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09/09/2013

(Mini-série UK) Southcliffe : récit brut et intense autour d'un massacre

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Certaines fictions se démarquent par leur concept et la force de leur thème. C'était le cas, cet été, de Southcliffe. Cette mini-série explore une tragédie, mettant en scène une fusillade mortelle et ses conséquences sur une petite ville anglaise. Elle partage donc des ambitions assez proches avec la série estonienne Klass : Elu Pärast, qui traitait d'un massacre commis dans un lycée, évoquant l'après en abordant le choc, le deuil, mais aussi le travail de reconstruction à mener. Klass : Elu Pärast (qui faisait suite à un film abordant la fusillade en elle-même et ses origines) s'est imposée comme une oeuvre marquante par la sobriété, la retenue et la nuance de son récit, exigences qui sont inhérentes à un tel sujet. En ayant en tête cette précédente réussite, il était donc intéressant de se tourner vers Southcliffe.

Écrite par Tony Grisoni (qui s'est notamment illustré en adaptant Red Riding pour Channel 4 en 2009), Southcliffe s'appuie également, pour sa réalisation, sur l'américain Sean Durkin (Martha Marcy May Marlene). Si Channel 4 l'a diffusée, du 4 au 18 août 2013, suivant un format de mini-série comptant 4 épisodes de 45 minutes environ, il faut savoir qu'elle a aussi été projetée cet été au Festival International du Film de Toronto sous la forme d'un long métrage de 3h10. Ma critique est basée uniquement sur le découpage à destination de la télévision, telle que la mini-série a été proposée en Angleterre. Outre l'équipe rassemblée derrière la caméra et la force du sujet choisi, le casting n'était pas non plus étranger à mon impatience de la découvrir. Cette fiction a-t-elle tenue ses promesses ?

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Le 2 novembre 2011 est le jour où tout bascule pour les habitants de Southcliffe, une petite ville fictive perdue dans la campagne anglaise. Tôt dans la matinée, des coups de feu retentissent et troublent le calme ambiant. Le tireur est quelqu'un que tout le monde connaît, au moins de vue : Stephen Morton, un local, homme à tout faire. Il va abattre à bout portant sa mère, des connaissances, mais aussi tous ceux qui vont avoir le malheur de croiser sa route meurtrière ce matin-là. Bientôt encerclé par les autorités, il finit par se donner la mort, laissant la douleur et l'incompréhension s'abattre sur Southcliffe.

Tout en s'intéressant aux habitants touchés par les évènements, évoquant l'avant et l'après de la tragédie, la mini-série intègre aussi un point de vue semi-extérieur, par l'intermédiaire d'un journaliste ayant grandi dans cette ville. Correspondant pour la télévision, David Whitehead revient cependant avec réticence sur les lieux de son enfance, il est loin de garder un bon souvenir de cette ville.

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Southcliffe opte pour une construction particulière, entremêlant les timelines entre flashforward d'ouverture, flashbacks et une ligne temporelle principale dans le présent qui reste son fil rouge. Initialement, cela semble quelque peu brouillon, mais à mesure que l'on progresse dans le récit, cette narration acquiert un sens, dévoilant une structure où les scènes se font écho : passé et présent se confrontent et se complètent, offrant les différents versants d'une même histoire. Southcliffe n'est pas une fiction policière, il ne s'agit pas d'y résoudre un crime, ni même d'apporter des réponses pour les proches des victimes. C'est un drame humain morcelé. Capturant des tranches de vie, la mini-série s'intéresse avant tout aux réactions des personnages mis en scène, qu'il s'agisse du meurtrier ou des proches de ses victimes. Autour et à partir de l'évènement catalyseur qu'est la fusillade, elle construit un récit éclaté voulant explorer toutes les ramifications de la tragédie, aussi bien en amont qu'après le drame. 

Cette ambition explique la chronologie suivie par Southcliffe. Le premier épisode s'intéresse ainsi aux origines immédiates du drame. Le ton de la mini-série est donné : abrupte et abrasive, elle décline sans fard les nuances et les ombres des relations humaines dans ce vase-clos de campagne anglaise. La caméra se fait le témoin extérieur de l'enchaînement d'évènements qui conduit à l'excès de folie meurtrière de Stephen Morton. La mini-série adopte une approche neutre : elle se contente de plonger le téléspectateur dans une noirceur ambiante générale. Les deux épisodes suivants mettent, eux, l'accent sur le brusque bouleversement du quotidien représenté par la perte d'êtres chers. Ils soulignent le déchirement qui intervient lorsqu'une présence tenue pour acquise vient soudain à manquer. Le choc, la douleur, le traumatisme sont ainsi mis en exergue. Enfin, le dernier épisode revient sur les lieux un an après : les déchirures sont toujours là, mais le travail de deuil, d'acceptation des évènements pour chacun, se poursuit malgré tout, imperturbable.

Pour offrir un récit dense, Southcliffe multiplie volontairement les points de vue, nous introduisant dans le quotidien de plusieurs familles, au risque de parfois paraître manquer de direction. C'est lorsqu'elle bascule véritablement dans le registre émotionnel qu'elle acquiert toute sa force. Quand la tragédie frappe, la caméra se glisse dans les moments les plus intimes de ses personnages. Elle n'a alors pas son pareil pour y capturer une douleur intense, à l'état le plus brut qui soit. Ce sont des effondrements, de l'incompréhension, de la colère, des questionnements qui se succèdent à l'écran. Dans sa deuxième partie, la mini-série délivre des scènes très marquantes. Il est d'ailleurs opportun d'avoir choisi de faire intervenir un observateur pas si extérieur pour compléter ce kaléidoscope de réactions. La vision de ce journaliste est affectée par son propre passif avec la ville et ses habitants. Il en résulte des explosions de colère, une prise à partie qui montre aussi combien il est difficile de rationaliser une telle tragédie.

