Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/10/2011

(Pilote US) Homeland : un thriller autour d'une figure ambivalente, héros ou menace

homeland1.jpg

Dimanche dernier était diffusée aux Etats-Unis la première nouveauté de la saison américaine que j'avais vraiment cochée : Homeland. Si je l'attendais avec une relative impatience, j'avoue aussi que les noms à l'origine du projet (Howard Gordon, Alex Gansa) évoquaient trop 24 pour je ne l'aborde pas sans une certaine méfiance : le sujet envisagé implique une subtilité et une nuance dans l'écriture qui n'étaient pas forcément le point fort de cette dernière.

Adaptation de la série israélienne Hatufim, Homeland est diffusé sur Showtime. Je m'étais donc persuadée qu'elle pourrait plutôt s'orienter vers l'autre série abordant des thématiques terroristes sur cette chaîne, laquelle m'avait autrement plus marqué : Sleeper Cell. Au final, c'est avec un pilote efficace que s'ouvre Homeland. S'il n'a pas levé toutes mes réserves sur la série, il m'a cependant convaincue de revenir la semaine suivante, s'imposant pour le moment comme le meilleur pilote dramatique de cette rentrée US.

homelandb.jpg

Le sergent Nicholas Brody a été porté disparu en Irak au cours d'une opération, en 2003. Durant un raid dans un des bases terroristes ennemies du pays, des soldats américains le retrouvent, hirsute, dans une des geôles. Ce sauvetage inattendu - nul n'imaginait qu'il restait des prisonniers encore en vie - se transforme en grande opération de communication pour le gouvernement, propulsant Brody au rang de héros national et lui organisant un retour triomphal parmi les siens.

Cependant, Carrie Mathison, une analyste de la CIA, assiste à ce retour très perplexe et méfiante. Ancienne agent de terrain qui a passé du temps en Irak, elle a eu des informations de première main sur l'organisation qui détenait Brody, obsédée par son leader, un certain Abu Nazir. Est-il possible que ce dernier soit parvenu à retourner les loyautés de son prisonnier durant sa captivité ? Est-ce qu'il n'a pas permis à dessein à l'armée américaine de retrouver Brody ? Ce dernier ne pourrait pas être le fer de lance de la prochaine attaque terroriste majeure sur le territoire américain ?

homelandj.jpg

Bénéficiant d'une écriture dynamique et sans temps mort, Homeland démarre, dès ses premières minutes en Irak, sur quelques scènes nerveuses, très directes, qui donnent immédiatement le ton de la série. S'attachant ensuite à installer efficacement les grands enjeux de son histoire, le pilote ne tergiverse pas. Les cartes sont rapidement distribuées entre tous les personnages, de manière à ce que, à la fin de cette première heure, le puzzle de ce thriller, déjà bien dévoilé, retienne solidement l'attention d'un téléspectateur dont la curiosité est piquée. En ce sens, l'introduction est réussie.

Il apparaît vite que le grand atout de Homeland réside dans son concept, lui permettant opportunément de se démarquer des fictions traditionnelles ayant pour sujet des questions de terrorisme. En effet, à cette première problématique, vient se sur-ajouter celle du questionnement sur la loyauté d'un prisonnier de guerre, peut-être devenu une arme contre son propre camp. Le terroriste potentiel n'est pas ici un ennemi sans visage, il se cache derrière une figure amie, normalement hors de soupçon : celle d'un soldat, d'un héros de guerre. Les délimitations de chaque camp sont par conséquent remises en cause, dans une partie où tout le monde opère à visage découvert. La question principale va être de savoir, comment, et à quel prix, Brody a-t-il survécu ? Est-il devenu une menace pour son pays ou s'est-il seulement compromis au-delà de l'honorable, sur le moment, en s'accrochant à un instinct de survie ?

homelandc.jpg

Si le pilote de Homeland pose les bases d'un thriller efficace, le pilote n'a cependant pas écarté toutes les réserves que je pouvais avoir. Derrière l'originalité relative d'un concept de départ aux ramifications narratives très intéressantes, le scénario cède à certaines facilités pour introduire les enjeux précis, liés à une hypothétique trahison, qui l'intéressent. La construction de l'épisode contient des twists qui sont trop prévisibles pour être pleinement satisfaisants : toutes les pièces se mettent presque trop aisément en place, jusqu'à l'ultime indice - attendu - qui permet à Carrie de sauver sa place. Parallèlement, les thèmes connexes - retour en famille, traumatisme et réadaptation - ne sont pas oubliés, mais demeurent en arrière-plan.

