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07/09/2013

(DAN) Borgen, saison 3 : un nouveau défi, de nouvelles épreuves


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Le jeudi 3 octobre prochain, Arte débutera la diffusion de la troisième et dernière saison de Borgen (elle sortira ensuite en DVD dès la semaine suivante). Comme pour Forbrydelsen, la chaîne publique danoise DR a adopté le schéma d'une série construite sur trois saisons, évitant ainsi tout risque d'essoufflement. Une façon de s'assurer de partir par la grande porte, ce que Borgen a réussi au Danemark l'hiver dernier, où elle a été proposée du 1er janvier au 10 mars 2013.

Quand vient l'heure de quitter une telle série, les mots me manquent, le coeur se serre. Elle n'a pas été la première fiction danoise que j'ai visionnée, ni celle qui a éveillé mon intérêt pour les productions scandinaves, mais elle reste ma préférée. C'est avec des yeux un peu émerveillés que je l'avais découverte en mai 2011, moi qui aime tant les fictions politiques depuis The West Wing. La suite aura été à la hauteur. Parcourue d'une énergie communicative, composée de personnages engageants, elle a marqué ma sériephilie de ces dernières années. J'ai donc remis au lendemain pendant plusieurs semaines le visionnage de ces ultimes épisodes, caressant l'illusion de conserver un peu plus longtemps de l'inédit. Il est cependant temps de refermer ce beau chapitre.

[La review qui suit contient des spoilers sur la saison 3.]

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La saison 3 de Borgen s'ouvre plus de deux ans après le final de la saison précédente. Birgitte a perdu les élections législatives et s'est retirée de la vie politique, s'investissant à l'international dans le privé. C'est en Chine qu'on la retrouve lorsque la saison débute ; en plus des affaires, elle y côtoie notamment son nouveau compagnon, Jeremy Welsh, un architecte anglais. Au Danemark, Katrine est toujours présentatrice sur TV1, chaîne sur laquelle Kasper anime désormais une émission d'analyse politique. S'ils ont eu un enfant, leur couple n'y a pas survécu. Tout en réglant à l'amiable la question de la garde, c'est surtout Katrine qui jongle avec son emploi du temps sur-chargé, pouvant heureusement compter sur l'assistance de sa mère.

L'intérêt de Birgitte pour les affaires publiques est resté intact. Elle assiste d'un mauvais oeil au rapprochement de son parti avec certaines des politiques menées par le gouvernement de droite actuelle, notamment sur l'immigration. Cela la décide à vouloir revenir dans l'arène politique ; mais elle se heurte à l'hostilité du nouveau leader centriste, Jacob Kruse, avec lequel elle a déjà un lourd passif du temps où elle était Premier Ministre. Après avoir échoué dans sa tentative de reprendre le contrôle du parti, elle imagine une autre voie : la création de son propre parti centriste. Ayant débauché Katrine pour l'aider, les deux femmes se lancent sur la scène politique décidées à y constituer et à y imposer cette nouvelle force.

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Avec cette saison 3, une redistribution importante des cartes s'est opérée dans le paysage politique danois. Borgen nous entraîne dans l'après-gouvernement. Ce choix est très intéressant, car il a le mérite de placer Birgitte dans un tout autre contexte par rapport à celui dans lequel elle a évolué au cours de deux premières saisons. Le récit ne porte plus sur l'exercice du pouvoir et sa défense, mais raconte l'histoire d'un nouveau départ, en repartant de la base, celle de la formation d'un parti. Par conséquent, les problématiques traitées sont différentes : la série nous avait appris les arbitrages d'intérêts et l'art des négociations pour adopter une législation, cette troisième saison est surtout celle des stratégies électorales et des manœuvres politiciennes ayant pour but de progressivement compter dans le débat public. Il ne s'agit plus de gouverner, mais de construire un programme, de tenter de s'engager pour l'avenir sans avoir les moyens présents de peser comme on le souhaiterait.

Les dynamiques humaines sont également différentes. Le passage d'un parti amateur, proche d'une auberge espagnole, où chacun projette des attentes parfois très éloignées des opinions de Birgitte, à un groupe politique cohérent et en ordre de bataille, ne se fait pas en un jour. De plus, seuls trois parlementaires, insatisfaits dans leurs partis d'origine, prennent initialement le risque de rejoindre cette nouvelle formation. Ce n'est certes plus la vie agitée d'un gouvernement qu'il faut s'efforcer de réguler, mais la gestion des égos, des ambitions et des caractères de chacun reste une oeuvre complexe, dans laquelle il y a aura des déceptions pour Birgitte. Cette dernière s'impose avec une force inchangée. Femme de conviction, politicienne habile et solide, elle démontre tout au long de la saison, face à ces nouveaux enjeux, pourquoi le leadership lui est tout naturellement échu. Rarement une figure de pouvoir féminine aura été si magistralement caractérisée.

