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17/04/2013

(J-Drama / SP) Lupin no Shousoku : exhumation du passé en quête de la vérité sur un meurtre quasiment prescrit

 

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Retour au Japon en ce mercredi asiatique ! Si j'insiste sur cette destination, c'est parce que, pour une fois, je parviens à respecter plusieurs semaines d'affilée une vraie alternance entre la Corée du Sud et le Japon. Cette semaine, j'ai quelque peu délaissé les nouveautés pour me plonger dans mes dossiers sans fond de séries à rattraper. Comme mon inclinaison du moment m'oriente plutôt vers le genre policier, j'ai finalement exhumé un intéressant tanpatsu (c'est-à-dire un drama court) sur lequel Kerydwen avait attiré mon attention en janvier dernier.

Téléfilm unitaire d'une durée de 2 heures, Lupin no Shousoku a été diffusé le 21 septembre 2008 sur WOWOW. Si le nom de cette chaîne câblée revient souvent dans ces colonnes lorsqu'il s'agit de partir au pays du soleil levant, il faut reconnaître que la confiance accordée est souvent méritée. Lupin no Shousoku ne déroge pas à cette règle. Cette adaptation d'un roman éponyme de Yokoyama Hideo (un spécialiste du suspense) a été confiée à Mizutani Toshiyuki, dont j'ai déjà visionné plusieurs autres collaborations avec WOWOW. Les résultats avaient jusqu'à présent été variables : si Marks no Yama s'était révélé être un intéressant drama policier (déjà), Prisoner m'avait laissé beaucoup plus réservée et mitigée. Heureusement Lupin no Shousoku s'inscrit dans la lignée des qualités du premier (on y retrouve d'ailleurs le même acteur principal), proposant une quête de la vérité prenante et riche en rebondissements.

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Officier n'ayant jamais gravi les échelons de la hiérarchie policière, Mizorogi Yoshihito est resté marqué par ce qui demeure le plus grand échec de la police japonaise de la seconde moitié du XXe siècle : ne pas être parvenu à arrêter le coupable d'un vol de 300 millions de yens qui, bien qu'identifié, bénéficia de la prescription pour s'échapper entre les mailles du filet judiciaire. En charge de l'affaire, Mizorogi détenait le principal suspect le jour où ce délai légal expira. Il a été contraint de le voir ressortir libre du commissariat sans pouvoir espérer jamais mener des poursuites pénales contre lui. Sur le moment, c'est sa démission qu'il remit - et qui fut refusée ; depuis il prend très personnellement chaque cas approchant de la date de prescription.

L'affaire qui va occuper ce tanpatsu tombe justement dans cette catégorie. La police reçoit en effet des informations - que le supérieur de Mizorogi juge fiables - selon lesquelles la mort d'une enseignante, classée comme suicide quinze ans auparavant, était en réalité un meurtre déguisé. Une nouvelle équipe d'investigation est aussitôt réunie, sous la direction de Mizorogi, alors que le délai de prescription s'apprête à expirer. Les renseignements transmis à la police pointent vers trois lycéens turbulents d'alors et une mystérieuse "opération Lupin" qu'ils auraient organisée et qui serait la cause de la mort de la professeure.

L'enquête qui s'ouvre va se révéler bien plus complexe qu'anticipée, ramenant aussi de manière inattendue Mizorogi sur l'affaire des 300 millions de yens volés...

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Le grand mérite de Lupin no Shousoku est de proposer une enquête policière solide, dotée d'une intrigue à tiroirs qui recelle de suffisamment de rebondissements et de twists pour former un récit dense qui va retenir l'attention du téléspectateur jusqu'à l'ultime révélation. La particularité de l'investigation tient au fait qu'elle se déroule 15 ans après les faits : la reconstitution des évènements repose donc entièrement sur la confrontation des témoignages que vont apporter les différents protagonistes mêlés de prés ou de loin à la mort de Mine Maiko. Chacun délivre une part de vérité, éclairant de manière subjective un pan de l'histoire. C'est ensuite aux policiers de rassembler ces pièces éparses d'un même puzzle criminel pour tendre vers la résolution finale. Afin d'éviter un huis clos qui aurait risqué de manquer de rythme, le tanpatsu est entrecoupé de flashbacks, opérant de fréquents aller-retours entre le passé et le présent. Au fil des précisions des témoins, l'intrigue parvient à se renouveler constamment, prenant plus d'un tournant inattendu et dévoilant une réalité bien plus complexe que les premières déductions ne le laissaient entrevoir.

En plus de l'enquête policière, si Lupin no Shousoku suscite l'implication du téléspectateur, c'est aussi parce qu'il place au centre de l'intrigue un facteur humain. Les faits étants très anciens, c'est avec pour seul matériel exploitable des témoignages que les policiers vont devoir naviguer à vue dans ces semi-vérités admises du bout des lèvres, ces souvenirs trop subjectifs à moitié effacés ou encore des regrets manifestes qui pèsent sur certains protagonistes à tort ou à raison. Entre interrogatoires et flashbacks, l'investigation repose sur la compréhension par les policiers des différents suspects, et donc sur une dimension psychologique déterminante. Car chaque personnage est présenté comme façonné par son passé, qu'il s'agisse du policier principal qui voit resurgir ce cas des 300 millions de yens qu'il a perdu face à la prescription, ou des anciens lycéens, aujourd'hui adultes, qui, même s'ils se sont perdus de vue, continuent de vivre marqués par les évènements qui se sont produits il y a 15 ans. Ce tanpatsu insiste sur le poids des secrets et des non-dits que chacun a gardé, sur ces abcès jamais crevés qui ont trop pesé. Exhumant des regrets et des séquelles de la vie, Lupin no Shousoku se dirige vers une conclusion cohérente, assez prévisible, mais qui a le mérite de venir conclure de façon satisfaisante cette journée où le passé est soudain remonté à la surface.