Signe de la manière dont les scénaristes conçoivent leur sujet, l'épisode opte pour une volontaire surenchère dans la paranoïa. Cela s'avère à double tranchant. D'une part, l'envie de brouiller les lignes et de bousculer les repères du téléspectateur est appréciable, parce qu'elle renforce la spécificité et l'ambiance de la série : chacun semble avoir ses secrets, jusqu'à l'adultère de l'épouse. L'ambivalence de tous ces personnages est pesante. L'agent de la CIA la symbolise bien : certes intuitive, elle est très instable, soignant déjà des troubles psychologiques. On est loin d'une figure d'autorité solide et inébranlable. Mais d'autre part, la série ne fait pas dans un suggestif subtil qui aurait diffusé une sourde tension. Si on ignore les plans réels de Brody, il ne nous est pas caché qu'il passe beaucoup de choses sous silence, mentant sur ce qu'il s'est passé en captivité. Exploitant peu la nuance potentielle inhérente à son concept, le pilote semble plus ouvrir la voie d'une confrontation directe entre les deux protagonistes principaux. Un choix qui peut se justifier ; tout dépendra de la gestion de la suite.

homelandl.jpg

Sur la forme, Homeland bénéficie d'une réalisation très classique, assez nerveuse dans quelques passages. On pourrait peut-être lui reprocher un certain manque d'ambition, car le résultat reste honnête, mais très convenu. De même, la bande-son est efficace et calibrée, mais l'ensemble ne se démarque pas vraiment. C'est donc un pilote prudent sur la forme qui est proposé.

Enfin, un des grands atouts de Homeland réside indéniablement dans son casting. Ses acteurs pris séparement m'auraient déjà très motivée pour me lancer dans une série, par conséquent, je ne vous cache pas que les retrouver réunis m'a fait énormément plaisir. Claire Danes, égérie éternelle de mon adolescence dans Angela, 15 ans, incarne avec une énergie marquante, flirtant avec le névrotique, une agent de la CIA vraiment déstabilisante. Face à elle, moins employé dans ce pilote, Damian Lewis (Band of Brothers, Life) use de son flegme caractéristique pour composer cet ancien prisonnier de guerre aux loyautés potentiellement divisées. Par ailleurs, on retrouve à leurs côtés, la sublime Morena Baccarin (Firefly, V), le toujours très efficace Mandy Patinkin (Dead Like Me), aini que David Harewood (The Last Enemy, Robin Hood) ou encore Diego Klattenhoff (Whistler, Men in trees).

homelandm.jpg

Bilan : Parfaitement bien huilé pour introduire très efficacement les enjeux de la série, le pilote de Homeland est convaincant et rempli sa mission première : s'assurer de la fidélité du téléspectateur. Pour autant, il marche aussi sur une fine ligne : l'impression d'originalité, que laisse ce mélange entre fiction sur le terrorisme et questionnement sur ce prisonnier potentiellement retourné comme une arme contre son camp, ne pourra pas toujours compenser certaines facilités auxquelles cède la construction de l'épisode. Le sujet est ambitieux, il faudra donc un scénario à la hauteur pour exploiter pleinement tout le potentiel du concept. Au vu de ce pilote, je serais tentée de dire que, pour l'instant, Homeland investit mieux la partie "thriller" que la partie "psychologique" du genre dont elle se réclame. A suivre !


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de la série :

11/12/2010

[TV Meme] Day 17. Favorite mini series.

