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20/04/2011

(J-Drama) Fumou Chitai : le traumatisme d'un homme, la reconstruction d'un pays dans le Japon de l'après-guerre

 
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En ce mercredi asiatique, la série dont je vais vous parler aujourd'hui est une oeuvre particulière. Je ne suis pas quelqu'un qui aime surenchérir dans la course aux superlatifs, et j'ai bien conscience d'avoir encore beaucoup à apprendre et à découvrir du petit écran japonais, mais je peux écrire sans hésiter que je n'avais encore jamais visionné de série semblable à Fumou Chitai. Elle dispose d'un concept fort, dans un cadre au parfum également à part, celui de l'après-guerre au Japon. Il y a une richesse et une consistance narratives constantes absolument fascinantes dans ce drama, où l'intime côtoie l'historique.

Marquant le cinquantième anniversaire de Fuji TV, Fumou Chitai a été diffusée du 15 octobre 2009 au 11 mars 2010. Comportant en tout 19 épisodes, elle est l'adaptation d'un roman à succès, portant le même titre, écrit par Yamazaki Toyoko à qui l'on doit également le livre ayant servi de base à un autre drama, lui aussi incontournable, avec lequel cette série partage certaines thématiques, Karei Naru Ichizoku. A noter, enfin, que Fumou Chitai avait déjà été porté au petit écran en 1979, dans une première série qui comportait elle 31 épisodes.

En somme, cette série fait partie des oeuvres qui, par leur densité, par les thématiques si riches qu'elles soulèvent, intimident quelque peu le critique. Il est difficile de lui rendre pleinement justice ; mais je vais quand même essayer de vous expliquer ce que j'ai trouvé et ressenti dans ce drama que je conseille vraiment à tous, familiers du petit écran japonais ou non.

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Fumou Chitai s'ouvre en 1945 sur la capitulation japonaise, marquant la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Iki Tadashi est alors un stratège au sein de l'armée impériale. Si comme beaucoup, il écoute avec une forme d'incrédulité le discours de reddition de l'Empereur, il est cependant envoyé en Chine pour s'assurer que les forces armées japonaises respectent bien ces ordres univoques. Devant l'avancée des soldats russes, il ne peut se résoudre à regagner à temps le Japon et décide de rester auprès de ses hommes. Fait prisonnier, il est expédié en Union Soviétique. Il bénéficie au début d'un traitement de faveur dans un contexte de (pré-)Guerre Froide, les Russes espérant obtenir un témoignage compromettant pour remettre en cause la thèse américaine exonérant l'Empereur japonais. Mais devant son refus catégorique, Iki Tadashi est finalement condamné à une longue peine de travaux forcés.

Il restera dans les camps de travail de Sibérie jusqu'en 1956, soit onze années passées dans l'enfer des goulags russes. Les conditions de vie si difficiles eurent raison de nombreux prisonniers. Ce qui permit à Iki Tadashi de survivre, c'est non seulement la pensée de sa famille, mais également le souvenir de tous ses camarades qui s'éteignirent sous ses yeux, tombés d'épuisement, de malnutrition ou pour qui, une fois l'espoir disparu, le suicide apparut comme le seul recours pour en finir avec toutes ces souffrances. Après tant d'années loin des siens et de son pays, le retour au Japon ne s'opère pas sans une phase d'adaptation douloureuse. Sa femme s'est mise à travailler pour subvenir à leurs besoins. Sa fille craint plus que tout que son père poursuive dans cette carrière militaire tant honnie. Quant à son fils, n'ayant connu son père que par une idéalisation enfantine d'une figure militaire lointaine, il ne le reconnaît pas.

Pour reprendre le cours de sa vie mise en hiatus pendant plus d'une décennie, et dont il gardera à jamais le traumatisme au plus profond de lui, Iki Tadashi se tourne finalement vers une carrière civile. Déjà dans la force de l'âge, peut-il vraiment se reconstruire dans le domaine du commerce qui lui est totalement étranger ? Il sera pourtant le témoin privilégié, et un des acteurs, de la restructuration économique japonaise au cours de deux décennies cruciales jusqu'à la fin des années 70.

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Fumou Chitai, c'est tout d'abord une fresque, grande et ambitieuse, dont une des réussites va être de savoir mêler l'historique et le personnel. Elle y parvient en suivant le parcours d'Iki Tadashi, fil conducteur du drama, dont la destinée apparaît liée à celle de son pays. Au sortir de la défaite, le pays est à reconstruire économiquement, mais aussi socialement, de la même manière que la vie d'Iki Tadashi est à rebâtir lorsqu'il revient de Sibérie après ces onze années perdues. Les fictions se déroulant dans une période d'après-guerre ont souvent un parfum assez particulier, et ce drama n'y déroge pas. Jusqu'à présent, j'ai assez peu vu ou lu d'oeuvres sur cette époque au Japon, à l'exception peut-être du Soldat Dieu de Koji Wakamatsu qui traite plutôt du militarisme japonais précédant la défaite. Toujours est-il que l'évocation de cette fin de guerre constitue une première thématique forte de ce drama, évoquée de la perspective du personnage principal.

La série aborde ce sujet difficile avec une maîtrise et un aplomb à saluer. Même si vous ne deviez pas poursuivre au-delà, je ne saurais trop vous conseiller de prendre le temps de regarder au moins le pilote, très long (plus d'1h50), mais absolument fascinant, qui nous relate la façon dont Iki Tadashi va vivre la capitulation et les années de détention. Fumou Chitai opte pour une approche simple, sans pathos inutile et dépourvue du moindre excès dans la mise en scène. Cette présentation confère au récit toute sa force, ainsi que son intérêt. Car cette sobriété bienvenue accentue l'intensité des évènements relatés, renforçant l'impression d'authenticité et de rigueur historique. Si la série montre peu le Japon durant cette période, la question des prisonniers de guerre internés en Union Soviétique est en revanche traitée avec soin. J'avoue que c'est un sujet dont j'ignorais tout avant de visionner ce drama ; mais plus de 500.000 soldats japonais qui se trouvaient sur le continent lors de la capitulation passèrent ainsi par les camps russes. En raison de son grade (et de son manque de coopération), Iki Tadashi sera condamné par un tribunal militaire soviétique, ce qui explique qu'il fera partie de ceux qui subiront la plus longue durée d'emprisonnement.

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Au-delà de la reconstitution historique, cette détention sibérienne va permettre à Fumou Chitai d'explorer une dimension plus intime, en un sens plus déchirante, à travers la figure complexe de son personnage central. Car si la série va ensuite de l'avant, tournée vers le futur à l'image d'une société qui souhaite se rebâtir, le traumatisme constitué par ces années en Sibérie ne va jamais s'effacer. La portée symbolique du générique de fin est à ce titre révélatrice : il se charge de nous rappeler que c'est dans cet enfer blanc que la volonté de continuer à vivre d'Iki Tadashi trouve sa fondation. Cette dernière se résume en un simple commandement : servir son pays. Mais s'il s'efforce de retrouver un équilibre dans sa vie familiale, s'il amorce avec assurance une ascension professionnelle impressionnante, cette reconstruction n'est qu'illusoire. Elle n'est qu'une apparence, une façade de survie au sujet de laquelle même Iki Tadashi se ment parfois, mais dont chacun de ses actes va nous démontrer la vanité.

Car une partie du personnage est bien morte en Union Soviétique. Ce pacte qu'il a fait avec lui-même, cette ligne de conduite qu'il s'est fixé, survivre pour servir son pays, il la suivra certes longtemps sans recul. Jusqu'aux dernières années où la remise en cause de ses certitudes lui feront prendre conscience de ses priorités. Akitsu Chisato l'accusera d'égoïsme, mais en réalité, le choix final de retourner en pèlerinage en Sibérie ne vient que confirmer ce que le téléspectateur a compris depuis longtemps. Si Iki Tadashi s'est assigné un devoir, assumant les responsabilités qu'il devait à ses hommes, à sa famille et à son pays, lui-même n'a jamais su ou pu recommencer sa vie. Tous les espoirs d'un futur auquel il aurait droit sont morts en même temps que ses camarades, ceux qui se sont suicidés sous ses yeux comme ceux qui ont succombé aux mauvais traitements. C'est seulement à la fin de la série qu'Iki Tadashi semble le reconnaître et l'accepter.

