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10/08/2012

(Pilote DAN) Rita : une dramédie familiale attachante et rafraîchissante

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Quand un téléspectateur pense aux séries venues de Scandinavie, instinctivement s'imposent à son imagination des morceaux d'ambiance noire et glacée, de polars épurés et violents... Mais le petit écran de l'Europe du Nord, ce n'est pas seulement ça. A côté des innovations expérimentales comme Äkta Människor qui a prouvé que la Suède pouvait s'aventurer sans rougir sur le terrain de la science-fiction, figurent aussi des fictions plus traditionnelles qui méritent également un éclairage, à l'image d'une attachante dramédie dont je viens de visionner le premier épisode : Rita

Tout d'abord, il faut préciser qu'à la différence de Borgen ou de Forbrydelsen, les séries danoises les plus connues à l'international ces dernières années, nous ne sommes pas sur DR, mais sur TV2. Créée par Christian Torpe, Rita a été diffusée sur cette chaîne en début d'année 2012, à partir du 9 février (LadyTeruki y avait consacré un billet). Sa première saison compte 8 épisodes d'une quarantaine de minutes chacun. Elle a été plutôt bien accueillie par les critiques comme par le public danois, et une seconde saison a donc été commandée. C'est tant mieux car ce pilote introduit une dramédie dynamique et attachante dont j'ai envie de poursuivre le visionnage.

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Abordant la vie avec une indépendance d'esprit jalousement conservée, Rita est une femme au fort caractère qui n'a pas son pareil pour aller au conflit et dire des vérités qui ne sont pas toujours plaisantes à entendre à ceux qu'elle côtoie. Chérissant le politiquement incorrect, son quotidien se construit donc dans la confrontation. C'est aussi de cette manière qu'elle a élevé seule ses trois enfants. Deux sont désormais de jeunes adultes : Ricco, qui envisage de se marier avec sa fiancée, tandis que Molly vient tout juste de rompre avec son ami. Le dernier, Jeppe, est encore adolescent à une période où chacun se cherche.

C'est un euphémisme d'écrire que la philosophie de vie de Rita ne fait pas l'unanimité autour d'elle. Un aspect qui apparaît encore plus clairement lorsque lui est présentée la future belle-famille de Ricco (surtout lorsqu'elle découvre avec surprise qu'elle est sortie dans sa jeunesse avec le père de la fiancée de son fils). Par ailleurs, Rita est enseignante. Adorant son métier, elle exerce dans une école à deux pas de sa maison ; et ses méthodes, parfois brusques et sans diplomatie vis-à-vis de certains élèves comme des parents, lui valent également son lot de tracas quotidiens. 

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Rita est une dramédie dynamique et attachante qui entend s'intéresser aux deux univers gravitant autour de son personnage central : d'une part sa vie professionnelle avec les ennuis qui peuvent surgir à l'école, et d'autre part sa vie personnelle et sa gestion de sa famille. Le ton de la série se veut à l'image de l'héroïne : les dialogues cultivent un certain décalage et une franchise très plaisante. Cela donne un ensemble plein de vitalité et globalement léger, prêtant ainsi à plus d'un sourire.

Alors même que le pilote aborde des sujets très classiques et met en scène des figures finalement toutes assez familières au téléspectateur, il renvoie dans le même temps une vraie impression de fraîcheur. En effet, Rita détonne dans un quotidien scolaire où ses méthodes de travail et ses réparties font d'elle un véritable électron libre. C'est sans surprise qu'elle est peu appréciée des autres adultes. Mais c'est aussi grâce à cette attitude, si souvent reprochée, qu'elle trouve facilement ses marques dans son métier et auprès de la plupart des élèves - même si, comme partout, certains goûtent peu à son approche guère orthodoxe. Sans chercher à innover, la série entreprend donc surtout de dépoussiérer son cadre connu pour mieux l'exploiter. Et dans ce premier épisode, la recette fonctionne.

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La série repose logiquement en grande partie sur les épaules de Rita. L'écueil à éviter était de trop en faire et de tomber dans un one woman show vite indigeste. Mais ce premier épisode rassure, en soignant les dynamiques relationnelles entre tous les personnages. Les échanges y sont souvent, à l'image de Rita, portés par une franchise flirtant avec l'insolence. L'enseignante apporte à toutes ses interactions une authenticité propre à sa façon d'être, mêlée à une spontanéité parfois assez touchante. C'est ainsi qu'est dépeinte son aventure avec le directeur de l'école, mais on découvre que ses rapports avec ses enfants ne sont pas si différents. Elle est à la fois un soutien indéfectible pour eux, mais n'hésite pas non plus à les provoquer : l'accueil glacial réservé à la future belle-famille de Ricco, ou bien sa gestion des doutes de Jeppe sur son orientation sexuelle, l'illustrent bien.

Surtout, derrière l'attitude forte de Rita, on devine que se cachent d'autres blessures : ce registre de provocation continuelle dans lequel elle s'enferme est avant tout un mécanisme de défense, cachant tant bien que mal des incertitudes. A ce titre, un des dialogues les plus mémorables de ce pilote a lieu entre Rita et une de ses élèves, Rosa, trop sérieuse pour apprécier ses méthodes. Pour l'inviter à se dévergonder, Rita cherche à créer un électrochoc en pointant l'isolement de l'adolescente, "adulte au milieu d'adolescents". Or cette dernière réplique avec beaucoup d'acuité sur le même registre : Rita n'est pas acceptée dans le monde des adultes car elle est restée dans sa tête une jeune rebelle aux conventions. Cette remarque appuie là où cela fait mal pour Rita qui dévoile pour la première fois de l'épisode un pan beaucoup moins assuré de sa personnalité. Elle s'humanise, gagne en profondeur, et donne envie au téléspectateur d'apprendre à la connaître.

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Le dynamisme qui marque la narration de Rita est également perceptible dans la forme de la série. Cette dernière bénéficie d'une réalisation soignée, avec une photographie très claire et épurée. L'ensemble correspond bien à la tonalité du récit. La caméra sait accompagner la vitalité communicative du scénario. De plus, la série bénéficie d'une bande-son musicale plaisante, avec un thème principal entêtant et rythmé. Quant au générique, s'il ne cherche pas particulièrement à faire dans l'innovation, il reste sympathique.

