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30/01/2013

(K-drama / Pilote) A Wife's Credentials : un double portrait, de femme et de société, d'une authenticité rare

 

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Après un mois de janvier à teneur très japonaise, retour en Corée du Sud en ce mercredi asiatique ! La semaine dernière, je projetais de m'intéresser aux nouveautés. Malheureusement ce début d'année n'est pas particulièrement enthousiasmant dans le petit écran du Pays du Matin Calme. Plutôt que de perdre un billet et quelques heures précieuses à vous expliquer en quoi Level 7 Civil Servant est une déception à oublier, je me suis tournée vers les dramas sud-coréens de 2012 que je souhaitais rattraper. A Wife's Credentials figurait en bonne place sur cette liste (différentes reviews publiées en cours de visionnage, mais aussi celle d'Eclair il y a quelques semaines, s'étaient assurées de piquer ma curiosité). Et, incontestablement, les débuts de ce k-drama ont tout pour qu'il devienne mon premier coup de coeur de l'année.

A Wife's Credentials a été diffusé sur la chaîne câblée jTBC, du 29 février au 19 avril 2012, à raison de deux épisodes par semaine les mercredi et jeudi soirs. L'écriture a été confiée au scénariste Jung Sung Joo. La série compte 16 épisodes d'une durée d'une heure environ. On retrouve dans ce drama un naturel et une authenticité rares. Mais en plus de cette justesse, la richesse de A Wife's Credentials tient au fait que la série offre un double niveau de lecture des plus intéressants : tout en parlant de relationnel et d'humain, en dressant un beau portrait femme, elle s'arrête aussi sur la société sud-coréenne actuelle, en traitant notamment de l'enjeu représenté par l'éducation. Un drama qui interpelle donc à plus d'un titre.

[La review qui suit a été écrite après le visionnage des 4 premiers épisodes.]

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Seo Rae est une femme au foyer qui a passé ces dernières années à s'occuper de son fils Gyeol, de santé fragile, assurant son éducation. Son mari, reporter dans une chaîne de télévision, issu d'une famille aisée, avait jusque là soutenu ses efforts. Mais Gyeol va mieux et semble ne plus avoir d'excuse pour ne pas rejoindre les exigences modernes du système éducatif sud-coréen. La pression est d'autant plus forte sur le couple que la belle-famille de Seo Rae les encourage vivement à prendre les choses en main pour le futur de Gyeol. En dépit des réticences de Seo Rae, ils déménagent finalement dans un nouveau quartier, Daechi-dong, où toutes les conditions sont réunies pour lui proposer la meilleure éducation possible - et la plus intensive.

Seo Rae découvre un nouvel environnement auquelle elle doit rapidement s'adapter : la quête de réussite scolaire menée par les parents pour leur progéniture a conduit à une course à l'enseignement privé qui bat son plein à Daechi. La concurrence et la compétition y sont exacerbées. Si Seo Rae avait pu jusqu'à présent préserver Gyeol de toute cette pression, la voilà désormais contrainte d'essayer de lui faire intégrer un des plus recherchés hagwons, qui est censé ouvrir la voie vers des études et un avenir brillants. La mère de famille fait de son mieux, mais peine à assimiler tous ces codes. Un mal de dent de Gyeol la conduit dans un cabinet dentaire, où elle rencontre un dentiste dont la simplicité et la gentillesse détonne dans ce quartier qui lui semble si hostile. Lui apportant un réconfort inattendu, il éveille chez elle des sentiments qu'elle croyait ne plus jamais être améne à ressentir.

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Le premier aspect très intéressant de A Wife's Credentials est la manière dont ses débuts nous introduisent dans la société sud-coréenne d'aujourd'hui, dépeignant un système éducatif qui s'est emballé, repoussant désormais les limites de tous ses acteurs. Dans le domaine de l'enseignement, se sont en effet engagées une course effrénée à l'excellence et une compétition exacerbée auxquelles doivent sacrifier parents et progénitures pour assurer un futur qui passe nécessairement par l'admission dans une université prestigieuse, laquelle vient consacrer des études secondaires aussi brillantes qu'acharnées. Cette course à l'éducation implique des sacrifices importants, mais a aussi un prix. Suivant le lieu habité et l'établissement fréquenté, les élèves ne sont pas égaux. D'autant que la compétition a été portée à un autre niveau avec la généralisation du recours à des instituts d'éducation privés, que l'on appelle les hagwons ("Après l'école, c'est encore l'école" expliquait par exemple ce reportage datant d'il y a 3 ans dans Télérama). Les premiers épisodes de A Wife's Credentials dressent un portrait sans complaisance de la manière dont ce système s'organise et à quel point il est socialement assimilé et perpétué.

Pour mettre toutes les chances du côté de leur fils, Seo-Rae et son mari se rallient, avec un peu de retard, à cette compétition qui démarre désormais dès le plus jeune âge. Le pilote est ici hautement symbolique, puisque la première conséquence de leur décision est la nécessité de déménager. Habitant Séoul, ils franchissent le fleuve Han pour s'installer dans le quartier de Daechi-dong, qui dépend de Gangnam-gu (un nom qui, à moins que vous n'ayez séjourné sur Mars au cours de ces six derniers mois, ne peut vous être inconnu, du fait d'une chanson qui, malgré vous, trotte forcément dans un coin de votre tête). Gangnam est l'arrondissement le plus huppé de la capitale sud-coréenne. En son sein, Daechi-dong est le quartier par excellence où se matérialise cette course à l'éducation, avec la plus forte concentration de hagwons. Pour réussir l'examen d'entrée à une prestigieuse école internationale, le premier objectif que se fixe la famille est de faire en sorte que Gyeol intègre un de ces instituts les plus reconnus. Au cours des diverses péripéties qui vont aboutir à cette admission, A Wife's Credentials prend le temps d'éclairer l'implication des parents - notamment des mères (les "gangnam mothers") - dans l'éducation de leur progéniture, soulignant la pression sociale omniprésente qui s'est installée.