Déclinaison particulière au sein des productions téléphagiques, les mini-séries ont cet avantage d'allier une certaine durée - permettant des développements plus conséquents qu'un film - et une fin déjà prédéterminée qui évite généralement à l'histoire de s'étioler. Dans l'absolu, ce format offre théoriquement plus de garantie sur la maîtrise scénaristique globale. Et, de façon plus pragmatique, elle permet de s'y investir avec moins d'incertitude, en sachant déjà sur quelle durée l'on s'engage.

Pour tout un tas de raisons parmi lesquelles celles citées ci-dessus, les mini-séries sont devenues un format que j'apprécie tout particulièrement. Parce que je suis désormais naturellement portée vers des histoires qui auront une vraie fin, plus courte que les interminables marathons des grands networks US pour lesquels la lassitude me gagne désormais très vite. Cette évolution dans mes goûts est sans doute aussi un reflet indirect de ma progressive migration du petit écran américain à la télévision britannique, où ce format est plus communément admis et se rencontre fréquemment.

Le choix d'une seule mini-série s'est donc révélé à la fois compliqué, mais pourtant également très évident. Compliqué parce que la liste de ces fictions que  j'admire est finalement plutôt longue, et souvent pour des raisons très différentes. Schématiquement, il y a deux chaînes qui figurent au titre de mes pourvoyeurs principaux de mini-séries : la BBC et HBO. Pour la première, c'est incontestablement State of Play (Jeux de pouvoir) qui se détache du lot. Un petit bijou de thriller médiatico-politique avec un casting de rêve et une maîtrise narrative impressionnante qui demeure un incontournable de la dernière décennie des productions anglaises. Pour la seconde, la concurrence est plus rude : John Adams, The Corner, Angels in America, Generation Kill... il y aurait des arguments recevables pour nominer chacune d'elles. Cependant, il en est une que je place encore au-dessus, dans cette zone quasi-inaccessible où l'on peut parler, sans galvauder l'expression, de chef-d'oeuvre. Une dont je vous avais reviewé un épisode l'hiver dernier en concluant sur un vertigineux 10/10 pleinement justifié (le seul de toute l'histoire du blog)...

bandofbrothers.jpg

Band of Brothers
(HBO, 2001)

bandofbrothers2.jpg

Band of Brothers est une de ces rares fictions pour laquelle le terme de "chef-d'oeuvre" n'est pas usurpé. Signe qui ne trompe pas, ses qualités s'imposent avec encore plus d'évidence lors d'un revisionnage tant l'ensemble apparaît solide. Le format de mini-série est d'ailleurs parfaitement adapté.

C'est un récit de guerre à la construction narrative méticuleuse, nous permettant de suivre une compagnie de parachutistes américains durant la Seconde Guerre Mondiale, du camp d'entraînement jusqu'au Nid d'Aigle d'Hitler et en Autriche. C'est une histoire d'hommes, de soldats, mais c'est bien plus que cela : au-delà de l'hommage en filigrane à leur action, c'est à ces liens qui se forment dans ces moments extrêmes où on a fait le deuil de sa vie que la série semble dédiée. La cohésion des personnages, comme l'homogénéité d'ensemble, ne peut que frapper un téléspectateur, impressionné par un récit qui ne comporte aucun temps mort, aucune baisse qualitative, mais qui présente au contraire des épisodes aboutis et complémentaires, adoptant des angles narratifs différents. Ils comportent leur lot de passages plus bouleversants les uns que les autres. Si certains épisodes sont parfois à la limite du soutenable, il n'y a aucun voyeurisme ou excès déplacés, la caméra ne se départissant jamais d'un réalisme marquant mêlé à une indéfinissable pudeur, témoin au coeur des évènements tout en sachant prendre parfois cette distance toute en retenue.  

A la maîtrise scénaristique sur le fond, s'ajoute une réalisation superbe, où la photographie et l'esthétique globales sont tout simplement magnifiques pour les yeux (pour les amateurs de nouvelles technologies : j'ai revu la mini-série en blue-ray en début d'année, l'expérience fut grandiose - c'est typiquement pour ce genre de programmes que cette amélioration est pertinente), le tout accompagné d'une bande-son tout aussi sobre qu'inspirée. Enfin, le casting, choral, s'avère particulièrement convaincant, au diapason de la qualité globale, emmené par un Damian Lewis qui tient là un de ses meilleurs rôles.


