Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/05/2013

(UK) The Village, saison 1 : une chronique sociale durant la décennie de la Grande Guerre


thevillage0_zpse758f19b.jpg

Ce printemps a été placé sous le signe du policier en Angleterre, du classique revisité avec Endeavour à l'enquête feuilletonnante de Broadchurch sur ITV, en passant par la traque du serial killer dans The Fall actuellement sur BBC2 (sans oublier des fictions qui m'ont moins enthousiasmé - et sur lesquelles il faudra donc me pardonner de ne pas revenir - comme Mayday ou bien Murder on the home front). Il y a cependant un projet de period drama particulier qui avait toute mon attention : celui de Peter Moffat pour BBC1. Pour resituer la série, je vous conseille la lecture de son riche entretien pour RadioTimes, dans lequel le scénariste explique les origines et les ambitions qui entourent sa dernière création, The Village.

Diffusée du 31 mars au 5 mai 2013, le dimanche soir, la série a vu, au cours de ses six épisodes d'1 heure, son audience progressivement décroître après un début réussi. Cependant une seconde saison a été commandée et sera diffusée l'année prochaine. Ce qui m'a beaucoup intéressé dans The Village, c'est le parti pris d'une approche historique qui s'éloigne résolument de toute fibre nostalgique et du dépaysement coloré des fictions en costumes. Il y a derrière elle une idée de mémoire qui parle à ma fibre historienne. C'est une fiction rude et abrasive qui ne plaira certainement pas à tous les publics, mais malgré des maladresses, elle aura proposé quelques beaux moments de télévision.

thevillaget_zps609af6f1.jpg

The Village débute dans le présent. De nos jours, Bert Middleton est le second homme le plus âgé d'Angleterre. Un documentaire est en cours de réalisation sur sa vie, son village et la manière dont il a traversé son siècle. C'est par le témoignage de ce vieil homme que l'on s'immerge dans ses souvenirs, ce dernier entreprenant de retracer pour ses interlocuteurs - et par conséquent le téléspectateur - la longue vie qu'il a connue. Dans cette première saison, le récit débute durant l'été 1914 ; se concentrant principalement sur les années 1914-1916, il nous conduira jusqu'en 1920.

En 1914, Bert n'a alors que 12 ans. Issu d'une famille pauvre, subissant les éclats d'un père alcoolique et les excès d'autoritarisme d'un instituteur guère pédagogue, le garçon peut cependant s'appuyer sur son grand frère, Joe. Si ce dernier rêve de prendre son indépendance par rapport à cette pesante situation familiale, il travaille pour le moment dans la maisonnée luxueuse de notables locaux qui régissent le village. L'été 1914 sera celui d'un premier amour, mais aussi celui d'une déclaration de guerre : la Première Guerre Mondiale débute, et Joe va choisir de s'engager.

thevillagea_zps9eb681a2.jpg

The Village est un drame social, rugueux et dépouillé d'artifices, prenant volontairement le contre-pied de cette tentation moderne qui conduirait à romancer la fin d'un âge d'or précédant la Grande Guerre. Le résultat donne une fiction sombre et rude, laissant peu d'échappatoire à ses protagonistes. Versant dans le mélodrame, la série s'efforce de capturer sans fard la vie d'une époque, avec toutes les difficultés, les épreuves, mais aussi les instants fugaces de bonheur et d'apaisement qui parsèment le quotidien de ses personnages. Le tableau dressé est dur : il ne manque ni de séquences pesantes, ni de scènes chargées d'émotions, promptes à faire vibrer la corde sensible du téléspectateur, d'une telle façon que le visionnage des épisodes reste éprouvant.

