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15/06/2013

(UK) The Fall, saison 1 : when the hunter becomes the hunted

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Le thème du serial killer est très prisé en ce début d'année 2013. Aux Etats-Unis, la Fox avait dégainé la première, tombant dans tous les pièges à éviter, avec un The Following sans crédibilité et encombré de stéréotypes. On aurait pu craindre que les autres fictions ne viennent pareillement s'échouer sur ces écueils. Heureusement, passé ce premier raté, les suivantes ont été d'un tout autre calibre. J'aurais l'occasion de revenir sur Hannibal au terme de sa première saison : sans être exempte de limites, c'est une oeuvre vraiment très intéressante, avec une ambiance soignée comme peu. Cependant ma "série à serial killer" favorite de 2013 est pour le moment britannique, c'est l'objet de mon billet du jour.

The Fall est une fiction créée par Allan Cubitt (The Runaway). Diffusée en Irlande à partir du 12 mai 2013 sur RTÉ One, et en Angleterre sur BBC2 dès le lendemain, sa première saison compte 5 épisodes d'1 heure environ chacun. Tout au long de sa diffusion en Angleterre, elle a bénéficié de très solides audiences, ce qui explique son logique renouvellement pour une seconde saison (qu'il ne faut malheureusement pas attendre avant fin 2014 au moins). Tournée en Irlande du Nord, The Fall nous fait suivre un double quotidien, celui d'un serial killer et celui de la policière qui dirige l'enquête sur ses crimes. Cette mise en scène en parallèle, accompagné d'une écriture très sobre, est à l'origine d'une des belles réussites de cette première moitié de 2013.

[La review qui suit contient des spoilers sur l'ensemble de la saison 1.]

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The Fall se déroule à Belfast. La police locale s'étant révélée incapable de résoudre le meurtre sensible d'une jeune femme, Stella Gibson est envoyée sur place pour évaluer la manière dont l'enquête a été conduite et y déceler d'éventuelles négligences ou fautes. Or la victime n'est pas la seule trentenaire, active professionnellement, à avoir été tuée dans des conditions assez proches. Lorsqu'un nouveau meurtre a lieu, Stella est confortée dans son idée que ces morts sont liées : c'est un seul et même tueur qu'il faut rechercher. Elle va alors prendre la direction de l'investigation.

Le serial killer que la police traque s'appelle Paul Spector. Père de famille marié, conseiller psychologue aidant ses patients à faire leur deuil après la perte d'un être cher, ce trentenaire mène en apparence une vie parfaitement rangée. Il donne le change au quotidien et paraît au-dessus de tout soupçon. C'est pourtant un tueur méthodique qui plannifie chacun de ses meurtres, apprenant d'abord à connaître les habitudes de ses futures victimes avant de frapper. Mais son besoin de tuer se fait de plus en plus pressant et moins contrôlable...

C'est le chassé-croisé de ces deux figures centrales opposées, Stella Gibson et Paul Spector, que The Fall va nous relater.

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The Fall est le récit d'une confrontation à distance de deux figures évoluant en parallèle, sans se croiser, devant la caméra. Sa particularité tient au fait qu'il ne s'agit pas d'un whodunit où l'on rechercherait un meurtrier inconnu. C'est même tout le contraire, car Paul Spector va devenir très familier. En nous faisant partager l'ensemble du quotidien du serial killer, la série s'inscrit dans un registre très personnel, à la sobriété jamais prise en défaut, qui se révèle profondément glaçant et malsain tant le portrait ainsi dépeint apparaît empreint d'une dualité effrayante. Il semble y avoir une telle contradiction à première vue, entre l'horreur de ces crimes et l'image de normalité renvoyée par ce père de famille : la compartimentalisation que Spector est capable d'opérer glace le sang par le naturel et la fausse banalité avec lesquelles elle a lieu. La série joue d'ailleurs habilement sur le contraste offert par ces apparences, notamment avec sa petite fille, incarnation s'il en est de l'innocence, qu'il va jusqu'à utiliser pour traquer ses victimes sans éveiller les soupçons.

L'intimité qui s'installe dans le récit crée un profond malaise, troublant et dérangeant le téléspectateur : The Fall nous place aux côtés de Spector, pas seulement pour l'acte de tuer, mais en nous faisant bien mesurer tout ce que cela représente pour lui de voyeurisme et de réduction à l'état d'objet d'une victime que la série nous aura au préalable fait connaître (le 1er épisode est à ce titre une entrée en matière magistrale). En raison de cette réification de femmes par le serial killer, il fallait trouver face à lui une figure qui apporte un contre-poids nécessaire. Le fait qu'il va s'agir d'une femme, en la personne de Stella Gibson, est déterminant. Fascinante de professionnalisme et de froideur, imperturbable et énigmatique, elle entretient un rapport avec les hommes qu'il va être opportun d'éclairer. La manière dont elle vit sa sexualité tranche en effet avec les schémas misogynes ambiants du commissariat. Retournant les raisonnements que font naturellement ses collègues, une de ses répliques, pleine d'aplomb, résonne durablement : "Man fucks woman. Subject man, verb fucks, object woman. That's OK. Woman fucks man. Woman subject, man object. That's not so comfortable for you, is it ?"

