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26/12/2010

(UK) Doctor Who, Christmas Special 2010 : A Christmas Carol

"Tonight, I'm the Ghost Of Christmas Past."

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Aujourd'hui, cédons à une tradition désormais gravée dans les moeurs téléphagiques. En quelques années, l'épisode de Noël de Doctor Who sera devenu un rituel quasi-immuable pour terminer chaque 25 décembre. Quelque part entre la bûche glacée et l'inévitable repas de famille interminable, on sait qu'il sera là et nous attendra afin de préserver l'esprit de Noël pour encore quelques heures. Je n'ose même plus imaginer cette fête sans ce moment de magie Who-esque pour la conclure.

L'an dernier, les adieux avec Ten avaient quelque peu obscurci l'ambiance de conte féérique que prennent traditionnellement ces épisodes au goût particulier. Cette année, pour le premier Christmas episode d'Eleven, Steven Moffat renoue donc avec ce qui est déjà une "tradition", en proposant une adaptation libre d'une des plus célèbres histoires du genre, A Christmas Carol, de Dickens.

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La saison 5 s'étant achevée sur un mariage, c'est donc  fort logiquement que nous retrouvons Amy et Rory en pleine lune de miel, profitant des plaisirs d'une croisière intergalactique. Mais leur vaisseau rencontre des difficultés et doit procéder à un atterrissage d'urgence sur une planète colonisée, dont l'atmosphère est constituée d'étranges nuages qui provoquent de graves turbulences et les empêchent de se poser. Pour leur ouvrir un passage, il convient d'écarter ce brouillard opaque, parcouru par des hordes de poissons. Or c'est un habitant des lieux, Kazran Sardick,  qui possède la seule machine capable de contrôler ces nuages. Mais, vieillard aigri par la vie et enfermé dans sa solitude, il refuse obstinément d'accéder au message de détresse envoyé par le vaisseau qui compte à son bord plus de 4000 passagers.

Ne pouvant maîtriser l'appareil, le Docteur prend rapidement conscience que la seule façon de sauver Amy, Rory et tous les passagers du vaisseau en perdition va être d'éveiller l'étincelle d'humanité qui existe encore au plus profond de Kazran Sardick, dont l'existence lui est indiqué par le fait, pas si anodin, qu'il se soit retenu au dernier moment de frapper l'enfant qui l'avait provoqué. Pour ramener à temps cette parcelle de compassion à la vie, le Docteur choisit de se plonger dans le passé du vieil homme, devenant pour un temps, un "fantôme de Noël". Sans savoir qu'en cherchant à adoucir cette vie, il va en même temps confronter celui dont il veut ressusciter l'humanité à un drame encore plus bouleversant.

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A priori, adapter un classique parmi les classiques de Dickens à la sauce Doctor Who, cela consistait déjà en soi un challenge de taille qui pouvait générer quelques doutes : il s'agissait d'insuffler cette petite dose aussi indispensable qu'indéfinissable de magie à un récit déjà très balisé. Heureusement, ces craintes vont rapidement se dissiper à mesure que l'aventure prend forme. En effet, la première réussite de l'épisode va être de savoir concilier la rencontre de ces deux univers. Empruntant à l'histoire d'origine son atmosphère victorienne, sans abuser d'effets spéciaux, de la machine à l'esthétique baroque spécialement conçue pour Sardick aux poissons qui hantent les brouillards qui s'abattent sur la ville, c'est un univers à la fois féérique et sombre que les yeux du téléspectateur découvrent.

Le décor remplit son office, telle une invitation grisante pour apprécier la démesure de l'imaginaire ainsi esquissé. Si les ingrédients se mettent naturellement en place, l'épisode ne va véritablement démarrer que lorsqu'il embrasse sa nature particulière d'épisode de Noël, à partir du moment où le Docteur, incarnation du "ghost of christmas past", entreprend de remonter le temps pour réécrire les Noël de Kazran, afin de raviver cette flamme d'humanité oubliée. Le scénario ne s'épargne certes aucun poncif, à l'image de la balade en traîneau, mais il prend soin de les adapter aux particularités de cet univers dans cet étonnant faux cadre aquatique où ils apparaissent finalement plus comme des clins d'oeil. Sachant aussi exploiter toutes les ambivalences inhérentes à ce monde, il confèrera ainsi une double fonction aux poissons, à la fois prédateurs potentiellement dangereux et artisans à part entière du merveilleux ambiant. Car quoi de plus Who-esque que d'ouvrir la porte d'un Tardis en plein vol pour admirer des bancs de poissons nager dans ce brouillard céleste ou d'entreprendre une promenade entraîné par un requin ? Au final, derrière tout ceci, ce qui pointe en arrière-plan, c'est cette douce féérie communément appelée "esprit de Noël".

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L'atout de l'approche choisie par Steven Moffat va être de conserver une ambiguïté narrative dans les tonalités adoptées qui réconciliera petits et grands devant leur télévision. L'histoire parvient en effet à mêler les accents d'un conte qui attendrira universellement les téléspectateurs, touchant les plus jeunes sans laisser insensible la fibre festive qu'il y a en chaque adulte, tout en sonnant cependant le rappel, frustrant mais incontournable, de ce qu'est la réalité de la vie. Ainsi est-il impossible de ne pas s'attendrir devant l'émerveillement du jeune Kazran et l'émotion du vieil homme qui redécouvre au fur et à mesure de nouveaux souvenirs qui l'humanisent peu à peu, le téléspectateur se surprenant même à adhérer à des excès plus spontanés de cette joie de Noël, alors que défilent sous nos yeux les fêtes que partagent chaque année le Docteur, Kazran et... Abigail, jeune femme qui s'apparente à ces princesses endormies, figure inaccessible de nos contes de jeunesse.

