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16/01/2014

(RUS) Семнадцать мгновений весны / Semnadtsat mgnoveniy vesny (Seventeen Moments of Spring) : un espion soviétique dans les cercles du pouvoir nazi



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La figure de l'espion Russe continue d'inspirer les chaînes de télévision ces dernières années : aux États-Unis, la saison 2 de The Americans arrivera sur FX le mois prochain, tandis qu'ABC proposait de débuter 2014 dans les années 80 en cherchant à débusquer une taupe soviétique à la CIA avec The Assets. Inspirée d'une histoire vraie, cette dernière mini-série n'aura cependant tenu que deux épisodes avant d'être sacrifiée sur l'autel des audiences le week-end dernier. Un peu auparavant, il est aussi possible d'évoquer Ta Gordin en Israël qui, pareillement, mettait en scène les démêlés d'agents russes, de nos jours. Histoire de contrebalancer ces présentations et de poursuivre mes explorations de fictions d'espionnage, il était donc temps de changer de perspective, et de se placer, non plus du point de vue du pays infiltré, mais de celui de la Russie. Ou plus précisément de l'URSS !

Si My Télé is rich! a déjà eu l'occasion de parler à plusieurs reprises de séries russes, c'est la première fois que je remonte vraiment le temps dans le petit écran de ce pays : aujourd'hui, je vous propose de nous intéresser à une fiction soviétique, diffusée en 1973. Comportant 12 épisodes, de 70 minutes environ, Semnadtsat mgnoveniy vesny (Seventeen Moments of Spring) avait été proposée à l'époque en noir & blanc ; une version colorisée existe depuis 2009, mais elle conduit à faire perdre une quinzaine de minutes à chaque épisode, d'où la préférence accordée à l'originale. Réalisée par la cinéaste Tatyana Lioznova, cette série est une adaptation d'un livre de Yulian Semyonov. Elle met en scène une figure soviétique populaire de l'espionnage, Maxim Isaev, dont les aventures ont été relatées dans toute une suite de romans. Communément considérée comme un des thrillers soviétiques les plus aboutis dans le registre des jeux d'espion, cette série reste aussi l'une des plus populaires de l'histoire télévisée russe. Un grand merci à Greg pour m'avoir incité à débuter l'année 2014 avec ce très intéressant rattrapage.

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Si les conditions de création de Seventeen Moments of Spring, perceptibles à l'écran, sont celles de la Guerre Froide, la série traite d'une période antérieure. Elle se déroule à la fin de l'hiver 1945 en Allemagne. L'issue de la Seconde Guerre Mondiale ne fait alors plus guère de doute, mais ce qui est déjà en jeu dans l'esprit des différents protagonistes, c'est le sort de l'Europe après la capitulation nazie. Sur ce point, les Alliés -Américains et Anglais d'une part, Soviétiques d'autre part- ne partagent pas les mêmes vues. Essayant de tirer leur épingle de l'opposition latente existant au sein du camp adverse, des dignitaires nazis tentent d'initier des négociations de paix séparées, pour en finir avec le front ouest et présenter un rempart contre le communisme en Europe.

Max Otto von Stierlitz est un officier SS du service de renseignements (SD). S'il est parfaitement intégré dans les cercles du parti et du pouvoir nazi à Berlin depuis les années 30, son vrai nom est en réalité Maxim Isaev. Il est un colonel soviétique qui, non seulement transmet des informations importantes sur le régime, mais sabote aussi à l'occasion certains des projets de ce dernier. Il a su jusqu'à présent rester insoupçonné dans ce jeu d'échecs dangereux qu'il mène au sein des hautes sphères du pouvoir. En février 1945, Moscou le contacte au sujet de rumeurs de négociations séparées commencées en Suisse par un haut responsable du régime. Stierlitz a pour mission de déterminer la réalité de cette information et d'empêcher, si elle s'avère confirmée, que ces discussions aboutissent. Au sein d'un régime qui se sait condamné, l'agent soviétique va jouer une partie extrêmement risquée, d'autant que certains s'interrogent sur ses agissements passés...