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A partir de ces doubles portraits ainsi esquissés, The Fall adopte un rythme lent, bâtissant une sourde tension psychologique sans jamais rechercher la surenchère. La série se construit une ambiance à part, dépouillé d'artifices, qui sonne très réelle. Il faut souligner qu'elle ne se réduit pas à la seule traque d'un tueur : elle nous immerge pleinement dans l'environnement particulier qu'est Belfast, une ville façonnée par son Histoire, familière avec la violence. Faire se dérouler la série en Irlande du Nord n'est pas anodin, et la fiction va exploiter ce cadre. Elle propose ainsi d'autres intrigues, impliquant des notables locaux ou bien des délinquants, qui viennent s'imbriquer et compléter le tableau. Leur utilité dans le développement de la trame principale reste à être appréciée ; elles servent avant tout à poser un ton et une atmosphère, tout en ayant le mérite de connecter l'enquête avec le lieu où elle se déroule, apportant une dimension sociale qui densifie la série. Si les histoires de serial killer tendent peut-être à se banaliser du fait de leur multiplicité, le cadre de The Fall n'a, lui, rien d'interchangeable.

La noirceur réaliste dans laquelle baigne la série se retrouve également dans la conclusion de ces cinq épisodes, à la brièveté frustrante. Toute fiction tend naturellement vers l'artifice nécessaire de se terminer sur une fin satisfaisante, mais la réalité est plus nuancée, et le happy end rarement de mise : de nombreuses fois, l'incertitude prédominera. Faire le choix de l'irrésolution reste osé, comme le montrent les réactions des téléspectateurs britanniques face au dernier épisode. Il faut cependant nuancer cet impact, puisque The Fall a été renouvelée. Ce qui est intéressant dans la manière dont cette saison 1 s'achève, c'est le fait qu'elle place Stella face à un échec : ne pas avoir réussi à arrêter, ni même à identifier, le serial killer. La confrontation tant attendue avec Spector se réduit finalement à un coup de téléphone. L'échange, par le rapport de force qu'il met en exergue, tient pourtant toutes ses promesses. La fin ouverte appelle une poursuite, et Stella apparaît bien trop marquée pour ne pas continuer sa traque. Elle dispose d'ailleurs d'indices importants, dont l'éventuel témoignage d'une victime. Cependant, la force de ces dernières minutes tient à l'impression que Spector semble avoir encore la main en faisant le choix de partir, même si le téléspectateur doute qu'il puisse cesser de lui-même de tuer. Une fin de saison donc ambivalente, duale... à l'image de la série.

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Ce souci d'un réalisme sobre perceptible dans la narration se retrouve également sur la forme. La réalisation est aussi soignée que posée : la mise en scène reste très dépouillée, ne recourant à aucun effet de style particulier. De même, le récit est accompagné d'une bande-son qui demeure en arrière-plan, construisant progressivement l'ambiance particulière de The Fall sans prendre le pas sur des scènes dont la force et l'intensité n'ont pas besoin d'être soulignées par un artifice musical supplémentaire pour s'exprimer pleinement. 

Aussi solide que soit The Fall sur le fond, si le récit acquiert une telle dimension, il le doit aussi à son casting, et tout particulièrement son duo principal. Gillian Anderson (X-Files, Bleak House, Great Expectations) délivre une prestation impressionnante dans ce rôle froid, professionnel, qu'elle habite vraiment : l'actrice apporte à l'écran une présence magnétique qui trouble et fascine. Avec son rôle tenu dans Hannibal, elle démontre ces dernières semaines toute sa juste valeur à l'amateur de ce genre. Face à elle, Jamie Dornan (Once Upon A Time) tire aussi très bien son épingle du jeu, exploitant à merveille les différentes facettes de son personnage : outre sa dualité, le contraste entre son apparence et la noirceur des actes qu'il commet convient parfaitement. L'acteur étant originaire de Belfast, l'accent adéquat est une touche qui crédibilise un peu plus la figure qu'il incarne. Côté seconds rôles, l'ensemble est homogène et convaincant : on y croise notamment Bronagh Waugh, Michael McElhatton, Niamh McGrady, Archie Panjabi, John Lynch ou encore Laura Donnelly.

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Bilan : Se réappropriant de manière convaincante ce thème du serial killer qui tend pourtant à être aujourd'hui galvaudé, cette première saison de The Fall est une réussite. Le choix de ne pas relater une investigation unilatérale, mais au contraire de préférer dresser un double portrait en parallèle, du tueur et de l'enquêtrice le traquant, permet une construction du récit glaçante par l'intimité qu'elle occasionne avec Spector, tout en trouvant en Stella Gibson son pendant parfait. La sobriété privilégiée par l'écriture contribue alors à la construction d'une tension sourde, empreinte de malaise, qui fait de la série une fiction aussi prenante que dérangeante. Une très intéressante incursion dans le registre des histoires de tueurs en série, dont j'attendrai avec impatience la saison 2.


NOTE : 8/10


La bande-annonce de la série :

27/05/2013

(UK) The Village, saison 1 : une chronique sociale durant la décennie de la Grande Guerre


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Ce printemps a été placé sous le signe du policier en Angleterre, du classique revisité avec Endeavour à l'enquête feuilletonnante de Broadchurch sur ITV, en passant par la traque du serial killer dans The Fall actuellement sur BBC2 (sans oublier des fictions qui m'ont moins enthousiasmé - et sur lesquelles il faudra donc me pardonner de ne pas revenir - comme Mayday ou bien Murder on the home front). Il y a cependant un projet de period drama particulier qui avait toute mon attention : celui de Peter Moffat pour BBC1. Pour resituer la série, je vous conseille la lecture de son riche entretien pour RadioTimes, dans lequel le scénariste explique les origines et les ambitions qui entourent sa dernière création, The Village.

