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23/12/2010

(Mini-série UK) Shooting the past : de l'importance de préserver la mémoire du passé

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Parmi les explorations téléphagiques qui me tiennent à coeur, il y a la découverte des classiques du petit écran britannique, parmi lesquels figurent les fictions de Stephen Poliakoff. Je dois dire que plus je découvre ses oeuvres, plus ma fascination grandit pour ce style clairement identifiable et qui reste à part à la télévision. L'été dernier, sans respecter strictement la chronologie, je vous avais déjà confié combien Perfect Strangers m'avait marqué. Aujourd'hui, remontons un peu plus le temps pour découvrir une autre mini-série qui s'inscrit dans le même cycle : Shooting the Past. Il s'agit d'une fiction en trois parties (3 x 1 heure) dont la diffusion sur BBC2 date de 1999.

La période paraît d'autant plus adéquate pour l'évoquer qu'elle se déroule la semaine de Noël, explorant des thématiques chères à Poliakoff et reprenant des ingrédients et un savoir-faire caractéristique, que l'on retrouvera quelques années après dans Perfect Strangers. Shooting the Past interpelle pareillement le téléspectateur, s'interrogeant sur la mémoire et le rapport des hommes à l'Histoire et aux histoires, le tout par le biais des instantanés d'un siècle, des photographies.

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Si Shooting the Past s'ouvre durant la semaine de Noël, par la voix de son narrateur, Oswald, les fêtes n'en sont qu'un décor posé en arrière-plan. Car c'est un parfum, aussi fascinant qu'indéfinissable, de profonde intemporalité qui règne dans cette mini-série, nous plongeant dans un univers préservé, coupé du tourbillon quotidien de la société moderne qui va bientôt venir le bouleverser. C'est en effet un lieu de mémoire, où s'entreposent les instantanés retranscrivant un siècle de la grande et des petites histoires, que Shooting the Past nous invite à découvrir. En entrouvrant pour nous l'intimité des archives de la Falham Photo Librairy, dont la collection est menacée d'être dispersée voire détruite, c'est une fenêtre sur le passé, une tranche du XXe siècle, qui est proposée au téléspectateur à travers les reconstitutions et enquêtes qu'ont conduit les différents membres du staff.

L'histoire débute par le rachat du château dans lequel la collection est entreprosée par une compagnie américaine. Le nouveau propriétaire souhaite faire table rase de cette vieille bâtisse austère pour construire sur ce terrain un bâtiment moderne qui accueillera une école de commerce compétitive. Cela sonne le glas du quotidien bien policé du staff de la collection photographique. En effet, soudain, tout doit être vidé ; et tous ces clichés anonymes, qui composent une collection bien trop importante pour trouver rapidement un acheteur, risquent d'être détruits. Seuls les quelques photos ayant une valeur pécuniaire importante pourront être sauvées. Décidé à se battre pour éviter cette destruction programmée, le staff va tout faire pour parvenir à un compromis avec le président de la société américaine, Christopher Anderson. Tout en cherchant désespérément une solution de replis dans ce délai si court et en cette veille de fête, la directrice, Marilyn Truman, va présenter à Anderson quelques unes des histoires extraordinaires qui se cachent dans ces clichés ordinaires que rassemble la collection.

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Bénéficiant d'une écriture stylée et de dialogues parfaitement ciselés, Shooting the Past investit un registre émotionnel qui reste tout en retenue et où viennent percer, avec habileté, des pointes d'humour, mais aussi de drame. Cette richesse des tonalités confère au récit une vitalité captivante, que n'affecte nullement la dimension très contemplative, presque lente, de l'ensemble. Cette qualité scénaristique permet à la mini-série d'imposer avec beaucoup de maîtrise le thème qu'elle va s'attacher à explorer et qui ne peut laisser indifférent.