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Dans son traitement des personnages, Borgen ne modifie pas la recette qui a fait son succès : elle continue de lier professionnel et personnel, en cherchant le juste équilibre pour permettre à ces deux pans de s'emboîter. Cela donne l'occasion d'explorer plus avant ses figures principales. C'est tout particulièrement le cas pour Birgitte, car, en plus de devoir se réinventer politiquement, elle est confrontée à une toute autre épreuve, plus intime, à laquelle rien ne peut préparer : la maladie. A la différence d'autres fictions politiques ayant abordé le sujet sous l'angle de la transparence ou de la remise en cause de la capacité à exercer des fonctions à responsabilité (telle The West Wing), Borgen privilégie un angle personnel.

C'est donc du point de vue de Birgitte que la série nous relate la difficulté à mener de front des ambitions politiques - surtout une campagne électorale - et un traitement médical lourd comme une chimiothérapie. Le téléspectateur mesure ici la détermination inébranlable du personnage. Il assiste aussi à sa prise de conscience progressive : Birgitte ne peut pas continuer comme si de rien n'était, dans le secret y compris vis-à-vis de sa famille. Cela l'érode physiquement, nerveusement. Elle se voit contrainte d'évoluer, mais ce qu'elle parvient malgré tout à accomplir n'en est que plus à saluer. Elle reste fidèle à elle-même, avec la force qu'on lui connaît, pour venir confirmer sa stature de grande femme d'Etat.

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Suivant le schéma qui a fait la réussite des deux premières saisons, Borgen ne néglige pas non plus la dimension médiatique de son histoire. Si la série fonctionne toujours avec trois têtes d'affiche, il faut signaler un changement : aux côtés de Birgitte et de Katrine, c'est désormais Torben Friis, responsable de l'information à TV1, qui est mis en avant, tandis que Kasper est beaucoup plus en retrait. Associer Birgitte et Katrine permet de découvrir un autre type de relation entre la politicienne et sa spin-doctor. Faisant un pari osé, elles s'allient pour construire de toutes pièces un nouveau parti. Il en résulte une réelle complicité. Le changement est notable par rapport à Kasper. La série perd en confrontations potentielles, les voix dissidentes, avec des divergences de stratégie, se retrouvant portées par des figures plus extérieures, comme Jon Berthelsen. Si le téléspectateur regrette parfois les explosions passées, cette unité et le consensus apparent entre ces deux femmes souvent sur la même longueur d'ondes se justifient par la différence de cadre. Birgitte n'affronte plus ses adversaires en situation de force, elle a besoin du soutien inébranlable de Katrine.

L'autre storyline médiatique entraîne le téléspectateur dans les coulisses de la chaîne TV1, en phase de restructuration. Borgen aborde la question du traitement de l'information dans les médias. Mettant en scène la course aux audiences, elle s'interroge sur l'endroit où placer le curseur : dans quelle mesure peut-on sacrifier la rigueur de l'information pour adopter des concepts et des mises en scène plus aguicheuse à destination d'un public élargi ? Torben est confronté à un nouveau supérieur qui entend donner un coup de jeune à la chaîne de télévision. Mis sous pression, il tente tant bien que mal d'intégrer ces nouvelles exigences en forçant sa nature et en allant à contre-courant. La saison suit sa progressive perte de repères, dans laquelle le téléspectateur craint longtemps qu'il ne s'égare définitivement. On peut regretter que la mise en scène de cette problématique ne soit pas aussi nuancée que la partie politique, avec quelques évolutions un peu abruptes, mais elle offre des moments pertinents, éclairant notamment la dangereuse porosité de la frontière entre divertissement et information.

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Côté casting, le téléspectateur retrouve avec plaisir des acteurs principaux toujours aussi solides et convaincants. Sidse Babett Knudsen rayonne à l'écran avec une présence et une force inchangée : son personnage affronte des épreuves nouvelles, l'occasion de nuancer son jeu, de parfois craquer, tout en continuant de façonner une figure de pouvoir absolument fascinante. Quant à son nouveau compagnon, il est interprété par l'écossais Alastair Mackenzie (Psychos, Monarch of the Glen), l'occasion pour Borgen de prendre quelques accents anglophones puisque son personnage ne parle pas un mot de danois (et de tester du même coup l'accent anglais des autres personnages !).

