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16/01/2014

(RUS) Семнадцать мгновений весны / Semnadtsat mgnoveniy vesny (Seventeen Moments of Spring) : un espion soviétique dans les cercles du pouvoir nazi



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La figure de l'espion Russe continue d'inspirer les chaînes de télévision ces dernières années : aux États-Unis, la saison 2 de The Americans arrivera sur FX le mois prochain, tandis qu'ABC proposait de débuter 2014 dans les années 80 en cherchant à débusquer une taupe soviétique à la CIA avec The Assets. Inspirée d'une histoire vraie, cette dernière mini-série n'aura cependant tenu que deux épisodes avant d'être sacrifiée sur l'autel des audiences le week-end dernier. Un peu auparavant, il est aussi possible d'évoquer Ta Gordin en Israël qui, pareillement, mettait en scène les démêlés d'agents russes, de nos jours. Histoire de contrebalancer ces présentations et de poursuivre mes explorations de fictions d'espionnage, il était donc temps de changer de perspective, et de se placer, non plus du point de vue du pays infiltré, mais de celui de la Russie. Ou plus précisément de l'URSS !

Si My Télé is rich! a déjà eu l'occasion de parler à plusieurs reprises de séries russes, c'est la première fois que je remonte vraiment le temps dans le petit écran de ce pays : aujourd'hui, je vous propose de nous intéresser à une fiction soviétique, diffusée en 1973. Comportant 12 épisodes, de 70 minutes environ, Semnadtsat mgnoveniy vesny (Seventeen Moments of Spring) avait été proposée à l'époque en noir & blanc ; une version colorisée existe depuis 2009, mais elle conduit à faire perdre une quinzaine de minutes à chaque épisode, d'où la préférence accordée à l'originale. Réalisée par la cinéaste Tatyana Lioznova, cette série est une adaptation d'un livre de Yulian Semyonov. Elle met en scène une figure soviétique populaire de l'espionnage, Maxim Isaev, dont les aventures ont été relatées dans toute une suite de romans. Communément considérée comme un des thrillers soviétiques les plus aboutis dans le registre des jeux d'espion, cette série reste aussi l'une des plus populaires de l'histoire télévisée russe. Un grand merci à Greg pour m'avoir incité à débuter l'année 2014 avec ce très intéressant rattrapage.

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Si les conditions de création de Seventeen Moments of Spring, perceptibles à l'écran, sont celles de la Guerre Froide, la série traite d'une période antérieure. Elle se déroule à la fin de l'hiver 1945 en Allemagne. L'issue de la Seconde Guerre Mondiale ne fait alors plus guère de doute, mais ce qui est déjà en jeu dans l'esprit des différents protagonistes, c'est le sort de l'Europe après la capitulation nazie. Sur ce point, les Alliés -Américains et Anglais d'une part, Soviétiques d'autre part- ne partagent pas les mêmes vues. Essayant de tirer leur épingle de l'opposition latente existant au sein du camp adverse, des dignitaires nazis tentent d'initier des négociations de paix séparées, pour en finir avec le front ouest et présenter un rempart contre le communisme en Europe.

Max Otto von Stierlitz est un officier SS du service de renseignements (SD). S'il est parfaitement intégré dans les cercles du parti et du pouvoir nazi à Berlin depuis les années 30, son vrai nom est en réalité Maxim Isaev. Il est un colonel soviétique qui, non seulement transmet des informations importantes sur le régime, mais sabote aussi à l'occasion certains des projets de ce dernier. Il a su jusqu'à présent rester insoupçonné dans ce jeu d'échecs dangereux qu'il mène au sein des hautes sphères du pouvoir. En février 1945, Moscou le contacte au sujet de rumeurs de négociations séparées commencées en Suisse par un haut responsable du régime. Stierlitz a pour mission de déterminer la réalité de cette information et d'empêcher, si elle s'avère confirmée, que ces discussions aboutissent. Au sein d'un régime qui se sait condamné, l'agent soviétique va jouer une partie extrêmement risquée, d'autant que certains s'interrogent sur ses agissements passés...

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Seventeen Moments of Spring est une fiction d'espionnage finement menée. Délaissant le registre de l'action, elle s'inscrit dans un registre aussi feutré que tendu, dans lequel chaque protagoniste avance ses pions, jouant une partie dont il est parfois le seul à connaître l'existence. Le récit est complexe, cultivant une tension psychologique de plus en plus pressante au fur et à mesure que l'intrigue progresse. Les jeux d'espions mis en scène n'ont rien de coups d'éclats : ils reposent avant tout sur l'analyse, la réflexion, la logique et une prise de risque calculée pour atteindre l'objectif fixé. Une grande partie des manœuvres de Stierlitz consiste ainsi à prendre la bureaucratie SS à son propre piège de ses concurrences entre services, de ses querelles d'égos et de sa rigidité de fonctionnement. L'agent soviétique exploite les allégeances diverses au sein des cercles de pouvoir nazis pour mener à bien une partie où la moindre erreur, la plus petite faille dans ses justifications, peut lui être fatale. Le suspense est souvent intense, le danger permanent. A fortiori dans le contexte particulièrement fébrile de ce dernier hiver 1945 où tout paraît exacerbé : le soin même avec lequel Stierlitz s'efforce d'afficher une loyauté en apparence irréprochable finit par être source de soupçons à une période où ce sont les fondations du régime qui vacillent...

