15/12/2010
(K-Drama / Pilote) King Geunchogo : fresque épique à l'apogée du royaume de Baekje
Retour en Corée du Sud en ce mercredi asiatique ! En attendant Athena, arrêtons-nous sur une autre nouveauté du mois de novembre, une série appartenant à un tout autre genre pour lequel vous savez que je nourris un (léger) penchant, les sageuk (terme technique désignant les séries historiques). Après le peu convaincant Kim Soo Ro, j'avais très envie de me réconcilier avec ces dramas. Pourquoi donc, me suis-je dit, ne pas découvrir ce que les débuts de King Geunchogo valent, d'autant que Kam Woo Song figure au casting ?
La série est diffusée le week-end depuis le 6 novembre 2010 sur KBS1. Après avoir un peu tergiversé, je me suis finalement décidée à y "jeter un oeil", tout en songeant intérieurement qu'il n'était absolument pas raisonnable d'envisager de se lancer dans une série dont la durée annoncée est de 70 épisodes (le qualificatif de fresque prenant alors tout son sens). Sauf que, classiquement lorsqu'on manque de temps, ces premiers épisodes de King Geunchogo se sont révélés bien accrocheurs et calibrés comme il faut pour un début de grande épopée historique. Si cela ne m'indique pas jusqu'où je poursuivrais l'aventure, au moins cela mérite-t-il bien d'y consacrer un mercredi asiatique.
Ce qu'il y a de bien lorsque vous commencez à être un habitué des sageuk, c'est qu'en dépit de la vision historique extrêmement biaisée et romancée que cela vous apporte sur le passé d'un pays au sujet duquel vous étiez à l'origine complètement ignorant, des passerelles finissent par s'établir naturellement entre les séries. Et c'est ainsi que vous vous retrouvez à comprendre instantanément le bref exposé de recontextualisation que proposent les dix premières minutes de King Geunchogo, sans même avoir besoin de prendre des notes ou de se plonger dans Wikipedia. Certains diraient que c'est peut-être le signe que vous regardez trop de sageuk, mais honnêtement c'est surtout une conséquence du fait que la période des Trois Royaumes (Baekje, Silla et Goguryeo) semble demeurer une source d'inspiration inépuisable pour les scénaristes sud-coréens. Très concrètement, King Geunchogo s'ouvre donc à la fin de Jumong, sur un sempiternel problème de succession.
Ce dernier n'avait en effet pas l'intention de laisser le trône de son royaume échapper à son fils Yuri, mais sa reine, Sesuno, ne l'entendait pas ainsi. Plutôt que de faire basculer Goguryeo dans une guerre civile fatale, elle choisit de le quitter, emmenant avec elle ses deux fils, Onjo et Biryu, en quête d'un nouveau territoire où refonder sa nation. C'est ainsi que les migrants partirent vers l'Ouest, pour y fonder un nouveau royaume au sein de la péninsule coréenne : Baekje. Nous étions alors à la fin du Ier siècle avant J.-C.. Plusieurs centaines d'années passèrent. Le royaume atteint son apogée militaire et culturelle au IVe siècle, sous le règne du roi Geunchogo, couvrant alors un territoire qui s'étendait sur toute la moitié ouest de la Corée. C'est l'avènement de ce dernier que la série se propose de nous raconter.
Lorsque débute l'histoire, le prince Yeogu, ce futur souverain qui conduira Baejke vers la grandeur, occupe une position bien précaire au sein du royaume. Une prophétie l'a en effet désigné comme étant destiné à régner sur Baejke. Mais n'étant que le troisième fils du roi Biryu, et n'étant issu que de son union avec la seconde reine, cette annonce a surtout semblé poser les bases d'un conflit successoral inévitable, alors même que le royaume sort tout juste d'une période très troublée sur cette question pas encore pleinement résolue. Pour éviter cela et assurer à son fils aîné une accession au trône sans souci, Biryu a banni Yeogu du royaume, lui ordonnant de vivre du commerce de sel, sans se préoccuper des enjeux politiques et militaires.
Mais si la situation a pu perdurer ainsi en période de relative stabilité, Yeogu ne cherchant vainement que l'approbation, même du bout des lèvres, de son père, les choses sont sur le point de changer lorsque la série commence. En effet, les tensions avec le puissant royaume voisin de Goguryeo, à l'égard duquel le contentieux qui conduisit la reine Sesuno à l'exil nourrit un fort ressentiment et une concurrence que des conflits récurrents ont entretenu, ressurgissent à propos d'un territoire, perdu il y a un peu plus de 20 ans, lors des dernières escarmouches entre Baejke, Goguryeo et leurs voisins du Nord, les Hans. Le roi de Goguryeo s'était alors arrogé des terres que Baejke continue de réclamer. Pour résoudre ce conflit territorial qui empoisonne leurs relations, les rois des deux royaumes se proposent de se rencontrer pour tenter d'aboutir à une conciliation. Mais chacun nourrit des arrière-pensées peu avouables, caressant le secret espoir de balayer son rival.
C'est tout le fragile équilibre des pouvoirs au sein de la péninsule coréenne qui va être bouleversé par l'engrenage guerrier qui s'enclenche dans l'escalade à laquelle on assiste. Au milieu de ces évènements, Yeogu ne va pas pouvoir éternellement rester cet insouciant marchand de sel dont il avait embrassé le mode de vie. Il lui faudra des choix et peut-être suivre cette destinée à laquelle il est apparemment lié.
Il convient de saluer les débuts de King Geunchogo pour l'efficacité avec laquelle ils remplissent leur mission première : capter instantanément l'intérêt du téléspectateur, de façon à pouvoir ensuite se construire sur cette base. La série fait en effet le choix d'un démarrage rapide, sans longue exposition préalable. Le téléspectateur y retrouve condensés tous les ingrédients familiers du genre, que l'on s'attend légitimement à retrouver dans un sageuk. Sur ce point, la série fait quasiment figure de modèle du genre, parfaite pour permettre à un profane d'en découvrir les rouages.