Par ailleurs, en nouvelles têtes danoises, Borgen a décidément tout fait pour rester durablement dans mes séries préférées : elle accueille en effet plusieurs acteurs que j'apprécie beaucoup. Ainsi, parmi ceux qui rejoignent le parti de Birgitte dès la première heure, figure Jens Albinus  (Ørnen: En krimi-odyssé) qui incarne Jon Berthelsen, politicien ambitieux qui, s'il partage un certain nombre de convictions politiques avec Birgitte, fait preuve d'un pragmatisme parfois très empressé. Autre recrue notable, Lars Mikkelsen est introduit en économiste réputé, doté d'un passé communiste encombrant qu'il va falloir gérer. Depuis le temps que je vous parle de cet acteur - croisé dans Forbrydelsen, Edderkoppen, Den Som Draeber... -, il faut que je fasse mon mea culpa : ce n'est que cet été - quand sa participation à la saison 3 de Sherlock a été annoncée - que j'ai découvert ses liens de parenté avec un autre acteur reconnu qui s'est rappelé aux sériephiles cette saison dans Hannibal, Mads Mikkelsen. Conclusion, promis je consulterai plus les pages "trivia" des fiches imdb à l'avenir !

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Bilan : Cette saison 3 démontre une nouvelle fois combien Borgen est une série engageante et stimulante, un portrait vivant du Danemark et de sa société. Dotée d'un propos très riche lui permettant d'aborder toutes les facettes du débat public et des moeurs politiques, elle a su passionner pour ces problématiques, en sachant notamment s'appuyer sur des protagonistes principaux à la caractérisation soignée. Le mélange entre vie publique et vie privée a permis d'impliquer émotionnellement un peu plus fortement un téléspectateur déjà séduit par l'écriture. Enfin, la série se conclut de la plus logique et légitime des façons : son dernier épisode referme ces trois saisons par le rappel de cette fièvre caractéristique des soirées électorales, en écho au début de la série où une de ces soirées avait justement propulsé Birgitte, dans d'autres circonstances, sur le fauteuil de Premier Ministre.

Enfin, terminons sur un autre type de bilan. Il y a 2 ans et demi, mon premier billet sur Borgen contenait un souhait : que la série ait l'occasion de faire ses preuves devant le public français. Cela a été le cas, puisqu'elle aura eu la chance de connaître une exposition optimale : une diffusion en prime-time, en VM, sur une chaîne gratuite, avec une campagne promotionnelle solide lors de son lancement, et une sortie DVD de ses trois saisons. Donc un grand merci à Arte !


NOTE : 8,75/10


Le générique de la troisième saison :

Des images de cette saison dans la bande-annonce "séries" d'Arte :

20/04/2012

(Dossier) Les séries & la politique : Part. 2, Les grandes thématiques parcourant les séries politiques les plus représentatives



[Suite de : Les séries & la politique - Part. 1, Actualités et références passées de la série politique]

Depuis la décennie fondatrice des années 80, déterminante pour la série politique, de nombreuses fictions sont venues décliner ce thème particulier, rendant accessibles au petit écran les grandes figures du pouvoir. Elles ont démontré combien ce genre se trouve à la jonction de différentes approches narratives, toutes potentiellement légitimes et intéressantes. Certaines se concentrent donc sur la conquête du pouvoir mettant en lumière les ambitions et les rapports de force existant (1). D'autres donnent l'impression de se glisser au-delà des zones officielles, pour nous faire découvrir l'envers et les coulisses (2). Il en existe aussi qui s'adressent directement au citoyen, sources d'inspiration et de réconciliation avec la politique (3). Enfin, pour conclure, il sera intéressant de se demander si, entre excès de cynisme et idéalisme revendiqué, une voie existe pour le réalisme ? (4)

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(House of Cards / President)

1. La conquête du pouvoir : un ressort traditionnel transcendant les époques

Les jeux de pouvoir n'ont pas attendus le petit écran pour fasciner le public. Ce n'est sans doute pas un hasard si la série qui représente le mieux, de manière intemporelle, cette quête vers les sommets revendique d'ailleurs une inspiration théâtrale. Il y a du Shakespeare (Richard III, MacBeth) dans House of Cards, une trilogie de trois mini-séries qui illustre l'arc narratif type des luttes autour du pouvoir : la conquête, le maintien et la déchéance. J'ai parlé de la réactivité du petit écran britannique, ici, on bascule dans l'anticipation : le premier épisode s'ouvre en effet sur l'annonce de la chute de Margaret Thatcher, la suite traitant du bal des prétendants pour lui succéder au poste de Premier Ministre. Or, il fut diffusé sur la BBC le 18 novembre 1990, soit quelques jours avant que l'évènement n'ait lieu dans la réalité. Le personnage central de House of Cards est Francis Urquhart, une figure politicienne ayant durablement marqué les esprits, notamment par sa célèbre réplique récurrente passée à la postérité : "You might very well think that ; I couldn't possibly comment". Le machiavélisme et le cynisme extrêmes dont fait preuve cet homme politique pour parvenir à ses fins, l'aplomb et le charisme avec lequel il rompt le quatrième mur pour interpeller le téléspectateur, sont d'une noirceur fascinante. Elle se rapproche en bien des points d'une série américaine ultérieure, dans laquelle le milieu de l'entreprise se substitue à celui de la politique, Profit.

