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27/05/2013

(UK) The Village, saison 1 : une chronique sociale durant la décennie de la Grande Guerre


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Ce printemps a été placé sous le signe du policier en Angleterre, du classique revisité avec Endeavour à l'enquête feuilletonnante de Broadchurch sur ITV, en passant par la traque du serial killer dans The Fall actuellement sur BBC2 (sans oublier des fictions qui m'ont moins enthousiasmé - et sur lesquelles il faudra donc me pardonner de ne pas revenir - comme Mayday ou bien Murder on the home front). Il y a cependant un projet de period drama particulier qui avait toute mon attention : celui de Peter Moffat pour BBC1. Pour resituer la série, je vous conseille la lecture de son riche entretien pour RadioTimes, dans lequel le scénariste explique les origines et les ambitions qui entourent sa dernière création, The Village.

Diffusée du 31 mars au 5 mai 2013, le dimanche soir, la série a vu, au cours de ses six épisodes d'1 heure, son audience progressivement décroître après un début réussi. Cependant une seconde saison a été commandée et sera diffusée l'année prochaine. Ce qui m'a beaucoup intéressé dans The Village, c'est le parti pris d'une approche historique qui s'éloigne résolument de toute fibre nostalgique et du dépaysement coloré des fictions en costumes. Il y a derrière elle une idée de mémoire qui parle à ma fibre historienne. C'est une fiction rude et abrasive qui ne plaira certainement pas à tous les publics, mais malgré des maladresses, elle aura proposé quelques beaux moments de télévision.

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The Village débute dans le présent. De nos jours, Bert Middleton est le second homme le plus âgé d'Angleterre. Un documentaire est en cours de réalisation sur sa vie, son village et la manière dont il a traversé son siècle. C'est par le témoignage de ce vieil homme que l'on s'immerge dans ses souvenirs, ce dernier entreprenant de retracer pour ses interlocuteurs - et par conséquent le téléspectateur - la longue vie qu'il a connue. Dans cette première saison, le récit débute durant l'été 1914 ; se concentrant principalement sur les années 1914-1916, il nous conduira jusqu'en 1920.

En 1914, Bert n'a alors que 12 ans. Issu d'une famille pauvre, subissant les éclats d'un père alcoolique et les excès d'autoritarisme d'un instituteur guère pédagogue, le garçon peut cependant s'appuyer sur son grand frère, Joe. Si ce dernier rêve de prendre son indépendance par rapport à cette pesante situation familiale, il travaille pour le moment dans la maisonnée luxueuse de notables locaux qui régissent le village. L'été 1914 sera celui d'un premier amour, mais aussi celui d'une déclaration de guerre : la Première Guerre Mondiale débute, et Joe va choisir de s'engager.

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The Village est un drame social, rugueux et dépouillé d'artifices, prenant volontairement le contre-pied de cette tentation moderne qui conduirait à romancer la fin d'un âge d'or précédant la Grande Guerre. Le résultat donne une fiction sombre et rude, laissant peu d'échappatoire à ses protagonistes. Versant dans le mélodrame, la série s'efforce de capturer sans fard la vie d'une époque, avec toutes les difficultés, les épreuves, mais aussi les instants fugaces de bonheur et d'apaisement qui parsèment le quotidien de ses personnages. Le tableau dressé est dur : il ne manque ni de séquences pesantes, ni de scènes chargées d'émotions, promptes à faire vibrer la corde sensible du téléspectateur, d'une telle façon que le visionnage des épisodes reste éprouvant.

Si la série a parfois tendance à peut-être en faire trop dans ce registre, son approche brute a l'avantage de parvenir à susciter une véritable empathie à l'encontre de ces personnages, laquelle marque durablement. Cependant, cette chronique villageoise n'est pas exempte de limites. L'écriture est parfois inégale ou un peu brouillonne du fait de certaines ellipses, même si l'ensemble sur les six épisodes demeure cohérent et bien exécuté. Parmi les éléments perfectibles, il y a les dynamiques au sein de la famille de notables qui peinent à convaincre et à impliquer le téléspectateur. Il y a aussi des problèmes de dosage dans les caractérisations : certaines figures ont du mal à dépasser le symbole qu'elles sont censées représenter et s'humanisent difficilement (c'est le cas pour Martha, la féministe profondément religieuse et prosélyte).