Si la série a parfois tendance à peut-être en faire trop dans ce registre, son approche brute a l'avantage de parvenir à susciter une véritable empathie à l'encontre de ces personnages, laquelle marque durablement. Cependant, cette chronique villageoise n'est pas exempte de limites. L'écriture est parfois inégale ou un peu brouillonne du fait de certaines ellipses, même si l'ensemble sur les six épisodes demeure cohérent et bien exécuté. Parmi les éléments perfectibles, il y a les dynamiques au sein de la famille de notables qui peinent à convaincre et à impliquer le téléspectateur. Il y a aussi des problèmes de dosage dans les caractérisations : certaines figures ont du mal à dépasser le symbole qu'elles sont censées représenter et s'humanisent difficilement (c'est le cas pour Martha, la féministe profondément religieuse et prosélyte).

thevillagef_zpsb8eacfb9.jpg

Il n'en demeure pas moins que The Village mérite d'être découverte. Pour son parti pris narratif, mais aussi pour la grande réussite de cette première saison qu'est son traitement de la Première Guerre Mondiale. Son champ d'action étant restreint au village, on vit les évènements à distance, s'intéressant à toutes leurs conséquences sur la localité. Le téléspectateur devine ainsi l'enfer des tranchées à travers les témoignages des soldats qui rentrent en permission. Il assiste aux bouleversements provoqués au quotidien par la conscription avec les femmes qui prennent la place des hommes dans l'usine locale. Il partage enfin la douleur des deuils qui vont frapper les familles. Le village enverra 137 hommes sur le front, 25 seulement rentreront, marqués à jamais.

Pour aborder cette guerre, la série fait le choix d'entremêler deux approches, l'intime et le collectif. Le récit explore la tragédie personnelle qu'elle va être au sein de chaque famille, tout en soulignant également la déchirure collective qui va peser sur la vie même du village. Si la fiction s'arrête sur différents acteurs, l'instituteur objecteur de conscience ou encore le pasteur perdant peu à peu sa foi, à la conjonction de ces deux arcs, personnel et collectif, se retrouvent la famille Middleton et ses propres épreuves. Tandis que Bert se pose comme un témoin, Joe jouera lui un rôle central par-delà le destin qui sera le sien. L'ensemble conduit à un sixième épisode, en 1920, qui réunit toutes ces histoires en une conclusion poignante d'une force rare devant le monument aux morts que l'on inaugure.

thevillagel_zps11f44b23.jpg

Sur la forme, The Village marque par son ambiance musicale, avec quelques thèmes instrumentaux bien choisis qui contribuent à la tonalité de la série, sobre quand il le faut, mais avec à l'occasion ces accents mélodramatiques  qui touchent. La réalisation est également très soignée : tout en s'attachant à bien capturer le décor du village jusqu'à la ferme des Middleton, elle opte pour une photoraphie très belle, à dominante grise, qui correspond bien à l'atmosphère du récit. La caméra apprécie les gros plans, en plongée ou contre-plongée, ce qui renforce une impression de proximité, offrant des portraits sans fard de toute cette galerie de personnages que l'on va voir affronter bien des épreuves au cours de la saison.

Enfin, The Village peut s'appuyer sur un excellent casting à qui il doit justement cette forte empathie que la série va être capable de susciter, tout particulièrement vis-à-vis des Middleton. Parmi les révélations, il faut signaler le jeune Bill Jones interprète avec une justesse et un naturel remarquables Bert à 12 ans. Une autre performance à saluer est celle de Nico Mirallegro, déjà souvent croisé dans le petit écran anglais (Upstairs Downstairs, ou encore la chouette My Mad Fat Diary en début d'année), mais qui ne m'avait jamais marqué à ce point dans un rôle où il aura vraiment pu s'exprimer pleinement. Quant aux parents Middleton, ils sont interprétés par deux valeurs sûres, Maxine Peake (une habituée des fictions de Peter Moffat, puisque vous avez pu l'apprécier dernièrement dans Silk) et John Simm (State of Play, Life on Mars, Exile, Mad Dogs), qui, comme toujours, sont impeccables. Parmi les autres habitants du village, on retrouve notamment Charlie Murphy, Juliet Stevenson, Augustus Prew, Emily Beecham, Rupert Evans, Stephen Walters, Ainsley Howard, Annabelle Apsion, Anthony Fanagan, Jim Cartwright ou encore Joe Armstrong.

thevillagei_zpsff09bf51.jpg
thevillageb_zpseadbf89f.jpg
thevillageu_zps10b634ed.jpg

Bilan : Récit historique derrière lequel se trouve l'idée d'un travail de mémoire, The Village est un poignant drame social et humain. Sa première saison dresse le portrait sobre et non édulcoré du quotidien d'un village de la campagne anglaise, et plus particulièrement d'une famille, au début du XXe siècle. Un de ses grands intérêts réside dans son traitement extrêmement intéressant de la Première Guerre Mondiale. L'ensemble n'est pas exempt de défauts ou de maladresses, mais la gestion globale des storylines reste bien conduite sur les six épisodes, avec une dernière scène parfaite. C'est une série forte, qui ne laisse pas indifférente.