Diffusée du 31 mars au 5 mai 2013, le dimanche soir, la série a vu, au cours de ses six épisodes d'1 heure, son audience progressivement décroître après un début réussi. Cependant une seconde saison a été commandée et sera diffusée l'année prochaine. Ce qui m'a beaucoup intéressé dans The Village, c'est le parti pris d'une approche historique qui s'éloigne résolument de toute fibre nostalgique et du dépaysement coloré des fictions en costumes. Il y a derrière elle une idée de mémoire qui parle à ma fibre historienne. C'est une fiction rude et abrasive qui ne plaira certainement pas à tous les publics, mais malgré des maladresses, elle aura proposé quelques beaux moments de télévision.

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The Village débute dans le présent. De nos jours, Bert Middleton est le second homme le plus âgé d'Angleterre. Un documentaire est en cours de réalisation sur sa vie, son village et la manière dont il a traversé son siècle. C'est par le témoignage de ce vieil homme que l'on s'immerge dans ses souvenirs, ce dernier entreprenant de retracer pour ses interlocuteurs - et par conséquent le téléspectateur - la longue vie qu'il a connue. Dans cette première saison, le récit débute durant l'été 1914 ; se concentrant principalement sur les années 1914-1916, il nous conduira jusqu'en 1920.

En 1914, Bert n'a alors que 12 ans. Issu d'une famille pauvre, subissant les éclats d'un père alcoolique et les excès d'autoritarisme d'un instituteur guère pédagogue, le garçon peut cependant s'appuyer sur son grand frère, Joe. Si ce dernier rêve de prendre son indépendance par rapport à cette pesante situation familiale, il travaille pour le moment dans la maisonnée luxueuse de notables locaux qui régissent le village. L'été 1914 sera celui d'un premier amour, mais aussi celui d'une déclaration de guerre : la Première Guerre Mondiale débute, et Joe va choisir de s'engager.

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The Village est un drame social, rugueux et dépouillé d'artifices, prenant volontairement le contre-pied de cette tentation moderne qui conduirait à romancer la fin d'un âge d'or précédant la Grande Guerre. Le résultat donne une fiction sombre et rude, laissant peu d'échappatoire à ses protagonistes. Versant dans le mélodrame, la série s'efforce de capturer sans fard la vie d'une époque, avec toutes les difficultés, les épreuves, mais aussi les instants fugaces de bonheur et d'apaisement qui parsèment le quotidien de ses personnages. Le tableau dressé est dur : il ne manque ni de séquences pesantes, ni de scènes chargées d'émotions, promptes à faire vibrer la corde sensible du téléspectateur, d'une telle façon que le visionnage des épisodes reste éprouvant.

Si la série a parfois tendance à peut-être en faire trop dans ce registre, son approche brute a l'avantage de parvenir à susciter une véritable empathie à l'encontre de ces personnages, laquelle marque durablement. Cependant, cette chronique villageoise n'est pas exempte de limites. L'écriture est parfois inégale ou un peu brouillonne du fait de certaines ellipses, même si l'ensemble sur les six épisodes demeure cohérent et bien exécuté. Parmi les éléments perfectibles, il y a les dynamiques au sein de la famille de notables qui peinent à convaincre et à impliquer le téléspectateur. Il y a aussi des problèmes de dosage dans les caractérisations : certaines figures ont du mal à dépasser le symbole qu'elles sont censées représenter et s'humanisent difficilement (c'est le cas pour Martha, la féministe profondément religieuse et prosélyte).

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Il n'en demeure pas moins que The Village mérite d'être découverte. Pour son parti pris narratif, mais aussi pour la grande réussite de cette première saison qu'est son traitement de la Première Guerre Mondiale. Son champ d'action étant restreint au village, on vit les évènements à distance, s'intéressant à toutes leurs conséquences sur la localité. Le téléspectateur devine ainsi l'enfer des tranchées à travers les témoignages des soldats qui rentrent en permission. Il assiste aux bouleversements provoqués au quotidien par la conscription avec les femmes qui prennent la place des hommes dans l'usine locale. Il partage enfin la douleur des deuils qui vont frapper les familles. Le village enverra 137 hommes sur le front, 25 seulement rentreront, marqués à jamais.

Pour aborder cette guerre, la série fait le choix d'entremêler deux approches, l'intime et le collectif. Le récit explore la tragédie personnelle qu'elle va être au sein de chaque famille, tout en soulignant également la déchirure collective qui va peser sur la vie même du village. Si la fiction s'arrête sur différents acteurs, l'instituteur objecteur de conscience ou encore le pasteur perdant peu à peu sa foi, à la conjonction de ces deux arcs, personnel et collectif, se retrouvent la famille Middleton et ses propres épreuves. Tandis que Bert se pose comme un témoin, Joe jouera lui un rôle central par-delà le destin qui sera le sien. L'ensemble conduit à un sixième épisode, en 1920, qui réunit toutes ces histoires en une conclusion poignante d'une force rare devant le monument aux morts que l'on inaugure.

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Sur la forme, The Village marque par son ambiance musicale, avec quelques thèmes instrumentaux bien choisis qui contribuent à la tonalité de la série, sobre quand il le faut, mais avec à l'occasion ces accents mélodramatiques  qui touchent. La réalisation est également très soignée : tout en s'attachant à bien capturer le décor du village jusqu'à la ferme des Middleton, elle opte pour une photoraphie très belle, à dominante grise, qui correspond bien à l'atmosphère du récit. La caméra apprécie les gros plans, en plongée ou contre-plongée, ce qui renforce une impression de proximité, offrant des portraits sans fard de toute cette galerie de personnages que l'on va voir affronter bien des épreuves au cours de la saison.