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Il n'en demeure pas moins que The Village mérite d'être découverte. Pour son parti pris narratif, mais aussi pour la grande réussite de cette première saison qu'est son traitement de la Première Guerre Mondiale. Son champ d'action étant restreint au village, on vit les évènements à distance, s'intéressant à toutes leurs conséquences sur la localité. Le téléspectateur devine ainsi l'enfer des tranchées à travers les témoignages des soldats qui rentrent en permission. Il assiste aux bouleversements provoqués au quotidien par la conscription avec les femmes qui prennent la place des hommes dans l'usine locale. Il partage enfin la douleur des deuils qui vont frapper les familles. Le village enverra 137 hommes sur le front, 25 seulement rentreront, marqués à jamais.

Pour aborder cette guerre, la série fait le choix d'entremêler deux approches, l'intime et le collectif. Le récit explore la tragédie personnelle qu'elle va être au sein de chaque famille, tout en soulignant également la déchirure collective qui va peser sur la vie même du village. Si la fiction s'arrête sur différents acteurs, l'instituteur objecteur de conscience ou encore le pasteur perdant peu à peu sa foi, à la conjonction de ces deux arcs, personnel et collectif, se retrouvent la famille Middleton et ses propres épreuves. Tandis que Bert se pose comme un témoin, Joe jouera lui un rôle central par-delà le destin qui sera le sien. L'ensemble conduit à un sixième épisode, en 1920, qui réunit toutes ces histoires en une conclusion poignante d'une force rare devant le monument aux morts que l'on inaugure.

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Sur la forme, The Village marque par son ambiance musicale, avec quelques thèmes instrumentaux bien choisis qui contribuent à la tonalité de la série, sobre quand il le faut, mais avec à l'occasion ces accents mélodramatiques  qui touchent. La réalisation est également très soignée : tout en s'attachant à bien capturer le décor du village jusqu'à la ferme des Middleton, elle opte pour une photoraphie très belle, à dominante grise, qui correspond bien à l'atmosphère du récit. La caméra apprécie les gros plans, en plongée ou contre-plongée, ce qui renforce une impression de proximité, offrant des portraits sans fard de toute cette galerie de personnages que l'on va voir affronter bien des épreuves au cours de la saison.

Enfin, The Village peut s'appuyer sur un excellent casting à qui il doit justement cette forte empathie que la série va être capable de susciter, tout particulièrement vis-à-vis des Middleton. Parmi les révélations, il faut signaler le jeune Bill Jones interprète avec une justesse et un naturel remarquables Bert à 12 ans. Une autre performance à saluer est celle de Nico Mirallegro, déjà souvent croisé dans le petit écran anglais (Upstairs Downstairs, ou encore la chouette My Mad Fat Diary en début d'année), mais qui ne m'avait jamais marqué à ce point dans un rôle où il aura vraiment pu s'exprimer pleinement. Quant aux parents Middleton, ils sont interprétés par deux valeurs sûres, Maxine Peake (une habituée des fictions de Peter Moffat, puisque vous avez pu l'apprécier dernièrement dans Silk) et John Simm (State of Play, Life on Mars, Exile, Mad Dogs), qui, comme toujours, sont impeccables. Parmi les autres habitants du village, on retrouve notamment Charlie Murphy, Juliet Stevenson, Augustus Prew, Emily Beecham, Rupert Evans, Stephen Walters, Ainsley Howard, Annabelle Apsion, Anthony Fanagan, Jim Cartwright ou encore Joe Armstrong.

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Bilan : Récit historique derrière lequel se trouve l'idée d'un travail de mémoire, The Village est un poignant drame social et humain. Sa première saison dresse le portrait sobre et non édulcoré du quotidien d'un village de la campagne anglaise, et plus particulièrement d'une famille, au début du XXe siècle. Un de ses grands intérêts réside dans son traitement extrêmement intéressant de la Première Guerre Mondiale. L'ensemble n'est pas exempt de défauts ou de maladresses, mais la gestion globale des storylines reste bien conduite sur les six épisodes, avec une dernière scène parfaite. C'est une série forte, qui ne laisse pas indifférente.

Le visionnage est donc éprouvant, et tout le monde ne se retrouvera sans doute pas dans les partis pris narratifs. Reste que The Village est une initiative très intéressante dans le registre des period dramas. Je serai présente pour la saison 2.