Cependant, l'épisode ne tarde pas à nous rappeler que nous sommes dans Doctor Who : l'insouciance ne peut fonctionner qu'un temps et, parfois, le retour à la réalité se révèle encore plus douloureux après avoir frôlé de si près le bonheur. Les bons moments ont donc aussi leur terme. Notre âme pourra s'y brûler, même si cela ne signifie pas qu'ils ne méritent pas d'être vécus. En ouvrant le coeur de Bazran à cette figure angélique, princesse de glace figée de façon presque intemporelle qui reprend vie chaque Noël, le Docteur conduit le jeune garçon sur un chemin plus sombre qu'il n'y paraît a priori. Car la destinée de cette jeune femme semblant trop parfaite pour être réelle est déjà scellée. Les Noëls s'égrènent comme un compte à rebours, vers une inévitable échéance fatale. Et ces instants magiques passés en sa compagnie se changent alors en souvenirs chargés de regrets. L'émotion étant trop intense pour pouvoir la canaliser, Kazran va s'endurcir en chérissant des sentiments trop forts pour ne pas blesser.

Après avoir découvert qu'il ne restait à Abigail qu'un seul jour à vivre, les Noëls passeront plus sombres les uns que les autres, chargés de cette aigreur diffuse, pas pleinement rationnelle, qui amènera Kazran à se répéter inlassablement la même question : comment choisir le dernier jour de la vie de sa bien-aimée ? Si Abigail fut la lumière de sa vie, elle devient également une ombre pesante à laquelle il ne pourra faire face...

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Parvenir à ce que Kazran fasse la paix avec lui-même et recouvre cette humanité refoulée par un père tyrannique, qu'une histoire d'amour brisée aura ensuite achevée, ce sera donc l'épreuve initiatique suivie dans cette aventure. Le Docteur s'en acquitte avec cette touche folie virevoltante habituelle, mêlant une spontanéité désarmante et une pointe d'arrogance teintée de cette quasi-omniscience affichée à la fois fascinante et parfois volontairement surjouée. Si l'ensemble captive autant, cela est aussi du en partie aux dialogues admirablement ciselés, toujours vifs et souvent jubilatoires, dont l'épisode regorge. Les répliques potentiellement cultes s'enchaînent à un rythme soutenu, mêlant auto-références aux épisodes passés, évocations vestimentaires ou enore échanges plus piquants conduits avec notamment Amy. Tout cela permet au téléspectateur de renouer le lien avec un autre esprit tout aussi indispensable à côté de celui de Noël, celui de Doctor Who.

Dans la lignée des précédents épisodes spéciaux, les compagnons du moment du Docteur restent en retrait, comme s'il fallait prendre garde à ce qu'ils n'empiètent pas sur la magie de Noël propre à cette heure teintée d'un merveilleux émotionnel presque brut. Dans leurs costumes atypiques, source d'un running gag tout au long de l'épisode, Amy et Rory sont ainsi seulement présent en arrière-plan, servant de fil rouge pour rappeler l'objectif premier qui est de parvenir à faire atterrir le vaisseau sans dommage sur la planète. Pour autant, la liaison par radio suffit à occasionner quelques ruptures narratives intéressantes, en offrant des illustrations de cette complicité à laquelle la fin de la saison 5 était parvenue.

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Dans ce conte de Noël, dont l'écriture se savoure, si les répliques fusent à l'image d'un Docteur plus enjoué et déchaîné que jamais, ce résultat convaincant doit aussi beaucoup au casting qui le porte. Matt Smith prouve encore une fois toute la vitalité presque enivrante et toujours fascinante, qu'il est capable d'insuffler à ce personnage de Eleven, faisant preuve d'une versatilité qui confine parfois à une fausse insouciance assez intrigante. La paire que constituent Karen Gillan et Arthur Darvill conserve admirablement cette dynamique de couple qui leur est propre et fonctionne toujours aussi admirablement.

Cependant, dans cet épisode de Noël, il convient également de saluer ces guest du jour. Cela n'est pas toujours le cas, il convient donc de le souligner. Au-delà de la performance de Michael Gambon, qui fait logiquement preuve d'un grand professionnalisme, figure ambiguë, sachant se montrer tour à tour impitoyable puis touchant, Katherine Jenkins se révèle dans un rôle finalement conçu sur mesure. La chanteuse a l'occasion d'exercer tous ses talents de vocaliste, tout en ne dépareillant absolument pas devant la caméra dans les scènes qui requièrent un réel jeu d'acteur. Un casting donc réussi, qui fonctionne à l'écran et qui permet d'apporter la touche finale à cette belle histoire que l'on prend plaisir à suivre.

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Bilan : Sachant recréer une atmosphère merveilleuse de circonstance, A Christmas Carol est un épisode spécial classique et abouti. Fidèle à l'esprit de la série, il n'en embrasse pas moins cette ambiance de Noël propre à cette période de l'année, qui se manifeste par cette magie diffuse dont le parfum flotte tout au long de l'épisode et dans laquelle le téléspectateur se laisse emporter. Pleinement portée par un casting qui constitue une réelle valeur ajoutée, Doctor Who propose ici une heure de divertissement non dépourvue d'une dimension fortement émotionnelle, plus ambivalente et subtile, qui saura toucher tous les publics. 