Enfin, Rita réunit un casting très énergiquement conduit par Mille Dinesen (Borgen) qui trouve le juste équilibre pour imposer la personnalité forte de l'héroïne sans en faire trop et risquer de braquer les téléspectateurs. Ses enfants sont respectivement interprétés par Morten Vang Simonsen (Ricco), Sara Hjort Ditlevsen (Molly) (Forestillinger) et Nikolaj Groth (Jeppe). On retrouve à leurs côtés Carsten Bjørnlund (Forsvar, Forbrydelsen 2, Pagten) en principal qui n'est pas insensible au charme de Rita, Lise Baastrup en nouvelle enseignante qui découvre le métier, Ellen Hillingsø (Pagten, Livvagterne, Broen/Bron) en rigide conseillère encadrant les moeurs de l'établissement, ainsi que Lykke Sand Michelsen et Carsten Norgaard en futurs beaux-parents du fils aîné un brin inquiets à la perspective de rentrer dans la famille de Rita.

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Bilan : Avec son héroïne enseignante et un concept de départ qui n'ambitionne pas de révolutionner le genre investi, Rita signe un pilote extrêmement sympathique qui pose les bases solides d'une dramédie rafraîchissante, drôle à l'occasion, et que ses personnages contribuent à rendre attachante. Tout en se positionnant dans le registre du divertissement familial, la série bénéficie d'une figure principale qui apporte une fraîcheur et un dynamisme communicatifs à l'ensemble. Il est certain que les thèmes traités, scolaires comme familiaux, resteront assez classiques, mais si la série sait conserver la tonalité de ce premier épisode, son visionnage devrait être très plaisant (d'autant que ses saisons ne comptent que 8 épisodes).

En plus, c'est aussi l'occasion de découvrir un autre pan du petit écran danois. Reste donc à espérer que la série dépasse les frontières danoises et arrive jusqu'à nous (elle apparaît suffisamment fédératrice pour pouvoir être diffusée par toute chaîne).


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce de la série :

03/08/2012

(ISL) Pressa (The Press), saison 2 : une efficace série entre presse et investigations criminelles

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C'est l'été, il fait chaud. Comme cela est un peu devenu la tradition sur ce blog : il est temps de partir sous des latitudes plus clémentes ! Parmi mes destinations nordiques fétiches, figure un petit pays que vous devez commencer à connaître si vous passez par ici régulièrement : l'Islande. C'était il y a presqu'un an jour pour jour que j'avais achevée ma première série islandaise et avais consacré un premier billet à ce pays. Il s'agissait de Pressa, une fiction à suspense mêlant affaires policières et enjeux de presse, et venant donc prendre place aux côtés d'autres fictions sur le journalisme, de Reporters à The Hour en passant par The Newsroom.

La série ayant été renouvelée, j'attendais de pouvoir visionner sa seconde saison avec impatience. Cette dernière a été diffusée sur Stöð 2 durant l'hiver 2010. Et le succès a été au rendez-vous : non seulement elle a été accueillie de façon très positive par les critiques, mais elle est devenue le plus grand succès d'audience de Stöð 2 pour une de ses séries. Aprés visionnage, je dois dire que cela est mérité : tout en restant fidèle à elle-même (et en conservant la même équipe, Sigurjón Kjartansson au scénario, Óskar Jónasson derrière la caméra), Pressa 2 est apparue plus maîtrisée, parvenant à mieux jouer sur une tension et un suspense qui avaient pu faire défaut par moment durant la saison 1.

[Edit : Après recherches, bonne nouvelle, une troisième saison a été commandée. Elle comportera 6 épisodes et sera diffusée à l'automne 2012 en Islande. Vous n'avez donc pas fini d'en entendre parler !]

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Pressa débute quelques temps après la fin de la première saison. Lára vit désormais avec Halldor. Même si leur couple bat de l'aile, notamment en raison du nouveau travail de son compagnon qui souhaiterait émigré au Canada, leur famille s'est agrandie : ils viennent d'avoir leur premier enfant ensemble. La journaliste est encore en congé maternité, loin du stress et des rotatives du Post, ce grand tabloïd pour lequel elle travaille. Cependant les soucis professionnels ne lui laissent aucun repos : elle perd en effet un procès intenté contre elle pour atteinte à la vie privée et est condamnée à une lourde amende que Nökkvi refuse de faire payer par le journal. Ce sont ces raisons qui vont la conduire à s'intéresser à un fait divers qui défraye la chronique.

Dans une Islande où la situation économique reste difficile et au sein de laquelle la plupart des grands entrepreneurs sont tombés en 2008, en même temps que le système bancaire dont ils nourrissaient les failles, Hrafn Jósepsson fait jusqu'alors figure d'exception : jamais inquiété par la justice pour sa gestion financière, ses affaires pétrolières se portent bien. Mais c'est une histoire de moeurs, ou plutôt de meurtre, qui le rattrape : une jeune femme avec qui il a passé la soirée est retrouvée morte, pendue dans un square. Inquiété par la police, il engage Lára pour enquêter afin de le disculper. Toutefois, très vite, la journaliste découvre des zones d'ombre inquiétante dans le passé du pdg. Sa position au Post est également compromise du fait du conflit d'intérêt ainsi né. 

Ce qui commence comme une question d'éthique va vite prendre une autre tournure : le tabloïd a-t-il seulement les moyens de s'attaquer à un homme si puissant ? Quand l'industrie commence à se mêler de la presse, la liberté de cette dernière en sort rarement grandie. D'autant que Lára n'est pas au bout de ses problèmes lorsqu'elle décide de faire la lumière sur un trafic de drogue conduit par un gang de motards ambitieux.