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Seventeen Moments of Spring est une fiction d'espionnage finement menée. Délaissant le registre de l'action, elle s'inscrit dans un registre aussi feutré que tendu, dans lequel chaque protagoniste avance ses pions, jouant une partie dont il est parfois le seul à connaître l'existence. Le récit est complexe, cultivant une tension psychologique de plus en plus pressante au fur et à mesure que l'intrigue progresse. Les jeux d'espions mis en scène n'ont rien de coups d'éclats : ils reposent avant tout sur l'analyse, la réflexion, la logique et une prise de risque calculée pour atteindre l'objectif fixé. Une grande partie des manœuvres de Stierlitz consiste ainsi à prendre la bureaucratie SS à son propre piège de ses concurrences entre services, de ses querelles d'égos et de sa rigidité de fonctionnement. L'agent soviétique exploite les allégeances diverses au sein des cercles de pouvoir nazis pour mener à bien une partie où la moindre erreur, la plus petite faille dans ses justifications, peut lui être fatale. Le suspense est souvent intense, le danger permanent. A fortiori dans le contexte particulièrement fébrile de ce dernier hiver 1945 où tout paraît exacerbé : le soin même avec lequel Stierlitz s'efforce d'afficher une loyauté en apparence irréprochable finit par être source de soupçons à une période où ce sont les fondations du régime qui vacillent...

Si Seventeen Moments of Spring met en scène un agent soviétique aux nerfs d'acier, maître espion par excellence, cette figure idéale s'impose si fortement à l'écran parce que Stierlitz est justement confronté à des adversaires de choix qui ne sont pas cantonnés à une simple fonction de faire-valoir. Initialement, la série met l'accent sur ce qui réunit tous ces dignitaires nazis : ils semblent tous sortir du même moule à en croire les caractéristiques égrenées par les fichiers des services secrets soviétiques dont les présentations sonnent vite répétitives. Mais leurs aspirations et leurs modes de fonctionnement sont très divers. Le QG des SS, où une grande partie de l'action se déroule, devient un huis clos où chacun semble servir son propre agenda, manipulant, espionnant, omettant de transmettre des informations... Plusieurs individualités se démarquent par leur intelligence, comme autant de pièces-maîtresses sur l'échiquier que doit exploiter Stierlitz ; autant de pièces qui visent également au contrôle de l'échiquier. Un affrontement particulier, avec Heinrich Müller, offre quelques face-à-face d'une rare maîtrise et d'une intensité marquante. Ajoutant une tension supplémentaire, tous ont conscience de l'imminence de la défaite, de l'écroulement à venir du régime nazi. La série apparaît donc aussi en filigrane comme le portrait d'une institution condamnée.

Cette fin d'hiver 1945 confère d'ailleurs une dimension supplémentaire au récit, y compris pour Stierlitz qui a dû faire ses propres sacrifices pour maintenir sa couverture et une infiltration qui dure depuis les années 30. Si le professionnalisme de l'agent n'est jamais pris en défaut, avec une forme de célébration perceptible dans certaines scènes, Seventeen Moments of Spring n'est pas pour autant une fiction dénuée d'émotions. Les sentiments n'ont certes pas leur place dans les jeux d'espions létaux mis en scène, mais les protagonistes n'en demeurent pas moins des êtres humains. La façade présentée par le maître-espion soviétique n'est donc pas imperturbable. A ce titre, sa vie personnelle n'est pas ignorée : marié en URSS, Stierlitz n'a revu qu'une seule fois sa femme depuis le début de sa mission. Les services secrets russes avaient arrangé une rencontre dans un restaurant, mais les deux époux n'ont pu échanger directement pour des raisons de sécurité. Il s'ensuit une scène muette à l'écran, où un long regard croisé apparaît plus expressif que tout dialogue. Choisir entre les exigences de la mission et ce que, impulsivement, tout être humain ferait, est un arbitrage constant, dont la difficulté n'est jamais niée. Le sort de Katherin et de son enfant sera pareillement une source de dilemme que la série saura souligner.

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Sur la forme, Seventeen Moments of Spring bénéficie d'une réalisation soignée. Une voix off fait office de narrateur omniscient : guidant le téléspectateur dans le récit, elle le glisse également dans les pensées des personnages, offrant des parenthèses narratives instructives qui, si le style peut dérouter, permettent d'apporter une épaisseur supplémentaire au récit. De plus, la série a fréquemment recours à des images d'archives, présentant de cette manière des évènements ou des figures historiques. Si le récit n'est pas exempt d'inexactitudes historiques, cette inclusion de documents vidéos d'époque immerge vraiment le téléspectateur dans les enjeux du conflit. La bande-son ne laisse pas non plus indifférent, avec quelques chansons récurrentes, dont les versions chantées ou musicales rythment l'ouverture et la fin des épisodes, ainsi que plusieurs scènes marquantes. Les versions chantées, teintées d'une certaine mélancolie, sont interprétées par Joseph Kobzon qui -comme le soulignait Greg dans son commentaire- n'est pas un inconnu des sériephiles explorateurs puisqu'il figurera deux décennies plus tard dans la bande-son d'un des dramas sud-coréens les plus marquants des années 90, The Sandglass.

