz s'efforce d'afficher une loyauté en apparence irréprochable finit par être source de soupçons à une période où ce sont les fondations du régime qui vacillent...

Si Seventeen Moments of Spring met en scène un agent soviétique aux nerfs d'acier, maître espion par excellence, cette figure idéale s'impose si fortement à l'écran parce que Stierlitz est justement confronté à des adversaires de choix qui ne sont pas cantonnés à une simple fonction de faire-valoir. Initialement, la série met l'accent sur ce qui réunit tous ces dignitaires nazis : ils semblent tous sortir du même moule à en croire les caractéristiques égrenées par les fichiers des services secrets soviétiques dont les présentations sonnent vite répétitives. Mais leurs aspirations et leurs modes de fonctionnement sont très divers. Le QG des SS, où une grande partie de l'action se déroule, devient un huis clos où chacun semble servir son propre agenda, manipulant, espionnant, omettant de transmettre des informations... Plusieurs individualités se démarquent par leur intelligence, comme autant de pièces-maîtresses sur l'échiquier que doit exploiter Stierlitz ; autant de pièces qui visent également au contrôle de l'échiquier. Un affrontement particulier, avec Heinrich Müller, offre quelques face-à-face d'une rare maîtrise et d'une intensité marquante. Ajoutant une tension supplémentaire, tous ont conscience de l'imminence de la défaite, de l'écroulement à venir du régime nazi. La série apparaît donc aussi en filigrane comme le portrait d'une institution condamnée.

Cette fin d'hiver 1945 confère d'ailleurs une dimension supplémentaire au récit, y compris pour Stierlitz qui a dû faire ses propres sacrifices pour maintenir sa couverture et une infiltration qui dure depuis les années 30. Si le professionnalisme de l'agent n'est jamais pris en défaut, avec une forme de célébration perceptible dans certaines scènes, Seventeen Moments of Spring n'est pas pour autant une fiction dénuée d'émotions. Les sentiments n'ont certes pas leur place dans les jeux d'espions létaux mis en scène, mais les protagonistes n'en demeurent pas moins des êtres humains. La façade présentée par le maître-espion soviétique n'est donc pas imperturbable. A ce titre, sa vie personnelle n'est pas ignorée : marié en URSS, Stierlitz n'a revu qu'une seule fois sa femme depuis le début de sa mission. Les services secrets russes avaient arrangé une rencontre dans un restaurant, mais les deux époux n'ont pu échanger directement pour des raisons de sécurité. Il s'ensuit une scène muette à l'écran, où un long regard croisé apparaît plus expressif que tout dialogue. Choisir entre les exigences de la mission et ce que, impulsivement, tout être humain ferait, est un arbitrage constant, dont la difficulté n'est jamais niée. Le sort de Katherin et de son enfant sera pareillement une source de dilemme que la série saura souligner.

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Sur la forme, Seventeen Moments of Spring bénéficie d'une réalisation soignée. Une voix off fait office de narrateur omniscient : guidant le téléspectateur dans le récit, elle le glisse également dans les pensées des personnages, offrant des parenthèses narratives instructives qui, si le style peut dérouter, permettent d'apporter une épaisseur supplémentaire au récit. De plus, la série a fréquemment recours à des images d'archives, présentant de cette manière des évènements ou des figures historiques. Si le récit n'est pas exempt d'inexactitudes historiques, cette inclusion de documents vidéos d'époque immerge vraiment le téléspectateur dans les enjeux du conflit. La bande-son ne laisse pas non plus indifférent, avec quelques chansons récurrentes, dont les versions chantées ou musicales rythment l'ouverture et la fin des épisodes, ainsi que plusieurs scènes marquantes. Les versions chantées, teintées d'une certaine mélancolie, sont interprétées par Joseph Kobzon qui -comme le soulignait Greg dans son commentaire- n'est pas un inconnu des sériephiles explorateurs puisqu'il figurera deux décennies plus tard dans la bande-son d'un des dramas sud-coréens les plus marquants des années 90, The Sandglass.