Le générique inoubliable :


A relire - Ma critique de Bastogne (Episode 6) : Le chef d'oeuvre de l'enfer de Bastogne.

25/01/2010

(Mini-série US) Band of Brothers (Frères d'armes) : le chef-d'oeuvre de l'enfer de Bastogne



Depuis le début du mois, j'ai entamé avec un ami le revisionnage de Band of Brothers (parce qu'il est bon aussi de prendre le temps de revoir ses classiques et, sur un plan plus technique, pour tester le coffret Blu-Ray sur grand écran). Si je vous en parle, c'est que, ce samedi soir, nous sommes arrivés avec la Easy Company à Bastogne (Episode 6).

bob06-bastogne.jpg

Or, si les épisodes magistraux ne manquent pas dans ce chef-d'oeuvre de HBO, si plusieurs sortent vraiment du lot et marquent le téléspectateur, après toutes ces années, ce qui me revenait toujours en mémoire lorsque l'on me parlait de Band of Brothers, c'était l'image de cet enfer blanc. Ces scènes dans la neige, sous les sapins illuminés par les projectiles, aux journées rythmées par les obus de mortier faisant voler terre et chair humaine.

Revoir cet épisode m'a fait réaliser, à nouveau, pourquoi il était resté graver aussi vivement dans ma mémoire. Car Bastogne est mon épisode favori. Un des plus éprouvants également. Mais il demeure pour moi le symbole, l'étendard, de Band of Brothers. Une fois le visionnage effectué, incapable d'en détacher totalement mes pensées, j'ai repensé aux raisons pour lesquelles il était
capable de me toucher aussi profondément.

bob06-bastogne3.jpg

Il s'agit incontestablement d'un des épisodes les plus aboutis de la mini-série, un pivôt incontournable au cours duquel elle acquiert une dimension supplémentaire, allant au-delà du seul simple récit, superbement écrit et réalisé, sur la Seconde Guerre Mondiale. Cela est sans doute dû en grande partie à l'angle de narration décidé par les scénaristes. Le siège de Bastogne reste un des hauts faits d'armes de la Easy Company. Pourtant, ils choisirent de nous relater ces évènements par le biais d'une option scénaristique intéressante et originale : nous immerger dans cet enfer hivernal à travers un personnage jusqu'à présent très secondaire, un des infirmiers de l'unité, Eugene Roe. Figure souvent anonyme, le rôle du medic, rarement mis en lumière dans les fictions de guerre, demeure pourtant sûrement l'un des plus difficiles à mener à bien, comme en témoignent les actions du jeune soldat tout au long de l'épisode.

Tandis que l'hiver glacial s'est abattu sur les forêts de Bastogne, les soldats s'efforcent de sécuriser une ligne de front fluctuante et percée, où le brouillard et la neige égarent facilement ceux qui n'y prennent pas garde. La compagnie est coupée des forces alliées, encerclée, ne bénéficiant que de rares largages, rendus difficiles par les conditions météorologiques extrêmes. Les journées défilent avec la même routine meurtrière. Les soldats, enterrés dans des trous individuels creusés dans la terre, surveillent le camp ennemi. Ils ne sont distraits du froid mordant que par la brève reprise immuable des hostilités, qu'il s'agisse d'une pluie d'obus de mortier s'abattant sur eux comme la plus cruelle des loteries, ou d'une patrouille partie évaluer la ligne de front.

