27/01/2013
(UK) The Thick of it, saison 4 : la coalition et l'opposition
Le 15 janvier 2013 a débuté sur la chaîne Gold une nouvelle version d'une des plus brillantes comédies qu'est produit le petit écran britannique, Yes Minister / Yes Prime Minister. Cette dernière constitue un incontournable, un petit bijou d'humour aux dialogues géniaux, qui démontre combien les Anglais n'ont décidément pas leur pareil pour croquer les dessous de leur vie politique. Si la série d'origine occupe une place de choix dans mon panthéon des séries humoristiques, n'y allons pas par quatre chemins : je vais tâcher d'oublier que cette version de 2013 existe. Le pilote laisse en effet un goût amer, à commencer par un casting raté qui ne fait que rappeler au téléspectateur combien le trio d'origine excellait.
Et puis il y a des codes formels qui pouvaient être légitimes en 1980, mais que l'on comprend moins dans une oeuvre de 2013. Le genre a en effet été renouvelé depuis. Plus important encore, l'Angleterre a déjà trouvé son Yes Minister de ce début de XXIe siècle : il s'appelle The Thick of It. La dernière fois que j'ai consacré un billet à cette série, créée par Armando Iannucci, c'était il y a plus de trois (!) ans, après la diffusion de la troisième saison à l'automne 2009. Elle nous est finalement revenue après cette longue absence pour une dernière saison proposée par la BBC durant l'automne 2012 (elle s'est achevée le 27 octobre). Cette quatrième saison a encore offert de sacrés moments de télévision et est venue superbement conclure une des meilleures et des plus jubilatoires comédies - toutes nationalités confondues - de ces dernières années. Il était grand temps de lui rendre un ultime hommage.
Reflétant les aléas de la vie politique anglaise, la saison 4 de The Thick Of It met en scène, après des élections, un gouvernement issu de la formation d'une coalition entre deux partis, une nécessité pour avoir la majorité nécessaire pour gouverner le pays. Une redistribution des responsabilités a donc eu lieu. Peter Mannion dirige désormais le DoSAC, le ministère des Affaires sociales et de la Citoyenneté. Il doit cependant composer avec Fergus Williams, son adjoint du fait de la coalition, avec lequel les relations sont pour le moins tendues. Parallèlement, dans l'opposition, Nicola Murray a été élue leader, essayant tant bien que mal d'apporter une opposition crédible, mais exaspérant au plus haut point Malcolm Tucker.
La construction de la saison 4 permet de suivre en parallèle les deux camps, le gouvernement et l'opposition. A un épisode consacré aux coulisses du ministère, succède le suivant qui nous entraîne dans celles de l'opposition. Cette alternance se poursuit jusqu'à ce qu'une affaire ne ramène des pratiques communes à toute la classe politique - l'orchestration et l'instrumentalisation de fuites dans les médias - sur le devant de la scène, aboutissant à des auditions devant une commission d'enquête à laquelle devront répondre tous les protagonistes.
Relatant des tranches de vie du quotidien du personnel gouvernant ou d'opposition, The Thick of it est une comédie satirique, au verbe violent, excessif, où se succèdent des répliques et des chutes souvent jubilatoires. Faisant écho ou même anticipant parfois des développements bien réels de la vie politique Anglaise, elle nous plonge sans complaisance dans le vase-clos de ce milieu où s'exercent théoriquement d'importantes responsabilités, en y dressant une suite de portraits au vitriol. Dans son récit des rapports qu'entretiennent les différents protagonistes, elle n'a pas son pareil pour éclairer le règne du cynisme et d'une hypocrise assumés, et pour souligner la manière dont les ambitions personnelles dévorent toutes velléités de projet ou de vision politique. Dressant un tableau résolument sombre des dynamiques du pouvoir, la série semble faire sien le scénario du pire (et nous laisse avec l'impression de le voir trop souvent corroborer par la réalité).
Doté d'un ton mordant et abrasif à souhait, The Thick ot it cultive dans sa mise en scène une spontanéité qui, conjuguée à un effort minimaliste d'exposition des intrigues ou des enjeux, renforce ce ressenti de prise immédiate avec le réel qu'elle renvoie. Cette saison 4 permet d'y retrouver tous ces atouts qui ont fait la réputation de la série. Sa construction en alternance, entre gouvernement et opposition, aurait pu faire craindre un certain déséquilibre, les épisodes où Malcolm fait son show demeurant les grands incontournables. Cependant, la série retrouve vite sa dynamique caractéristique, y compris au sein du DoSAC. L'impossible relation de travail entre Mannion et Williams constitue une source continuelle de micro-crises au sein du ministère ; et la présence de Teri et de Glenn, ce dernier s'offrant même le luxe d'un jubilatoire discours vérité en guise de fin, parachève parfaitement le tableau. Qu'il s'agisse donc des déchirements dans les coulisses de la coalition, ou des restructions internes à une opposition qui peine à se mettre en ordre de bataille, la saison fournit son lot d'échanges jubilatoires.