Les ressorts de la tragédie, toujours, sont particulièrement perceptibles actuellement dans la fascinante Boss de Starz, mettant en scène le puissant maire de Chicago en proie à une maladie dégénérative inéluctable. Ils permettent aux fictions traitant de l'acquisition ou de la perte du pouvoir de proposer des récits solides et prenants, sans avoir à traiter du fond même de la politique. A l'instar des Hommes de l'Ombre, diffusée sur France 2 en février et qui évoque une campagne présidentielle française précipitée par l'attentat commis sur le président de la République, on y trouve une personnalisation des enjeux, à travers les ambitions - ou les qualités - de chacun, tout en ne négligeant pas de décrire la mécanique des rouages à l'oeuvre. Le potentiel dramatique de ces histoires où la dynamique centrale repose sur des sacrifices et d'épreuves est fréquemment utilisé. En Corée du Sud, récemment, plus que Korean Peninsula qui était une expérience de politique fiction alternative sur les rapports des deux Corées, l'exemple le plus intéressant est President. Cette série nous relate la campagne électorale présidentielle, partant des primaires au sein du parti, jusqu'à l'élection générale face aux opposants des autre formations. Non seulement, elle met en scène une partie d'échecs électorale sans concession, mais elle dispose en plus d'un élément particulier en arrière-plan : une démocratisation beaucoup plus récente du pays. Se perçoit ainsi une conscience particulière de la démocratie, marquée par l'empreinte des mouvements de libéralisation des années 70-80 qui ont forgé les certitudes du héros dans le sang de la perte d'un être cher.

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(Party Animals)

2. L'envers du décor : par-delà la zone officielle

Comme toute série se déroulant dans un milieu professionnel déterminé, une partie de l'attrait que peuvent exercer les fictions politiques tient à la possibilité d'aller au-delà des images communément montrées dans les médias. Il s'agit ici de découvrir les coulisses, les dynamiques qui y règnent, mais aussi de partir à la rencontre des personnes qui appartiennent à ce monde. Pour les évoquer, les séries ont pu prendre des directions très différentes. Dans The West Wing, le téléspectateur ne pouvait qu'être marqué par ce véritable esprit d'équipe au sein du staff, qui domine particulièrement dans les premières saisons. Avec une approche plutôt orientée dramédie légère, la sympathique Party Animals nous introduisait dans les couloirs de la Chambre des Communes, sans prétention autre que de s'intéresser aux relations (tumultueuses) unissant un groupe de jeunes professionnels rêvant de grandes carrières. A l'opposé, dans le registre de la comédie, une série américaine comme Spin City a pu mettre en scène le staff de la mairie de New York en usant d'un humour relativement consensuel, pas toujours très subtil mais jouant bien sur l'absurde des situations - ou des postures des personnages. Si elle appartient sur le papier au même genre, l'anglaise The Thick of it prend un parti beaucoup plus sombre : elle adopte une tonalité satirique, à la fois corrosive et irrévérencieuse, particulièrement jubilatoire. L'intérêt de tous ces portraits pas forcément des plus flatteurs est de permettre au téléspectateur d'accéder à un certain envers du décor désacralisé. 

Découvrir les coulisses de la politique, c'est aussi permettre l'exploration de thématiques de fond inhérentes au pouvoir. Parmi les sujets les plus emblématiques, les rapports avec le quatrième pouvoir constitué par la presse sont une préoccupation récurrente du petit écran, qui se fait ici l'écho des interrogations des démocraties modernes, où la communication est devenue centrale, ayant tendance à prendre le pas sur tout le reste. La danoise Borgen fait de cet enjeu un de ses thèmes centraux, justifié par les liens (compliqués) qui unissent deux de ses personnages principaux. Au fil de ses deux saisons, la série a ainsi l'occasion de traiter de toutes les facettes de cette problématique : les relations entre personnel politique et journalistes, mais aussi le parti pris éventuel de la presse sous ses différents formats (tabloïd, télévision). Cependant, au-delà de cette approche traditionelle, il est assez révélateur de constater que c'est par le biais du thriller que le petit écran a souvent évoqué le sujet. En France, si Reporters a toujours conservé une storyline liée aux arcanes du pouvoir, la construction de sa saison 2 aboutit à un récit très ambivalent d'une subtilité rare pour dépeindre les rapports des journalistes d'investigation avec le Premier Ministre, sur fond de terrorisme et d'espionnage industriel. Dans un autre registre, la mini-série anglaise State of Play, mettant en scène deux amis, l'un parlementaire et l'autre journaliste - son ancien directeur de campagne -, a parfaitement retranscrit les conflits d'intérêt potentiels et les arbitrages auxquels la presse se livre dans ses rapports avec les autorités.