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Dans cet environnement ultra-concurrentiel, où règne un jeu perpétuel des apparences derrière lesquelles, souvent, une situation plus difficile se dissimule, il est logique que Seo Rae étouffe vite. Détonnant dans un quartier aux moeurs bien codifiées, elle doit aussi supporter les remarques blessantes de sa belle-famille et les reproches d'un mari qui s'est désormais totalement désolidarisé des choix qu'ils avaient pu faire pour Gyeol lorsque ce dernier était malade. A Wife's Credentials insiste sur la solitude de cette mère de famile, dont la volonté et la dévotion à son fils forcent l'admiration. S'esquisse avec substilité et pudeur un portrait de femme, touchant et attachant, très humain, auprès de laquelle le téléspectateur s'investit. Le tournant relationnel déterminant que prend le drama suite à sa rencontre avec le dentiste, Tae Oh, achève de compléter et de nuancer le personnage. Ne se réduisant pas à son rôle de mère ou d'épouse, elle s'humanise grâce à l'éveil d'émotions et de sentiments enfouis. La relation qui s'esquisse alors, oscillant entre les soudaines impulsions venant du coeur et les tiraillements de la raison, sonne très juste.

Il faut ici saluer un des grands atouts de ce drama, sur lequel toute la narration peut s'appuyer : son écriture résonne toujours avec une authenticité rare. A Wife's Credentials demeure une fiction ; et elle va user de codes narratifs classiques pour dramatiser et romancer le quotidien de Seo Rae, dans ses heurts avec les mères bien établies de Daechi comme dans son rapprochement avec Tae Oh. Mais les évènements relatés et les coïncidences sur lesquelles la série joue ne lui font jamais perdre l'aura de naturel qui caractérise l'ensemble. Plus encore, le drama a la faculté rare de mettre en scène des instants ordinaires, presque anecdotiques, en étant capable d'en faire ressortir une symbolique ou des émotions fortes. En parfait contraste avec les vexations régulières subies par Seo Rae, les passages où surgit soudain une chaleur humaine inattendue semblent chargés d'une pointe d'émerveillement, qui touche tout particulièrement le téléspectateur. La scène où Tae Oh, encore un inconnu, ramène le vélo volé de Seo Rae, est sans doute la première des scènes de ce genre qui marque durablement. Autre exemple de la palette émotionnelle à disposition du scénariste, le passage où Seo Rae rend visite à sa mère, malade qui ne le reconnaît plus, offre quelques instants profondément touchants qui serrent vraiment le coeur. En résumé, le drama trouve un équilibre à saluer : il romance certes une histoire simple, mais sans jamais paraître artificiel, n'y sacrifier la justesse des réactions et des sentiments dépeints.

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Convaincant sur le fond, A Wife's Credentials est également un drama particulièrement abouti sur la forme. Sa réalisation réussit à merveille à capturer les subtilités de certains instants, ayant compris qu'un simple geste ou un plan un peu éloigné peut être tellement plus parlant que mille mots. La caméra adopte une approche posée, subtile et assurée, qui confère une dimension supplémentaire au récit, avec une photographie également travaillée. Par ailleurs, le drama exploite aussi de manière intéressante un arrière-plan musical très riche : au sein de ce dernier, on trouve principalement des chansons occidentales, qu'il s'agisse de reprises ou d'originales, qui viennent accompagner ou impulser une tonalité vraiment intéressante à l'ensemble. Si certaines musiques accompagnent parfaitement des passages marquants, d'autres jouent à merveille sur un certain décalage. C'est ainsi que vous pourrez vous balader sur le fleuve Han au son d'une cover de "Aux Champs-Elysées", ou encore voir votre coeur s'envoler sur Yesterday Yes A Day de Jane Birkin... Pour un aperçu des chansons présentes, je vous conseille notamment cet article qui en réunit un certain nombre.

Enfin, A Wife's Credentials bénéficie d'un casting solide et homogène qui prend bien la mesure de la tonalité particulière de ce drama, et de son parti d'authenticité. Seo Rae est interprétée, avec justesse et une chaleur humaine qui sait susciter de l'empathie, par Kim Hee Ae (Snow Flower, Midas). Face à elle, Lee Sung Jae (The Lawyers of The Great Republic Korea, Rascal Sons) incarne Tae Oh, ce dentiste investi et sincèrement préoccupé par ceux qui l'entourent, qui ne reste pas non plus indifférent à Seo Rae. Lee Tae Ran (Comrades) joue la directrice du hagwon qui va prendre sous son aile Seo Rae et Gyeol - ce que Seo Rae ne découvre qu'ensuite est qu'elle est aussi la femme de Tae Oh . Et Jang Hyun Sung (Jejoongwon, Vampire prosecutor) est le mari de Seo Rae, devenu le stéréotype du sud-coréen ayant professionnellement réussi et ayant assimilé tous les codes concurrentiels de cette société aisée, entendant voir son fils perpétuer ce succès. On retrouve également Park Hyuk Kwon, Im Je Noh, Lee Jung Gil, Nam Yoon Jung, Choi Eun Kyung, Lee Han Na, Im Sung Min ou encore Nam Neung Mi.