Le visionnage est donc éprouvant, et tout le monde ne se retrouvera sans doute pas dans les partis pris narratifs. Reste que The Village est une initiative très intéressante dans le registre des period dramas. Je serai présente pour la saison 2.


NOTE : 7,5/10


Une bande-annonce de la série :


Le thème musical du générique :

22/02/2013

(UK) My Mad Fat Diary, saison 1 : un portrait sincère, drôle et touchant, d'adolescence

mymadfatdiary0_zpsde603f33.jpg

Cela fait plusieurs années que je ne m'installe plus spontanément devant une série mettant en scène des adolescents. Je me dis que ce ne sont plus vraiment des thèmes qui me parlent. Pourtant cela peut être un tort (l'an dernier, Answer me 1997 l'avait parfaitement illustré). Heureusement je ne demande qu'à me tromper. C'est donc sur vos (judicieux) conseils que j'ai lancé la première saison de My Mad Fat Diary, qui sur le papier me faisait un peu penser à un autre teen-drama loin d'être déméritant, Huge.

Diffusée sur E4 depuis le 14 janvier 2013, la série s'est achevée lundi dernier en Angleterre. Adaptée d'un roman de Rae Earl, intitulé My Fat, Mad Teenage Diary, la première saison compte 6 épisodes. Une seconde saison a d'ores et déjà été commandée. Visionnée en quelques jours, My Mad Fat Diary a été une des belles découvertes de ma semaine, dressant un portrait d'adolescence dont l'équilibre interpelle : à la fois poignant et drôle, direct et excessif, réaliste et idéaliste... Une de ces fictions profondément attachantes que l'on quitte avec regret.

mymadfatdiaryc_zps1347b1d1.jpg

My Mad Fat Diary se déroule dans une petite ville du Lincolnshire, en 1996. Elle nous invite à suivre Rae, une adolescente de 16 ans que le mal-être et la dépression ont presque conduit à commettre l'irréparable. Au cours du pilote, on assiste à sa sortie de l'institut psychiatrique où la jeune fille vient de passer plusieurs mois hospitalisée. Elle laisse là-bas son amie Tix et doit retourner dans le monde, retrouvant notamment une mère avec laquelle les rapports restent difficiles. Parmi ses connaissances, nul ne connaît les réelles causes de son absence, un voyage en France ayant été inventé comme excuse par sa mère.

Par hasard, Rae recroise sa plus ancienne et meilleure amie, Chloe, qu'elle a progressivement perdu de vue au cours de l'année difficile qu'elle vient de vivre. Chloe s'est constituée autour d'elle un groupe d'amis soudés, avec Izzy, Archie, Chop et Finn. Elle invite Rae à entrer dans leur cercle. Enthousiaste et volontaire à l'idée de s'intégrer dans ce groupe d'adolescents qui lui paraissent si "normaux", cette dernière va apprendre beaucoup sur elle-même, sur l'amitié, mais aussi l'amour à leur contact. Pour emprunter la voie de l'acceptation de soi et de la guérison ?

mymadfatdiaryj_zps24cba053.jpg

La force de My Mad Fat Diary est de savoir toucher le téléspectateur comme peu de fictions en sont capables, grâce à une héroïne qui, par ses doutes et par ses questionnements, parle à tout un chacun, écho de nos propres incertitudes. Semblable à un journal intime qu'on feuilletterait, la série nous glisse dans la tête de Rae, laissant une large place à ses commentaires et à ses impressions. Nous faisant ainsi partager son point de vue, toujours spontané, souvent excessif, parfois très cru, la fiction propose un traitement brut et sans détour de thématiques d'adolescence. Là où la série se démarque, c'est dans le portrait qu'elle propose de Rae : au-delà des interrogations propres à son âge, c'est une adolescente qui tente de se reconstruire. Son mal-être s'est mué en une haine d'elle-même, sur laquelle pèse tout le poids d'une dépression qui ne le lui laisse aucune issue. My Mad Fat Diary aborde la maladie de Rae avec une tonalité et une approche semblable à ses autres problématiques adolescentes (amour, sexe, amitié). La série conserve toujours un dynamisme communicatif, capable de se montrer drôle et légère, sans occulter des passages douloureux et poignants. C'est une série très vivante, très humaine, qui, à l'image de ses personnages, se révèle haute en couleur.

