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26/04/2013

[Dossier] Au Nord il y a des séries !

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Quittant la (relative) fiabilité de ma connexion internet pour quelques jours, je vous préviens donc que l'actualisation de ce blog dépendra pour le week-end à venir de l'éventuel wifi que mon ordinateur pourra capter. Je ne vous laisse cependant pas sans lecture.

En effet, j'ai fait quelques infidélités à mon blog cette semaine, et j'ai réalisé pour Allociné un dossier consacré aux séries scandinaves. C'est un article qui pourra intéresser ceux qui, parmi vous, sont amateurs de séries scandinaves (ou les curieux par-delà ces frontières !), appréciant Äkta Människor actuellement sur Arte, ayant aimé Borgen ou encore Forbrydelsen, voire ayant essuyé plus récemment quelques larmes devant Don't ever wipe tears without gloves. Ce dossier vient compléter d'une certaine manière toutes les explorations nordiques que j'ai pu partager au fil de ce blog.

L'idée n'a pas été de se lancer dans une revue exhaustive, mais plutôt d'essayer d'apprécier l'essor et le dynamisme scandinave (ainsi que l'effet de mode) sous ses différentes facettes. L'article est organisé comme suit :

1. Äkta Människor : un drame humain et social
2. La fiction, miroir critique de la société
3. Une source littéraire ne se limitant pas au polar
4. Le Danemark et la révolution de DR à la fin des années 90
5. Le dynamisme actuel
6. Par-delà les frontières de la Scandinavie
7. Une fiction scandinave ne se limitant pas au polar

Pour lire l'article, rendez-vous par là : "Real Humans", "Borgen", "The Killing"... Au Nord il y a des séries !

Le générique de Ørnen: En krimi-odyssé.

(Pour se mettre dans l'ambiance)

03/11/2012

(ISL) Hamarinn (The Cliff / La Falaise) : enquête criminelle sur fond de folklore légendaire local

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My Télé is rich! a pour habitude de partir s'évader sous les latitudes nordiques islandaises dès que le thermomètre atteint des hauteurs déraisonnables. C'est ce que j'appelle une contre-programmation tempérée ; elle est en plus le prétexte parfait pour cultiver l'affection toute particulière que je nourris pour l'Islande. Pourtant, le week-end dernier, c'est alors qu'une épaisse couche de neige ensevelissait ma ville que je me suis plongée dans Hamarinn, une mini-série datant de 2009, écrite par Sveinbjörn I. Baldvinsson (connue sous le titre The Cliff en version internationale, La Falaise en version française).

Si j'ai ainsi bravé - ou presque - les éléments, c'est que cette fiction est diffusée en France sur Eurochannel à partir de ce soir (à minuit) et qu'elle est d'ores et déjà disponible sur le service VOD de la chaîne qui propose par cet intermédiaire un certain nombre des séries qu'elle a eu l'occasion de diffuser (une opportunité, pour les amateurs de séries européennes, d'effectuer éventuellement quelques rattrapages). En ce qui concerne Hamarinn, cette mini-série comptant 4 épisodes m'a permis de poursuivre, avec encore une fois une fiction très intéressante, mon incursion dans le polar islandais, mêlant folklore légendaire local et enquête criminelle solide. Ce n'est pas encore aujourd'hui que mon affection pour l'Islande va se démentir.

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Le calme d'un village retiré dans la campagne islandaise est perturbé lorsqu'un accident se produit de nuit sur un chantier, dans d'étranges circonstances. En effet, alors que des terrassements doivent avoir lieu pour moderniser les infrastructures énergétiques, un des ouvriers chute avec son engin du haut de la falaise qui doit être rasée. Il est transporté à l'hôpital dans le coma. Non seulement il s'agit de déterminer si c'est un simple accident, une tentative de suicide ou un véritable meurtre, mais la police s'intéresse d'autant plus à ce drame que des explosifs devant servir aux travaux ont aussi disparu.

L'affaire est particulièrement sensible car la réalisation du projet d'aménagement est très controversée, et la falaise en cause cristallise toutes les tensions locales. Des militants écologistes pointent ainsi la destruction des sites naturels jusqu'alors préservés qu'elle entraînera. Des entrepreneurs locaux s'affrontent pour récupérer le contrat afin de poursuivre les travaux. Et les plus anciens rappellent eux que cette falaise n'est pas de la simple roche, mais que sur son sol sacré se croisent des créatures surnaturelles qu'il ne faut pas déranger... 

L'enquête qui s'annonce bien complexe est confiée à une jeune policière, Inga, qui a encore tout à prouver aux yeux de son supérieur. Méfiant, ce dernier lui adjoint l'assistance d'un policier de Reykjavik, Helgi, qui a grandi sur les lieux du crime et connaît bien la petite communauté au sein de laquelle il va falloir démêler les fils des secrets et des motivations de chacun.