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Bilan : Dotée d'une écriture privilégiant la justesse et l'authenticité, A Wife's Credentials est un drama sobre empreint d'un naturel rafraîchissant, sachant se montrer tour à tour sensible, poignant ou léger. S'il suit une trame très simple, il se démarque cependant par la richesse de son propos et des thèmes abordés. Tout en esquissant avec subtilité un portrait de mère de famille et de femme attachant et nuancé, la série n'en dresse pas moins en arrière-plan le tableau sans complaisance d'une société sud-coréenne engagée dans une course à l'éducation effrenée, source d'une concurrence et d'une pression sociale exacerbées. Ce récit dense bénéficie en plus d'une mise en scène à l'esthétique soignée dont une bande-son riche et diversifiée vient parfaire la tonalité.

A Wife's Credentials signe donc des débuts extrêmement prometteurs. A suivre avec attention.


NOTE : 8/10


Une bande-annonce du drama (avec une chanson de l'OST) :


Une autre bande-annonce du drama (avec une chanson de l'OST) :

27/01/2013

(UK) The Thick of it, saison 4 : la coalition et l'opposition

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Le 15 janvier 2013 a débuté sur la chaîne Gold une nouvelle version d'une des plus brillantes comédies qu'est produit le petit écran britannique, Yes Minister / Yes Prime Minister. Cette dernière constitue un incontournable, un petit bijou d'humour aux dialogues géniaux, qui démontre combien les Anglais n'ont décidément pas leur pareil pour croquer les dessous de leur vie politique. Si la série d'origine occupe une place de choix dans mon panthéon des séries humoristiques, n'y allons pas par quatre chemins : je vais tâcher d'oublier que cette version de 2013 existe. Le pilote laisse en effet un goût amer, à commencer par un casting raté qui ne fait que rappeler au téléspectateur combien le trio d'origine excellait. 

Et puis il y a des codes formels qui pouvaient être légitimes en 1980, mais que l'on comprend moins dans une oeuvre de 2013. Le genre a en effet été renouvelé depuis. Plus important encore, l'Angleterre a déjà trouvé son Yes Minister de ce début de XXIe siècle : il s'appelle The Thick of It. La dernière fois que j'ai consacré un billet à cette série, créée par Armando Iannucci, c'était il y a plus de trois (!) ans, après la diffusion de la troisième saison à l'automne 2009. Elle nous est finalement revenue après cette longue absence pour une dernière saison proposée par la BBC durant l'automne 2012 (elle s'est achevée le 27 octobre). Cette quatrième saison a encore offert de sacrés moments de télévision et est venue superbement conclure une des meilleures et des plus jubilatoires comédies - toutes nationalités confondues - de ces dernières années. Il était grand temps de lui rendre un ultime hommage.

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Reflétant les aléas de la vie politique anglaise, la saison 4 de The Thick Of It met en scène, après des élections, un gouvernement issu de la formation d'une coalition entre deux partis, une nécessité pour avoir la majorité nécessaire pour gouverner le pays. Une redistribution des responsabilités a donc eu lieu. Peter Mannion dirige désormais le DoSAC, le ministère des Affaires sociales et de la Citoyenneté. Il doit cependant composer avec Fergus Williams, son adjoint du fait de la coalition, avec lequel les relations sont pour le moins tendues. Parallèlement, dans l'opposition, Nicola Murray a été élue leader, essayant tant bien que mal d'apporter une opposition crédible, mais exaspérant au plus haut point Malcolm Tucker.

La construction de la saison 4 permet de suivre en parallèle les deux camps, le gouvernement et l'opposition. A un épisode consacré aux coulisses du ministère, succède le suivant qui nous entraîne dans celles de l'opposition. Cette alternance se poursuit jusqu'à ce qu'une affaire ne ramène des pratiques communes à toute la classe politique - l'orchestration et l'instrumentalisation de fuites dans les médias - sur le devant de la scène, aboutissant à des auditions devant une commission d'enquête à laquelle devront répondre tous les protagonistes.

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Relatant des tranches de vie du quotidien du personnel gouvernant ou d'opposition, The Thick of it est une comédie satirique, au verbe violent, excessif, où se succèdent des répliques et des chutes souvent jubilatoires. Faisant écho ou même anticipant parfois des développements bien réels de la vie politique Anglaise, elle nous plonge sans complaisance dans le vase-clos de ce milieu où s'exercent théoriquement d'importantes responsabilités, en y dressant une suite de portraits au vitriol. Dans son récit des rapports qu'entretiennent les différents protagonistes, elle n'a pas son pareil pour éclairer le règne du cynisme et d'une hypocrise assumés, et pour souligner la manière dont les ambitions personnelles dévorent toutes velléités de projet ou de vision politique. Dressant un tableau résolument sombre des dynamiques du pouvoir, la série semble faire sien le scénario du pire (et nous laisse avec l'impression de le voir trop souvent corroborer par la réalité).

Doté d'un ton mordant et abrasif à souhait, The Thick ot it cultive dans sa mise en scène une spontanéité qui, conjuguée à un effort minimaliste d'exposition des intrigues ou des enjeux, renforce ce ressenti de prise immédiate avec le réel qu'elle renvoie. Cette saison 4 permet d'y retrouver tous ces atouts qui ont fait la réputation de la série. Sa construction en alternance, entre gouvernement et opposition, aurait pu faire craindre un certain déséquilibre, les épisodes où Malcolm fait son show demeurant les grands incontournables. Cependant, la série retrouve vite sa dynamique caractéristique, y compris au sein du DoSAC. L'impossible relation de travail entre Mannion et Williams constitue une source continuelle de micro-crises au sein du ministère ; et la présence de Teri et de Glenn, ce dernier s'offrant même le luxe d'un jubilatoire discours vérité en guise de fin, parachève parfaitement le tableau. Qu'il s'agisse donc des déchirements dans les coulisses de la coalition, ou des restructions internes à une opposition qui peine à se mettre en ordre de bataille, la saison fournit son lot d'échanges jubilatoires.