Enfin, un dernier élément qui permet à Seventeen Moments of Spring de se démarquer est la performance d'ensemble d'un casting très solide. Stierlitz est interprété par Vyacheslav Tikhonov (Voyna i mir -la version soviétique des années 60 de Guerre & Paix). S'il n'a pas son pareil pour incarner ce super-espion au nerf d'acier, toujours capable d'analyser froidement une situation pour en tirer le meilleur parti, l'acteur impressionne surtout par sa faculté à laisser entrevoir derrière ce masque de professionnalisme des émotions qu'il sait transmettre au téléspectateur : si les mots sont toujours réfléchis, le regard se fait plus parlant et expressif au cours de certaines scènes qui, sans nécessiter le moindre dialogue, capturent parfaitement les dilemmes et autres tiraillements de l'agent, touchant ainsi le public. Tikhonov est aussi aidé par les adversaires de valeur qu'il doit manœuvrer : Leonid Bronevoy (Müller) et Oleg Tabakov (Schellenberg) se révèlent parfaitement à la hauteur des affrontements relatés. A leurs côtés, on retrouve Rostislav Plyatt, Yuri Vizbor, Mikhail Zharkovsky, Nikolai Prokopovich, Nikolai Volkov, Yekaterina Gradova, Yevgeniy Kuznetsov, Lev Durov, Svetlana Svetlichnava ou encore Vasily Lanovoy.

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Bilan : Seventeen Moments of Spring est une prenante fiction d'espionnage, au scénario complexe et au suspense très efficace. Elle met en scène des protagonistes travaillés -qu'il s'agisse de l'espion soviétique ou bien des quelques individualités qui ressortent parmi les dignitaires nazis- dont elle orchestre avec soin les confrontations. Son rythme lent laisse la part belle à l'analyse et à la réflexion : c'est une partie létale, admirablement menée, qui se joue au QG SS, loin de tout coup d'éclat. L'ensemble n'est cependant pas dénué d'émotion et d'humanité. Par ailleurs, d'un point de vue de téléspectateur occidental, la série présente un intérêt particulier puisqu'elle propose la fin de la Seconde Guerre Mondiale à travers un regard russe avec, déjà, la future Guerre Froide en ligne de mire qui se perçoit dans la mise en scène méfiante des autres Alliés.

Une série donc recommandée aux sériephiles curieux et à tout amateur de fiction d'espionnage, en particulier ceux qui ont apprécié les perles du genre des années 70 que sont Tinker, Tailor, Soldier, Spy et The Sandbaggers. Et, pour une fois, ce sera l'occasion de voir mis en scène un espion soviétique... par une série soviétique. Ce fut en tout cas pour moi une très intéressante découverte.


NOTE : 8/10


Une bande-annonce de la série (dans sa version colorisée) :

La dernière image de la série (avec la chanson la plus récurrente de la bande-son) :

19/10/2013

(RUS) Ма́стер и Маргари́та / Master i Margarita (Le Maître et Marguerite) : un conte fantastique dans l'URSS des années 30


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Aujourd'hui, c'est en Russie que My Télé is Rich! pose ses valises. Il faut dire qu'à force de suivre les aventures d'agents russes à l'étranger, la curiosité a logiquement fini par prendre le dessus. Si bien qu'après avoir terminé Ta Gordin, la plus russe des séries israéliennes, j'ai eu une envie soudaine de mettre le cap sur la Russie. Les habitués du blog se souviendront que cela n'est pas notre première escale dans ce pays, déjà évoqué l'année dernière, lors de la découverte de Небесный Суд (Nebesnyi Soud), une mini-série fantastique versant dans la comédie noire. Si les informations qui nous parviennent de ce petit écran concernent souvent des remakes de fictions occidentales, c'est une autre source d'inspiration qui aiguisait mon intérêt : les adaptations littéraires. C'est finalement sur une série qui m'a été recommandée l'année dernière que j'ai portée mon choix.

Ма́стер и Маргари́та (Master i Margarita) est une adaptation du fameux roman de l'écrivain Mikhaïl Boulgakov, écrit entre 1928 et 1940, et publié en France sous le titre Le Maître et Marguerite. Cette série a été scénarisée et réalisée par Vladimir Bortko, qui n'en était pas à son coup d'essai dans cet exercice puisqu'il avait porté à l'écran en 2003, L'Idiot de Fiodor Dostoïevski. Master i Margarita compte 10 épisodes de 45 à 50 minutes environ. Diffusée sur Telekanal Rossiva fin 2005, elle y a réalisé des scores d'audience impressionnants. Dans sa narration, elle est réputée très proche du roman d'origine - la durée de presque 8 heures au total permettant d'éviter les coupes sombres. J'avoue que je me suis lancée sans avoir lu au préalable le livre. Sa connaissance donne sans doute une autre dimension au visionnage, mais cela n'en reste pas moins un conte fantastique à plusieurs niveaux de lecture franchement jubilatoire.

