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01/06/2014

(UK) Trying Again : une seconde chance ?

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L’incontournable série britannique du moment s’appelle Happy Valley – ne vous y trompez pas, en dépit du titre, « happy » est le dernier qualificatif dont on songerait à l’affubler. En attendant d’en rédiger un bilan (elle se termine mardi prochain sur BBC1), c’est sur une œuvre autrement plus légère que je souhaiterais attirer votre attention aujourd’hui : Trying Again.

Diffusée de manière assez confidentielle sur Sky Living depuis le 24 avril 2014, il s’agit d’une comédie, au format court (les épisodes font une vingtaine de minutes), tendant vers la rom-com. On retrouve à sa création une équipe plus habituée aux coulisses de la satire politique qu’à ce registre particulier : Simon Blackwell (connu du sériephile pour ses collaborations avec Armando Iannucci sur The Thick of It et Veep) et Chris Addison (qui s’est notamment fait remarquer, devant la caméra, dans The Thick of It).

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Si Trying Again emprunte à la rom-com, son angle d’attaque relationnel est pour le moins original. La série nous invite à suivre le quotidien d’un jeune couple, Meg (Jo Joyner) et Matt (Chris Addison), non pas au début de leur histoire, mais dans leur tentative hésitante de reconstruire un amour égaré. En effet, Meg a eu une aventure avec son patron. Six mois plus tard, les deux trentenaires essaient donc de rebâtir leur relation encore bien fragile, aidés d’une conseillère conjugale et de leurs amis. Évidemment, le fait que Meg doive continuer de croiser son ancien amant (interprété par Charles Edwards) au travail n’aide guère à apaiser les tensions…

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Trying Again est une série vite attachante dont le charme repose sur un style sobre, qui renvoie l'impression d'une sincérité assez touchante. C'est une comédie revendiquant sa simplicité, dans laquelle on ne croise ni rire forcé, ni gags qui s'enchaînent. Elle cherche à mettre en scène un quotidien ordinaire, tour à tour léger, voire absurde, mais toujours empreint d'une authenticité qui ne laisse pas indifférent. Pour cela, la fiction joue sur des ficelles narratives familières au genre investi, ficelles qu'elle sait se réapproprier avec une retenue mêlée d'assurance. Jetant un voile un brin désillusionné sur les péripéties de ce jeune couple en crise, la série cultive un humour un peu distant, presque froid, mais où les chutes, les décalages et les situations improbables dans lesquelles elle plonge ses personnages, provoqueront plus d'un sourire. Par ailleurs, sa capacité à impliquer le téléspectateur renforce l'assise de la fiction.

En effet, Trying Again doit beaucoup à ses protagonistes. Meg et Matt ont une dynamique bien à eux. A celle d'un jeune couple aspirant à s'installer, s'ajoute le poids de l'aventure extra-conjugale de Meg : elle apporte un twist qui complexifie et transforme en crises bien des situations en apparence anodine. L'effort réalisé par ces deux jeunes gens pour tenter de dépasser ce déchirement les rend plutôt attendrissants. Leurs défauts, leurs entêtements et les limites de leurs sentiments les humanisent, tout en soulignant les accents sincères du récit. Et l'association de Jo Joyner et de Chris Addison fonctionne bien à l'écran. Autour d'eux gravitent différents personnages secondaires hauts en couleurs : ces derniers permettent d'introduire plusieurs running-gag qui viennent rythmer la narration, à l'image des séances constamment interrompues chez leur psy, laquelle les reçoit dans sa maison qui n'a pas vraiment la sérénité d'un cabinet de consultation.

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Bilan : Comédie un peu désuète, à la sincérité assez attendrissante, Trying Again investit à sa manière, avec simplicité et aplomb, le registre de la rom-com. Le fait qu'il s'agisse pour le couple principal d'une seconde tentative après un événement qui aurait pu le briser apporte un piquant supplémentaire, nécessitant une gestion de crise permanente. L'humour y est assez distant et fonctionne souvent à froid, construisant la tonalité de la série par petites touches. Cela donne un ensemble léger, plutôt attachant, qui se révèle plaisant à suivre. La brièveté des épisodes renforce cette impression, tout en évitant tout temps mort. Ainsi, sans être incontournable, Trying Again traite le relationnel de façon assez bien dosée : de quoi mériter la curiosité, même si elle ne plaira sans doute pas à tous les publics.