Par ailleurs, les scénaristes ont aussi pris en compte le fait qu'il s'agissait de proposer une conclusion. Après une première partie où The Thick of it poursuit une approche classique du quotidien politique, les derniers épisodes la voit cette fois se tourner vers le passé, pour revenir sur ces pratiques qu'elle s'est contentée jusqu'alors de mettre en scène. Elle se transforme en tribune : la commission d'enquête, par ses auditions, est l'occasion de pointer et de dénoncer les travers existant dans le fonctionnement de la démocratie, et plus précisément l'art de la communication, avec cette exploitation/instrumentalisation réciproque des politiciens et des journalistes. Cela va être conduire Malcolm à devoir tirer sa révérence, lui permettant d'asséner avec le cynisme qu'on lui connaît quelques vérités qui trouvent ici une résonnance particulière. Au-delà de ses propos tenus devant la commission, la série nous offre surtout une dernière confrontation avec Ollie, ersatz sans envergue du spin doctor, dans laquelle Malcolm se dévoile un peu, créature plus que créateur de ce système qui, de toute façon, perdurera sans lui. La sortie de Malcolm est parfaitement gérée : des acteurs importants du système disparaissent, mais le système lui-même se perpétue avec les successeurs qui se sont construits et ont été façonnés par ces règles.

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Sur la forme, The Thick of It conserve son approche "quasi-documentaire", tournée caméra à l'épaule avec une caméra nerveuse qui tente de suivre les éclats et les gesticulations de chacun des protagonistes. Cela confère à l'ensemble ce parfum d'authenticité caractéristique, renforcé par les ponts avec la réalité qui sont opérés. La série capture ainsi des suites d'instantanés avec un montage minimaliste : cette mise en scène reste parfaite, en totale adéquation avec les ambitions du récit, mais aussi avec sa tonalité.

Quant au casting, il est également au diapason. Tout a déjà été écrit pour saluer la prestation de Peter Capaldi, qui excelle dans son interprétation de Malcolm, avec ses excès de langage, cette présence intimidant et cette vision du milieu politique où il apparaît comme un véritable stratège de guerre. S'il tend à éclipser quelque peu ses vis-à-vis dans les scènes où son personnage intervient, ce qui est naturel, il n'en faut pas moins reconnaître l'homogénité et la solidité du reste du casting qui est également très convaincant. D'ailleurs le fait que le ministère parvienne à conserver une dynamique intéressante loin de Malcolm en est bien le révélateur. Parmi les acteurs principaux de cette saison, on retrouve Chris Addison, Joanna Scanlan, James Smith, Polly Kemp, Rebecca Front, Roger Allam, Will Smith, Olivia Poulet, Vincent Franklin, Geoffrey Streatfeild, Ben Willbond et Rebecca Gethings.

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Bilan : Après trois ans d'absence, The Thick of it n'a rien perdu ni de son cynisme, ni de son mordant légendaire, nous proposant une savoureuse ultime saison de celle qui restera comme une grande comédie politique satirique. Portrait désillusionné de la classe dirigeante du pays, sa mise en scène et ses répliques font d'elle une fiction, teintée d'humour noir, particulièrement jubilatoire. Si elle a parfaitement réussi sa sortie, s'adaptant au nouveau paysage politique Anglais, tout en soignant l'évolution de Malcolm, elle laisse le téléspectateur chérir un secret espoir : celui de retrouver un jour cet univers à l'occasion d'un bref special pour continuer de suivre les changements du pays (ou rêvons même d'une saison)... Cette saison 4 aura en tout cas rappelé pourquoi The Thick of it est bel et bien une série incontournable du petit écran anglais. Si elle ne conviendra pas à tous les publics, elle mérite certainement la curiosité de tout sériephile.


NOTE : 8,75/10


Une bande-annonce de la saison :

Un extrait marquant - Malcolm devant la commission d'enquête :

25/01/2013

(Pilote US) The Following : dans la droite lignée des fictions mettant en scène des serial killer

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Regarder à quelques jours d'intervalle les pilotes respectifs de Utopia et de The Following vous conduit à vous poser une question existentielle : qu'est-ce que les scénaristes peuvent bien avoir en ce mois de janvier contre les yeux de leurs protagonistes ? Y-a-t-il une symbolique cachée derrière cet acharnement ? Sans doute pas, mais comme ces deux séries ont en plus tendance à nourrir votre paranoïa latente, le doute s'insinue... Cependant, en dehors de ce traumatisme oculaire commun, ces deux nouveautés ne partagent pas grand chose, si ce n'est un certain goût pour la mise en scène hémoglobineuse.

The Following a débuté, aux Etats-Unis, le 21 janvier 2013 sur Fox. Créée par Kevin Williamson, elle s'inscrit dans la (longue !) lignée des fictions sur des serial killers et sur les rapports que ces individus peuvent entretenir avec un vis-à-vis dans les forces de l'ordre. Ayant passé mon adolescence devant Profiler, ayant adoré la fascinante Wire in the blood, mais aussi apprécié un certain nombre de films du genre au cinéma, un tel concept avait forcément éveillé ma curiosité. Malheureusement le pilote de The Following est loin de m'avoir convaincu. 