Si Shooting the Past est une fiction sur le temps, paradoxalement, elle apparaît pourtant étonnamment hors du temps, détachée des contingences du présent, à l'image de celui qui incarne peut-être le mieux l'esprit de cette oeuvre, ce personnage d'Oswald qui refuse obstinément de seulement envisager l'idée de la fermeture et de la dispersion de la collection. En nous plongeant dans le passé, cette fiction saisit l'occasion de la mise en lumière d'un travail d'archives pour s'interroger sur l'importance de la mémoire, mais aussi sur sa nécessaire préservation, avec le thème de la conservation du patrimoine. L'utilisation des photographies reste une idée narrative centrale des plus brillantes. Elle offre la possibilité de faire revivre, sous l'oeil de la caméra, par la magie des documents d'époque, des êtres et des destinées que le temps aurait déjà effacés. Shooting the Past réussit d'ailleurs admirablement à retranscrire, avec une authenticité troublante, ce ressenti unique, mélange de curiosité et de fascination, que l'on éprouve lorsque l'on se plonge ainsi dans des archives.

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Pour autant, ce besoin de mémoire ainsi souligné ne va pas cantonner la mini-série uniquement dans des préoccupations tournées vers le passé. Avec une sobriété désarmante, en démontrant combien des êtres ordinaires ont pu, chacun à leur manière, vivre à leur échelle des histoires "extraordinaires", dépassant les apparences ou emportés par les soubresauts de leurs époques, c'est à ses personnages du présent et, par ricochet, au téléspectateur, que Poliakoff s'adresse par un jeu de miroir dont on est rapidement pleinement conscient. Sans jamais formuler explicitement cette problématique pourtant centrale, Shooting the Past conduit ainsi à s'interroger sur la place que l'on peut occuper, la vie dans laquelle on s'inscrit et le legs que l'on laissera.

Car en choisissant d'individualiser des destinées en apparence anecdotique, la mini-série rompt avec humanité l'anonymat de ces figures en noir et blanc du XXe siècle, mettant en scène sous un jour nouveau leur vécu. Tout en pointant le culte de l'instantanéité promu par la société moderne, elle souligne l'importance de ne pas oublier, symbolisé par cet entrepreneur aux grands projets qui va finalement retrouver dans son propre passé familial, et les secrets qu'il contient, des explications jusqu'alors informulées sur les motivations qui l'animent. De manière incidente, cela lui offre l'occasion de rappeler que chacun a sa place dans une histoire plus large, parvenant à son niveau et avec ses moyens, à ses propres accomplissements. Une question reste d'ailleurs en suspens, lancinante, à la fin du visionnage : qui sait comment un regard rétrospectif éclairera ce présent que l'on vit actuellement sans recul ?

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Si l'ambiance de Shooting the Past exerce une telle fascination sur le téléspectateur, elle le doit également en partie à la façon dont la forme va savoir mettre en valeur le fond. Les oeuvres de Poliakoff ont toutes une caractéristique visuelle et, surtout, musicale, instantanément identifiable, que l'on retrouve une nouvelle fois ici, parfaitement exploitée. La réalisation est épurée, d'un style classique, tout en suivant cependant une approche presque contemplative que le thème musical récurrent, omniprésent, de la mini-série, vient appuyer. Car Shooting the Past démontre déjà une maîtrise de l'environnement musical que Poliakoff continuera de perfectionner par la suite. Un morceau de musique classique, initialement presque anecdotique mais qui gagne peu à peu en importance, va devenir le repère musical rapidement incontournable qui va accompagner l'ensemble et revenir constamment, de la scène d'ouverture jusqu'aux immersions dans le passé que permettent ces galeries de photographies exposées.

Enfin, pour porter à l'écran cette réflexion sur nos liens avec le passé, la mini-série bénéficie d'un excellent casting, parmi lequel on retrouve plusieurs des acteurs fétiches de Poliakoff, à commencer par Lindsay Duncan et Timothy Spall, que l'on croisera par la suite dans Perfect Strangers. Face à eux, pour incarner l'entrepreneur américain, Liam Cunningham (qui sera prochainement à l'affiche de la série d'anticipation Outcasts sur BBC1) leur donne la réplique de manière toute aussi convaincante.

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Bilan : Fiction contemplative aux accents confusément intemporels, Shooting the Past esquisse une réflexion sobre et fascinante sur la complexité de nos rapports avec le passé, à travers l'exploration d'un format d'archives particulier qui sied parfaitement à la télévision : la photographie. S'intéressant à la place de la mémoire dans nos sociétés modernes, elle s'attache à faire revivre des histoires représentatives du XXe siècle, tout en éclairant finalement de manière incidente ce tourbillon constant que sont les destinées humaines, dont un regard rétrospectif permet de redécouvrir l'unicité, et par certains aspects le caractère extraordinaire, de chacune. Célébrant la vie par un hommage au passé, c'est aussi sur lui-même que Shooting the Past amène le téléspectateur à réfléchir.