Enfin, un dernier élément qui permet à Seventeen Moments of Spring de se démarquer est la performance d'ensemble d'un casting très solide. Stierlitz est interprété par Vyacheslav Tikhonov (Voyna i mir -la version soviétique des années 60 de Guerre & Paix). S'il n'a pas son pareil pour incarner ce super-espion au nerf d'acier, toujours capable d'analyser froidement une situation pour en tirer le meilleur parti, l'acteur impressionne surtout par sa faculté à laisser entrevoir derrière ce masque de professionnalisme des émotions qu'il sait transmettre au téléspectateur : si les mots sont toujours réfléchis, le regard se fait plus parlant et expressif au cours de certaines scènes qui, sans nécessiter le moindre dialogue, capturent parfaitement les dilemmes et autres tiraillements de l'agent, touchant ainsi le public. Tikhonov est aussi aidé par les adversaires de valeur qu'il doit manœuvrer : Leonid Bronevoy (Müller) et Oleg Tabakov (Schellenberg) se révèlent parfaitement à la hauteur des affrontements relatés. A leurs côtés, on retrouve Rostislav Plyatt, Yuri Vizbor, Mikhail Zharkovsky, Nikolai Prokopovich, Nikolai Volkov, Yekaterina Gradova, Yevgeniy Kuznetsov, Lev Durov, Svetlana Svetlichnava ou encore Vasily Lanovoy.

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Bilan : Seventeen Moments of Spring est une prenante fiction d'espionnage, au scénario complexe et au suspense très efficace. Elle met en scène des protagonistes travaillés -qu'il s'agisse de l'espion soviétique ou bien des quelques individualités qui ressortent parmi les dignitaires nazis- dont elle orchestre avec soin les confrontations. Son rythme lent laisse la part belle à l'analyse et à la réflexion : c'est une partie létale, admirablement menée, qui se joue au QG SS, loin de tout coup d'éclat. L'ensemble n'est cependant pas dénué d'émotion et d'humanité. Par ailleurs, d'un point de vue de téléspectateur occidental, la série présente un intérêt particulier puisqu'elle propose la fin de la Seconde Guerre Mondiale à travers un regard russe avec, déjà, la future Guerre Froide en ligne de mire qui se perçoit dans la mise en scène méfiante des autres Alliés.

Une série donc recommandée aux sériephiles curieux et à tout amateur de fiction d'espionnage, en particulier ceux qui ont apprécié les perles du genre des années 70 que sont Tinker, Tailor, Soldier, Spy et The Sandbaggers. Et, pour une fois, ce sera l'occasion de voir mis en scène un espion soviétique... par une série soviétique. Ce fut en tout cas pour moi une très intéressante découverte.


NOTE : 8/10


Une bande-annonce de la série (dans sa version colorisée) :

La dernière image de la série (avec la chanson la plus récurrente de la bande-son) :

Commentaires

Ton article est très complet et montre bien tout l'intérêt de la série. Je vois que tu as choisi la version en noir et blanc et tu as bien fait (la colorisation a certes été méticuleuse, mais je trouve le résultat peu naturel à l'écran).
Effectivement, la voix off apporte beaucoup au récit en dévoilant la vie intérieure de Stierlitz, étoffant singulièrement la psychologie du personnage.

La série semble avoir été très peu regardée en occident, mais en effectuant quelques traductions d'articles rédigés en langue russe, j'ai pu glaner quelques informations (outre les nombreuses blagues concoctées autour de Stierlitz et des autres protagonistes et qui témoignent de la popularité de la fiction).
On trouve pas mal d'anecdotes à propos du tournage. L'une d'elles m'a étonné: Tikhonov avait un tatouage sur la main gauche, qu'il n'était pas possible de montrer à la caméra, obligeant l'acteur à avoir une doublure main gauche pour certains gros plans.
Également, j'ai découvert que Mikaël Tariverdiev avait composé bien plus de morceaux pour la série que les quelques thèmes présents dans la bande originale. Cependant, on peut écouter en ligne un album comprenant l'ensemble de ces musiques.
J'ai aussi appris qu'une préquelle a été réalisée en 2009, une série de 16 épisodes intitulée Isaev Molodost Shtirlitsa (se déroulant au lendemain de la première guerre mondiale) et qui, d'après les quelques images que j'ai pu visionner, a cherché à retrouver l'esthétique du feuilleton de 1973.