Un Noël donc réussi, en attendant la saison 6 que j'espère voir repartir sur les mêmes bases solides en terme d'ambiance et d'alchimie des personnages.


NOTE : 9/10


Et, en bonus, pour aiguiser notre curiosité, un petit avant-goût de la saison 6 :

24/12/2010

(Mini-série UK) The Nativity : ce soir, c'est Noël...

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En ce vendredi 24 décembre, tâchons de rester dans cet esprit particulier qui semble flotter dans l'air. Je vais donc vous parler d'une mini-série, conçue pour les fêtes, diffusée cette semaine, sur BBC1, et qui s'est achevée hier soir. Son titre semble suffisamment explicite sur le thème traité : The Nativity. Ecrite par le scénariste Tony Jordan (à qui l'on doit un certain nombre d'épisodes de Hustle ou encore de Life on Mars) et composée de 4 épisodes, d'une trentaine de minutes chacun, elle relate donc en deux petites heures une version romancée de la nativité.

Si c'est en grande partie pour son casting - on y retrouve notamment Andrew Buchan - que je me suis d'abord intéressée à cette mini-série, j'ai finalement passé une soirée pas déplaisante devant cette fiction qui est parfaite et uniquement destinée à être visionnée durant cette veille de fête. Les deux heures passent toutes seules, en partie grâce à une dimension humaine quelque peu inattendue que la mini-série va efficacement parvenir à exploiter.

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Construite de façon très académique, sur 4 épisodes, la mini-série se concentre sur le couple formé par Marie et Joseph au cours de l'année précédant la naissance de Jésus et sur les épreuves qu'ils vont devoir traverser, tout en prenant soin de recontextualiser ce récit principal. Pour évoquer la situation du royaume de Judée à l'époque, opprimé et ployant sous les taxes, elle met en scène un jeune berger de Bethléem, Thomas, tout en faisant apparaître pour quelques scènes un roi Hérode dégénéré. Quant à l'aspect théologique, il est incarné par les rois mages dont les discussions éclairent la dimension prophétique de l'évènement qui est appelé à se produire.

Pour autant, l'intérêt de The Nativity va résider dans l'approche narrative particulière choisie pour relater une histoire trop connue et trop re-écrite pour surprendre ou ménager encore une part d'originalité. Tony Jordan a donc choisi de se placer dans une perspective résolument humaine, en s'intéressant en priorité à ce couple en devenir que formaient alors Marie et Joseph. Ils étaient promis l'un à l'autre, mais non encore formellement mariés. Comment cette relation non encore consommée survivra-t-elle à la visite de Gabriel et au passage du Saint-Esprit ? Car l'affirmation de Marie, sur le fait d'être enceinte et vierge, constitue un non-sens biologique pour son entourage avant tout profondément blessé par ce qui est perçu comme une trahison de la par de la jeune femme. Si bien que finalement, ce sur quoi la mini-série s'arrête, c'est sur la manière dont ces deux jeunes gens, qui étaient encore insouciants, vont être placés devant des responsabilités et des choix qu'ils n'ont jamais demandés et la façon dont ils vont peu à peu accepter cette destinée, consolidant ainsi leur couple.

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S'il vous fallait une seule raison pour vous risquer devant The Nativity en cette période de fêtes (non, pas uniquement pour l'argument présenté dans la screen-capture ci-dessus), indépendamment de toute dimension religieuse, vous la trouverez incontestablement dans les scènes parfois brillantes que vont avoir, tout au long de la mini-série, Marie et Joseph.  La dynamique qui s'installe entre eux est admirablement bien décrite. Elle est portée à l'écran avec une vitalité plutôt innocente, couplée d'une connotation émotionnelle touchante qui sonne finalement très juste. Le téléspectateur, se sentant étonnamment impliqué, suit et partage avec eux les différentes étapes pourtant prévisibles de leur relation, de la progressive complicité, puis au rejet et à la trahison que constitue en apparence la grossesse de Marie, pour enfin parvenir à l'acceptation.

En fait, la mini-série s'attache à dépeindre avec beaucoup d'authenticité les réactions de chacun, d'incrédubilité comme d'acceptation, permettant ainsi de dépoussiérer une histoire trop connue. Au-delà de la naissance d'un Messie, ce qu'elle choisit de raconter, c'est la façon dont ces jeunes gens a priori anonymes vont être personnellement affectés par cette destinée hors du commun qui vient ainsi frapper leur couple. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la qualité de l'écriture, globalement bien calibrée et tout en retenue, se ressent tout particulièrement lors des passages où prévaut une dimension dramatique. Les meilleures scènes sont ainsi celles de leurs confrontations. Loin du récit purement descriptif, où un aspect trop dogmatique aurait déshumanisé l'histoire, The Nativity surprend finalement par son exploitation d'une dimension très humaine dans son récit.

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A l'image de l'effort de recontextualisation très scolaire qui est fait, par l'utilisation du berger ou des rois mages pour replacer cette naissance dans le contexte spécifique où elle intervient, historiquement et théologiquement, les décors et la reconstitution d'époque restent sobres et plutôt minimalistes. En fait, c'est surtout par son arrière-plan musical que The Nativity se crée et plonge progressivement le téléspectateur dans l'atmosphère particulière de la mini-série. La bande-son prend progressivement de l'importance, utilisée notamment de façon prenante pour souligner l'importance de certains passages.