Un incontournable de Stephen Poliakoff à avoir vu au moins une fois.  


NOTE : 9/10


Un extrait, "Just a story" :


27/08/2010

(Mini-série UK) Perfect Strangers : une fascinante introspection familiale et personnelle


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Parmi mes achats DVD "from England" de l'été (si jamais la Beeb envisage d'expatrier un de ses stores par chez moi, je lui signale la candidature de mon appartement qui peut d'ores et déjà faire office d'antenne, au vu de tous les coffrets "BBC DVD" qui s'y empilent), j'ai commandé plusieurs productions signées Stephen Poliakoff. Si j'avais souvent entendu parler de ses fictions, je dois dire que je n'avais pas eu l'occasion d'en voir beaucoup jusqu'à présent. Histoire de corriger cette inculture tragique, j'ai donc fait quelques investissements.

La première production dans laquelle je me suis lancée est une mini-série, composée de 3 épisodes, datant de 2001 : Perfect Strangers. Certes, outre les échos positifs glanés ça et là, pour ne rien vous cacher, les noms du casting m'avaient un peu attiré l'oeil, à commencer par la perspective d'y retrouver Matthew Macfadyen (on ne se refait pas). Mais au-delà des performances d'acteurs à souligner, j'ai vraiment été fascinée par le style et l'ambiance qui se dégagent de Perfect Strangers. Une belle immersion intemporelle et universelle dans des rouages familiaux pour un très solide Poliakoff.

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Perfect Strangers, c'est une fascinante introspection familiale, d'une richesse et d'une justesse qui méritent vraiment d'être soulignées. L'histoire débute par la volonté du patriarche d'une grande famille, les Symon qui étaient autrefois très fortunés, de réunir les siens lors d'un week-end où explorations des arbres généalogiques et retrouvailles avec de vieilles images d'archives seront au programme. Raymond Symon a depuis des années coupé les ponts avec cette branche clinquante de sa famille, vivant désormais en "exil" du côté de Hillingdon. Cependant, il reçoit lui-aussi la fameuse invitation au week-end. Après bien des tergiversations, il se laisse convaincre d'accepter par sa femme et son fils unique, Daniel. C'est à travers les yeux de ce dernier que vont nous être relatés les différents évènements de ces vastes retrouvailles familiales qui offriront à ses participants une forme de retour aux sources parfois douloureux, mais, en un sens, regénérateur.

Le téléspectateur se retrouve progressivement immergé dans ce monde inconnu aux côtés d'un Daniel aussi perdu. Derrière l'apparence luxueuse, aux allures si policées qui est proposée aux premiers abords, c'est le portrait d'une famille bien vivante et entière qui va être dressé, avec ses codes, ses non-dits et ses blessures passées ; avec ses paradoxes, ses vitalités et ses secrets... Daniel se lie notamment, d'une façon étrangement naturelle quasi-instantanée, avec deux cousins éloignés, dont l'histoire personnelle est marquée par un drame qu'ils n'ont jamais dépassé. Stimulé par les trouvailles étonnantes de Stephen, l'archiviste auto-proclamé de la famille, chacun entreprend un voyage en lui-même, dans ses souvenirs effacés ou les quelques bribes qu'il lui reste encore, découvrant ainsi des pans oubliés, secrets de famille ou anecdotes rarement évoquées, qui résonnent de façon particulière en chacun d'eux. Plus qu'une réunion, Perfect Strangers est une invitation à se découvrir soi-même en découvrant sa famille.

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Cette introspection familiale, sous ses ressorts classiques, se révèle captivante à plus d'un titre, en partie parce que ce sont des parcours finalement très personnels que nous allons suivre sous couvert de ce mouvement collectif. L'enjeu ne réside pas dans les routes tortueuses empruntées qui vont conduire au récit d'anecdotes symboliques, mais dans la façon dont l'expérience va directement toucher les personnages. La portée métaphorique des souvenirs est pleinement exploitée. A mesure que la vision des uns et des autres évoluent sur ceux qui les entourent, c'est sur eux-mêmes qu'ils changent également de perspective. Il est assez troublant d'assister à cette réflexion quasi-identitaire, initiée avec une sobriété très intimiste qui sonne souvent tellement juste.