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Ce premier épisode débute par l'évasion de Joe Carroll, un serial killer qui se trouvait dans le couloir de la mort. Cet ancien professeur d'université, fasciné par les oeuvres d'Edgar Allan Poe, a tué un certain nombre de jeunes femmes, avant d'être arrêté par un agent du FBI, Ryan Hardy, qui a réussi à sauver celle qui aurait dû devenir une de ses victimes. Grièvement blessé lors de cette intervention, Hardy a désormais quitté le FBI, n'étant plus apte au service actif. Mais il est cependant rappelé, lors de l'évasion de Carroll, en tant que consultant, connaissant mieux que personne l'homme qu'ils traquent. Seulement Carroll n'est pas juste un serial killer isolé. Charismatique, il a su s'entourer et développer autour de lui tout un culte, embrigadant des adeptes qui sont prêts à tout pour l'aider dans ses plans. Mégalomane, il nourrit en effet un certain nombre de projets, et il a choisi son adversaire pour le nouveau volume sanglant qu'il entend écrire : ce sera Hardy.

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Familier des fictions mettant en scène des serial killer, vous ne serez nullement égaré devant le pilote de The Following : la série revendique de manière transparente ses diverses sources d'inspiration. Mais vouloir s'inscrire dans un genre qui a du potentiel et en reprendre les codes avec une fidélité assumée n'implique pas faire l'économie d'une véritable réappropriation de tous ces concepts. Malheureusement, l'épisode enchaîne les poncifs et ressemble vite à une accumulation de clichés, aussi bien dans les portraits esquissés de ses personnages principaux, que dans ses répliques. A tel point point que certains passages n'auraient franchement pas dépareillé dans A Touch of Cloth, la parodie policière de Charlie Brooker. L'ensemble laisse donc un arrière-goût prononcé de "déjà vu", et l'impression diffuse de s'être égaré devant une fiction datant d'il y a dix ans. Il a certes ses fulgurances, quelques bonnes idées pas pleinement exploitées au niveau des rebondissements et des passages qui donnent un temps l'impression que l'épisode décolle enfin, mais tout cela retombe trop vite. Il échoue donc dans sa tâche première : celle de donner une consistance et une crédibilité aux évènements et aux protagonistes de la série.

Par ailleurs, il faut reconnaître que ce pilote de The Following n'est pas non plus aidé par un problème récurrent qui se rencontre dans certains pilotes des grands networks US de ces dernières années : le fait de partir en sur-régime. Cherchant à retenir un public zappeur à l'attention présupposée déficiente, il adopte un rythme extrêmement rapide, emballant en quarante minutes un maximum de rebondissements et d'informations. Ce survol ne serait pas trop problématique si l'intrigue elle-même n'empruntait pas de nombreux raccourcis. C'est tout l'enjeu d'un premier épisode de trouver l'équilibre entre le fait de vendre efficacement un concept au téléspectateur et celui de poser de manière cohérente son histoire. Seulement ici le scénario condensé donne l'impression d'être bâclé, peu abouti et sur-calibré de manière artificielle. De plus, si ce rythme de narration particulier peut éventuellement fonctionner pour un téléfilm, une série a vocation à s'inscrire dans le temps. Or avec un démarrage de ce genre, on mine dès le départ ses fondations-mêmes, sachant qu'elle ne pourra pas reproduire cette recette telle quelle très longtemps. Sur un plan plus optimiste, on peut aussi se dire que cette contrainte auto-imposée pour le pilote ne sera peut-être pas la même pour la suite, et que les épisodes pourront être plus soignés.

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Au-delà de ces problèmes sur le fond, le pilote de The Following déçoit également sur la forme. Adoptant une réalisation pas toujours inspirée, rejouant des mises en scène trop convenues qui soulignent encore plus la prévisibilité d'ensemble du scénario, l'épisode ne dépasse jamais les allures de correcte série B, revisitant un genre sans aucune valeur ajoutée, ni rien apporter qui lui soit propre. Certes, il y a bien des moments de tension, des passages où le téléspectateur se prend mécaniquement au jeu et où une ambiance inquiétante se crée, mais cela reste fugitif. Trop souvent c'est sur des éclats et les scènes volontairement "chocs" de bains de sang (humain ou animal) que repose la mission de capturer l'horreur que  son sujet devrait susciter.

Enfin, sur le papier, The Following dispose d'un casting qui a du potentiel. Kevin Bacon face à James Purefoy (Rome, The Philanthropist, Injustice), la confrontation peut valoir le détour, encore faut-il que les deux acteurs aient matière pour s'exprimer. Malheureusement ils se retrouvent pris au piège des limites d'écriture dont souffre ce pilote. Enfermé dans les plus usants clichés du flic amoché et alcoolique, confronté à une affaire qui le touche de près, Kevin Bacon a une présence presque minimaliste durant tout l'épisode, en dehors de deux ou trois passages qui, j'espère, seront amenés à devenir plus la règle. Quant à James Purefoy, il est solide, mais ne parvient pas à empêcher son personnage de sonner faux. Et ce n'est pas du côté des rôles secondaires que l'on trouvera un jeu consistant, l'équipe du FBI (Shawn Ashmore ou Jeananne Goossen) n'étant pas particulièrement convaincante. A noter également que l'on retrouve Natalie Zea (partie de Justified) qui interprète l'ex-femme de Carroll.

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Bilan : Encombré de stéréotypes mais disposant de quelques fulgurances "chocs", le pilote de The Following pourrait être une honnête et convenue incursion de série B dans le genre des fictions de serial killer. Mais en tant que pilote d'une série, il laisse plus dubitatif, échouant dans sa mission première qui était de crédibiliser et de poser des fondations solides à son concept de départ. Incapable de donner une consistance à ses personnages, il se voit contraint de se reposer sur des artifices sanguinolants et sur la paranoïa suscitée par l'existence des adeptes de Carroll - y-aura-t-il un traître dans l'équipe du FBI ?. Cela peut peut-être permettre de faire illusion un temps, mais l'ensemble m'a semblé sonner bien creux, a fortiori pour s'inscrire dans la durée.