Enfin, The Nativity doit énormément à son casting. Non seulement pour les noms alléchants qu'elle rassemble dans notre petit écran, mais aussi pour l'alchimie qui s'installe instantanément entre ses deux acteurs principaux. Andrew Buchan (The Fixer, Cranford, Garrow's Law) et Tatiana Maslany (Heartland) délivrent en effet des prestations très convaincantes, pleines de fraîcheur et d'une touche d'innocence émotionnelle en parfaite adéquation avec la tonalité adoptée et, surtout, permettant à la mini-série de vraiment pleinement explorer cette dynamique de couple. A leurs côtés, se pressent d'autres figures familières du petit écran britannique, telles Peter Capaldi (The Thick of it, Torchwood), Al Weaver (Personal Affairs, Five Daughters), Art Malik (Holby City), Jack Shepherd (All about George) ou encore Obi Abili (Moses Jones).

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Bilan : The Nativity est une mini-série qui s'inscrit évidemment dans une période particulière, conçue pour être visionnée avec l'"esprit de Noël" en arrière-plan. Si elle mérite que l'on s'y attarde, c'est tout autant pour les performances de ses acteurs principaux, que pour la dimension très humaine explorée dans le récit mis en scène, qui opte pour une écriture assez innocente et émotionnelle qui sied parfaitement à ce 24 décembre.

Au final, disons que si jamais vous vous retrouvez ce soir bloqué par la neige, coincé chez vous avec votre frigo vide et pour seule perspective de se résigner à transmettre vos voeux par téléphone, voici un programme télévisé parfait pour la soirée afin de préserver l'esprit des fêtes. Mais attention, demain soir, le charme de cette mini-série sans prétention de circonstance sera déjà rompu. A mettre alors de côté pour l'an prochain.


NOTE : 6,5/10


La bande-annonce de la mini-série :

23/12/2010

(Mini-série UK) Shooting the past : de l'importance de préserver la mémoire du passé

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Parmi les explorations téléphagiques qui me tiennent à coeur, il y a la découverte des classiques du petit écran britannique, parmi lesquels figurent les fictions de Stephen Poliakoff. Je dois dire que plus je découvre ses oeuvres, plus ma fascination grandit pour ce style clairement identifiable et qui reste à part à la télévision. L'été dernier, sans respecter strictement la chronologie, je vous avais déjà confié combien Perfect Strangers m'avait marqué. Aujourd'hui, remontons un peu plus le temps pour découvrir une autre mini-série qui s'inscrit dans le même cycle : Shooting the Past. Il s'agit d'une fiction en trois parties (3 x 1 heure) dont la diffusion sur BBC2 date de 1999.

La période paraît d'autant plus adéquate pour l'évoquer qu'elle se déroule la semaine de Noël, explorant des thématiques chères à Poliakoff et reprenant des ingrédients et un savoir-faire caractéristique, que l'on retrouvera quelques années après dans Perfect Strangers. Shooting the Past interpelle pareillement le téléspectateur, s'interrogeant sur la mémoire et le rapport des hommes à l'Histoire et aux histoires, le tout par le biais des instantanés d'un siècle, des photographies.

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Si Shooting the Past s'ouvre durant la semaine de Noël, par la voix de son narrateur, Oswald, les fêtes n'en sont qu'un décor posé en arrière-plan. Car c'est un parfum, aussi fascinant qu'indéfinissable, de profonde intemporalité qui règne dans cette mini-série, nous plongeant dans un univers préservé, coupé du tourbillon quotidien de la société moderne qui va bientôt venir le bouleverser. C'est en effet un lieu de mémoire, où s'entreposent les instantanés retranscrivant un siècle de la grande et des petites histoires, que Shooting the Past nous invite à découvrir. En entrouvrant pour nous l'intimité des archives de la Falham Photo Librairy, dont la collection est menacée d'être dispersée voire détruite, c'est une fenêtre sur le passé, une tranche du XXe siècle, qui est proposée au téléspectateur à travers les reconstitutions et enquêtes qu'ont conduit les différents membres du staff.

L'histoire débute par le rachat du château dans lequel la collection est entreprosée par une compagnie américaine. Le nouveau propriétaire souhaite faire table rase de cette vieille bâtisse austère pour construire sur ce terrain un bâtiment moderne qui accueillera une école de commerce compétitive. Cela sonne le glas du quotidien bien policé du staff de la collection photographique. En effet, soudain, tout doit être vidé ; et tous ces clichés anonymes, qui composent une collection bien trop importante pour trouver rapidement un acheteur, risquent d'être détruits. Seuls les quelques photos ayant une valeur pécuniaire importante pourront être sauvées. Décidé à se battre pour éviter cette destruction programmée, le staff va tout faire pour parvenir à un compromis avec le président de la société américaine, Christopher Anderson. Tout en cherchant désespérément une solution de replis dans ce délai si court et en cette veille de fête, la directrice, Marilyn Truman, va présenter à Anderson quelques unes des histoires extraordinaires qui se cachent dans ces clichés ordinaires que rassemble la collection.

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Bénéficiant d'une écriture stylée et de dialogues parfaitement ciselés, Shooting the Past investit un registre émotionnel qui reste tout en retenue et où viennent percer, avec habileté, des pointes d'humour, mais aussi de drame. Cette richesse des tonalités confère au récit une vitalité captivante, que n'affecte nullement la dimension très contemplative, presque lente, de l'ensemble. Cette qualité scénaristique permet à la mini-série d'imposer avec beaucoup de maîtrise le thème qu'elle va s'attacher à explorer et qui ne peut laisser indifférent.