Laissant une place pour l'interprétation d'un téléspectateur captivé, l'approche psychologique de Fumou Chitai est d'une finesse assez fascinante, traitant de façon très nuancée, avec beaucoup de non-dits de ce fil rouge central. S'assurant ainsi d'une fondation très solide, le drama va pouvoir investir d'autres enjeux immédiats, et notamment les questions économiques.

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L'industriel, c'est en effet le thème le plus directement évoqué par Fumou Chitai. Cela le rapproche de Karei Naru Ichizoku, sans pour autant que les deux dramas se confondent. Dénuée de tous les ingrédients empruntés aux soaps qui faisaient la marque du second, Fumou Chitai apparaît plus rigoureuse et documentée dans son approche, sans pour autant être moins accessible. En effet, la série ne va avoir aucune difficulté à retenir l'attention du téléspectateur sur des enjeux qui touchent plutôt à des problématiques de stratégie industrielle. Par sa mise en scène d'une concurrence acharnée entre entreprises, ce drama s'inscrit plutôt dans le thriller financier, reprenant des codes classiques de l'espionnage : la collecte et l'analyse des données sont un travail proche de celui du renseignement. Le résultat donne un mélange des genres efficace, sachant entretenir une tension et un suspense presque inattendus.

Dans ce domaine économique, la série a également un intérêt historique : elle nous plonge dans le Japon de l'après-guerre, à travers plusieurs décennies d'industrialisation et de progressive ouverture au monde du pays. Nous permettant de suivre indirectement les grandes politiques et transformations initiées, Fumou Chitai éclaire sans complaisance des moeurs gouvernementales où la corruption est généralisée et apparaît normalisée, dressant ainsi un portrait peu flatteur du personnel politique dirigeant. De plus, ce récit explore le développement industriel japonais dans des domaines très divers, avec une approche résolument internationale. En effet, après avoir passé deux années à se remettre physiquement de sa détention, Iki Tadashi accepte l'offre d'emploi du président de Kinki Trading Co. La série traitera de l'industrie à travers plusieurs grands arcs narratifs successifs, en commençant par un sujet qui touche de près son héros, l'armement, pour finir par une problématique devenue centrale, le pétrole, en passant par les grandes restructurations des années 70 dans l'industrie automobile.

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En outre, Fumou Chitai va savoir investir une dimension humaine grâce à laquelle le téléspectateur va s'attacher à son univers. La rigidité, toute militaire pourrait-on dire, d'Iki Tadashi qui s'attache à ses principes et à une probité qui tranchent dans ce milieu, ne sera pas toujours dénuée d'ambivalence. Si, initialement, c'est l'invocation d'intérêts supérieurs nationaux qui semble justifier le recours à des moyens peu recommandables, un glissement est perceptible dans l'ordre des priorités du personnage. Toujours présentée sous couvert de servir son pays, la dernière intrigue pétrolière montre toutes les limites, voire l'hypocrisie, de ce raisonnement et les transformations d'Iki Tadashi au contact d'un milieu industriel dont il a désormais pleinement intégré les codes, même s'il s'en défend. Fumou Chitai permet d'ailleurs de nous immerger de façon crispante et prenante dans ce monde des affaires, où les ambitions et les égos conditionnent de fragiles alliances de circonstances et où chacun cultive des inimités qui traversent les années. L'ultra-concurrentiel offre une forme de prolongement civil à l'affrontement militaire ; le parallèle opéré grâce aux mises en oeuvre des stratégies d'Iki Tadashi est à ce titre très révélateur.

Pour autant, Fumou Chitai aborde aussi un registre plus intime, voire sentimental. Plusieurs figures féminines vont en effet marquer la vie d'Iki Tadashi, chacune représentant une conception différente de la femme. Yoshiko est l'épouse à la fidélité sans faille, qui se sera sacrifiée elle aussi pendant ces onze années pour faire survivre sa famille. Renvoyant à la conception familiale japonaise traditionnelle, elle gagne en importance au fil des épisodes : loin d'être effacée, elle acquiert une épaisseur et une dimension presque tragique dans son obstination à essayer de maintenir unie une famille dont la Sibérie n'a laissé, sur bien des points, qu'une coquille vide. Avec Akitsu Chisato, il y a un changement de génération : c'est une femme active, pour qui le bonheur importe, seul le mariage d'amour se justifiant à ses yeux. Sa relation avec Iki Tadashi est particulièrement bien traitée. Toute en nuances, elle sonne très authentique par le carcan dans lequel elle se développe. Si Chisato privilégiera les sentiments à la raison, elle n'en recueillera pas les bénéfices En effet, celui qu'elle aime a perdu en Sibérie cet élément précieux qu'est la capacité à pouvoir se construire un futur. Enfin, de façon plus incidente, il est également possible d'évoquer Hamanaka Beniko, symbole, elle, de la femme fatale qui a gagné une forme de liberté en embrassant et dépassant les conventions sociales de son milieu aisé. Toutes trois enrichissent la série, vis-à-vis de caractère permettant de remettre en cause les certitudes d'Iki Tadashi.

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Appliquée et solide sur le fond, Fumou Chitai l'est également sur la forme. Sa réalisation est soignée, bénéficiant d'une photographie qui sied parfaitement à l'atmosphère de la série qui va traverser les décennies en partant du milieu du XXe siècle. Les teintes choisies mettent d'ailleurs bien en exergue l'effort de reconstitution historique. Cette sobriété, qui n'est pas pour autant frodie, est d'autant plus appréciable qu'elle confère une classe à part à la série. La maîtrise d'ensemble se ressent tout particulièrement par un certain nombre de plans qui dépassent le simple fonctionnel, pour réellement investir une mise en scène symbolique.

Par ailleurs, la série bénéficie d'une belle bande-son qui s'impose rapidement comme un outil de narration à part entière, accompagnant et rythmant l'intensité du récit, tout en permettant de refléter l'ambiance particulière de l'histoire. Toujours utilisée à bon escient, composée d'instrumentaux de musique classique, elle a été composée par Kanno Yugo. Je vous avoue que, depuis plusieurs jours, j'écoute le CD de l'OST indépendamment avec beaucoup de plaisir. Il convient également de saluer la chanson du générique de fin (Tom Traubert's Blues, par Tom Waits) : ce morceau anglophone, inattendu, déstabilise dans un premier temps, mais le téléspectateur prend rapidement conscience de sa réelle portée : cette complainte lancinante est un cri déchirant, écho parfait à ce que ressent le héros de ce drama.

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Enfin, Fumou Chitai bénéficie d'un casting très solide qui permet d'asseoir efficacement l'histoire. Tout d'abord, il faut saluer la performance de Karasawa Toshiaki : il est vraiment fascinant dans sa façon d'interpréter de manière extrêmement sobre un personnage dont l'inexpressivité est souvent interprétée comme une forme d'insensibilité. Le détachement qu'il cultive renforce l'impression que Iki Tadashi demeure une sorte d'observateur extérieur des évènements, même s'il influe sur eux : une partie de lui-même est resté dans cette Sibérie qui a glacé une part d'humanité. Cette approche du personnage permet également de rendre encore plus marquante les scènes au cours desquelles la façade se fissure en des éclats d'émotion poignants.