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Le premier atout de Pressa, c'est d'avoir conservé la recette qui fait toute l'identité et l'intérêt de cette série : une dualité initiale lui permettant d'emprunter à la fois au thriller et à la fiction de journalisme. L'immersion dans les coulisses du tabloïd et les questionnements qui accompagnaient son quotidien avaient été l'aspect le plus réussi de la première saison. La série garde une même approche, tout en sachant se réinventer. Plutôt que de revenir une nouvelle fois explorer les méthodes discutables qui régissent la course aux scoops et la fascination/répulsion suscitée par les Unes voyeuristes, la saison 2 va cette fois s'attacher à mettre en avant la fragilité de l'indépendance de la presse.

D'une part, elle aborde les enjeux financiers derrière la publication du quotidien, tandis que The Post doit faire face à son rachat par un puissant industriel. Assister à la mise au pas du personnel, accompagné d'un inéluctable changement de direction, met en lumière par quel glissement dangereux, servi par le jeu des ambitions, un journal peut perdre sa liberté et son âme. D'autre part, en s'attaquant à un crime organisé qui opère en quasi-impunité, Lára doit faire face à un autre type de pressions, les menaces directes contre son intégrité physique. Entre le métier de reporter et la protection de sa famille, l'arbitrage est impossible. Si Pressa ne fait pas toujours dans la subtilité, elle aborde sans détour et avec un aplomb appréciable tous les tenants et aboutissants de ces diverses problématiques. 

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Parallèlement à cette immersion dans les coulisses de la presse, Pressa est une série à suspense. Cette fois, à la différence d'une saison 1 qui avait peiné à générer jusqu'au bout une réelle tension en dépit de ses bonnes intentions, l'ensemble est ici plus homogène et abouti. Sa grande réussite tient à son rythme. Multipliant les rebondissements, redistribuant constamment les cartes, ajoutant de nouvelles intrigues à celles déjà existantes, cette saison 2, comprenant toujours six épisodes, est extrêmement dense. Certes, certains développements peuvent paraître presque trop rapides, cependant on perçoit vraiment la volonté des scénaristes d'avoir cherché à écrire un récit très dense, sans le moindre temps mort. 

En réalité, c'est une double intrigue qui se construit sous nos yeux. D'une part, on a une histoire de meurtre et de puissant dont on se demande s'il est suspecté du fait d'une réputation créée par des jalousies ou s'il a été jusque là protégé par son statut privilégié. D'autre part, est mise en scène une investigation plus dangereuse qui conduit The Post à traiter de la grande criminalité. Dans les deux cas, le ressort narratif central - parfois un peu facile - permettant de faire progresser l'histoire demeure les prises de risque, pas toujours réfléchies, de Lára qui a cette capacité hors du commun à mettre le doigt dans des engrenages létaux. Si l'équilibre dans la gestion parallèle des storylines est parfois un peu vacillant, l'important est que l'ensemble fonctionne. Portés par une tension qui ne se dément pas, les épisodes s'enchaînent tout seul.

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Plus maîtrisée sur le fond, Pressa l'est également sur la forme. Si la réalisation conserve une nervosité caractéristique, la fébrilité de la caméra m'a paru moins forcée que lors du visionnage de la première saison. A la différence d'une série comme Tími Nornarinnar où l'on trouve vraiment une volonté de faire des paysages enneigés islandais (bien connus des sériephiles qui regardent Game of Thrones) un acteur à part entière du récit, Pressa reste un polar qui préfère les ambiances pesantes d'intérieur, le ciel bas et grisâtre et des paysages sombres. La photographie conserve une froideur qui sied parfaitement à l'atmosphère, tout comme la bande-son aux instrumentaux rythmés.

Enfin, la série bénéficie d'un casting solide. Parmi les nouvelles têtes de la saison, les téléspectateurs familiers du petit écran danois reconnaîtront avec plaisir Bjarne Henriksen (Forbrydelsen, Borgen) qui apparaît dans trois des six épisodes en gangster danois dont l'organisation criminelle envisage de s'étendre sur l'île. Sinon, on recroise des acteurs qui avaient déjà su trouver leurs marques en première saison. Sara Dögg Ásgeirsdóttir trouve le juste milieu entre la spontanéité parfois très insouciante de Lára et cette persévérance inarrêtable qui prouve que la jeune femme est plus solide qu'elle ne paraît. A ses côtés, on notera aussi la présence de Kjartan Guðjónsson, Þorsteinn Bachmann ou encore Stefán Hallur Stefánsson.

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Bilan : Série feuilletonnante à suspense, empruntant aussi bien au thriller qu'au récit de journalisme, Pressa propose une saison 2 dense et complète. Elle soigne le développement des personnages comme la manière dont elle conduit ses grands arcs narratifs. Distillant une tension prenante, elle se montre convaincante sur le fond et sur la forme, et fait preuve d'une maîtrise dans l'art du cliffhanger qui ferait vraiment espérer une saison 3. Elle est sans doute ce que l'Islande propose de mieux actuellement à la télévision dans le registre du polar, par conséquent, profitez de la période estivale et n'hésitez pas à être curieux !


NOTE : 7,75/10


[Comme beaucoup de séries islandaises, le coffret DVD de cette saison 2 comprend une piste de sous-titres anglais.]

13/07/2012

(Pilote ESP) Polseres vermelles (Les Bracelets Rouges/The Red Band Society) : une série catalane touchante sur une histoire d'amitiés à l'hôpital

 

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Aujourd'hui, je vous propose de poursuivre notre tour d'Europe des petits écrans en accueillant un nouveau pays, si proche, et pourtant qui aura mis du temps à se frayer un chemin dans ces colonnes : l'Espagne ! C'était une de mes résolutions de l'année, et si j'ai longtemps pensé que Gran Hotel, period drama coloré, ferait office de première série espagnole traitée sur ce blog, l'absence d'épisodes disponibles en version originale sous-titrée (en France, la série a été diffusée sur Téva, puis sur M6 depuis le début du mois) a pour le moment eu raison de ma curiosité. Si bien que c'est la découverte d'une autre série qui permet cette excursion dans la péninsule ibérique : Polseres vermelles.