bob06-bastogne2.jpg

L'épisode s'attache à relater ces évènements du point de vue d'Eugene Roe. Dès le début, c'est à travers lui que la situation nous est présentée et que le téléspectateur découvre et prend conscience de l'enfer blanc dans lequel la compagnie est plongée. Les premières minutes sont ainsi l'occasion de visiter l'ensemble des soldats de l'unité, disséminés dans les bois, à quelques centaines de mètres des lignes allemandes, en suivant la quête entêtée et quasi-obsessionnelle de Roe pour réussir à mettre la main sur une dose de morphine ou une paire de ciseaux. Si les infirmiers ne sont pas des héros combattants, ils sont des héros du quotidien, en réussissant simplement à faire leur job en dépit des circonstances. Leur rôle, leurs préoccupations divergent de celles du reste des soldats, mais leur mission nécessite une implication de tous les instants tout aussi exténuante. Accourir dès que quelqu'un réclame une aide médicale, apporter les premiers soins au milieu du champ de bataille, sans tenir compte des balles et obus qui volent toujours autour d'eux, être le témoin constant du pire aspect de la guerre, de cette boucherie sanglante, qu'il s'agisse de constater les dégâts irréversibles faits par les obus ou d'assister aux derniers moments de camarades de régiment... Tout cela ne peut que miner même le plus cloisonné des hommes.

Progressivement, au fil de l'épisode, Roe se perd dans ces horreurs qui remplissent son quotidien. Fonctionner par automatisme, se concentrer uniquement sur les autres sans prendre le temps de soucier de soi... Cela ne tient qu'un temps. Pour sauver sa santé mentale et continuer à faire ce qui est attendu de lui, la futilité de ses efforts ne les rend pas moins appréciables. Il essaye vainement de se détacher émotionnellement d'individus dont certains mourront dans ses bras. Il s'impose une prise de distance nécessaire avec le reste de l'unité, préférant rester à l'écart lors des repas ou s'entêtant à appeler les soldats par leur nom, évitant la connotation plus personnelle du surnom. Rester extérieur. Pour survivre. Pour ne pas se laisser entraîner dans ce tourbillon létal, où la réalité devient peu à peu floue et où tous les repères se désagrègent. Comme un symbole, nous voyons le jeune infirmier se raccrocher désespérément à son chapelet en récitant ses prières, serrant ce dernier lien de façon pourtant presque futile, la seule certitude qui demeure encore.

bob06-bastogne4.jpg

Tandis qu'en toile de fond, la bataille fait rage, le téléspectateur est le témoin privilégié de cette lutte intime et continuelle dont il pressent l'inutilité. Les évènements ont en effet raison des efforts de Roe. Les quelques touches d'humanité qu'il avait trouvées à l'arrière, au village de Bastogne, auprès d'une jeune infirmière, Renée, sont balayées par un bombardement allemand. Cette scène offre un contraste bouleversant au téléspectateur : la beauté d'une réalisation pyrotechnique somptueuse se superpose au drame qui se joue, derrière les ruines de ces bâtiments éventrés. L'anéantissement de cette petite bulle émotionnelle qu'il avait eu l'imprudence de créer achève de briser les dernières barrières du jeune homme, sur lequel l'accumulation des drames finit par l'emporter, tandis que, en cette veille de Noël, aucune trêve n'interrompt ce rituel meurtrier impitoyable.

Si Bastogne parvient à me toucher si profondément, c'est qu'au milieu des têtes connues des autres soldats, il est aisé de s'identifier à ce nouveau venu sur le devant de la scène. Le téléspectateur devient, pour une bataille, l'observateur de l'observateur, ayant grâce à lui une vue d'ensemble d'une situation désespérée. La tragédie de la guerre n'en est que plus pesante, nous faisant non seulement assister aux morts, mais aussi à la façon dont elles affectent les survivants. Le temps d'un épisode, en nous offrant sa perspective personnelle, Eugene Roe s'impose comme une figure entre deux, comme un lien entre le téléspectateur et les soldats. Tout  en parvenant avec justesse et subtilité à retranscrire, de manière authentique, l'état d'esprit global de la compagnie, confrontée à ces heures parmi les plus sombres de son existence, l'épisode est également une forme d'hommage à ces infirmiers de l'ombre, anonymes intervenant a posteriori, lorsque la situation individuelle de tel ou tel soldat a déjà basculé. Une double finalité enrichissante qui confère une portée particulière à cette grande heure de télévision.

bob06-bastogne5.jpg

Bilan : Peut-être est-ce très subjectif, un ressenti avant tout personnel, mais vingt-quatre heures après avoir revu cet épisode, ses images défilent encore dans ma tête. C'est ce qui m'amène d'ailleurs à rédiger ce billet comme une forme d'exutoire, pour essayer vainement de formuler sur le papier, de matérialiser en quelques mots, ce tourbillon émotionnel indescriptible que Bastogne parvient à faire naître en moi.