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Sur la forme, Lupin no Shousoku est un drama au petit budget qui opte opportunement pour une réalisation sobre. On peut juste lui reprocher parfois un certain manque de subtilité, les plans choisis donnant des indications sur l'orientation à venir de l'intrigue. S'efforçant de refléter l'atmosphère d'une histoire chargée de lourds secrets, les filtres sont assez sombres, surtout dans le présent des années 90. L'ambiance musicale recréée respecte également ces mêmes exigences de tonalité. Si bien qu'avec un minimum d'effets, tout en jouant le jeu d'un quasi huis clos au sein du commissariat, le tanpatsu parvient à trouver une identité visuelle cohérente et bien à lui.

Côté casting, en dépit de ce que pouvait suggérer l'affiche, Lupin no Shousoku est un drama relativement choral, du fait d'une construction où ce sont les témoignages confrontés qui peu à peu conduisent à l'établissement de la vérité. Mizorogi sert cependant de repère au téléspectateur, et apparaît donc comme le pivot narratif. Il est interprété avec aplomb par Kamikawa Takaya qu'on retrouvera deux ans plus tard aussi en policier dans Marks no Yama. A ses côtés, le casting est relativement solide ; sa principale limite tient aux flashbacks et au fait qu'il est difficile de jouer à la fois un lycéen et un trentenaire. On y croise notamment Nagatsuka Kyozo (Magma), en responsable policier qui conserve sa confiance en Mizorogi, Fukikoshi Mitsuru (Himitsu), Tsuda Kanji (Prisoner, Magma), Sato Megumi (Harukanaru Kizuna, Machigawarechatta Otoko), Endo Kenichi (Fumou Chitai, Gaiji Keisatsu, Soratobu Taiya, Strawberry Night), Hada Michiko (Dai Ni Gakusho), Okada Yoshinori (Nankyoku Tairiku), Arai Hirofumi (Hitori Shizuka, Going my Home) ou encore Kashiwabara Shuji (M no Higeki).

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Bilan : Bénéficiant d'une tonalité à la sobriété opportune, aussi bien dans l'écriture que dans le jeu des acteurs, Lupin no Shousoku signe une intrigue policière dense et efficace. La construction narrative reposant sur une confrontation permanente des différents témoignages permet une histoire riche en rebondissements, capable de renouveler les enjeux et de prendre plus d'une fois une tournure inattendue, à mesure que se dévoile peu à peu une vérité complexe. La fiction remplit donc son office : intéresser et aiguiser jusqu'au bout la curiosité du téléspectateur. Une histoire policière classique et solidement exécutée qui devrait satisfaire les amateurs.


NOTE : 7,5/10

11/05/2011

(J-Drama) Soratobu Taiya (The Flying Tire) : un thriller industriel à suspense sur fond de tableau social nuancé


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C'est au Japon que nous ramène le mercredi asiatique de la semaine. Il faut dire que vous avez décidement de très bons conseils, et que je pense en plus commencer à bien cerner quels styles de séries sont susceptibles de me plaire actuellement au pays du Soleil Levant. Et s'il y a bien une thématique que les japonais semblent maîtriser, c'est bien leur approche du milieu de l'entreprise et de l'industrie. L'été dernier, le visionnage de Hagetaka avait été pour moi une vraie révélation. Depuis, avec une dimension historique supplémentaire, Karei Naru Ichizoku et Fumou Chitai m'ont aussi impressionnée. Nous restons aujourd'hui dans cette même lignée.

Soratobu Taiya (The Flying Tire) est un drama de la chaîne câblée WOWOW. Il s'agit en fait de l'adaptation d'un roman portant le même titre, de Ikeido Jun. Relativement courte, puisqu'elle est composée de seulement 5 épisodes, elle a été diffusée du 29 mars au 25 avril 2008. Sa durée ne l'empêche pas d'aborder de manière très riche mais aussi nuancée des thématiques multiples, mêlant à un thriller industriel prenant, un tableau social et une présentation des relations en entreprise des plus passionnants.

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C'est sur un drame que débute Soratobu Taiya. Le frein d'un camion saute lors d'un virage apparemment anodin et vient faucher une mère et son enfant qui marchaient sur le trottoir. La femme est tuée sur le coup, le fils gardera à vie cette vision terrible de l'accident qui s'est déroulé sous ses yeux. L'enquête conduite par la police disculpe rapidement le conducteur, dont le comportement n'était pas en cause ce jour-là, respectant les limitations de vitesse et toutes les consignes de sécurité. Sur un plan plus technique, pour étudier le véhicule, les autorités se tournent vers le constructeur qui apparaît légitimement le plus compétent. Hope Motors rend un rapport accablant pour l'entreprise de transport Akamatsu qui lui a acheté le camion, estimant que l'accident est imputable à une négligence d'entretien de la part de cette dernière.

Condamné moralement et socialement sur la seule foi de ce document, Akamatsu, gérant de cette société de taille moyenne qu'il a hérité de son père, voit ses clients se désister les uns après les autres, faisant craindre très vite une banqueroute irrémédiable. Seulement, l'entrepreneur refuse de baisser les bras. Plus il y réfléchit, moins il croit au diagnostic de Hope Motors et à ses réponses fuyantes. Cherchant à découvrir la vérité autant qu'à sauver son entreprise, il va trouver du soutien dans le travail d'une jeune journaliste s'intéressant également au sujet. De plus, à l'intérieur même du groupe Hope, certains employés s'interrogent aussi sur des pratiques qui risquent de fragiliser la filiale alors qu'elle traverse déjà une période difficile ; en effet, même si tout est soigneusement cloisonné, il semble bien que soit organisée en son sein une vaste opération visant à éviter à tout prix d'ordonner le rappel de véhicules défectueux, qui aurait un coût financier très important.

Soratobu Taiya va nous proposer de suivre tous ces différents protagonistes, tandis qu'en toile de fond des intérêts et des influences contradictoires s'exercent dans ce milieu complexe de l'entreprise et de la finance.