De manière générale, My Mad Fat Diary mise également sur la diffuse authenticité qui transparaît des dynamiques qu'elle met en scène. D'aucuns parleraient de réalisme, pourtant, si elle se révèle si attachante, c'est surtout par un certain idéalisme. L'enjeu de la saison est, pour Rae, d'apprendre à s'accepter elle-même, pour accepter les autres. Il n'est sans doute pas d'épreuve plus intime et difficile que celle-ci. Au cours de ce cheminement, Rae redécouvre l'amitié, mais aussi tous les espoirs et autres aspirations d'une adolescente de son âge qui vient de passer plusieurs mois coupée de tout. Elle s'intègre peu à peu à une bande de jeunes qui, si on y retrouve toutes les caractéristiques propres à un groupe d'adolescents, l'accueille avec un naturel assez touchant. Par-delà ses craintes et ses besoins, Rae s'ouvre à leur contact. Les épreuves et les péripéties qu'elle va traverser au cours de cette saison ne sont pas toujours parfaitement dosées. Beaucoup sont aussi des classiques du genre au parfum de déjà vu, rappelant que My Mad Fat Diary reste dans la logique des teen-drama. Mais la série ne se départira jamais de sa saveur toute particulière : tandis que Rae fait chuter des barrières qui semblaient si infranchissables, le coeur du téléspectateur se serre et se réjouit. Tout simplement parce que s'esquisse sous nos yeux un portrait sincère, d'une vraie justesse, qui trouve un écho en chacun de nous.

mymadfatdiaryk_zps73861753.jpg

Sur la forme, My Mad Fat Diary adopte une réalisation très dynamique, avec une caméra qui fait ressortir une relative proximité avec les personnages. L'ensemble sied parfaitement au ton particulier de la série. Fidèle à l'approche narrative du récit qui reste le "journal de Rae", elle introduit en plus à l'image des dessins et autres gribouillages qui défilent et se rajoutent à l'écran : ils accompagnent et illustrent les confidence de l'héroïne, tout en nous permettant d'entrevoir un peu plus le monde de sa perspective. L'accompagnement musical achève de plonger le téléspectateur dans un bout d'adolescence des années 90, tout en restant bien dosé.

Enfin le casting se révèle à la hauteur, tout particulièrement Sharon Rooney autour de qui tourne la série. L'actrice sait susciter l'empathie du téléspectateur, notamment grâce à la manière et la tonalité avec laquelle elle partage avec nous toutes ses remarques sur sa vie. Son psychiatre est interprété par Ian Hart, et sa mère par Claire Rushbrook. Pour jouer les autres adolescents, avec leurs portraits quelque peu idéalisés, on retrouve Jodie Comer, Nico Mirallegro, Dan Cohen, Jordan Murphy et Ciara Baxendale.

mymadfatdiaryo_zps2373afbd.jpg
mymadfatdiaryu_zpsa944efa7.jpg
mymadfatdiaryb_zpsa3a79421.jpg

Bilan : Plus qu'un simple teen-show, auquel elle emprunte pourtant un certain nombre de thématiques classiques, My Mad Fat Diary est une série profondément humaine, drôle mais aussi touchante. Elle est une bouffée d'air frais dédiée à l'adolescence, avec les excès et les disproportions que tout acquiert à cet âge-là. Elle est aussi le portrait très juste et entier d'une héroïne, dont les incertitudes, le mal-être et la détresse parlent à tout téléspectateur. Elle est l'histoire d'une reconstruction personnelle, d'une redécouverte et d'un apprentissage de la vie qui ne laissent pas indifférents. Avec son écriture toujours sincère, par-delà ses quelques maladresses, elle mérite assurément l'investissement.