A ses côtés, les personnalités féminines l'entourant, toutes très différentes, sont incarnées de façon convaincante par Wakui Emi (Hanayome to Papa), parfaite en épouse dévouée, par Koyuki (Engine), l'artiste de céramique, et enfin par Amami Yuki (BOSS, Gold), en femme fatale absolument resplendissante. Autre figure ayant son importance, la fille de Iki Tadashi est interprétée par Tabe Mikako (Deka Wanko). Parallèlement, au sein de l'entreprise, j'ai retrouvé avec beaucoup de plasir Takenouchi Yutaka (BOSS), en subordonné passionné par l'exploitation pétrolière. On croise également Harada Yoshio (Engine), Kishibe Ittoku (Arifureta Kiseki), Endo Kenichi (Gaiji Keisatsu) en concurrent qui prend très vite l'affrontemet personnellement et Abe Sadao (Dare Yorimo Mama wo Ai su) en journaliste toujours en quête d'un scoop.

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Bilan : Fumou Chitai, c'est une fresque fascinante, éprouvante, d'une richesse rare par sa capacité à jouer sur tous les registres de la fiction. C'est l'histoire d'une reconstruction personnelle impossible, sur fond de refondation économique et sociale d'un pays sorti exangue de la Seconde Guerre Mondiale. Récit politico-industriel à l'intérêt historique indéniable, le fil rouge de Fumou Chitai reste pourtant, en premier lieu, celui d'un drame humain. La série nous relate le parcours d'un ancien soldat, prisonnier de guerre marqué par la défaite et par onze années de captivité qui ont irrémédiablement brisé quelque chose en lui. Son sens du devoir lui donnera les ressources nécessaires pour aller de l'avant et entreprendre tous ces projets que le téléspectateur suivra avec attention. Mais, même le temps ne saura effacer ce traumatisme central qui nous sera constamment rappelé.


Si j'ai conscience de la longueur intimidante de cette review, je finis pourtant ma critique en ayant encore l'impression d'avoir tant à dire sur certains aspects que j'ai passés sous silence. C'est vous dire la densité de ce drama à part. Une série incontournable.


NOTE : 9,5/10


Le générique de fin (la chanson : Tom Traubert's Blues, par Tom Waits) :



Une musique de l'OST (le thème principal) :

19/04/2011

(Pilote US) Game of Thrones : Winter is coming...

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Après des semaines d'orchestration d'une campagne médiatique alléchante, de vidéos foisonnantes titillant la curiosité, dimanche soir, débutait sur HBO une des nouveautés les plus attendues de la saison, Game of Thrones. Adaptation d'une des grandes sagas littéraires récentes de fantasy (non encore achevée) de George R. R. Martin, c'était aussi l'occasion pour la chaîne câblée américaine de se glisser dans un genre qu'elle n'avait encore jamais exploré dans un décor médiéval réaliste.

Pour l'avoir tant espérée, j'en ai presque hésité à lancer le pilote hier soir, de crainte de rompre une magie préinstallée. A la question de savoir si Game of Thrones peut être apprécié tant par les fans que par des personnes ne connaissant pas (encore) cet univers, je pense que la réponse est positive. Mais il est certain que les deux publics n'auront pas la même approche du pilote. Là où certains vont s'efforcer de se situer et de retenir la complexité de l'univers introduit et de ses intrigues, les autres vont seulement admirer - les yeux brillants, en ce qui me concerne - la mise en scène d'une histoire qu'ils connaissent déjà, s'attachant aux détails, aux non-dits et, plus généralement, à la symbolique dont chaque scène regorge.

Cela donne donc une review forcément subjective venant d'une téléphage qui a lu et aime le Trône de Fer. Je signale cependant que j'ai fait attention à m'en tenir uniquement au pilote et aux informations qui y sont dévoilées en écrivant ce billet.

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L'hiver approche dans le Royaume des Sept Couronnes. Il se murmure que, après des siècles d'absence, des Autres auraient été aperçus par-delà le Mur qui protège des territoires sauvages les plus au nord ; des dire wolves (de grands loups) ont même franchi cette frontière de pierre pourtant si imposante. Des forces sont à l'oeuvre autour, mais également au sein même du royaume, s'apprêtant à plonger ces terres dans un des plus terribles hivers qu'elles aient connu.

Impassible, le roi Robert Baratheon règne sur le continent de Westeros. Il a renversé et déposé le roi Aerys II Targaryen, il y a presque deux décennies. A l'époque, la victoire avait été remportée avec l'aide décisive de son ami, Eddard (Ned) Stark, seigneur de Winterfell ; ce dernier administre toujours ce vaste duché situé le plus au nord du royaume. Il s'est jusqu'à présent sagement tenu loin des intrigues de cour, préservant sa famille dans leur domaine. Mais, au sud, dans la capitale, Jon Arryn, la Main du Roi, meurt soudainement. N'envisageant qu'une personne de confiance à qui confier ce poste décisif où le titulaire régente tout le royaume, Robert se met alors en route vers le nord pour raviver l'amitié passée et demander à Ned de prendre la place du défunt conseiller.

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L'arrivée du roi et de la cour, notamment des Lannister, dont la reine Cersei est une des représentantes, va mettre un terme au quotidien familial, loin des complots et ambitions, que connaissaient les Stark. Ces derniers se retrouvent projetés dans des rapports de force dont ils ne savent encore rien. Catelyn, l'épouse de Ned, reçoit ainsi un message inquiétant de sa soeur, veuve de Jon Arryn, affirmant que la mort de ce dernier n'a pas une cause naturelle. Quels secrets et machinations sont à l'oeuvre à Port-Réal ? L'union envisagée entre trois des principales Maisons du Royaume (Baratheon, Stark et Lannister) que permettrait le mariage de Sansa avec le prince héritier, fils de Robert et de Cersei, revêt soudain une importance particulière.

Loin de ces considérations nordiques, sur un autre continent, un autre héritier, celui-ci considéré comme "légitime", manoeuvre également pour reconquérir son pouvoir perdu. Derniers descendants de la lignée déchue des Targaryen, Viserys marie en effet sa soeur Daenerys à un chef militaire puissant, Drogo, dans l'espoir d'obtenir une armée lui permettant de chasser l'usurpateur du Royaume des Sept Couronnes, ainsi que tous les traîtres qui avaient scellé la chute de leur Maison, les Stark comme les Lannister, dont le surnom du frère de la reine est resté, après toutes ces années, inchangé : le Régicide.

La lutte pour la conquête du Trône de Fer peut débuter... L'hiver vient.

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Ce résumé condensé ci-dessus ne fait qu'effleurer la complexité et la richesse d'un univers qui ne demande qu'à se construire et s'animer sous nos yeux. Le défi du pilote allait donc résider dans sa capacité de retenir l'attention et d'éveiller la curiosité du téléspectateur pour qui ce cadre était inconnu, sans le perdre au détour de cette galerie de personnages hauts en couleur et d'intrigues compliquées. Le tout, en apportant dans le même temps suffisamment de nuances et de soins à une reconstitution appliquée afin que les personnes déjà familières de l'histoire soient elles-aussi captivées. Dans la recherche de cet équilibre narratif, Game of Thrones s'en sort avec les honneurs.

En effet, l'épisode mêle habilement des séquences d'exposition et des passages déjà déterminants pour le futur en train de se mettre en mouvement, l'importance des décisions à prendre étant perceptible. On se sent rapidement impliqué dans les évènements qui s'annoncent. On partage ainsi, par exemple, l'inquiétude et le dilemme de Ned. Mais la preuve la plus éclatante que l'on est vraiment entré dans l'histoire, c'est la vraie claque téléphagique que l'on subit lors de la scène de fin, ô combien marquante : elle vous laisse le souffle presque coupé, même lorsque vous saviez ce qui allait se produire. Après une telle conclusion qui scelle définitivement notre plongée dans le royaume, il n'est même pas pensable de ne pas lancer l'épisode suivant !