Si Seventeen Moments of Spring met en scène un agent soviétique aux nerfs d'acier, maître espion par excellence, cette figure idéale s'impose si fortement à l'écran parce que Stierlitz est justement confronté à des adversaires de choix qui ne sont pas cantonnés à une simple fonction de faire-valoir. Initialement, la série met l'accent sur ce qui réunit tous ces dignitaires nazis : ils semblent tous sortir du même moule à en croire les caractéristiques égrenées par les fichiers des services secrets soviétiques dont les présentations sonnent vite répétitives. Mais leurs aspirations et leurs modes de fonctionnement sont très divers. Le QG des SS, où une grande partie de l'action se déroule, devient un huis clos où chacun semble servir son propre agenda, manipulant, espionnant, omettant de transmettre des informations... Plusieurs individualités se démarquent par leur intelligence, comme autant de pièces-maîtresses sur l'échiquier que doit exploiter Stierlitz ; autant de pièces qui visent également au contrôle de l'échiquier. Un affrontement particulier, avec Heinrich Müller, offre quelques face-à-face d'une rare maîtrise et d'une intensité marquante. Ajoutant une tension supplémentaire, tous ont conscience de l'imminence de la défaite, de l'écroulement à venir du régime nazi. La série apparaît donc aussi en filigrane comme le portrait d'une institution condamnée.

Cette fin d'hiver 1945 confère d'ailleurs une dimension supplémentaire au récit, y compris pour Stierlitz qui a dû faire ses propres sacrifices pour maintenir sa couverture et une infiltration qui dure depuis les années 30. Si le professionnalisme de l'agent n'est jamais pris en défaut, avec une forme de célébration perceptible dans certaines scènes, Seventeen Moments of Spring n'est pas pour autant une fiction dénuée d'émotions. Les sentiments n'ont certes pas leur place dans les jeux d'espions létaux mis en scène, mais les protagonistes n'en demeurent pas moins des êtres humains. La façade présentée par le maître-espion soviétique n'est donc pas imperturbable. A ce titre, sa vie personnelle n'est pas ignorée : marié en URSS, Stierlitz n'a revu qu'une seule fois sa femme depuis le début de sa mission. Les services secrets russes avaient arrangé une rencontre dans un restaurant, mais les deux époux n'ont pu échanger directement pour des raisons de sécurité. Il s'ensuit une scène muette à l'écran, où un long regard croisé apparaît plus expressif que tout dialogue. Choisir entre les exigences de la mission et ce que, impulsivement, tout être humain ferait, est un arbitrage constant, dont la difficulté n'est jamais niée. Le sort de Katherin et de son enfant sera pareillement une source de dilemme que la série saura souligner.

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Sur la forme, Seventeen Moments of Spring bénéficie d'une réalisation soignée. Une voix off fait office de narrateur omniscient : guidant le téléspectateur dans le récit, elle le glisse également dans les pensées des personnages, offrant des parenthèses narratives instructives qui, si le style peut dérouter, permettent d'apporter une épaisseur supplémentaire au récit. De plus, la série a fréquemment recours à des images d'archives, présentant de cette manière des évènements ou des figures historiques. Si le récit n'est pas exempt d'inexactitudes historiques, cette inclusion de documents vidéos d'époque immerge vraiment le téléspectateur dans les enjeux du conflit. La bande-son ne laisse pas non plus indifférent, avec quelques chansons récurrentes, dont les versions chantées ou musicales rythment l'ouverture et la fin des épisodes, ainsi que plusieurs scènes marquantes. Les versions chantées, teintées d'une certaine mélancolie, sont interprétées par Joseph Kobzon qui -comme le soulignait Greg dans son commentaire- n'est pas un inconnu des sériephiles explorateurs puisqu'il figurera deux décennies plus tard dans la bande-son d'un des dramas sud-coréens les plus marquants des années 90, The Sandglass.

Enfin, un dernier élément qui permet à Seventeen Moments of Spring de se démarquer est la performance d'ensemble d'un casting très solide. Stierlitz est interprété par Vyacheslav Tikhonov (Voyna i mir -la version soviétique des années 60 de Guerre & Paix). S'il n'a pas son pareil pour incarner ce super-espion au nerf d'acier, toujours capable d'analyser froidement une situation pour en tirer le meilleur parti, l'acteur impressionne surtout par sa faculté à laisser entrevoir derrière ce masque de professionnalisme des émotions qu'il sait transmettre au téléspectateur : si les mots sont toujours réfléchis, le regard se fait plus parlant et expressif au cours de certaines scènes qui, sans nécessiter le moindre dialogue, capturent parfaitement les dilemmes et autres tiraillements de l'agent, touchant ainsi le public. Tikhonov est aussi aidé par les adversaires de valeur qu'il doit manœuvrer : Leonid Bronevoy (Müller) et Oleg Tabakov (Schellenberg) se révèlent parfaitement à la hauteur des affrontements relatés. A leurs côtés, on retrouve Rostislav Plyatt, Yuri Vizbor, Mikhail Zharkovsky, Nikolai Prokopovich, Nikolai Volkov, Yekaterina Gradova, Yevgeniy Kuznetsov, Lev Durov, Svetlana Svetlichnava ou encore Vasily Lanovoy.

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Bilan : Seventeen Moments of Spring est une prenante fiction d'espionnage, au scénario complexe et au suspense très efficace. Elle met en scène des protagonistes travaillés -qu'il s'agisse de l'espion soviétique ou bien des quelques individualités qui ressortent parmi les dignitaires nazis- dont elle orchestre avec soin les confrontations. Son rythme lent laisse la part belle à l'analyse et à la réflexion : c'est une partie létale, admirablement menée, qui se joue au QG SS, loin de tout coup d'éclat. L'ensemble n'est cependant pas dénué d'émotion et d'humanité. Par ailleurs, d'un point de vue de téléspectateur occidental, la série présente un intérêt particulier puisqu'elle propose la fin de la Seconde Guerre Mondiale à travers un regard russe avec, déjà, la future Guerre Froide en ligne de mire qui se perçoit dans la mise en scène méfiante des autres Alliés.

Une série donc recommandée aux sériephiles curieux et à tout amateur de fiction d'espionnage, en particulier ceux qui ont apprécié les perles du genre des années 70 que sont Tinker, Tailor, Soldier, Spy et The Sandbaggers. Et, pour une fois, ce sera l'occasion de voir mis en scène un espion soviétique... par une série soviétique. Ce fut en tout cas pour moi une très intéressante découverte.