NOTE : 6,5/10


La bande-annonce de la série :

18/05/2014

(UK) Line of Duty, saison 2 : no one is above the law

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Aujourd’hui, retour sur une série récente dont je n’avais encore pas eu l’occasion de vous parler. Line of Duty fait en effet partie de celles diffusées ces derniers mois qui méritent toute votre attention. Les plus anglophiles parmi vous se souviennent peut-être de la première saison, diffusée durant l'été 2012 (pour rafraîchir votre mémoire, vous pouvez aller jeter un œil à la critique que j'avais rédigé à l'époque). Une suite a donc été proposée cet hiver, du 12 février au 19 mars 2014, sur BBC2.

Un tel délai de plus d'un an et demi entre les deux l'a certes rendue un peu lointaine, y compris pour le public anglais. Mais l'audience, outre-Manche, s'est laissée entraîner dans cette nouvelle affaire - elle n'a cessé d'augmenter au fil des épisodes. Il faut dire que Jed Mercurio, le créateur et scénariste, a su admirablement reposer les enjeux de son sujet de départ, pour délivrer six épisodes portés par une rare tension. Tant et si bien qu'une troisième et une quatrième saisons ont d'ores et déjà été commandées. En espérant qu'elles nous parviennent avant 2016... intéressons-nous d'abord à cette saison 2.

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Line of Duty est un cop show qui plonge le téléspectateur dans les coulisses guère reluisantes de l'institution policière. Plus précisément, elle entreprend de dépeindre un envers du décor très sombre, où solidarité de corps et ambitions personnelles finissent par noyer bien des professionnels. Les enquêtes conduites pour sanctionner les éventuelles dérives des policiers sont confiées à une unité anti-corruption particulière, AC-12, au sein de laquelle le téléspectateur va retrouver plusieurs des protagonistes de la première saison, comme Steve Arnott et Kate Fleming. L’affaire qui va les occuper concerne la mort de trois policiers dans un guet-apens, lors du déplacement précipité et non sécurisé d'un témoin qu’ils étaient supposés protéger. Seule survivante de cette attaque, Lindsay Denton était au volant de la voiture qui menait le convoi. Ses actes, durant cette nuit tragique, vont rapidement nourrir les soupçons de l’unité.

La saison 2 est construite autour de cette interrogation centrale : Denton est-elle coupable ? Et si oui, de quoi exactement ? A-t-elle sciemment conduit le convoi vers ce piège ? Malveillance, incompétence, malchance… que s’est-il réellement passé ce soir-là ? Face à ces questions, Line of Duty fait le choix de cultiver les doutes du téléspectateur tout au long des six épisodes. La série prend un malin plaisir à entremêler les pistes et les indications contradictoires sur les événements, mais aussi sur la personnalité de Lindsay Denton. La situation semble ne jamais devoir cesser de se complexifier ; et si tout démarre sur la promesse d'un affrontement entre Denton et l'équipe de AC-12, les frontières se brouillent rapidement. Les certitudes des uns se fragilisent, les allégeances des autres se font et se défont au rythme des découvertes... et des intérêts personnels. Le téléspectateur est placé quasiment au même niveau que les enquêteurs : à partir d'indices équivoques, de versions divergentes où chacun omet une partie de la vérité, il doit se forger peu à peu ses propres convictions, lesquelles sont régulièrement remises en cause par les nouvelles orientations prises.

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Si l’incertitude subsiste jusqu’au bout, cela s'explique grâce à la complexité du scénario, mais aussi grâce au personnage de Lindsay Denton, fascinante d'ambivalence et portée par l’interprétation magistrale d’intensité de Keeley Hawes (Spooks, Ashes to Ashes). Elle est une figure aux facettes multiples, dont les forces, mais aussi les ambiguïtés, ne sont mises que progressivement en pleine lumière par le récit. Line of Duty implique émotionnellement le téléspectateur à ses côtés, presque malgré lui. Car s'il s'interroge sur la responsabilité de Denton, il est difficile de rester insensible à ce qui lui arrive : la fusillade dont elle réchappe déclenche une véritable descente aux enfers. Ostracisée dans son commissariat, soupçonnée par AC-12 de bien plus qu'une simple négligence, elle va subir de douloureuses épreuves aussi bien professionnelles que personnelles, des souffrances physiques et psychologiques... lesquelles touchent le téléspectateur, en dépit de cette question lancinante : est-elle coupable ? Et si oui... qu'a-t-elle réellement fait ?