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce de la série :

02/01/2011

(UK) Upstairs Downstairs : Maîtres et Valets dans l'agitation londonienne de 1936

upstairsdownstairsa.jpg

La dernière semaine de 2010 (du 26 au 28 décembre) aura permis à BBC1 de proposer son propre period drama se déroulant dans la première moitié du XXe siècle. Remake, ou plutôt suite, d'un classique des années 70, Maîtres et Valets, qui avait fait les beaux jours d'ITV, Upstairs Downstairs allait, en raison de sa programmation, fatalement subir les comparaisons de la grande réussite de l'automne de... ITV, Downton Abbey. On le pressentait d'emblée, le parallèle - pas forcément des plus justifiés tant l'époque et les enjeux diffèrent, mais qui s'impose malgré toute la bonne volonté du téléspectateur - n'a pas tourné en faveur de la BBC. Car oui, qui l'eut cru, mais nul doute que ITV l'a bien emporté sur la BBC en 2010 dans ce créneau très prisé des reconstitutions historiques...

Pour autant, Upstairs Downstairs mérite plus qu'être seulement balayée par le triomphe de celle qui l'a précédée. Proposée en trois épisodes d'une heure chacun, elle a tout d'abord semblé cumuler les handicaps, avec en plus une entrée en matière ratée, flirtant avec une étrange nostalgie de transition peu opportune. Mais, en dépit d'une introduction malaisée, la série va progressivement réussir à dépasser ses tergiversations initiales. Les deux derniers épisodes vont en effet gagner en intensité comme en intérêt. 

upstairsdownstairsj.jpg

Upstairs Downstairs s'ouvre en 1936 peu avant la mort du roi George V. Sir Hallam Holland, un diplomate, et son épouse, Lady Agnes, s'installent au 165 Eaton Place, la demeure qui fut le cadre de Maîtres et Valets. Le jeune couple, décidé à compter dans le quotidien de la haute société londonienne, a la surprise - pas forcément agréable - de voir arriver quelques jours plus tard, Lady Maud, la mère de Hallam, laquelle souhaite, après plusieurs décennies passées hors d'Angleterre, venir finir d'écrire ses mémoires sur place. La soeur d'Agnès, Persephone, les rejoint également. Venue de la campagne du Pays de Galles pour apprendre les bonnes convenances au sein de l'aristocratie londonienne, elle va en même temps découvrir un autre monde, celui de la politique et des idéologies.

La carrière de diplomate de Hallam dépendant également des connexions sociales sur lesquelles il doit pouvoir compter, Lady Agnes est bien consciente de la nécessité d'avoir à disposition un staff complet. Elle embauche pour cette tâche Rose Buck, qui fera le lien avec l'ancienne série, ayant servi les Bellamy jusqu'en 1930, année où s'était achevée l'histoire de Maîtres et Valets. C'est ainsi un personnel très divers, mais finalement aussi relativement restreint ce qui permet une certaine solidarité, qui va finalement être assemblé, même s'il connaîtra quelques aléas au fil des évènements de la série.

Pour nous plonger dans la vie londonienne de 1936, Upstairs Downstairs va mêler la grande Histoire aux histoires personnelles de ses protagonistes. Tandis qu'en toile de fond, l'Allemagne Hitlérienne inquiète des diplomates qui hésitent sur la position à adopter, sur le sol anglais, la série s'arrête sur la politique intérieure, avec la tentation fasciste que représente Oswald Mosley et la British Union of Fascists. Parallèlement, la famille royale entretient aussi toutes les conversations. Si Edouard VIII a succédé à son père, George V, sa liaison avec une américaine, Mrs Simpson, posent question : le choix entre le trône et une femme se profile à l'horizon.

upstairsdownstairsh.jpg

Après la démonstration proposée par Downton Abbey au cours de l'automne, Upstairs Downstairs était forcément attendu au tournant. Peu importe que le contexte, les lieux ou l'approche des scénaristes soient différents ; peu importe que les deux séries ne s'inscrivent pas dans la même optique et ne partagent pas les mêmes ambitions, notamment au niveau de l'esthétique... Car demeurent quelques fondements clés : le cadre de la haute aristocratie britannique, dans une maison où l'on suit la vie des maîtres des lieux comme des serviteurs. Les parallèles se font naturellement dans notre esprit, souvent même en dépit des efforts du téléspectateur pour essayer de découvrir avec un regard neutre Upstairs Downstairs. On est ici loin du château plein de vie de Downton Abbey. En découvrant le staff, on songe, malgré nous, qu'il est finalement bien peu fourni. Là où la série d'ITV créait une sorte de communauté, Upstairs Downstairs pose un environnement plus proche du téléspectateur et qui se rapproche parfois d'une sorte de huis clos à taille humaine.