NOTE : 8/10


Une bande-annonce de la série (dans sa version colorisée) :

La dernière image de la série (avec la chanson la plus récurrente de la bande-son) :

10/11/2013

(US) Tour of Duty (L'Enfer du Devoir) : chronique de la guerre du Vietnam

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Aujourd'hui, c'est une plongée dans mes archives sériephiles que je vous propose. Le mois dernier, en pleine phase de rangement, j'ai mis la main sur un vieux disque dur externe sur lequel figurait l'intégrale de Tour of Duty (L'Enfer du devoir en VF). Diffusée de 1987 à 1990 sur CBS, cette série américaine compte trois saisons, soit 58 épisodes au total. L'époque était alors propice au traitement d'un tel sujet, puisque, dans la lignée de Platoon, la télévision américaine lancera plusieurs séries sur ce thème à l'image, par exemple, de China Beach sur ABC. C'est à l'occasion d'un revisionnage intégral il y a quelques années que j'en étais venue à vraiment apprécier Tour of Duty. Car, si les années 2000 ont redéfini le genre des séries de guerre, avec des approches très différentes, de Band of Brothers à Generation Kill, cette série des années 80 demeure un solide classique du petit écran qui mérite de ne pas être oublié.

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Tour of Duty relate le quotidien d'une unité de combat durant la guerre du Vietnam, évoquant tout ce qui rythme la vie des soldats sur le terrain, des opérations dans la jungle jusqu'aux journées de repos et autres permissions. La série se construit en premier lieu autour de la dynamique qui s'installe entre les deux officiers supérieurs de l'unité : elle emprunte ici une recette familière, mais qu'elle sait parfaitement exploiter, en associant un jeune officier tout droit sorti de l'école, le lieutenant Goldman, et un sergent vétéran qui a déjà fait plusieurs tours au Vietnam, Anderson. Cela n'ira pas sans friction, mais ces deux fortes personnalités vont progressivement apprendre à travailler ensemble, établissant un rapport de confiance qui sera une des fondations de l'unité (même s'il faudra pour cela, beaucoup de patience à Anderson). Tour of Duty ne se limite cependant pas aux seuls responsables : multipliant les points de vue, c'est toute une troupe de soldats qui est mise en scène et va ainsi peu à peu devenir familière au téléspectateur.

Véritable fiction chorale, cette série est entièrement dédiée à des personnages dont on va suivre les évolutions et les épreuves traversées en trois saisons. Si le récit privilégie l'aspect humain, il ne néglige pas pour autant une reconstitution historique travaillée. En effet, l'unité de combat est un microcosme reflétant la société américaine de la fin des années 60. Faisant cohabiter des soldats de toutes origines, elle apparaît comme un miroir des tensions raciales et politiques qui traversent alors les Etats-Unis. Elle leur fait apprendre à vivre ensemble loin de leur pays, tout en abordant aussi la réception de certains évènements marquants qui s'y déroulent comme l'assassinat de Martin Luther King. Concernant la situation sur le terrain, le souci de réalisme est particulièrement perceptible durant la première saison, où chaque épisode permet d'illustrer un thème et une réalité à laquelle sont confrontés les combattants américains. Tout cela confère à la série une impression d'authenticité, renforcée par le regard général qui est porté sur cette guerre, ni manichéen, ni patriotique.

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Au fil des saisons, Tour of Duty se recentre progressivement sur les vies personnelles et les épreuves de quelques personnages, avec une mise en scène moins rigoureuse du versant militaire. L'attrait demeure pourtant, notamment parce que l'écriture conserve toujours une richesse de tonalités et une multiplicité d'approches appréciables. En effet, la série joue sur plusieurs registres. Elle est capable d'être une solide fiction de guerre, un drame dur éclairant toutes les horreurs et tous les traumatismes que subiront ses protagonistes. Mais elle sait aussi proposer des interludes, n'ayant pas son pareil pour délivrer des dialogues ironiques et complices qui font mouche. La détresse, l'amertume, mais aussi le désir de continuer à vivre, s'entremêlent et cohabitent constamment. La fiction glisse également parfois vers du sentimental, avec quelques histoires d'amour (qui finiront généralement mal). Tour of Duty fait ainsi preuve de beaucoup d'habileté dans sa gestion des tons. Elle est extrêmement vivante, engageante pour un téléspectateur qui n'a aucune peine à s'impliquer aux côtés des différents personnages.

Le point sur lequel elle a le plus vieilli est certainement la forme, avec des combats qu'on peut juger, vingt-cinq ans plus tard, perfectibles dans leur mise en scène. L'ensemble reste cependant correct. Il est surtout un point sur lequel sa saveur demeure intacte : sa bande-son (elle lui a d'ailleurs fait gagner un Emmy Award). Tour of Duty est un vrai bijou d'incursion musicale dans les 60s', une compilation riche et bien utilisée. On y retrouve, rythmant les épisodes, des chansons emblématiques d'une époque, à commencer par celle qui figure au générique, la fameuse Paint it, Black des Rolling Stones à laquelle mon esprit l'associe toujours (cf. la vidéo ci-dessous). Enfin, la série bénéficie d'un casting homogène. Terence Knox interprète le sergent Anderson, tandis que Stephen Caffrey joue le lieutenant Goldman. On croise également Tony Becker, Ramon Franco, Miguel A. Nunez Jr, Stan Foster, mais aussi Kim Delaney, Steve Akahoshi, Eric Bruskotter, John Dye ou encore Dan Gauthier.