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Série très prenante, maîtrisant parfaitement son format relativement court de 5 épisodes, Soratobu Taiya va proposer une quête vers la vérité pleine de tension et de suspense. La réussite de ce drama, c'est non seulement de savoir se réapproprier certains codes narratifs du thriller, mais c'est aussi d'opter pour une sobriété bienvenue qui donne une impression de réalisme et d'authenticité lui conférant une dimension supplémentaire. Les efforts d'Akamatsu vont logiquement le conduire à se dresser contre Hope Motors. L'importance de cette société, qui appartient à un vaste conglomérat - lequel comprend même une banque -, explique que les recherches d'Akamatsu donnent parfois l'impression d'une réminiscence du face-à-face de David contre Goliath. La série va d'ailleurs s'attacher à souligner le clivage et les disparités existentes : elle démontre sans complaisance comment, selon que vous soyez puissants ou faibles, vous ne serez pas traités de la même manière, pas plus que vous n'aurez les mêmes chances de survie lorsque votre réputation ou votre santé financière sera remise en cause.

Impliquant un téléspectateur qui ne peut rester insensible à certaines injustices, la portée du drama est accrue par son exploitation d'une dimension plus humaine et sociale qui enrichit d'autant l'intrigue. En effet, Soratobu Taiya offre un tableau social détaillé et nuancé de diverses cultures d'entreprises, portrait très intéressant des modèles co-existant encore au Japon. L'archétype familial traditionnel, symbolisé par l'entreprise d'Akamatsu, fonctionne sur des bases paternalistes, étant à taille "humaine" puisqu'elle ne comporte qu'une cinquantaine d'employés. Tout repose sur le patron, y compris la survie de la société. A l'opposé, la gestion de Hope Motors n'a rien de commun : nous sommes alors face à des employés interchangeables, gérés suivant un management qui valorise les traitements préférentiels et récompenses les loyautés personnelles entre services. Pour autant, tout comme au sein d'Akamatsu Transport, il y existe également un esprit d'entreprise. L'éclairage sur la volonté de certains de changer les choses et modifier de l'intérieur ces choix discutables doit être salué, car il évite une opposition trop facile et simpliste entre deux camps...

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En effet, la force de Soratobu Taiya va être de ne jamais tomber dans un portrait manichéen. Au contraire, la série s'attache à présenter toute une palette de points de vue, bénéficiant pour cela d'une vaste galerie de personnages aux situations professionnelles très différentes. On aborde ainsi l'affaire sous toutes les perspectives possibles. Si la croisade pour la vérité d'Akamatsu, qui se persuade très tôt que quelque chose cloche chez Hope Motors, se heurte aux préjugés, aux généralités aisées et à la facilité qu'il y a de croire avant tout l'entreprise qui paraît présenter le plus de garanties de par son importance, on comprend aussi - tout en souffrant à ses côtés - le scepticisme initial que ses dénégations peuvent susciter. Cependant, ce qui est encore plus intéressant, c'est la manière dont sont décrites les divergences au sein même de Hope Motors. A des questions purement éthiques se superposent une réelle préoccupation pour l'avenir de l'entreprise : ceux qui cautionnent les mensonges, comme ceux qui vont décider d'organiser des fuites à l'intention de la presse, ont paradoxalement tous à coeur un même objectif : celui de sauver leur entreprise. A ce titre, la fin offrira une résolution mesurée très réaliste.

Cette sobriété globale n'empêche pas la série d'investir une dimension émotionnelle éprouvante. Il ne faut pas oublier que c'est un drame humain qui est mis en scène. En toile de fond poignante, il y a, constante, la douleur de la famille de la victime dont le deuil ne pourra vraiment commencer que lorsque les torts de chacun auront été reconnus. Le drama a l'intelligence de la mettre en scène avec retenu. Ne s'attardant pas, il évite ainsi un pathos qui aurait alourdi un quasi sans faute sur le plan du traitement émotionnel. Car ce qui marquera sans doute également fortement le visionnage du téléspectateur, c'est la manière dont l'opprobre social s'abât sur la famille d'Akamatsu, coupable aux yeux de tous en raison d'une perquisition policière qui n'a pourtant rien donné. Cette violence insidieuse que subissent au quotidien la femme et le fils d'Akamatsu laisse ainsi un arrière-goût très amer.

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Sur la forme, Soratobu Taiya est un drama très sobre. La réalisation est efficace, mais ne s'essaye à aucun effet de caméra : l'histoire prime, et la solidité du scénario permet au récit de se suffire à lui-même. Il parvient à générer par sa seule narration une tension et une émotion telles, qu'il devient inutile de trop en faire. Dans la même optique, sa bande-son demeure assez effacée, et cela n'est en rien préjudiciable à la portée de l'histoire. En résumé, le cadre classique assure l'essentiel.

Enfin, la série bénéficie d'un casting homogène des plus convaincants. S'attachant à mettre en scène tous les points de vue du drame, c'est une galerie diversifiée de personnages nuancés qui nous est dépeinte. Nakamura Toru (Kokoro) délivre une performance solide et intense, pour jouer ce chef d'entreprise à l'ancienne qui va tout tenter pour sauver sa société. Tanabe Seiichi (Hotelier) incarne avec nuance les interrogations d'un employé de ce groupe automobile, hésitant dans l'arbitrage à donner entre ses principes moraux et sa carrière personnelle. Le personnage joué par Hagiwara Masato (Full Swing), un banquier, est soumis aux mêmes interrogations, le touchant encore plus personnellement puisque c'est son futur mariage qui finit par être en jeu. Mizuno Miki (Dream) est parfaite en journaliste qui n'hésite pas à pousser son enquête jusqu'au bout. A leurs côtés, on retrouve également Mimura, Hakamada Yoshihiko, Emoto Tasuku, Komoto Masahiro, Aijima Kazuyuki, Ono Machiko, Endo Kenichi, Honjo Manami, Nishioka Tokuma ou encore Kunimura Jun.