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Master i Margarita plonge le téléspectateur dans l'URSS des années 30. Plusieurs histoires s'y entrecroisent autour des actions d'un mystérieux magicien étranger, nommé Woland, qui vient de débarquer en ville accompagné de divers acolytes surprenants, dont un grand chat noir qui parle du nom de Behemoth. Manifestation de Satan, il est venu juger de la population moscovite après tous les bouleversements qui ont eu lieu dans le pays. Insaisissable pour un NKVD dépassé qui n'en frappe pas moins impitoyablement, il sème la zizanie dans la capitale russe, agitant une bureaucratie soviétique médiocre et corrompue.

Parallèlement, une partie de Master i Margarita se déroule à Jerusalem au Ier siècle de notre ère. On y découvre Ponce Pilate devant faire face au procès de Jésus. Deux millénaires plus tard, dans l'URSS des années 30, le dignitaire romain est également le personnage principal d'un roman écrit par le Maître, un écrivain qui a été détruit psychologiquement par les critiques ayant visé cet ouvrage. S'il est désormais interné dans un hôpital psychiatrique, c'est l'amour que lui porte Marguerite, son amante, qui va lui ouvrir une voie vers le salut, lorsque la jeune femme est sollicitée par Woland lui-même pour être sa reine le temps d'une soirée très spéciale.

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Influencée par Faust, Master i Margarita est une œuvre foisonnante et extrêmement riche, offrant plusieurs niveaux de lecture. Sa tonalité se fait grinçante, à la fois comique et horrifique, n'hésitant pas à verser dans le burlesque et l'excessif. Maniant habilement le fantasque et l'absurde, l'histoire part dans de nombreuses directions, et progresse grâce à des développements et à des chutes qui aiment dérouter le téléspectateur, défiant constamment l'imaginaire et ses attentes. Prenant plaisir à repousser les limites, l'ensemble apparaît aussi original que surprenant, s'affranchissant de toutes les conventions. Il forme une sorte de tourbillon inclassable, proprement jubilatoire et réjouissant, dans lequel il est aisé de se prendre au jeu.

La richesse de Master i Margarita tient aussi au fait que la série se réapproprie plusieurs genres différents. Elle est tout d'abord une fable fantastique mettant en scène le Mal. Autour de Woland qui en constitue l'incarnation, se presse une suite de créatures surnaturelles venues troubler le calme moscovite, des vampires jusqu'aux sorcières. La partition maléfique jouée par le maître de cérémonie se déroule sans rencontrer le moindre obstacle, semant désordre et mort jusqu'au bouquet final qu'est ce bal des damnés rassemblant toute l'élite envoyée derrière les portes de l'Enfer. Les confrontations entre Woland, ses acolytes et les divers dignitaires soviétiques se révèlent souvent savoureuses par leur noirceur, et l'art avec lequel elles ridiculisent invariablement ces derniers.

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Le visionnage de Master i Margarita ne peut pas non plus être détaché des conditions d'écriture du livre d'origine, rédigé justement dans cette URSS des années 30. Au sein d'une Russie communiste où l'athéisme s'est répandu, la remise en cause de toute croyance trouble Woland : la population moscovite a-t-elle changé ? Pour donner le ton, la série s'ouvre avec une discussion philosophique sur l'existence de Dieu entre un responsable de la scène littéraire et un poète. Le magicien s'y invite. Par la suite, il va toujours prendre un malin plaisir à dérouter et à attiser les instincts les plus bas des bureaucrates qu'il croise. C'est un portrait satirique des élites soviétiques qui s'esquisse, confrontées à des évènements surnaturels dépassant leur entendement et les laissant sans réponse, jusqu'au NKVD, ombre omniprésente mais réduite à l'impuissance.