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Hamarinn s'inscrit dans la droite ligne des polars nordiques, exploitant pleinement cette approche grâce à une construction narrative, classique mais solide, qui permet quatre riches épisodes. Elle délivre une intrigue policière efficacement menée, usant de ficelles rôdées et multipliant à dessein les fausses pistes, pour retomber finalement sur une résolution cohérente venant conclure un enquête difficile. Element important du récit, la dimension humaine n'est jamais négligée. La mini-série se repose en partie sur la dynamique efficace qui s'installe au sein de son duo principal d'enquêteurs : aux concurrence et méfiance initiales succèdent un rapprochement progressif, une confiance, puis un vrai soutien. Le schéma est certes familier, mais il fonctionne d'autant mieux que le scénario prend soin de leur donner une consistance, dévoilant un passé, des incertitudes et des blessures qui peinent à se refermer. Ces personnages apparaissent ainsi faillibles, usant même parfois de moyens discutables pour parvenir à leurs fins. Les figures secondaires sont également bien traitées : le poids des histoires de familles, des traditions opposées à la modernité, des secrets à peine avoués et des amours déçus pèsent sur le drame qui se joue sous nos yeux. L'enjeu du récit est autant d'identifier un éventuel coupable que de mesurer l'impact des évènements sur la communauté touchée, mais aussi sur les enquêteurs chez qui elle ravive d'autres questionnements intimes.

Cependant la réelle valeur ajoutée de Hamarinn du polar tient surtout à l'ambiance très particulière qui s'y développe, entreprenant d'explorer des légendes du folklore islandais. La localisation loin de la ville est déterminante : elle permet d'introduire légitimement, et en leur donnant de l'importance, toutes les croyances héritées des ouïes-dires et traditions se transmettant au sein des petites communautés rurales. L'histoire glisse ainsi peu à peu vers une dimension surnaturelle, toujours utilisée avec parcimonie. Si on assiste à des phénomènes paranormaux, ceux-ci sont complètement intégrés au récit, comme normalisés. Qu'il s'agisse d'apparitions visuelles, tel l'homme au long manteau, ou encore de coïncidences troublantes, tel ce jeune garçon semblant capable de voir bien des choses, la mini-série préfère rester dans le suggestif. Elle ne tente jamais de les expliquer, laissant à chacun le soin de tirer ses propres conclusions. Comme si, dans ce soin reculé d'Islande, tout pouvait être envisageable. Il y plane ainsi l'ombre vénérable, à l'occasion menaçante, de cette falaise. Une inquiétude sourde flotte dans l'atmosphère, les questions informulées se bousculant : cette falaise est-elle vraiment maudite ? Tous les incidents qui l'entourent ont-ils une cause qui dépasse l'entendement des policiers ? Mais si Hamarinn nous plonge dans des superstitutions et des manifestations intriguantes, elle n'oublie jamais qu'elle reste un polar. Cette immersion dans un folklore typique apporte un cachet et une identité à une enquête qui aurait sans doute été sinon un peu trop classique, mais le téléspectateur n'en a pas moins ce pour quoi il est venu : une histoire policière résolue rationnellement à la fin. Le contrat est donc parfaitement rempli.

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Sur la forme, Hamarinn bénéficie d'une réalisation solide qui a été confiée à Reynir Lyngda. Les effets de la caméra contribuent à créer l'ambiance très particulière de la mini-série : tant en nous introduisant dans un polar classique égaré en pleine capagne - mettant donc en avant le paysage islandais -, elle sait aussi jouer sur une hypothèse surnaturelle plus angoissante, sans jamais trop en faire (quelques apparitions de silhouettes suffisent à diffuser une sourde angoisse en écho aux légendes locales). L'autre élément formel qui joue également un rôle fondamental est sa riche bande originale. La récompense remportée par cette dernière aux Edda Awards en 2010 est pleinement justifiée : l'accompagnant dans ses brusques montées d'inquiétude, comme dans la routine de l'enquête, la musique rythme le récit et lui confère une tonalité à part.

Enfin Hamarinn dispose d'un casting homogène dont les intéractions fonctionnent à l'écran. Les développements suivis par les rapports de la paire d'enquêteurs peuvent sembler très convenus, mais la série peut s'appuyer sur deux acteurs sympathiques, ayant une bonne alchimie entre eux, Björn Hlynur Haraldsson et Dóra Jóhannsdóttir. Avec ses pulls nordiques, son caractère affirmé et sa manière de s'inscrire en porte à faux vis-à-vis de ses collègues, il est facile de rapprocher le rôle de cette dernière des héroïnes de polars nordiques qui sont devenues pour nous des figures familières emblématiques, de Sarah Lund à Saga Noren. Le casting plus secondaire n'est pas en reste, chacun étant bien rentré dans le rôle qui lui est dévolu.

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Bilan : Proposant une enquête efficace couvrant ses quatre épisodes, Hamarinn est un polar nordique aux ressorts narratifs très classiques, aussi bien dans sa gestion toujours très humaine de personnages qu'elle prend le temps de développer, que dans la construction de son intrigue. Cependant, en plus d'être une fiction policière correcte, cette mini-série a pour elle une vraie identité islandaise, marquée par une ambiance à part qui nous plonge dans le folklore légendaire local et toutes les croyances qui l'accompagnent. Flirtant avec le surnaturel de manière étrangement normalisée, elle nous entraîne dans un coin perdu d'Islande pour nous proposer un mélange des genres intriguant qui se révèle être bien plus qu'un simple récit policier.

Rendez-vous donc sur Eurochannel pour les curieux ; voire, sinon, comme souvent en Islande, le coffret DVD contient une piste de sous-titres anglais.