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Bilan : Chronique de guerre du Vietnam proposant une reconstitution historique travaillée, Tour of Duty relate le quotidien d'une unité sous forme de récit choral offrant différents points de vue. Capturant les tensions qui traversent la société américaine de la fin des années 60, la série ne néglige aucun des grands thèmes sociaux et politiques que son sujet permet d'aborder, tout en délivrant, sans manichéisme, un récit de guerre souvent dur et dramatique. C'est une œuvre profondément humaine qui met en avant les liens qui se tissent entre ses personnages. Elle sait aussi exploiter une tonalité changeante, où le désespoir côtoie la féroce envie de survivre, avec l'ironie pour seule arme. L'immersion dans les 60s' est parachevée par une bande-son géniale qui vient rythmer l'ensemble, soulignant un peu plus cette recherche d'authenticité et de reflet d'une époque.

Vingt-cinq ans après, Tour of Duty demeure donc une série très solide dont les ingrédients fonctionnent toujours, qu'importe si elle n'a pas la mise en scène d'une des fictions de guerre de HBO. Elle mérite assurément un revisionnage, ou même une découverte pour tout sériephile qui s'intéresse à un tel genre ou sujet.


NOTE : 7,5/10


Le générique (tellement marquant) de la série :

12/07/2013

(Mini-série UK) Smiley's People (Les Gens de Smiley) : l'ultime confrontation de deux maîtres-espions


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Aujourd'hui, je vous propose de poursuivre mon cycle "Espionnage" avec un grand classique du petit écran britannique : Smiley's People (Les Gens de Smiley). Il s'agit du dernier acte d'une trilogie de l'écrivain John Le Carré, commencée avec Tinker Tailor Soldier Spy (La Taupe), puis qui s'est poursuivie dans The Honourable Schoolboy (Comme un collégien). Le premier roman a fait l'objet d'une adaptation en mini-série par la BBC en 1979, et les plus anciens lecteurs du blog parmi vous se souviendront sans doute combien ce visionnage m'avait marqué. Le second tome, où Smiley tient un rôle moins central, n'a pas été porté à l'écran, la chaîne faisant le choix de se concentrer directement sur l'ultime face-à-face entre Smiley et son vis-à-vis soviétique, Karla.

Smiley's People est un roman qui a été publié en 1979. Son adaptation par la BBC a été diffusée en 1982. Prenant la suite de Tinker Tailor Soldier Spy, elle compte 6 épisodes. Côté casting, Alec Guinness reprend le rôle de George Smiley. Côté coulisses, John Le Carré, pas pleinement satisfait du résultat auquel a abouti la précédente mini-série, décide de plus s'investir dans la conception, non seulement au niveau de la production, mais aussi de l'écriture, puisqu'il en devient co-scénariste aux côtés de John Hopkins. Dans la lignée de Tinker Tailor Soldier Spy, Smiley's People est une incontournable fiction d'espionnage : son intrigue à tiroirs et ses nuances de gris s'appuient sur une solide galerie de personnages.

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Après l'identification de la taupe qui opérait au sein du Cirque (le MI-6) dans Tinker Tailor Soldier Spy, George Smiley avait un temps repris en main le service, puis il a été à nouveau évincé, retournant à cette retraite qu'il avait quittée pour chercher la source des fuites vers l'URSS au sein des renseignements britanniques. Dans Smiley's People, il est à nouveau rappelé pour une ultime mission : elle va venir conclure une confrontation emblématique de cette Guerre Froide qui a façonné un personnel et des méthodes de travail que d'aucuns renvoient désormais au passé. En effet, un ensemble d'évènements remet Smiley sur la piste de son puissant vis-à-vis soviétique, Karla.

Tout commence en France, où une réfugiée russe est sollicitée par les services de l'ambassade soviétique pour procurer des papiers officiels à une jeune femme présentée comme sa fille. Elle en informe le réseau d'un ex-général soviétique en exil, "Vladimir", qui dirige une organisation depuis Londres. Peu de temps après, ce dernier prend contact avec le MI-6 : il réclame de parler à son ancien officier de liaison, Max, pseudonyme de George Smiley. Une rencontre est organisée dans la précipitation. Mais l'ex-officier dissident ne l'atteindra jamais : il est assassiné en chemin. Smiley est alors rappelé en urgence. Il découvre que ses anciens réseaux ont été laissés à l'abandon par les nouveaux dirigeants du MI-6, lesquels le pressent d'éviter de faire la moindre vague : il convient de refermer l'affaire sans que le Cirque y soit associé.

Mais Smiley n'entend pas abandonner celui qu'il considérait comme un vieil ami. Qu'avait découvert Vladimir de si important ? La piste va conduire Smiley en Europe continentale, d'Allemagne jusqu'en Suisse, sur les pas d'un maître-espion soviétique qu'il affronte depuis plusieurs décennies : Karla. 

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Smiley's People est une oeuvre dense. Elle nous plonge dans les coulisses d'un affrontement de l'ombre, résidu d'une Guerre Froide qui a perdu le sens et le manichéisme de ses débuts. Les certitudes des uns et des autres se sont en effet étiolées au fil du temps et des réalités, et la série capture à merveille l'atmosphère désillusionnée, ambivalente et grise que représente le décor dans lequel baignent les services de renseignements. La progression du récit est lente, mais bénéficie d'une écriture d'une richesse rare, dont le soin du détail ne laisse rien au hasard. Tout en s'appuyant sur une galerie de personnages qui sont autant de produits, à des degrés divers, de cette confrontation Est-Ouest, elle dispose de dialogues subtils, où les non-dits semblent parfois peser plus lourds que les paroles échangées à haute voix. La mini-série glisse le téléspectateur dans un puzzle complexe et éclaté, où chaque protagoniste, chaque nouvel élément d'information, constitue une pièce inconnue dont il convient de prendre la mesure pour la replacer correctement et résoudre l'énigme posée par la mort de Vladimir. En fait, chacun est un pion sur un échiquier où se joue une partie qui ne dévoilera son véritable enjeu que lors du dénouement final, aboutissement de l'enquête méthodique et implacable conduite par Smiley.