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Construit sur un rythme de narration plutôt rapide qu'explique l'effort de condenser tant d'informations en une petite heure, il faut noter que l'épisode suit rigoureusement les débuts du premier tome dont il est l'adaptation, sélectionnant de manière opportune les scènes clés déterminantes. Il va à l'essentiel. Il n'y a rien en trop, et les scénaristes ont su choisir les échanges qui, par leurs répliques ou la mise en scène symbolique qu'ils occasionnent, permettent de poser tant les enjeux que de présenter des protagonistes dont la complexité ira croissante.

D'ailleurs, il faut bien insister sur cette capacité à susciter une fascination (pour les Lannister) ou de l'affection (pour les Stark) à l'égard de tous ces personnages, qui sont autant de pions sur une vaste partie d'échecs pour le pouvoir. L'attrait de ces figures souvent ambivalentes s'explique par une absence de manichéisme rafraîchissant. Cela demeure un des apports les plus fondamentaux de l'oeuvre de George R. R. Martin, et ce pilote en pose les bases prometteuses, notamment par la mise en scène des frères Lannister que j'ai trouvés parfaitement introduits. Le souffle épique et l'âme de la saga sont donc tous deux perceptibles dans cette première immersion fidèle.

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Soignée sur le fond, Game of Thrones l'est aussi sur la forme. La réalisation est aboutie et, surtout, avec cette volonté de condenser un maximum d'informations, voire d'esquisser des suggestions non encore formulées, de nombreux plans jouent un registre très symbolique dans leur mise en scène. C'est vraiment appréciable à suivre. Sans doute le téléspectateur ne connaissant pas l'univers ne fera pas immédiatement attention à tous ses détails, mais cela renforce cependant le sentiment que l'on a une série vraiment penséee qui pose ici ses premières fondations.

De même, l'épisode sait mettre en valeur et distinguer les différents lieux qui seront déterminants pour la suite. Pour le moment, la sobriété froide de Winterfell tranche de façon convaincante avec l'exotisme du continent de l'Est, tandis que le Mur apparaît, brièvement, glacé au possible et que Port-Réal devrait symboliser le véritable luxe. Précisons que nous nous situons plutôt dans un registre plutôt de low fantasy, à savoir que le décor médiéval se veut globalement réaliste. S'il y aura des éléments plus caractéristiques de la fantasy par la suite, il y a une réelle volonté de nous introduire dans un univers où les luttes de pouvoir entre ces différentes puissantes familles suivent l'art de la guerre et de la ruse propre à toute intrigue de ce genre.

De plus, Game of Thrones bénéfice d'une bande-son vraiment excellente qui colle parfaitement à l'atmosphère de l'histoire. C'est dès le générique que les ambitions sont affichées. En effet, non seulement réussit-il à présenter le cadre, géographique et géopolitique de la série, mais sa musique est une vraie réussite : entraînante juste comme il faut, avec une tonalité un peu grave qui renforce l'impression de solennité du récit et confère à l'ensemble ce souffle épique qui lui sied si bien. 

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Enfin, Game of Thrones repose sur une galerie impressionante de personalités fortes qu'il convenait donc de bien transposer à l'écran. Le passage de l'imaginaire du livre au concret de la série est globalement bien conduit. Sean Bean est convaincant en Eddard (Ned) Stark, avec cette noblesse pleine de principes qui semble un peu isolée au milieu de toutes ces ambitions pragmatiques. Je serais un peu plus mesurée quant au choix de Michelle Fairley comme épouse, peut-être trop éteinte par rapport à l'idée que je me faisais de Catelyn. En revanche, j'ai trouvé les enfants Stark juste parfaits. Ils gagnent une paire d'années au passage par comparaison aux livres (par rapport à la chronologie originale, tout l'univers gagne deux ans), mais trouvent dès les premières scènes le ton juste, servis par une introduction vraiment bien menée lors d'une séance de tir à l'arc pleine de symboles. J'ai été tout particulièrement heureuse du choix de mes Stark préférés, c'est-à-dire Jon Snow (Kit Harington), Brandon (Isaac Hempstead-Wright) et Arya (Maisie Williams). Robb est incarné, avec cette fierté caractéristique, par Richard Madden et la si sensuelle Sansa par Sophie Turner.

Dans les autres maisons, si Mark Addy, pour jouer le roi Robert Baratheon, est également très bien casté, je serais un peu plus mitigée du côté des Lannister. En fait, pour ce qui est des deux frères, ce serait presque un euphémisme que d'affirmer que je les ai trouvés extra. En deux scènes, Peter Dinklage impose immédiatement Tyrion à l'écran de façon assez jubilatoire (forcément, ses répliques le sont toujours) et me rappelle pourquoi il est mon personnage préféré de toute la saga. Tandis que Nikolaj Coster-Waldau trouve vraiment l'ambivalence adéquate pour Jaime, avec cet "attachement" familial sincère (dans tous les sens du terme) qui contrebalance étrangement l'inimité suscitée par ses actes. De plus, il prononce la dernière et grande phrase marquante de l'épisode avec une pointe de désinvolture caractéristique juste parfaite. En revanche, je reste réservée sur le choix de Lena Headey en Cersei qui m'est apparue trop en retrait et effacée par rapport aux autres.

Enfin, du côté des Targaryen (une autre famille aux moeurs très saines, mais les Targaryen se mariant entre eux depuis des générations, on dira que la consanguinité est ici normalisée, avec toutes les conséquences qu'elle implique), Emilia Clarke impose une grâce assez troublante dans ce personnage de Daenerys, mêlant une fragilité évidente mais aussi une force plus sourde, qui ne demande qu'à s'éveiller, symbolisée par la scène où elle plonge dans l'eau presque bouillante : les dragons ne craignent pas le chaud. Quant à Viserys, les amateurs de Doctor Who auront sans doute reconnu Harry Lloyd, et il trouve instantanément ses marques pour mettre en scène ce prince dévoré, sans le moindre recul, par l'ambition et le désir de vengeance. Et pour incarner le nouvel époux de Daenerys, Khal Drogo, on retrouve un Jason Momoa (Stargate Atlantis) qui se fond très bien dans ce décor violent et exotique.

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"The things I do for love..." (Jaime Lannister)

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Bilan : Offrant une mise en images aboutie et particulièrement soignée, regorgeant d'une symbolique assez jubilatoire, le pilote de Game of Thrones propose une introduction efficace, posant les bases de l'univers en présentant les protagonistes et les grands enjeux. On perçoit non seulement la densité d'un univers où il y a tant à explorer, mais également le caractère épique que vont vite prendre ces luttes de pouvoir. Le seul regret éventuel viendra de la durée presque trop courte, obligeant à condenser au maximum et donc à laisser de côté certains aspects (les croyances religieuses avec la scène de l'arbre, etc.). Il y a tant de choses qu'il faudra préciser ; mais je pense que, par exemple pour la Garde de Nuit, tout viendra en son temps.

En résumé, c'est avec le regard brillant et une pointe d'émerveillement que j'ai suivi ce premier épisode d'une saga assurément prometteuse : la suite, vite !


NOTE : 9/10


Une bande-annonce de la série :

Le (superbe/somptueux) générique :

17/04/2011

(Mini-série US) Mildred Pierce : un portrait de femme fascinant et éprouvant dans la Californie des années 30


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Parmi les mini-séries américaines de ces dernières semaines, outre The Kennedys, une autre production était également très attendue : Mildred Pierce. Se proposant de nous offrir un plongeon dans le Los Angeles des années 30, il s'agissait de porter à l'écran un roman classique de James M. Cain, qui n'avait au préalable connu qu'une version cinématographique en 1945. Diffusée du 27 mars au 10 avril 2011, cette mini-série comporte en tout 5 épisodes, d'une heure chacun environ.