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Bilan : Soratobu Taiya est une série prenante qui surprend par son intensité et la densité des thématiques abordées. Thriller industriel à suspense, elle présente également un tableau social sans complaisance mais nuancé de diverses cultures d'entreprise, tout en offrant aussi un aperçu plus général des préconceptions qui peuvent avoir cours au sein de la société face à des accusés préjugés coupables. Finalement, elle s'impose comme une histoire poignante d'êtres humains confrontés à des choix difficiles sur fond de drame marquant.

Une série conseillée à tout un chacun, les amateurs de séries asiatiques comme les téléphages d'autres horizons, tant elle fait vibrer une corde sensible universelle à tout téléspectateur. Incontournable !


NOTE : 9/10


La bande-annonce de la série :


20/04/2011

(J-Drama) Fumou Chitai : le traumatisme d'un homme, la reconstruction d'un pays dans le Japon de l'après-guerre

 
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En ce mercredi asiatique, la série dont je vais vous parler aujourd'hui est une oeuvre particulière. Je ne suis pas quelqu'un qui aime surenchérir dans la course aux superlatifs, et j'ai bien conscience d'avoir encore beaucoup à apprendre et à découvrir du petit écran japonais, mais je peux écrire sans hésiter que je n'avais encore jamais visionné de série semblable à Fumou Chitai. Elle dispose d'un concept fort, dans un cadre au parfum également à part, celui de l'après-guerre au Japon. Il y a une richesse et une consistance narratives constantes absolument fascinantes dans ce drama, où l'intime côtoie l'historique.

Marquant le cinquantième anniversaire de Fuji TV, Fumou Chitai a été diffusée du 15 octobre 2009 au 11 mars 2010. Comportant en tout 19 épisodes, elle est l'adaptation d'un roman à succès, portant le même titre, écrit par Yamazaki Toyoko à qui l'on doit également le livre ayant servi de base à un autre drama, lui aussi incontournable, avec lequel cette série partage certaines thématiques, Karei Naru Ichizoku. A noter, enfin, que Fumou Chitai avait déjà été porté au petit écran en 1979, dans une première série qui comportait elle 31 épisodes.

En somme, cette série fait partie des oeuvres qui, par leur densité, par les thématiques si riches qu'elles soulèvent, intimident quelque peu le critique. Il est difficile de lui rendre pleinement justice ; mais je vais quand même essayer de vous expliquer ce que j'ai trouvé et ressenti dans ce drama que je conseille vraiment à tous, familiers du petit écran japonais ou non.

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Fumou Chitai s'ouvre en 1945 sur la capitulation japonaise, marquant la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Iki Tadashi est alors un stratège au sein de l'armée impériale. Si comme beaucoup, il écoute avec une forme d'incrédulité le discours de reddition de l'Empereur, il est cependant envoyé en Chine pour s'assurer que les forces armées japonaises respectent bien ces ordres univoques. Devant l'avancée des soldats russes, il ne peut se résoudre à regagner à temps le Japon et décide de rester auprès de ses hommes. Fait prisonnier, il est expédié en Union Soviétique. Il bénéficie au début d'un traitement de faveur dans un contexte de (pré-)Guerre Froide, les Russes espérant obtenir un témoignage compromettant pour remettre en cause la thèse américaine exonérant l'Empereur japonais. Mais devant son refus catégorique, Iki Tadashi est finalement condamné à une longue peine de travaux forcés.

Il restera dans les camps de travail de Sibérie jusqu'en 1956, soit onze années passées dans l'enfer des goulags russes. Les conditions de vie si difficiles eurent raison de nombreux prisonniers. Ce qui permit à Iki Tadashi de survivre, c'est non seulement la pensée de sa famille, mais également le souvenir de tous ses camarades qui s'éteignirent sous ses yeux, tombés d'épuisement, de malnutrition ou pour qui, une fois l'espoir disparu, le suicide apparut comme le seul recours pour en finir avec toutes ces souffrances. Après tant d'années loin des siens et de son pays, le retour au Japon ne s'opère pas sans une phase d'adaptation douloureuse. Sa femme s'est mise à travailler pour subvenir à leurs besoins. Sa fille craint plus que tout que son père poursuive dans cette carrière militaire tant honnie. Quant à son fils, n'ayant connu son père que par une idéalisation enfantine d'une figure militaire lointaine, il ne le reconnaît pas.

Pour reprendre le cours de sa vie mise en hiatus pendant plus d'une décennie, et dont il gardera à jamais le traumatisme au plus profond de lui, Iki Tadashi se tourne finalement vers une carrière civile. Déjà dans la force de l'âge, peut-il vraiment se reconstruire dans le domaine du commerce qui lui est totalement étranger ? Il sera pourtant le témoin privilégié, et un des acteurs, de la restructuration économique japonaise au cours de deux décennies cruciales jusqu'à la fin des années 70.

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Fumou Chitai, c'est tout d'abord une fresque, grande et ambitieuse, dont une des réussites va être de savoir mêler l'historique et le personnel. Elle y parvient en suivant le parcours d'Iki Tadashi, fil conducteur du drama, dont la destinée apparaît liée à celle de son pays. Au sortir de la défaite, le pays est à reconstruire économiquement, mais aussi socialement, de la même manière que la vie d'Iki Tadashi est à rebâtir lorsqu'il revient de Sibérie après ces onze années perdues. Les fictions se déroulant dans une période d'après-guerre ont souvent un parfum assez particulier, et ce drama n'y déroge pas. Jusqu'à présent, j'ai assez peu vu ou lu d'oeuvres sur cette époque au Japon, à l'exception peut-être du Soldat Dieu de Koji Wakamatsu qui traite plutôt du militarisme japonais précédant la défaite. Toujours est-il que l'évocation de cette fin de guerre constitue une première thématique forte de ce drama, évoquée de la perspective du personnage principal.