De manière générale, la noirceur est le maître-mot de Line of Duty. Tout n'y est que faux-semblants, manœuvres et manipulations, au sein d'une institution policière gangrénée, où chacun paraît faillible et où les lignes jaunes se franchissent trop souvent avec impunité. Si AC-12 est censé poser les limites, être le gardien du temple de la loi et traquer ceux qui trahissent leurs engagements, on y retrouve pourtant reproduits les mêmes schémas que dans le reste des forces de l'ordre. Steve Arnott (Martin Compston), Kate Fleming (Vicky McClure) ou encore leur supérieur, Ted Hastings (Adrian Dunbar), sont exposés aux mêmes pressions, tentations et limites qui pèsent sur leurs collègues. L’univers dépeint par la série n’a d'ailleurs rien de manichéen : nul n’est jamais complètement irréprochable, et la vérité ne ressortira pas toujours de ces investigations. Outre une approche pessimiste, la série interpelle également par la tension constante, éprouvante même, qui la traverse. Plusieurs passages marquent durablement, qu’il s’agisse du choc produit par certaines scènes (qui réveillent le fantôme de Spooks) ou d’affrontements verbaux lors d’interrogatoires. Cela donne des moments extrêmement forts, qui secouent personnages et téléspectateur.

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Bilan : Dotée d'une écriture sombre, souvent dense, la saison 2 de Line of Duty emprunte une voie policière ambivalente et implacable, où les notions de vérité et de justice n'ont jamais semblé plus floues et incertaines. Par-delà un portrait institutionnel très pessimiste, la série délivre un récit prenant, porté par une tension omniprésente et par les incertitudes qui pèsent jusqu'au bout sur l'issue de l'enquête servant de fil rouge. La série se laisse d'ailleurs quelque peu entraîner par sa complexité dans le dernier épisode où elle se retrouve prise par le temps, apportant dans la précipitation les réponses attendues. Cependant la chute finale est parfaitement cohérente avec la tonalité de la saison, avec une résolution justifiant la commande des saisons suivantes.

En résumé, une chose est sûre : avec cette saison 2, Line of Duty a acquis une dimension supplémentaire. Et ces six épisodes sont certainement une des belles réussites anglaises de ce début d'année 2014. Avis aux amateurs !

NOTE : 8/10


Une bande-annonce de la saison :

04/04/2014

(UK) Suspects, saison 1 : une fiction policière entre semi-improvisation et style documentaire

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Le paysage télévisuel britannique ne manque pas de chaînes s'essayant à des productions originales (même s'il s'apprête à en perdre une - cf. BBC Three arrêtera d'émettre à l'automne 2015). Cependant Channel 5 ne fait habituellement pas partie des chaînes que le sériephile surveille. Elle a certes pu proposer ses propres séries par le passé, mais c'était toujours de manière très occasionnelle. En ce début d'année, elle se (re)lance dans cet univers avec une nouveauté diffusée au cours des mois de février et mars 2014 : Suspects. La chaîne avait initialement commandé dix épisodes ; elle en a finalement diffusé 5 cet hiver, reportant à l'automne la suite, tout en annonçant le renouvellement de la série pour 2015.

Par-delà ces aléas de programmation, Suspects avait un difficile défi à relever. En effet, il est toujours compliqué de se trouver une identité dans un genre policier sur-exploité ; ça l'est plus encore quand vous avez un sens du timing qui vous fait démarrer dans les petits écrans anglais le même soir que la saison 2 de Line of Duty (diffusée sur BBC2), dont la tension savamment cultivée aura conduit plus d'un téléspectateur anglais à retenir son souffle cet hiver. La première saison de Suspects mérite pourtant un éclairage car elle repose sur un concept original : la semi-improvisation.

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Le cadre de Suspects est classique. La série se déroule à Londres. Chaque épisode s'ouvre sur les débuts d'une nouvelle enquête, auxquelles vont être consacrées les quarante minutes qui suivent. Les affaires traitées sont très diverses, semblant toutes issues des rubriques de faits divers de quotidiens (disparition d'enfant, overdoses, mort suspecte...). Pour les traiter, la série met en scène le travail d'une équipe de trois policiers dont on suit la dynamique de travail : la DI Martha Bellamy supervise une équipe composée du DS Jack Weston et de la DC Charlie Steele. Chacun a un style et une approche des crimes qui lui sont propres ; mais leurs différences de tempéraments les rendent complémentaires pour réussir à résoudre les énigmes criminelles qui leur sont posées.