Créée par Albert Espinosa, cette série catalane (dont le titre international est The Red Band Society, et le titre espagnol Pulseras rojas) est diffusée depuis 2011 sur la chaîne TV3 (qui émet depuis Barcelone). Sa première saison compte 13 épisodes de 45 minutes environ. Ayant rencontré le succès, elle a logiquement été renouvelée pour une seconde saison prévue cette année (initialement, elle était imaginée pour 4 saisons). Son concept a même attiré l'attention de la télévision américaine, puisqu'un projet de remake est actuellement à l'étude pour ABC. Mais comme vous le savez, rien ne vaut la saveur de l'original, a fortiori dans le cas de Polseres vermelles : car voici une série d'une humanité et d'une sincérité très justes, à la fois drôle et touchante, qui mérite d'être découverte.

[La review qui suit a été écrite après avoir vu les trois premiers épisodes.]

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Polseres vermelles met en scène le quotidien de six adolescents séjournant pour une longue durée dans le service pour enfants d'un hôpital de Barcelone. Il s'agit donc d'une chronique hospitalière relatée non pas du point de vue des médecins, mais bien des patients : de jeunes gens qui, s'ils vivent chacun des moments difficiles auxquels ils doivent faire face, n'en demeurent pas moins des adolescents qui ont besoin de se détendre, de plaisanter, d'expérimenter et d'intéragir avec ceux de leur âge. Leurs situations dans ce contexte particulier les rapprochent les uns des autres, créant une solidarité qui va être la base d'une solide amitié.

Les premiers épisodes sont consacrés à la formation de ce groupe sur l'impulsion de Lleó, un garçon de 15 ans atteint d'un cancer qui a déjà dû subir l'amputation d'une jambe. Il se lie rapidement à un nouveau venu avec lequel il partage sa chambre, Jordi, lui aussi touché par le cancer et qui arrive à l'hôpital pour être amputé. Les deux garçons rencontrent par la suite Cristina, une jeune fille dynamique qui vit à un autre étage et souffre d'anorexie. Puis Lleó fait connaissance avec Ignasi, d'un abord peu commode, qui a été admis après un malaise cardiaque. Quant à Toni, il prendra de lui-même l'initiative de les rejoindre : atteint du syndrome d'Asperger, il a été grièvement accidenté suite à un accident de moto. Enfin, le dernier membre du groupe, et le plus jeune, est un cas particulier : Roc, qui fait office de narrateur à la série, se trouve dans le coma depuis deux ans. 

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Polseres vermelles est une série profondément humaine qui bénéficie d'une écriture pleine de tendresse et de sincérité. Générant des émotions très diverses, par moments vraiment poignante, d'autres fois plus proche de la légèreté propre à la comédie, elle surprend surtout par la vitalité communicative qui en émane : en dépit d'un sujet douloureux et difficile, elle balaie vite mes craintes initiales d'un visionnage qui serait trop déprimant. Au contraire, c'est une fiction porteuse d'espoir à sa façon, grâce à la manière dont ses personnages chérissent leur vie et l'instant présent, refusant de se laisser abattre. Elle laisse ainsi une impression de chaleur humaine très réconfortante. Dans cette perspective, le contexte hospitalier confère une intensité et un sens particuliers à l'amitié qui naît sous nos yeux, durant ces premiers épisodes.

Au fond, ces six jeunes gens ne demandent qu'à continuer à vivre, malgré tout. Une des premières tirades marquantes de Lleó donne bien le ton, lorsqu'il se demande s'il ne va pas plus vite mourir d'ennui que de sa maladie au sein de cet établissement. La série mise beaucoup - légitimement - sur l'empathie que suscitent ses protagonistes. Elle va d'ailleurs mettre l'accent sur ce qui les unit, allant jusqu'à matérialiser leur amitié par un symbole, celui de ces "bracelets rouges" : c'est un signe distinctif atypique puisque ce sont initialement des indications sanguines que les médecins apposent préalablement à une opération. Chacun l'arbore à son poignet comme pour souligner qu'en dépit de situations de santé détériorées très différentes, ils partagent quelque chose de plus fort et une solidarité nécessaire qui va être l'essence même de leurs relations.

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Tout en plaçant ces jeunes malades au coeur du récit, Polseres vermelles n'en recrée pas moins tout un milieu hospitalier bourdonnant en arrière-plan, s'intéressant de manière incidente à leur entourage, c'est-à-dire aussi bien à leurs parents qu'aux docteurs qui les soignent ou leur font passer des examens. Cela permet d'enrichir le tableau dressé, en entre-apercevant comment ces professionnels ou ces proches vivent ce quotidien difficile. Il faut d'ailleurs savoir que pour imaginer cette série Albert Espinosa s'est inspiré de sa propre expérience de séjours en hôpitaux. Toutefois, son ambition est avant tout de relater une histoire humaine : la série va préfèrer son authenticité émotionnelle à une recherche rigoureuse de réalisme.

Ce parti pris intéressant est très perceptible avec le personnage de Roc. Dans le coma depuis deux ans, il semble simplement endormi dans son lit (puisqu'il n'est même pas monitoré). Sa conscience de ce qui l'entoure lui permet d'être notre premier guide à l'intérieur de l'hôpital, comme un observateur extérieur. Cependant les scénaristes décident d'aller encore plus loin en en faisant un personnage actif : il est capable d'intéragir avec ceux qui s'égarent dans cet entre-deux entre la vie et la mort. Ces scènes sont révélatrices du fait que Polseres vermelles a avant tout pour objet de raconter comment ces adolescents vont s'ouvrir les uns aux autres et se soutenir, alors même qu'ils affrontent une épreuve où ils sont, par définition, seuls : celle où ils font face aux limites de leur propre corps. Tout cela donne une chronique attachante qui ne laisse pas indifférent.