Enfin, The Village peut s'appuyer sur un excellent casting à qui il doit justement cette forte empathie que la série va être capable de susciter, tout particulièrement vis-à-vis des Middleton. Parmi les révélations, il faut signaler le jeune Bill Jones interprète avec une justesse et un naturel remarquables Bert à 12 ans. Une autre performance à saluer est celle de Nico Mirallegro, déjà souvent croisé dans le petit écran anglais (Upstairs Downstairs, ou encore la chouette My Mad Fat Diary en début d'année), mais qui ne m'avait jamais marqué à ce point dans un rôle où il aura vraiment pu s'exprimer pleinement. Quant aux parents Middleton, ils sont interprétés par deux valeurs sûres, Maxine Peake (une habituée des fictions de Peter Moffat, puisque vous avez pu l'apprécier dernièrement dans Silk) et John Simm (State of Play, Life on Mars, Exile, Mad Dogs), qui, comme toujours, sont impeccables. Parmi les autres habitants du village, on retrouve notamment Charlie Murphy, Juliet Stevenson, Augustus Prew, Emily Beecham, Rupert Evans, Stephen Walters, Ainsley Howard, Annabelle Apsion, Anthony Fanagan, Jim Cartwright ou encore Joe Armstrong.

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Bilan : Récit historique derrière lequel se trouve l'idée d'un travail de mémoire, The Village est un poignant drame social et humain. Sa première saison dresse le portrait sobre et non édulcoré du quotidien d'un village de la campagne anglaise, et plus particulièrement d'une famille, au début du XXe siècle. Un de ses grands intérêts réside dans son traitement extrêmement intéressant de la Première Guerre Mondiale. L'ensemble n'est pas exempt de défauts ou de maladresses, mais la gestion globale des storylines reste bien conduite sur les six épisodes, avec une dernière scène parfaite. C'est une série forte, qui ne laisse pas indifférente.

Le visionnage est donc éprouvant, et tout le monde ne se retrouvera sans doute pas dans les partis pris narratifs. Reste que The Village est une initiative très intéressante dans le registre des period dramas. Je serai présente pour la saison 2.


NOTE : 7,5/10


Une bande-annonce de la série :


Le thème musical du générique :

22/03/2013

(UK) Being Human, saison 5 : the desire to be human is the end, not the beginning

"What none of you realised, none of us realised, is
- the desire to be human is the end, not the beginning.

To want it is to have it. You're not wasting your time, Tom.
You've already won."
(Hal - 5.06, The Last Broadcast)

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Il est temps de revenir sur mon deuil sériephile de ce mois de mars. Being Human s'est achevée il y a presque deux semaines en Angleterre. Si la série aura donc bénéficié de cinq saisons pour exploiter son concept, une durée très honorable, la pointe de regret est pourtant là en commençant la rédaction de ce billet. C'est en effet peut-être par la plus aboutie et belle de ses saisons qu'elle s'est conclue. En disant adieu à une série, on mesure souvent son importance : elle m'aura prouvé que ce n'est pas pour rien qu'elle fut une des rares à avoir l'honneur de sa propre catégorie dédiée sur ce blog. Je l'ai suivie avec un attachement jamais démenti, passant par tous les états : j'ai connu les semi-déceptions, les frustrations, mais aussi ces grands moments, forts, chargés d'une humanité qui m'a touché au coeur.

Par-dessus tout la grande caractéristique de Being Human est d'avoir toujours su se réinventer. Jusqu'au bout. Mon histoire avec elle a commencé durant l'hiver 2008 par un pilote loin d'être parfait, mais où perçaient un charme et un potentiel indéniables. C'est pourtant une autre série, à la tonalité réajustée, avec un casting quasiment entièrement renouvelé (elle avait perdu deux de ses trois acteurs principaux) qui, finalement, a vu le jour en janvier 2009 après une mobilisation (méritée) de fans de la première heure. J'ai passé la moitié de la première saison à regretter "l'originale" et Andrea Riseborough, avant de me prendre d'affection pour ce nouveau trio. Partie d'un quotidien quasi-anecdotique s'il n'y avait eu cette dimension fantastique, Being Human s'est ensuite peu à peu tournée vers des enjeux toujours plus grands, glissant à l'occasion dans une surenchère hors de contrôle. Trois saisons éprouvantes ont conduit à une conclusion inévitable.

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Au cours de sa quatrième, l'an dernier, la série a de nouveau prouvé sa faculté à s'adapter, démontrant comme peu de fiction en sont capables que sa magie dépassait les protagonistes mis en scène. Quoiqu'on en dise, cette série avait une âme, solidement ancré dans son concept, qui aura survécu à tous ces bouleversements. De nouveaux personnages ont été introduits. La téléspectatrice que j'étais s'est un instant crispée : pouvait-on envisager Being Human sans Mitchell, sans George, et enfin, sans Annie ? Pourtant, pour la troisième fois, elle m'a conquise. Hal et Tom se sont imposés naturellement. Et, quelque part au fil de cette cinquième saison, j'ai soudain pris conscience que ce dernier trio sera sans doute l'image de Being Human que j'emporterais pour la postérité.

