Depuis le début du mois, j'ai entamé avec un ami le revisionnage de Band of Brothers (parce qu'il est bon aussi de prendre le temps de revoir ses classiques et, sur un plan plus technique, pour tester le coffret Blu-Ray sur grand écran). Si je vous en parle, c'est que, ce samedi soir, nous sommes arrivés avec la Easy Company à Bastogne (Episode 6).
Or, si les épisodes magistraux ne manquent pas dans ce chef-d'oeuvre de HBO, si plusieurs sortent vraiment du lot et marquent le téléspectateur, après toutes ces années, ce qui me revenait toujours en mémoire lorsque l'on me parlait de Band of Brothers, c'était l'image de cet enfer blanc. Ces scènes dans la neige, sous les sapins illuminés par les projectiles, aux journées rythmées par les obus de mortier faisant voler terre et chair humaine.
Revoir cet épisode m'a fait réaliser, à nouveau, pourquoi il était resté graver aussi vivement dans ma mémoire. Car Bastogne est mon épisode favori. Un des plus éprouvants également. Mais il demeure pour moi le symbole, l'étendard, de Band of Brothers. Une fois le visionnage effectué, incapable d'en détacher totalement mes pensées, j'ai repensé aux raisons pour lesquelles il était capable de me toucher aussi profondément.
Il s'agit incontestablement d'un des épisodes les plus aboutis de la mini-série, un pivôt incontournable au cours duquel elle acquiert une dimension supplémentaire, allant au-delà du seul simple récit, superbement écrit et réalisé, sur la Seconde Guerre Mondiale. Cela est sans doute dû en grande partie à l'angle de narration décidé par les scénaristes. Le siège de Bastogne reste un des hauts faits d'armes de la Easy Company. Pourtant, ils choisirent de nous relater ces évènements par le biais d'une option scénaristique intéressante et originale : nous immerger dans cet enfer hivernal à travers un personnage jusqu'à présent très secondaire, un des infirmiers de l'unité, Eugene Roe. Figure souvent anonyme, le rôle du medic, rarement mis en lumière dans les fictions de guerre, demeure pourtant sûrement l'un des plus difficiles à mener à bien, comme en témoignent les actions du jeune soldat tout au long de l'épisode.
Tandis que l'hiver glacial s'est abattu sur les forêts de Bastogne, les soldats s'efforcent de sécuriser une ligne de front fluctuante et percée, où le brouillard et la neige égarent facilement ceux qui n'y prennent pas garde. La compagnie est coupée des forces alliées, encerclée, ne bénéficiant que de rares largages, rendus difficiles par les conditions météorologiques extrêmes. Les journées défilent avec la même routine meurtrière. Les soldats, enterrés dans des trous individuels creusés dans la terre, surveillent le camp ennemi. Ils ne sont distraits du froid mordant que par la brève reprise immuable des hostilités, qu'il s'agisse d'une pluie d'obus de mortier s'abattant sur eux comme la plus cruelle des loteries, ou d'une patrouille partie évaluer la ligne de front.
L'épisode s'attache à relater ces évènements du point de vue d'Eugene Roe. Dès le début, c'est à travers lui que la situation nous est présentée et que le téléspectateur découvre et prend conscience de l'enfer blanc dans lequel la compagnie est plongée. Les premières minutes sont ainsi l'occasion de visiter l'ensemble des soldats de l'unité, disséminés dans les bois, à quelques centaines de mètres des lignes allemandes, en suivant la quête entêtée et quasi-obsessionnelle de Roe pour réussir à mettre la main sur une dose de morphine ou une paire de ciseaux. Si les infirmiers ne sont pas des héros combattants, ils sont des héros du quotidien, en réussissant simplement à faire leur job en dépit des circonstances. Leur rôle, leurs préoccupations divergent de celles du reste des soldats, mais leur mission nécessite une implication de tous les instants tout aussi exténuante. Accourir dès que quelqu'un réclame une aide médicale, apporter les premiers soins au milieu du champ de bataille, sans tenir compte des balles et obus qui volent toujours autour d'eux, être le témoin constant du pire aspect de la guerre, de cette boucherie sanglante, qu'il s'agisse de constater les dégâts irréversibles faits par les obus ou d'assister aux derniers moments de camarades de régiment... Tout cela ne peut que miner même le plus cloisonné des hommes.