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Ayant de bonnes intuitions sur le fond, Polseres vermelles est également assez réussie sur la forme. L'ensemble est globalement maîtrisé, avec une réalisation soignée qui nous introduit au coeur de l'hôpital. C'est classique mais efficace. La particularité principale tient à l'utilisation fréquente qui est faite de chansons. On aurait pu les craindre un peu trop intrusives, tombant dans une dérive "clipesque", car elles sont généralement jouées pour une durée assez longue. Mais les deux-trois fois où elles retentissent dans l'épisode sont à chaque fois parfaitement dans le timing du récit, venant appuyer et accompagner l'émotion d'un moment, ou bien offrant une pause dans la narration pour revenir un instant sur chaque protagoniste. Si bien que le résultat est solide.

Enfin, le dernier atout de Polseres vermelles est son casting. Plusieurs des jeunes acteurs délivrent des performances convaincantes aux accents très authentiques. Leur spontanéité s'avère particulièrement rafraîchissante (même s'ils sont un peu plus âgés, on retrouve un ressenti assez proche de The Yard par moment). C'est notamment le cas d'Àlex Monner et d'Igor Szpakowski, qui jouent les deux malades atteints d'un cancer, sur lesquels reposent une bonne partie de la dynamique du pilote avant que le groupe ne s'élargisse. Joana Vilapuig, seule présence féminine, trouve le répondant adéquat pour se faire une place. Nil Cardoner, dont la voix off nous accueille au tout début, n'a que peu de scènes à jouer - il est allongé dans le coma dans la réalité -, mais il nous émeut dès le flashback nous racontant ce qui lui est arrivé. Enfin, Marc Balaguer et Mikel Iglesias investissent de façon très correcte leurs rôles respectifs.

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Bilan : Série à la fois touchante et sincère, ne laissant pas le téléspectateur insensible, Polseres vermelles est une fiction attachante qui met en scène une belle histoire d'amitié dans un contexte compliqué. Sa justesse de ton fait sa force : elle a en effet une tonalité très intéressante, qui oscille entre l'insouciance inhérente à la jeunesse de ses personnages et la dureté des épreuves que leur santé les oblige à affronter. La dualité de chacun, encore si jeunes mais déjà si conscients des limites de la vie, est vraiment bien retranscrite. De plus, en dépit de son sujet, la série n'apparaît jamais pesante, toujours portée par une énergie vitalisante et rafraîchissante.

Une découverte donc très intéressante pour ce premier pas espagnol (catalan) !


NOTE : 7,5/10


Une bande-annonce de la série (avec sous-titres anglais) :

Un extrait du premier épisode (les dernières minutes - sous-titrées anglais) :

09/06/2012

(Pilote NOR) Koselig Med Peis (Norwegian cozy / Esprit norvégien) : un drama familial touchant

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Février dernier avait été l'occasion d'une première incursion dans le petit écran norvégien avec une co-production réalisée avec les Etats-Unis, la dépaysante Lilyhammer. Aujourd'hui, c'est une série 100% venue de Norvège dont je vais vous parler : Koselig Med Peis. Encore que son créateur, Thomas Torjussen, n'hésite pas à citer Six Feet Under parmi ses sources d'inspiration dans un registre du drame familial dont certains ingrédients seront en effet familiers au téléspectateur. Cependant cette fiction sur laquelle il a travaillé trois années n'en est pas moins empreinte d'une atmosphère caractéristique, propre aux oeuvres d'Europe du Nord.

Koselig Med Peis (Norwegian Cozy à l'international ; ou encore Esprit norvégien en version française) est une mini-série de six épisodes, d'une durée d'1 heure chacun environ. Elle a été diffusée en Norvège sur NRK1 en début d'année 2011. Pour les curieux parmi vous, sachez qu'elle arrive très prochainement en France sur Eurochannel, où sa diffusion débutera le dimanche 17 juin à 19h45. Et si vous ne recevez pas cette chaîne, tout n'est pas perdu : le coffret DVD norvégien comprend en effet une piste de sous-titres anglais, il est disponible notamment par là. En ce qui me concerne, après tout le bien qu'avait pu en dire LadyTeruki, cette série figurait sur ma liste "à voir" depuis plus d'un an. Je me suis enfin lancée ; et si j'ai mis un peu de temps à rentrer dans ce pilote, j'en suis ressortie très intriguée.

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Koselig Med Peis s'ouvre sur le retour de Georg, 36 ans, qui vient rendre visite à ses parents. Enfin, à sa mère surtout qui a refait sa vie avec une femme, tandis que les relations très dégradées qu'il entretient avec son père, Frank, font de ce dernier presque un étranger. Georg retrouve aussi à la table familiale son jeune frère, Terje, et son sens de l'entreprenariat mené en dehors des sentiers battus. Mais c'est seul qu'il arrive chez sa mère, s'étant encore disputé avec sa petite amie, une chanteuse qui vient tout juste de sortir un disque et avec laquelle il n'a plus grand chose en commun alors qu'elle lance sa carrière. Son couple ne tient plus qu'à un fil, ou même peut-être est-il déjà bel et bien fini.

Georg aurait pourtant une annonce à faire : peu avant leur dernière rupture, sa compagne lui avait dit être enceinte. L'idée d'être parent un jour l'amène à essayer de renouer avec ce père à l'égard duquel il nourrit plus de rancoeur que de sentiments. Pousser la porte de la vieille demeure famliale le fait retourner sur les traces d'une enfance lointaine, à la source de ses doutes sur sa vie d'adulte et sur sa conception de la paternité. L'état de son père s'est cependant considérablement dégradé loin d'eux. Son médecin pense qu'il faut que quelqu'un s'occupe désormais de lui, et sollicite Georg. Si ce dernier refuse dans un premier temps, la confirmation de la rupture avec son amie et le fait qu'il ne travaille pas le conduit à accepter la surprenante proposition de son père qui, par une tirade lapidaire, l'invite à revenir habiter dans la maison. 

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Le pilote de Koselig Med Peis démarre lentement, mais à mesure que l'on découvre les Broch-Hansen, s'impose très vite une atmosphère particulière : celle d'un drama familial, aux caractérisations justes, qui se nourrit des peurs de ses personnages. L'épisode nous introduit en effet au sein d'une famille éclatée, guère harmonieuse, privée de toute figure fédératrice, où l'absence de communication règne et chacun semble vivre de ses désillusions, jetant un regard désabusé sur ce qui l'entoure. La prise de distance apparente est pourtant illusoire : chaque personnage est marqué par ces relations, leurs dysfonctionnements et les craintes qui en découlent.