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(Borgen)

3. L'idéalisme et l'inspiration : la série citoyenne ?

La série peut aussi se saisir du politique pour le rendre au citoyen. En effet, si la politique a souvent engendré des désillusions, elle n'en demeure pas moins le terreau de tous les espoirs. Ces débats autour de la chose publique renvoient à l'idée du bien commun, à celle du changement possible. Or le temps d'un épisode, la fiction peut redonner toute sa force à l'idéal démocratique et rendre au téléspectateur un espoir fou, réveillant une conscience citoyenne. The West Wing a souvent été louée, à juste titre, non seulement pour sa pédagogie - cette impression d'éteindre la télévision plus intelligent qu'on ne l'avait allumée -, mais aussi pour être parvenue à réconcilier l'individu désabusé à la gestion des affaires publiques. Au-delà de la figure si emblématique du président Jed Bartlet, le petit écran a prouvé à maintes reprises qu'il était capable de sublimer/magnifier la chose publique pour proposer des passages marquants. Cet instant de grâce où le citoyen se ranime dans le téléspectateur, lequel peine presque à contenir son enthousiasme devant son petit écran, représente à mes yeux l'essence véritable et la magie des séries politiques. Elles seules sont capables de nous faire ainsi vibrer. Pour cela, elles empruntent souvent l'accent caractéristique d'un certain idéalisme qui peut prendre des formes très différentes.

A travers nombre d'interventions de Jed Bartlet, The West Wing reste sans doute la seule à avoir été capable de mobiliser le plus régulièrement cet aspect particulier aux fictions de ce genre. Mais dans sa septième saison, avec le débat en direct ayant opposé les deux candidats à l'élection présidentielle, elle a aussi prouvé qu'elle savait décliner ce savoir-faire et cette tonalité dans l'exercice plus compliqué d'un véritable échange. Par ailleurs, on retrouve dans d'autres séries cet instant de grâce démocratique, aussi fugace que soudain. Le pilote de Borgen en contient un exemple parfait, lorsque Birgitte, n'ayant plus rien à perdre, se lance dans un discours-vérité improvisé, au plus grand désespoir de son spin-doctor. Ce même ressort narratif, celui de la sincérité d'une profession de foi, se retrouve également dans la série japonaise Change, où l'exercice est poussé à son paroxysme dans le dernier épisode. Le personnage de Kimura Takuya, devenu Premier Ministre du Japon, est alors confronté à un scandale sans précédent. Pour reprendre la main, il s'adresse à la Nation, annonçant sa décision de dissoudre la Chambre des Représentants. Pendant une durée de 22 minutes (!), en plan fixe, face à la caméra, il se lance dans un discours fleuve où il exprime ses vues et ses états d'âme. Il est le seul protagoniste à apparaître à l'écran durant cette longue scène, le téléspectateur se retrouvant ici assimilé aux citoyens fictifs du Japon. L'exercice ne manque pas d'audace, tant le dynamisme d'ensemble de la série se retrouve soudain comme suspendu, figé par la solennité du moment. Et le contenu même du discours a beau être d'une approche consensuelle et idéaliste trop poussée, il est difficile de rester insensible à cette mise en scène.

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(Change)

4. Entre cynisme et idéalisme, y-a-t-il une place pour le réalisme ?

Parmi les séries politiques réussies, on en trouve qui abordent cet univers sans concession, avec une noirceur revendiquée, d'autres qui optent pour une démarche plus optimiste... Mais au milieu de tout cela, où situer le degré de réalisme de ce que l'on regarde ? Certes, parler de réalisme dans une série, c'est évoquer quelque chose de très subjectif : cela correspond en effet à la conformité apparente de la série avec les idées préconçues que le téléspectateur peut avoir sur tel ou tel sujet. C'est la fameuse impression d'authenticité qui peut émaner d'une fiction. Au cours des dix dernières années, The West Wing (contre-utopie à l'Amérique de George W. Bush, puis reflet-anticipation de celle de Barak Obama à travers Matt Santos - pour lequel les scénaristes s'inspirèrent de celui qui n'était alors que sénateur de l'Illinois) et The Thick of it ont chacune brillamment proposé une certaine vision de la politique et de ce monde... Mais pour parler de réalisme, pour capturer aussi bien la force des idéaux et des attentes que les compromissions inhérentes à l'exercice du pouvoir et aux déceptions qu'il entraîne, c'est vers les fictions directement inspirées de faits réels qu'il faut sans doute se tourner. Je laisse ici volontairement de côté toutes les séries dites "historiques" (comme The Kennedys l'an dernier ou en 1983).