A priori, son sujet de départ, un casting prometteur centré autour d'une actrice que j'apprécie tout particulièrement, Kate Winslet, le tout produit par HBO... tout cela constituait autant d'éléments qui avaient forcément éveillé ma curiosité. Et finalement, je n'ai pas été déçue de l'immersion, certes éprouvante, dans cette oeuvre assez fascinante qu'est Mildred Pierce. Mini-série aboutie, poignante comme peu, elle ne peut laisser indifférent un téléspectateur rapidement happé par cette superbe mise en images.

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C'est en Californie, à une époque où le soleil ne peut faire oublier la crise que traversent des Etats-Unis heurtés de plein fouet par la Grande Dépression, que s'ouvre Mildred Pierce. Mildred est une jeune mère de famille, dont la vie paraît a priori renvoyer une image de perfection parfaitement huilée : elle habite en banlieue, dans un quartier de classe moyenne relativement aisée, avec un mari et ses deux enfants. Mais la mini-série débute sur un après-midi qui va bouleverser un quotidien dont seule la surface est irréprochable. Lassée des infidélités de Bert, son mari, qui passe désormais plus de temps avec sa maîtresse qu'avec sa famille légitime, Mildred prend une décision radicale en le mettant à la porte. Si Bert, entraîné dans des affaires louches, n'avait déjà plus l'assise financière de l'époque de leur mariage, la jeune femme se retrouve brusquement esseulée, avec deux enfants à charge.

Outre la crise qui a considérablement ralenti l'économie, Mildred a en plus passé les onze dernières années à jouer les parfaites maîtresses d'intérieur. Elle n'a donc aucune compétence, ni expérience professionnelle particulière dans le domaine du travail, si ce n'est un talent pour la cuisine, notamment la conception de tartes, qu'elle monnaye déjà à l'occasion. Cependant, pour ses filles, Mildred va trouver la force de mûrir et de se prendre en charge. Dépassant ses préjugés, mais aussi son propre orgueil, la jeune femme va se donner les moyens pour se construire une nouvelle vie, cette fois-ci indépendante des hommes, et réaliser une ambition qui apparaît comme un défi personnel : celle d'ouvrir son propre restaurant. En réalité, pour comprendre tous les sacrifices consentis par Mildred au service de sa réussite professionnelle, il faut se placer sur un plan plus intime. Ses efforts resteront toujours subordonnés à une quête qui demeure la motivation sous-tendant ses choix : gagner le respect et l'affection de Veda, sa fille aînée dont les idées bourgeoises et artistiques d'adolescence ne s'estompent pas avec le temps. Parviendra-t-elle à harmoniser et réussir sur ces deux tableaux, personnel et professionnel ?

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Mildred Pierce, c'est tout d'abord une reconstitution historique soignée qui va fonder le récit de cette destinée personnelle. La mini-série offre une immersion dans une période de crise, où les préconceptions sociales de protagonistes issus de classes aisées se heurtent à un principe de réalité douloureux. Le culte des apparences qui prédomine dans la banlieue semi-bourgeoise de Mildred, comme dans le clinquant d'Hollywood, impose ainsi un détachement matériel apparent, à la mise en scène cultivée, mais qui apparaît désormais déplacé. De façon très intéressante, la mini-série va notamment explorer le rapport au travail - manuel - de ce milieu, éclairant les contradictions dans les exigences des personnages. Émanation de cette forme d'aristocratie rentière dont le mode de vie n'est plus adapté à l'économie moderne, Monty apparaît ainsi comme un dandy à la fois symbole de tous les paradoxes, mais aussi séquelle d'un autre temps autrement plus faste. 

Ce cadre historique retranscrit de façon convaincante sert de base à une histoire autrement plus intime. Mildred Pierce va proposer, avec une justesse et une intensité rares, un portrait de femme poignant et nuancé. La figure de Mildred constitue l'âme de la mini-série ; c'est une femme ancrée dans son époque, mais aussi dans son milieu social. Une personnalité forte, obstinée, va peu à peu se dessiner sous nos yeux, fascinante par sa complexité. En effet, la rupture avec son mari, catalyseur sur laquelle s'ouvre le récit, est fondatrice de tous les changements. Cette soudaine liberté s'accompagne d'une prise de responsabilité inattendue. L'émancipation a un coût, ou du moins nécessite des ajustements douloureux pour une jeune mère de famille dont les propres conceptions de normalité sociale sont désormais remises en cause. Mildred va lutter contre ses propres préjugés, sacrifiant ce qu'elle considère comme sa dignité, au nom d'un intérêt supérieur : nourrir sa famille. Cette affirmation presque initiatique d'une femme confrontée à un carcan social qu'elle a elle-même contribué à légitimer par le passé nous est narrée avec beaucoup de sobriété et de pudeur, ce qui confère une authenticité prenante au récit. Mais Mildred va constater que le personnel et le professionnel ne s'allient pas toujours, en dépit de tout son investissement pour réussir à les réconcilier.

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Au-delà du portrait de femme, c'est par sa dimension émotionnelle que Mildred Pierce marque et ne saurait laisser indifférent un téléspectateur qui va ressortir très éprouvé du visionnage. Si la jeune femme se caractérise par son obstination, son parcours va être extrêmement chaotique. Elle semble invariablement destinée à monter très haut, pour ensuite voir sa réussite professionnelle considérablement relativisée, voire réduite à néant, par de nouvelles épreuves personnelles à surmonter. Il y a une forme d'inévitabilité au parfum presque tragique dans ce cycle invariable. L'alternance entre une euphorie grisante et une détresse bouleversante permet au récit d'acquérir une portée émotionnelle des plus fortes. Après une phase d'introductive de mise en situation, Mildred Pierce démarre véritablement au cours de la dernière scène qui clôture le premier épisode. Par la suite, la mini-série ne va cesser d'aller crescendo, gagnant constamment en intensité pour culminer tout spécialement dans les deux derniers épisodes.

En fait, cette scène finale du premier épisode comporte tous les éléments sur lesquels Mildred Pierce va se développer. Dans la salle de bain, Mildred craque nerveusement et confie à son amie ses états d'âme sur son nouveau statut de serveuse. L'uniforme de travail apparaît comme le symbole d'une dégradation sociale qu'elle ne peut accepter que pour des filles, dont elle ne saurait pourtant affronter le regard. Si nul ne doute que la décision de Mildred est celle d'une courageuse prise de responsabilité, le dernier plan de la caméra - ô combien significatif ! - annonce les tensions futures : derrière la fenêtre, impassible, Veda a écouté toute la conversation. Le fossé entre la mère et la fille ne va alors jamais cesser de croître. Aux efforts constants, presque désespérés par moment, d'une mère entièrement dévouée à son enfant, ne repond que la prise d'indépendance méprisante d'une adolescente aux désillusions de grandeur blessantes. Cette dynamique familiale est au coeur de la mini-série. Le parallèle est perturbant : à mesure que Mildred se construit professionnellement, ce sont les graines d'une destruction psychologique plus intime qui germent. La vanité de tous ses sacrifices qui se heurtent à l'indifférence invariable de Veda entraîne Mildred dans une spirale où l'explosion finale, potentiellement tragique, apparaît inévitable.  

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Solide sur le fond, Mildred Pierce se révèle également particulièrement aboutie sur la forme. Dotée d'une réalisation soignée, superbement mise en valeur par une photographie dont la teinte permet de renforcer le ressenti de reconstitution historique travaillée, la mini-série propose de très belles images, qu'il s'agisse de mettre en avant le décor, avec quelques cartes postales californiennes distillées ça et là, ou bien de mettre en scène ses personnages, avec une Mildred qui resplendit à l'écran. De plus, le récit bénéficie d'une bande-son sobre et bien utilisée, composée d'instrumentaux adéquats : la mini-série saura mettre en valeur certains passages grâce à sa musique, mais elle saura aussi préférer le silence quand cela est nécessaire. Cette sobriété musicale témoigne d'un savoir-faire maîtrisé très appréciable.