Dans ce tableau familial, on a ainsi tout d'abord Georg : de retour chez ses parents, il se retrouve célibataire, sans aucune vie professionnelle, à déjà 36 ans. De son côté, son frère cultive ses postures à contre-courant. Après avoir publié un livre, il a trouvé refuge sur le net pour mener à bien des projets d'un genre très particuliers, comme l'idée de vivre de la publicité rapportée par un site internet dont il veut booster les visites en... mettant en ligne des vidéos de lui déféquant sur les drapeaux des pays du monde (en commençant dès le pilote par celui de la Norvège !). Les deux fils se positionnent dans leurs choix de vie par rapport à leur père, Frank, qui nous est d'abord présenté à travers leur regard négatif : désagréable, de plus en plus marginal, il est en plus malade. Finalement, seule la mère semble avoir su s'affranchir de cet environnement névrosé : justement parce qu'elle a refondé une famille, refaisant sa vie avec une femme et semblant vivre heureuse en couple. Mais elle n'en conserve pas moins un regard sans illusion sur son ex-mari, voire même parfois sur ses enfants.

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Au cours de cet éclairage sur cette famille dysfonctionnelle, le pilote s'intéresse plus particulièrement aux rapports père/fils. On est frappé par cette aspiration farouche à la normalité de Georg, sur laquelle vient s'ajouter une impression de fuite irrépressible. Revenir dans la demeure familiale qui est comme figée dans le temps, réveille les sources des peurs adultes du personnage. Les deux fils partagent d'ailleurs la même crainte de devenir comme leur père : pas seulement pour la froideur et le rejet qu'ils ont dû endurer, mais aussi pour cette absence de communication, devenue une véritable déconnexion sociale suite aux manifestations d'instabilité mentale. Chacun a leur manière, cette peur d'un glissement vers la folie les paralyse. Ils recherchent instinctivement l'opposé, agissant en antithèse du comportement paternel pour fuir ce risque. L'écriture de la série, retranscrivant leurs actes et les maladresses qui les accompagnent, met en exergue le troublant paradoxe d'une attitude qui semble plus rapprocher les fils qu'elle ne les éloigne de ce père.

Si Koselig Med Peis a un versant désabusé, la tonalité n'est pas pesante. La série conserve une dose d'humour noir qui apporte une relative légèreté bienvenue. De plus, elle n'omet pas de se tourner vers l'avenir, avec une dose d'espoir. En effet, tout rêve pour le futur n'est pas oublié. Georg espère une famille. L'idée est inaccessible pour le moment, mais le désir existe. Et il se manifeste par les scènes les plus réussies de ce pilote, embrassant un registre surréaliste opportun : dans les scènes d'ouverture (dont on ne comprend pas immédiatement la portée) et de conclusion, Georg délivre un monologue d'une sincérité et d'une émotion simples et désarmantes adressé à un fils fantasmé, déjà nommé Joakim, désormais avorté, auquel il expose ses vues et ses attentes. La scène finale est particulièrement touchante, elle parachève la tonalité douce amère de l'épisode et vous convainc d'être au rendez-vous pour le suivant.

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Sur la forme, Koselig Med Peis bénéfice d'une réalisation posée. Dans les images, dominent des couleurs froides et/ou sombres. Les flashback du passé surgissent à travers un filtre beige claire, comme des instantanés semi-effacés directement issus de la mémoire des personnages. Toute l'identité visuelle qui se dégage de cette série est très travaillée, et reflète vraiment bien l'atmosphère particulière d'un récit, où la tonalité oscille entre pathos et nostalgie, où percent instants émotionnelles et humour noir.

Enfin, le casting se met au diapason de cette ambiance, avec un jeu extrêmement sobre, à la simplicité recherchant une certaine authenticité. Anders Baasmo Christiansen (Dag) incarne ce fils qui avait tenté vainement de laisser derrière lui sa famille et ce coin de son enfance, pour finalement devoir revenir habiter dans la demeure familiale, rouvrant ainsi la source de tous ses doutes sur sa vie. Anders Danielsen Lie joue son frère, atypique et sombre. On retrouve également Stein Winge, Tone Danielsen (Jul i Blåfjell, Jul på månetoppen), Kristin Kajander, Viktoria Winge ou encore Anna Bache-Wiig (Gutta Boys, Åse Tonight).

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Bilan : Dotée d'une écriture très sobre, où la désillusion poignante cohabite avec un certain humour noir, et saupoudrée d'une dose de surréalisme bienvenue, Koselig Med Peis se révèle être un très intéressant drama familial auquel il faut laisser le temps de s'installer. Evoquant des rapports compliqués avec un père étranger et la manière dont ils scellent la vie d'adulte, ce portrait de famille aux personnages dysfonctionnels trouve le moyen de toucher le coeur du téléspectateur.

La série n'est sans doute pas à mettre entre toutes les mains, mais les amateurs de ce mélange particulier devraient apprécier ! Tout comme ceux qui s'intéressent aux fictions scandinaves.


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de la série :

L'ouverture (qui capture l'ambiance du retour) :

31/05/2012

(ISL) Heimsendir (World's End) : entre l'allégorie politique et la satire de la psychiatrie


Article 5. "Drugs are optional... (except for those that need them)."

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Connaissez-vous ce sentiment d'intense satisfaction téléphagique qui vous étreint lorsque vient enfin le moment de se lancer dans un projet que vous attendiez avec impatience depuis des mois et qu'ensuite le résultat se révèle à la hauteur, dépassant même vos espérances ? C'est ce qui m'est arrivé ces derniers jours. Si vous lisez régulièrement ce blog, vous vous souvenez que cela fait déjà quelques temps que je vous parle d'une série islandaise récente qui avait réussi le tour de force de m'intriguer et de me pré-fasciner par sa seule affiche (pour laquelle la parenté esthétique avec Naeturvaktin était évidente) et une brève bande-annonce.

