Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/04/2011

(Mini-série US) Mildred Pierce : un portrait de femme fascinant et éprouvant dans la Californie des années 30


mildredpierce.jpg

Parmi les mini-séries américaines de ces dernières semaines, outre The Kennedys, une autre production était également très attendue : Mildred Pierce. Se proposant de nous offrir un plongeon dans le Los Angeles des années 30, il s'agissait de porter à l'écran un roman classique de James M. Cain, qui n'avait au préalable connu qu'une version cinématographique en 1945. Diffusée du 27 mars au 10 avril 2011, cette mini-série comporte en tout 5 épisodes, d'une heure chacun environ.

A priori, son sujet de départ, un casting prometteur centré autour d'une actrice que j'apprécie tout particulièrement, Kate Winslet, le tout produit par HBO... tout cela constituait autant d'éléments qui avaient forcément éveillé ma curiosité. Et finalement, je n'ai pas été déçue de l'immersion, certes éprouvante, dans cette oeuvre assez fascinante qu'est Mildred Pierce. Mini-série aboutie, poignante comme peu, elle ne peut laisser indifférent un téléspectateur rapidement happé par cette superbe mise en images.

mildredpierceb.jpg

C'est en Californie, à une époque où le soleil ne peut faire oublier la crise que traversent des Etats-Unis heurtés de plein fouet par la Grande Dépression, que s'ouvre Mildred Pierce. Mildred est une jeune mère de famille, dont la vie paraît a priori renvoyer une image de perfection parfaitement huilée : elle habite en banlieue, dans un quartier de classe moyenne relativement aisée, avec un mari et ses deux enfants. Mais la mini-série débute sur un après-midi qui va bouleverser un quotidien dont seule la surface est irréprochable. Lassée des infidélités de Bert, son mari, qui passe désormais plus de temps avec sa maîtresse qu'avec sa famille légitime, Mildred prend une décision radicale en le mettant à la porte. Si Bert, entraîné dans des affaires louches, n'avait déjà plus l'assise financière de l'époque de leur mariage, la jeune femme se retrouve brusquement esseulée, avec deux enfants à charge.

Outre la crise qui a considérablement ralenti l'économie, Mildred a en plus passé les onze dernières années à jouer les parfaites maîtresses d'intérieur. Elle n'a donc aucune compétence, ni expérience professionnelle particulière dans le domaine du travail, si ce n'est un talent pour la cuisine, notamment la conception de tartes, qu'elle monnaye déjà à l'occasion. Cependant, pour ses filles, Mildred va trouver la force de mûrir et de se prendre en charge. Dépassant ses préjugés, mais aussi son propre orgueil, la jeune femme va se donner les moyens pour se construire une nouvelle vie, cette fois-ci indépendante des hommes, et réaliser une ambition qui apparaît comme un défi personnel : celle d'ouvrir son propre restaurant. En réalité, pour comprendre tous les sacrifices consentis par Mildred au service de sa réussite professionnelle, il faut se placer sur un plan plus intime. Ses efforts resteront toujours subordonnés à une quête qui demeure la motivation sous-tendant ses choix : gagner le respect et l'affection de Veda, sa fille aînée dont les idées bourgeoises et artistiques d'adolescence ne s'estompent pas avec le temps. Parviendra-t-elle à harmoniser et réussir sur ces deux tableaux, personnel et professionnel ?

mildredpierced.jpg

Mildred Pierce, c'est tout d'abord une reconstitution historique soignée qui va fonder le récit de cette destinée personnelle. La mini-série offre une immersion dans une période de crise, où les préconceptions sociales de protagonistes issus de classes aisées se heurtent à un principe de réalité douloureux. Le culte des apparences qui prédomine dans la banlieue semi-bourgeoise de Mildred, comme dans le clinquant d'Hollywood, impose ainsi un détachement matériel apparent, à la mise en scène cultivée, mais qui apparaît désormais déplacé. De façon très intéressante, la mini-série va notamment explorer le rapport au travail - manuel - de ce milieu, éclairant les contradictions dans les exigences des personnages. Émanation de cette forme d'aristocratie rentière dont le mode de vie n'est plus adapté à l'économie moderne, Monty apparaît ainsi comme un dandy à la fois symbole de tous les paradoxes, mais aussi séquelle d'un autre temps autrement plus faste. 