Par ailleurs, les scénaristes ont aussi pris en compte le fait qu'il s'agissait de proposer une conclusion. Après une première partie où The Thick of it poursuit une approche classique du quotidien politique, les derniers épisodes la voit cette fois se tourner vers le passé, pour revenir sur ces pratiques qu'elle s'est contentée jusqu'alors de mettre en scène. Elle se transforme en tribune : la commission d'enquête, par ses auditions, est l'occasion de pointer et de dénoncer les travers existant dans le fonctionnement de la démocratie, et plus précisément l'art de la communication, avec cette exploitation/instrumentalisation réciproque des politiciens et des journalistes. Cela va être conduire Malcolm à devoir tirer sa révérence, lui permettant d'asséner avec le cynisme qu'on lui connaît quelques vérités qui trouvent ici une résonnance particulière. Au-delà de ses propos tenus devant la commission, la série nous offre surtout une dernière confrontation avec Ollie, ersatz sans envergue du spin doctor, dans laquelle Malcolm se dévoile un peu, créature plus que créateur de ce système qui, de toute façon, perdurera sans lui. La sortie de Malcolm est parfaitement gérée : des acteurs importants du système disparaissent, mais le système lui-même se perpétue avec les successeurs qui se sont construits et ont été façonnés par ces règles.
Sur la forme, The Thick of It conserve son approche "quasi-documentaire", tournée caméra à l'épaule avec une caméra nerveuse qui tente de suivre les éclats et les gesticulations de chacun des protagonistes. Cela confère à l'ensemble ce parfum d'authenticité caractéristique, renforcé par les ponts avec la réalité qui sont opérés. La série capture ainsi des suites d'instantanés avec un montage minimaliste : cette mise en scène reste parfaite, en totale adéquation avec les ambitions du récit, mais aussi avec sa tonalité.
Quant au casting, il est également au diapason. Tout a déjà été écrit pour saluer la prestation de Peter Capaldi, qui excelle dans son interprétation de Malcolm, avec ses excès de langage, cette présence intimidant et cette vision du milieu politique où il apparaît comme un véritable stratège de guerre. S'il tend à éclipser quelque peu ses vis-à-vis dans les scènes où son personnage intervient, ce qui est naturel, il n'en faut pas moins reconnaître l'homogénité et la solidité du reste du casting qui est également très convaincant. D'ailleurs le fait que le ministère parvienne à conserver une dynamique intéressante loin de Malcolm en est bien le révélateur. Parmi les acteurs principaux de cette saison, on retrouve Chris Addison, Joanna Scanlan, James Smith, Polly Kemp, Rebecca Front, Roger Allam, Will Smith, Olivia Poulet, Vincent Franklin, Geoffrey Streatfeild, Ben Willbond et Rebecca Gethings.
Bilan : Après trois ans d'absence, The Thick of it n'a rien perdu ni de son cynisme, ni de son mordant légendaire, nous proposant une savoureuse ultime saison de celle qui restera comme une grande comédie politique satirique. Portrait désillusionné de la classe dirigeante du pays, sa mise en scène et ses répliques font d'elle une fiction, teintée d'humour noir, particulièrement jubilatoire. Si elle a parfaitement réussi sa sortie, s'adaptant au nouveau paysage politique Anglais, tout en soignant l'évolution de Malcolm, elle laisse le téléspectateur chérir un secret espoir : celui de retrouver un jour cet univers à l'occasion d'un bref special pour continuer de suivre les changements du pays (ou rêvons même d'une saison)... Cette saison 4 aura en tout cas rappelé pourquoi The Thick of it est bel et bien une série incontournable du petit écran anglais. Si elle ne conviendra pas à tous les publics, elle mérite certainement la curiosité de tout sériephile.
NOTE : 8,75/10
Une bande-annonce de la saison :
Un extrait marquant - Malcolm devant la commission d'enquête :
11:56 Publié dans (Comédies britanniques), (Séries britanniques) | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : bbc, the thick of it, peter capaldi, rebecca front, chris addison, joanna scanlan, james smith, polly kemp, roger allam, will smith, olivia poulet, vincent franklin, geoffrey streatfeild, ben willbond, rebecca gethings | Facebook |
22/12/2009
(UK) The Thick of It : une satire politique moderne incontournable
Ce billet du jour pourrait faire office de suite à la note consacrée, il y a quelques semaines, à l'excellente Yes Minister / Yes Prime Minister. En effet, si la politique a toujours exercé un attrait certain chez les scénaristes britanniques, The Thick of It est le digne héritier spirituel de ce savoir-faire, illustration de la continuité de cette source d'inspiration. Cette série propose ainsi une vision (et un ton) moderne de ces mêmes coulisses ministérielles.
The Thick of It fait partie de ma dernière fournée (pour limiter les frais de port) de coffrets DVD achetés "en aveugle" sur un site UK. Je connaissais vaguement la fiction de réputation, mais un billet, qui y avait été consacré sur Critictoo fin octobre, m'avait décidée à l'ajouter sur ma pile de séries à découvrir et donc à budgétiser l'investissement. Cette expérience (modérément aventureuse, a priori, le sujet comme le style pouvant difficilement me déplaire, au vu de mes antécédents) s'est révélée très concluante.