Heimsendir (World's End à l'international) a été diffusée sur Stöð 2 à la fin de l'année 2011 (de septembre à novembre). Elle compte en tout 9 épisodes dont la durée varie entre 30 et 35 minutes. On retrouve à son origine (et en partie aussi devant la caméra) la brillante équipe (Jóhann Ævar Grímsson, Jörundur Ragnarsson, Pétur Jóhann Sigfússon et Ragnar Bragason) qui a créé la grande série islandaise de ces dernières années, la trilogie constituée par Næturvaktin, Dagvaktin et Fangavaktin. Si on perçoit certaines influences communes entre les oeuvres, notamment dans leur dimension humaine, Heimsendir investit cependant un registre très différent : ce bijou d'une inventivité fascinante flirte avec la fable politique, à la fois allégorique et satirique. Inutile de faire durer le suspense : j'ai été complètement conquise.

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Heimsendir se déroule en 1992 au sein d'un asile psychiatrique isolé dans la campagne islandaise. La série débute avec l'arrivée d'un nouveau patient, Einar, un enseignant qui après plusieurs crises se retrouve envoyé là-bas contre sa volonté, avec l'autorisation de sa famille. Il s'ajuste difficilement à ce quotidien de l'hôpital, refusant de se considérer comme malade. Mais ce sont surtout les conditions de vie imposées par l'institution qui vont attiser sa révolte. En effet, la direction de l'asile impose non seulement un règlement très strict, infantilisant à l'extrême les patients, mais elle administre aussi des traitements médicaux forts sans aucune concertation. Au sein du staff, Ludvik est sans doute le seul à essayer de prendre en compte les désirs et besoins de ceux qu'ils sont pourtant censés aider vers une éventuelle guérison.

Voyant qu'aucune discussion n'est possible, Einar allume l'étincelle révolutionnaire au sein de l'établissement, interpellant et convaincant ses compagnons de réclamer un certain nombre de droits fondamentaux, parmi lesquels l'interdiction d'être drogué contre sa volonté. Au cours d'un long week-end férié, la confrontation s'envenime et les évènements dégénèrent. Les patients profitent du manque de personnel pour prendre le contrôle de l'hôpital. Le staff est enfermé. Et les anciens internés entreprennent alors le premier acte de la nouvelle ère : la rédaction d'une constitution. Mais très vite, à la place de la liberté initialement proclamée, le fonctionnement de l'établissement glisse vers la dictature tandis que Margeir, un jeune schizophrène, laisse apparaître une nouvelle personnalité, ambitieuse et dangereuse...

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A partir de son cadre hospitalier, Heimsendir s'impose tout d'abord dans un registre surprenant : celui de l'allégorie politique. La construction narrative très familière, que l'on pourrait rapprocher d'une forme d'apologue, m'a très vite fait penser à celle d'un livre qui m'avait marqué dans ma jeunesse, La ferme des animaux de George Orwell. Trois grandes étapes peuvent ainsi être distinguées dans le récit. Initialement, le soulèvement ouvre une période d'euphorie où s'exprime une utopie révolutionnaire durant laquelle toutes les espérances sont permises. Puis, les premières dérives se font jour : la liberté peut très vite engendrer le chaos, a fortiori dans un asile. Les dirigeants retombent alors dans les travers de l'institution qu'ils ont balayée. Dans Heimsendir, le motif de la discorde est l'administration de drogue. C'est pourquoi l'article 5 de la constitution garantit que ces médicaments ne sont qu'optionnels : nul ne peut être forcé à les ingurgiter. Mais après un comportement dangereux d'un malade, Einar amende unilatéralement le texte, ajoutant un significatif "sauf pour ceux qui en ont besoin" et ouvrant ainsi la voie à la médication forcée. Tout comme la loi fondamentale dans La ferme des animaux avait commencé en proclamant que "tous les animaux sont égaux" pour finir complétée par "mais certains le sont plus que d'autres". A partir du moment où les dirigeants s'affranchissent du cadre légal, la communauté glisse vers la dictature : une nouvelle figure s'impose pour parachever le basculement d'un régime où toute voix dissonnante est désormais réduite à néant.

Si le livre d'Orwell était une critique du stalinisme, les emprunts historiques de Heimsendir sont différents, mais tout aussi identifiables. La série trouvera un écho particulier auprès du téléspectateur français, car les scénaristes ont manifestement ouvert un livre d'Histoire de la révolution de 1789. Les références s'enchaînent de façon assez savoureuse. Ainsi, par exemple, après s'être arrogé le pouvoir constituant, la personne pouvant s'exprimer et devant être écoutée par les autres est celle qui porte un chapeau, lequel n'est pas sans rappeler le bicorne napoléonien. Ensuite, parmi les grandes idées de réforme faites, l'ingénieur du groupe propose d'instaurer l'heure et la semaine décimale (et un épisode a même pour titre... "thermidor"). Puis la série nous rejoue une variante symbolique de l'assassinat de Marat dans son bain, portant le tableau bien connu à l'écran : au poignard se substitue l'ingestion de drogue... attentat chimique adapté au cadre de l'asile. Après l'organisation de procès pour juger l'ancienne institution, Margeir/Mori décide de répartir les différentes fonctions entre plusieurs comités, chapeautés par un comité central, le comité "of public awareness" (écho au comité de salut public). C'est assez jubilatoire de voir ainsi transposer ces éléments narratifs familiers, d'autant plus que la fiction se les réapproprie avec aplomb et logique, faisant preuve d'une inventivité et d'une richesse dans son propos qui sont vraiment remarquables.