Les premiers épisodes laissent ainsi une bonne place à l'action, permettant de dynamiser l'ensemble avec son lot de combats et de maniement d'armes en tout genre. En toile de fond, se découpent déjà des intrigues de cour fatales, se rapprochant plus des complots successoraux traditionnels que des guerres politiques internes entre factions, ce qui a l'avantage de permettre de rapidement discerner les différents camps en présence. Le tout s'accompagne d'une dimension humaine permettant de toucher le téléspectateur et l'invitant donc à s'investir dans l'histoire. Le thème central de ces débuts reste le désamour d'un père pour ce fils prodigue qui est pourtant sans doute le plus apte à mener leur nation dans la guerre. Enfin, l'ensemble est saupoudré d'un soupçon de romance potentiel, teintée de raisons d'état, aux allures d'amour impossible.
En résumé, à défaut de prise de risque narratif ou d'un effort d'originalité, la série a le mérite de présenter un cahier des charges classique dûment rempli et, ce qui est sans doute le plus important, des plus efficacement exploité. La narration est rythmée, les oppositions sont nettement soulignées et les rebondissements ne se font pas attendre. Si bien que l'attention du téléspectateur ne sera jamais prise en défaut au cours de ces trois premiers épisodes, où sont perceptibles tant ce parfum caractéristique de l'invitation à suivre des aventures mouvementées que ce souffle épique de l'Histoire avec un H majuscule qui menace de tout emporter. Sont donc posées des fondations solides sur lesquelles un scénario, riche en intervenants et en retournements de situations, devrait pouvoir efficacement se développer.
La seule réserve que je formulerais après ces débuts concerne sans doute la dimension humaine de la série qui demeure perfectible. En effet, les différents personnages, au-delà du seul héros, restent encore à humaniser et à individualiser, de façon à pouvoir présenter une galerie homogène de protagonistes auxquels le téléspectateur pourra s'attacher, afin de se sentir concerné par leur sort éventuel. Pour proposer une fiction pleine, il faudra donc non seulement poursuivre l'exploration de la personnalité de Yeogu, qui manifestement tient plus que tout à obtenir l'assentiment de son père, mais aussi prendre le temps de s'arrêter sur les autres intervenants, alliés ou ennemis, qui apparaissent pour le moment trop unidimensionnels. Mais la série n'étant pas pressée et ayant manifestement choisi de poser prioritairement l'action, le temps devrait naturellement conduire le drama à corriger cet aspect.
Solide sur le fond, King Geunchogo se révèle également soignée sur la forme, avec une réalisation plutôt travaillée qui passe notamment par des combats mis en scène et chorégraphiés de manière convaincante. La photographie est assez belle et sait mettre en valeur les couleurs des costumes comme des décors. Ne manque donc à ce drama qu'à se forger une réelle identité musicale, la bande-son étant trop peu présente à mon goût pour le moment.
Enfin, si le casting ne dépareille pas, l'ensemble reste cependant perfectible. Il y a encore de la marge pour réussir à réellement imposer les présences de certains personnages à l'écran, et il manque parfois d'une empathie véritable envers certains protagonistes. Cependant rien que le temps ne puisse corriger. Le rôle du prince et futur roi est dévolu à Kam Woo Sung, que j'avais découvert il y a quelques années au cinéma dans Le Roi et le Clown et dont le dernier drama, Alone in Love, datait de 2006. A ses côtés, la figure féminine de l'univers très masculin de la série est incarné par Kim Ji Soo (Women of the sun). On retrouve également à l'affiche des habitués des sageuk comme Lee Jong Won (The Kingdom of the wind, Kim Soo Ro, dernièrement dans Gloria), Lee Ji Hoon (You're my destiny), Ahn Jae Mo (dernièrement dans Freedom Fighter), Yoon Seung Won ou encore Lee Se Eun (Fly high).
Bilan : Proposant des débuts convaincants, King Geunchogo rassemble et exploite efficacement les ingrédients narratifs classiques du sageuk, esquissant déjà par instant le souffle épique caractéristique de la fresque historique que la série envisage de nous relater. Si la dimension humaine reste à mieux développer, pour s'assurer de l'investissement affectif du téléspectateur, le drama se charge de nous faire immédiatement entrer dans une histoire dont on cerne rapidement tant l'importance des enjeux en cause, que les camps en présence.
Les amateurs du genre - ou les ambitieux pas effrayés par 70 épisodes qui souhaiteraient goûter à la saveur d'un sageuk - devraient pouvoir satisfaire leur curiosité sans hésiter.
NOTE : 6.25/10
Un bref teaser de la série :
Une bande-annonce de la série :
15:00 Publié dans (Séries asiatiques) | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : k-drama, king geunchogo, kam woo sung, kim ji soo, lee jong won, lee ji hoon, ahn jae mo, yoo seung won, lee se eun | Facebook |
14/12/2010
(CAN) Slings & Arrows : une dramédie vibrante, humaine et passionnée
Ce week-end, un peu par hasard, je suis retombée sur les deux premières saisons d'une des séries les plus injustement méconnues qui soit, Slings & Arrows. Composée de trois saisons et diffusée par une chaîne habituée des valeurs sûres, The Movie Network, de 2003 à 2006, cette production, co-créée par des comédiens aux multi-talents, Mark Mckinney (un ex du Saturday Night Live), Bob Martin et Susan Coyne, est une incontournable qui figure sans aucun doute parmi les meilleures séries canadiennes. Mais elle reste malheureusement à ce jour tristement - et inexplicablement - inédite dans nos contrées.
Toute à mes souvenirs d'un visionnage qui remontait déjà à quelques années, je n'ai pas pu résister à lancer le pilote. Redécouvrir intact l'enthousiasme que l'on porte à une série est une agréable piqûre de rappel. Ce visionnage fut l'occasion de retrouver ce charme indéfinissable, jubilatoire mélange de drame et de comédie, qui caractérise une série au cadre théâtral résolument original.
Si bien que, bien consciente de la relative confidentialité de Slings & Arrows, je ne résiste pas à l'envie de consacrer une review à ce pilote, esquisse particulièrement réussie d'introduction à la première saison (qui compte six épisodes).