D'ailleurs, si Perfect Strangers fonctionne aussi bien auprès du téléspectateur, c'est aussi parce qu'elle choisit de s'inscrire dans le créneau des "séries d'ambiance" : elle doit en effet beaucoup à l'atmosphère que ses scènes réussissent à dégager. Il flotte dans l'air comme un indéfinissable parfum aigre-doux, manifestation diffuse d'une nostalgie involontaire, relent d'un passé non soldé encore suspendu dans l'inconscient de chacun. Ce sont les clés du futur qui sont pourtant en jeu, derrière ce repli passéiste auquel nous assistons. Mais la réalité de la quête entreprise n'apparaîtra qu'à la fin d'un parcours qui aura revivifié, presque à leur insu, bien des âmes troublées.

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Très solide sur le fond, Perfect Strangers l'est également sur la forme, bénéficiant sur ce point d'une très grande maîtrise, dans la droite lignée des BBC dramas de haut standing. Sa réalisation est certes classique, mais elle sait admirablement bien mettre en valeur et jouer sur le décor luxueux dans lequel les protagonistes évoluent, sans tomber dans un clinquant excessif. C'est classe, sans être prétentieux. L'ambiance un peu indéfinissable, entre nostalgie et mélancolie, est accentuée par le choix et l'utilisation des thèmes musicaux. Ces derniers s'inscrivent en parfaite adéquation avec la tonalité de la série, notamment la musique récurrente au piano qui donne vraiment une marque à ce beau drama, contribuant à une certaine impression d'intemporalité et d'universalité des thèmes abordés. C'est ainsi très plaisant de voir la forme, non seulement venir en soutien du contenu, mais surtout finir par ne faire qu'un avec lui, complément naturel, sans jamais trop en faire.

Enfin, parachevant l'ensemble, il est difficile de trouver qualificatifs suffisamment louangeurs pour évoquer les performances du casting. J'ai déjà mentionné la présence de Matthew Macfadyen (Spooks, Little Dorrit, The Pillars of the Earth), qui trouve ici le juste équilibre entre l'assurance naturelle de son personnage et les hésitations légitimes d'une jeunesse inexpérimentée face à un milieu et surtout des gens dont il ignore tout. Si c'est à travers ses yeux que le téléspectateur suit l'histoire, il est loin d'être le seul à avoir l'opportunité d'y briller. Michael Gambon (Wives and Daughters, Emma) offre une prestation bluffante, en vieil homme sarcastique, un brin aigri, que ces retrouvailles douloureuses vont marquer plus qu'il aurait pu le penser. Son discours bouleversant lors du "karaoké familial" improvisé restera comme une des scènes les plus marquantes de la mini-série. Lindsay Duncan (Rome) est, elle-aussi, absolument magistrale, dévoilant toute la classe inhérente à cette actrice vraiment fascinante. On retrouve également à leurs côtés Claire Skinner (Life begins, Trinity), Toby Stephens (Cambridge Spies, Jane Eyre, Vexed), Timothy Spall (The Street) et encore Michael Culkin (Garrow's Law).

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Bilan : Fascinante et troublante introspection, Perfect Strangers explore les ressorts qui régissent et font le coeur de chaque famille, de manière intemporelle. C'est avec une subtilité et une pudeur pleine de tact que cette mini-série souligne les paradoxes et les dynamiques qui se trouvent cachés sous les apparences policées des Symon. En redécouvrant un passé oublié, en se re-saisissant d'un héritage non liquidé, c'est finalement le présent qui est éclairé sous un jour nouveau. Cette réunion et toute la nostalgie passée qu'elle fait remonter va, à terme, servir à chacun pour en apprendre plus sur lui-même.

S'inscrivant dans une ambiance étonnamment envoûtante et vraiment fascinante, Perfect Strangers est une belle mini-série, sur le fond comme sur la forme, tour à tour légère, touchante, émouvante et rafraîchissante, qui ne laissera pas le téléspectateur insensible et que l'on quittera songeur devant son petit écran.


NOTE : 9/10


Les premières minutes du premier épisode :