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Sur la forme, Southcliffe est une oeuvre visuellement travaillée. La réalisation joue d'ailleurs un rôle important : la recherche d'authenticité, cette volonté de capturer de façon neutre une suite d'instantanés, est perceptible jusqu'aux passages où c'est caméra à l'épaule que l'on suit un protagoniste. L'alternance entre les larges plans d'ambiance qui posent la ville où se déroulent les évènements et des plans nerveux au plus près des personnages est très bien négociée. A saluer aussi une bande-son empruntant aux sources de musique (baladeur, concert) qui se révèle habilement gérée, d'autant que la mini-série démontre aussi sa capacité d'utiliser les silences. C'est donc formellement une fiction soignée.

Enfin, si Southcliffe s'offre de belles fulgurances et des passages extrêmement forts, la performance d'ensemble de son casting n'y est pas étrangère. Les acteurs sont au diapason de la tonalité particulière choisie par le récit. Plusieurs ont l'occasion de briller. Rory Kinnear (Black Mirror, The Hollow Crown, The Mystery of Edwin Drood) incarne le journaliste David Whitehead. Ses rancoeurs et son expérience passées à Southcliffe le placent en porte-à-faux des compte-rendus convenus attendus, troublant l'exercice médiatique collectif de compassion et provoquant plusieurs explosions chez son personnage - au cours d'un direct ou encore dans un bar - au cours desquelles l'acteur est magistral. De plus, qu'ils soient parents ou proches des victimes, ces survivants que sont Eddie Marsan (Criminal Justice, Ray Donovan), Anatol Yusef (Boardwalk Empire) ou encore Shirley Henderson (The Crimson Petal and the White) laissent également sans voix dans certaines de leurs scènes où ils exposent leur douleur à l'état le plus brut. Quant au tueur, il est interprété par un Sean Harris (The Borgias) sobre et tout en retenue qui trouve le ton juste. On croise aussi devant la caméra Joe Dempsie (Skins, Game of Thrones), Al Weaver (Secret State), Amanda Drew (Life of Crime), Geoff Bell (Top Boy) ou encore Kaya Scodelario (Skins).

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Bilan : Drame psychologique adoptant une construction éclatée, Southcliffe est une oeuvre intense entièrement dédiée aux personnages sur lesquels elle prend le temps de s'arrêter pour explorer toutes les ramifications de la fusillade. Parfois trop dispersée dans sa narration, cette fiction prend cependant tout son sens par l'émotion qu'elle est capable de capturer dans ses passages les plus forts. La caméra y joue le rôle de témoin neutre, proposant des images brutes. Si son approche peut dérouter au début (notamment dans le premier épisode), il faut admettre que Southcliffe n'est pas en quête de réponse sur la tragédie mise en scène : elle est simplement le récit de destinées fauchées ou ébranlées. La fin est à l'image de ce parti pris, sans véritable conclusion, chacun continuant le fil de sa vie.

En résumé, sans être exempte de reproches, Southcliffe est un essai intéressant sur un thème difficile et fort. Tous les publics ne s'y retrouveront pas, mais l'expérience mérite d'être tentée.


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de la mini-série :

30/08/2013

(Mini-série UK) The Mill : ces enfants-ouvriers du XIXe siècle

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Cet été, Channel 4 avait décidé de ne pas offrir à ses téléspectateurs l'évasion et la légèreté promises pour la période estivale. Au contraire, la chaîne anglaise a proposé une trilogie de mini-séries, aux thèmes très différents, mais qui partageaient toutes une même noirceur. La première de ces fictions, Run, a été la moins aboutie, une semi-anthologie s'essayant à la chronique sociale sans trouver l'équilibre et le ton juste recherchés. Les deux autres mini-séries se sont révélées autrement plus marquantes, et méritent l'attention chacune à leur manière. En attendant de revenir prochainement sur Southcliffe, évoquons aujourd'hui celle qui s'est démarquée avec un succès public assez inattendu : The Mill.

Programmée le dimanche soir, en plein été (du 28 juillet au 18 août 2013), dans une case horaire qui n'est pas des plus faciles à négocier pour Channel 4, ce period drama a admirablement tiré son épingle du jeu : après des débuts très solides - 2,8 millions de téléspectateurs, soit rien moins que le meilleur lancement de la chaîne depuis trois ans -, il s'est maintenu jusqu'au final frôlant les 2 millions. Écrite par John Fay (à qui l'on doit notamment quelques épisodes de la saison 3 de Torchwood - et un passage par le soap Coronation Street), cette mini-série en quatre parties avait en plus un sujet dur, puisqu'elle traite des conditions de travail des enfants dans le premier XIXe siècle. Vous connaissez tout mon intérêt pour cette période : j'étais aussi curieuse qu'intriguée de voir un tel sujet porté à l'écran. Une bonne chose puisque The Mill s'est révélée très intéressante à suivre !