Ce cadre historique retranscrit de façon convaincante sert de base à une histoire autrement plus intime. Mildred Pierce va proposer, avec une justesse et une intensité rares, un portrait de femme poignant et nuancé. La figure de Mildred constitue l'âme de la mini-série ; c'est une femme ancrée dans son époque, mais aussi dans son milieu social. Une personnalité forte, obstinée, va peu à peu se dessiner sous nos yeux, fascinante par sa complexité. En effet, la rupture avec son mari, catalyseur sur laquelle s'ouvre le récit, est fondatrice de tous les changements. Cette soudaine liberté s'accompagne d'une prise de responsabilité inattendue. L'émancipation a un coût, ou du moins nécessite des ajustements douloureux pour une jeune mère de famille dont les propres conceptions de normalité sociale sont désormais remises en cause. Mildred va lutter contre ses propres préjugés, sacrifiant ce qu'elle considère comme sa dignité, au nom d'un intérêt supérieur : nourrir sa famille. Cette affirmation presque initiatique d'une femme confrontée à un carcan social qu'elle a elle-même contribué à légitimer par le passé nous est narrée avec beaucoup de sobriété et de pudeur, ce qui confère une authenticité prenante au récit. Mais Mildred va constater que le personnel et le professionnel ne s'allient pas toujours, en dépit de tout son investissement pour réussir à les réconcilier.

mildredpierceu.jpg

Au-delà du portrait de femme, c'est par sa dimension émotionnelle que Mildred Pierce marque et ne saurait laisser indifférent un téléspectateur qui va ressortir très éprouvé du visionnage. Si la jeune femme se caractérise par son obstination, son parcours va être extrêmement chaotique. Elle semble invariablement destinée à monter très haut, pour ensuite voir sa réussite professionnelle considérablement relativisée, voire réduite à néant, par de nouvelles épreuves personnelles à surmonter. Il y a une forme d'inévitabilité au parfum presque tragique dans ce cycle invariable. L'alternance entre une euphorie grisante et une détresse bouleversante permet au récit d'acquérir une portée émotionnelle des plus fortes. Après une phase d'introductive de mise en situation, Mildred Pierce démarre véritablement au cours de la dernière scène qui clôture le premier épisode. Par la suite, la mini-série ne va cesser d'aller crescendo, gagnant constamment en intensité pour culminer tout spécialement dans les deux derniers épisodes.

En fait, cette scène finale du premier épisode comporte tous les éléments sur lesquels Mildred Pierce va se développer. Dans la salle de bain, Mildred craque nerveusement et confie à son amie ses états d'âme sur son nouveau statut de serveuse. L'uniforme de travail apparaît comme le symbole d'une dégradation sociale qu'elle ne peut accepter que pour des filles, dont elle ne saurait pourtant affronter le regard. Si nul ne doute que la décision de Mildred est celle d'une courageuse prise de responsabilité, le dernier plan de la caméra - ô combien significatif ! - annonce les tensions futures : derrière la fenêtre, impassible, Veda a écouté toute la conversation. Le fossé entre la mère et la fille ne va alors jamais cesser de croître. Aux efforts constants, presque désespérés par moment, d'une mère entièrement dévouée à son enfant, ne repond que la prise d'indépendance méprisante d'une adolescente aux désillusions de grandeur blessantes. Cette dynamique familiale est au coeur de la mini-série. Le parallèle est perturbant : à mesure que Mildred se construit professionnellement, ce sont les graines d'une destruction psychologique plus intime qui germent. La vanité de tous ses sacrifices qui se heurtent à l'indifférence invariable de Veda entraîne Mildred dans une spirale où l'explosion finale, potentiellement tragique, apparaît inévitable.  

mildredpierceh.jpg

Solide sur le fond, Mildred Pierce se révèle également particulièrement aboutie sur la forme. Dotée d'une réalisation soignée, superbement mise en valeur par une photographie dont la teinte permet de renforcer le ressenti de reconstitution historique travaillée, la mini-série propose de très belles images, qu'il s'agisse de mettre en avant le décor, avec quelques cartes postales californiennes distillées ça et là, ou bien de mettre en scène ses personnages, avec une Mildred qui resplendit à l'écran. De plus, le récit bénéficie d'une bande-son sobre et bien utilisée, composée d'instrumentaux adéquats : la mini-série saura mettre en valeur certains passages grâce à sa musique, mais elle saura aussi préférer le silence quand cela est nécessaire. Cette sobriété musicale témoigne d'un savoir-faire maîtrisé très appréciable.