Si Shooting the Past est une fiction sur le temps, paradoxalement, elle apparaît pourtant étonnamment hors du temps, détachée des contingences du présent, à l'image de celui qui incarne peut-être le mieux l'esprit de cette oeuvre, ce personnage d'Oswald qui refuse obstinément de seulement envisager l'idée de la fermeture et de la dispersion de la collection. En nous plongeant dans le passé, cette fiction saisit l'occasion de la mise en lumière d'un travail d'archives pour s'interroger sur l'importance de la mémoire, mais aussi sur sa nécessaire préservation, avec le thème de la conservation du patrimoine. L'utilisation des photographies reste une idée narrative centrale des plus brillantes. Elle offre la possibilité de faire revivre, sous l'oeil de la caméra, par la magie des documents d'époque, des êtres et des destinées que le temps aurait déjà effacés. Shooting the Past réussit d'ailleurs admirablement à retranscrire, avec une authenticité troublante, ce ressenti unique, mélange de curiosité et de fascination, que l'on éprouve lorsque l'on se plonge ainsi dans des archives.

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Pour autant, ce besoin de mémoire ainsi souligné ne va pas cantonner la mini-série uniquement dans des préoccupations tournées vers le passé. Avec une sobriété désarmante, en démontrant combien des êtres ordinaires ont pu, chacun à leur manière, vivre à leur échelle des histoires "extraordinaires", dépassant les apparences ou emportés par les soubresauts de leurs époques, c'est à ses personnages du présent et, par ricochet, au téléspectateur, que Poliakoff s'adresse par un jeu de miroir dont on est rapidement pleinement conscient. Sans jamais formuler explicitement cette problématique pourtant centrale, Shooting the Past conduit ainsi à s'interroger sur la place que l'on peut occuper, la vie dans laquelle on s'inscrit et le legs que l'on laissera.

Car en choisissant d'individualiser des destinées en apparence anecdotique, la mini-série rompt avec humanité l'anonymat de ces figures en noir et blanc du XXe siècle, mettant en scène sous un jour nouveau leur vécu. Tout en pointant le culte de l'instantanéité promu par la société moderne, elle souligne l'importance de ne pas oublier, symbolisé par cet entrepreneur aux grands projets qui va finalement retrouver dans son propre passé familial, et les secrets qu'il contient, des explications jusqu'alors informulées sur les motivations qui l'animent. De manière incidente, cela lui offre l'occasion de rappeler que chacun a sa place dans une histoire plus large, parvenant à son niveau et avec ses moyens, à ses propres accomplissements. Une question reste d'ailleurs en suspens, lancinante, à la fin du visionnage : qui sait comment un regard rétrospectif éclairera ce présent que l'on vit actuellement sans recul ?

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Si l'ambiance de Shooting the Past exerce une telle fascination sur le téléspectateur, elle le doit également en partie à la façon dont la forme va savoir mettre en valeur le fond. Les oeuvres de Poliakoff ont toutes une caractéristique visuelle et, surtout, musicale, instantanément identifiable, que l'on retrouve une nouvelle fois ici, parfaitement exploitée. La réalisation est épurée, d'un style classique, tout en suivant cependant une approche presque contemplative que le thème musical récurrent, omniprésent, de la mini-série, vient appuyer. Car Shooting the Past démontre déjà une maîtrise de l'environnement musical que Poliakoff continuera de perfectionner par la suite. Un morceau de musique classique, initialement presque anecdotique mais qui gagne peu à peu en importance, va devenir le repère musical rapidement incontournable qui va accompagner l'ensemble et revenir constamment, de la scène d'ouverture jusqu'aux immersions dans le passé que permettent ces galeries de photographies exposées.

Enfin, pour porter à l'écran cette réflexion sur nos liens avec le passé, la mini-série bénéficie d'un excellent casting, parmi lequel on retrouve plusieurs des acteurs fétiches de Poliakoff, à commencer par Lindsay Duncan et Timothy Spall, que l'on croisera par la suite dans Perfect Strangers. Face à eux, pour incarner l'entrepreneur américain, Liam Cunningham (qui sera prochainement à l'affiche de la série d'anticipation Outcasts sur BBC1) leur donne la réplique de manière toute aussi convaincante.

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Bilan : Fiction contemplative aux accents confusément intemporels, Shooting the Past esquisse une réflexion sobre et fascinante sur la complexité de nos rapports avec le passé, à travers l'exploration d'un format d'archives particulier qui sied parfaitement à la télévision : la photographie. S'intéressant à la place de la mémoire dans nos sociétés modernes, elle s'attache à faire revivre des histoires représentatives du XXe siècle, tout en éclairant finalement de manière incidente ce tourbillon constant que sont les destinées humaines, dont un regard rétrospectif permet de redécouvrir l'unicité, et par certains aspects le caractère extraordinaire, de chacune. Célébrant la vie par un hommage au passé, c'est aussi sur lui-même que Shooting the Past amène le téléspectateur à réfléchir.

Un incontournable de Stephen Poliakoff à avoir vu au moins une fois.  


NOTE : 9/10


Un extrait, "Just a story" :


19/12/2010

(Pilote UK) Dirk Gently : les enquêtes décalées d'un détective holistique

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Si le paysage téléphagique des inédits se vide quelque peu à l'approche des fêtes de fin d'année, heureusement, les programmations ne s'arrêtent jamais complètement. C'est ainsi que ce jeudi soir, BBC4 proposait, sous forme d'épisode indépendant pouvant faire office de pilote pour une série potentielle, une introduction aussi intéressante qu'intrigante dans l'univers d'un détective atypique, d'un genre très particulier, imaginé par le génial écrivain Douglas Adams - plus connu pour son fameux Guide galactique.