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Suivant un format procédural aussi traditionnel qu'invariable, allant de l'arrivée des policiers sur une nouvelle affaire jusqu'à sa conclusion, Suspects apporte cependant sa propre pierre à l'édifice policier sériel grâce à sa façon d'exploiter cette structure d'enquête basique. L'originalité tient à l'écriture, ou plutôt, au manque d'écriture. En effet la série repose sur un principe de semi-improvisation : si les grandes lignes de l'investigation, ainsi que sa résolution, sont fixées, en revanche, il revient aux acteurs de créer, à partir de ces repères, leurs propres dialogues pour porter à l'écran les confrontations et les réflexions qui vont rythmer l'épisode. Non scriptés, les échanges, entrecoupés d'hésitations et de flottements, ont une spontanéité qui tranche avec le style romancé que l'on croise habituellement dans le petit écran. Tout sonne plus brut, plus vif, plus explosif aussi... renvoyant une impression d'authenticité à même d'interpeller un téléspectateur habitué à un cadre narratif autrement policé.

S'employant à déjouer -ou à rejouer à sa manière- les codes de la fiction pour flirter avec un style à la tonalité de quasi-documentaire, Suspects se concentre sur le travail des policiers, notamment sur leurs interrogatoires des témoins et des suspects. Les épisodes se construisent sur une solide tension ambiante et un rythme de narration extrêmement soutenu, où les déductions s'enchaînent sans jamais laisser place au moindre temps mort. L'approche est donc uniquement professionnelle : la vie des personnages en dehors du commissariat n'est jamais montrée, ni même évoquée, à l'exception de quelques micro-références anecdotiques pouvant se greffer dans les dialogues. Chaque protagoniste est défini seulement par son rapport au travail. Il n'en résulte cependant pas une caractérisation unidimensionnelle : les affaires sont en effet le moyen d'entrevoir les caractères et les styles différents de chacun, dévoilant ainsi peu à peu leurs personnalités.

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Ce choix peut un temps dérouter, voire frustrer, un téléspectateur habitué à pouvoir se familiariser avec toutes les facettes -y compris privées- des personnages auprès desquels une série lui demande de s'investir. Cependant Suspects compense ce traitement en apparence neutre par la dynamique d'équipe qui s'installe progressivement entre les protagonistes : en effet, à mesure que les acteurs trouvent leurs marques dans un style d'improvisation où ils ne sont pas tous à l'aise immédiatement, leurs réparties s'affinent et leur interprétation gagne en justesse, en aisance et en force. Au sein du trio, Damien Molony (Being Human, Ripper Street) et Clare-Hope Ashitey (Top Boy) sont ceux qui tirent le mieux leur épingle du jeu ; intenses à l'occasion, capables de fulgurances marquantes, ils développent aussi une relation de travail qui fonctionne bien à l'écran. Fay Ripley (Monday Monday) paraît plus en retrait ; cependant dans un rôle de superviseur responsable devant songer aux conséquences des décisions prises, elle parvient peu à peu à s'imposer.

Le souci d'authenticité constant de Suspects se retrouve également dans les choix formels effectués. La série emprunte en effet aux codes du documentaire : filmés caméra à l'épaule, les plans y sont nerveux, avec un cadrage hésitant, mal assuré, parfois en retrait derrière une porte ou une vitre quand il s'agit de donner une intimité aux personnages pour la scène qui se joue de l'autre côté, ou bien zoomant sur les protagonistes afin de souligner leurs réactions en période de crise. En conditions d'interrogatoire, la série pousse un peu plus loin la remise en situation en proposant des images filtrées qui pourraient provenir d'une caméra de surveillance. Ce style, qui joue donc entre les genres documentaire et fiction, colle parfaitement à la tonalité ambiante, renforçant l'impression d'une fiction qui se positionne au plus proche d'un "réel" qu'elle s'emploie à capturer, plutôt qu'à mettre en scène.

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Bilan : Recherchant la sobriété, se voulant le reflet du quotidien ordinaire d'un commissariat, Suspects gagne en assurance au fil de sa première saison. L'impression d'être placé au plus près du réel, de se trouver comme glissé dans les coulisses des enquêtes, est cultivée tant par les effets visuels empruntés au documentaire, que par le choix d'une semi-improvisation des dialogues, sonnant de plus en plus justes au fur et à mesure que les épisodes passent et que les acteurs trouvent leur ton. Occasionnant flottements et explosions, ce parti pris narratif aboutit à un récit très brut, dont la narration toujours nerveuse demeure prenante.