Dans ce registre particulier qui consiste à évoquer le réel à travers des oeuvres de fiction, c'est assez logiquement vers le pays ayant la tradition du récit politique la plus marquée que l'on revient : l'Angleterre et la réactivité de son petit écran aux évènements. J'ai déjà mentionné l'exemple de On Expenses, sur le scandale des notes de frais. De manière générale, si j'ai éclairé l'importance des années Thatcher sur l'évolution de la fiction politique anglaise, la décennie travailliste de Tony Blair a également eu un grand impact. Le trilogie de Peter Morgan (scénariste) et Stephen Frears (réalisateur), The Deal, The Queen, The Special Relationship, l'illustre parfaitement. The Deal par exemple, qui évoquait les rapports entre Tony Blair et Gordon Brown, fut diffusé par Channel 4 en 2003, la semaine précédant la conférence annuelle du Parti Travailliste. Cette particularité d'être capable de traiter de figures de pouvoir sans la moindre complaisance, alors même que celles-ci sont encore en place, se retrouve dans une autre mini-série de cette période, The Project, diffusée sur BBC1 (donc une chaîne publique) en 2002. Produit de la collaboration entre Leigh Jackson et Peter Kosminsky, cette fiction nous relate la décennie des années 90 à travers les yeux de jeunes militants travaillistes, c'est-à-dire les années d'opposition, puis la victoire et le temps des compromissions. Elle résume finalement bien toutes les facettes du récit politique, entre ambitions personnelles, engagement pour des idées, espérances et déceptions.


La politique est un sujet passionnant, particulièrement riche, qui offre bien des voies à explorer aux scénaristes. Il y aurait encore énormément à écrire sur le sujet. N'hésitez donc pas à réagir et à compléter cet article (assez) transversal, pour lequel il a forcément fallu faire des choix. Est-ce que les séries politiques ont pour vous un intérêt ? Quels exemples représentatifs sont à vos yeux les plus parlants/marquants ?

Quant au mot de la fin, je l'adresse à mes lecteurs français, pour ce dimanche, et laisse la place à CJ :

12/08/2011

(DAN) Borgen, saison 1 : une brillante et passionnante série politique incontournable

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"Democracy is the worst form of government except all those other forms that have been tried."
(Winston Churchill)

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2011 est une bonne année sériephile. Depuis sept mois, j'ai savouré un certain nombre de bonnes, voire très bonnes, séries. Et puis, ce printemps, j'ai découvert le Danemark, avec Forbrydelsen, Edderkoppen, etc... Il y avait aussi Borgen, qui aiguisait tant ma curiosité. En mai, j'avais adoré le pilote et n'avais qu'une envie : la suite ! La série sera diffusée sur Arte en 2012, mais il m'était impensable de patienter aussi longtemps. J'ai donc acheté le coffret DVD danois de la saison 1, qui contient une piste de sous-titres anglais. Je l'ai reçu la semaine dernière. Et je dois bien avouer que j'ai dévoré Borgen en un laps de temps... assez indécent, même pour la sériephile que je suis. Heureusement une saison 2 a été commandée par DR1.

Nous voilà donc arrivé au moment où je trempe ma plume dans l'encre le plus dithyrambique qui soit et où j'essaye de retranscrire en mots l'enthousiasme qu'a su engendrer cette série, le tout dans une critique d'une longueur raisonnable. Je crains n'avoir pas vraiment rempli l'exigence de brièveté, mais j'espère au moins que ce billet saura laisser entrevoir une partie du bonheur qu'a constitué le visionnage de Borgen. Car voyez-vous, ce n'est pas simplement une très bonne série ; c'est aussi une fiction qui contient tous les ingrédients et toutes les thématiques que je chéris. C'est une solide série politique (et vous savez combien je vénère ce genre quand il est bien fait), mais c'est aussi bien plus que cela : c'est une fiction qui vous fait vous investir émotionnellement dans des personnages auprès desquels on va subir les difficultés et savourer les réussites de la saison.

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Borgen nous plonge dans les coulisses de la vie politique danoise, nous invitant non seulement au sommet de l'Etat, mais aussi dans tous les rouages de cette démocratie, en suivant les principaux acteurs qui gravitent dans les cercles du pouvoir de la capitale du pays. La saison 1 s'étend sur une année : elle débute sur des élections législatives remportées par le parti centriste de Birgitte Nyborg. Après des tractations animées, la femme politique accède au poste de Premier Ministre, en prenant la tête d'une coalition rassemblant l'opposition contre la majorté sortante. (Pour un résumé complet du point de départ de la série, avec le récit des évènements du pilote, je vous invite à vous référer à ma critique de ce premier épisode.)