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A côté de sa dimension politique, Heimsendir n'oublie cependant jamais la particularité de ses protagonistes et des problématiques médicales inhérentes à son sujet. La série développe ainsi un second versant : une satire de la psychiatrie au cours de laquelle elle s'interroge sur le traitement des patients. Avec une écriture fine mais tranchée, la série n'hésite pas à manier un certain sens de l'absurde, proche de la caricature, sans jamais trop en faire. Le fait de se dérouler en 1992 lui permet de se référer à une période précédant la modernisation de ces établissements. Elle distribue donc efficacement les rôles au sein du personnel : on retrouve en effet des personnages dont les positionnements bien définis sont représentatifs d'un milieu. Il y a le directeur principalement préoccupé par son projet personnel et le livre qu'il est en train de rédiger dessus, l'infirmière pour qui la seule réponse aux comportements à risque est l'administration massive de drogue sans la moindre considération pour les malades, mais aussi le thérapeute qui, à l'opposé, s'efforce de donner aux patients l'occasion de s'exprimer, estimant que c'est en leur faisant faire des activités qu'ils pourront le mieux s'épanouir. La réussite de la série est de faire en sorte que ces personnages ne soient jamais déshumanisés : ils gardent leurs doutes, leurs obstinations et leurs émotions. Le fait d'ajouter une histoire plus personnelle, avec l'adolescente de l'infirmière et du thérapeute, contribue à ce subtil équilibre.

Ce même effort de nuance se manifeste dans la caractérisation des malades, qui sont le coeur de la série. C'est une large galerie de patients qui est ainsi mise en scène ; cette richesse apporte une diversité bienvenue, témoignant de l'ambition des scénaristes. Leurs pathologies sont montrées sans jamais alourdir le récit, mais en apportant une touche d'inattendu, à l'occasion touchante. D'autant que derrière des apparences parfois abrasives se cachent souvent des histoires poignantes qui ne laissent pas le téléspectateur indifférent. Heimsendir s'intéresse plus particulièrement à ceux qui vont jouer les fonctions clés dans la fable allégorique à l'oeuvre sous nos yeux. Leurs personnalités et leurs motivations sont assez fouillées. Le mélange est réussi entre un facteur particulier d'irrationalité inhérent à leur état mental et une logique implacable qui leur fait trouver leur place dans cet engrenage révolutionnaire. Si, durant la première partie, c'est Einar qui apparaît comme le coeur du soulèvement en gestation, c'est ensuite Margeir qui s'impose comme la complexe et troublante figure principale. Les différentes personnalités du schizophrène lui confèrent une ambivalence marquante. La clé de l'intrigue résidera dans la compréhension progressive du personnage et de ses blessures passées ; et ici, la série maîtrisera admirablement son sujet et tous les développements jusqu'à l'image finale de conclusion.

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Brillante sur le fond, Heimsendir l'est aussi sur  la forme. La réalisation a été confiée à une valeur sûre du petit écran islandais, Ragnar Bragason (il a déjà réalisé notamment la trilogie Naeturvaktin). Non seulement l'image est impeccable, mais surtout le travail entrepris sur la symbolique de certains plans est admirable. Jubilatoire même. Ce soin s'étend jusqu'aux couleurs dominantes à l'écran qui évoluent au fil de la mutation du régime : la révolution voit le rouge prévaloir ; puis à mesure que l'on tend vers la dictature, un blanc épuré s'y substitue (les quelques screen-captures vous donnent un aperçu assez représentatif). Quant à la bande-son, elle est tout simplement magnifique et ô combien appropriée : les morceaux de musique classique familiers à l'oreille du téléspectateur se succèdent en grande pompe, du Bach, du Beethoven... Déchirantes ou épiques, toujours animées d'un souffle particulier, ces partitions musicales épousent et font corps avec le récit, le rythmant et donnant avec justesse leur tonalité aux séquences en cours.

Enfin, Heimsendir dispose d'un convaincant casting, à la hauteur pour retranscrire toute cette galerie de personnages mis en scène, égarés et fragiles, mais aussi touchants et déterminés. Parmi les têtes les plus connues, on retrouve deux des trois acteurs de la trilogie Naeturvaktin. Si Pétur Jóhann Sigfússon renoue avec un personnage assez attachant qui fait preuve de beaucoup d'empathie envers ses patients, c'est Jörundur Ragnarsson qui bénéficie du rôle le plus fascinant, celui de Margeir. L'acteur délivre une performance impressionnante. Incarnant ce schizophrène dont on verra plusieurs personnalités distinctes au cours de la série, il fait preuve d'une belle faculté à se métamorphoser complètement suivant la personnalité dominante, enfantin ou machiavélique, perdu ou hystérique. A leurs côtés, on croise notamment Halldór Gylfason, Halldóra Geirharðsdóttir, Karl Ágúst Úlfsson, Nína Dögg Filippusdóttir, Bára Lind Þórarinsdóttir, Sigurður Sigurjónsson, Brynhildur Guðjónsdóttir, Lára Jóhanna Jónsdóttir, Margrét Helga Jóhannsdóttir, Víkingur Kristjánsson, Jóhann Sigurðarson, Benedikt Erlingsson, Hallgrímur Ólafsson, Guðjón Þorsteinn Pálmason, María Guðmundsdóttir, Erla Rut Harðardóttir, Þröstur Guðbjartsson ou encore Friðgeir Einarsson.

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Bilan : A la fois allégorie politique fascinante et satire dosée de la psychiatrie, Heimsendir est une oeuvre très soignée, à l'écriture consistante et fluide, dont la richesse réside dans ces différents niveaux de lecture. Fable pessimiste dans son portrait des limites de l'utopie révolutionnaire, l'efficacité et la simplicité de son histoire n'ont ici d'égal que la maîtrise d'ensemble de l'exécution d'un récit parfaitement millimétré. La série va crescendo, gagnant en intensité jusqu'à la chute finale. Pour autant, Heimsendir n'en néglige pas non plus ses personnages, conservant une dimension humaine très forte, souvent touchante, et sachant bien exploiter le cadre particulier de l'asile. Avec son sens certain du détail, le soin apporté à son identité visuelle et musicale, ses références historiques transparentes, cette série est un OTNI (Objet Télévisuel Non Identifié) jubilatoire qui mérite vraiment le détour.


NOTE : 9/10


La bande-annonce de la série (sous-titrée anglais) :

Le générique de fin (enfin, surtout sa musique) :



[A noter : Comme toutes les séries islandaises, Heimsendir a été éditée en DVD avec une piste de sous-titres anglais, disponible notamment par là.]