Faisant intervenir de nombreux protagonistes, Master i Margarita multiplie les storylines au sein d'un récit extrêmement touffu. Elle réécrit des évènements bibliques, proposant sa propre version du procès de Jésus par Ponce Pilate, s'intéressant au dilemme posé à un dignitaire romain paralysé par sa propre lâcheté. Dans la Russie des années 30, Pilate devient le personnage central inattendu, tiraillé par sa culpabilité, d'un roman écrit par le Maître, scellant ainsi l'étrange lien qui va unir ces différentes destinées. La série se mue en histoire d'amour pour traiter de la relation entre l'écrivain déchu et la belle Marguerite. Entre recherche d'une libération et de la rédemption, le récit prend un tournant inattendu lorsque la jeune femme accepte l'offre de Woland qui la propulse reine de l'Enfer le temps d'une soirée. C'est au final une quête douloureuse vers la paix que tous ces personnages entreprennent.

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Sur la forme, Master i Margarita est une série très travaillée, où l'effort fait pour correspondre aux diverses ambiances du récit est manifeste. La réalisation joue principalement sur les couleurs, passant d'un noir & blanc très pâle à des scènes autrement plus colorées en fonction des lieux et des époques. Fantastique oblige, il lui faut recourir à l'occasion à des effets spéciaux : qu'il s'agisse de survoler la ville sur un balai ou bien de donner une réception pour les damnés, il faut avouer que les effets sont diversement réussis. Ce n'est pas un point fort de la fiction, mais cela restera à peu près correct. Enfin, l'ensemble bénéficie d'une impressionnante bande-son uniquement composée d'instrumentaux musicaux qui confèrent une belle dimension lyrique au récit.

Quant au casting, il est globalement homogène, et permet à toute cette vaste galerie de personnages hauts en couleur de prendre vie. Marguerite est interprétée par Anna Kovalchuk, tandis que le Maître est incarné par Aleksandr Galibin (à noter qu'il est doublé dans la série par Sergey Bezrukov qui joue également Jésus). C'est Oleg Basilashvili qui interprète le mystérieux et inquiétant Woland. Vladislav Galkin joue quant à lui le poète témoin de la mort de Berlioz qui débute la longue liste d'internés en hôpital psychiatrique à cause des évènements. Quant aux acolytes de Woland, ils sont joués par Aleksandr Abdulov, Aleksandr Filippenko et Aleksandr Bashirov. A Jerusalem, Kirill Lavrov incarne Ponce Pilate. A leurs côtés, une foule de figures secondaires se succèdent.

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Bilan : Satan, un chat qui parle, un écrivain désabusé, Ponce Pilate, une sorcière, le tout avec pour toile de fond l'URSS des années 30 et le NKVD, autant d'ingrédients qui font de Master i Margarita une série inclassable, jubilatoire et particulièrement savoureuse. Peuplé de figures fantasques et hautes en couleurs, ce conte fantastique joue sur divers registres, entre la comédie burlesque et horrifique, la satire politique et même l'histoire d'amour. Bénéficiant d'un récit dense, extrêmement riche, la série n'évite pas quelques longueurs, sans doute en partie dues à la fidélité de l'exercice d'adaptation, mais l'ensemble aboutit à créer une œuvre résolument à part dans laquelle le téléspectateur se laisse entraîner avec beaucoup de plaisir.

J'ai donc passé un très bon moment devant cette mini-série, et ma curiosité actuelle pour la Russie n'en a été que plus encouragée. J'ai commandé le livre Le Maître et Marguerite pour découvrir l'original, car j'imagine que la transposition à l'écran a pu laisser de côté certains aspects d'un roman au concept tellement fascinant. Quant à mes explorations téléphagiques, je me dis que L'Idiot du même Vladimir Bortko peut être un prochain projet de visionnage très intéressant. A suivre.


NOTE : 7,5/10


Un extrait de la première conversation de la série (sous-titré en français) :

Un extrait d'un épisode ultérieur (toujours sous-titré en français) :

01/04/2012

(Pilote RUS) Небесный Суд (Nebesnyi Soud) (Le Tribunal Céleste) : une dépaysante comédie noire qui revisite le passage de la vie à la mort


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Après l'Estonie dimanche dernier (avec la découverte de la très poignante Klass - Elu pärast), My Télé is Rich! met le cap encore un peu plus à l'Est, et franchit de nouvelles frontières, direction.... la Russie ! Avant aujourd'hui, l'image que j'avais des séries russes reposait principalement sur les descriptions pas forcément très attractives d'une de mes meilleures amies, russophone, qui a vécu plusieurs années en Russie et en Ukraine. Mais il y a quelques jours, sur Subfactory, un billet de Nao évoquait une comédie noire qui semblait des plus appropriées pour oublier mes préconceptions (et donc un grand merci à elle). La curiosité piquée, les sous-titres français du pilote disponibles, c'est donc un nouveau pays que j'ai découvert ce week-end !