La série aborde ce sujet difficile avec une maîtrise et un aplomb à saluer. Même si vous ne deviez pas poursuivre au-delà, je ne saurais trop vous conseiller de prendre le temps de regarder au moins le pilote, très long (plus d'1h50), mais absolument fascinant, qui nous relate la façon dont Iki Tadashi va vivre la capitulation et les années de détention. Fumou Chitai opte pour une approche simple, sans pathos inutile et dépourvue du moindre excès dans la mise en scène. Cette présentation confère au récit toute sa force, ainsi que son intérêt. Car cette sobriété bienvenue accentue l'intensité des évènements relatés, renforçant l'impression d'authenticité et de rigueur historique. Si la série montre peu le Japon durant cette période, la question des prisonniers de guerre internés en Union Soviétique est en revanche traitée avec soin. J'avoue que c'est un sujet dont j'ignorais tout avant de visionner ce drama ; mais plus de 500.000 soldats japonais qui se trouvaient sur le continent lors de la capitulation passèrent ainsi par les camps russes. En raison de son grade (et de son manque de coopération), Iki Tadashi sera condamné par un tribunal militaire soviétique, ce qui explique qu'il fera partie de ceux qui subiront la plus longue durée d'emprisonnement.

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Au-delà de la reconstitution historique, cette détention sibérienne va permettre à Fumou Chitai d'explorer une dimension plus intime, en un sens plus déchirante, à travers la figure complexe de son personnage central. Car si la série va ensuite de l'avant, tournée vers le futur à l'image d'une société qui souhaite se rebâtir, le traumatisme constitué par ces années en Sibérie ne va jamais s'effacer. La portée symbolique du générique de fin est à ce titre révélatrice : il se charge de nous rappeler que c'est dans cet enfer blanc que la volonté de continuer à vivre d'Iki Tadashi trouve sa fondation. Cette dernière se résume en un simple commandement : servir son pays. Mais s'il s'efforce de retrouver un équilibre dans sa vie familiale, s'il amorce avec assurance une ascension professionnelle impressionnante, cette reconstruction n'est qu'illusoire. Elle n'est qu'une apparence, une façade de survie au sujet de laquelle même Iki Tadashi se ment parfois, mais dont chacun de ses actes va nous démontrer la vanité.

Car une partie du personnage est bien morte en Union Soviétique. Ce pacte qu'il a fait avec lui-même, cette ligne de conduite qu'il s'est fixé, survivre pour servir son pays, il la suivra certes longtemps sans recul. Jusqu'aux dernières années où la remise en cause de ses certitudes lui feront prendre conscience de ses priorités. Akitsu Chisato l'accusera d'égoïsme, mais en réalité, le choix final de retourner en pèlerinage en Sibérie ne vient que confirmer ce que le téléspectateur a compris depuis longtemps. Si Iki Tadashi s'est assigné un devoir, assumant les responsabilités qu'il devait à ses hommes, à sa famille et à son pays, lui-même n'a jamais su ou pu recommencer sa vie. Tous les espoirs d'un futur auquel il aurait droit sont morts en même temps que ses camarades, ceux qui se sont suicidés sous ses yeux comme ceux qui ont succombé aux mauvais traitements. C'est seulement à la fin de la série qu'Iki Tadashi semble le reconnaître et l'accepter.

Laissant une place pour l'interprétation d'un téléspectateur captivé, l'approche psychologique de Fumou Chitai est d'une finesse assez fascinante, traitant de façon très nuancée, avec beaucoup de non-dits de ce fil rouge central. S'assurant ainsi d'une fondation très solide, le drama va pouvoir investir d'autres enjeux immédiats, et notamment les questions économiques.

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L'industriel, c'est en effet le thème le plus directement évoqué par Fumou Chitai. Cela le rapproche de Karei Naru Ichizoku, sans pour autant que les deux dramas se confondent. Dénuée de tous les ingrédients empruntés aux soaps qui faisaient la marque du second, Fumou Chitai apparaît plus rigoureuse et documentée dans son approche, sans pour autant être moins accessible. En effet, la série ne va avoir aucune difficulté à retenir l'attention du téléspectateur sur des enjeux qui touchent plutôt à des problématiques de stratégie industrielle. Par sa mise en scène d'une concurrence acharnée entre entreprises, ce drama s'inscrit plutôt dans le thriller financier, reprenant des codes classiques de l'espionnage : la collecte et l'analyse des données sont un travail proche de celui du renseignement. Le résultat donne un mélange des genres efficace, sachant entretenir une tension et un suspense presque inattendus.

Dans ce domaine économique, la série a également un intérêt historique : elle nous plonge dans le Japon de l'après-guerre, à travers plusieurs décennies d'industrialisation et de progressive ouverture au monde du pays. Nous permettant de suivre indirectement les grandes politiques et transformations initiées, Fumou Chitai éclaire sans complaisance des moeurs gouvernementales où la corruption est généralisée et apparaît normalisée, dressant ainsi un portrait peu flatteur du personnel politique dirigeant. De plus, ce récit explore le développement industriel japonais dans des domaines très divers, avec une approche résolument internationale. En effet, après avoir passé deux années à se remettre physiquement de sa détention, Iki Tadashi accepte l'offre d'emploi du président de Kinki Trading Co. La série traitera de l'industrie à travers plusieurs grands arcs narratifs successifs, en commençant par un sujet qui touche de près son héros, l'armement, pour finir par une problématique devenue centrale, le pétrole, en passant par les grandes restructurations des années 70 dans l'industrie automobile.

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En outre, Fumou Chitai va savoir investir une dimension humaine grâce à laquelle le téléspectateur va s'attacher à son univers. La rigidité, toute militaire pourrait-on dire, d'Iki Tadashi qui s'attache à ses principes et à une probité qui tranchent dans ce milieu, ne sera pas toujours dénuée d'ambivalence. Si, initialement, c'est l'invocation d'intérêts supérieurs nationaux qui semble justifier le recours à des moyens peu recommandables, un glissement est perceptible dans l'ordre des priorités du personnage. Toujours présentée sous couvert de servir son pays, la dernière intrigue pétrolière montre toutes les limites, voire l'hypocrisie, de ce raisonnement et les transformations d'Iki Tadashi au contact d'un milieu industriel dont il a désormais pleinement intégré les codes, même s'il s'en défend. Fumou Chitai permet d'ailleurs de nous immerger de façon crispante et prenante dans ce monde des affaires, où les ambitions et les égos conditionnent de fragiles alliances de circonstances et où chacun cultive des inimités qui traversent les années. L'ultra-concurrentiel offre une forme de prolongement civil à l'affrontement militaire ; le parallèle opéré grâce aux mises en oeuvre des stratégies d'Iki Tadashi est à ce titre très révélateur.