"To be, or not to be: that is the question : Whether 'tis nobler in the mind to suffer the slings and arrows of outrageous fortune, or to take arms against a sea of troubles, and by opposing end them?" (Hamlet, Acte III, Scène I)
Slings & Arrows nous plonge dans les coulisses agitées et passionnées du monde du théâtre, et plus précisément dans la préparation chaotique d'un festival consacré à Shakespeare, celui de New Burbage qui reste une référence culturelle dans le pays. Le coeur de la série réside dans les relations complexes qu'ont nouées trois figures de ce milieu, qui ont su toucher la perfection en mettant en scène une interprétation de Hamlet qui est restée dans les mémoires. Sept ans plus tard, le souvenir toujours vivace de cette poignée de représentations s'explique non seulement par la grâce dont leur adaptation avait semblé avoir été touchée, mais aussi par la conclusion plus dramatique qui avait clôt l'ensemble, l'acteur principal, Geoffrey Tennant, ayant craqué nerveusement sur scène en pleine pièce et ayant ensuite du être interné dans une institution psychiatrique quelques temps.
Tout en faisant référence à ces évènements fondateurs, le pilote de Slings & Arrows s'ouvre plusieurs années après. Tandis que Geoffrey, qui n'a jamais repris sa carrière d'acteur, s'occupe d'une petite compagnie au nom très évocateur de "Théâtre sans argent", loin des paillettes des circuits culturels officiels, Oliver Welles est, lui, resté le directeur artistique de New Burbage, l'actrice Ellen Fanshaw participant toujours à ses pièces. Hamlet a consacré la réussite professionnelle d'Oliver tout en le condamnant à placer tout le reste de sa carrière dans l'ombre de ce moment de grâce. Passé maître dans l'art de la commercialisation de ses projets, devenu plus un gestionnaire administratif qu'un directeur artistique à plein temps, Oliver a peu à peu perdu ce lien avec sa passion originelle pour le théâtre.
Le soir de la première ouvrant une nouvelle saison du festival, Oliver, se sentant plus vide que jamais, ressent un contre-coup encore plus violent en découvrant Geoffrey au journal télévisé, enchaîné à la porte de son petit théâtre dont le propriétaire veut les expulser. Rappel vibrant de ce que peut être cette passion dévorante pour cet art unique. Plus saoûl qu'à l'accoutumée, Oliver essaiera, cette nuit-là, vainement de se rabibocher au téléphone avec son ancien ami. Mais c'est finalement sur une route d'où surgira un camion lancé à pleine vitesse qu'il finira par échouer, s'y allongeant inconscient et complètement ivre.
Le pilote se termine ainsi sur cette mort absurde d'Oliver, écho symbolique cruel à la perte d'identité théâtrale de son festival. Mais, ironie de l'histoire, après quelques péripéties, et parce que l'ombre de cet instant magique d'il y a 7 ans demeure inconsciemment dans tous les esprits, c'est à un Geoffrey Tennant hésistant que va échouer le poste d'Oliver, afin de mettre en scène ce qui constituera sans doute le plus grand de ses défis : ses retrouvailles avec Hamlet. Les cinq épisodes suivants que comporte cette première saison nous feront vivre les préparations de la pièce, auprès d'une galerie de personnages hauts en couleurs, des acteurs jusqu'aux financiers, parmi lesquels on retrouve une figure des plus délicieusement sarcastiques, peut-être le produit de l'esprit pas pleinement apaisé de Geoffrey : l'incontournable Oliver, jamais aussi inspiré et envahissant qu'en fantôme venant conseiller son ancien ami.
La première caractéristique marquante de la série est sa richesse. En effet, Slings & Arrows est un petit bijou téléphagique rare qui parvient à trouver un équilibre instinctif et naturel dans l'alternance de tonalités qu'il va proposer. Bénéficiant d'une écriture particulièrement dynamique et inspirée, proprement brillante à l'occasion, la série mêle avec brio un humour noir jubilatoire et des histoires humaines touchantes. Ses dialogues, finement ciselés, régulièrement ponctués de réparties cinglantes et de remarques plus décalées, se savourent sans modération ; ils portent assurément la marque de ces grandes séries qui ont bâti leur succès sur la qualité des échanges entre leurs protagonistes.
Comédie noire ambivalente, à la fois profondément désillusionnée et naturellement portée par un enthousiasme inébranlable généré par la passion qu'elle met en scène, Slings & Arrows surprend par l'intensité et la diversité des émotions qu'elle suscite. D'autant qu'elle reste, plus sobrement, une invitation exaltante à accompagner une aventure humaine collective à laquelle le téléspectateur ne pourra pas rester insensible. Se basant sur une galerie de personnages hauts en couleurs, des acteurs dont il faut gérer l'égo jusqu'aux financiers ambitieux, la figure centrale de la série reste la personnalité fascinante de Geoffrey. Semblant constamment flirter avec toutes les limites, de la folie comme de sa passion dévorante pour le théâtre, c'est un visionnaire utopique qui doit soudain se muer en gestionnaire pragmatique. Entre envolées lyriques et ajustements nécessaires, le téléspectateur suivra avec un intérêt jamais démenti les répétitions assurément chaotiques que ce cocktail donnera, pour nous conduire sur un chemin de la conciliation d'où le théâtre devra triompher.
Au-delà de sa dimension humaine, ce qui fait l'originalité de Slings & Arrows reste son approche du thème particulier traité. En effet, la série constitue probablement le plus vibrant des hommages que le petit écran ait pu consacrer à cet autre art de la narration et de la mise en scène de récits, à l'ancienneté presque intemporelle, qu'est le théâtre. Rarement une fiction télévisée aura su si bien capter et retranscrire une passion artistique aussi dévorante, vécue de manière tellement intense qu'elle transportera les protagonistes - et le téléspectateur - aux portes de la rationnalité. C'est tout étonné que le téléspectateur découvre au coeur de la série une étincelle unique qui transmet cette ferveur théâtrale avec une intensité qu'il n'aurait pu soupçonner a priori.
Grâce à l'habileté de son écriture, portée par une simplicité narrative aux accents authentiques, Slings & Arrows fascine par l'empathie qu'elle réussit à créer. Tout en faisant redécouvrir d'un autre oeil les coulisses de cet art, la série apporte quelque chose d'inattendue : une forme de compréhension de ce que peut représenter, pour ces passionnés, un art dont elle parvient finalement à capter l'âme. Par ces quelques passages qui paraissent mettre à nu les ressorts artistiques de la nature humaine, Slings & Arrows est un modèle pour toutes ces fictions qui s'essaient avec plus ou moins de succès de nous plonger dans toute activité artistique.