Dirk Gently se révèle finalement être une adaptation libre qui va investir avec inspiration un registre de faux polar au parfum diffus de science-fiction décalée à l'excès. C'est atypique et ça a surtout le mérite de correspondre à un créneau confusément farfelu dans lequel on aimerait voir la BBC s'investir. C'est le genre de fiction qui sait encore surprendre le téléspectateur et parvient à trancher un peu au sein d'un paysage téléphagique où les investigations traditionnelles demeurent sur-représentées.

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L'originalité de cette fiction tient, dès le départ, à la manière dont son héros conçoit le métier d'enquêteur privé qu'il exerce. En effet, Dirk Gently se considère comme un "détective holistique". C'est-à-dire qu'il croit à l'existence d'une interconnexion fondamentale entre toutes choses. Partant de ce postulat de départ, il applique cette théorie aux enquêtes qu'il conduit. Adoptant ainsi une approche toute personnelle, dans la droite ligne de l'excentricité du personnage, il ne reconnaît pas le hasard et ne croit pas dans les coïncidences. Systématisant jusqu'au bout cette méthode, il estime donc que chaque développement nouveau, chaque rencontre impromptue en apparence, n'est qu'une pièce d'un puzzle plus vaste qui le conduira, inévitablement, à la résolution du mystère d'origine.

Pour bien apprécier la tonalité d'ensemble, précisons d'emblée que le mystère d'origine, dans ce pilote potentiel, consiste en la recherche d'un chat, Henry ; une inoffensive vieille dame, pour qui son animal domestique est tout, ayant embauché Dirk Gently. Suivant une logique qui lui est propre et qu'il est le seul à comprendre, fidèle à sa conception sur l'interconnexion des choses, ce dernier remonte obstinément un fil confus d'évènements sans lien apparent entre eux, si ce n'est la ferme conviction de Dirk et la mise en oeuvre de cette théorie holistique. En l'espèce, des retrouvailles inattendues avec un ancien camarade d'université jusqu'à la disparition, concomitante à celle du chat, d'un milliardaire spécialisé dans les nouvelles technologies, en passant par l'étrange explosion d'un entrepôt, tous les "indices" accumulés par Dirk finissent par converger vers un jour où tout semble se rejoindre : le 5 décembre 1994. De manière incidente, c'est finalement d'autres agissements autrement plus graves que Dirk va mettre à jour par son obstination, dans une enquête où toutes les pièces, pourtant si désordonnées, s'emboîtent parfaitement, consacrant même le burlesque ambiant en faisant basculer le récit dans un fond de science-fiction toute aussi décalé que le reste.

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Tout l'attrait de Dirk Gently réside dans ce savoureux maniement d'un absurde instantanément désarmant dans lequel elle va rapidement exceller. Derrière une apparence formelle d'enquête, aussi anecdotique soit-elle aux premiers abords, le téléspectateur se retrouve en réalité plongé dans une intrigue joyeusement décousue. Les ressorts narratifs, aussi incompréhensibles que délicieusement loufoques, ne trouvent de logique que dans l'esprit excentrique d'un personnage principal qui navigue entre la figure du détective trop génial pour ses vis-à-vis et celle de l'escroc pragmatique aux revenus aléatoires, mais qui retombe toujours sur ses pieds. S'attachant à cultiver avec une certaine jubilation cette dynamique confuse des styles et des genres, Dirk Gently pique sans diffiulté la curiosité du téléspectateur intrigué par l'engrenage improbable dont il est le témoin : comment ne pas être amusé, et même fasciné, par cette logique illogique qui conduit, en dépit de toute rationnalité et contre tout bon sens, à des résultats plutôt probants ?

La vraie réussite de ce pilote se matérialise donc dans cette divertissante excentricité. Au-delà de son originalité conceptuelle, Dirk Gently reste plus classique pour développer sa dimension humaine, esquissant une dynamique assez conventionnelle entre les personnages principaux. Ces derniers ne parviennent que par intermittence à retranscrire cette touche de folie douce qui caractérise l'enquête elle-même. Le duo formé pour l'occasion n'est pas sans rappelé d'autres associations du genre, l'inconscient du téléspectateur commençant par ses souvenirs estivaux avec Sherlock : un détective au sens de la logique exacerbé et aux qualités relationnelles limitées va faire équipe avec un ancien camarade, sans travail, au naturel plus conciliant... Cependant, si ces recettes sont si souvent utilisées, c'est aussi parce qu'elles ont fait leur preuve. La paire formée par Dirk Gently et Richard Macduff dévoile au fil de l'heure un potentiel certain ; plusieurs scènes, notamment celles où il est question de hacker l'ordinateur de la petite amie de Richard, proprement jubilatoires, laissent entrevoir des choses très prometteuses si BBC4 leur donne l'occasion d'explorer cette voie plus avant.

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Si le charme vaguement farfelu de Dirk Gently opère sans difficulté sur le fond, la forme se révèle plus classique. La réalisation est assez intéressante, notamment parce que les images sont efficacement mises en valeur par une photographie soignée. La sobriété travaillée des teintes et des couleurs choisies tranche avec le caractère très saugrenu de certaines situations, aboutissant à un résultat très solide.

Enfin, le casting se met sans difficulté au diapason de cette atmosphère particulière. Le jeu de Stephen Mangan (Jane Hall, Green Wing, mais aussi à partir de janvier prochain à l'affiche de la comédie co-produite par Showtime et BBC2, Episodes) correspond parfaitement au maniérisme comme à la désinvolture un peu désarçonnante d'un Dirk Gently si difficile à cerner. A ses côtés, Darren Boyd (Green Wing, Personal Affairs), fidèle à lui-même et dans un registre pas si éloigné de son rôle dans Whites cet automne sur BBC2, offre un pendant rationnel et mesuré aux élans pas toujours contenus de son "ami". Enfin, Helen Baxendale (peut-être plus connue pour son rôle d'Emily, dans Friends) complète un trio principal au potentiel indéniable.