Enfin, Mildred Pierce doit beaucoup à son casting. Ou plus précisément à son actrice principale. Kate Winslet est en effet magistrale. Elle propose une interprétation d'une justesse admirable, mais aussi d'une intensité bouleversante, qui confèrent une dimension supplémentaire à l'émotionnel du récit. Il émane du portrait ainsi esquissé une classe qui éclaire chaque scène et où trouvent à s'exprimer tant la détermination du personnage qu'une forme de fragilité touchante. A ses côtés, les autres acteurs se mettent au diapason pour offrir une prestation d'ensemble des plus convaincantes. Guy Pearce n'a pas son pareil pour incarner cet aristocrate hollywoodien, un peu gigolo, menant une vie en dilettante. Evan Rachel Wood (True Blood) est parfaite en Veda qui va repousser toujours plus loin les limites de la provocation et de l'ingratitude. On retrouve également Melissa Leo (Treme), James LeGros (Ally McBeal, Sleeper Cell), Mare Winningham (Grey's Anatomy) ou encore Brian F. O'Byrne (Brotherhood, Flashforward).

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Bilan : Portrait humain et nuancé d'une figure féminine centrale fascinante, portée par l'interprétation proposée par une grande actrice, Mildred Pierce est un récit éprouvant émotionnellement, marqué par le contraste entre l'épanouissement professionnel et la destruction personnelle plus intime mis en scène. Cela confère une épaisseur psychologique troublante au récit, dont l'intensité croissante s'orientera inévitablement vers une issue douloureuse. Sachant exploiter en toile de fond les préconceptions d'un certain milieu californien heurtées par la Grande Dépression, Mildred Pierce propose une reconstitution sociale soignée, entièrement mise au service d'une histoire finalement simple mais pour laquelle l'intérêt du téléspectateur ne va jamais faiblir.

Une très intéressante mini-série à découvrir.


NOTE : 8,5/10


Deux bande-annonces de la mini-série :


14/04/2011

(Mini-série US) The Kennedys : de l'inutilité de certaines revisitations de l'Histoire ?


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Poursuivons la thématique politique initiée hier avec la review de President. Dans l'exploration des moeurs présidentielles, délaissons cette fois la fiction moderne au profit d'une reconstitution historique, avec une mini-série qui aura considérablement fait parler d'elle au cours des derniers mois : The Kennedys. Tout a déjà été écrit sur les pressions et autres péripéties plus ou moins rocambolesques qui auront accompagné la pénible mise au monde de cette fiction, refusée au terme de sa production par History Channel et qui aura finalement trouvé un asile de diffusion sur une obscure chaîne câblée américaine. En France, c'est France 3 qui devrait proposer cette fiction.

Fustigée de manière anticipée en raison d'une partialité narrative supposée, à défaut de se révéler réellement "sulfureuse" (même si certains éclairages ou priorités pourront être discutés), The Kennedys enfonce surtout de nombreuses portes ouvertes, sans jamais réussir à immerger le téléspectateur dans les problématiques pourtant si fortes des années 60 américaines. Ce n'est pas sur sa hiérarchisation des angles d'attaque, mais c'est surtout sur des problèmes qualitatifs plus structurels, accentués par l'écueil d'une histoire trop connue, que la mini-série s'échoue. On finit ainsi ces huit épisodes avec une sacrée dose de frustration (et ce, alors même qu'il était a priori difficile de trouver meilleur public que moi pour ce sujet précis).

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The Kennedys se propose de nous faire traverser une décennie de turbulences et de bouleversements : celle des années 60, et plus particulièrement les trois années de la présidence Kennedy. De la plus symbolique des manières, elle débute donc en novembre 1960, le jour même de l'élection présidentielle. Refusant cependant de s'astreindre à une narration chronologique strictement linéaire, cela lui permet de recourir à de fréquents flash-backs afin d'installer les grands enjeux et d'explorer plus avant différentes thématiques fondatrices et personnelles à la famille qu'elle va suivre.

Ainsi dès le premier épisode, la mini-série nous fait remonter à la genèse immédiate de cette élection de 1960 qui trouve sa source dans les années 30, évoquant le suicide politique de l'ambassadeur Joe Kennedy, représentant des Etats-Unis à Londres, qui commit l'erreur de jouer la carte de l'apaisement face à l'Allemagne nazie, en passant par le décès de Joe Jr, fils aîné dans lequel son père avait transposé toutes ses ambitions. Tout au long de la mini-série, on retrouvera ce souci d'essayer d'expliquer le présent qui nous est relaté avec des scènes clés du passé. Le dernier épisode se termine avec la décennie en 1969. Plus précisément, c'est l'assassinat de Bobby à Los Angeles en juin 1968 qui referme le dernier chapitre, dans ce récit tumultueux d'une décennie d'intenses luttes et tractations politiques qui se seront écrites dans le sang.   

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Les problèmes dont souffre The Kennedys sont multiples, même s'il faut noter que, dans sa seconde moitié, la mini-série parviendra par éclipse à s'affirmer un peu plus, après un pilote qui concentre de façon très indigeste tous les maux structurels qui vont peser sur cette fiction. Le premier aspect qui va laisser beaucoup de regrets au téléspectateur réside probablement dans son incapacité à prendre la mesure d'une Histoire qui devrait pourtant être son ambition première. Le sujet ne manque a priori ni d'évènements marquants, ni de thématiques fortes, aussi bien au niveau interne, avec le combat pour les droits civiques, que sur un plan international, en pleine Guerre Froide, de la problématique cubaine à la construction du mur de Berlin. Il est même possible de faire un crochet pour flirter avec les paillettes d'Hollywood (ah, Marylin). Si on occulte l'enjeu de la sélection préalable des informations qui est une problématique plus politique, il reste cependant une question majeure : comment est-il possible à partir d'un tel matériau de base de produire un résultat aussi fade et plat ?

The Kennedys propose en effet un récit creux, didactique à l'excès, succombant à une forme d'académisme caricatural. Sa narration trop souvent maladroite donne l'impression de feuilleter précipitemment les pages d'un livre d'Histoire, dont le contenu est restitué d'une manière abrégée et récitée qui apparaît tout sauf naturel. La mini-série ne parvient que trop rarement à insuffler le moindre souffle à un récit dans l'ensemble déshumanisé. On cherchera en vain une âme à cette fiction. Les dialogues s'enchaînent et les évènements se déroulent comme derrière une vitre glacée, sans que le téléspectateur ne se sente jamais impliqué par les enjeux. Peu importe que l'on frôle la Troisième Guerre Mondiale ou que l'on aborde la ségrégation, nous restons des observateurs passifs et extérieurs. Certes, l'Histoire est ici très connue ; d'où une prévisibilité - et peut-être une anticipation - sur laquelle The Kennedys bute. Mais il faut assumer sa volonté d'exploiter un sujet tant traité et être en mesure de proposer, à défaut d'une réelle valeur ajoutée, quelque chose de suffisamment vivant et prenant pour retenir l'attention. Or la mini-série donne surtout le sentiment d'enfoncer des portes déjà grandes ouvertes.

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Cette impression de froideur et de fadeur générales s'explique sans doute en partie par le manque de subtilité chronique dont souffre une écriture vraiment malhabile. Ce dernier point faible va d'ailleurs plomber The Kennedys au-delà de sa difficulté à se saisir de l'Histoire pourtant tourbillonnante de la décennie. En effet, a priori, l'angle d'attaque choisi n'était pas inintéressant. Sur un plan purement humain, afin de servir de fil conducteur à la fiction, le choix d'explorer les rapports au pouvoir à travers le prisme familial, avec ce report des ambitions personnelles de Joe sur ses fils, mais aussi l'équilibre auquel ces derniers parviennent mêlant professionnel et personnel, cela avait un potentiel. Encore eut-il fallu traiter cet aspect avec un minimum de finesse. Mais les scénaristes de The Kennedys, n'ayant manifestement pas vraiment foi dans leurs téléspectateurs, se sentiront toujours obligés de tout grossir à l'excès dans leur façon de mettre en scène les rapports entre les différents protagonistes.