Brillante sur le fond, Slings & Arrows reste très sobre sur la forme. La réalisation reste fidèle à l'esprit de la série, et la bande-son demeure minimale. Respectueux de l'unicité de la tonalité de cette oeuvre, c'est sans doute le générique qui résume l'atmosphère de Slings & Arrows. Attablés à un piano, dans un bar, deux des personnages secondaires y reprennent une chanson décalée, de purs passionnés, s'adressant à MacBeth. Original sur son format, mêlant simplicité et enthousiasme, on y retrouve finalement tous les ingrédients qui font de Slings & Arrows une série à part. (Pour jugez par vous-même, il s'agit de la première vidéo en bas de ce billet.)
Enfin, si la série parvient à si bien jouer sur cette impression de proximité et de naturel, elle le doit également à son casting, bénéficiant d'une galerie d'acteurs très solides. On retrouve en tête d'affiche une figure familière pour le téléphage, Paul Gross (Un tandem de choc, Eastwick), absolument brillant pour mettre en scène l'instabilité passionnée de Geoffrey. A ses côtés, Martha Burns incarne Ellen et Stephen Ouimette, Oliver. Ce trio se trouve épaulé par des acteurs très convaincants, comme Mark McKinney, Susan Coyne (également créateurs de la série), Rachel McAdams ou encore Don McKellar. Au fil des trois saisons, comportant en tout 18 épisodes, le casting sera en partie renouvelé, suivant les transformations de la troupe.
Bilan : Aussi vivante que profondément attachante, Slings & Arrows est une comédie noire savoureuse qui révèle une richesse inattendue fascinante. Tour à tour sarcastique, drôle, émouvante, voire cynique, elle mêle habilement les tons, tout en s'investissant dans une dimension humaine qui ne laissera pas indifférent. Vibrant hommage passionné à cet univers méconnu des coulisses du théâtre, au-delà du quotidien tumultueux, voire rocambolesque mis en scène, elle se révèlera également être une série plus touchante, qui saura parler avec justesse et beaucoup d'authenticité de la vie et de ses désillusions.
Chacune des trois saisons sera consacrée à la préparation de la représentation d'une pièce particulière de Shakespeare. La première sera ainsi dédiée à Hamlet, la deuxième à Macbeth et, enfin, la troisième au Roi Lear. Incontournable pour tout amoureux de théâtre comme pour tout téléphage qui retrouvera dans cette série ce qui fait l'essence de sa passion, Slings & Arrows est un de ces moments de télévision à part qui vous réconciliera avec tous les formats de narration. A consommer sans modération.
NOTE : 9/10
Le générique de la saison 1 de la série :
Une bande-annonce de la saison 1 :
17:55 Publié dans (Séries canadiennes) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : slings and arrows, the movie network, paul gross, martha burns, stephen ouimette, mark mckinney, susan coyne, don mckellar, rachel mcadams | Facebook |
12/12/2010
(US) Boardwalk Empire, saison 1 : entre gangster et politique dans les eaux troubles d'Atlantic City
Si vous êtes des lecteurs plus ou moins réguliers de My Télé is Rich!, vous connaissez ce relatif désamour avec les productions en provenance des Etats-Unis qui aura marqué mon année 2010. J'ai déjà fait suffisamment de billets pour tenter d'expliquer cet étrange désintérêt, en rupture avec les fondements de ma téléphagie. Le constat de ce dernier trimestre a été encore en deça de ce que je pressentais déjà cet été. C'est bien simple, en cet automne qui s'achève, j'ai regardé avec régularité et suis allée au bout de la saison d'une seule série venue d'outre-Atlantique : Boardwalk Empire.
Pour une raison ou pour une autre, par manque de temps comme de motivation, je n'ai retrouvé aucune de mes anciennes séries - alors même que je considère aimer Sons of Anarchy ou Friday Night Lights. De même, la suite de la saison 1 de The Walking Dead m'attend également (et j'avoue être assez curieuse de découvrir le résultat au vu des bilans si mitigés que j'en lis un peu partout sur la blogosphère). Mais je ne ressens pourtant ni le besoin, ni l'envie, de m'installer devant.
Il y aurait sans doute matière à rédiger un de ces posts de crise que j'affectionne (vous n'y échapperez sans doute pas, j'avoue en avoir déjà fait un brouillon cette semaine), mais en attendant, prenons au moins le temps de revenir sur LA perle rare de cette automne : une série américaine qui a su capter mon attention durant toute sa saison !
Comme je l'avais fait remarquer lors de ma review (poisitive) du pilote, Boardwalk Empire avait a priori tout pour me plaire : son thème, son époque, son casting et même sa chaîne de diffusion (je suis une retardataire qui n'est pas encore passée sur AMC). Le pilote était enthousiasmant, dévoilant un potentiel indéniable qui ne demandait qu'à être exploité. Le tout était donc de, justement, réussir à le faire éclore, pour ne pas rester une énième déclaration d'intention non concrétisée. Or, écrire que les débuts de Boardwalk Empire ont engendré une attente particulière dès les premiers épisodes, serait très exagéré. En effet, cette fiction s'est d'abord placée sous le signe du paradoxe, sorte d'écho à cette dichotomie que l'on retrouve parfois entre la série que l'on juge objectivement de qualité et celle que l'on va effectivement aimer.
Pendant la première partie de la saison, Boardwalk Empire a semblé constamment tourner autour de ce petit déclic nécessaire qui lui permettrait de véritablement s'imposer dans le paysage téléphagique. Cette impression ambivalente se traduisait par une intense frustration devant une reconstitution travaillée mais parfois trop distante, de laquelle on aurait aimé ressentir de réelles émotions, couplée par une absolue fascination jamais démentie devant la fresque ainsi dépeinte. Elle naviguait donc dans un entre-deux téléphagique pas pleinement satisfaisant : assez solide pour gagner sa place dans les programmes du téléspectateur, mais insuffisamment affirmée pour en trouver une dans son coeur. Or une série sans empathie, aussi soignée soit-elle, ne peut retenir l'attention à moyen ou long terme.
Reste que, finalement, c'est dans la durée que Boardwalk Empire aura su progressivement me conquérir, et c'est au cours du dernier tiers de la saison que j'ai vraiment commencé à attendre avec une relative impatience chaque épisode. Parce que oui, j'ai aimé cette première saison.