NOTE : 7,25/10


La bande-annonce de la mini-série :

18/08/2012

(ISL) Réttur (The Court), saison 1 : un legal drama islandais

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En ce week-end annoncé comme caniculaire, vous vous doutiez bien que la tradition de ce blog risquait de voir poindre le billet de ce jour. Respectons l'usage : pour se rafraîchir, rien de tel que de mettre le cap sériephile vers des latitudes nordiques et de se rappeler, le temps de quelques épisodes, ce qu'est le froid. Il faut dire que la série dont je vais vous parler aujourd'hui est particulièrement appropriée pour une contre-programmation : elle se déroule sous le plafond grisâtre de nuages bas qui ne semblent jamais devoir se lever, dans une ville de Reykjavik qui reste plongée sous son manteau neigeux.

Réttur est la deuxième série islandaise que j'aborde en ce mois d'août, et déjà la quatrième de 2012 (et le sixième bilet consacré à une fiction de cette nationalité sur ce blog). Mes affinités avec le petit écran de cette île du Nord ne se démentent pas. En l'occurence, Réttur constitue rien moins que le premier legal drama de la télévision islandaise. Elle compte deux saisons, de six épisodes chacune. La première a été diffusée début 2009 sur Stöð 2. On retrouve à l'écriture quelqu'un dont le nom doit commencer à vous être familier, Sigurjón Kjartansson, scénariste extrêmement productif à qui l'on doit notamment la prenante Pressa dont je vous ai déjà tant parlé (ce qui explique sans doute l'air familier que j'y ai trouvé). Sur Réttur, il est entouré de Margrét Örnólfsdóttir et de Kristinn Thordarson.

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Réttur est une série judiciaire nous relatant le quotidien d'un trio d'avocats d'un cabinet de Reykjavik. Brynhildur et Hordur en sont les actuels associés, tandis que Logi y travaille pour l'instant à l'essai. Embauché avec pour objectif de relancer l'activité quelque peu en berne du cabinet, ce dernier est un des meilleurs avocats de la capitale. Ambitieux et plein d'aplomb, c'est un défenseur hors pair, mais dont la réputation est entachée par un crime passé : à 18 ans, il a commis un meurtre, puis a été condamné et emprisonné. Sorti quelques années plus tard, il a obtenu le pardon lui permettant de devenir... avocat. Cependant, cette histoire reste dans tous les esprits, notamment policiers, même si Logi prétend ne se souvenir de rien.

La série les suit à travers plusieurs affaires, touchant à des domaines très différents : des procès criminels, du meurtre au trafic d'être humain, en passant par des escroqueries financières ou bien des abus de faiblesse. Ils représentent, suivant les cas, l'accusé ou la victime. En arrière-plan, un fil rouge se dessine : pèse sur l'atmosphère de Reykjavik des faits divers qui sont devenus malheureusement un rituel craint du vendredi soir, une série de viols commis par un serial rapist, face auquel l'enquête de la police piétine. Avec ce tableau d'une ville où le ministère public cherche souvent à faire des exemples de ceux qui troublent la tranquillité, Réttur se concentre sur ses trois protagonistes, se proposant de nous faire vivre leurs succès et leurs échecs, professionnels comme personnels.

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De premier abord, Réttur est un legal drama aux consonnances très classiques. Il se réapproprie efficacement le genre, mais reste relativement quelconque en optant pour une présentation très sobre de la dynamique judiciaire. Plus qu'au métier lui-même, il est manifeste que la série s'intéresse avant tout à l'humain derrière le professionnel portant la robe. C'est sans doute pour cela que l'on a l'impression de la voir parfois emprunter des raccourcis un peu faciles, laissant certains développements inachevés, dans sa gestion des affaires. Cependant, elle dispose d'une narration qui ne traîne pas, va à l'essentiel, et permet donc d'évoquer - plus ou moins brièvement - toutes les facettes de la profession, avec son lot de dilemmes moraux et ces affaires que l'on ne sait comment aborder. De plus, par la diversité des cas traités, il faut reconnaître à cette première saison une indéniable richesse.

La construction de Réttur mêle un procédural travaillé et un fil rouge à la densité variable. On retrouve dans l'exploitation de ce dernier une façon de faire assez caractéristique du style du scénariste. Suivant une forme de continuité à éclipse, une intrigue peut ainsi être introduite, s'imposer sur le devant de la scène, puis être oubliée, pour ensuite ressurgir soudain au centre des enjeux. Même si cela peut renvoyer le sentiment d'un manque d'homogénéité, l'essentiel est que la série sait manifestement où elle nous conduit et qu'elle fait preuve pour cela d'un réel savoir-faire qui retient l'attention du téléspectateur de bout en bout. Ce sont des limites de construction que l'on trouve aussi dans Pressa, mais qui n'affectent pas la portée de la série. Autre procédé similaire avec Pressa : l'utilisation des médias comme observateurs/narrateurs extérieurs des évènements mis en scène. C'est une technique qui est tout aussi bien utilisée dans Réttur.