Небесный Суд (Nebesnyi Soud), qui peut se traduire en français par Le Tribunal Céleste, est une mini-série qui compte 4 épisodes de 45 minutes environ. Créée et réalisée par Alyona Zvantsova, elle a été diffusée durant le mois d'octobre 2011 en Ukraine, sur STB (EDIT : et pas encore diffusée en Russie pour le moment). Série abordant des thèmes plutôt sombres avec une légèreté revendiquée, elle revisite la mort et ses suites, en prenant soin de créer une mythologie bien à elle, empruntant au legal drama comme au fantastique. Et je dois dire que ce pilote a été pour moi une jolie surprise.

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Lorsqu'un être humain meurt, son âme se dirige alors vers le Tribunal Céleste devant lequel elle va devoir comparaître. Composé d'un personnel de mortels ordinaires, qui ont été affectés après leur mort au fonctionnement de cette administration très particulière, c'est à cette institution qu'il appartient de juger l'âme du récent défunt, avant que ses funérailles n'aient été célébrées. Généralement, deux directions peuvent être prises : non pas ce que l'on désigne communément par le Paradis ou l'Enfer, mais ce qui s'appelle désormais le secteur du repos ou le secteur de la réflexion.

Pour prendre sa décision, le tribunal se prononce en étudiant quelle a été la dernière action de l'individu, laquelle est censée refléter la vie qu'il a menée. Un véritable "procès" a lieu, voyant s'affronter un procureur, qui va mettre l'accent sur les comportements moralement condamnables du défunt, tandis que ce dernier est représenté et défendu par un avocat. Pour les aider dans leurs tâches respectives, ces deux juristes d'un genre à  part ont accès aux souvenirs, et même aux rêves, de celui dont l'âme est placée dans la balance de la justice céleste. 

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Nebesnyi Soud se révèle être une comédie noire surprenante, qui va rapidement pleinement prendre la mesure de son étonnant concept de départ. Dotée d'une narration soutenue et sans temps mort, la série est rythmée par des dialogues ne manquant pas de réparties, où perce une pointe de désillusion teintée de détachement. Adoptant une tonalité plutôt légère pour traiter d'un sujet normalement grave, ce mélange provoque des passages vraiment réjouissants. De plus, la série marque également par le dépaysement occasionné. Faisant preuve d'une inventivité à saluer, elle séduit le téléspectateur par sa diffuse excentricité, par l'étrangeté rationalisée dans laquelle elle évolue. Elle dévoile en effet peu à peu un univers mythologique travaillé, autour de la mort - ou plus précisément, sur le point de passage vers l'au-delà. 

Faisant preuve d'un réel sens du détail, Nebesnyi Soud nous décrit le fonctionnement du Tribunal Céleste comme celui d'une véritable administration judiciaire classique, avec ses règles, mais aussi ses passe-droits. C'est tout un service ordonné, mais également très vivant, qui prend forme sous les yeux du téléspectateur. La série ne manque pas d'imagination pour crédibiliser ce milieu. C'est ainsi qu'on découvre avec curiosité les différents services qui s'y côtoient : il y a la salle de projection des souvenirs des âmes jugées, ou encore l'éventuel envoi d'un dernier message à un être cher proposé discrètement au défunt (... via un oiseau !). On a également un aperçu de toutes les procédures suivies pour mener à bien le "procès" : le possible emprunt d'une enveloppe corporelle par les avocats qui souhaitent se rendre sur le "terrain" (= dans le monde des vivants) pour enquêter de plus près sur certains évènements, ou bien la convocation de témoins encore en vie, comparaissant alors durant leur sommeil...