Le premier atout que Boardwalk Empire aura su efficacement exploiter dès le départ est une immersion riche et attrayante dans une certaine Amérique du début des années 20. Au-delà des moeurs débridées des milieux d'Atlantic City que nous suivons, par-delà des thématiques plus nationales comme le vote des femmes, c'est avant tout ce règne des faux-semblants qui, rapidement, fascine dans ce portrait. Le clinquant des apparences n'est que prétexte à tenter de donner le change. De la corruption généralisée, touchant tous les rouages d'un pouvoir assimilable à une marionnette fantoche dont d'autres, dans l'ombre, tirent les ficelles, à une violence qu'exacerbe la montée des enjeux financiers, nous est dépeint un milieu chargé d'ambivalences. Derrière le vernis policé, se révèle une pièce de théâtre impitoyable, faite de rapports de forces constants entre des protagonistes passés maître dans l'art de la mise en scène. Les masques n'y tombent qu'exceptionnellement, mais lorsqu'ils le font, l'instant est d'autant plus fort.
Car voilà bien le point fort de Boardwalk Empire : elle a cette spécificité d'être une série de gangsters tout autant qu'une fiction politique ; et c'est cela qui fait son originalité autant que sa richesse. La notion de "respectabilité" n'aura jamais semblé aussi creuse, aussi vaine, mais en même temps aussi indispensable et vitale, que dans les milieux que l'on y découvre. L'époque permet une confusion particulièrement poussée des genres, quasiment schizophrène par moment, au sein des élites de ces deux sphères du pouvoir, composées d'individualités appartenant à un même microcosme où tous se côtoient. Ce mélange autorise la série à s'approprier tant les codes narratifs de la fiction de gangster (entre règlements de comptes et développement d'activités illégales) et du politique (entre discours mielleux et élections truquées). Une sorte de Brotherhood sans ligne de démarcation. Le résultat est atypique parce que le récit joue sur de multiples tableaux habituellement beaucoup plus cloisonnés.
Cette dichotomie, entre les comportements socialement attendus de milieux aisés et les moyens utilisés pour maintenir cette influence, au sein de personnages désensibilisés à toutes les extrêmités de la violence, symbolise sans doute le mieux ce que représente la série et la perspective particulière qu'apporte ce cadre des années 20.
Si l'intérêt du téléspectateur ne s'est jamais démenti pour ce décor des plus passionnants, en revanche, c'est plus dans sa dimension humaine que l'histoire va mettre du temps à trouver son équilibre. Certes, la figure qui résume à elle-seule l'esprit de Boardwalk Empire s'est immédiatement imposée à l'écran sans contestation possible. En effet, Nucky Thompson représente, voire personnifie, à merveille toute l'ambiguïté de cette fiction : derrière son bagoût naturel et son pragmatisme assumé, se cache un maître de la manipulation, prêt à tout pour parvenir à ses fins. Dans ce jeu de pouvoirs permanent où tout n'est qu'apparence, le téléspectateur en est réduit à cette interrogation constante et malhabile, se demandant où commence le vrai Nucky et où finit l'homme d'affaires.
Cependant Boardwalk Empire a longtemps semblé un peu déséquilibré, son personnage central empêchant de réellement s'investir dans le sort des autres protagonistes, non pas en les occultant, mais plutôt parce qu'ils apparaissaient trop prévisibles, trop unidimensionnels, par rapport à cette figure tutélaire écrasante qu'incarne Nucky. C'est le temps qui a su corriger cela, avec la découverte progressive de différentes facettes de leur personnalités, se révélant dans la confrontation face à des situations inattendues. A mesure qu'ils gagnaient en épaisseur et en ambivalence, la série devenait plus homogène, permettant au téléspectateur de se sentir vraiment impliqué par le sort et les storylines de chacun. A un degré moindre, c'est d'ailleurs toute la galerie de personnages qui connaît cette maturation, les rêves parisiens brisés de la femme de Jimmy n'étant qu'un exemple parmi d'autres de la capacité de la série a peu à peu atteindre le plein potentiel de ses protagonistes.
Seule la transformation de l'agent fédéral ne m'aura pas convaincue : ce personnage excessivement monolithique m'aura laissée avec une impression de malaise contant durant toute la saison. A la différence des autres, ses erreurs et son hypocrisie ne l'humanisent jamais, continuant de le placer en porte-à-faux par rapport au téléspectateur.
Si sur le fond, la solidité de Boardwalk Empire n'aura jamais été démentie, en dépit d'une dimension humaine qui laissa un temps dans l'expectative, sur la forme la série aura parfaitement répondu aux attentes. Sans trop en faire, ni vouloir éblouir inutilement le téléspectateur, la caméra se sera finalement attachée à la mise en scène d'une reconstitution appliquée mais, somme toute, relativement sobre. La photographie fut ainsi travaillée et soignée, mais sans un esthétique trop clinquant. L'utilisation de chansons d'époqus, en particulier pour conclure les dernières scènes des épisodes, est restée récurrente, ajoutant un certain charme assez plaisant à cette immersion dans les années 20.
Côté casting, il n'y a aucun reproche à formuler. Comblé par des scénaristes inspirés qui lui ont réservé quelques scènes incontournables, Steve Buscemi a enfin l'occasion de pleinement nous démontrer tout son talent et il y réussit assurément avec brio. Pour ma part, si j'aimais déjà beaucoup Kelly Macdonald, la série a été l'occasion de redécouvrir Michael Pitt. Mon absence de cinéphilie fait que je ne l'avais pas recroisé depuis Dawson - qui n'était pas non plus une série dans laquelle je m'étais vraiment investie -, mais je l'ai trouvé très bon en personnage qui cherche sa place, entre une aspiration à une certaine normalité de vie famille et cette facette de tueur désensibilisé par les atrocités de la Première Guerre Mondiale. Le seul acteur à l'égard duquel j'émettrais quelques réserves serait sans doute Michael Shannon, mais il est probable que cela soit au moins en partie dû à la manière dont l'agent fédéral qu'il doit incarner est écrit.