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A côté de ce quotidien judiciaire bien huilé, Réttur fidélise aussi son public grâce à ses personnages, chacun très différents, mais complémentaires à leur manière. En premier lieu, c'est évidemment Logi qui s'impose à l'écran : par son assurance où perce une pointe d'arrogance, sa conception très relativiste de son métier et sa capacité à prendre les choses en main quel que soit la situation. Marque aussi l'ambivalence inhérente au personnage. Derrière cette apparence d'avocat en représentation permanente qu'il cultive, en arrière-plan, figure toujours ce crime commis il y a 25 ans. S'il prétend ne plus s'en soucier - ne l'ayant pas en mémoire -, le souvenir revient toujours, imperturbable, aussi bien face à des interlocuteurs qui l'évoquent que face à la famille de la victime... Et à mesure que l'on apprend à le connaître, à identifier ces mécanismes de défense, on comprend mieux son fonctionnement, son problème avec l'alcool, et surtout on devine, derrière cette allure excessivement pragmatique, des blessures qui lui font plus d'une fois frôler l'autodestruction, comme le montre sa gestion calamiteuse de sa vie sentimentale.

Outre ce personnage tranchant qui s'impose d'emblée, l'atout de Réttur est aussi de trouver le juste équilibre avec les deux autres avocats du cabinet, Brynhildur et Hordur. Chacun voit ses histoires professionnelles, mais aussi sa vie personnelle, développées. Brynhildur, divorcée, instinctivement méfiante mais au caractère affirmé, connaîtra ainsi toutes les émotions au cours de la saison, des joies personnelles, mais aussi bien des challenges bien difficiles dans sa vie professionnelle. Elle en sort grandie, et sa figure affirmée ; le téléspectateur espérant secrètement que le futur entrevu pour elle à la fin de la saison puisse voir le jour. Quant à Hordur, c'est un avocat paradoxal : il n'aime rien tant que rester dans l'ombre des recherches et des procédures, laissant la lumière des prétoires à ses associés. Malgré les réticences qu'il avait initialement à accueillir Logi, il est intéressant de voir comment les deux avocats trouvent finalement assez facilement un terrain d'entente, grâce à leurs différences, au point de voir Logi héberger Hordur lorsque ce dernier rencontre des difficultés dans son couple.

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Sur la forme, Réttur est une série à la réalisation très sobre, avec une photographie qui semble s'imprégner de l'atmosphère glacée de Reykjavik. Les teintes y sont froides, une pellicule grisâtre paraissant recouvrir l'ensemble. Ce ressenti est renforcé par les multiples plans de la ville enneigée, où la couleur du sol se confond avec le ciel, tandis que l'océan en arrière-fond est un mince ligne peu plus grise. La musique épouse très bien l'ambiance finalement assez posée d'un legal drama. Du classique, mais qui correspond aux attentes, à l'image du thème du générique (cf. la vidéo ci-dessous).

Enfin, Réttur bénéficie d'un casting globalement solide. Plus précisément, elle dispose d'un trio principal qui endosse sans difficulté les caractéristiques de leurs rôles respectifs : ce qui permet ainsi à cette rapide complémentarité de s'installer immédiatement à l'écran. C'est sans doute Magnus Jonsson, interprétant Logi, le personnage le plus emblématique de la série, qui marque le plus. Mais j'ai également bien aimé la dynamique qui s'installe avec Vikingur Kristjansson (Hordur), ainsi que le caractère que fait sien Johanna Vigdis Arnardottir dans le rôle de Brynhildur.

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Bilan : Legal drama sobre et classique, Réttur trouve le juste équilibre entre ses explorations du système judiciaire à travers des affaires très diverses, le développement de personnages auxquels le téléspectateur s'attache et l'adjonction d'un fil rouge criminel qui permet de lier en un seul ensemble toute la saison. Portée par une figure centrale marquante à l'ambivalence morale intriguante, qui constitue sa principale particularité, la série bénéficie en plus d'une narration très efficace. Sans être toujours pleinement aboutie sur certains points de son volet judiciaire, la construction d'ensemble n'en demeure pas moins solide.

C'est donc un legal drama venu du Nord qui devrait satisfaire les amateurs du genre.

[A noter : Comme beaucoup de séries islandaises, Réttur est disponible en DVD avec une piste de sous-titres anglais.]


NOTE : 7/10


Le générique de la série :

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03/08/2012

(ISL) Pressa (The Press), saison 2 : une efficace série entre presse et investigations criminelles

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C'est l'été, il fait chaud. Comme cela est un peu devenu la tradition sur ce blog : il est temps de partir sous des latitudes plus clémentes ! Parmi mes destinations nordiques fétiches, figure un petit pays que vous devez commencer à connaître si vous passez par ici régulièrement : l'Islande. C'était il y a presqu'un an jour pour jour que j'avais achevée ma première série islandaise et avais consacré un premier billet à ce pays. Il s'agissait de Pressa, une fiction à suspense mêlant affaires policières et enjeux de presse, et venant donc prendre place aux côtés d'autres fictions sur le journalisme, de Reporters à The Hour en passant par The Newsroom.