Progressivement, au fil de l'épisode, Roe se perd dans ces horreurs qui remplissent son quotidien. Fonctionner par automatisme, se concentrer uniquement sur les autres sans prendre le temps de soucier de soi... Cela ne tient qu'un temps. Pour sauver sa santé mentale et continuer à faire ce qui est attendu de lui, la futilité de ses efforts ne les rend pas moins appréciables. Il essaye vainement de se détacher émotionnellement d'individus dont certains mourront dans ses bras. Il s'impose une prise de distance nécessaire avec le reste de l'unité, préférant rester à l'écart lors des repas ou s'entêtant à appeler les soldats par leur nom, évitant la connotation plus personnelle du surnom. Rester extérieur. Pour survivre. Pour ne pas se laisser entraîner dans ce tourbillon létal, où la réalité devient peu à peu floue et où tous les repères se désagrègent. Comme un symbole, nous voyons le jeune infirmier se raccrocher désespérément à son chapelet en récitant ses prières, serrant ce dernier lien de façon pourtant presque futile, la seule certitude qui demeure encore.
Tandis qu'en toile de fond, la bataille fait rage, le téléspectateur est le témoin privilégié de cette lutte intime et continuelle dont il pressent l'inutilité. Les évènements ont en effet raison des efforts de Roe. Les quelques touches d'humanité qu'il avait trouvées à l'arrière, au village de Bastogne, auprès d'une jeune infirmière, Renée, sont balayées par un bombardement allemand. Cette scène offre un contraste bouleversant au téléspectateur : la beauté d'une réalisation pyrotechnique somptueuse se superpose au drame qui se joue, derrière les ruines de ces bâtiments éventrés. L'anéantissement de cette petite bulle émotionnelle qu'il avait eu l'imprudence de créer achève de briser les dernières barrières du jeune homme, sur lequel l'accumulation des drames finit par l'emporter, tandis que, en cette veille de Noël, aucune trêve n'interrompt ce rituel meurtrier impitoyable.
Si Bastogne parvient à me toucher si profondément, c'est qu'au milieu des têtes connues des autres soldats, il est aisé de s'identifier à ce nouveau venu sur le devant de la scène. Le téléspectateur devient, pour une bataille, l'observateur de l'observateur, ayant grâce à lui une vue d'ensemble d'une situation désespérée. La tragédie de la guerre n'en est que plus pesante, nous faisant non seulement assister aux morts, mais aussi à la façon dont elles affectent les survivants. Le temps d'un épisode, en nous offrant sa perspective personnelle, Eugene Roe s'impose comme une figure entre deux, comme un lien entre le téléspectateur et les soldats. Tout en parvenant avec justesse et subtilité à retranscrire, de manière authentique, l'état d'esprit global de la compagnie, confrontée à ces heures parmi les plus sombres de son existence, l'épisode est également une forme d'hommage à ces infirmiers de l'ombre, anonymes intervenant a posteriori, lorsque la situation individuelle de tel ou tel soldat a déjà basculé. Une double finalité enrichissante qui confère une portée particulière à cette grande heure de télévision.
Bilan : Peut-être est-ce très subjectif, un ressenti avant tout personnel, mais vingt-quatre heures après avoir revu cet épisode, ses images défilent encore dans ma tête. C'est ce qui m'amène d'ailleurs à rédiger ce billet comme une forme d'exutoire, pour essayer vainement de formuler sur le papier, de matérialiser en quelques mots, ce tourbillon émotionnel indescriptible que Bastogne parvient à faire naître en moi.
Je ne suis pas certaine d'être parvenue à vous expliquer rationnellement l'unicité de cet épisode. Mais, plus sobrement, je me contenterai de conclure que, parmi les moments magiques du sériephile, Bastogne demeure, pour moi, une expérience téléphagique à part, qui a sa place dans mon panthéon télévisuel.
NOTE : 10/10
Commentaires
Trés joli papier, j'ai aussi revu récemment cette série.