Bilan : Boardwalk Empire n'aura donc pas été une révélation immédiate, mais plutôt une fiction qui se sera construite par et grâce au format de série qu'elle a adopté. Elle échappe à l'écueil d'une relative déshumanisation qui aurait pu l'affaiblir à moyen terme et réussit, dans sa deuxième partie de saison, une conciliation convaincante entre ce mélange des genres admirablement maîtrisés des codes de gangster et du politique, et une dimension humaine qui s'épanouit pleinement dans les figures ambiguës de ses personnages principaux qui n'auront cessé de gagner en épaisseur tout au long de la série, conduit par un Nucky Thompson absolument fascinant.
Cette première saison aura en un sens rappelé les fondements du format télévisé et sa différence fondamentale par rapport au cinéma. Une bonne série, c'est celle qui saura grandir et mûrir au fil de sa saison et ne se contentera des bases, aussi chatoyantes soient-elles, entre-aperçues au cours du premier épisode. En cela, Boardwalk Empire aura su assumer ses ambitions et poursuivre sa construction ; et c'est à saluer.
NOTE : 8/10
Le générique de la série :
10:42 Publié dans (Séries américaines) | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : hbo, boardwalk empire, steve buscemi, michael pitt, kelly macdonald, michael shannon | Facebook |
11/12/2010
[TV Meme] Day 17. Favorite mini series.
Déclinaison particulière au sein des productions téléphagiques, les mini-séries ont cet avantage d'allier une certaine durée - permettant des développements plus conséquents qu'un film - et une fin déjà prédéterminée qui évite généralement à l'histoire de s'étioler. Dans l'absolu, ce format offre théoriquement plus de garantie sur la maîtrise scénaristique globale. Et, de façon plus pragmatique, elle permet de s'y investir avec moins d'incertitude, en sachant déjà sur quelle durée l'on s'engage.
Pour tout un tas de raisons parmi lesquelles celles citées ci-dessus, les mini-séries sont devenues un format que j'apprécie tout particulièrement. Parce que je suis désormais naturellement portée vers des histoires qui auront une vraie fin, plus courte que les interminables marathons des grands networks US pour lesquels la lassitude me gagne désormais très vite. Cette évolution dans mes goûts est sans doute aussi un reflet indirect de ma progressive migration du petit écran américain à la télévision britannique, où ce format est plus communément admis et se rencontre fréquemment.
Le choix d'une seule mini-série s'est donc révélé à la fois compliqué, mais pourtant également très évident. Compliqué parce que la liste de ces fictions que j'admire est finalement plutôt longue, et souvent pour des raisons très différentes. Schématiquement, il y a deux chaînes qui figurent au titre de mes pourvoyeurs principaux de mini-séries : la BBC et HBO. Pour la première, c'est incontestablement State of Play (Jeux de pouvoir) qui se détache du lot. Un petit bijou de thriller médiatico-politique avec un casting de rêve et une maîtrise narrative impressionnante qui demeure un incontournable de la dernière décennie des productions anglaises. Pour la seconde, la concurrence est plus rude : John Adams, The Corner, Angels in America, Generation Kill... il y aurait des arguments recevables pour nominer chacune d'elles. Cependant, il en est une que je place encore au-dessus, dans cette zone quasi-inaccessible où l'on peut parler, sans galvauder l'expression, de chef-d'oeuvre. Une dont je vous avais reviewé un épisode l'hiver dernier en concluant sur un vertigineux 10/10 pleinement justifié (le seul de toute l'histoire du blog)...
Band of Brothers
(HBO, 2001)
Band of Brothers est une de ces rares fictions pour laquelle le terme de "chef-d'oeuvre" n'est pas usurpé. Signe qui ne trompe pas, ses qualités s'imposent avec encore plus d'évidence lors d'un revisionnage tant l'ensemble apparaît solide. Le format de mini-série est d'ailleurs parfaitement adapté.
C'est un récit de guerre à la construction narrative méticuleuse, nous permettant de suivre une compagnie de parachutistes américains durant la Seconde Guerre Mondiale, du camp d'entraînement jusqu'au Nid d'Aigle d'Hitler et en Autriche. C'est une histoire d'hommes, de soldats, mais c'est bien plus que cela : au-delà de l'hommage en filigrane à leur action, c'est à ces liens qui se forment dans ces moments extrêmes où on a fait le deuil de sa vie que la série semble dédiée. La cohésion des personnages, comme l'homogénéité d'ensemble, ne peut que frapper un téléspectateur, impressionné par un récit qui ne comporte aucun temps mort, aucune baisse qualitative, mais qui présente au contraire des épisodes aboutis et complémentaires, adoptant des angles narratifs différents. Ils comportent leur lot de passages plus bouleversants les uns que les autres. Si certains épisodes sont parfois à la limite du soutenable, il n'y a aucun voyeurisme ou excès déplacés, la caméra ne se départissant jamais d'un réalisme marquant mêlé à une indéfinissable pudeur, témoin au coeur des évènements tout en sachant prendre parfois cette distance toute en retenue.
A la maîtrise scénaristique sur le fond, s'ajoute une réalisation superbe, où la photographie et l'esthétique globales sont tout simplement magnifiques pour les yeux (pour les amateurs de nouvelles technologies : j'ai revu la mini-série en blue-ray en début d'année, l'expérience fut grandiose - c'est typiquement pour ce genre de programmes que cette amélioration est pertinente), le tout accompagné d'une bande-son tout aussi sobre qu'inspirée. Enfin, le casting, choral, s'avère particulièrement convaincant, au diapason de la qualité globale, emmené par un Damian Lewis qui tient là un de ses meilleurs rôles.
Le générique inoubliable :
A relire - Ma critique de Bastogne (Episode 6) : Le chef d'oeuvre de l'enfer de Bastogne.
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08/12/2010
(Tw-Drama / Pilote) Gloomy Salad Days : tragédies adolescentes avec une touche de fantastique
Dear death,
please take away my misfortune,
even if the price is for me to turn into a stone...
Petite révolution en ce mercredi asiatique, avec la découverte d'un nouveau pays encore inexploré : Taiwan. Depuis plusieurs mois que je caressais le projet de me risquer devant ces séries, je n'avais jusqu'à présent jamais trouvé le temps, ou la motivation. Et puis, il y a 10 jours, sur un coup de tête, j'ai sauté le pas. Comme souvent dans ces cas-là, j'en ai oublié mes beaux planning prédéfinis qui prévoyaient de commencer par Black & White ou Automn's Concerto. Il aura en fait suffi d'un simple générique, ou plus précisément de la chanson phare, qui a immédiatement capté mon attention en visionnant la bande-annonce. Une heure plus tard, je m'installais devant le pilote.