NOTE : 7,5/10


Une bande-annonce de la série :


Le thème musical du générique :

15/09/2011

(Mini-série UK) Appropriate Adult : une plongée dans l'horreur humaine

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En attendant le retour de Downton Abbey avec une saison 2 pour laquelle je compte les jours (le 18 septembre prochain), ITV1 diffusait ces deux premiers dimanches de septembre une mini-série d'un genre bien différent : Appropriate Adult. Composée de deux épisodes d'un peu plus d'1 heure chacun, cette oeuvre particulièrement glaçante, inspiré d'une histoire vraie, a le mérite d'adopter un point de vue original par rapport aux classiques fictions policières.

Portant à l'écran une affaire criminelle qui a secoué l'Angleterre dans le milieu des années 90, en dressant le portrait d'un serial killer de Gloucester, Fred West, arrêté en 1994 et qui a été lié à plus d'une dizaine de meurtres, Appropriate Adult n'a d'ailleurs pas été sans susciter une certaine controverse. Ecrite par Neil McKay et réalisée par Julian Jarrold, cette mini-série s'inscrit dans un cycle de téléfilms d'ITV sur les plus célèbres affaires criminelles anglaises du XXe siècle. Elle intervient ainsi à la suite de This is personal : The Hunt for the Yorkshire Ripper (2000), et See no devil : The Moors Murders (2006).

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Prenant le parti de ne pas s'intéresser à la longue enquête préalable qui a pu conduire les policiers sur la piste des époux West, Appropriate Adult se concentre sur les quelques mois se déroulant de l'arrestation de Fred et Rosemary West, en 1994, jusqu'au suicide de Fred, en prison, début 1995. La mini-série se place d'une perspective originale, celle de Janet Leach, désignée "appropriate adult" pour Fred West, et qui va donc l'accompagner durant toutes ses auditions par la police. Les enquêteurs souhaitaient en effet couvrir leurs arrières, et s'assurer qu'aucun avocat ne puisse soulever comme moyen le fait que Fred n'ait peut-être pas tout compris de la procédure criminelle à l'oeuvre.

C'est sur le contraste entre ces deux protagonistes principaux que la mini-série se construit. Janet Leach est en effet une mère de famille sans histoire, qui achève tout juste sa formation pour devenir appropriate adult. Lorsqu'elle avait envisagé cette fonction, elle était loin de se douter qu'elle pourrait un jour être confrontée à une affaire aussi sordide. Et Fred West va être la première personne qu'elle va assister. Immédiatement, le serial killer semble l'accueillir en confidente, nouant rapidement avec elle une relation de confiance qui va permettre à Janet d'influer sur l'enquête, en le convaincant de confesser des meurtres auxquels la police ne l'a pas encore lié. Mais en cherchant à obtenir la coopération de Fred West, Janet ne risque-t-elle pas de se perdre elle-même dans ce récit d'horreurs qu'elle obtient ?

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Le premier aspect marquant dans Appropriate Adult, c'est la manière dont la mini-série va mettre en lumière l'horreur humaine à l'état le plus brut qui soit. Sans afficher aucune scène de violence, ni le moindre cadavre sanguinolent, elle réussit le tour de force de glacer le téléspectateur par la seule force d'un récit indirect, constitué par les aveux de Fred West. La caractérisation du serial killer y contribue beaucoup : sa désinvolture trouble, tout comme la facilité avec laquelle il décrit les crimes qu'il a commis, ne lésinant sur aucun détail. L'écriture habile de la mini-série parvient, toute en nuances, à dévoiler sous nos yeux le profil psychologique très déstabilisant d'un meurtrier à l'égard duquel le qualificatif de monstre vient naturellement à l'esprit. Derrière une apparence très humaine, étonnamment tranquille, qui renvoie une image faussement avenante, se révèle une personne extrêmement versatile, manipulatrice et menteuse, dont les obsessions conduisent à des conversations en escalier quasiment sans fins, qui entraînent ses interlocuteurs toujours plus loin dans son univers des horreurs.

Si Appropriate Adult est aussi éprouvante, c'est aussi parce qu'elle nous fait vivre cette plongée effroyable du point de vue de Janet Leach. Dès le départ, le ton est donné : non avertie au préalable par la police, elle découvre au fil du premier interrogatoire de Fred West quelle est la nature des charges, et comprend que, derrière ce masque humain, se cache un être capable des pires actes. Le meurtre qu'il raconte alors à la police pose l'ambiance dont la mini-série ne va ensuite plus se départir. Faisant preuve d'un détachement émotionnel proprement effrayant, il décrit avec minutie le contexte et la mise à mort de sa fille Heather, puis la manière dont il a disposé du corps. Le téléspectateur n'a besoin d'aucune image graphique, d'aucune musique inquiétante, pour visualiser la scène, pour ressentir un véritable effroi. L'intensité du récit est semblable à une gifle qui nous laisse glacé et choqué, aussi sonné que Janet Leach.