La série ayant été renouvelée, j'attendais de pouvoir visionner sa seconde saison avec impatience. Cette dernière a été diffusée sur Stöð 2 durant l'hiver 2010. Et le succès a été au rendez-vous : non seulement elle a été accueillie de façon très positive par les critiques, mais elle est devenue le plus grand succès d'audience de Stöð 2 pour une de ses séries. Aprés visionnage, je dois dire que cela est mérité : tout en restant fidèle à elle-même (et en conservant la même équipe, Sigurjón Kjartansson au scénario, Óskar Jónasson derrière la caméra), Pressa 2 est apparue plus maîtrisée, parvenant à mieux jouer sur une tension et un suspense qui avaient pu faire défaut par moment durant la saison 1.

[Edit : Après recherches, bonne nouvelle, une troisième saison a été commandée. Elle comportera 6 épisodes et sera diffusée à l'automne 2012 en Islande. Vous n'avez donc pas fini d'en entendre parler !]

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Pressa débute quelques temps après la fin de la première saison. Lára vit désormais avec Halldor. Même si leur couple bat de l'aile, notamment en raison du nouveau travail de son compagnon qui souhaiterait émigré au Canada, leur famille s'est agrandie : ils viennent d'avoir leur premier enfant ensemble. La journaliste est encore en congé maternité, loin du stress et des rotatives du Post, ce grand tabloïd pour lequel elle travaille. Cependant les soucis professionnels ne lui laissent aucun repos : elle perd en effet un procès intenté contre elle pour atteinte à la vie privée et est condamnée à une lourde amende que Nökkvi refuse de faire payer par le journal. Ce sont ces raisons qui vont la conduire à s'intéresser à un fait divers qui défraye la chronique.

Dans une Islande où la situation économique reste difficile et au sein de laquelle la plupart des grands entrepreneurs sont tombés en 2008, en même temps que le système bancaire dont ils nourrissaient les failles, Hrafn Jósepsson fait jusqu'alors figure d'exception : jamais inquiété par la justice pour sa gestion financière, ses affaires pétrolières se portent bien. Mais c'est une histoire de moeurs, ou plutôt de meurtre, qui le rattrape : une jeune femme avec qui il a passé la soirée est retrouvée morte, pendue dans un square. Inquiété par la police, il engage Lára pour enquêter afin de le disculper. Toutefois, très vite, la journaliste découvre des zones d'ombre inquiétante dans le passé du pdg. Sa position au Post est également compromise du fait du conflit d'intérêt ainsi né. 

Ce qui commence comme une question d'éthique va vite prendre une autre tournure : le tabloïd a-t-il seulement les moyens de s'attaquer à un homme si puissant ? Quand l'industrie commence à se mêler de la presse, la liberté de cette dernière en sort rarement grandie. D'autant que Lára n'est pas au bout de ses problèmes lorsqu'elle décide de faire la lumière sur un trafic de drogue conduit par un gang de motards ambitieux.

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Le premier atout de Pressa, c'est d'avoir conservé la recette qui fait toute l'identité et l'intérêt de cette série : une dualité initiale lui permettant d'emprunter à la fois au thriller et à la fiction de journalisme. L'immersion dans les coulisses du tabloïd et les questionnements qui accompagnaient son quotidien avaient été l'aspect le plus réussi de la première saison. La série garde une même approche, tout en sachant se réinventer. Plutôt que de revenir une nouvelle fois explorer les méthodes discutables qui régissent la course aux scoops et la fascination/répulsion suscitée par les Unes voyeuristes, la saison 2 va cette fois s'attacher à mettre en avant la fragilité de l'indépendance de la presse.

D'une part, elle aborde les enjeux financiers derrière la publication du quotidien, tandis que The Post doit faire face à son rachat par un puissant industriel. Assister à la mise au pas du personnel, accompagné d'un inéluctable changement de direction, met en lumière par quel glissement dangereux, servi par le jeu des ambitions, un journal peut perdre sa liberté et son âme. D'autre part, en s'attaquant à un crime organisé qui opère en quasi-impunité, Lára doit faire face à un autre type de pressions, les menaces directes contre son intégrité physique. Entre le métier de reporter et la protection de sa famille, l'arbitrage est impossible. Si Pressa ne fait pas toujours dans la subtilité, elle aborde sans détour et avec un aplomb appréciable tous les tenants et aboutissants de ces diverses problématiques. 

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Parallèlement à cette immersion dans les coulisses de la presse, Pressa est une série à suspense. Cette fois, à la différence d'une saison 1 qui avait peiné à générer jusqu'au bout une réelle tension en dépit de ses bonnes intentions, l'ensemble est ici plus homogène et abouti. Sa grande réussite tient à son rythme. Multipliant les rebondissements, redistribuant constamment les cartes, ajoutant de nouvelles intrigues à celles déjà existantes, cette saison 2, comprenant toujours six épisodes, est extrêmement dense. Certes, certains développements peuvent paraître presque trop rapides, cependant on perçoit vraiment la volonté des scénaristes d'avoir cherché à écrire un récit très dense, sans le moindre temps mort. 

En réalité, c'est une double intrigue qui se construit sous nos yeux. D'une part, on a une histoire de meurtre et de puissant dont on se demande s'il est suspecté du fait d'une réputation créée par des jalousies ou s'il a été jusque là protégé par son statut privilégié. D'autre part, est mise en scène une investigation plus dangereuse qui conduit The Post à traiter de la grande criminalité. Dans les deux cas, le ressort narratif central - parfois un peu facile - permettant de faire progresser l'histoire demeure les prises de risque, pas toujours réfléchies, de Lára qui a cette capacité hors du commun à mettre le doigt dans des engrenages létaux. Si l'équilibre dans la gestion parallèle des storylines est parfois un peu vacillant, l'important est que l'ensemble fonctionne. Portés par une tension qui ne se dément pas, les épisodes s'enchaînent tout seul.