Tuée la saison précédente, Alex, jeune femme au fort caractère, a vite trouvé ses marques pour compléter un duo vampire/loup-garou qui avait déjà montré tout son potentiel. L'étonnante dynamique née entre Hal et Tom, deux personnages si dissemblables, a fonctionné à merveille au cours de cette saison 5, vacillant plus d'une fois et pourtant toujours si solide. Dans le même temps, la série a poursuivi dans la surenchère pour désigner l'ennemi de la saison. La menace des vampires, récurrente depuis le début, réduite à néant par la fin des Old Ones, Toby Whithouse s'est logiquement tourné vers le plus grand adversaire qu'un scénariste puisse envisager dans une mythologie surnaturelle : le Diable. Une ultime bataille, pour une ultime saison, tel était donc le programme.

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La réussite de cette saison 5 tient en premier lieu au fait d'avoir prolongé le retour aux sources entrevu la saison précédente : s'être rappelé que le charme de Being Human repose sur ces petites scènes d'une vie quotidienne se démarquant seulement de l'ordinaire par le twist fantastique apporté par la nature des différents protagonistes. Par-delà son univers surnaturel, la série doit tout à l'humanité, souvent touchante, toujours empreinte de doutes, qui émane de ses personnages. C'est dans leurs contradictions que ces derniers se révèlent. La série se construit sur ces dualités. On retrouve cette caractéristique jusque dans les relations que les protagonistes entretiennent. Il n'y avait rien de plus improbable que l'amitié naissante entre Hal et Tom, entre un ancien vampire un peu snob, obsédé par l'ordre, avec des troubles obsessionnels compulsifs qui lui permettent de canaliser ses pulsions, et un jeune loup-garou spontané, ayant encore tellement à apprendre de la vie. La série n'a pourtant jamais sonné aussi juste que durant ces instants-là.

Au fil des épisodes, se sont esquissés des portraits toujours riches en contrastes, mettant ainsi en lumière l'essence même de la série. Tous ces personnages ont dévoilé plusieurs facettes. Tom a désarmé le téléspectateur par la troublante vulnérabilité et l'inattendue innocence qu'il a préservées, lui pourtant tellement endurci par son éducation et ses combats contre les vampires. Hal a séduit autant par ses phases où son magnétisme vampirique ressort que par les passages où il vacille en tentant désespérément de retrouver le contrôle chèrement acquis de lui-même. Alex a touché par ce qu'elle représentait : une vie coupée nette, dont elle conservait malgré tout la répartie et la vitalité qui la définissaient. Toutes ces figures multidimensionnelles se sont cherchées, égarées, rassurées... Elles tendaient à l'aveuglette vers une supposée normalité qui demeurait cet idéal brandi d'une humanité perdue, sans comprendre que c'étaient justement tous ces questionnements, tous ces échecs, qui les rendent simplement... humains.

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Fidèle à la tonalité particulière de Being Human, cette saison 5 a alterné, dans ses intrigues, les phases de dramédie du quotidien, légère voire insouciante, et les basculements vers une fiction horrifique, culminant avec quelques scènes sanguinolantes et dramatiques à souhait. Cela lui a permis d'explorer plus avant des thématiques familières, comme l'impossible rédemption des vampires. Le décrochage de Hal a été bien traité, en choisissant l'angle de l'addiction et en introduisant aussi l'idée d'une sorte de deuxième personnalité, comme un double maléfique. De manière générale, chaque personnage a eu droit à ses moments, nous offrant de nombreuses scènes mémorables qui ont su toucher : des confrontations à l'intensité bouleversantes aux passages à la simplicité touchante. Being Human n'a jamais semblé plus fidèle à elle-même que lors de ces instants précieux où l'écriture éclaire la spécificité de ce concept.

Parallèlement, le fil rouge diabolique s'est fait de plus en plus inquiétant. Les tensions sont devenues pesantes, s'exacerbant face à différentes péripéties. Les grandes confrontations finales n'ont jamais été le point fort de Being Human, laquelle a toujours préféré la construction progressive les précédant. Mais ce à quoi est parvenu le dernier épisode constitue une magnifique chute, orchestrée en deux temps. Embrasser une humanité retrouvée en faisant disparaître la nature respective des personnages, c'est tout d'abord leur permettre de toucher le rêve qu'ils chérissaient tant. C'est dans le même temps offrir au téléspectateur une décharge émotionnelle rare. Suggérer ensuite, enfin, que tout ne serait resté bel et bien qu'un rêve, diabolique, une utopie, c'est rester fidèle jusqu'au bout à la dualité inhérente à la série. Je n'ai pas besoin de connaître la réponse qu'apportera le DVD pour être satisfaite, je préfère ces trois petits points de suspension suggestifs. C'est une fin avec ses contrastes que chacun peut conclure comme il l'entend.

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Sur la forme, Being Human a acquis une identité visuelle bien à elle au fil de ses saisons. Dans cette fiction fantastique qui n'a jamais eu un budget d'effets spéciaux très conséquent, ce sont les transformations en loup-garous qui ont toujours été l'écueil le plus problématique à surmonter. Qu'importe, la série a su naviguer entre ses genres, oscillant opportunément, suivant les scènes ou les épisodes, entre la dramédie humaine attachante et des emprunts aux codes de l'horreur fantastique. Elle n'aura pas hésité à recourrir à quelques effets de styles classiques de ce dernier genre, avec une mise en scène qui ne s'est jamais montrée avare en hémoglobine. Quant à sa bande-son, elle a su trouver quelques chansons bien choisies pour l'accompagner.