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The Mill relate le quotidien d'une manufacture de textile, située dans la campagne anglaise, dans le Cheshire. Elle se déroule en 1833 : les revendications sociales s'expriment alors par l'intermédiaire du Ten Hour Movement qui vise à faire adopter une loi permettant l'amélioration des conditions des ouvriers par la réduction du nombre d'heures travaillées dans la journée. Signe de la recherche d'authenticité manifeste, la mini-série s'inspire directement des archives de la Quarry Bank Mill. [Pour une utile re-contextualisation, je vous conseille l'article qu'a consacré sur le sujet RadioTimes : The real story of the child slaves of the Industrial Revolution, qui nous apprend notamment que les vues du personnage d'Esther sont basées sur les propres impressions de la jeune femme retrouvées dans les archives.]

La manufacture est dirigée par la famille Greg, dont le fils aîné, Robert, a pris la direction. Il est un des plus ardents opposants au Ten Hour Movement, faisant un lobbying incessant auprès du législateur. Mais au sein même de son entreprise, la rigidité paternaliste avec laquelle il gère ses employés va être remise en cause par certains. C'est le cas notamment d'une apprentie, Esther Price : cette adolescente n'entend pas se laisser faire face à divers abus d'autorité dont ses camarades sont victimes. L'arrivée d'un nouvel employé, ayant déjà un historique dans les mouvements ouvriers, va aussi ouvrir la Quarry Bank aux revendications qui traversent le pays.

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Traitant d'un sujet fort, The Mill est un period drama à la reconstitution historique convaincante qui immerge sans difficulté le téléspectateur dans les problématiques de son époque. Il choisit d'aborder la condition des ouvriers anglais dans le cadre de la révolution industrielle, en s'arrêtant tout particulièrement sur la situation des enfants placés dans ces manufactures de textile, qu'ils soient orphelins ou issus de familles n'ayant pas de moyens de subsistance. Ils forment ainsi une main d’œuvre agile et bon marché placée derrière les machines. La mini-série décrit avec précision leur quotidien, fait de journées interminables, de la cloche matinale à la prière du soir, et souligne d'entrée de jeu les dangers qui guettent ces jeunes apprentis. Dressant un portrait sans fard, très brut, elle évoque les difficultés et épreuves qui parsèment leurs journées, et ce sans misérabilisme.

Pointant les limites et, surtout, l'hypocrisie de la gestion paternaliste qui prévaut alors dans le patronat rural, The Mill entreprend de nous relater les premiers soubresauts émancipateurs de ces travailleurs. En filigrane, s'esquisse une démonstration lourde de symboles. Les Greg, propriétaires de manufactures en Angleterre, détiennent également, dans les colonies, une fabrique de coton. Ce n'est pas une main d’œuvre orpheline, mais esclave, qui y est exploitée. Alors que l'esclavage s'apprête à être aboli, The Mill insiste sur les différentes attitudes face aux deux situations mises en parallèles. Plus que le pragmatisme financier des Greg, décidés à instrumentaliser la loi pour servir leurs intérêts, ce sont les prises de position de la matriarche qui marquent. Elles témoignent de son incompréhension : militant en faveur de l'abolition, elle n'a pas conscience de la reproduction en Angleterre de schémas d'exploitation suivant la logique économique et juridique du capitalisme industriel d'alors.

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En raison de son sujet et de l'approche choisie, en voulant mettre en scène les difficiles conditions de vie et de travail passées, The Mill a pu être rapprochée, outre-Manche, des ambitions de The Village, dont la première saison a été diffusée au printemps sur BBC1 (elle se déroulait au début du XXe siècle). Cependant, The Mill se révèle moins pesante et éprouvante que cette dernière. Recherchant toujours le juste équilibre dans sa tonalité, la mini-série ne verse pas dans le mélodrame. Si elle peut être très dure, elle prend aussi soin de se ménager des passages plus légers, avec quelques instantanés chargés d'humanité, de solidarité. Si bien que, tout en conservant une certaine fatalité réaliste, le récit est traversé par une vraie vitalité.

Malgré les injustices et les tragédies qui frappent durement ces jeunes gens exposés à trop d'abus potentiels, l'espoir ne s'éteint jamais complètement. La fiction est ici efficacement menée : jamais figée, l'histoire progresse, et de nouvelles ouvertures finissent toujours par apparaître. The Mill met en scène des personnages souhaitant prendre leur vie en main. Certains veulent croire en un avenir meilleur ; leurs actions parviennent à réaliser des choses, qu'importe si ce n'est parfois qu'anecdotique et éphémère. Le téléspectateur s'attache à ces protagonistes : il prend fait et cause pour les révoltes d'Esther et pour tout ce qui permet de faire évoluer, peu à peu, le rapport de force entre les apprentis et les ouvriers et leur patron. Tout est gris et nuancé dans cette fiction, et la fin confirme cela : satisfaisante sur certains points, frustrante sur d'autres, et révoltante quant au sort d'un jeune en particulier. 

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Sur la forme, The Mill convainc dans son registre de period drama : il s'agit d'une reconstitution historique sérieuse. La réalisation est solide, plongeant le téléspectateur dans des images où la dominante grisâtre trouve tout son sens. En guise de générique, une petite mélodie introductive nous glisse dans la manufacture, avec une sobriété qui correspond au traitement brut et authentique voulu.