Smiley's People est ainsi une série qui acquiert toute sa dimension lorsqu'on l'apprécie une fois sa conclusion berlinoise passée : elle est l'occasion d'assister à un ultime face-à-face entre deux maîtres-espions qui sont les symboles d'une époque révolue. Un des grands mérites de cette confrontation finale est qu'elle permet d'esquisser un portrait nuancé et fascinant, chargé d'autant d'ombres que de lumières, de George Smiley. A la fois tenace et usé, l'espion britannique se dédie entièrement à cette investigation qu'il pressent être son dernier coup d'éclat. Armé d'une détermination froide où perce dans le même temps un certain détachement flegmatique, Smiley se réapproprie sans hésitation les armes de son adversaire, usant de tous les moyens de pression dont il dispose... A tel point que la réussite de ses plans ne sera pas l'apogée attendu : la victoire remportée sur Karla semble ne pas avoir de saveur pour Smiley qui y assiste en spectateur. Fatigué, compromis, il paraît avoir laissé filer ses dernières illusions, jusque dans sa vie maritale : le briquet autrefois subtilisé par Karla et qu'il néglige à la fin symbolise son propre abandon de cette épouse volage dont il était tant épris. Smiley's People se conclut de façon plus amère que triomphante, refermant une intrigue parfaitement orchestrée, qui sied très bien à la tonalité ambiante de la mini-série.

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Outre la solidité de son scénario, Smiley's People repose également sur une galerie d'acteurs extrêmement convaincants, au sein de laquelle une partie reprend les mêmes rôles tenus dans Tinker Tailor Soldier Spy trois ans auparavant. Au centre du récit - même si la première demi-heure de la mini-série se déroule sans lui -, on retrouve à nouveau un Alec Guinness parfait. Son interprétation de Smiley est extrêment juste et riche en nuances. Il renvoie une image à la fois froide et posée. A sa persévérance intacte, vient s'ajouter un détachement fatigué, marque de la vieillesse, mais aussi de sa conscience de jouer ce qui est probablement son dernier round dans un milieu de l'espionnage qui a déjà considérablement évolué. En résumé, il se réapproprie pleinement ce personnage littéraire.

En outre, parmi les acteurs de la mini-série précédente, on retrouve également Siân Phillips (I, Claudius), Beryl Reid (The Secret Diary of Adrian Mole Aged 13 3/4), Bernard Hepton (Secret Army, Colditz, Bleak House (1985), The Charmer) ou encore Anthony Bate (Game, Set, and Match). Quant à Patrick Stewart (Star Trek : The Next Generation), il reprend le rôle de Karla, omni-présent en arrière-plan sans avoir à prononcer une seule ligne de dialogue et que l'on apercevra uniquement pour le final berlinois. Parmi les autres figures, on croise également Eileen Atkins (Psychoville, Doc Martin), Curd Jürgens, Maureen Lipman (A Little Princess), Barry Foster (Fall of Eagles), Bill Paterson (Wives and Daughters, Criminal Justice, Little Dorrit, Law & Order UK), Michael Lonsdale, Mario Adorf (Der große Bellheim, La Piovra 4) ou encore Michael Elphick (Harry, Boon).

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Bilan : Dans la lignée de Tinker Tailor Soldier Spy, Smiley's People est une solide fiction d'espionnage, à l'intrigue complexe, dense et bien menée. S'appuyant sur un casting impeccable, elle nous glisse dans une partie de jeux d'espions où tous les coups sont permis, pour un enjeu qui ne se dévoilera que sur la fin lorsque le puzzle reconstitué permettra de prendre la mesure de tout ce qui s'est joué au cours des six épisodes. C'était mon deuxième visionnage de la mini-série en ce début de mois de juillet, et j'en ai peut-être encore plus apprécié les subtilités de l'ultime confrontation qui y est dépeinte, ainsi que celles du portrait qui est proposé de George Smiley. Une fiction incontestablement à ranger parmi les incontournables du genre !


NOTE : 8,5/10


Une bande-annonce de la mini-série :

Les génériques d'ouverture et de fin :

09/06/2013

(FR) Fabien de la Drôme : un western français sous la Révolution

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Parmi les projets au long court de ce blog figure l'exploration du petit écran français des décennies précédentes. Il s'agit plus précisément de ce que j'avais appelé le cycle ORTF qui, de la fascinante Brigade des Maléfices à l'enthousiasmant Voyageur des Siècles (notez qu'un épisode de cette dernière sera proposé au Comic Con' Paris le mois prochain !), en passant par Les Rois Maudits, nous a déjà permis de naviguer et de découvrir quelques jolies perles de la télévision française des années 60-70. Aujourd'hui est une petite exception puisque je vous propose de dépasser cette période : la série sur laquelle je vais revenir est plus récente, l'ORTF n'existant alors déjà plus. Sa diffusion, sur Antenne 2, date en effet de décembre 1983 : ce fut un succès puisqu'elle réunit 44% de part de marché. Comptant 7 épisodes de 50 minutes environ, elle est actuellement disponible en DVD chez Koba Films

Fabien de la Drôme est une série historique d'aventures derrière laquelle on retrouve deux scénaristes habitués du genre, Jean Cosmos (dont nous avons déjà pu apprécier le travail avec Ardéchois Coeur Fidèle) et Stellio Lorenzi (Jacquou le Croquant). Si plusieurs éléments l'avaient placée sur ma liste d'oeuvres à découvrir, la période (révolutionnaire) et son lieu d'action n'en sont pas les moindres. Comme son titre l'indique, elle se déroule en effet dans la Drôme, plus précisément la Drôme provençale. Je ne nierais pas mon affection toute particulière pour ces paysages qui m'ont vue naître et grandir. Outre ce plaisir personnel de voir transposer à l'écran un cadre qui m'est très cher, Fabien de la Drôme m'intriguait car elle était présentée, dans tous les articles que j'avais pu lire, comme un "western français". Une incursion dans un tel genre aiguisait assurément la curiosité.