Pourtant, ce n'est pas l'ombre de Downton Abbey qui va poser le premier problème que rencontre Upstairs Downstairs. Certes, durant le premier épisode, le téléspectateur se laisse aller à égréner dans son esprit, toutes ces différences que son esprit fait par pur réflexe - la plupart n'étant pas favorables a priori à la fiction de la BBC. Mais s'il prend le temps de réaliser cet exercice de comparaison, au-delà du calendrier de diffusion, la faute en revient en grande partie aux propres scénaristes de la série. Car Upstairs Downstairs débute de manière excessivement poussive, par une longue et lente installation qui fait office d'introduction, occupant les trois premiers quarts d'heure, et au cours de laquelle elle essaye de façon assez maladroite de toucher la fibre nostalgique du téléspectateur. Si j'admets sans difficulté que Maîtres et Valets constitue une institution télévisuelle, elle date quand même de trois décennies. Plus que capitaliser sur un nom mythique, l'objectif principal aurait clairement dû être de conquérir et de toucher un nouveau public, non familier avec cet univers. Or, ce nouveau public ne va pas s'émerveiller sur les longs plans montrant Rose Burke redécouvrant cette maison dans laquelle elle a servi. Cette lente mise en place des personnages et des enjeux donnent l'impression de sacrifier la première heure de narration, qui échoue donc dans le but inhérent à tout pilote : celui de captiver l'attention du téléspectateur. Les dernières minutes et la réception gâchée par l'invitation non intentionnelle du dignitaire nazie offriront les premières petites étincelles qui laissent entrevoir le potentiel dont dispose à l'évidence le récit de la vie de cette maisonnée. La suite va plutôt donner raison au téléspectateur qui aura été patient, sans pour autant pleinement satisfaire.

upstairsdownstairsg.jpg

Si Upstairs Downstairs ne se départit jamais totalement de cette impression que ces trois épisodes ne constituent qu'une forme de mise en bouche, une introduction qui cherche le bon équilibre tout en promettant une suite plus aboutie, les deux heures suivantes vont se révéler beaucoup plus denses et intenses dans les histoires qui s'esquissent. Certes, les rapports entre les différents protagonistes restent relativement prévisibles, les personnages mettent un peu de temps à s'affirmer individuellement et à acquérir une dimension humaine, cependant le côté très choral de la série va être celui qui va fonctionner le premier. Paradoxalement, avant même de s'attacher aux protagonistes, c'est ainsi le cadre et l'univers mis en scène qui retiennent notre attention. Upstairs Downstairs a la chance de se dérouler en 1936 et donc de disposer en toile de fond d'une situation géopolitique, mais aussi intérieure, très trouble, qui ne va pas épargner la maisonnée.

C'est donc par les éléments qui détonnent au sein de ce milieu policé que la série s'affirme tout d'abord, que ce soit à travers le destin personnel de certains personnages, comme la servante juive allemande, ou l'implication politique d'autres membres de la maisonnée, telle la jeune Perséphone ou bien le chauffeur (dans une relation n'étant évidemment pas sans évoquer au téléspectateur celle de Sybil et de son chauffeur ; le fascisme ayant remplacé le socialisme). Si la narration manque trop souvent de subtilité dans sa façon de romancer l'Histoire afin de permettre la rencontre des petites et de la grande, la maîtrise du rythme de l'écriture étant aussi très perfectible, j'avoue avoir vraiment apprécié cet effort d'immersion dans le contexte particulier de l'Angleterre de la fin des années 30. Que ce soit la question du nazisme (la reconstitution de la Bataille de Cabble Street est assez impressionante) ou l'abdication d'Edouard VIII, Upstairs Downstairs s'efforce, avec plus ou moins d'habileté, de nous montrer les réactions diverses des Anglais de l'époque, à travers toute la diversité d'opinions et de milieux représentés dans cette demeure du 165 Eaton Place.