Enfin, la mini-série rassemble un casting solide au sein duquel Kerrie Hayes (Good Cop) se démarque particulièrement dans le rôle d'Esther, inébranlable jeune femme qui n'entend pas accepter sa situation et les abus dont elle et ses camarades peuvent être victimes. Autre ouvrier refusant la soumission attendue, Matthew McNulty (Five Days, Lark Rise to Candleford, The Syndicate, Misfits, The Paradise) incarne Daniel Bates qui ouvre notamment la manufacture aux écrits revendicatifs des mouvements dont il est proche. Parmi les employés, on retrouve également Holly Lucas ou encore Connor Dempsey. De l'autre côté des rapports de travail, Robert Greg est interprété par Jamie Draven (Ultimate Force), Donald Sumpter (Our Friends in the North, Being Human, Game of Thrones) jouant son père, et Barbara Marten (Harry, Public Enemies, Kidnap and Ransom), sa mère. Claire Rushbrook (The Fades, Collision, Whitechapel, My Mad Fat Diary) et Kevin McNally incarnent quant à eux le couple en charge des apprentis. Quant à Aidan McArdle (All about George, Jane Eyre, Garrow's Law), il est un des leaders ouvriers du Ten Hour Movement.

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Bilan : Traitant d'un sujet fort - ces enfants apprentis que la révolution industrielle a installée derrière les machines -, The Mill est une fiction dure, mais pas dénuée d'espoir. Elle s'adresse au futur, annonçant et appelant les changements à venir, plus qu'elle ne les réalise (le Factory Act de 1833 comprendra finalement certes des avancées, mais il sera loin d'acter toutes les revendications ouvrières). Dressant un portrait précis et sans fard des relations de travail d'alors, où prédomine un paternalisme patronal amené à être remis en cause, la mini-série sait nous faire partager les aspirations de ses personnages. Doté d'un récit à la progression efficace, c'est donc une œuvre solide.

En résumé, tout en reconnaissant avoir une affinité toute particulière pour les thèmes de cette fiction - tous les publics n'y seront peut-être pas sensibles -, voilà une série que j'ai beaucoup aimée, et que je recommande sans hésitation.


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce de la mini-série :

10/08/2013

(UK) Ultraviolet, intégrale : du conspirationnisme adapté aux enjeux vampiriques

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Ces dernières semaines, une soudaine envie de fiction fantastique m'a conduite à découvrir une courte série britannique datant de 1998 : Ultraviolet. Il s'agit d'une oeuvre souvent citée parmi les essais de référence lorsque l'on aborde le sujet des vampires outre-Manche. Elle a été écrite et réalisée par Joe Ahearne. Si le scénariste sortait alors d'une collaboration à This Life, il s'est depuis illustré avant tout dans le registre du surnaturel, avec The Secret of the Cricket Hall notamment l'année dernière, ou encore en réalisant un certain nombre d'épisodes de la saison 1 de Doctor Who. En terme d'influence, Ultraviolet est surtout à rapprocher de son autre série, Apparitions (datant de 2008), ne serait-ce que parce qu'on y retrouve déjà - même si plus en retrait - la présence de l'Eglise.

Diffusée sur Channel 4, comptant en tout 6 épisodes, Ultraviolet propose une réappropriation particulière, résolument modernisée, du thème vampirique. Elle ne s'inscrit pas dans la lignée de Buffy, débutée un an plus tôt aux Etats-Unis, mais plutôt dans la tendance aux conspirationnismes et aux grands secrets dissimulés dans l'ombre, initiée par X-Files au cours des années 90. Un remake fut envisagé aux Etats-Unis pour la Fox, en 2000, mais il ne dépassera pas le stade de la conception du pilote. Traitant de quelques sujets forts liés aux vampires, Ultraviolet a aussi pour elle de rassembler un intéressant casting qui retiendra l'attention de plus d'un sériephile : on y retrouve notamment Jack Davenport, Idris Elba et Susannah Harker. Un certain nombre de bonnes raisons qui justifient donc une telle découverte 15 ans plus tard.

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La vie du détective Michael Colefield bascule lorsque son meilleur ami, Jack, disparaît la veille de son mariage. Décidé à enquêter sur ce qui a pu se produire, ou plus précisément, ce qui le pousse à se cacher et fuir, Michael se heurte rapidement à une organisation secrète liée au gouvernement britannique, mais aussi au Vatican. Il découvre alors que Jack est recherché pour une raison bien particulière : il est en effet devenu un vampire. Perturbé par les méthodes expéditives de l'organisation qui le traque et qui semble entièrement consacrée à détruire ces créatures de l'ombre, Michael comprend aussi que Jack n'est plus l'ami qu'il était. Pris dans les évènements, le policier finit par accepter d'être recruté au sein de la mystérieuse organisation, espérant mieux comprendre les enjeux qui conduisent les deux camps à s'affronter.

Au cours de ces six épisodes, la série se construit suivant le format d'un procedural : chaque épisode amène à traiter un cas différent et permet l'exploration d'un thème vampirique. Par-delà ces affaires en apparence isolées, c'est cependant un plus grand dessein, visé par ces créatures de l'ombre, qui s'esquisse et préoccupe les protagonistes principaux. Que recherchent les vampires lorsqu'ils mettent en place tel réseau financier, ou bien lorsqu'ils conduisent sur le corps d'humains des expérimentations liées à leur sang ou même à leur vie ? La mission de l'organisation est d'empêcher les vampires de mener à bien leur plan, quel que soit ce dernier. Or leurs projets sont bien pires que ceux qu'ils pouvaient imaginer.