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Fabien de la Drôme se déroule à la fin de la période révolutionnaire, quelques mois avant le coup d'Etat de brumaire. Nous sommes au printemps 1799 sous le Directoire. Le sort de la République apparaît une fois de plus très incertain. Sa situation militaire s'est considérablement dégradée en quelques mois, devant faire face à une nouvelle coalition européenne et aux réticences de la population à contribuer à la guerre. A l'intérieur, cela suscite un regain de troubles et d'insécurités. L'agitation royaliste se réveille, et les campagnes sont parcourues par des bandes armées aux allégeances troubles. Le régime républicain lui-même a perdu toute crédibilité : depuis sa création, le Directoire est rythmé par les coups de force et les remises en cause de sa (très relative) démocratie. C'est justement dans l'effervescence de la préparation des élections législatives de l'an VII que s'ouvre la série.

Après deux précédentes tentatives avortées, l'ambitieux Colinart a déménagé dans le sud de la Drôme. Fort de l'appui de dignitaires du régime, parmi lesquels le directeur Barras, il entend bien parvenir à entrer au Conseil des Cinq-Cents, une des deux assemblées législatives créées par la constitution de l'an III. Affairiste ayant su tirer pleinement profit des bouleversements de la décennie écoulée pour s'enrichir, il ne reculera devant aucune machination pour satisfaire ses intérêts. C'est dans ce contexte qu'un inconnu, se présentant sous le seul prénom de Fabien, arrive dans ce coin de campagne drômoise. Habile tireur et solide combattant, il se fait vite remarquer dans un coin où les échauffourées sont monnaie courante. Peu causant et solitaire, il poursuit ses propres projets : retrouver une bande royaliste qui a sévi récemment de l'autre côté du Rhône, en Ardèche...

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Le charme de Fabien de la Drôme tient tout d'abord à la manière dont la série se réapproprie habilement les codes familiers du western pour les transposer dans la France de la fin de la décennie révolutionnaire. Le cadre du Directoire sied parfaitement à un tel projet, avec ses troubles et un pouvoir central qui peine à s'imposer pour maintenir une paix intérieure lui échappant. Dix années de bouleversements juridiques et sociaux ont de plus laissé un pays profondément marqué et divisé. La série aura l'occasion d'introduire chaque camp, mettant en exergue leurs antagonismes politiques : des jacobins aux royalistes, en passant par les thermodoriens pragmatiques qui se cramponnent au pouvoir. Outre ce décor, la fiction emprunte également aux westerns quelques passages emblématiques, telles, dès le premier épisode, une attaque de diligence et les fusillades qui l'accompagnent. Enfin, le héros correspond aussi aux canons du genre. Il est un solitaire qui s'est autrefois battu pour ses idéaux : ancien de la guerre d'Indépendance américaine, c'est un babouviste compromis dans la conjuration des égaux, donc un proscrit du régime actuel. S'il débarque dans ce coin reculé de campagne drômoise, c'est pour assouvir une vengeance : il traque les responsables de la mort de sa femme et de son fils, tués par une des bandes qui effraient les locaux.

La manière convaincante dont Fabien de la Drôme se réapproprie tous les ressorts narratifs du western, avec un soin du détail appréciable, ne laissera certainement pas insensible un téléspectateur appréciant ce genre. Les scénaristes ont ici réalisé un intéressant travail de transposition. De plus, tout en bénéficiant d'une intrigue prenante, la série prend le temps de construire son ambiance, marquée par ce soleil déjà de plomb au milieu du printemps. L'histoire qu'elle déroule au cours de ses 7 épisodes est sans véritable surprise, mais elle comporte un cocktail engageant et plaisant à suivre. Oscillant entre quête de vengeance et de justice, elle se caractérise par des séquences d'action, des amitiés qui se forgent, et même des esquisses sentimentales - même si ces dernières resteront les plus expédiées par le scénario. On peut sans doute lui reprocher quelques longueurs perceptibles vers la fin, mais rien qui n'entame les qualités premières de la fiction : elle est une vraie fresque d'aventures. Et par-delà les libertés historiques prises, un effort de reconstitution et de remise en contexte existe et parachève l'immersion du téléspectateur, grâce aux figures secondaires, tel l'ancien maire montagnard, et par quelques parenthèses parlantes de leur époque, comme les négociations sur le comptage des portes et fenêtres que requiert l'impôt récemment créé, ou encore le symbole représenté par la plantation d'arbre de la liberté, invariablement fauché par des expéditions royalistes.

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Sur la forme, le réalisateur, Michel Wyn, emprunte à son tour un certain nombre des codes traditionnels des westerns, usant de travelling, de zooms, avec une mise en scène accélérant brusquement lors des affrontements... La bande-son réveille aussi chez le téléspectateur le souvenir d'oeuvres se déroulant dans l'Ouest américain : qu'il s'agisse du thème instrumental récurrent, ou de l'accompagnement musical qui s'emballe lors des phases d'action, la fiction revendique ici pleinement son inscription dans la lignée des westerns. Si la transposition est réussie, c'est aussi parce que la caméra capture à merveille les décors sauvages, à l'herbe jaunie par le soleil, que parcourent à cheval les protagonistes. Avec ces paysages, mais aussi toutes ces sonorités qui nous immergent dans une campagne bruyante bercée par le chant des cigales, la série respire un parfum marqué de Drôme provençale (avec des incursions dans le Vaucluse). Pour l'anecdote, retenez qu'elle a notamment été tournée autour du village de Saint-May.