Qu'il s'agisse d'expliquer leurs motivations ou d'appuyer sur leurs traits de caractère, la mini-série verse surtout dans une caricature qui manque de justesse et de crédibilité. Certains aspects du pilote sont, par exemple, assez symptomatiques, avec cette insistance très lourde à rappeler ce que Joe Jr représentait pour son père, les fils cadets n'étant que des substituts imparfaits. De manière générale, c'est tout le façonnement des personnages qui serait sans doute à revoir. Manquant d'ambivalence et de profondeur, la moindre nuance étant tellement mise en relief qu'elle échoue à créer une réelle ambiguïté dans des personnalités qui restent étonnamment unidimensionnelles, alors même que le potentiel, parfois effleuré, est flagrant. C'est non seulement frustrant, mais cela empêche aussi les personnages de vraiment s'installer, car ils peinent à se détacher des icônes historiques auxquels notre esprit les associe automatiquement. 

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De plus, ce flirt avec une forme d'amateurisme un peu passéiste ou naïf se retrouve sur la forme. La réalisation manque d'ambitions (ou de moyens), restant dans un carcan très traditionnel, insatisfaisant, qui ne permet pas de capter le souffle d'une reconstitution d'époque. L'ensemble est assez figé. Le recours à quelques images d'archives ne se fait pas de façon très naturelle ; et l'opportunité de l'incrustation de chiffre rouge pour indiquer la date, lorsque la narration change d'année, m'a laissée franchement dubitative. The Kennedys s'avère donc également assez décevante sur la forme, par rapport aux prétentions qu'elle avait pu afficher.

Enfin, il faut évoquer brièvement le casting, ce dernier ne pouvant sauver la mini-série des maux dont elle souffre. Le scénario, et notamment les dialogues, n'offre pas une base très solide aux acteurs pour s'exprimer. Aucune performance ne restera dans les annales. Ceux qui parviennent cependant à tirer à l'occasion leur épingle du jeu, au sein du casting principal, sont Tom Wilkinson (John Adams) et Barry Pepper. Greg Kinnear reste trop souvent cantonné dans un jeu stéréotypé, même s'il gagne en maîtrise au fur et à mesure que les épisodes passent. Quant à Katie Holmes (Dawson), j'avoue ne pas trop savoir quoi en dire. Elle alterne des scènes où elle paraît presque capter cette forme de détachement qui sied à son personnage et des passages où elle semble complètement absente devant la caméra. Dans quelle mesure le scénario et la réalisation sont responsables de ce problème de direction, il y a sans doute des torts partagés ; peut-être aussi chacun avait-il trop en tête l'image des protagonistes qu'ils étaient sensés incarner.

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Bilan : En dépit de tous ses maux, si The Kennedys parvient globalement à retenir l'attention du téléspectateur tout au long de ses huit épisodes, elle ne le doit pas à la qualité fluctuante d'une narration excessivement académique manquant cruellement de subtilité, ni aux performances inégales des acteurs, mais bien uniquement au concept qui lui sert de base. C'est dans l'éclairage proposé de la présidence Kennedy, mais aussi, sur un plan plus intime, les rapports entre le patriarche et ses fils, que réside l'intérêt de cette mini-série. Cela suffit à rendre l'ensemble visionnable. Mais n'apportant aucune valeur ajoutée aux récits déjà existants de cette période, et plombée par ses maladresses et son incapacité à réellement s'approprier l'Histoire, The Kennedys reste une fiction très dispensable.

Je serais fort tentée de vous conseiller de passer votre chemin sans regret. A réserver aux amateurs du genre.


NOTE : 4,25/10


La bande-annonce de la mini-série :

13/04/2011

(K-Drama) President : une quête du pouvoir sans concession

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Après une parenthèse d'une petite semaine, le mercredi asiatique est de retour ! Et pas n'importe comment, puisqu'il nous revient avec une thématique qui m'est chère et qui va succéder au parfum policier de ces dernières semaines : la politique. Plus précisément, aujourd'hui, c'est une review en forme de bilan global que je vous propose à propos d'un drama, diffusé sur KBS2 du 15 décembre 2010 au 24 février 2011, dont je vous avais déjà parlé - à travers des premières impressions positives - en février dernier : President - La bataille pour la Maison-Bleue sera sans pitié.

Vingt épisodes plus tard, je ne regrette pas mon investissement. Et si lui consacrer un second billet me tient tout particulièrement à coeur, c'est autant pour son thème et sa qualité d'ensemble, qu'en raison du peu d'articles que j'ai pu croiser à son sujet. Car j'ai l'impression que President est malheureusement passé complètement relativement inaperçu (les audiences n'ayant pas aidé à infléchir cette tendance) et occupe une place de choix dans la catégorie des séries sous-estimées de cette année 2011. D'où la nécessité d'un peu de prosélytisme bien ordonné : même si ce drama n'est pas parfait et même si j'ai conscience que tous les publics ne se retrouveront sans doute pas dans les jeux de pouvoir fascinants, parfois létaux, qu'il offre, j'ai personnellement passé de bons moments sériephiles devant mon petit écran.

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Tout d'abord, rappelons brièvement l'histoire. Tout en nous immergeant dans les coulisses de la vie politique sud-coréenne fort agitée, President va avant tout se concentrer sur une thématique centrale : la campagne électorale présidentielle. Plus précisément, ses vingt épisodes vont être en grande partie consacrés à la primaire sans concession qui va se dérouler au sein du parti majoritaire sortant, le Parti de la Nouvelle Vague, entre les différents prétendants à l'investiture suprême. Le parcours vers la Maison-Bleue est semé d'embûches et d'obstacles à franchir. De tactiques électorales nourries de faux-semblants en volte-faces permanents, des fragiles alliances de circonstances aux trahisons inévitables, ce sera celui qui saura se montrer le plus rusé, mais aussi le plus déterminé, qui parviendra au bout de ce long et épuisant marathon politicien.

Le protagoniste central de President est assurément taillé dans cette étoffe particulière, où se mêlent ambitions inébranlables et qualités de stratège indéniables. Il faut dire que c'est sur la tombe de son frère, exécuté pour espionnage en 1981, que Jang Il Joon s'est promis de réaliser un jour ce projet rêvé par une victime des soubresauts politiques d'un autre temps. Cela lui confère une force et une motivation qui transcendent tout. Cependant les voies qui conduisent au pouvoir sont de celles où les compromissions deviennent un jour inévitables ; or la route vers l'Enfer est pavée de bonnes intentions. Dans un milieu politique où tous les coups sont permis, où se situe la ligne jaune ? Quelles limites Jang Il Joon est-il prêt à dépasser ? Sa famille survivra-t-elle à ces turbulences, alors qu'il introduit à ses côtés, autant pour se protéger que pour le protéger, un fils caché qu'il n'a jamais reconnu ?

Moeurs, corruptions, rien ne nous sera épargné durant cette campagne où la loyauté est un luxe que personne ne peut se permettre... Jusqu'où aller dans le sacrifice de ses principes comme de ses proches afin de pouvoir toucher au Graal ? Les blessures résultant de ce combat pour le pouvoir sont-elles vraiment de celles que le temps guérit ?