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Quinze ans et un certain nombre de fictions vampiriques plus tard, Ultraviolet renvoie toujours l'impression d'avoir fait un vrai effort pour se réapproprier ce thème fantastique. La fiction s'attache à les démythifier par-delà le folklore légendaire qui les entoure. Il est d'ailleurs assez révélateur que le mot "vampire" ne soit jamais prononcé dans la série : ces créatures surnaturelles sont désignées sous le terme de "code Five" (V en chiffre romain signifiant 5, et V étant la première lettre du mot "vampire"). Parmi les données immuables, il y a bien sûr la question de l'immortalité ; même réduits en cendre, ils peuvent toujours revivre, ce qui oblige l'organisation à mettre en place un dangereux système de stockage. Aucun appareil électronique ne peut détecter leur présence : invisibles aux caméras, ils sont aussi incapables d'utiliser un téléphone. Cependant, bien des incertitudes persistent. Par exemple, un débat existe autour de leur sensibilité aux objets cultuels : nul ne sait si leur réaction n'est pas simplement un réflexe psychologique qui n'a rien d'une intolérance physique, optant pour l'ambiguïté dans son approche de la religion... 

Tout au long de ses six épisodes, Ultraviolet s'efforce de poser un univers qui soit cohérent et rationnel, avec une approche résolument moderne et scientifique qui se perçoit jusque dans les modes et moyens de la traque aux vampires, mais aussi dans les affaires qui sont soulevées. L'ensemble de la série baigne dans un parfum conspirationniste prononcé, de part et d'autre, qui lui confère une ambiance particulière. Cela n'en souligne que plus l'influence manifeste de son époque (X-Files). Les vampires sont présentés comme l'ennemi. Ils sont organisés, mais le fonctionnement de leur communauté reste un mystère qui ne sera jamais approfondi : ils renvoient l'image d'une tentacule inquiétante qui avance ses pions dans l'ombre et coordonne des plans vers un but inconnu. Du côté de l'unité qui lutte contre eux, les choses sont tout aussi opaques : le secret y est cultivé, avec la paranoïa et l'isolement qui vont avec, et les méthodes expéditives peuvent en choquer plus d'un. Entre ces deux camps, se trouvent les humains qui représentent l'enjeu véritable, inconscients du danger qu'ils courrent.

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Cultivant ses ambiguïtés, Ultraviolet confronte souvent l'existence des vampires à des thèmes qui se rattachent plus à des fictions dramatiques que fantastiques. Après deux épisodes introductifs à la structure assez prévisible ayant pour but de poser les codes de l'univers créé, les quatre derniers sont plus aboutis, laissant entrevoir tout le potentiel de l'approche choisie. La série ne se limite pas à raconter des expérimentations vampiriques, elle prend le temps de s'intéresser à toutes leurs conséquences humaines, se greffant sur d'autres enjeux. Ainsi, le troisième épisode aborde le thème du désir et de la perte d'un enfant, ainsi que de l'avortement. Quant au quatrième épisode, il conduit à évoquer le sujet de la pédophilie. Si elle manque parfois quelque peu de subtilité, la série se révèle capable de délivrer des histoires poignantes, d'autre fois proprement glaçantes, entremêlant confusément horreurs humaines et vampiriques. L'humanité n'y est pas présentée sous un jour positif, avec le constant rappel des capacités d'autodestruction des humains qui peuvent indirectement détruire les vampires en se détruisant eux-mêmes.

Si Ultraviolet fonctionne dans un registre de série d'ambiance, la froideur de son écriture peut cependant rendre difficile l'implication du téléspectateur auprès de personnages qui mettent un peu de temps à s'étoffer. Un réel effort d'humanisation est pourtant entrepris. A côté du personnage de Michael, clé d'introduction nécessaire du téléspectateur, mais dont l'évolution reste assez binaire, ce sont les deux figures responsables initialement en retrait qui s'imposent dans la seconde partie de la série. Angie Marsh s'est retrouvée dans l'organisation après que son mari soit devenu vampire et ait été réduit en cendres. Elle n'a pas seulement perdu un époux, mais aussi une fille dans la tragédie. Le deuil, ainsi que la trahison, restent douloureux. De plus, son mari était un scientifique destiné à jouer un rôle dans les plans en cours des vampires. Derrière l'image froide et résolue qu'elle renvoie, se perçoivent peu à peu des fissures bien plus humaines. Quant au dirigeant de l'unité, Pearse Harman, c'est un religieux : le combat qu'il mène revêt donc une dimension particulière à ses yeux. Tout en permettant d'aborder la question de la foi et de la place des vampires par rapport à Dieu, il conduit à évoquer la tentation de l'immortalité, confronté à sa propre faillibilité lorsqu'un cancer lui est diagnostiqué. 

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Sur la forme, Ultraviolet est une série qui joue sur sa noirceur ambiante, tout en respirant les 90s' (de la tendance aux plans trop serrés, jusqu'aux tenues de ses personnages). En dépit de ses limites, elle développe cependant une atmosphère assez inquiétante, flirtant à l'occasion avec les codes de l'horreur. Les thèmes musicaux employés contribuent à cette tonalité. N'essayant pas de rentrer dans une course aux effets spéciaux que son budget ne pouvait soutenir, la série privilégie surtout le suggestif, optant pour une écriture qui reste tout en retenue dans son incursion dans le fantastique. Visuellement, elle est donc datée, sans que cela empêche le téléspectateur se prendre au jeu.