Enfin, Fabien de la Drôme bénéficie d'un casting homogène. Nombre des seconds rôles interprétant des locaux ont cet accent chantant du sud qui convient. C'est à un Jean-François Garreaud impeccable qu'a été confié le rôle du taciturne Fabien, incarnation du héros vengeur qui se laisse malgré lui toucher par certaines de ses rencontres, s'impliquant peu à peu dans la vie locale, sa volonté de justice le conduisant à dépasser ses seuls plans initiaux. A ses côtés, on retrouve notamment Stéphane Aznar, Béatrice Avoine, Claude Bauthéac, Gabriel Cattand, Maurice Chevit, Françoise Dorner, Pierre Vernier, Bernard Fresson, Michel Melki ou encore Catherine Ménétrier.

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Bilan : Entremêlant les codes du western traditionnel et ceux de la fresque historique dans ce cadre français emblématique qu'est celui de la Révolution, Fabien de la Drôme est une expérience télévisuelle aussi intéressante que réussie. L'ensemble est prenant et plaisant à suivre, bénéficiant d'un personnage central intriguant qui oscille entre la figure du vengeur et celle du justicier. La place octroyée aux décors contribue à construire une ambiance qui happe le téléspectateur, avec des paysages superbement mis en valeur. D'aucuns y trouveront une jolie occasion de dépaysement. Personnellement, c'est surtout l'impression d'être chez moi qui a prédominé, tant cette fiction respire le coin de Drôme provençale dans lequel elle se déroule. En résumé, avis aux amateurs de récits d'aventures, Fabien de la Drôme mérite assurément une (re)découverte.


NOTE : 7,75/10


Les premières minutes d'ouverture de la série :

24/02/2013

(FR) Les Rois Maudits : "the original game of thrones"

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La saga littéraire de Maurice Druon a été qualifiée par George R.R. Martin, comme "the original game of thrones" : "Iron kings and strangled queens, battles and betrayals, lies and lust, the curse of the Templars, the doom of a great dynasty – and all of it (well, most of it) straight from the pages of history, and believe me, the Starks and the Lannisters have nothing on the Capets and Plantagenets." Publiés dans les années 50, comprenant six tomes initialement - un septième et dernier se rajoutera en 1977 -, ces livres ont fait l'objet de deux adaptations à la télévision française. Je ne m'étendrai pas sur la dispensable plus récente, datant de 2005, et vais m'arrêter aujourd'hui sur la première.

Diffusée du 21 décembre 1972 au 24 janvier 1973 sur la deuxième chaîne de l'ORTF (c'est donc l'occasion de poursuivre le cycle ORTF), Les Rois maudits est une mini-série qui compte six épisodes d'1h40 chacun environ. Réalisée par Claude Barma, d'après une adaptation de Marcel Jullian, elle est disponible en DVD depuis 2005. Avec sa mise en scène théâtrale, ses acteurs plus que convaincants et cette Histoire qu'elle romance si bien, elle fait partie de ces quelques séries que je re-visionne régulièrement avec un plaisir toujours intact. C'est généralement vers la fin de l'hiver que me prend l'envie de sortir mon coffret DVD. Cette année n'aura pas dérogé à ce visionnage quasi-rituel. Mais, cette fois, je me suis dit qu'il était grand temps que j'écrive quelques mots sur cette oeuvre !

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Les Rois maudits raconte à sa manière la fin du "miracle capétien", lequel avait, depuis 987, placé la couronne de France à l'abri des problèmes successoraux. La mini-série s'ouvre en 1314 avec la fin des procès menés contre l'Ordre du Temple, anéanti sept années auparavant par le roi de Fer. Jacques de Molay, dernier grand maître, est alors conduit sur le bûcher après de longues années de procédures menées par les légistes de Philippe le Bel. Ses derniers mots seront une malédiction qui va résonner tout au long des six épisodes et servir de fil rouge à l'ensemble de l'histoire. Avant un an, il cite à comparaître devant le tribunal de Dieu les désignés responsables de la chute de son ordre et les maudit sur treize générations. Le pape Clément V et Philippe le Bel trépassent dans les mois qui suivent. Le roi de Fer a alors trois fils adultes, mais aucun petit-fils, et des brus infidèles qui, à défaut d'héritier mâle, offrent aux princes - pour deux d'entre elles - une paire de cornes.

De 1314 à 1337, la mini-série suit les intrigues des puissants et autres jeux de cour létaux qui vont précipiter les royaumes de France et d'Angleterre dans ce que l'on appellera la "Guerre de Cent Ans", dernier acte d'un conflit commencé deux siècles auparavant, lorsqu'une duchesse d'Aquitaine, par ailleurs épouse du roi de France, s'était éprise d'un Plantagenêt qui allait devenir roi d'Angleterre. Parmi les complots et les vengeances ourdis dans les coulisses du pouvoir, on suit tout particulièrement les manigances de Robert d'Artois, tout entier consacré à sa revanche contre sa tante Mahaut face à laquelle il a perdu son procès en héritage. De 1314 à 1328, les trois fils de Philippe le Bel se succèdent, sans laisser aucune descendance mâle. Les règles successorales se forgent face aux périls. Le principe de l'exclusion des femmes posé à la mort de Louis le Hutin est complété en 1328 du principe d'exclusion des descendants par les femmes, rejetant hors du trône celui qui était le plus proche parent du dernier roi... et qui avait contre lui de porter déjà une autre couronne, celle de l'Angleterre.