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Plus maîtrisée sur le fond, Pressa l'est également sur la forme. Si la réalisation conserve une nervosité caractéristique, la fébrilité de la caméra m'a paru moins forcée que lors du visionnage de la première saison. A la différence d'une série comme Tími Nornarinnar où l'on trouve vraiment une volonté de faire des paysages enneigés islandais (bien connus des sériephiles qui regardent Game of Thrones) un acteur à part entière du récit, Pressa reste un polar qui préfère les ambiances pesantes d'intérieur, le ciel bas et grisâtre et des paysages sombres. La photographie conserve une froideur qui sied parfaitement à l'atmosphère, tout comme la bande-son aux instrumentaux rythmés.

Enfin, la série bénéficie d'un casting solide. Parmi les nouvelles têtes de la saison, les téléspectateurs familiers du petit écran danois reconnaîtront avec plaisir Bjarne Henriksen (Forbrydelsen, Borgen) qui apparaît dans trois des six épisodes en gangster danois dont l'organisation criminelle envisage de s'étendre sur l'île. Sinon, on recroise des acteurs qui avaient déjà su trouver leurs marques en première saison. Sara Dögg Ásgeirsdóttir trouve le juste milieu entre la spontanéité parfois très insouciante de Lára et cette persévérance inarrêtable qui prouve que la jeune femme est plus solide qu'elle ne paraît. A ses côtés, on notera aussi la présence de Kjartan Guðjónsson, Þorsteinn Bachmann ou encore Stefán Hallur Stefánsson.

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Bilan : Série feuilletonnante à suspense, empruntant aussi bien au thriller qu'au récit de journalisme, Pressa propose une saison 2 dense et complète. Elle soigne le développement des personnages comme la manière dont elle conduit ses grands arcs narratifs. Distillant une tension prenante, elle se montre convaincante sur le fond et sur la forme, et fait preuve d'une maîtrise dans l'art du cliffhanger qui ferait vraiment espérer une saison 3. Elle est sans doute ce que l'Islande propose de mieux actuellement à la télévision dans le registre du polar, par conséquent, profitez de la période estivale et n'hésitez pas à être curieux !


NOTE : 7,75/10


[Comme beaucoup de séries islandaises, le coffret DVD de cette saison 2 comprend une piste de sous-titres anglais.]

31/05/2012

(ISL) Heimsendir (World's End) : entre l'allégorie politique et la satire de la psychiatrie


Article 5. "Drugs are optional... (except for those that need them)."

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Connaissez-vous ce sentiment d'intense satisfaction téléphagique qui vous étreint lorsque vient enfin le moment de se lancer dans un projet que vous attendiez avec impatience depuis des mois et qu'ensuite le résultat se révèle à la hauteur, dépassant même vos espérances ? C'est ce qui m'est arrivé ces derniers jours. Si vous lisez régulièrement ce blog, vous vous souvenez que cela fait déjà quelques temps que je vous parle d'une série islandaise récente qui avait réussi le tour de force de m'intriguer et de me pré-fasciner par sa seule affiche (pour laquelle la parenté esthétique avec Naeturvaktin était évidente) et une brève bande-annonce.

Heimsendir (World's End à l'international) a été diffusée sur Stöð 2 à la fin de l'année 2011 (de septembre à novembre). Elle compte en tout 9 épisodes dont la durée varie entre 30 et 35 minutes. On retrouve à son origine (et en partie aussi devant la caméra) la brillante équipe (Jóhann Ævar Grímsson, Jörundur Ragnarsson, Pétur Jóhann Sigfússon et Ragnar Bragason) qui a créé la grande série islandaise de ces dernières années, la trilogie constituée par Næturvaktin, Dagvaktin et Fangavaktin. Si on perçoit certaines influences communes entre les oeuvres, notamment dans leur dimension humaine, Heimsendir investit cependant un registre très différent : ce bijou d'une inventivité fascinante flirte avec la fable politique, à la fois allégorique et satirique. Inutile de faire durer le suspense : j'ai été complètement conquise.

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Heimsendir se déroule en 1992 au sein d'un asile psychiatrique isolé dans la campagne islandaise. La série débute avec l'arrivée d'un nouveau patient, Einar, un enseignant qui après plusieurs crises se retrouve envoyé là-bas contre sa volonté, avec l'autorisation de sa famille. Il s'ajuste difficilement à ce quotidien de l'hôpital, refusant de se considérer comme malade. Mais ce sont surtout les conditions de vie imposées par l'institution qui vont attiser sa révolte. En effet, la direction de l'asile impose non seulement un règlement très strict, infantilisant à l'extrême les patients, mais elle administre aussi des traitements médicaux forts sans aucune concertation. Au sein du staff, Ludvik est sans doute le seul à essayer de prendre en compte les désirs et besoins de ceux qu'ils sont pourtant censés aider vers une éventuelle guérison.