Pour autant, Fumou Chitai aborde aussi un registre plus intime, voire sentimental. Plusieurs figures féminines vont en effet marquer la vie d'Iki Tadashi, chacune représentant une conception différente de la femme. Yoshiko est l'épouse à la fidélité sans faille, qui se sera sacrifiée elle aussi pendant ces onze années pour faire survivre sa famille. Renvoyant à la conception familiale japonaise traditionnelle, elle gagne en importance au fil des épisodes : loin d'être effacée, elle acquiert une épaisseur et une dimension presque tragique dans son obstination à essayer de maintenir unie une famille dont la Sibérie n'a laissé, sur bien des points, qu'une coquille vide. Avec Akitsu Chisato, il y a un changement de génération : c'est une femme active, pour qui le bonheur importe, seul le mariage d'amour se justifiant à ses yeux. Sa relation avec Iki Tadashi est particulièrement bien traitée. Toute en nuances, elle sonne très authentique par le carcan dans lequel elle se développe. Si Chisato privilégiera les sentiments à la raison, elle n'en recueillera pas les bénéfices En effet, celui qu'elle aime a perdu en Sibérie cet élément précieux qu'est la capacité à pouvoir se construire un futur. Enfin, de façon plus incidente, il est également possible d'évoquer Hamanaka Beniko, symbole, elle, de la femme fatale qui a gagné une forme de liberté en embrassant et dépassant les conventions sociales de son milieu aisé. Toutes trois enrichissent la série, vis-à-vis de caractère permettant de remettre en cause les certitudes d'Iki Tadashi.

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Appliquée et solide sur le fond, Fumou Chitai l'est également sur la forme. Sa réalisation est soignée, bénéficiant d'une photographie qui sied parfaitement à l'atmosphère de la série qui va traverser les décennies en partant du milieu du XXe siècle. Les teintes choisies mettent d'ailleurs bien en exergue l'effort de reconstitution historique. Cette sobriété, qui n'est pas pour autant frodie, est d'autant plus appréciable qu'elle confère une classe à part à la série. La maîtrise d'ensemble se ressent tout particulièrement par un certain nombre de plans qui dépassent le simple fonctionnel, pour réellement investir une mise en scène symbolique.

Par ailleurs, la série bénéficie d'une belle bande-son qui s'impose rapidement comme un outil de narration à part entière, accompagnant et rythmant l'intensité du récit, tout en permettant de refléter l'ambiance particulière de l'histoire. Toujours utilisée à bon escient, composée d'instrumentaux de musique classique, elle a été composée par Kanno Yugo. Je vous avoue que, depuis plusieurs jours, j'écoute le CD de l'OST indépendamment avec beaucoup de plaisir. Il convient également de saluer la chanson du générique de fin (Tom Traubert's Blues, par Tom Waits) : ce morceau anglophone, inattendu, déstabilise dans un premier temps, mais le téléspectateur prend rapidement conscience de sa réelle portée : cette complainte lancinante est un cri déchirant, écho parfait à ce que ressent le héros de ce drama.

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Enfin, Fumou Chitai bénéficie d'un casting très solide qui permet d'asseoir efficacement l'histoire. Tout d'abord, il faut saluer la performance de Karasawa Toshiaki : il est vraiment fascinant dans sa façon d'interpréter de manière extrêmement sobre un personnage dont l'inexpressivité est souvent interprétée comme une forme d'insensibilité. Le détachement qu'il cultive renforce l'impression que Iki Tadashi demeure une sorte d'observateur extérieur des évènements, même s'il influe sur eux : une partie de lui-même est resté dans cette Sibérie qui a glacé une part d'humanité. Cette approche du personnage permet également de rendre encore plus marquante les scènes au cours desquelles la façade se fissure en des éclats d'émotion poignants.

A ses côtés, les personnalités féminines l'entourant, toutes très différentes, sont incarnées de façon convaincante par Wakui Emi (Hanayome to Papa), parfaite en épouse dévouée, par Koyuki (Engine), l'artiste de céramique, et enfin par Amami Yuki (BOSS, Gold), en femme fatale absolument resplendissante. Autre figure ayant son importance, la fille de Iki Tadashi est interprétée par Tabe Mikako (Deka Wanko). Parallèlement, au sein de l'entreprise, j'ai retrouvé avec beaucoup de plasir Takenouchi Yutaka (BOSS), en subordonné passionné par l'exploitation pétrolière. On croise également Harada Yoshio (Engine), Kishibe Ittoku (Arifureta Kiseki), Endo Kenichi (Gaiji Keisatsu) en concurrent qui prend très vite l'affrontemet personnellement et Abe Sadao (Dare Yorimo Mama wo Ai su) en journaliste toujours en quête d'un scoop.

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Bilan : Fumou Chitai, c'est une fresque fascinante, éprouvante, d'une richesse rare par sa capacité à jouer sur tous les registres de la fiction. C'est l'histoire d'une reconstruction personnelle impossible, sur fond de refondation économique et sociale d'un pays sorti exangue de la Seconde Guerre Mondiale. Récit politico-industriel à l'intérêt historique indéniable, le fil rouge de Fumou Chitai reste pourtant, en premier lieu, celui d'un drame humain. La série nous relate le parcours d'un ancien soldat, prisonnier de guerre marqué par la défaite et par onze années de captivité qui ont irrémédiablement brisé quelque chose en lui. Son sens du devoir lui donnera les ressources nécessaires pour aller de l'avant et entreprendre tous ces projets que le téléspectateur suivra avec attention. Mais, même le temps ne saura effacer ce traumatisme central qui nous sera constamment rappelé.