Je ne suis pas certaine d'être parvenue à vous expliquer rationnellement l'unicité de cet épisode. Mais, plus sobrement, je me contenterai de conclure que, parmi les moments magiques du sériephile, Bastogne demeure, pour moi, une expérience téléphagique à part, qui a sa place dans mon panthéon télévisuel.

NOTE : 10/10

12/11/2009

(Mini-série UK) Warriors : Yougoslavie, pays de toutes les désillusions


Je vous ai déjà confié tout le bien que je pensais de The Project (Les Années Tony Blair). Cependant, à mes yeux, la fiction la plus forte et la plus aboutie des oeuvres de Peter Kosminsky est une production plus ancienne. Il s'agit de Warriors. Elle fut diffusée en 1999 sur la BBC. En France, ce sera également Arte qui la fera découvrir aux téléspectateurs en 2000.

warrior.jpg

Warriors occupe une place à part dans mon coeur, car elle a constitué, chez l'américanophile revendiquée et inconsciente que j'étais, le premier déclic d'une ouverture vers les fictions britanniques. Jusqu'à ce visionnage, je les avais surtout regardées de très loin, sans réellement m'intéresser à cette nationalité en tant que telle. Avouons-le, à l'époque, j'étais jeune et pêtrie de certitudes téléphagiques qui, avec le recul, paraissent d'une naïveté très réductrice. En effet, j'avais alors une vision très manichéenne du paysage sériephage qui consistait à visualiser, d'une part un grand bloc dit "anglo-saxon", où se mêlaient indifféremment Australie, Etats-Unis, Angleterre, etc..., et d'autre part un bloc "Europe continentale" (France, Allemagne...), ce dernier ne m'enthousiasmant que très rarement.

En cela, Warriors a conduit à une première prise de conscience (dont les conséquences immédiates furent limitées dans les faits par des raisons toutes matérielles : arriver à avoir accès à ces fictions m'était assez compliqué à ce moment-là). La sobriété, l'acuité d'analyse et le traitement brut des thématiques fortes de cette fiction font l'effet d'un électrochoc à tout téléspectateur qui s'y plonge. Mais ils m'ont de plus prouvé que, oui, il existait une production britannique qui avait son identité propre ; et qu'il était faux de la réduire à sa consoeur américaine, sous le prétexte d'une langue commune et d'une base culturelle en apparence similaire.

warriors.jpg

Warriors nous raconte l'histoire de plusieurs soldats britanniques qui furent envoyés en Bosnie en 1993, au sein du contingent des casques bleus. Nous suivrons les différents protagonistes avant, durant et après le conflit. Confrontés à des évènements, des situations et des sentiments auxquels ils n'avaient jamais été préparés. "Avant", c'est le temps de l'insouciance et d'une réflexion abstraite sur cette guerre lointaine. Puis, le "pendant" met en scène le temps des doutes et des tragédies. Les doutes sur une mission à la portée restreinte et à l'inutilité prouvée chaque jour sur le terrain. Des tragédies, drames auxquels les soldats doivent assister avec pour ordre de ne pas intervenir. Une incapacité d'ingérence qui les immobilise et les blesse plus sûrement encore que les exactions dont ils sont témoins. Cruel rôle qu'on leur a assigné, celui de faire acte de présence, de servir d'une possible zone tampon. Or, les voilà cantonnés dans une attitude passive qui confine à l'impuissance pendant que des massacres ont lieu. La caméra opte pour une retranscription sobre, ne se complaîsant pas dans les horreur. Elle suggère plus qu'elle ne met en scène, sans que le récit de ces drames ne perde la moindre force. Il y aura bien des désobéissances de la part des soldats. Des tentatives individuelles à la marge pour sauver ce qui peut l'être, ou du moins pourrait l'être, si leurs ordres avaient été plus larges, s'ils avaient envisagé la réalité. Ces initiatives personnelles se solderont avec plus ou moins de réussites. Quelque chose mourra en eux là-bas ; qu'ils ne pourront ensuite guérir. Car, une des forces de Warriors, c'est de traiter non seulement les évènements, mais aussi leurs conséquences, c'est-à-dire les effets sur le plus long terme. En effet, la dernière partie de la mini-série évoque leur retour en Angleterre.  Il y a l'impossibilité d'oublier, de laisser ces images d'horreur derrière eux. A travers le quotidien, désormais dépourvu de toute innocence, de ces soldats rentrés au pays, est exposé tout le traumatisme subi par ces jeunes gens qui sont incapables d'occulter ce qu'il s'est produit. La Yougoslavie les poursuit, les hante constamment et achève de les briser, comme le souligne la scène finale.