Si la saison 3 a été diffusée au cours de cet automne sur BBC2, les débuts de The Thick of It remontent à 2005. Son profil de diffusion pour le moins curieux mérite une brève explication. Cette comédie s'est ouverte avec deux saisons, composées de trois épisodes chacune, diffusées sur BBC4 à six mois d'intervalle au cours de cette année-là. Il y eut ensuite un hiatus de plus d'une année, pour un retour sous forme d'épisodes spéciaux lors du premier semestre de l'année 2007. En avril 2009, un film In the loop, que l'on pourrait qualifier de sorte de spin-off, est sorti au cinéma (on y retrouve Peter Capaldi qui reprend son rôle emblématique de Malcolm ; mais aussi d'autres figures bien connues des sériephiles, tel James Gandolfini (The Sopranos) - bref, un must-seen du grand écran). Enfin, cet automne a vu la diffusion d'une troisième saison sur BBC2, composée de 8 épisodes. Vous suivez toujours ?
Cette installation saccadée n'a en rien perturbé la qualité de The Thick of It qui se révèle être une brillante satire politique. Elle nous plonge avec talent dans les coulisses ministérielles des hautes sphères de la politique britannique. Au cours des deux premières saisons, nous suivons plus spécifiquement le ministère des Affaires sociales. A sa tête, Hugh Abbot, caricature pathétique du politicien sans envergure, s'efforce de gérer les secousses médiatiques avec pour seule ambition, la conservation de son poste. Il est entouré d'une équipe de conseillers, cyniques pragmatiques aux capacités d'adaptation à toutes situations sur-développées, mais qui créent souvent plus de crises qu'ils n'en résolvent. Dans cette gestion de leur médiocrité quotidienne, ils doivent régulièrement subir les foudres et assauts verbaux du tout puissant directeur de la communication du 10 Downing Street, Malcolm Tucker. Directement inspiré d'une figure bien réelle, Alastair Campbell, spin-doctor controversé du gouvernement travailliste pendant un temps, Malcolm est le coeur de The Thick of It. Souvent déchaîné, évacuant par des explosions de colère et autres excès un trop plein d'énergie constant, Malcolm gère les diverses situations d'une main de fer, effrayant journalistes comme ministres. Cette satire politique, à travers son exposé de petites tranches de vie quotidienne, prend véritablement toute son ampleur lorsque Malcolm débarque, devenant jubilatoire pour le téléspectateur.
La richesse de The Thick of It réside dans la noirceur de l'humour dans laquelle elle se complaît. Nous immergeant dans des coulisses où règnent une hypocrisie assumée, servie par des personnages aux compétences discutables parmi lesquels Malcolm surnage, cette satire excelle dans son utilisation d'un ton corrosif à souhait, offrant un visage guère reluisant de ce milieu où la médiocrité semble être maîtresse. C'est une série pleine, qui maintient une forme d'équilibre faussement précaire dans sa narration, exploitant parfaitement son aspect mockumentary. Ses dialogues très vifs, ciselés avec soin et toujours directs, ne sont jamais enjolivés et sonnent ainsi très authentiques ; au milieu des petites piques qui fusent et autres traîtrises, les personnages usent et abusent d'un langage fleuri, où le f* word est intégré à la langue commune comme simple mot de liaison qui permet de traduire tous les sentiments possibles.
Bilan : Brillamment corrosive, maniant un humour noir savoureux pour le téléspectateur, The Thick of It est une comédie dans la droite ligne des excellents mockumentary britanniques de ces dernières années. Digne héritière d'une tradition ayant réalisé une synthèse admirable entre Yes Minister et The Office (UK), cette série se démarque par une quête constante de réalisme, des dialogues ciselés à l'authenticité éprouvée et une réalisation nerveuse mettant efficacement en scène ce côté pseudo-documentaire.
Certes, j'ai conscience que, aussi enthousiaste que je puisse être à son égard, The Thick of It n'est sans doute pas à mettre en toutes les mains. Il y a peu de chance que ceux qui n'ont pas apprécié le ton de la version originale de The Office (très différente de ce qu'est devenue sa consoeur américaine plus connue) soient conquis par le style de cette comédie extra. Mais, s'il y a parmi vous quelques curieux chez qui cette présentation a éveillé un intérêt, n'hésitez pas ! Ce que j'appelle "saison 1" (techniquement les series 1 et 2, soit les 6 premiers épisodes) est disponible en DVD en Angleterre, avec bonus et VOSTA.
NOTE : 8,5/10
Un petit extrait représentatif, avec Malcolm dans tous ses états et le ministre Abbot, une nouvelle fois dans une situation difficile :
17:01 Publié dans (Comédies britanniques) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : the thick of it, bbc, peter capaldi, james smith, chris addison | Facebook |