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Bilan : Se complaisant dans une ambiance à la confuse excentricité inimitable, les enquêtes du détective holistique Dirk Gently sont un petit bijou d'absurde burlesque que l'on prend plaisir à suivre, tout en découvrant avec surprise que cette méthode d'investigation improbable nous conduit effectivement quelque part. Suivant une logique qui n'existe que dans l'esprit tordu de son personnage principal, mais sans se départir d'une flegmatique sobriété toute britannique, l'épisode entreprend de créer un univers de polar loufoque assez jubilatoire. On se surprend à se laisser entraîner dans cet engrenage d'évènements, dont l'originalité des règles de la trame narrative se révèle au final très rafraîchissante.

Ce backdoor pilote dévoile donc des promesses que l'on se prend à espérer voir développer plus avant. Il ne reste plus qu'à croiser les doigts pour que BBC4 soit également tombée sous le charme.  


NOTE : 6,75/10


La bande-annonce :


Une preview :


28/11/2010

(UK) Garrow's Law, series 2 : un passionnant legal drama au XVIIIe siècle


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Ce mois de novembre était synonyme de retour pour plusieurs séries que j'avais pris plaisir à suivre l'an dernier. Si je partage plus souvent sur ce blog mes réactions au sujet des dernières nouveautés téléphagiques, il faut y voir plus l'excitation de la découverte (et un arbitrage brise-coeur pour choisir les sujets des critiques) qu'un désintérêt pour ces séries entamant leur deuxième, voire plus avancée, saison. A la télévision britannique, ce sont les inédits de deux fictions extrêmement différentes que j'attendais avec une relative impatience ; l'ambiance inimitable, vaguement déglinguée, des héros de Misfits et l'atmosphère embrumée des prétoires du XVIIIe siècle, théâtres des passes d'armes initiées par William Garrow, avec Garrow's Law.

On parle pas mal de la première sur les réseaux sociaux que je fréquente, beaucoup moins de la seconde, ce qui m'attriste bien. En ce qui me concerne, je ne vous cache pas que j'avais actuellement sans doute plus besoin d'un solide legal drama dans lequel m'investir. C'est donc l'occasion ou jamais de rappeler la série à notre bon souvenir. D'autant plus que, quoi de plus opportun que de mettre le XVIIIe siècle à l'honneur cette semaine ? Car vendredi prochain marque le retour d'une des séries françaises que j'attends et aime à savourer toujours avec beaucoup de plaisir : Nicolas le Floch.
 

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Au cours des dernières semaines, j'ai pu lire ou assister, voire prendre part, à certains débats sur l'opportunité des reconstitutions historiques télévisées (notamment au sujet de Boardwalk Empire). Je ne vous cache pas que je reste dans une certaine incompréhension face aux enjeux de cette problématique qui ferait des séries se déroulant dans le passé une sorte de sous-genre, où la valeur-ajoutée scénaristique se réduirait au seul aspect folklorique des décors, subterfuge censé aveugler le sens critique de ses téléspectateurs. A défaut de comprendre tous les arguments, j'ai au moins pu cerner un des reproches adressés à cette catégorie, qui pourrait se schématiser ainsi : faire de l'historique, pour de l'historique, en oubliant de construire une histoire. Face à ces critiques, j'ai envie de simplement revenir sur ce premier épisode de la saison 2 de Garrow's Law, qui a été diffusé le 14 novembre dernier sur BBC1.

Reprenant avec maîtrise son fil narratif, la série réintroduit efficacement chacun de ses personnages dans leur vie personnelle et professionnelle, retrouvant rapidement un équilibre entre ces deux sphères, dans la droite continuité de la saison passée. Tandis que Lady Sarah Hill renoue avec son époux, miné par la gangrène d'une jalousie dévorante qui l'amène à se persuader que l'enfant de Sarah n'est pas le sien, mais le fruit des fidélités de sa femme avec William Garrow, des assureurs de Liverpool contacte ce dernier pour une question de fraude à l'assurance touchant un commerce particulier : la traite d'esclaves. Un navire s'est en effet débarrassé de 133 esclaves, les jetant à la mer, après avoir risqué d'être à court d'eau potable. Mais cette perte financière, indemnisée initialement et conséquence d'un voyage plus long que prévu, serait due à la faute du capitaine, non aux intempéries maritimes.

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S'il est une chose qu'il faut saluer dans Garrow's Law, ce n'est pas seulement la rigueur avec laquelle elle s'attache à faire revivre le parfum des prétoires du londonien Old Bailey, mais c'est aussi la manière dont elle réussit à nous dépeindre l'esprit d'une époque et les raisonnements qui y ont cours. Le tribunal s'apparente à une scène de théâtre, où les acteurs judiciaires présentent un spectacle dans lequel le public, omniprésent par ses réactions, occupe également une place centrale. Dans cette optique, tout en nous dépeignant des procès, dont certains s'assimileraient plus à une parodie amère de justice, la série s'est toujours beaucoup attachée à nous relater les rouages d'un système judiciaire, socialement discriminatoire, où la défense est le plus souvent privée de tous droits.