Enfin, ces quelques recherches m'ont également permis de découvrir une autre série d'espionnage soviétique (pour l'anecdote, une des séries préférées de Vladimir Poutine), datant de 1968 et comportant 4 épisodes: Shield and Sword (Shchit i mech).
Réalisée par Vladimir Basov, avec Stanislas Lyubshin dans le rôle de l'espion Aleksandr Belov, c'est également une histoire d'espion russe infiltré dans l'Allemagne nazie.
Malheureusement, les sous-titres anglais semblent provenir d'une traduction automatique. Cependant, je vais quand même tenter de visionner la mini-série, en espérant parvenir à décrypter les dialogues.

Écrit par : Greg | 17/01/2014

Je trouve ce site remarquable car il donne envie de voir le monde avec un peu plus d'intelligence que la plupart des séries habituellement diffusées sur les chaînes gratuites et même payantes. Félicitations.

Écrit par : Yvo | 17/01/2014

Bonjour à tous !
Pour l'émission de reportage 100% MAG sur M6 tous les soirs à 19h , Je prepare donc un reportage sur les passionnés de séries TV.

-Alors je recherche donc des fans de séries TV, pour qui une (ou des) série prend beaucoup d'importance dans leur vie, que ca soit en regardant beaucoup les episodes, ou en faisant partie du fan club, ou en collectionnant ....
-Je recherche aussi des groupes de fans qui organiseraient des marathons série tv ou des soirées série tv entre fans, afin de mettre en valeur le coté actif des fans français !

C'est moi qui viendrais vous voir pour le reportage, l'espace d'une demi journée ou une soirée, le temps de faire votre portrait et de mettre en valeur votre passion, savoir pourquoi elle vous a autant marquée :)
Le reportage doit avoir lieu entre le 1er février et le 9 février. Et il durera en tout 6 minutes pour 100% MAG .
Si vous vous sentez concernées et que vous voulez plus d'infos, n'hésitez pas à m'appeler dès maintenant au 01.82.28 31 16 qu'on s'en parle de vive voix, ou par mail morgane@soda-presse.fr
A très vite j'espère,

morgane

Écrit par : morgane | 29/01/2014

En complément :

@ Greg : Dans la continuité de nos discussions sur les séries russes et leurs espions soviétiques, une intéressante lecture qui parle de la télévision russe actuelle et de la place qu'occupent les espions en son sein. On y retrouve mentionnées 'Seventeen Moments of Spring', ou encore 'Isaev'.
"How the KGB became Russia’s favourite TV heroes" : http://calvertjournal.com/comment/show/2433/the-rise-of-kgb-television-series

Écrit par : Livia | 18/05/2014

@ Livia
Merci pour le lien vers cet article très intéressant.Je ne savais pas qu'autant de séries d'espionnage ont été produites en Russie récemment.
J'ai laissé tomber le visionnage de Shchit i Mech, faute de sous-titres acceptables (j'hésite de plus à commander le DVD, de crainte d'y retrouver les mêmes sous-titres automatiquement traduits).

Cependant, il y a quelques mois, j'ai vu une autre mini-série soviétique culte datée de 1979: Mesto vstrechi izmenit nelzya (The Meeting Place Cannot Be Changed), une intrigue policière prenant place au lendemain de la seconde guerre mondiale, où se confrontent les deux protagonistes principaux, détectives de la police moscovite, à propos de leurs conceptions déontologiques divergentes. Certes, les thèmes abordés ne sont pas vraiment nouveaux pour le téléspectateur d'aujourd'hui familier des séries occidentales. De plus, sa brièveté (5 épisodes) limite quelque peu le développement des intrigues. Cependant, la distribution de qualité (notamment Vladimir Vysotsky, marquant dans son rôle de Zheglov, que l'on voit ici peu avant son décès), l'éclairage apporté sur les pratiques judiciaires dans l'URSS de Staline et la reconstitution de la vie moscovite de l'époque rendent la fiction assez intéressante.

Écrit par : Greg | 22/05/2014

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