Enfin, outre les amateurs de fictions vampiriques, Ultraviolet peut certainement retenir l'intérêt du sériephile grâce à son casting. C'est par l'intermédiaire du personnage de Jack Davenport (This Life, Coupling, Smash) que le téléspectateur ait introduit dans l'univers de cette chasse aux vampires, puisque ce sont les circonstances qui le projettent malgré lui dans cette organisation face à laquelle il conservera toujours un esprit critique. Après 2 épisodes, la série se recentre sur ses collègues : Idris Elba (The Wire, Luther) fait office d'équipier, Philip Quast (Corridors of Power) dirige l'ensemble de ce département un peu particulier, et enfin Susannah Harker (House of Cards, Pride and Prejudice) s'impose en scientifique au rôle clé. Côté guest-star, notez que la série réalise une oeuvre d'utilité publique et un de mes fantasmes sériephiles : celui de réduire en cendres Stephen Moyer, déjà vampirisé des années avant True Blood. Elle accueille également Corin Redgrave, en vampire capturé, qui conduira à plusieurs confrontations intenses.

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Bilan : Ultraviolet s'offre une approche du thème des vampires volontairement modernisée et presque démythifiée qui lui confère une identité propre. Paranoïaque et ambivalente, la série n'hésite pas à troubler les lignes et à interroger sur cette lutte implacable engagée contre ces créatures de la nuit. Traitant de thématiques fantastiques classiques, elle ne se cantonne pas aux seuls enjeux surnaturels, proposant des intrigues dramatiques solides. Elle s'affirme d'ailleurs progressivement au fil de ses six épisodes. Certaines limites du développement de ses personnages sont compensées par l'ambiance et les sujets abordés. Au final, elle se regarde avec intérêt, cette unique saison formant un arc dont la fin est ouverte, mais peut faire office de conclusion.

En résumé, sans la qualifier d'incontournable, elle est une curiosité que je conseillerais aux amateurs de fictions vampiriques qui souhaiteraient voir ce thème adapté au contexte des 90s' et à son parfum conspirationniste.


Côté pratique, il faut savoir que même si Ultraviolet est disponible en DVD en France, l'édition semble être à éviter : elle ne contient qu'une version française et la piste audio du premier épisode est apparemment désynchronisée... En Angleterre, un coffret DVD a été réédité ce printemps : en plus de la version originale, on y trouve également quelques bonus ; en revanche, aucun sous-titre, même anglais. Donc à réserver à ceux qui maîtrisent suffisamment l'anglais (mais la série ne présente pas de difficulté linguistique particulière).



NOTE : 7,25/10


La bande-annonce de la série :

16/06/2013

(Pilote UK) Dates : les incertitudes d'un premier rendez-vous

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Cette semaine a débuté en Angleterre, sur Channel 4, une intéressante série relationnelle : Dates. Certains parmi vous se souviennent peut-être que l'année dernière à la même époque, BBC1 s'était aussi essayée - avec moins de succès - aux instantanés amoureux dans la série True Love. Dates emprunte un format quasi-anthologique assez proche. Il s'agit d'une création de Bryan Elsley, co-créateur de Skins. Seulement, cette fois-ci, ce ne sont plus des instantanés d'adolescence, mais les méandres amoureux de vies d'adultes qui ont retenu son attention.

La série comptera un total de 9 épisodes, d'une durée de 25 minutes chacun environ. La programmation suit un rythme particulier : après avoir diffusé trois épisodes en première semaine, du lundi au mercredi (à partir du 10 juin), elle se fixera sur deux épisodes les mardi et mercredi. C'est donc au terme de la première fournée (les trois premiers épisodes) que j'écris cette review. Car Dates s'est révélée être une jolie surprise, fraîche et humaine juste comme il faut pour traiter d'un tel sujet.

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Dates repose sur un concept simple : il s'agit de raconter le premier rendez-vous, à l'aveugle, organisé entre deux utilisateurs d'un réseau en ligne de rencontres. L'épisode couvre donc une seule soirée, la plupart du temps débutée dans un bar ou un restaurant, et dont les suites varieront en fonction du déroulement du rendez-vous. Dans cette quête du grand amour, il faut bien reconnaître qu'il y a plus de désillusions ou de nuits sans lendemain que de relations au long court qui naissent dans ces circonstances. L'excitation initiale du premier contact fait souvent place à la déception. Mais qu'importe. Dates nous raconte une prise de risque, une tentative... en s'intéressant à la manière dont ce premier échange a lieu, révélateur de bien des hésitations et des maladresses, et oscillant entre séduction et tergiversation.

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Le charme de Dates tient à la simplicité et à la fraîcheur qui émane de la série. L'écriture privilégie une spontanéité pleine de naturel pour relater le déroulement d'une soirée et tous les aléas qui accompagnent invariablement le premier rendez-vous. La brièveté des épisodes conforte le dynamisme d'ensemble. Chacun commence par s'évaluer, ne sachant trop sur quel pied danser. Une fois dépassées les hésitations initiales, les échanges se font de plus en plus vifs. Après une mise en confiance, les réparties fusent, parfois trop vite, suivies ensuite de longs silences gênés. La série capture à merveille toute l'incertitude que représente ce moment où chacun se jette à l'eau sans savoir quelles sont les attentes réelles de leur vis-à-vis : le nom sous lequel il est inscrit sur le site est-il seulement le sien ? S'agit-il de charmer cette personne, de poser des fondations pour apprendre à la connaître et envisager un futur ensemble ? Un seul premier coup d'oeil doit-il suffire pour couper toute envie de poursuivre la rencontre ? Autant de questions qui peuvent se reproduire selon des déclinaisons extrêmement diverses en fonction du duo mis en scène.