Enfin, côté casting, cette saison 5 a de nouveau accueilli quelques solides guest-stars pour construire le fil rouge, avec Phil Davis (Bleak House, Collision, Whitechapel) pour incarner le Diable, et Steven Robertson (Tess of the D'Ubervilles, The Bletchley Circle) pour interpréter un fonctionnaire très (trop) zélé. Surtout, elle a permis de confirmer tout le bien que l'on pouvait penser de son trio de jeunes acteurs qui ont su admirablement s'affirmer au fil des épisodes. Promue pour l'occasion, Kate Bracken a apporté une fraîcheur et une vitalité appréciable, venant compléter le duo déjà en place. Michael Socha (This is England) a su, lui, capturer la complexité de Tom, un personnage qui restera sans doute comme le plus attachant et désarmant de la série. Quant à Damien Molony, il aura séduit et marqué dans un rôle très riche, franchement fascinant, qui lui aura en plus donner l'occasion de s'exprimer dans des registres très différents. 

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Bilan : Au terme de cette cinquième saison, Being Human s'en est sans doute allée de la meilleure des façons : avec les honneurs d'une sortie réussie et une dernière saison admirable, fidèle à ce qui aura fait l'essence de la série, en insufflant à son concept une fraîcheur nouvelle. Ce n'est pas sans regret que le téléspectateur fait ses adieux à ce trio de personages qui a su si bien s'imposer, tout en n'ayant finalement eu qu'une poignée d'épisodes bien à lui. Mais c'est au moins sur l'impression de satisfaction laissée par cette ultime saison que cette série se clôture.

Finir Being Human laisse un vide. Elle a fait partie de mon quotidien téléphagique pendant six ans, même si elle compte moins de 40 épisodes. Je ne nie pas qu'elle m'a fait passer par tous les états, de l'enthousiasme à la déception. J'en garderai pourtant avant tout le souvenir d'une série capable de générer quelques instants véritablement magiques d'une humanité touchante, attachante et sincère, comme peu de fictions savent le faire. Ce fut une aventure sériephile avec ses hauts et ses bas que je ne regrette pas d'avoir vécue.

En guise d'ultime conclusion, permettez-moi de vous conseiller la lecture de deux beaux billets d'adieux qui, chacun à leur façon, m'ont parlé pour dire au revoir à Being Human : celui de Carole et celui de Saru.


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce de la saison :

09/03/2013

(UK) The Scapegoat : l'histoire d'une deuxième chance inattendue

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Ma pile de fictions à regarder est une haute tour sans fin (dont je sais pertinemment que je n'en viendrais jamais à bout), au sein de laquelle j'oublie parfois même certaines de ces oeuvres, mises de côté lors de leur diffusion, englouties depuis dans l'océan des séries "qu'il faudra que je rattrape un jour". Dans ces conditions, entreprendre un peu de rangement a parfois du bon : cela permet de se remémorrer quelques oublis, à l'image du téléfilm que j'ai finalement (enfin) visionné dimanche dernier.

The Scapegoat a été diffusé sur ITV1 le 9 septembre 2012. Il s'agit d'une adaptation d'un roman du même nom de Daphne du Maurier, datant de 1957. A noter qu'une adaptation cinématographique a déjà eu lieu, en 1959, mettant en scène Alec Guinness dans le rôle principal. Dans cette version de 2012, d'une durée d'1h40, c'est à Matthew Rhys qu'est confié cet intriguant double rôle, pour une fiction qui s'est révélée vraiment très plaisante à suivre. 

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Il faut préciser d'emblée que The Scapegoat (2012) prend un certain nombre de libertés avec l'histoire d'origine (que je n'ai pas lue). Le téléfilm s'ouvre en Angleterre, en 1952, dans un contexte de préparation des festivités pour le couronnement de la reine. John Standing est enseignant. Il vient d'être renvoyé de son établissement, sa matière ayant été sacrifiée au nom d'arbitrages pédagogiques. Sans attaches, ni famille, il envisage de partir à la découverte du monde. Mais, dans un bar, il croise un individu étonnamment semblable à lui en apparence, Johnny Spence. Les deux hommes semblent être des doubles l'un de l'autre. Il s'ensuit une soirée, arrosée, de discussions où ils échangent sur leurs vies respectives, toutes deux à problèmes.

Le lendemain matin, John Standing se réveille difficilement dans une chambre qui n'est pas la sienne, avec, disposés dans la pièce, des vêtements qui ne sont pas non plus à lui. De Johnny Spence, plus aucune trace, l'homme étant parti avec les papiers de Standing. Or ce dernier passe sans difficulté pour Johnny Spence auprès de son personnel, à commencer par son chauffeur. Pour en apprendre plus sur l'homme qui a volé son identité, John décide un temps de jouer le jeu et se laisse conduire dans la belle demeure qui est celle des Spence. Il y découvre une situation maritale, familiale et professionnelle extrêmement tendue, son double étant loin d'être irréprochable moralement. Presque malgré lui, il s'introduit dans ce quotidien et entreprend d'essayer de sauver ce qui peut encore l'être.