NOTE : 5,75/10


La bande-annonce de la série :

23/01/2013

(J-Drama) Bunshin : un double portrait intime sur fond de mystère et de quête identitaire

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Les nouveautés, tant japonaises que sud-coréennes (et peut-être au-delà), commencent à s'accumuler, et il va sans doute falloir s'y pencher un peu plus sérieusement la semaine prochaine. Mais en ce mercredi asiatique, terminons tout d'abord ce cycle de rattrapage "WOWOW 2012" (après Double Face et Hitori Shizuka) initié en ce début d'année, avec un ultime drama qui figurait sur ma liste à découvrir : Bunshin. Notez cependant dès à présent que j'attends aussi avec impatience que Tsumi to Batsu soit entièrement sous-titré, donc ce cycle ne s'achève pas aujourd'hui !

Bunshin est un renzoku qui a été diffusé sur WOWOW du 12 février au 11 mars 2012. Il a en fait pris la suite du marquant Shokuzai. Composé de cinq épisodes d'une cinquantaine de minutes chacun, il s'agit d'une adaptation d'un roman du même nom, écrit par Higashino Keigo dans les années 90. Un auteur qui vous parlera sans doute puisqu'on lui doit les sources d'inspiration de divers dramas comme Byakuyako, Galileo, Shinzanmono ou encore Shukumei dont je vous avais parlé l'an dernier. La transposition à l'écran a été confiée au scénariste Tanabe Mitsuru, et la réalisation à Nagata Koto. Drame intimiste et introspectif, Bunshin est une série qui traite d'une thématique personnelle et familiale qui renvoie, au fil du récit, à d'autres problématiques actuelles, notamment scientifiques. Si elle a certaines limites, elle se visionne pourtant sans déplaisir.

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Bunshin suit les destins croisés de deux jeunes femmes qui n'auraient normalement rien dû avoir en commun, et ne se seraient sans doute jamais rencontrées si elles n'avaient pas été... identiques physiquement.

Depuis son enfance, Mariko se questionne sur son identité. Elle est si différente de ses parents qu'elle se demande si elle n'a pas été adoptée. Ses doutes n'ont fait qu'augmenter face à la distance imposée par sa mère. Un incendie dans des circonstances troubles coûtera la vie à sa dernière, laissant Mariko se reconstruire aux côtés de son père et du reste de sa famille, et reléguant en arrière-plan ses soupçons. Devenue adulte, elle étudie à Hokkaido pour devenir assistante sociale. Mais elle retrouve un jour de vieux papiers ayant appartenu à sa mère qui réveillent de vieilles questions. Cette fois-ci, décidée à découvrir la vérité, elle part pour Tokyo.

C'est dans cette dernière ville que Futaba, une étudiante, rêve de gloire et d'une carrière de chanteuse à succès au sein de son groupe. A l'occasion d'une promotion télévisée d'un évènement sur le campus, elle est interviewée à la télévision, malgré les réticences exprimée par sa mère. L'apparition du visage de Futaba dans le petit écran ne laisse pas indifférent plusieurs téléspectateurs, qu'il s'agisse d'inconnus, mais aussi de ceux qui connaissent Mariko. Les deux femmes semblent en apparence en tout point semblables. Quel lien les unit ? Quels secrets cache leur naissance ?

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Alors que son synopsis aurait pu servir de base à un vrai récit à suspense, le parti pris du drama est tout autre : il s'agit avant tout d'une fiction personnelle et intimiste. Bunshin s'attache à mettre en scène la quête identitaire et existentielle de ses deux héroïnes. La série insiste donc sur les états d'âme de ses personnages, expose leurs doutes et leurs suspicions, et éclaire leurs réactions face aux épreuves que Mariko et Futaba ont dû ou devront traverser à cause du mystère entourant leur naissance. Si le drama conserve toujours une cohérence et une justesse appréciables dans les portraits proposés, cette façon de privilégier la dimension humaine au détriment de la construction d'une éventuelle tension frustre quelque peu. En effet, même quand le danger semble se rapprocher, la narration reste toujours fidèle à une approche centrée sur le développement des personnages. Ce parti pris demeurera constant jusqu'à la fin de la série. De même, quand des problématiques d'éthique scientifique sont soulevées, le drama n'en retiendra que la manière dont Futaba et Mariko vont recevoir la nouvelle et assimiler la révélation de leurs origines.

Si le propos du drama est intéressant, le téléspectateur ne peut s'empêcher de penser que le matériel de départ offrait sans doute un potentiel plus important que l'approche minimaliste offerte par Bunshin. En fait, le drama a le parfum de ces fictions cohérentes et sérieuses, qui savent où elles vont, mais qui ne veulent pas trop en faire, refusant de s'éloigner du chemin bien balisé sur lequel elles évoluent. Il suit une structure bien huilée : ses trois premiers épisodes posent efficacement les enjeux, puis les deux dernières permettent à l'intrigue de s'accéler et nous conduisent vers une vraie résolution. Mais il lui manque l'étincelle qui lui aurait permis de se démarquer, une capacité à surprendre et à désarçonner le téléspectateur. Son rythme lent est peut-être ici en partie en cause. Le drama n'essaie pas de cultiver un suspense, dont le développement aurait pu être légitime. Prenant son temps, il introduit méthodiquement chaque nouvel élément du mystère : or, tandis que les déductions logiques sont faites assez facilement par le téléspectateur, les pièces du puzzle mettent un peu trop de temps à s'emboîter à l'écran. Reste que Bunshin remplit son contrat, soigne les détails de fin et délivre une histoire consistante. A défaut de parvenir à happer le téléspectateur dans son énigme, il retient l'attention de bout en bout grâce à l'évolution de son duo principal. Il laisse donc des regrets, mais n'en demeure pas moins très correct.