Sauf que rien ne m'avait vraiment préparé à la série aussi sombre que bouleversante sur laquelle je suis tombée, ayant naïvement cru à la lecture du synopsis qu'il s'agissait d'une sorte de simple high school drama fantastique. Il serait disproportionné de parler d'incontournable, mais sans être aussi louangeur, incontestablement, ce drama s'est révélé plus solide et est allé bien plus loin que ce que j'aurais pu imaginer à partir du seul concept de départ.
Le billet du jour va donc être consacré à cette fiction qui est diffusée depuis le 9 octobre 2010 sur PTS Channel 13 (Taiwan) et qui s'achèvera le 11 décembre prochain, comportant au total 20 épisodes. Elle s'intitule Gloomy Salad Days.
Comme souvent dans le cadre de la découverte d'un nouveau pays, l'exercice de rédaction de la première review est compliqué : difficile en effet d'ajuster ses attentes et une grille de lecture pour un petit écran que l'on ne connaît absolument pas. En même temps, ça tombe peut-être bien puisque, apparemment, ce drama en a dérouté plus d'un habitué des fictions de ce pays, de par sa noirceur comme en raison des thèmes abordés. J'ai donc adopté un regard de profane, avec pour seules références le caractère universel des thèmes traités. Et en guise de "pilote", j'ai regardé en réalité les... dix premiers épisodes ; disons donc qu'il s'agit plutôt d'une critique à mi-parcours dans ce cas précis.
Gloomy Salad Days nous propose le récit de diverses histoires troublées d'adolescents fréquentant un même lycée. Optant pour une construction scénaristique plutôt originale, ce drama mêle des arcs narratifs quasiment indépendants les uns des autres et un fil rouge se formant peu à peu en arrière-plan, sous couvert de développement mythologique. De manière générale, c'est le thème de la mort, ou plus précisément du passage de la vie à la mort, qui va être la constante principale d'une série à l'arrière-goût résolument tragique.
Sachant jouer sur plusieurs tableaux, le drama dispose d'une touche de fantastique qui va rapidement prendre les accents d'une légende lycéenne. En effet des travaux de terrassement ont permis de découvrir une étrange pierre, apparemment anodine, mais qui va se révéler être une pierre du pont du passage vers l'au-delà (Bridge of Helpessness). Lorsque le détenteur de la pierre se trouve confronté à des situations qui lui paraissent sans espoir, auxquelles il ne pense pouvoir faire face, apparaît devant lui la gardienne de ce pont, Du, connue sous ce qualificatif autrement plus glaçant de Death Girl. Seule la personne ayant la pierre en sa possession a normalement la faculté de la voir, mais un lycéen fait pourtant figure d'exception. En effet, Shen Qi va rapidement devenir le témoin privilégié des évènements qui vont se dérouler dans son établissement. Tout d'abord effrayé, essayant de combattre l'influence que Du semble exercer sur ceux ayant sa pierre, l'approche de l'adolescent va progressivement évoluer vers une forme d'étrange compréhension.
Du et Shen Qi sont certes les deux personnages pivots de la série, les seuls à avoir vocation à apparaître dans tous les épisodes de Gloomy Salad Days, mais ils ne constituent pas les personnages centraux des épisodes. Car si la dimension fantastique est bien présente, l'enjeu premier semble être ailleurs. Cet aspect paraît servir de prétexte permettant de connecter entre eux les différents récits mis en scène, quasiment indépendants les uns des autres. En effet, le passage de témoin entre les histoires s'opère de manière symbolique par la transmission de la pierre du fameux pont entre les protagonistes. Chaque arc narratif s'étend généralement sur deux épisodes et se concentre donc sur des personnages différents. Va nous être relatée, avec sobriété, une histoire personnelle. Ces dernières marqueront tant par leur diversité que par la dureté des thèmes abordés : gang, prostitution, famille décomposée, homophobie. Plus généralement, chaque personnage se situe à un croisement, une période charnière où sa vie lui échappe et où plus rien ne semble vraiment avoir de sens... Quand tout paraît s'effondrer autour de soi, jusqu'où faut-il - peut-on - se battre ; la vie a-t-elle encore un sens ?
Plus que sa dimension fantastique parfois presque anecdotique, mais qui apporte une cohésion à l'ensemble, c'est par ces portraits désillusionnés d'une certaine adolescence que la série se démarque. N'hésitant pas à traiter de thématiques difficiles, Gloomy Salad Days aborde sans détour, et avec une réelle liberté de ton parfois très dure, des sujets compliqués, ne s'interdisant rien tout en conservant une certaine pudeur qui lui évite de tomber dans des excès de pathos dommageables. La simplicité des histoires, parfois désarmante, a le mérite de trouver une résonance authentique. Certes, la qualité des arcs narratifs fluctue. Il est d'ailleurs assez paradoxal de constater que c'est la storyline des deux premiers épisodes qui sera la moins convaincante de toute cette première partie ; même si sa conclusion chargée d'une douloureuse amertume, par l'impact émotionnel qu'elle engendre, réhaussera a posteriori l'impression d'ensemble.
Reste que Gloomy Salad Days va s'attacher avec beaucoup de soin à proposer le tableau réaliste d'une jeunesse aux préoccupations bien éloignées des futilités et de l'insouciance à laquelle son âge lui donnerait a priori droit. Cette dimension humaine fouillée se complète d'un versant plus social tout aussi intéressant. Car, au gré des storylines, c'est le portrait bigarré et nuancé de la société taiwanaise qui transparaît peu à peu, par petites touches. La série met ainsi l'accent sur le poids des attentes que la société impose à ces adultes de demain ; elle éclaire également le poids des valeurs morales ou autres, soulignant les réactions que peuvent susciter certains comportements et attitudes. Certaines histoires auront dans cette optique une résonance particulière, comme l'amour impossible entre Xiao Ju et Qiao Qiao (épisodes 9-10), révélateur des difficultés à accepter l'homosexualité. D'autres trouveront un écho plus intime et personnel, telle la famille décomposée de Xiao Lin, incapable de vivre sur les ruines d'un amour parental unilatéral (épisodes 3-4). Toutes ces storylines s'inscrivent pourtant dans une même perspective que submerge une intense désillusion.