Tentant de se démarquer dans un genre policier procédural saturé, Suspects acquiert une identité qui lui est propre. D'autant que l'expérience désormais acquise ne pourra être que bénéfique pour la suite (les cinq prochains épisodes ayant cependant déjà été tournés). Avis aux sériephiles curieux qui souhaiteraient explorer d'autres versants du cop-show.


NOTE : 7,25/10


Une bande-annonce de la série :

21/02/2014

(UK) Inside No. 9 : rebondissements et humour noir pour une anthologie enthousiasmante

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Depuis le 5 février 2014, BBC2 diffuse une nouvelle comédie, Inside No. 9, signée Reece Shearsmith et Steve Pemberton (deux des co-créateurs de The League of Gentlemen). Avec cette fiction, ces derniers poursuivent une expérience qu'ils avaient initiée dans leur précédente série, Psychoville : il s'agit en fait ici d'explorer plus avant le concept qui avait sous-tendu l'épisode 4 de cette dernière, à l'inspiration Hitchcock-ienne revendiquée (en référence au film La Corde, de 1948). La saison 1 de Inside No. 9 comptera six épisodes, d'une demi-heure chacun ; une saison 2 a d'ores et déjà été annoncée -avant même le début de la diffusion.

Inside No. 9 étant une anthologie, cela rend l'exercice du critique plus difficile : les épisodes sont en effet extrêmement différents les uns des autres, et mériteraient presque de se voir consacrer une suite de critiques indépendantes, tant le concept de départ y est décliné sous des facettes diverses. Écrire un billet sur le "pilote"/premier épisode aurait donc été trop limité. J'ai patienté. Après trois épisodes, nous voilà déjà à mi-chemin de la première saison. Et Inside No. 9 confirme, semaine après semaine, qu'elle sait entraîner le téléspectateur vers des chemins aussi déroutants que savoureux.

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Le point commun de tous les épisodes de Inside No. 9 est qu'ils se déroulent à huis clos dans un lieu situé au numéro 9 : il peut s'agir d'un appartement, d'une maison ou d'une villa, le cadre pouvant ainsi considérablement changer. Chaque histoire est indépendante, dotée d'une construction également très variable : certaines se déroulent sur une très courte période, presque en temps réel -une soirée par exemple-, d'autres couvrent au contraire une durée beaucoup plus longue, permettant de suivre l'évolution de personnages. Partant d'un tel cadre quasi théâtral, Inside No. 9 offre un véritable condensé de twists et de rebondissements, servis par une écriture noire, humoristique à l'occasion, régulièrement déroutante, qui nous conduit invariablement jusqu'à une chute finale, toujours sombre, parfois proprement jubilatoire.

Parmi les trois premiers épisodes, le plus marquant est incontestablement le deuxième (A Quiet Night In). Il relate une soirée animée dans une riche villa, au sein de laquelle tentent de s'introduire deux cambrioleurs guère doués convoitant un précieux tableau. Cet épisode est un véritable exercice de style comique, maîtrisé de bout en bout. En dehors de la dernière scène, il s'agit d'une demi-heure entièrement muette (une forme d'hommage au cinéma muet), parfaitement cadencée par une bande-son qui exploite les divers bruits de la maisonnée (musique, télévision, outils de cuisine...). L'humour y est résolument burlesque, rythmé par de multiples rebondissements, où l'inattendu surgit fréquemment comme un ressort comique efficace. A Quiet Night In est en résumé une expérience télévisuelle, assez fascinante, qui se vit devant son petit écran. C'est l'épisode incontournable de cette première moitié de saison : celui qui mérite à lui-seul le détour.

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Les deux autres épisodes de Inside No. 9 ont cependant aussi leurs atouts. Ce sont des essais dans des registres très différents, qui partagent tous une même maîtrise d'écriture et un sens du twist qui savent provoquer plus d'un moment jubilatoire. Le premier épisode est clairement le plus déroutant et surprenant : toute son histoire tourne autour d'un étrange jeu de cache-cache dans une maison familiale, aboutissant à faire s'entasser dans une grande armoire tous les protagonistes. A l'opposé complète du deuxième, c'est entièrement sur les dialogues que la demi-heure repose. Ces derniers sont joyeusement ciselés, oscillant entre piques et flottements, entre malaises et silences, le tout avec cette gêne inhérente à des retrouvailles quelque peu forcées. La chute, très noire, offre une conclusion pesante à ce qui a longtemps semblé la déclinaison d'une idée volontairement loufoque, voire absurde.