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Choisir de nous faire vivre en priorité les primaires du parti majoritraire, afin de désigner le candidat officiel à l'élection présidentielle à venir, n'est pas une option narrative neutre. Elle va apparaître opportune à plus d'un titre. En effet, au sein du genre politique qu'elle investit, la série délaisse les débats d'idées pour celui de l'affrontement individualisé. Certes, elle esquissera à l'occasion - et de façon parfois plutôt bien inspirée, soulignons-le - des problématiques de société, de la couverture maladie universelle aux fractures générationnelles. Cependant elle demeure avant tout un récit consacré à l'ambition et au pouvoir. Son intérêt premier, c'est de nous faire assister à la lutte intense pour l'investiture, puis à terme à l'ultime bataille afin d'obtenir la consécration que constitue le poste suprême de président. Par conséquent, en privilégiant la narration des affrontements au sein d'un même parti, le drama peut s'éloigner des problématiques de programme politique et légitimement personnaliser les enjeux.

Dans cette perspective, le personnage de Jang Il Joon, figure centrale ambivalente entièrement consacrée vers l'objectif présidentiel qu'il s'est fixé 30 ans auparavant, constitue l'atout majeur d'une série qui repose en partie sur ses épaules. Si la violence du milieu politique est une donnée universelle, le drama effleure ici des spécificités culturelles propres à son cadre. Par l'Histoire même de la République sud-coréenne, à travers les mutations qu'elle a pu connaître à grande vitesse depuis la fin des années 70, il reste de cet apprentissage démocratique une conscience particulière, voire une détermination exacerbée chez les différents protagonistes qui apparaît parfois en pleine lumière. C'est alors une pointe potentiellement plus tragique qui perce, dans la façon dont chacun peut concevoir la politique et dont la deuxième partie de President rend  compte. A mesure que le fantôme du frère de Jang Il Joon revient sur le devant de la scène, l'idée selon laquelle la politique peut se forger dans et par le sang se fait très concrète (pas seulement par cette image symbolique d'une bible utilisée pour écrire un programme avec son sang).

Si bien que, même si le drama reste globalement dans un non-dit consensuel quand il se réfère au passé, il prend cependant un goût particulier durant certains passages où se problématise l'arbitrage des sacrifices et du sacrifiable pour poursuivre cette quête vers la Maison-Bleue.

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Au-delà de cette course à la réalisation des ambitions, President va savoir fidéliser son public grâce à la consistance et à la richesse d'un récit au cours duquel l'intérêt du téléspectateur ne faiblit pas. La réussite de ce drama va justement résider dans sa capacité à maintenir une tension constante, mais aussi à entretenir une ambiguïté jamais démentie. La série évite en effet toute approche manichéenne. Les personnages ne sont pas unidimensionnels (à quelques rares exceptions secondaires). A mesure que tous gagnent en épaisseur psychologique au fil des épisodes, chacun dévoile une part d'ombre et de lumière. Le tout est de faire en sorte que la première n'éclipse pas totalement la seconde, alors qu'ils finissent par radicaliser leurs positions. Car voilà la problématique informulée qui flotte en arrière-plan : la fin justifie-t-elle tous les moyens ? Jang Il Joon incarne sans doute de la manière la plus représentative et symbolique ce questionnement moral. Echappant obstinément à toute catégorisation, il demeure difficile à cerner pour le téléspectateur. Loin d'être un idéaliste, il est présenté comme un homme de principes... qui n'hésitera pourtant pas à les contourner, voire à les piétiner sans sourciller, au nom d'une plus grande cause. Nous sommes ainsi les témoins privilégiés d'un étrange jeu d'équilibrisme, où le prix à payer semble inéluctable même si le montant demeurera longtemps inconnu.

Cependant, tout en développant ces thématiques politiciennes qui lui sont propres, President va aussi s'approprier les codes narratifs plus classiquement attendus d'une série sud-coréenne. Sans jamais masquer, ni empiéter sur des jeux de pouvoir qui conserveront toujours la priorité, le relationnel sera une constante efficacement utilisée pour fluidifier et lier l'ensemble des storylines du drama. L'empathie qu'il sait susciter conserve les attraits d'un investissement émotionnel qui, s'il n'a rien d'une rom-com ou d'un mélodrama, leur emprunte à l'occasion, sans trop en faire, quelques ficelles narratives. Des questionnements sur la réalité de sentiments facilement écartés sur l'autel des ambitions, à la lente construction de relations où le biologique n'est qu'une donnée anecdotique, en passant par des amours impossibles, voire des affirmations personnelles de jeunes gens qui mûrissent, President offre une forme de cocktail bigarré du savoir-faire sud-coréen dans cette dimension humaine qui lui est chère.

Cela permet de donner une consistance supplémentaire au récit et récompense l'intérêt du téléspectateur qui trouve ici un juste équilibre entre le traitement du politique et un volet qui mettra en valeur un aspect plus émotionnel.

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Sur la forme, President est un k-drama classique, relativement abouti. S'il y a peu de choses à dire (ou à redire) sur une réalisation qui correspond au cahier des charges traditionnel de ce type de série, la bande-son a en su revanche apporter une valeur ajoutée appréciable. Plusieurs chansons de l'OST ont des tonalités qui correspondent avec justesse à certaines des thématiques abordées. Sans être omniprésente, la musique - qu'elle se décline par des morceaux instrumentaux ou par quelques chansons - est fréquemment utilisée comme outil de narration, tel que cela est légitimement attendu d'une série sud-coréenne. L'ensemble est donc satisfaisant.

Enfin, si je me serais attachée à la quasi-totalité du casting, il convient vraiment de saluer la performance de Choi Soo Jong (Emperor of the Sea, Comrades). Imposant une présence forte à l'écran, il aura su incarner avec une ambiguïté prenante et une intensité souvent troublante ce personnage très intrigant. C'est d'ailleurs sans doute dans les rares passages où Jang Il Joon apparaît faillible, que l'acteur démontre pleinement tout son investissement dans ce rôle. A ses côtés, Ha Hee Ra (Catch a Kang Nam Mother, Give me food) a trouvé le ton juste pour incarner l'épouse avec toutes les facettes qui l'accompagnent : de la femme à l'égo bafoué par l'arrivée de l'enfant illégitime de son mari à l'alliée solide qui sait prendre ses propres initiatives. Du côté des jeunes adultes, Wang Ji Hye (Personal Preference) n'aura pas dépareillée, sans forcément marquer. Sung Min (du groupe Super Junior) aura eu relativement peu de scènes ; je serais tentée de dire "heureusement", car il ne s'en est pas toujours très bien sorti. Quant à Jay Kim (du groupe Trax), je garderai un souvenir positif de sa performance. Enfin, dans les rôles des conseillers gravitant autour de cette famille, chacun aura pleinement rempli son rôle. On y croisait notamment Kang Shin Il (Call of the country), Im Ji Eun (The Painter of the wind), Lee Doo Il (Chosun Police 3) ou encore Kim Heung Soo (Invicible Lee Pyung Kang).

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Bilan : President est un drama solide et consistant, investissant une thématique un peu particulière dans le petit écran sud-coréen : la politique, sans la décliner en rom-com (comme avait pu le proposer par exemple City Hall). C'est une série entièrement dédiée à cette quête du pouvoir, assez fascinante par sa façon de mettre en scène l'ambivalence de la partie d'échecs électorale qu'elle relate : atteindre la Maison-Bleue nécessite des sacrifices, mais jusqu'où la compromission peut-elle aller, et surtout conduire ?

Globalement maîtrisée, la narration parvient à exploiter de manière équilibrée et homogène son format de 20 épisodes. Le seul regret viendra peut-être d'une résolution finale un peu abrupte après s'être si bien attaché à décrire le cheminement pour parvenir aux portes de la Maison-Bleue. En fait, c'est un peu le type de drama où on se dit qu'une saison 2 pourrait être pertinente, car il y aurait encore beaucoup de choses à explorer. Mais cette conclusion perfectible n'occulte en rien les atouts d'une série à découvrir !


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce du drama (VOST) :

 

Une des chansons de l'OST (4MEN - 독고다이) :