Au-delà de la dureté des thèmes de la série, reflet troublé des moeurs et des maux d'une société, Gloomy Salad Days va également marquer par son pessimisme ambiant. Les histoires mises en scène s'apparentent souvent à des chroniques désespérées d'adolescences à la dérive, plongées dans une spirale infernale d'où aucun salut ne viendra. Ce n'est pas un hasard si le titre anglophone retenu est un écho direct à une chanson d'ailleurs utilisée dans certains épisodes, Gloomy Sunday (Sombre dimanche), dont la légende, touchant à la question du suicide, est suffisamment parlante. Les happy end ne sont pas de rigueur et vont rapidement faire figure d'exception dans la série. A contrario, c'est une forme de fatalisme pesant et amer qui se développe, écrasant les adolescents sous le poids conjugé des décisions individuelles discutables de leurs entourages et d'une société broyeuse dans laquelle ils ne voient plus aucune issue.
Gloomy Salad Days est donc une série dont on ne ressort pas complètement indemne et dont le visionnage n'épargnera pas au téléspectateur quelques larmes. Il convient de saluer, sur ce point, l'optique choisie par le drama qui sait rester minimaliste, ne versant jamais dans un lacrymal excessif et sachant parfois prendre une distance opportune avec certaines mises en scène, préférant suggérer sans nous laisser être le témoin des évènements. D'ailleurs, peut-être plus que les tragédies inhérentes aux histoires elles-mêmes, c'est grâce l'empathie suscitée par certains personnages que la série réussira à vraiment toucher le coeur du téléspectateur. Ainsi la détresse incontrôlée de Xiao Lin, dans une storyline, pourtant tristement classique, de divorce ayant mal tourné, est une illustration parfaite de cet habile équilibre mêlant simplicité narrative et décharge émotionnelle bouleversante. Il est d'ailleurs probable que l'impact est d'autant plus fort que la jeunesse des protagonistes offre ce décalage caractéristique, prompt à engendrer un sentiment de profond gâchis, entre la relative innocence ou inexpérience des adolescents et la décision irrémédiable que certains prendront.
Eprouvante sur le fond, Gloomy Salad Days bénéficie en plus d'un fameux générique qui offre un parfait reflet des paradoxes de la série, à la fois chargé de vitalité et semblable à un cri de désespoir (il s'agit de la première vidéo en bas de ce billet). La chanson est également le thème musical récurrent, avec notamment une reprise au piano du refrain à la mélancolie troublante. En résumé, l'environnement musical du drama se révèle donc des plus convaincants. Quant à la réalisation, si cela n'est pas forcément toujours pleinement maîtrisé, j'ai trouvé que l'ensemble ne dépareillait pas et qu'elle était correcte (mais comme il s'agissait d'un aspect que je redoutais un peu dans les tw-dramas, j'avoue que j'avais imaginé bien pire).
Enfin, du côté des acteurs, du fait de la narration particulière adoptée, chaque histoire se concentre sur des personnages centraux différents ce qui, ajouté aux tragédies mises en scène, amène le casting à se renouveler régulièrement. Les deux seuls acteurs ayant vocation à apparaître tout au long de la série, puisque c'est leur histoire, en fil rouge, qui se construit peu à peu, sont Aaron Yan et Serena Fang. Cependant, Gloomy Salad Days se concentrant d'abord sur ses chroniques d'adolescence, elle laisse son temps à à cette storyline pour se développer en arrière-plan. Les deux acteurs sont donc au départ cantonnés à un rôle plutôt de figuration, témoin ou acteur indirect des évènements qui sont relatés. A la moitié du drama, le tableau d'ensemble commence cependant peu à peu à se former, mais nous sommes toujours dans une relative expectative.
A leurs côtés, parmi les membres éphémères du casting - personne n'ayant vocation à vivre heureux et longtemps dans la série - , on retrouve d'autres têtes connues du petit écran taiwanais (d'après mes recherches, puisque je ne connais encore absolument personne). C'est en effet à toute une galerie de personnages qu'il convient de donner vie. On retrouve ainsi notamment Wang Zi, Mao Di, Tang Zhen Gang ou encore Kris Shen. Personnellement, j'ai été très touchée par certaines jeunes actrices n'ayant pas encore de réelle filmographie à leur CV, comme Zhang Jun Ming, en adolescente à la famille brisée qui ne saura pas grandir à temps sur les ruines de sa famille, ou encore Jenny Wan, troublée face à son orientation sexuelle. J'ai aussi beaucoup apprécié Lin Chen Xi et également Chao Yi Lan.
Bilan : Derrière ses fausses apparences de high school drama fantastique, Gloomy Salad Days se démarque autant par les thèmes qu'elle ne va pas hésiter à aborder que par sa dureté d'ensemble. Navigant entre drames de société et drames d'adolescence, la série se révèle par sa dimension profondément humaine qui prend rapidement les accents d'une tragédie fataliste. Si la qualité proposée varie suivant les storylines, plusieurs s'avèreront particulièrement bouleversantes, la simplicité de l'écriture accentuant ces accents d'authenticité. Il se dégage finalement de ce tourbillon émotionnel chargé d'amertume quelque chose de magnétique, tour à tour intrigant et glaçant.
Probablement qu'avec le tableau sombre et excessivement pessimiste qu'elle propose, Gloomy Salad Days n'est pas une série à mettre entre toutes les mains. Soyez d'ores et déjà averti que les happy ends sont une exception souvent sans lendemain. Si vous cherchez quelque chose de léger, passez donc votre chemin. En revanche, si à travers ce prisme commode et pédagogique du high school fantastique de tragédie, la découverte d'un certain portrait de Taiwan et de sa société vous intéresse, ne vous arrêtez pas au seul synopsis et jetez-y un oeil : vous risquez d'être (agréablement) surpris !
En ce qui me concerne, l'exploration du petit écran taiwanais me semble remise à l'ordre du jour.
NOTE : 6,5/10
Le générique de la série :
La bande-annonce de la série :
19:52 Publié dans (Séries asiatiques) | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : tw-drama, gloomy salad days, aaron yan, serena fang, wang zi, mao di, tang zhen gang, kris shen, zhang jun ming, jenny wan, lin chen xi, chao yi lan | Facebook |