Si j'ai conscience de la longueur intimidante de cette review, je finis pourtant ma critique en ayant encore l'impression d'avoir tant à dire sur certains aspects que j'ai passés sous silence. C'est vous dire la densité de ce drama à part. Une série incontournable.


NOTE : 9,5/10


Le générique de fin (la chanson : Tom Traubert's Blues, par Tom Waits) :



Une musique de l'OST (le thème principal) :

16/06/2010

(J-Drama) Gaiji Keisatsu : jeux de dupes, jeux d'espions, au sein de l'antiterrorisme japonais


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Aujourd'hui, pas de test de pilote, mais le bilan d'une série entière. Mon coup de coeur asiatique de la semaine est une découverte inattendue en provenance du Japon, une immersion dans les services de lutte antiterroriste de la police de ce pays : Gaiji Keisatsu. En bien des points, je serais tentée de dire qu'il s'agit d'un drama juste parfait pour mettre l'été à profit afin d'élargir son horizon téléphagique et découvrir (enfin) une série asiatique. Pourquoi ? Pour vous situer son genre, essayons-nous à l'exercice des parallèles : sobre et magistralement menée, Gaiji Keisatsu traite de menaces sur la sécurité intérieure avec la paranoïa et la maîtrise d'un Spooks (MI-5) des grands jours. De plus, autre atout pour achever de convaincre les derniers récalcitrants : c'est une série courte. Son format lui permet de ne pas s'étaler inutilement et de maintenir constante la tension qui y règne, car elle ne compte en effet que six épisodes d'une cinquantaine de minutes chacun.

Adaptation d'un roman éponyme d'Aso Iku, diffusée par NHK du 24 novembre au 19 décembre 2009, Gaiji Keisatsu (6 x 50') s'est donc révélée être l'excellente surprise de ce mois de juin dans mes programmations sériephiles. En résumé, c'est un peu ce qu'un drama comme IRIS aurait pu être, si ses scénaristes avaient mieux maîtrisé leur sujet.

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Gaiji Keisatsu nous plonge au coeur d'une branche à part des forces de police japonaise, celle qui s'occupe des Affaires étrangères, surveillant notamment les allées-venues sur le territoire national. En charge de la sécurité publique du pays, elle est celle qui lutte contre toutes les menaces internationales, tel que l'espionnage ou le terrorisme. Elle agit généralement de concert avec le bureau de la CIA basé à l'ambassade américaine, qui a historiquement été longtemps le donneur d'ordres de ce service. L'agence de renseignements américaine leur fournit d'ailleurs toujours des renseignements. Elle informe ainsi le directeur, Ariga Shotaro, d'une menace terroriste potentielle qui pèserait sur eux. Un mystérieux mercenaire très dangereux, connu sous le pseudonyme de "Fish", aurait infiltré le pays. L'enjeu est d'autant plus important que le Japon doit accueillir une cible de choix : une importante conférence internationale liée à l'antiterrorisme va prochainement s'y tenir.

Mais l'air n'est pas au tout sécuritaire, notamment au sein du gouvernement qui voit d'un mauvais oeil tous les crédits engloutis chaque année dans la division des Affaires étrangères. Le Japon n'a pas de tradition dans les services de renseignements. Mais, de toute façon, existe-t-il encore des menaces extérieures concrètes pour lui ? L'ambitieuse ministre aspire surtout à réduire le budget, quitte à privatiser une partie des forces de sécurité. Elle ne croit pas une seule seconde que le Japon puisse être une cible terroriste potentielle. Ne disposant pas d'éléments suffisants, le directeur Agira Shotaro n'insiste pas, mais il décide de poursuivre les investigations en cours afin d'identifier ce mystérieux "Fish" et savoir ce qu'il prépare. Pour cela, il a confié cette mission à l'unité dirigée par Sumimoto Kenji, un vétéran qui s'est longtemps occupé de démasquer les espions russes, avec des méthodes pas toujours très orthodoxes, mais généralement efficaces.

Parallèlement, Matsuzawa Hina est une jeune officier de police. Après un premier contact mouvementé avec l'unité de Sumimoto, alors qu'elle souhaitait interroger un étranger dans une affaire de viol, elle est transférée dans cette unité. Elle va rapidement découvrir que cette division agit à un niveau très différent des autres départements de police. Quand l'intérêt public est en jeu, l'intérêt des particuliers est facilement sacrifié ; d'autant plus que son supérieur hiérarchique, maître manipulateur, ne semble reculer devant rien pour mener à bien leur mission.

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Gaiji Keisatsu se révèle être un thriller de haut standing, admirablement maîtrisé sur la forme comme sur le fond. En nous plongeant dans une intrigue de lutte contre le terrorisme, la série se réapproprie dans le même temps les codes scénaristiques des fictions d'espionnage. On y retrouve, particulièrement bien exploités, tous les ingrédients classiques du genre : de l'organisation secrète tirant les ficelles et obéissant à des objectifs plus lointains, aux trahisons et défections dans les deux camps, en passant par des double-jeux quotidiens et la gestion des "collaborateurs", informateurs au statut particulier de la police japonaise. Tout cela se déroule avec en toile de fond des menaces contre la sécurité du pays. Même l'omniprésente CIA vient se mêler à la bataille, pour des passages au fort accent anglophone. Au final, cela donne un cocktail explosif mis en scène de façon très convaincante.
 
Évoluant dans une ambiance très sombre, Gaiji Keisatsu va prendre plaisir à déstabiliser le téléspectateur par son imprévisibilité. Le drama glisse peu à peu dans une sourde paranoïa de circonstances qu'il va entretenir au fil des épisodes. Rapidement, c'est un tableau d'une complexité fascinante qui se dessine sous nos yeux. Riche en ambivalences et en contradictions, la situation se complique chaque jour davantage, à mesure que les enjeux réels se dévoilent. Car, si l'enquête visant la menace terroriste progresse lentement, dans ce terrain trouble sur lequel se déroule la série, le danger provient tout autant de l'extérieur que de l'intérieur même du service. C'est d'autant plus vrai que les frontières entre les camps ne sont pas figées, les loyautés fluctuant dangereusement au gré des opportunités.