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Mené sans temps morts, Les Rois Maudits n'a pas son pareil pour romancer deux décennies d'intrigues de palais. Les complots et les assassinats s'y enchaînent ; les vengeances s'y trament ; et les alliances se concluent au gré des rapports de force et des opportunités. L'ensemble est présenté comme un vaste engrenage létal vers la Guerre de Cent Ans. On assiste à une partie d'échecs qui voit les rois tomber les uns après les autres, victimes pour certains de la main des hommes, pour d'autres de celle du destin. La malédiction de Jacques de Molay traverse ainsi le récit en y trouvant une résonnance particulière. Chaque épisode est consacré à un roi : en France, à partir de 1314, succèdent ainsi à Philippe IV le Bel, Louis X, Jean Ier (le Posthume) pour quelques jours, Philippe V, Charles IV et, enfin, Philippe VI, prenant le relais des Capétiens directs. L'Angleterre n'est pas en reste avec le renversement d'Edouard II, puis l'avènement du jeune Edouard III qui écarte du pouvoir sa mère et son amant. Empruntant l'accent des grandes tragédies, la mini-série nous relate l'affrontement des puissants, avançant leurs pions pour servir leurs propres intérêts, et décrit comment se font et se défont les rois et les papes en ce début de XIVe siècle. Elle éclaire aussi le rôle de gens de naissance plus humble, des banquiers Lombards, qui, par leur proximité avec le pouvoir, se retrouvent aussi au coeur des intrigues.

Par-delà les ambitions, les égos et le sort qui semble devoir s'acharner sur ces derniers Capétiens directs, ce sont surtout l'antagonisme de deux figures et la haine qu'elles se vouent, qui vont attiser les flammes du conflit à venir. Tout tourne ici autour d'une autre querelle de succession, où aucune couronne royale n'est en jeu, celle de l'Artois. Robert et Mahaut se disputent âprement ce comté. Ou plutôt, ayant perdu le procès mené contre sa tante qui apparaît plus en cour que jamais, Robert, s'estimant spolié, s'active en coulisses pour la perdre. C'est ainsi que tout débute par une première machination qui va contribuer aux problèmes de descendance des fils de Philippe le Bel. Car Mahaut a marié deux de ses filles aux princes. Mais, en 1314, Robert vole vers l'Angleterre et la reine Isabelle afin d'exposer au grand jour les infidélités des princesses insouciantes. Dans les turbulences et les déchirements qui suivront, dès que l'un choisira un camp, l'autre embrassera immédiatement celui adverse pour s'affairer à anéantir les projets de son opposant. Leurs joutes oratoires resteront toujours particulièrement jubilatoires. Et cette obsession pour l'Artois les perdra tous deux, car ils refuseront jusqu'au bout obstinément la moindre concession, même celles ordonnées par des rois. Ironiquement, ils trépasseront des armes dont ils ont usé et abusé, le poison pour l'une, la guerre pour l'autre. Ils s'éteignent ainsi comme s'embrase le conflit qu'ils auront contribué à faire naître, dernier acte et chute-transition parfaite de la tragédie qu'ils auront façonnée.

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Bénéficiant d'une histoire d'envergure, captivante sur le fond, une partie du charme des Rois Maudits repose également sur la manière dont Claude Barma a su composer avec les contraintes matérielles. Si la mini-série est une fresque épique, son décor est minimaliste, se composant de teintures peintes en arrière-plan. Aucun paysage, aucun extérieur n'est filmé. L'ensemble tient en réalité d'une vraie pièce de théâtre, assumant cette mise en scène jusque dans la manière dont les tableaux s'agencent et se jouent devant la caméra, avec des personnages s'avançant ou se fondant en arrière-plan, voire s'expliquant parfois directement face à la caméra. La mini-série n'en conserve pas moins toute l'intensité des enjeux relatés. Pour accompagner sa narration, elle bénéficie d'une bande-son composée par une référence en la matière, Georges Delerue, qui saura proposer un thème principal notamment particulièrement adéquat (cf. la deuxième vidéo ci-dessous). Et surtout, la force des dialogues et le cinglant des répliques, jamais pris en défaut, reposent sur un grand casting qui sait retenir justement toute l'attention, se sublimant et habitant les rôles qui leur sont confiés.

La grandiloquence d'un Jean Piat magnétique en Robert d'Artois resteront longtemps gravés dans la mémoire du téléspectateur ; mais il faut reconnaître que ce sont tous les acteurs qui sont au diapason et qui défilent au rythme des tragédies. Face à Jean Piat, se tiendra presque jusqu'au bout Hélène Duc, une Mahaut sèche et autoritaire, rivale d'envergure dans l'art des complots. Louis Seigner interprète Tolomei, homme d'affaires si au fait des secrets des hauts dignitaires du royaume. On retrouve également Jean-Luc Moreau, jeune Lombard qui côtoiera bien des puissants, et Catherine Rouvel, en inquiétante empoisonneuse. Philippe le Bel est joué par Georges Marchal, tandis que ses enfants le sont respectivement par Georges Ser, José-Maria Flotats, Gilles Béhat et Geneviève Casile, la si froide Louve de France. Parmi leur entourage, Jean Deschamps incarne l'intriguant frère cadet de Philippe le Bel, tandis que les brus de ce dernier sont jouées par Muriel Baptiste, Catherine Rich et Catherine Hubeau. La liste serait encore longue à égréner, retenez donc seulement ceci : l'attrait des Rois Maudits doit beaucoup à l'interprétation de chacun, et à la force qu'ils mettront dans leurs répliques et confrontations.

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Bilan : Fresque historique soignée autant que tragédie du pouvoir, Les Rois Maudits est une mini-série captivante et fascinante, rythmée par des jeux de trônes létaux, où complots, morts et alliances se succèdent. Nous racontant la fin du "miracle capétien" avec en arrière-plan la pesante menace que fait planer la malédiction lancée de son bûcher par le grand maître de l'Ordre du Temple, elle romance l'Histoire - s'octroyant les libertés qu'il convient - avec un souffle narratif et tragique jamais pris en défaut. Portée par un grand casting, cette fresque adopte la rigidité, mais aussi le charme, d'une mise en scène théâtrale qui n'amoindrit en rien la force de son récit. En résumé, voilà du très grand art.

Les Rois Maudits reste une oeuvre incontournable du petit écran français.


NOTE : 9/10


L'introduction du premier épisode et un extrait :


Le thème principal de la série :