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L'angle d'approche choisi par Appropriate Adult permet à la mini-série de ne pas être une simple déclinaison du genre policier. En suivant une mère de famille, la plus ordinaire qui soit, dans un rôle d'appropriate adult rarement porté à l'écran, et qui va etre confrontée aux révélations de Fred West, l'impact émotionnel est bien plus important que si elle s'était centrée sur des enquêteurs professionnels. Le téléspectateur va être le témoin privilégié de la relation particulière qui se noue entre les deux protagonistes principaux, que tout oppose a priori. De confidente presque maternelle, Janet s'enhardit peu à peu. La distance qu'elle impose avec cet homme, guidé par ses ressentis et ses pulsions, se réduit à mesure qu'elle se persuade de profiter au maximum de son influence pour amener Fred West à coopérer avec la police.

La nature de leur relation prend un côté de plus en plus troublant au fil des semaines. Il faut dire que Janet évoque dans l'esprit malade de Fred West un ancien amour perdu. La concurrence malsaine qui se développe avec Rosemary West, figure omniprésente dans les préoccupations d'un époux qui lui est entièrement assujetti, ne fait que renforcer ce malaise, accentuant l'ambivalence du lien qui unit Janet à Fred. En choisissant de poursuivre ses visites à la prison, alors même que le procès s'ouvre et que son rôle est depuis longtemps terminé, Janet dérive sur une pente dangereuse ; se laisse-t-elle aveugler par la mission d'obtenir des aveux qu'elle s'est fixée, par l'illusion d'importance que lui donnent ces entrevues ou par sa seule compagnie ? Elle parviendra à lui faire admettre bien des crimes, impliquant également sa femme... Mais elle le fera presque au sacrifice de sa santé, et de son équilibre mental. S'intéressant aux contradictions et aux dilemmes moraux de Janet, Appropriate Adult suit une ligne des plus troublantes.

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Sur la forme, Appropriate Adult reste fidèle à sa volonté de sobriété. Sa réalisation est soignée, très posée. La photographie est travaillée, souvent portée sur des teintes plutôt froides. Quelques plans en extérieurs alimentent l'ambiance de polar noir que la série se construit. Dans l'ensemble, elle reste minimaliste dans ses effets, privilégiant les dialogues pour distiller cette horreur glaçante de manière très efficace. De même, la bande-son demeure en retrait, effacée pour ne pas troubler et détourner l'attention de ce qui compte vraiment.

Enfin, il faut aussi préciser que Appropriate Adult n'atteindrait pas ce niveau d'intensité sans l'impressionant travail de son casting. C'est Dominic West (Sur Ecoute, The Hour) qui marque durablement, proposant une interprétation vraiment magistrale de Fred West. De l'accent jusqu'à la façon d'être et de s'exprimer du serial killer, il se métamorphose sous nos yeux. Pour lui donner la réplique, Emily Watson incarne une Janet Leach, toujours très posée. Elle fait un très bon travail pour jouer cette mère de famille ordinaire prise dans un engrenage d'horreurs qui est, lui, hors du commun. A leurs côtés, on retrouve Monica Dolan, en Rosemary West autoritaire et inquiétante, Samuel Roukin, Robert Glenister, ainsi que Anthony Flanagan.

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Bilan : Si Appropriate Adult ne contient aucune violence imagée, elle n'est pas à mettre entre toutes les mains. Loin d'une mise en scène sanguinolante, c'est à un niveau psychologique que cette mini-série joue, exploitant pleinement l'angle narratif original choisi grâce au personnage de Janet Leach. S'appliquant à dévoiler l'horreur humaine de la plus brute et sobre des façons, elle glace et perturbe, presque malsaine dans cette plongée dans l'inhumanité. Bénéficiant d'une écriture habile, la caractérisation de ses protagonistes et de leurs ambiguïtés est admirable, Fred West restant le plus marquant, bien servi par la performance de Dominic West.

Appropriate Adult est une mini-série au visionnage très éprouvant, mais qui mérite d'être vue.


NOTE : 8/10


Les premières minutes de la mini-série :