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Le concept de départ de The Scapegoat, qui voit deux individus identiques échanger leurs vies et se faire passer l'un pour l'autre, est un ressort narratif très fréquemment utilisé dans certains petits écrans comme la Corée du Sud. Il l'est en revanche moins dans la fiction occidentale. Pour rentrer dans l'histoire, il faut donc admettre le postulat de départ suivant : l'idée que Standing puisse donner le change et se faire vraiment passer pour son double physique auprès des proches qui connaissent Johnny Spence intimement. La réussite du récit est ici de proposer une narration fluide et cohérente, entraînant sans difficulté le téléspectateur à la suite du personnage de Standing et des péripéties qu'il a à solutionner. On assistera ainsi tout d'abord à ses efforts, souvent maladroits, pour comprendre la vie menée par son vis-à-vis, puis à ses tentatives pour redresser des situations semblants brisées au-delà de toute réparation.

En filigranne, se construit peu à peu l'opposition entre les deux hommes. Car Standing et Spence ont tous deux des caractères, mais aussi des valeurs, très différents. L'approche choisie est un autre grand classique, celle manichéenne du "bon jumeau" et de son "double maléfique". L'intérêt de l'histoire tient au fait que la confrontation qui viendra, on le pressent, à un moment ou à un autre, n'est pas au centre de l'intrigue. L'enjeu de l'ensemble est avant tout une réalisation humaine et relationnelle. Endossant le costume de Spence, Standing rebâtit et rétablit peu à peu des ponts, oubliés ou depuis longtemps détruits, entre chaque personne de son entourage. Il avance avec une sincérité et une bonne volonté assez touchantes. Il règne sur The Scapegoat une forme de chaleur humaine, plutôt optimiste, qui provoque l'attachement du téléspectateur. C'est ainsi un divertissement solide et à plaisant à suivre, jusqu'à la conclusion qui diffère de celle du livre d'origine.

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Sur la forme, The Scapegoat propose une belle reconstitution des années 50 - la demeure des Spence offrant un de ces décors de la haute société que nombre de period dramas affectionnent. La réalisation est soignée, l'image est belle avec une teinte qui sied parfaitement à l'époque mise en scène. Quant à la bande-son, elle ne se fait jamais trop intrusive, mais accompagne posément le récit.

Côté casting, le téléfilm repose en grande partie sur Matthew Rhys (Brothers & Sisters, The Americans) qui cumule les rôles de ces deux "faux jumeaux", aux inclinaisons et caractères très différents. L'acteur s'en sort dans l'ensemble bien. Le fait que le "double maléfique" ait finalement assez peu de scènes lui permet surtout d'explorer le personnage autrement plus franc et digne de confiance qu'est Standing ; cependant, les quelques scènes communes aux protagonistes - notamment au début - sont bien menées. Autour de lui gravite un entourage au sein duquel on retrouve quelques têtes très familières, comme Eileen Atkins (Smiley's People, Psychoville, Doc Martin) qui interprète la matriarche de la famille Spence, ou encore Andrew Scott (aka Moriarty dans Sherlock) qui incarne le frère de Johnny. On croise également Alice Orr-Ewing, Sheridan Smith (Mrs Biggs), Jodhi May (Emma, Strike Back, The Jury II), Eloise Webb, Sylvie Testud (avec un accent de l'Est prononcé), Anton Lesser (Little Dorrit, The Hour), Pip Torrens (The Promise) ou encore Phoebe Nicholls.

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Bilan : The Scapegoat est l'histoire surprenante d'une deuxième chance inattendue, tout autant que le récit d'une reconstruction de diverses vies au bord de l'implosion. Il flotte sur l'ensemble le parfum caractéristique, un peu à part, d'une fable aussi improbable qu'attachante. L'histoire apparaît somme toute très simple, mais le récit assuré se déroule de façon fluide et sans à-coups. Et les ouvertures et les possibilités permises par ce concept étonnant achèvent de séduire un téléspectateur qui passe, devant son petit écran, 1h40 très agréables. En résumé, un visionnage plaisant donc recommandé (parfait pour un dimanche). 


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce du téléfilm :

03/03/2013

(UK) Complicit : questionnements et doutes sur la lutte antiterroriste et ses moyens

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Les thèmes de l'espionnage et de la lutte antiterroriste ont été tellement rebattus ces dernières années qu'il devient difficile de trouver une place dans ce - vaste - genre pour toutes les fictions qui s'y essaient encore régulièrement. Certaines y parviennent cependant. C'est le cas du téléfilm d'une durée d'1h30 diffusé par Channel 4, en Angleterre, le dimanche 17 février 2013, intitulé Complicit.

Ecrit par Guy Hibbert, il traite des moyens de cette lutte contre le terrorisme et plus précisément du choix du recours à la torture. D'une sobriété exemplaire, Complicit est un essai intéressant pour traiter de ce thème, loin de toute recherche de sensationnalisme ou de sur-dramatisation. C'est aussi l'occasion de retrouver David Oyelowo au MI-5 quelques années après Spooks, dans un registre bien différent que celui proposé par la référence anglaise d'espionnage de la dernière décennie.

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Edward Ekubo est un agent du MI-5. Cela fait trois ans qu'il surveille un individu ayant la citoyenneté britannique, suspecté d'appartenir à une mouvance terroriste, Waleed Ahmed. Au vu des indices et informations collectés, il est persuadé que ce dernier s'apprête à passer à l'action, planifiant une attaque à l'arme chimique au sein même du Royaume-Uni en recourrant à ce poison qu'est la ricine. Seulement sa conviction repose sur des déductions et des recoupements qui sont insuffisants pour convaincre ses supérieurs de l'urgence de la situation. Il parvient cependant à obtenir une surveillance à l'étranger de son suspect.