Quant au troisième épisode, diffusé ce mercredi soir en Angleterre, il s'échappe presque du genre comique pour offrir un récit pourtant fidèle, dans l'esprit, aux précédents. En une demi-heure, le téléspectateur assiste à la descente aux enfers d'un enseignant qui se coupe peu à peu de la société, sous l'influence d'un individu qui s'est invité chez lui. C'est la construction narrative qui est ici déterminante, l'histoire prenant cette fois le temps de s'étaler sur plusieurs semaines. Celle-ci paraît, par rapport aux deux premières, presque prévisible. Mais le scénario nous conduit admirablement à une suite de twists dans le dernier tiers de l'épisode, durant lequel s'enchaînent des rebondissements surprenants, pour aboutir à une chute, toujours sombre, qui, sorte d'ultime pied de nez, correspond parfaitement à la tonalité de l'ensemble.

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Enfin, s'il vous faut une dernière raison pour vous convaincre de vous installer devant l'intrigante Inside No. 9, ce sera son casting. Reece Shearsmith et Steve Pemberton (The League of Gentlemen, Psychoville) apparaissent dans beaucoup d'épisodes, mais les deux ne sont pas présents dans tous. A leurs côtés, l'épisode 1 est celui qui rassemble le plus de protagonistes : c'est ainsi l'occasion de croiser Anne Reid (Five Days, Last Tango in Halifax), Katherine Parkinson (The IT Crowd, Whites), Anna Chancellor (Spooks, The Hour), Julian Rhind-Tutt (Green Wing, The Hour), Timothy West (Bleak House), Ophelia Lovibond (Titanic : Blood and Steel), Ben Willbond (Rev, The Thick of It), Tim Key ou encore Mark Wootton (La La Land, Delocated). Dans le deuxième épisode, on retrouve Oona Chaplin (The Hour, Game of Thrones, Dates) -un casting doublement parfait pour cet essai d'épisode muet- et Denis Lawson (Jekyll, Marchlands). Quant au troisième, c'est Gemma Arterton (Tess of the D'Urbervilles) qui intervient aux côtés du duo principal. 

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Bilan : Avec son concept de huis clos qui lui confère une dimension presque théâtrale, Inside No. 9 fait preuve d'une solide maîtrise de sa narration pour manier des rebondissements multiples et une bonne dose d'humour noir, tout en cultivant un sens aiguisé de la chute finale. Comme toute anthologie, la diversité des épisodes proposée fait que tous ne marquent pas pareillement, mais ce format permet à la série de constamment se renouveler. Ces trois premiers épisodes peuvent dérouter, mais ils ne déçoivent pas. En particulier le deuxième, qui offre un sacré moment de télévision comique (il mérite au moins de prendre une demi-heure pour le regarder comme un unitaire).

Quant au public visé, ceux qui apprécient les œuvres de Reece Shearsmith et Steve Pemberton devraient se laisser embarquer facilement. Plus généralement, Inside No. 9 ne devrait pas laisser indifférent les téléspectateurs curieux qui souhaiteraient glisser dans leurs programmes une dose de comédie britannique inventive. 


NOTE : 7,75/10


Un extrait de l'épisode 1 :

Un extrait de l'épisode 2 :

02/11/2013

(UK) Ambassadors : fiction à la tonalité duale dans les coulisses d'une ambassade

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Aujourd'hui, c'est une nouveauté britannique qui nous offre l'occasion de voyager : direction l'Asie centrale (même si, en fait, la série a été tournée en Turquie). Actuellement diffusée sur BBC2, du 23 octobre au 6 novembre 2013, Ambassadors retient d'abord l'attention parce qu'elle réunit devant la caméra un duo bien connu, Mitchell et Webb, du Peep Show [Pour ceux qui les apprécient, je vous conseille la lecture de leur double interview réalisée pour l'occasion sur Radiotimes]. Cependant, il faut se garder des raccourcis hâtifs : Ambassadors n'est pas une simple sitcom. Il s'agit plutôt d'un hybride, une comédie au parfum de drama.