Voyant qu'aucune discussion n'est possible, Einar allume l'étincelle révolutionnaire au sein de l'établissement, interpellant et convaincant ses compagnons de réclamer un certain nombre de droits fondamentaux, parmi lesquels l'interdiction d'être drogué contre sa volonté. Au cours d'un long week-end férié, la confrontation s'envenime et les évènements dégénèrent. Les patients profitent du manque de personnel pour prendre le contrôle de l'hôpital. Le staff est enfermé. Et les anciens internés entreprennent alors le premier acte de la nouvelle ère : la rédaction d'une constitution. Mais très vite, à la place de la liberté initialement proclamée, le fonctionnement de l'établissement glisse vers la dictature tandis que Margeir, un jeune schizophrène, laisse apparaître une nouvelle personnalité, ambitieuse et dangereuse...

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A partir de son cadre hospitalier, Heimsendir s'impose tout d'abord dans un registre surprenant : celui de l'allégorie politique. La construction narrative très familière, que l'on pourrait rapprocher d'une forme d'apologue, m'a très vite fait penser à celle d'un livre qui m'avait marqué dans ma jeunesse, La ferme des animaux de George Orwell. Trois grandes étapes peuvent ainsi être distinguées dans le récit. Initialement, le soulèvement ouvre une période d'euphorie où s'exprime une utopie révolutionnaire durant laquelle toutes les espérances sont permises. Puis, les premières dérives se font jour : la liberté peut très vite engendrer le chaos, a fortiori dans un asile. Les dirigeants retombent alors dans les travers de l'institution qu'ils ont balayée. Dans Heimsendir, le motif de la discorde est l'administration de drogue. C'est pourquoi l'article 5 de la constitution garantit que ces médicaments ne sont qu'optionnels : nul ne peut être forcé à les ingurgiter. Mais après un comportement dangereux d'un malade, Einar amende unilatéralement le texte, ajoutant un significatif "sauf pour ceux qui en ont besoin" et ouvrant ainsi la voie à la médication forcée. Tout comme la loi fondamentale dans La ferme des animaux avait commencé en proclamant que "tous les animaux sont égaux" pour finir complétée par "mais certains le sont plus que d'autres". A partir du moment où les dirigeants s'affranchissent du cadre légal, la communauté glisse vers la dictature : une nouvelle figure s'impose pour parachever le basculement d'un régime où toute voix dissonnante est désormais réduite à néant.

Si le livre d'Orwell était une critique du stalinisme, les emprunts historiques de Heimsendir sont différents, mais tout aussi identifiables. La série trouvera un écho particulier auprès du téléspectateur français, car les scénaristes ont manifestement ouvert un livre d'Histoire de la révolution de 1789. Les références s'enchaînent de façon assez savoureuse. Ainsi, par exemple, après s'être arrogé le pouvoir constituant, la personne pouvant s'exprimer et devant être écoutée par les autres est celle qui porte un chapeau, lequel n'est pas sans rappeler le bicorne napoléonien. Ensuite, parmi les grandes idées de réforme faites, l'ingénieur du groupe propose d'instaurer l'heure et la semaine décimale (et un épisode a même pour titre... "thermidor"). Puis la série nous rejoue une variante symbolique de l'assassinat de Marat dans son bain, portant le tableau bien connu à l'écran : au poignard se substitue l'ingestion de drogue... attentat chimique adapté au cadre de l'asile. Après l'organisation de procès pour juger l'ancienne institution, Margeir/Mori décide de répartir les différentes fonctions entre plusieurs comités, chapeautés par un comité central, le comité "of public awareness" (écho au comité de salut public). C'est assez jubilatoire de voir ainsi transposer ces éléments narratifs familiers, d'autant plus que la fiction se les réapproprie avec aplomb et logique, faisant preuve d'une inventivité et d'une richesse dans son propos qui sont vraiment remarquables.

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A côté de sa dimension politique, Heimsendir n'oublie cependant jamais la particularité de ses protagonistes et des problématiques médicales inhérentes à son sujet. La série développe ainsi un second versant : une satire de la psychiatrie au cours de laquelle elle s'interroge sur le traitement des patients. Avec une écriture fine mais tranchée, la série n'hésite pas à manier un certain sens de l'absurde, proche de la caricature, sans jamais trop en faire. Le fait de se dérouler en 1992 lui permet de se référer à une période précédant la modernisation de ces établissements. Elle distribue donc efficacement les rôles au sein du personnel : on retrouve en effet des personnages dont les positionnements bien définis sont représentatifs d'un milieu. Il y a le directeur principalement préoccupé par son projet personnel et le livre qu'il est en train de rédiger dessus, l'infirmière pour qui la seule réponse aux comportements à risque est l'administration massive de drogue sans la moindre considération pour les malades, mais aussi le thérapeute qui, à l'opposé, s'efforce de donner aux patients l'occasion de s'exprimer, estimant que c'est en leur faisant faire des activités qu'ils pourront le mieux s'épanouir. La réussite de la série est de faire en sorte que ces personnages ne soient jamais déshumanisés : ils gardent leurs doutes, leurs obstinations et leurs émotions. Le fait d'ajouter une histoire plus personnelle, avec l'adolescente de l'infirmière et du thérapeute, contribue à ce subtil équilibre.