Au final, c'est donc par sa volonté de retransrire la société de son temps et de s'inscrire dans ses enjeux qu'Upstairs Downstairs capte en premier lieu l'intérêt du téléspectateur. Le temps aidant, les personnages s'humanisent progressivement, permettant, au cours du troisième épisode, de trouver peu à peu un semblant d'équilibre satisfaisant dans la maisonnée. L'atmosphère apparaît plus intimiste que dans Downton Abbey. Il y a une solidarité forte qui se crée finalement entre tous les habitants, qui confère une proximité absente de la série de ITV. Je pense donc qu'il y a bien la place pour Upstairs Downstairs dans les programmes britanniques de l'an prochain, à condition de poursuivre sur les bases auxquelles parvient enfin la fin du dernier épisode et en soignant l'homogénéité globale d'un récit trop éclaté.

upstairsdownstairsd.jpg

Sur la forme, Upstairs Downstairs fait preuve d'une grande sobriété. Le clinquant de certains décors reste étonnamment tempéré par une mise en scène toute en retenue, qui s'inscrit dans cette ambition un peu vaine de poursuivre l'oeuvre de Maîtres et Valets et d'en appeler donc à une forme de nostalgie. La réalisation, comme la musique en arrière-plan, marquent donc par leur relative neutralité d'ensemble. Le visuel n'a rien de l'esthétique aboutie et fascinante de Downton Abbey ; ce qui lui permet au moins de clairement s'en différencier sur ce plan.

Pour mettre en scène ce récit pas toujours très homogène, le casting se révèle solide, même si certains vont rester un peu en retrait. C'est une conséquence de la difficulté que connaît la série pour bien s'installer et donner vie et, surtout, une personnalité propre et définie à chacun de ses personnages. Le couple Holland est très bien interprété par Ed Stoppard (Any human heart) et Keeley Hawes (Spooks, Ashes to Ashes). A leurs côtés, Claire Foy (Little Dorrit, Going Postal) n'a pas un personnage facile, mais elle est, comme toujours, lumineuse dans certaines scènes. Signe de l'héritage qu'elle revendique, on retrouve également au casting les deux actrices qui eurent l'idée du concept à l'origine de Maîtres et Valets au début des années 70 : Eileen Atkins (La taupe, Psychoville) incarne Lady Maud, tandis que Jean Marsh (Doctor Who) retrouve (assez paradoxalement puisque 6 ans se sont "fictivement" écoulés, mais 30 ans dans la réalité) son personnage d'origine, Rose Buck. Parmi les autres membres du staff, on retrouve d'autres habitués du petit écran britannique, comme Anne Reid (Bleak House, Five Days), Nico Mirallegro (Hollyoaks), Neil Jackson (Flashforward, Make it or break it), Adrian Scarborough (Cranford, Psychoville, Gavin & Stacey) ou encore Art Malik (Holby City, The Nativity). Enfin, en ce qui concerne les acteurs plus secondaires, en dehors de la maison, je citerais la présence de Blake Ritson (Emma) que j'ai retrouvé avec beaucoup de plaisir, en frère inquiet du futur roi abdicateur et ami proche du maître de maison.

upstairsdownstairsk.jpg

Bilan : Ne se départissant jamais de cette impression qu'il s'agit seulement d'une introduction à une série à venir, les trois heures d'Upstairs Downstairs vont permettre à la série de progressivement s'affirmer, gagnant en densité narrative et en intensité émotionnelle. Mais si elle exploite à propos le contexte particulier de cette année 1936, elle peine à trouver ce liant nécessaire entre les différentes storylines qui aurait permis un récit homogène. Si Upstairs Downstairs propose donc des histoires trop éclatées et relativement prévisibles, elle laisse cependant entrevoir un réel potentiel qui peu à peu, trop lentement, semble se construire.

Sans occulter ces défauts, j'avoue avoir pris du plaisir à regarder les deux dernières heures, après m'être un peu ennuyée devant la première. J'ai donc envie d'espérer que la série puisse aller crescendo et nous proposer une suite plus aboutie.

 
NOTE : 7/10


La bande-annonce :