Cette dualité s'explique en partie par le duo de scénaristes que l'on retrouve à l'écriture de la série : James Wood, le co-créateur de cette chouette dramédie douce-amère qu'est Rev, et Rupert Walters, qui a notamment écrit quelques épisodes de Spooks. Pour troubler un peu plus les lignes, Ambassadors emprunte un format propre au drama, avec des épisodes d'une durée d'1 heure là où, par exemple, The Wrong Mans, sur la même chaîne, se contentait de 30 minutes. La série avait donc un challenge important à relever pour trouver sa juste tonalité. Elle n'y parvient pas toujours, mais sait délivrer des épisodes plaisants.

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Ambassadors suit le quotidien de l'ambassade britannique au Tazbekistan, une ancienne république socialiste soviétique fictive, créée en entremêlant des références au Tajikistan et au Turkmenistan. Après l'irrésolue disparition de son prédécesseur, Keith Davis se voit confier le poste d'ambassadeur. Il découvre dès le pilote les responsabilités parfois éprouvantes qui y sont attachées, avec une sortie de chasse présidentielle mémorable. Pour comprendre rapidement le pays et la famille qui le dirige, afin de pouvoir promouvoir au mieux les intérêts des entreprises britanniques, il peut notamment compter sur les conseils de Neil Tilly, le dirigeant du staff diplomatique, qui connaît parfaitement les us et coutumes locales.

Entre dîners officiels, organisations de manifestations culturelles et négociations industrielles très concurrentielles face à d'autres puissances occidentales (notamment les États-Unis et la France), les services de l'ambassade doivent aussi composer avec certains invités guère commodes - pouvant aller jusqu'à la réception de membres de la famille royale - et également avec des imprévus diplomatiques qui nécessitent de se montrer pragmatiques pour ne pas fâcher le régime autoritaire en place. Un jeu d'équilibriste pas toujours aisé à mettre en pratique, le tout sous la surveillance de Londres et d'un supérieur surnommé POD, le "Prince of Darkness".

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Ambassadors oscille entre deux tonalités. La série emprunte à la comédie son sens de la rupture et quelques chutes, tour à tour absurdes ou inattendues. Elle ne cherche cependant pas à forcer les gags, préférant jouer sur un comique de situation et sur des échanges faussement sérieux pour faire sourire le téléspectateur. La fiction laisse dans le même temps entrevoir une ambition narrative qui la rapproche du drama, puisque son fil rouge repose sur l'arbitrage complexe à trouver entre promotion des droits de l'homme et des valeurs démocratiques, et préservation des intérêts économiques de la Grande-Bretagne. Pour réaliser cela, son portrait de l'ex-république soviétique et de son gouvernement dictatorial ne fait guère dans la nuance, s'appropriant tous les poncifs du genre, tout en rejouant la partition familière du choc des cultures. Cependant, si elle fait siens de nombreux clichés, elle a l'art de savoir le faire sans jamais les prendre au sérieux, en s'en amusant, voire en les détournant à l'occasion. C'est par exemple le cas pour le versant espionnage, à l'image de "l'enlèvement" orchestré dans le deuxième épisode, ou bien encore pour l'évolution du chantage subi par Neil de la part de la police secrète.

Il ne faut pas aborder Ambassadors en espérant y trouver ce qu'elle n'est pas : un récit des coulisses diplomatiques où la comédie permettrait l'irrévérence. La série offre au final une vision assez proprette de la diplomatie britannique, ou du moins des représentants principaux qu'elle met en scène. Au cours des deux premiers épisodes, ni l'ambassadeur, ni le chef du staff diplomatique, ne se révèlent prêts à sacrifier certains principes sur l'autel financier des intérêts industriels du pays, arbitrant comme ils peuvent au grand désespoir de leur hiérarchie. Nous sommes loin du corrosif satirique de The Thick of it, que seules les interludes skypés de POD évoquent avec une pointe de noirceur cynique caractéristique particulièrement savoureuse. Les scénaristes se réclament d'une autre référence, celle de Yes Minister, dont le reboot initié l'an dernier a pu justement se voir reprocher de sonner trop lisse dans un pays où The Thick of it est désormais passé. Ambassadors fait le choix de ne jamais s'évader d'une certaine zone de confort, ce qui, dans la télévision britannique de 2013, peut lui être reproché. Pour autant, l'ensemble reste plaisant à suivre.