Passant par le Yemen, Waleed Ahmed arrive finalement au Caire. Il y est arrêté par la police locale en contact avec d'autres suspects de liens terroristes et des fermiers soupçonnés de produire le poison mortel. En débarquant en Egypte, Edward déchante cependant vite : les autres suspects sont tous revenus sur leurs aveux initiaux, extorqués après de rudes interrogatoires, et Waleed, affirmant avoir été victime de mauvais traitement, invoque sa citoyenneté britannique et les droits qui y sont attachés auprès des agents venus de l'ambassade. Seulement le temps presse, car Edward est persuadé que la ricine est déjà en route vers sa cible.

Un colonel des services de sécurité égyptien lui assure alors qu'il obtiendrait ces informations s'il avait l'occasion d'interroger son suspect suivant ses propres méthodes...

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Complicit est une fiction lente, d'une sobriété appliquée. Loin de toutes recherches de sensationnalisme, elle désamorce tous les clichés d'action ou de rebondissements multiples auxquels on associe communément nombre des fictions de ce genre. Le quotidien des services de renseignements britanniques y est rythmé avant tout par de longues surveillances et d'interminables procédures complexes. Pour nous présenter un exemple particulière d'affaire au sein de la lutte antiterroriste actuelle, le téléfilm adopte entièrement le point de vue d'Edward. La narration fait preuve alors d'une intéressante neutralité : laissant place à l'interprétation, elle donne des faits, expose des coïncidences et nous fait partager les soupçons du personnage principal, mais elle n'assène jamais une vérité univoque. Elle suggère, questionne implicitement, tout en subtilité. Cela a d'ailleurs pour conséquence de progressivement distiller le doute sur la réalité de la situation racontée, loin d'une simple chasse à un terroriste identifié : les intuitions et les déductions d'Edward sont-elles seulement justes, envers et contre le scepticisme de ces collègues et de ces supérieurs ?

Complicit est en fait une oeuvre qui évolue dans une zone grise, loin de tout manichéisme. Plusieurs réflexions s'esquissent au fil du récit. Initialement c'est la position même d'Edward au sein du MI-5 qui pose question : quelle est la source du manque d'avancement et de la relative défiance de ses supérieur ? Est-ce qu'il sur-interprète simplement des faits, sa compétence doit-elle remise en cause ou bien est-il victime d'une forme de discrimination parce qu'il n'appartient pas à l'establishment ? Ensuite, après l'arrestation de Waleed en Egypte, une autre problématique est introduite : jusqu'où peut-on aller pour récupérer des informations ? Quelle est la valeur (et la réalité) d'aveux obtenus sous la contrainte ? Une démocratie qui se veut garante des droits de l'homme peut-elle admettre et utiliser des régimes qui recourrent à la torture pour parvenir à ses fins ? Entre la position légale officielle et la réalité du terrain, où se situe le curseur ? La formulation de ces différentes problématiques demeure implicite, et surtout, Complicit n'impose aucune réponse toute faite, se contentant de présenter avec neutralité son cas d'espèce compliqué. La fin est à l'image de la tonalité de la fiction : ce n'est pas tant le recours à de telles méthodes que le fait d'avoir été découvert et exposé qui vaut condamnation.

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Sur la forme, Complicit est une fiction soignée. La caméra s'attarde sur les visages, capture les expressions plus parlantes que mille et un dialogues. Le téléfilm sait user du silence et se ménager des temps de pause quasi-introspectifs au cours desquels les mises en scène et les images prennent le relais pour raconter l'histoire. C'est donc une oeuvre digne d'intérêt à plus d'un titre, formellement solide et convaincante.

Enfin, Complicit est l'occasion, pour le nostalgique des jeunes années de Spooks de retrouver en agent du MI-5, David Oyelowo, dans un registre différent : celui d'un officier suivant obstinément ses instincts lesquels, peu à peu, lui font prendre une pente dangereuse où même le téléspectateur peut en venir à douter. Face à lui, Arsher Ali (Beaver Falls) nous offre notamment une grande et fascinante scène de confrontation dans les geôles égyptiennes. A leurs côtés, on retrouve quelques têtes familières du petit écran britannique, comme Stephen Campbell Moore (Titanic, Hunted), Monica Dolan (Occupation, Appropriate Adult), Sebastian Armesto (The Palace, Little Dorrit) ou encore Paul Ritter (Vera, Friday Night Diner). On croise également Nasser Memarzia et Makram Khoury (House of Saddam).

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Bilan : Au sein d'un genre d'espionnage où il est souvent facile de présenter des luttes manichéennes, avec des réalités bien identifiées et des camps clairement définis, l'approche de Complicit se révèle intéressante à plus d'un titre. Loin de toute surenchère, ce téléfilm relate un cas d'espèce particulier, en nous plongeant dans une zone grise où l'on est amené à questionner les motivations et les jugements de chacun : qu'il s'agisse d'Edward et de son obsession pour Waleed, ou du MI-5 et de ses réserves vis-à-vis de son agent. De même, les problématique du recours à la torture, mais aussi de son admission par une démocratie occidentale, sont esquissées, prouvant la richesse de cette fiction. Son traitement très neutre est un atout, même si c'est aussi une limite car on aurait aimé voir certains thèmes plus explorés, l'oeuvre préférant laisser souvent tout en suspens. L'ensemble n'en reste pas moins une approche de la lutte antiterroriste qui mérite la curiosité.


NOTE : 7,5/10


Une bande-annonce :