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Le premier épisode de Nebesnyi Soud se révèle donc très efficace pour familariser le téléspectateur avec les enjeux et les coulisses de ce Tribunal Céleste, mais aussi pour faire connaissance avec les deux protagonistes principaux ; deux duettistes judiciaires qui s'affrontent pour - à proprement parler - le salut de l'âme du défunt. Opportunément, pour justement pousser chacun dans ses retranchements, le cas du jour a une saveur particulière : l'homme qui comparaît venait en effet de faire sa demande en mariage à la veuve... du procureur. Autant dire que ce dernier prend plutôt mal la chose, et entreprend de ressortir tous les souvenirs les plus incriminants du décédé, voulant lui faire gagner un aller simple pour le si bien nommé "secteur de la réflexion". La série emprunte ici sa dynamique au legal drama, qu'elle transpose dans un cadre fantastique, pour aboutir à un affrontement qui ne manque pas de piquant (et de discussions surprenantes !).

De plus, si on en sait encore assez peu sur eux, les personnages trouvent vite leurs marques. Même s'ils s'opposent "professionnellement" à l'audience, les représentants de la défense et de l'accusation sont aussi des amis. Le téléspectateur s'attache en premier lieu à l'avocat : il séduit instantanément par son sens de la formule et de l'argumentation dans des causes même désespérées, comme l'illustre sa première plaidoirie où il tente tant bien que mal d'expliquer en quoi la dernière action de son client - avoir tué un chat - n'a pas la gravité qu'on lui prête. De son côté, le procureur s'humanise vers la fin de l'épisode, la convocation de sa femme comme témoin à la barre lui faisant perdre ce masque d'intransigeance qu'il a porté obstinément durant tout l'épisode. De manière générale, c'est tout le personnel du tribunal qui trouve sa place, la femme en charge des projections des souvenirs ou celui qui prête les enveloppes corporelles s'imposent en quelques scènes. Ainsi, non seulement la série crée un service administratif cohérent, mais elle n'oublie pas de soigner la caractérisation de ceux qui y officient.

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Sur la forme, Nebesnyi Soud se révèle aussi relativement bien maîtrisée. Si mon fichier video n'avait pas une qualité permettant de pleinement l'apprécier, la réalisation use d'effets simples mais efficaces pour transposer à l'écran cet univers : des filtres de couleurs permettent de distinguer le Tribunal Céleste du monde des vivants dans lequel on fait quelques incursions. La Terre garde ainsi ses couleurs naturelles, tandis que c'est une dominante bleue froide qui est utilisée pour les scènes de cet entre-deux judiciaire et un filtre beige pour les souvenirs qui sont projetés sur un écran, sorte d'images de vieux films, dans ce qui s'apparente à une salle de cinéma. Quant à la bande-son, la musique y est entraînante et rythmée, sans être omniprésente : elle accompagne bien l'ambiance générale à la fois légère et sombre dans laquelle s'épanouit la série.

Enfin, Nebesnyi Soud bénéficie d'un casting globalement solide, surtout du côté de ses acteurs principaux. Pour interpréter les deux juristes d'un genre très particulier qui s'affrontent à l'audience, on retrouve d'une part Konstantin Khabenskiy, qui joue un procureur froid et méthodique - qui a cependant ses failles ; il est possible de le déstabiliser lorsque sa femme, qu'il a laissée derrière lui, est évoquée -, et d'autre part   Mikhail Porechenkov, qui fait des merveilles dans un registre d'avocat sophiste qui propose les interprétations les plus surprenantes pour défendre les actions de ses clients.

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Bilan : Comédie noire qui se réapproprie avec aplomb la thématique du passage de la vie à la mort, dotée d'une diffuse excentricité, Nebesnyi Soud mêle habilement une dynamique propre aux legal dramas et des éléments de fantastique grâce auxquels elle se construit rapidement une mythologie cohérente et travaillée. Dépaysante et inventive, sa tonalité légère et ses dialogues rythmés, souvent cocasses, la rendent très plaisante à suivre. Le téléspectateur se laisse ainsi prendre au jeu ; et le visionnage de ce pilote a été pour moi une très intéressante découverte. 
 
J'espère que les trois épisodes suivant seront également sous-titrés (notez bien qu'il s'agit de sous-titres français, donc n'hésitez pas à être curieux) !


NOTE : 7,5/10
 

La bande-annonce :