Par ce fait qu'elle va mettre en lumière un autre équilibre entre les acteurs judiciaires, où les différences procédurales par rapport aux legal dramas contemporains sauteront aux yeux du téléspectateur, Garrow's Law trouve une résonnance particulière, bien plus moderne que les pourfendeurs des séries historiques ne pourraient l'imaginer. Qu'est-ce que le droit, si ce n'est un mouvement de balancier permanent, symptomatique d'arbitrages incessants et de recherches d'équilibres entre des intérêts divergents. En relatant cette genèse de la prise en compte de nouvelles figures sur la scène judiciaire, en assistant à l'introduction de préoccupations jusqu'alors inexistantes, la série nous invite certes à découvrir un processus historique que les réflexions du tourbillonnant XVIIIe siècle ont amorcé. Mais elle permet aussi, par contraste, de révéler des enjeux fondamentaux, inhérents à tout système judiciaire ; des bases sur lesquelles les séries modernes ne prennent pas forcément le temps d'insister, tout simplement parce qu'elles les considérent, à tort ou à raison, comme de simples acquis anecdotiques. 

Garrow's Law n'est pas seulement une reconstitution historique, c'est une déconstruction et mise au grand jour des rouages de la justice ; un apport intemporel, bien loin de ces idées "folklores télévisés costumés" dans lesquels certains tendent à réduire ces fameuses séries historiques. 

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A ce titre, ce premier épisode de la saison 2 propose un retour solide, en offrant un éclairage, non pas tant sur des questions de procédure, que sur le statut de l'esclave. Le gouffre entre l'atrocité des faits commis et l'angle juridique proposé dans l'affaire du jour jette incontestablement un voile moral trouble sur l'affaire, William Garrow étant mandaté pour plaider une simple fraude à l'assurance, qualification juridique profondément déshumanisée qui laisse le téléspectateur glacé, alors que ce sont 133 êtres humains qui ont été jetés, sans arrière-pensée, à la mer. Ces morts ne sont prises en compte que sur un plan strictement patrimonial, tandis que viennent se greffer, en toile de fond, des enjeux commerciaux et géopolitiques qui amènent des personnalités politiques à intervenir. Comme attendu, le procès prend une tournure particulière à partir du moment où Garrow essaye de replacer dans les débats cette notion d'humanité obstinément exclue par le droit. Mais la conclusion sera à l'image de cette première affaire à l'arrière-goût désagréable.

Si la thématique du jour se révèle pesante, tout en étant traitée de manière rythmée et très convaincante, ne laissant aucun répit à un téléspectateur dont l'attention ne faiblit jamais, la force de Garrow's Law, c'est aussi le fait de ne pas oublier d'apporter une touche humaine à ce tableau de la justice anglaise du XVIIIe siècle, en s'intéressant à la vie personnelle de ses personnages. Non qu'il y ait une réelle originalité dans le traitement des relations qu'elle met en scène, mais cela a le mérite d'offrir un pendant au judiciaire, permettant des parenthèses bienvenues. Cependant, dans l'épisode du jour, l'atmosphère y est tout aussi lourde, abordant peut-être un point de non-retour dans les chaotiques aspirations amoureuses de William Garrow. Car voilà Lady Hill en fâcheuse posture, possiblement ruinée financièrement et socialement, si son mari poursuit la procédure de séparation particulière qu'il semble avoir choisie. Ce volet de la narration risque de ne pas être très reposant non plus dans les prochains épisodes.

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Si le fond est solide, bénéficiant d'un sujet passionnant, la forme ne dépareille pas. La photographie, soignée mais dont les couleurs restent d'une sobriété travaillée, est à l'image, un peu grise, vaguement terne, de cette justice ambivalente ainsi mise en scène. La réalisation est travaillée, proposant des plans intéressants. Sans avoir pour objectif d'être un de ces costume drama censés éblouir, Garrow's Law offre une immersion qui sonne juste et une reconstitution sérieuse à saluer.

Enfin, le dernier atout fondamental de la série réside incontestablement dans son casting, à commencer, surtout, par son acteur principal, Andrew Buchan (Party Animals, Cranford, The Fixer), que ce rôle aura vraiment consacré à mes yeux. Son interprétation de cet avocat qui, au-delà de ses idéaux, n'hésite pas à s'investir pleinement et à se battre judiciairement pour ce en quoi il croit, est vraiment très convaincante. A ses côtés, on retrouve d'autres têtes familières du petit écran britannique, comme Alun Armstrong (Bleak House, Little Dorrit), Lyndsey Marshal (Rome, Being Human), Rupert Graves (Midnight Man, Sherlock, Single Father), Aidan McArde (All about George, Beautiful People) ou encore Michael Culkin (Perfect Strangers).

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Bilan : Garrow's Law dispose de tous les attributs qualitatifs d'un solide legal drama, son atout supplémentaire - et par là même, sa pointe d'originalité - étant que la série se déroule au XVIIIe siècle. Sans opérer de révolution narrative particulière, elle s'attache avec beaucoup de soin à dépeindre une époque judiciaire particulière, sujette à des mutations fondamentales, et où de nouvelles préoccupations apparaissent, reflet des tourbillonnements idéologiques de cette période.

Au final, si elle ne peut sans doute pas être qualifiée d'incontournable, elle remplit de façon convaincante les objectifs non démesurés qu'elle s'était fixée : une reconstitution déconstruisant, avec une résonnance à la fois historique et intemporelle, les rouages d'un système judiciaire. C'est amplement suffisant pour mériter le détour.


NOTE : 7,5/10



Le générique de la série :

(Merci à Critictoo)


La bande-annonce de la saison 1 :