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Au-delà de ses limites sur le fond, un des atouts de Bunshin qui facilite son visionnage repose sur la forme. Sa réalisation est maîtrisée. Plus que le visuel opportunément sobre, c'est sa photographie soignée qui est très appréciable. Par ailleurs, la série bénéficie d'une intéressante bande-son, composée uniquement d'instrumentaux, qui accompagne vraiment bien la narration. La musique semble en effet toujours s'accorder avec le récit, retentissant au bon moment ou pour apporter la bonne transition. L'ensemble renvoit donc l'impression d'une oeuvre aboutie.

Enfin, côté casting, Bunshin repose logiquement sur les épaules de Nagasawa Masami (Dragon Zakura, Proposal Daisakusen, GOLD, Koukou Nyushi) qui interprète donc, non pas un rôle, mais les deux rôles principaux. Devoir jouer deux personnages différents au cours d'une même fiction est un sacré défi en soi, a fortiori lorsque Mariko et Futaba sont réunies dans une même pièce. Et Nagasawa Masami n'est pas la plus expressive des actrices... Mais elle s'en sort assez correctement, capable quand il le faut de souligner les traits distincts de chacun de ses rôles. A ses côtés, on retrouve quelques figures familières du petit écran japonais, comme Katsuji Ryo (Tokyo DOGS, Mioka, Rebound), Usada Asami (Tokyo DOGS, Control ~ Hanzai Shinri Sousa, Kurumi no Heya), Suzuki Sawa (Chojin Utada, Aibou, Hungry!), Sano Shiro (Vampire Host, Marks no Yama), Tezuka Satomi (Strawberry Night, Shukumei) ou encore Ibu Masato (Last Money ~Ai no Nedan~, Tsumi to Batsu).

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Bilan : D'allure calibrée et classique, Bunshin est un drama intéressant par l'exploration qu'il propose de ses deux personnages principaux, confrontés à la question de leurs origines et entraînés dans une véritable quête existentielle. Adoptant un rythme plutôt lent, il privilégie avant tout l'humain, anesthésiant par conséquent volontairement un registre à suspense auquel la fiction aurait pu légitimement prétendre. Sérieux dans ses développements, il lui manque la tension et l'ambition qui lui auraient permis d'exploiter pleinement toutes les facettes d'un concept au potentiel certain. Reste que Bunshin s'en sort très honorablement à condition de le regarder pour ce qu'il est : un double portrait croisé, personnel et intime. C'est peut-être un peu frustrant par rapport à l'idée de départ, mais ce n'est déjà pas si mal, car il se visionne sans déplaisir.


NOTE : 7/10

21/01/2013

(Pilote UK) Utopia : un thriller conspirationniste ultra-violent, énigmatique et marquant

"Chillies, sand, bleach. A spoon."

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Le petit écran d'Outre-Manche me fait plaisir en ce début d'année. Certes Spies of Warsaw n'a pas tenu ses promesses, mais Ripper Street s'impose semaine après semaine comme le crime period drama que j'espérais secrètement, enchaînant des épisodes plus solides et maîtrisés que le pilote qui avait pourtant laissé entrevoir des promesses (et les audiences tiennent le choc face à l'alternative "shopping period drama" un peu fade qu'est Mr Selfridge comme le montre la soirée d'hier). Côté comédies, il y a Miranda (je débats intérieurement pour savoir si je vais oser lancer le pilote de la nouvelle version modernisée de Yes Prime Minister). Enfin, pour les amateurs de fantastique, la saison 5 de Being Human sera bientôt de retour...

Ne manquait donc qu'un drama provocateur et ambivalent, histoire de parachever le tableau en offrant matière à débattre. Pour ce genre de séries, on peut évidemment compter sur Channel 4. Elle a lancé mardi dernier une fiction pour le moins intriguante : Utopia. Produite par Kudos et écrite par le scénariste Dennis Kelly, une saison de six épisodes a pour l'instant été commandée. Thriller conspirationniste, à la fois ultra-violent et cartonnesque, le pilote d'Utopia fonctionne assurément, à condition d'avoir l'estomac bien accroché.

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Tandis que l'Angleterre débat de la crise et d'achats de vaccin contre une grippe par le gouvernement, deux tueurs se lancent dans une quête sanglante à la recherche du manuscrit de la deuxième partie d'un graphic novel culte, The Utopia Experiments. Entourée d'une aura particulière, notamment parce que certains la pensent prophétique, cette bande-dessinée compte un certain nombre de fans, qui se rassemblent sur un forum en ligne lui étant consacrée. Or un jour, un des membres annonce avoir mis la main sur le mystérieux tome 2 jamais publié. Il propose aux quelques membres présents en ligne à ce moment-là une rencontre IRL pour parcourir l'oeuvre ensemble. Mais le jour prévu de la rencontre, il est retrouvé mort : la police conclut au suicide. Le groupe d'inconnus qu'il a contacté se retrouve soudain pris dans l'engrenage létal qui est entré en action. Soudain pris pour cible, sans comprendre les enjeux, ni les forces qu'ils affrontent, ils doivent fuir. D'autant que les tueurs qui les pourchassent n'ont pas réussi à reprendre la deuxième partie du graphic novel, subtilisé par un adolescent fréquentant lui-aussi le forum. Ces individus inquiétants, ne reculant devant aucune extrêmité et évoluant en toute impunité, recherchent également une autre personne, une mystérieuse Jessica Hyde.