J'ai du mal a en faire sortir un épisode du lot. Je vois la série comme un tout, avec ses moments de bravoures ou des plans de caméras suffisamment marquants pour que je m'en souvienne encore. J'en ai un qui m'a particulièrement marqué, c'est le vol des avions vers la France, en pleine nuit, canardés par les Allemands (dans le premier épisode).
D'autres passages sont aussi marquants comme la découverte du camp ou la fameuse bataille de Bastogne justement.
Bastogne, je m'en souviens aussi parce qu'il avait une actrice française au casting (celle qui joue l'infirmière, c'est un peu con de se souvenir de l'épisode uniquement pour ça, je sais)...Bon plus sérieusement, Bastogne, c'était le neige, la peur, la mort... Et un traitement intéressant, la guerre à travers les yeux du "médic" que tu as bien évoqué.
Écrit par : gecko4fr | 25/01/2010
Tout comme toi, je conçois BoB comme un tout particulièrement dense et homogène. Il y a plusieurs moments vraiment marquants qui mériteraient d'être soulignés, des plans aussi qui restent gravés dans notre mémoire.
C'est vrai que la découverte des camps est aussi un moment vraiment fort ; nous n'en sommes pas encore à cet épisode dans le revisionnage, mais je peux encore me souvenir de la scène qui défile précisément dans ma mémoire alors même que cela fait plusieurs années que je ne l'ai pas revue !
Mais Bastogne reste à un niveau différent, peut-être joue-t-il également sur un autre plan dans la façon dont je perçois/ressens l'épisode. C'est une expérience qui reste très particulière.
Reste que revoir cette mini-série fait un bien fou, n'empêche. Ca me rappelle que les chefs-d'oeuvre existent bel et bien.
BoB est une des fictions les plus abouties des années 2000. Je me dis que si The Pacific, en mars sur HBO, arrive à réaliser la moitié de ce à quoi BoB est parvenue, je crois que je serais satisfaite ! (En même temps, je ne sais pas si c'était une bonne idée de revoir BoB juste avant l'arrivée de The Pacific. Même si je refuse d'avoir de trop hautes attentes, les comparaisons vont être inévitables...)
PS : Merci pour ton commentaire ;-)
Écrit par : Livia | 25/01/2010
Très bonne analyse, bravo !
Moi non plus je ne suis pas sorti indemne du visionnage de cet épisode.
Le point de vue de ces 2 "candides" rend le récit encore plus puissant.
Celui de la decouverte des camps est certes bouleversant, mais si je ne devais conserver qu'une seule image de BAND OF BROTHERS, c'est le regard de Michael Cudlitz (sgt. Bull) dans cette grange aux Pays-Bas après avoir tué un soldat au corps à corps.
Cette scène violente, silencieuse et filmée avec une rare sobriété, en dit tellement sur la nature des personnages, dépassés par ce qu'ils vivent, résume toute cette mini-série qui est effectivement un chef d'oeuvre !
Écrit par : Jérôme | 25/01/2010
J'adore Band of brothers, je ne sais pas si j'ai un épisode que je préfère en particulier, mais c'est l'une de mes séries préférés, ça me donne envie de me la refaire une fois encore...
Écrit par : Trillian | 26/01/2010
c'est en effet l'épisode le plus dur et le plus marquant de la série dont je voue un culte depuis plusieurs années, depuis que je l'ai découvert à l'époque sur Fr2.
L'intelligence de cette série c'est d'à chaque épisode se concentrer sur la vision d'un personnage pour balayer du regard tous les évènements, ça donne une perspective toute particulière à l'intrigue.
Écrit par : cybellah | 27/01/2010
J'ai vu cette série 2 fois je crois bien et elle m'avait beaucoup marquée, j'adore les films sur le thème de la guère et donc je n'avais pas hésité à voir cette série lors de sa diffusion à la TV. J'avais vraiment beaucoup aimé.
Par contre, mes souvenirs sont vagues malheureusement :(
Écrit par : Ageha | 04/02/2010
BOnjour tout le monde, à titre indicatif et juste pour vous indiquez une ancedote, je détiens le casque original de la série que portais l'acteur pour le rôle d'Eugene ROE, si cela intérésse quelq'un ?
Écrit par : LEHMANN | 26/01/2012
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