Enfin, Mildred Pierce doit beaucoup à son casting. Ou plus précisément à son actrice principale. Kate Winslet est en effet magistrale. Elle propose une interprétation d'une justesse admirable, mais aussi d'une intensité bouleversante, qui confèrent une dimension supplémentaire à l'émotionnel du récit. Il émane du portrait ainsi esquissé une classe qui éclaire chaque scène et où trouvent à s'exprimer tant la détermination du personnage qu'une forme de fragilité touchante. A ses côtés, les autres acteurs se mettent au diapason pour offrir une prestation d'ensemble des plus convaincantes. Guy Pearce n'a pas son pareil pour incarner cet aristocrate hollywoodien, un peu gigolo, menant une vie en dilettante. Evan Rachel Wood (True Blood) est parfaite en Veda qui va repousser toujours plus loin les limites de la provocation et de l'ingratitude. On retrouve également Melissa Leo (Treme), James LeGros (Ally McBeal, Sleeper Cell), Mare Winningham (Grey's Anatomy) ou encore Brian F. O'Byrne (Brotherhood, Flashforward).

mildredpiercer.jpg

Bilan : Portrait humain et nuancé d'une figure féminine centrale fascinante, portée par l'interprétation proposée par une grande actrice, Mildred Pierce est un récit éprouvant émotionnellement, marqué par le contraste entre l'épanouissement professionnel et la destruction personnelle plus intime mis en scène. Cela confère une épaisseur psychologique troublante au récit, dont l'intensité croissante s'orientera inévitablement vers une issue douloureuse. Sachant exploiter en toile de fond les préconceptions d'un certain milieu californien heurtées par la Grande Dépression, Mildred Pierce propose une reconstitution sociale soignée, entièrement mise au service d'une histoire finalement simple mais pour laquelle l'intérêt du téléspectateur ne va jamais faiblir.

Une très intéressante mini-série à découvrir.


NOTE : 8,5/10


Deux bande-annonces de la mini-série :


Commentaires

Marrant que tu ne mentionnes même pas le nom du réalisateur Todd Haynes... alors qu'en ce qui me concerne, c'est son nom qui génère le plus d'attentes par rapport à cette mini-série.
Bon sinon, vision intégrale prévue ce 1er mai.

Et au fait, Mildred Pierce, c'est aussi ça : http://www.youtube.com/watch?v=IMgY_x4TigA&feature=related
Et ce qui est marrant, c'est que sur le même disque, il y avait aussi ce morceau dont le clip a été réalisé par un certain...Todd Haynes : http://www.youtube.com/watch?v=MySZtE3F-4Y

Écrit par : Fred | 17/04/2011

@ Fred : J'avoue que le nom du scénariste/réalisateur pouvait difficilement générer des attentes chez moi, étant donné que je ne pense pas avoir jamais vu aucune de ses oeuvres. En tout cas, il impose une marque et une qualité appréciables sur ce projet. Merci pour ces liens, et bon visionnage ! ;)

Écrit par : Livia | 17/04/2011

!!!!Attention, ce qui suit contient des spoilers importants.!!!!

Mini-série franchement superbe, et traversée de moments sublimes comme la fin proprement sidérante de l'épisode 4 sur l'air des clochettes de Lakme.