Même la trahison semble y être une notion toute relative. Nous nous retrouvons dans un milieu où la fin justifie les moyens. Le sort personnel des individus impliqués s'efface, victimes collatérales de la raison d'État, pions sacrifiables dans cette vaste partie d'échec où ce sont les enjeux nationaux et les ambitions des plus hauts responsables qui dictent les règles du jeu. L'intérêt public prétendu semble souvent bien insaisissable. Dans un cadre où tout n'est que faux-semblants, il faut intégrer ce mode de fonctionnement ou risquer d'être broyé. La manipulation y est élevée au rang d'art, si bien qu'elle en devient une technique de management utilisée au sein même de l'unité d'investigation. Matsuzawa Hina devra rapidement rayer le mot "confiance" de son vocabulaire : jusqu'où ira-t-elle sur la voie impitoyable où elle s'est engagée sans s'y perdre elle-même ?
 
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En plus de parvenir à créer une atmosphère des plus intrigantes, Gaiji Keisatsu dispose d'un scénario très solide. A chaque épisode viennent se greffer de nouvelles complications et de nouvelles pièces du puzzle sont révélées, troublant la compréhension globale du téléspectateur qui ne conservera qu'un temps seulement Hina comme point d'ancrage sur lequel se reposer. La série se révèle admirable de maîtrise, construisant une tension sourde qui prend à peu le pas sur tout le reste. Chaque action indépendante finit par s'emboîter dans le complexe puzzle de l'intrigue principale, dévoilant un magistral "toutélié" qui retient toute l'attention du téléspectateur.
 
Ce drama forme un tout, avec un fil rouge qui s'étend tout au long des six épisodes : il s'agit de déjouer les projets du mystérieux "Fish" et surtout de découvrir ses commanditaires. C'est dans ce cadre que chaque épisode va marquer une avancée, ou un développement particulier pour accomplir cette mission. Mais les premières réponses obtenues paraissent presque vaines ; car à mesure que la série prend peu à peu toute son ampleur, elle révèle une complexité aussi déstabilisante que passionnante.
 
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Pour autant, aussi attrayant que soit le suspense principal, un des atouts de Gaiji Keisatsu est de ne pas négliger de développer sa dimension humaine. C'est aussi à travers les blessures intérieures de ses personnages que la série acquiert une véritable épaisseur. Ici, le thriller se conjugue avec la mise en scène de drames humains. C'est parfois dur, voire même poignant. Les scénaristes prennent le temps de s'interroger sur les motivations de chacun, explorant ses personnages avec beaucoup de soin. Tout cela permet au téléspectateur de s'investir émotionnellement dans ce drama.
 
De manière générale, les protagonistes de Gaiji Keisatsu s'inscrivent la droite lignée du scénario global, reflétant cette absence déconcertante de manichéisme et défiant toute classification trop rapide. Ils évoluent au fil de la série, gagnant en nuances et montrant d'autres facettes de leur personnalité. Si Hina fait au début figure d'innocente plongée dans un monde dont elle n'a pas encore les clés, repère solide du téléspectateur, elle intègre peu à peu les exigences de son nouveau travail. Encore versatile, en quête de certitudes, l'élève dépassera-t-elle le maître ? C'est ce dernier, Sumimoto Kenji, qui constitue le véritable personnage phare de la série. Froid et calculateur aux premiers abords, il pourrait paraître antipathique s'il n'était pas immédiatement aussi fascinant. Et le trouble le concernant va grandissant au fur et à mesure que la série progresse. De plus en plus ambivalent, le téléspectateur apprend à le connaître. A travers ses failles, on découvre un autre pan du personnage, plus émotionnel que l'image qu'il aime renvoyer.
 
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Sur la forme, Gaiji Keisatsu est au diapason de la tonalité de son contenu. La réalisation est volontairement nerveuse. Elle change souvent de styles, allant jusqu'à utiliser des plans pris caméra à l'épaule qui contribuent à dynamiser l'ensemble. Cependant, on reste à l'écran dans une sobriété toute japonaise. L'image est assez sombre (parfois même, peut-être un peu trop), allant du pastel au noir et évitant toute couleur chatoyante. La musique est utilisée avec beaucoup de retenue, uniquement lors de certains passages la justifiant. Il n'y a aucune chanson. Seulement des morceaux musicaux qui viennent souligner les moments de tension.
 
Enfin, le casting se révèle quant à lui très convaincant. D'une sobriété prenante, sans aucun sur-jeu, le téléspectateur n'en ressentira pas moins l'intensité émotionnelle de certains passages. Watabe Atsuro délivre une performance absolument magistral pour incarner le si troublant Sumimoto Kenji. Ono Machiko joue la jeune policière catapultée dans ce milieu si déstabilisant de l'antiterrorisme. A leurs côtés, on retrouve également Ishida Yuriko, Endo Kenichi, Yo Kimiko ou encore Ishibashi Ryo.

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Bilan : Gaiji Keisatsu est un petit bijou d'espionnage. Un thriller au scénario admirablement bien maîtrisé. La série nous plonge dans un univers de faux-semblants, sans aucun manichéisme, où les vrais enjeux demeurent longtemps cachés danss l'ombre. Tout est ambivalent dans cet univers trop sombre et impitoyable, où chacun manipule l'autre, suivant son propre agenda. La réussite de ce drama est aussi de ne pas se contenter seulement du suspense qu'il génère, mais d'investir une dimension humaine qui ajoute à la richesse, mais aussi aux ambivalences, de l'histoire. Gaiji Keisatsu est une série dense qui joue ainsi sur plusieurs tableaux. 

En somme, voici un drama à découvrir de toute urgence !


NOTE : 8,75/10


Un extrait vidéo des cinq premières minutes du premier épisode :