En effet, la série cultive une dynamique sympathique. Le tandem Keith/Neil a du potentiel, avec d'un côté un ambassadeur anxieux de réussir son intégration et de se faire bien voir de sa hiérarchie, et de l'autre, un bureaucrate pragmatique sachant prendre les évènements avec un flegme et un détachement tout britanniques, mais qui s'investit toujours à un niveau très personnel dans certains dossiers sensibles. Le duo fonctionne spontanément à l'écran. Pour l'accompagner, Ambassadors a le mérite de pouvoir s'appuyer sur une galerie de personnages secondaires hauts en couleurs qui viennent apporter un contraste et une touche comique plus prononcée. C'est par exemple le cas de la gouvernante et de ses affinités culinaires, de ces deux chargés d'écoute qui espionnent l'ambassade et commentent les discussions de chacun avec un premier degré souvent drôle, ou encore de la jeune employée en charge de la promotion de la culture britannique dont l'enthousiasme ne trouve guère d'écho auprès du reste de l'équipe. Les guest-stars apportent aussi un décalage plus marqué, le prince Mark faisant ainsi une visite remarquée dans le second épisode. Le mélange donne une écriture un peu inégale, mais qui sait jouer sur sa capacité à accélérer et à proposer quelques savoureuses fulgurances.

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Ambassadors est en revanche une franche réussite au plan formel. La réalisation a été confiée à Jeremy Webb. Elle maîtrise parfaitement les codes classiques d'un drama, avec une photographie soignée parfois sombre. Si beaucoup de scènes se déroulent en intérieur, la série s'assure d'entrée de jeu, dans son pilote, un passage dépaysant au sein d'une forêt enneigée qui pose efficacement le cadre. L'autre bonne idée est la bande-son utilisée, ou plus précisément, le recours récurrent à un thème instrumental parfaitement choisi : vite entêtant, un brin exotique, il est doté d'un dynamisme comique contagieux. On le retrouve aussi dans le générique d'ouverture : animé et travaillé, ce dernier embarque le téléspectateur dans un voyage jusqu'au Tazbekistan (voir la première vidéo ci-dessous).

Enfin, Ambassadors réunit un casting auquel il est aisé de s'attacher. Au sein du duo principal, c'est sans doute Robert Webb (Peep Show) qui tire en premier son épingle du jeu, dans un registre dual, à la fois bureaucrate détaché et pragmatique, mais aussi parfois très impliqué. David Mitchell (Peep Show) joue quant à lui l'ambassadeur britannique nouveau venu. Keeley Hawes (Spooks, Ashes to Ashes, Upstairs Downstairs) incarne son épouse, qui s'efforce également de s'acclimater au pays (et à leur gouvernante). Pour compléter la Spooks-connection, Matthew Macfadyen (Warriors, Perfect Strangers, Little Dorrit, Any Human Heart, Ripper Street) joue le supérieur londonien des diplomates, apparaissant au cours d'échanges en visioconférence mémorables. Au sein de l'ambassade, on retrouve parmi le staff Shivani Ghai (Five Days), Susan Lynch (Monroe) et Amara Karan (Kidnap and Ransom). Côté Tazbek, Yigal Naor (House of Saddam) interprète le président, tandis que Natalia Tena (Game of Thrones) joue la petite amie de Neil Tilly. En guest, on saluera dans le deuxième épisode la présence de Tom Hollander (Cambridge Spies, The Company, Desperate Romantics, Any Human Heart, Rev) qui s'en donne à coeur joie en tant que membre de la famille royale, pour une visite qui marquera durablement les esprits.

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Bilan : Ambassadors est une comédie qui s'entoure d'un parfum de drama, mêlant ainsi les deux ambiances au risque de ne pas toujours trouver les parfaits réglages. Dotée d'un style d'écriture à la sobriété bienvenue, elle assume pleinement les stéréotypes associés à la mise en scène d'un service diplomatique au sein d'une ex-république soviétique, ne cherchant pas à faire dans la nuance. Loin de vouloir être une immersion satirique dans les coulisses d'une ambassade, elle renvoie une image plutôt lisse et consensuelle, sans surprise, de son milieu. Si elle reste dans une zone narrative de confort, elle sait cependant décliner les codes du genre sans les prendre au sérieux, s'en amusant ou même les détournant. Cela donne une dynamique d'ensemble plaisante à suivre, avec, aux côtés du duo principal, quelques rôles secondaires hauts en couleurs. Formellement solide, s'appuyant sur un casting convaincant, cette série est donc sympathique, distillant ses pointes d'humour à petites doses.

Ce sont, pour l'instant, trois épisodes d'une heure qui ont été commandés. Je serai devant mon petit écran pour le dernier diffusé mercredi prochain.


NOTE : 6,75/10


Le générique de la série :

La bande-annonce de la série :