Mais je crois que le personnage le plus fascinant, ce n'est pas tellement Mildred (certes magnifiquement interprétée par Kate Winslet) mais Veda.
Totalement consumée par le ressentiment envers sa mère à laquelle elle impute tous ses maux (son origine sociale, la précarité économique et la honte qui y est associée, la mort de sa petite soeur, la médiocrité de ses talents de pianiste,...).
La scène à l'opéra quand elle chante l'air de la reine de la nuit de la Flûte enchantée est à cet égard d'une cruauté inouie.
On y voit Mildred transportée de bonheur et de fierté devant la réussite et le talent de chanteuse de sa fille alors que ce que chante sa fille, incompréhensible pour elle parce que chanté en allemand, est d'une implacable dureté à son égard.
Le texte intégral de cet air, dont on n'entend que la partie finale à l'écran :
"Mon coeur aspire à la vengeance infernale,
mort et désespoir m'encerclent de leurs flammes,
Sarastro agonisera de ta main, sinon je te renierai à jamais.
Sois proscrite, abandonnée pour toujours,
que tous les liens du sang soient brisés,
si Sarastro ne succombe pas sous tes coups !
Entendez, dieux vengeurs, le serment d'une mère "
La scène se termine sur Mildred regardant sa fille aux jumelles qui termine son air sur un rictus qu'elle est incapable de déchiffrer. Suprême ironie de la part de la fille, revanche par l'art contre une naissance dans un milieu laborieux qui fait peu de cas de telles préoccupations.
Pour un peu, on se prendrait à comprendre Veda, voire même à l'approuver, pour peu que l'expression de son ressentiment ait pu prendre une voie moins dictée par la haine vis-à-vis d'une mère qui ne l'a jamais comprise et dont tous les efforts n'ont contribué qu'à accentuer le fossé qui les séparait.
Sans s'en rendre compte, avec les meilleures intentions du monde, Mildred a contribué à la création d'un monstre dont la cruauté de la vengeance, tout d'abord ironique et masquée lors du concert, s'exprimera enfin de manière totalement explicite quand elle narguera sa mère en exhibant frontalement sa nudité.
Mildred ne comprend qu'alors que tout espoir de réconciliation est vain et que comme dans tout bon mélodrame qui se respecte, elle ne trouvera le salut que dans la résignation.
Comme chez les plus grands auteurs de mélos (Mizoguchi, Sirk, Fassbinder), Todd Haynes porte un regard plein de douceur sur son personnage de femme cabossée par la cruauté des épreuves qu'elle doit traverser et trouvant au final l'apaisement et la liberté (parfois dans la mort, mais pas ici) dans l'acceptation que tous les efforts furent inutiles.
Le "To hell with her" final résonnera très longtemps à nos oreilles, ainsi qu'un "Let's get stinko" qui apparemment signifie "Bourrons-nous la gueule" mais dont le "stinko" renvoie à la puanteur d'une origine sociale enfin pleinement assumée.

Écrit par : Fred | 01/05/2011

Oups, je ne m'étais pas rendu compte que j'avais fait aussi long...

Écrit par : Fred | 01/05/2011

@ Fred : C'était long, mais très intéressant comme analyse ! Merci de nous la faire partager ! :)

J'aime beaucoup la façon dont tu comprends et conçois le personnage de Vera. C'est une figure fascinante, qui ne laisse pas indifférent/insensible le téléspectateur. Dans cette série, on retrouve une violence & une cruauté qui marque profondément. L'intensité des sentiments et réactions en font un mélodrame vraiment abouti.

Écrit par : Livia | 04/05/2011

Je suis en train de regarder cette mini série que je trouve brillantissime, mais n'en étant qu'au 3e épisode (que je viens de finir), je suis un peu surprise que seule Evan Rachel Wood, qui logiquement ne jouera que dans 2 épisodes sur 5 le rôle de Veda soit la seule créditée. Passons. Par rapport à cette dernière, j'avoue n'avoir pas bien compris ce qu'elle dit à Mildred lors de la scène du matin de Noël. Que sait-elle exactement des relations entre sa mère et son amant ? Cela m'a globalement échappé.
Merci en tous cas pour ce billet enthousiaste, j'espère que d'autres auront envie de s'y plonger car ça en vaut la peine.

Écrit par : Mona | 31/05/2011

@ Mona : Ravie de voir une autre téléspectatrice happée par cette mini-série vraiment poignante ! :)

Il me semble que Veda n'a jamais été dupe des relations de sa mère avec son amant. Elle a toujours été très précoce et si elle s'est construit certaines vérités par rapport à sa mère, elle a toujours été très bien perçu ce qu'il se passait dans la maison (même quand sa mère essayait de lui cacher).

Sinon, pour le casting, j'ai sans doute rédigé un peu vite mon billet, ayant regardé la série sur deux soirs, les deux derniers épisodes m'ont tellement marqué que j'ai omis l'actrice incarnant Veda plus jeune. Mea culpa. (J'essaierai de compléter cela ce week-end !) ;)

Merci beaucoup pour ton commentaire.

Écrit par : Livia | 03/06/2011

Les commentaires sont fermés.