Au cours de cette année, Borgen va nous faire vivre toutes les épreuves politiques et personnelles qui vont jalonner la vie des trois protagonistes principaux qui seront nos points de repère dans ces arcanes du pouvoir. La figure centrale, autour de laquelle chacun gravite, reste Birgitte Nyborg. Elle va peu à peu prendre la mesure du rôle, mais aussi des sacrifices qu'implique son poste. A ses côtés, elle bénéficie du soutien d'un spin-doctor cultivant un cynisme toujours pragmatique, Kasper Juul, mais qui n'a pas son pareil pour vendre une histoire aux médias. Ses liens personnels avec Katrine Fonsmark, journaliste présentratice vedette de la première chaîne du pays, avec qui il a eu une histoire, ont ainsi leur utilité, même si leurs rapports vont souvent être mis à rude épreuve devant les conflits d'intérêts que leurs métiers respectifs peuvent engendrer.

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D'une richesse narrative impressionnante (qui vous laisse en fin de saison avec une seule envie : celle de revisionner immédiatement la série), Borgen s'approprie tout d'abord brillamment les codes de la série politique. Ambitieuse, elle entreprend de jouer sur tous les tableaux, de la politique politicienne jusqu'à la réflexion sur certains sujets de fond, dressant au passage un portrait très intéressant du Danemark. Bénéficiant du cadre multipartite de ce régime parlementaire, la série nous immerge dans des coulisses très mouvantes et souvent hostiles. L'épisode traitant de l'accession au poste de Premier Ministre de Birgitte est, dans cette optique, absolument fascinant, éclairant les dessous de rapports de force qui se fondent non seulement sur le poids des partis, mais aussi sur la personnalité des différents protagonistes. L'instinct politique, mais aussi la force des déterminations personnelles, n'ont jamais paru aussi importants que durant ces négociations.

Loin de toute idéalisation, Borgen passionne par sa capacité à prendre la mesure et à couvrir tous les ressorts d'une démocratie moderne. La série pointe notamment très bien les dérives que peut engendrer la réduction de la politique à la seule communication ; la manière de vendre le message semble régulièrement être aussi, si ce n'est plus importante, que le contenu dudit message. Ne pas se cantonner aux coulisses politiques et prendre le temps de s'intéresser à la presse est d'ailleurs une très bonne idée. La série met en lumière toutes les étapes de la fabrique de l'information, en nous faisant découvrir l'émission phare de la plus grande chaîne du pays. Balayant les diverses problématiques que le sujet peut soulever, vont être mis en scène les arbitrages rédactionnels, mais aussi la prise en compte des exigences d'audience face au devoir d'informer. De plus, le mélange des intérêts médiatiques et des sirènes du pouvoir politique n'est pas passé sous silence : qu'il s'agisse de connivences discutables avec le gouvernement, de l'effort pour éviter des clashs, ou bien encore de l'instrumentalisation d'une certaine presse à des fins politiques, comme c'est le cas pour L'Express, toutes les facettes sont évoquées.

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Au-delà de ce portrait vivant et animé de la scène politique et des dessous du pouvoir, Borgen retient aussi l'attention par les sujets qu'elle choisit d'aborder. Dans l'ensemble, la série théorise peu, préférant les tractations et la politique politicienne aux débats d'idées. Le parti centriste a remporté les élections sur un programme : on en est encore au stade où la victoire légitimise que l'on tente de mettre en oeuvre les mesures prévues. La question de la parité au sein des conseils d'administration des entreprises sera sans doute le sujet le plus discuté sur le fond, laissant entrevoir ici les rapports avec la sphère économique. Cependant, c'est sur le plan international que Borgen se démarque sans doute le plus. La série est simplement brillante lorsqu'elle nous plonge dans les jeux diplomatiques au sein desquels le Danemark tente de s'imposer à son niveau. Un des éclairages les plus passionnants concerne les rapports du pays avec le Groenland, territoire colonisé disposant d'une autonomie mais pas de souveraineté, dont la population Inuit apparaît sans futur.

Outre la (dé)colonisation, la série touche avec cet espace à une autre problématique, omniprésente depuis les attentats du 11 septembre, la question du terrorisme. Cette dernière est abordée du point de vue de l'atteinte aux libertés publiques des citoyens, mais aussi en traitant son impact dans les relations internationales. Le Groenland a longtemps été livré comme arrière-base, sans condition, aux Etats-Unis : jusqu'où le Danemark peut-il être un allié dans la guerre qu'a entrepris l'Amérique ? Avec beaucoup de réalisme et un certain cran, Borgen va d'ailleurs souligner combien la qualification de "terroriste" peut être aléatoire. Elle n'a pas non plus son pareil pour exposer les dilemmes que posent les principes, notamment les droits de l'homme, face aux enjeux économiques : quand la signature de contrats dépend de votre reconnaissance des supposées avancées démocratiques d'un régime opaque dont vous avez pleinement conscience des limites, la marge de manoeuvre est minime et l'arbitrage des plus complexes.