L'autre atout de Dates tient justement à la diversité inhérente à son concept. Les associations, auxquelles conduit le hasard d'une rencontre virtuelle par profils interposés, sont parfois surprenantes... Chaque épisode joue sur les contrastes entre les deux protagonistes, le téléspectateur s'invitant à leur table sans avoir non plus de connaissance préalable sur les motivations de chacun. Il y en a souvent un dont on se sent plus proche, parce que la caméra a plus insisté sur lui. Mais c'est seulement par leurs confidences volontaires que l'on cerne peu à peu chaque personnage. La diversité se retrouve aussi dans la tonalité ambiante de la série, oscillant entre espoir, rire et désillusion. La soirée passe souvent par plusieurs stades, frôlant la catastrophe par moment, pour finalement, à l'occasion, partir sur une dynamique inattendue avec quelqu'un qui ne semblait a priori pas fait pour soi. Le premier épisode offre d'ailleurs un condensé de toute la richesse et de la versatilité de ce drama relationnel, évoluant de la confrontation aux confidences avec un naturel déconcertant. Le rire se fait même communicatif lorsque Mia reste sans voix suite à la révélation du nombre d'enfants de son rendez-vous. Le portrait de chacun est ainsi dressé par petites touches, révélant le meilleur... ou le pire, pour offrir une série qui marque précisément par son humanité.

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Tournée à Londres en début d'année, Dates a pour cadre la capitale anglaise. Si tout semble devoir invariablement commencer dans le huis clos d'un restaurant, la série s'évade aussi en extérieur en fonction des épisodes. La réalisation est soignée, privilégiant ce même naturel qui se retrouve dans les dialogues. Bonus non négligeable, la série débute par un bref générique d'une vingtaine de secondes, coloré et londonien, qui met le téléspectateur dans l'ambiance et donne parfaitement le ton, pétillant juste comme il faut (pour un aperçu, cf. la première vidéo ci-dessous).

Dates peut également se reposer sur les prestations d'une galerie d'acteurs très solides. Chaque épisode se concentre sur deux personnages, le format quasi-anthologique explique donc le turn-over. Cependant, certains protagonistes seront croisés à plusieurs reprises dans la série, les découvrant dans des configurations de premier rendez-vous différentes. C'est le cas, dans deux des trois premiers épisodes, d'Oona Chaplin (The Hour, Game of Thrones), qui délivre une superbe performance, pleine d'aplomb. Parmi les nombreuses têtes familières, la série sera l'occasion de retrouver également Andrew Scott (Sherlock, The Town), Will Mellor (White Van Man, In with the Flynns, Broadchurch), Neil Maskell (Utopia), Sheridan Smith (Mrs Biggs), Katie McGrath (Merlin), Ben Chaplin (Mad Dogs), Greg McHugh (Fresh Meat), Gemma Chan (Bedlam), Montanna Thompson (The Story of Tracy Beaker) et Sian Breckin.

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Bilan : Humaine et attachante, Dates plonge le téléspectateur dans une suite d'instantanés relationnels dépeints avec une fraîcheur et un naturel aux accents très authentiques. L'idée de centrer la série sur le premier rendez-vous est un concept qui a le mérite de pouvoir se décliner à l'infini, mettant en scène bien des associations inattendues. Capturant les spécificités et les aléas de chaque rencontre, les épisodes, courts, sont très plaisants à suivre, bénéficiant d'un dynamisme et d'une justesse de ton très appréciables. Dates apparaît donc comme un drama relationnel, à la tonalité aussi versatile que la vie, qui répond parfaitement aux attentes que le projet avait pu susciter. Avis aux amateurs !


NOTE : 7,5/10


Le générique (pétillant) de la série :


Une bande-annonce de la série :

03/03/2013

(UK) Complicit : questionnements et doutes sur la lutte antiterroriste et ses moyens

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Les thèmes de l'espionnage et de la lutte antiterroriste ont été tellement rebattus ces dernières années qu'il devient difficile de trouver une place dans ce - vaste - genre pour toutes les fictions qui s'y essaient encore régulièrement. Certaines y parviennent cependant. C'est le cas du téléfilm d'une durée d'1h30 diffusé par Channel 4, en Angleterre, le dimanche 17 février 2013, intitulé Complicit.

Ecrit par Guy Hibbert, il traite des moyens de cette lutte contre le terrorisme et plus précisément du choix du recours à la torture. D'une sobriété exemplaire, Complicit est un essai intéressant pour traiter de ce thème, loin de toute recherche de sensationnalisme ou de sur-dramatisation. C'est aussi l'occasion de retrouver David Oyelowo au MI-5 quelques années après Spooks, dans un registre bien différent que celui proposé par la référence anglaise d'espionnage de la dernière décennie.

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Edward Ekubo est un agent du MI-5. Cela fait trois ans qu'il surveille un individu ayant la citoyenneté britannique, suspecté d'appartenir à une mouvance terroriste, Waleed Ahmed. Au vu des indices et informations collectés, il est persuadé que ce dernier s'apprête à passer à l'action, planifiant une attaque à l'arme chimique au sein même du Royaume-Uni en recourrant à ce poison qu'est la ricine. Seulement sa conviction repose sur des déductions et des recoupements qui sont insuffisants pour convaincre ses supérieurs de l'urgence de la situation. Il parvient cependant à obtenir une surveillance à l'étranger de son suspect.