Ce même effort de nuance se manifeste dans la caractérisation des malades, qui sont le coeur de la série. C'est une large galerie de patients qui est ainsi mise en scène ; cette richesse apporte une diversité bienvenue, témoignant de l'ambition des scénaristes. Leurs pathologies sont montrées sans jamais alourdir le récit, mais en apportant une touche d'inattendu, à l'occasion touchante. D'autant que derrière des apparences parfois abrasives se cachent souvent des histoires poignantes qui ne laissent pas le téléspectateur indifférent. Heimsendir s'intéresse plus particulièrement à ceux qui vont jouer les fonctions clés dans la fable allégorique à l'oeuvre sous nos yeux. Leurs personnalités et leurs motivations sont assez fouillées. Le mélange est réussi entre un facteur particulier d'irrationalité inhérent à leur état mental et une logique implacable qui leur fait trouver leur place dans cet engrenage révolutionnaire. Si, durant la première partie, c'est Einar qui apparaît comme le coeur du soulèvement en gestation, c'est ensuite Margeir qui s'impose comme la complexe et troublante figure principale. Les différentes personnalités du schizophrène lui confèrent une ambivalence marquante. La clé de l'intrigue résidera dans la compréhension progressive du personnage et de ses blessures passées ; et ici, la série maîtrisera admirablement son sujet et tous les développements jusqu'à l'image finale de conclusion.

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Brillante sur le fond, Heimsendir l'est aussi sur  la forme. La réalisation a été confiée à une valeur sûre du petit écran islandais, Ragnar Bragason (il a déjà réalisé notamment la trilogie Naeturvaktin). Non seulement l'image est impeccable, mais surtout le travail entrepris sur la symbolique de certains plans est admirable. Jubilatoire même. Ce soin s'étend jusqu'aux couleurs dominantes à l'écran qui évoluent au fil de la mutation du régime : la révolution voit le rouge prévaloir ; puis à mesure que l'on tend vers la dictature, un blanc épuré s'y substitue (les quelques screen-captures vous donnent un aperçu assez représentatif). Quant à la bande-son, elle est tout simplement magnifique et ô combien appropriée : les morceaux de musique classique familiers à l'oreille du téléspectateur se succèdent en grande pompe, du Bach, du Beethoven... Déchirantes ou épiques, toujours animées d'un souffle particulier, ces partitions musicales épousent et font corps avec le récit, le rythmant et donnant avec justesse leur tonalité aux séquences en cours.

Enfin, Heimsendir dispose d'un convaincant casting, à la hauteur pour retranscrire toute cette galerie de personnages mis en scène, égarés et fragiles, mais aussi touchants et déterminés. Parmi les têtes les plus connues, on retrouve deux des trois acteurs de la trilogie Naeturvaktin. Si Pétur Jóhann Sigfússon renoue avec un personnage assez attachant qui fait preuve de beaucoup d'empathie envers ses patients, c'est Jörundur Ragnarsson qui bénéficie du rôle le plus fascinant, celui de Margeir. L'acteur délivre une performance impressionnante. Incarnant ce schizophrène dont on verra plusieurs personnalités distinctes au cours de la série, il fait preuve d'une belle faculté à se métamorphoser complètement suivant la personnalité dominante, enfantin ou machiavélique, perdu ou hystérique. A leurs côtés, on croise notamment Halldór Gylfason, Halldóra Geirharðsdóttir, Karl Ágúst Úlfsson, Nína Dögg Filippusdóttir, Bára Lind Þórarinsdóttir, Sigurður Sigurjónsson, Brynhildur Guðjónsdóttir, Lára Jóhanna Jónsdóttir, Margrét Helga Jóhannsdóttir, Víkingur Kristjánsson, Jóhann Sigurðarson, Benedikt Erlingsson, Hallgrímur Ólafsson, Guðjón Þorsteinn Pálmason, María Guðmundsdóttir, Erla Rut Harðardóttir, Þröstur Guðbjartsson ou encore Friðgeir Einarsson.

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Bilan : A la fois allégorie politique fascinante et satire dosée de la psychiatrie, Heimsendir est une oeuvre très soignée, à l'écriture consistante et fluide, dont la richesse réside dans ces différents niveaux de lecture. Fable pessimiste dans son portrait des limites de l'utopie révolutionnaire, l'efficacité et la simplicité de son histoire n'ont ici d'égal que la maîtrise d'ensemble de l'exécution d'un récit parfaitement millimétré. La série va crescendo, gagnant en intensité jusqu'à la chute finale. Pour autant, Heimsendir n'en néglige pas non plus ses personnages, conservant une dimension humaine très forte, souvent touchante, et sachant bien exploiter le cadre particulier de l'asile. Avec son sens certain du détail, le soin apporté à son identité visuelle et musicale, ses références historiques transparentes, cette série est un OTNI (Objet Télévisuel Non Identifié) jubilatoire qui mérite vraiment le détour.


NOTE : 9/10


La bande-annonce de la série (sous-titrée anglais) :

Le générique de fin (enfin, surtout sa musique) :



[A noter : Comme toutes les séries islandaises, Heimsendir a été éditée en DVD avec une piste de sous-titres anglais, disponible notamment par là.]