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Le pilote d'Utopia est d'une efficacité redoutable, proposant dès sa scène d'ouverture une atmosphère bien à part. Une chose est certaine : l'épisode marque et laisse tout sauf indifférent. Il projette, sans la moindre introduction, le téléspectateur dans la toile mortelle d'un thriller conspirationniste et paranoïaque, au sein duquel aucun repère n'est donné. Posant les bases d'une chasse à l'homme impitoyable, il laisse le public dans l'expectative. Plusieurs destinées nous sont relatées - l'adolescent volant le graphic novel, l'assistant parlementaire provoquant l'achat du vaccin et la chute de son ministère, et le trio bientôt en fuite -, permettant d'introduire quelques pistes, mais restent en suspens les liens et l'ampleur enjeux réels qui se cachent derrière. Les questions se bousculent, certaines inquiétantes, d'autres récurrenteset mystérieuses ("where is Jessica Hyde ?") : elles atteignent sans difficulté leur but premier, c'est-à-dire aiguiser la curiosité tout en diffusant une tension sourde et prenante tout au long de l'épisode. Avec son duo de tueurs glaçants au possible et la promesse d'un mystère complexe, Utopia dispose donc de toutes les cartes en main pour installer un solide thriller. Pour autant, si elle marque tant, c'est que ce pilote est un peu plus que cela : il constitue un véritable exercice de style.

En effet, Utopia bénéficie d'une ambiance extrêmement travaillée. Rien n'est laissé au hasard pour construire l'atmosphère vraiment particulière qui est celle de la série. Tout d'abord, en dépit de la tension qui y règne, l'épisode manie un humour noir assez savoureux, notamment lors de dialogues où les flottements et les chutes ne manquent pas de répliques décalées. De plus, il s'épanouit dans un registre cartoonesque, avec une faculté hors norme à prendre son temps lors des scènes les plus dures et à proposer une violence très graphique. Quasi hypnotique, la série suscite une confuse fascination-répulsion : allant très loin dans la mise en scène de la violence, avec certains passages -notamment un à la fin du pilote- clairement insoutenables pour moi, elle joue sur un certain voyeurisme qui suscite le malaise du téléspectateur. Pour autant, sa surenchère n'est pas gratuite, et tout s'emboîte avec un vrai sens du détail. Interrogé sur ces excès, Dennis Kelly a expliqué lors d'une projection que, pour lui : "The only violence I find personally offensive is violence that doesn’t shock you". Choquer, provoquer : l'objectif est donc clair et revendiqué. Avec son ambiance clairement à part, Utopia a le mérite de trancher dans le paysage audiovisuel. Elle marche cependant sur une fine ligne : si elle veut tenir six épisodes, il va lui falloir une intrigue solide. Son atmosphère, avec sa débauche de violence, ne doit absolument pas être une finalité. Elle ne doit pas tourner à vide : car le choc du premier épisode ne paralyserait alors pas longtemps l'esprit critique du téléspectateur.

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Le soin extrême apporté à l'ambiance de la série se retrouve sur un plan formel : Utopia est une série superbe visuellement. Elle bénéficie d'une réalisation cinématographique, avec un format à rapprocher d'autres séries de Channel 4 comme Secret State ou Top Boy. Sa photographie, extrêmement travaillée au niveau des teintes et des couleurs un peu saturées, se justifie d'autant plus par le contexte de l'histoire : c'est la quête d'un graphic novel qui suscite toutes les convoitises et provoque un certain nombre des évènements du pilote. L'ouverture marquante dans un magasin de bandes-dessinées, et la dimension supposée prophétique de The Utopia Experiments, renforce l'impression que la série sort directement des planches à dessin du manuscrit recherché.

Enfin Utopia peut s'appuyer sur un casting convaincant. Pour incarner les forumeurs contraints rapidement de fuir les tueurs, on retrouve Alexandra Roach (Hunderby), Nathan Stewart-Jarrett (Misfits), Adeel Akhtar et Oliver Woollford. Les trois premiers sont rejoints à la fin du pilote par Fiona O'Shaughnessy, dont le personnage commençait à devenir mythique avant même d'être apparu à l'écran. Les deux tueurs qui sévissent dans ce premier épisode sont interprétés respectivement par Neil Maskell (The Jury) et Paul Ready. Paul Higgins (Line of Duty) joue quant à lui l'assistant ministériel contraint de servir les intérêts russes dans un enjeu médical et financier d'importance. Et Stephen Rea (Father & Son, The Shadow Line) a juste l'occasion d'une brève apparition dans ce pilote, ce qui vous laisse entrevoir le potentiel présent dans ce casting.

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Bilan : Le pilote d'Utopia marque et remplit parfaitement sa fonction introductive : aiguiser la curiosité du téléspectateur et intriguer sur les enjeux derrière la chasse à l'homme et au manuscrit qui se déroule sous nos yeux. Il représente un exercice de style clairement ambitieux visuellement, à l'ambiance travaillée avec un vrai sens du détail. La volonté de choquer par la violence y est revendiquée, la fiction intégrant ces scènes pour construire l'atmosphère de la série. Ce premier épisode trouve aussi le juste équilibre entre une sourde tension et des passages plus d'humour noir.

La principale difficulté à surmonter pour Utopia est désormais de tenir la distance : à elle de parvenir à être consistante et solide sur le fond dans son registre de thriller conspirationniste, pour ne pas se réduire à une simple fiction expérimentale provocatrice et "tape à l'oeil". Si elle réussit à maintenir le cap, on peut tenir là une série à part qui méritera le détour. A condition d'avoir l'estomac bien accroché.


NOTE : 8/10


La bande-annonce de la série :