Passant par le Yemen, Waleed Ahmed arrive finalement au Caire. Il y est arrêté par la police locale en contact avec d'autres suspects de liens terroristes et des fermiers soupçonnés de produire le poison mortel. En débarquant en Egypte, Edward déchante cependant vite : les autres suspects sont tous revenus sur leurs aveux initiaux, extorqués après de rudes interrogatoires, et Waleed, affirmant avoir été victime de mauvais traitement, invoque sa citoyenneté britannique et les droits qui y sont attachés auprès des agents venus de l'ambassade. Seulement le temps presse, car Edward est persuadé que la ricine est déjà en route vers sa cible.

Un colonel des services de sécurité égyptien lui assure alors qu'il obtiendrait ces informations s'il avait l'occasion d'interroger son suspect suivant ses propres méthodes...

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Complicit est une fiction lente, d'une sobriété appliquée. Loin de toutes recherches de sensationnalisme, elle désamorce tous les clichés d'action ou de rebondissements multiples auxquels on associe communément nombre des fictions de ce genre. Le quotidien des services de renseignements britanniques y est rythmé avant tout par de longues surveillances et d'interminables procédures complexes. Pour nous présenter un exemple particulière d'affaire au sein de la lutte antiterroriste actuelle, le téléfilm adopte entièrement le point de vue d'Edward. La narration fait preuve alors d'une intéressante neutralité : laissant place à l'interprétation, elle donne des faits, expose des coïncidences et nous fait partager les soupçons du personnage principal, mais elle n'assène jamais une vérité univoque. Elle suggère, questionne implicitement, tout en subtilité. Cela a d'ailleurs pour conséquence de progressivement distiller le doute sur la réalité de la situation racontée, loin d'une simple chasse à un terroriste identifié : les intuitions et les déductions d'Edward sont-elles seulement justes, envers et contre le scepticisme de ces collègues et de ces supérieurs ?

Complicit est en fait une oeuvre qui évolue dans une zone grise, loin de tout manichéisme. Plusieurs réflexions s'esquissent au fil du récit. Initialement c'est la position même d'Edward au sein du MI-5 qui pose question : quelle est la source du manque d'avancement et de la relative défiance de ses supérieur ? Est-ce qu'il sur-interprète simplement des faits, sa compétence doit-elle remise en cause ou bien est-il victime d'une forme de discrimination parce qu'il n'appartient pas à l'establishment ? Ensuite, après l'arrestation de Waleed en Egypte, une autre problématique est introduite : jusqu'où peut-on aller pour récupérer des informations ? Quelle est la valeur (et la réalité) d'aveux obtenus sous la contrainte ? Une démocratie qui se veut garante des droits de l'homme peut-elle admettre et utiliser des régimes qui recourrent à la torture pour parvenir à ses fins ? Entre la position légale officielle et la réalité du terrain, où se situe le curseur ? La formulation de ces différentes problématiques demeure implicite, et surtout, Complicit n'impose aucune réponse toute faite, se contentant de présenter avec neutralité son cas d'espèce compliqué. La fin est à l'image de la tonalité de la fiction : ce n'est pas tant le recours à de telles méthodes que le fait d'avoir été découvert et exposé qui vaut condamnation.

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Sur la forme, Complicit est une fiction soignée. La caméra s'attarde sur les visages, capture les expressions plus parlantes que mille et un dialogues. Le téléfilm sait user du silence et se ménager des temps de pause quasi-introspectifs au cours desquels les mises en scène et les images prennent le relais pour raconter l'histoire. C'est donc une oeuvre digne d'intérêt à plus d'un titre, formellement solide et convaincante.

Enfin, Complicit est l'occasion, pour le nostalgique des jeunes années de Spooks de retrouver en agent du MI-5, David Oyelowo, dans un registre différent : celui d'un officier suivant obstinément ses instincts lesquels, peu à peu, lui font prendre une pente dangereuse où même le téléspectateur peut en venir à douter. Face à lui, Arsher Ali (Beaver Falls) nous offre notamment une grande et fascinante scène de confrontation dans les geôles égyptiennes. A leurs côtés, on retrouve quelques têtes familières du petit écran britannique, comme Stephen Campbell Moore (Titanic, Hunted), Monica Dolan (Occupation, Appropriate Adult), Sebastian Armesto (The Palace, Little Dorrit) ou encore Paul Ritter (Vera, Friday Night Diner). On croise également Nasser Memarzia et Makram Khoury (House of Saddam).

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Bilan : Au sein d'un genre d'espionnage où il est souvent facile de présenter des luttes manichéennes, avec des réalités bien identifiées et des camps clairement définis, l'approche de Complicit se révèle intéressante à plus d'un titre. Loin de toute surenchère, ce téléfilm relate un cas d'espèce particulier, en nous plongeant dans une zone grise où l'on est amené à questionner les motivations et les jugements de chacun : qu'il s'agisse d'Edward et de son obsession pour Waleed, ou du MI-5 et de ses réserves vis-à-vis de son agent. De même, les problématique du recours à la torture, mais aussi de son admission par une démocratie occidentale, sont esquissées, prouvant la richesse de cette fiction. Son traitement très neutre est un atout, même si c'est aussi une limite car on aurait aimé voir certains thèmes plus explorés, l'oeuvre préférant laisser souvent tout en suspens. L'ensemble n'en reste pas moins une approche de la lutte antiterroriste qui mérite la curiosité.


NOTE : 7,5/10


Une bande-annonce :