warriorsb.jpg

En utilisant l'outil de la fiction, pour toucher un plus large public qu'avec un simple documentaire, Peter Kosminsky réalise une dénonciation brutale, dotée d'une force qui ne peut laisser indifférent, des évènements qui se sont déroulés en Yougoslavie. Il expose toute l'impuissance des casques bleus confrontés à l'horreur du nettoyage ethnique, soulignant les conséquences dramatiques tant sur les victimes civiles qu'ils n'auraient pu empêcher, que sur ces jeunes soldats projetés dans une guerre qui n'est pas la leur et à laquelle ils ne peuvent prendre part. La Yougoslavie a démontré, jusqu'à l'absurde et au tragique, toute l'inutilité de l'idée d'envoyer des casques bleus, mains liées, sur une zone de conflit. Elle a aussi mis en exergue toutes les limites du droit international. Après avoir été paralysées 40 ans par la guerre froide, les Nations Unies recouvraient une capacité d'action. Or, c'est dans le bourbier Yougoslave qu'ils iront s'enliser, découvrant tous les obstacles à la mise en oeuvre de cette idée utopique de pacification. La Yougoslavie servit, ou aurait dû servir, de prise de conscience à la communauté internationale. Warriors est en cela un puissant plaidoyer.

Par ailleurs, l'oeuvre est portée par un casting très solide de jeunes acteurs en devenir, qui nous habitueront rapidement, au cours des années suivantes, à leur présence dans le petit écran, parmi lesquels notamment Matthew Macfadyen (Spooks, Little Dorritt), Damian Lewis (Band of Brothers, Life), Ioan Gruffudd (Hornblower) et Tom Ward (Silent Witness).

warriorsa.jpg

Bilan : On ne ressort pas indemne de Warriors. Plus en état de choc qu'en pleurs, d'ailleurs. A aucun moment Peter Kosminsky n'essaye de jouer sur le larmoyant de cette tragédie qu'il nous raconte. Ce n'est pas l'objet du récit. Aucun excès d'interventionnismes scénaristiques pour romancer l'ensemble. Le savoir-faire du documentariste qu'était Peter Kosminsky avant qu'il ne se tourne vers les fictions transparaît pleinement dans le traitement de l'histoire. Nous sommes face à un témoignage brut, dont la détresse et le caractère poignant sont une partie intégrante de l'histoire. La sobriété avec laquelle tout cela est exposé contribue à asseoir la force et la portée de la narration.

Warriors est un réquisitoire implacable, une dénonciation forte des conditions de l'intervention des casques bleus en Yougoslavie et des évènements qui eurent lieu sous leurs yeux. On a beaucoup écrit sur le sujet, sur les limites de ces conventions internationales, sur cette "force de frappe" qui ne pouvait pas frapper. Mais le temps d'un récit fictif, Warriors apporte une pierre de plus à ces critiques, une pierre magistrale. Car si c'est une fiction, son impact est aussi fort, si ce n'est plus fort, qu'un documentaire.


NOTE : 9,5/10