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Admirable série politique, la force de Borgen va cependant être aussi de ne pas seulement relater les coulisses du pouvoir. Elle personnalise son récit et parvient à impliquer émotionnellement le téléspectateur, grâce à ces trois personnages principaux. C'est par le prisme de ces derniers, à travers leurs certitudes, leurs doutes et leurs passés, que l'on va vivre tous les évènements de cette saison. A côté des ingrédients classiques d'une fiction politique, la série se réapproprie tous les codes d'un drama au sens large. Avec une vraie justesse dans la tonalité, elle nous parle d'amitié, d'amour perturbé, de vie familiale qui s'étiole... Disposant de personnages forts, auxquels on s'attache, Borgen traite pareillement vie publique et vie privée. Elle éclaire les interconnexions, parfois pesantes mais forcément inévitables, entre ces deux versants. Le sujet se révèle d'autant plus sensible en période de crise dans l'une des deux sphères.

Initialement, on aurait pu craindre que la série se disperse trop, en tentant de se positionner sur tous ces terrains, mais le téléspectateur est rapidement rassuré. En effet, Borgen ne perd pas en homogénéité, et la portée de la mise en scène du politique n'en souffre pas. En revanche, cette dimension humaine récompense la fidélité du téléspectateur qui peut ainsi en apprendre plus sur les motivations et ce qui se cache derrière l'apparence soigneusement gardée de ces personnages. C'est ainsi qu'au fil de la saison, je me suis surprise à apprécier de plus en plus la relation chaotique entre Kasper et Katrine. La complicité instinctive qui les unit à l'écran, avec toutes ses limites, sonne toujours très authentique. Ils se comprennent instinctivement réciproquement, liés par cette passion pour la dynamique du milieu politique ; mais ce qui les rapproche les éloigne presque aussi sûrement. Kasper n'aurait pas cette capacité à se détacher et à vendre comme personne des histoires qu'il invente spontanément sans ce qu'il a traversé, or c'est ce qui fait qu'il maintient justement ses distances. Leurs rapports sont explosifs, suivant un schéma assez invariable qui est vite compris du téléspectateur, mais qui fonctionne sacrément bien à l'écran ! 

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Le relationnel est également très important pour suivre l'évolution du personnage de Birgitte Nyborg. Sur le plan professionnel, la nouvelle Premier Ministre est vite confrontée à l'épreuve de la "realpolitik", perdant la liberté de ton du temps de l'opposition pour devoir désormais prendre des décisions parfois difficiles, arbitrant entre principes et intérêts divergents. Un des premiers conseils que lui avait donné celui qui faisait office de mentor à ses côtés, au sein du parti, avait été la nécessité de s'isoler : à partir du moment où elle accédait à ce poste, elle n'avait plus d'amis dans les rangs des politiques. Bouclant la boucle de la plus symbolique des manières, c'est de ce mentor qu'elle doit se séparer dans le dernier épisode, pour effectuer un mini-remaniement ministériel nécessaire pour sa survie politique personnelle.

Sur le plan privé, ce même glissement est également perceptible. Birgitte et Philip sont à l'origine un couple qui a su trouver le juste équilibre entre carrière professionnelle et investissement familial. Il existe notamment un arrangement entre eux, au terme duquel chacun poursuit pendant cinq années son métier, puis consacre cinq années à la famille pendant que l'autre peut à son tour s'épanouir professionnellement. La victoire de Birgitte va venir rompre ce rythme : quel mari peut demander à son épouse de décliner le poste de Premier Ministre ? Or ce poste va bouleverser encore plus profondément l'équilibre du couple.

Borgen vient ainsi confirmer toute la solitude du pouvoir. La saison 1, hautement symbolique à ce niveau, se referme sur une victoire politique parachevant l'évolution. Le secrétaire général félicite alors Birgitte pour l'année qu'elle vient de passer à ce poste, estimant qu'elle a désormais pris toute la mesure de ses responsabilités... Mais derrière les traits tirés de la Premier Ministre, entièrement vêtue de noir, une question amère s'impose au téléspectateur : à quel prix vient le pouvoir ?

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Réussie sur le fond, Borgen l'est aussi incontestablement sur la forme. C'est une série visuellement belle, tout en sachant rester sobre. La réalisation est parfaitement maîtrisée, mais c'est surtout la photographie très travaillée et soignée qui retient l'attention. Au final, on obtient des épisodes avec une image colorée et épurée qui rend vraiment bien à l'écran. L'impression d'une approche quasi-cinématographique est accentuée par le format dans lequel elle est filmée (16:9).

Enfin, Borgen bénéficie d'un casting aussi convaincant que solide. Sidse Babett Knudsen (Juletestamentet) se révèle progressivement, gagnant en présence à mesure que son personnage gagne en assurance, trouve ses marques et devient véritablement la Premier Ministre. En spin doctor avisé, aussi pragmatique que compétent, Johan Philip Asbaek (Blekingegade) lui donne très bien la réplique : si les deux n'ont pas toujours le même sens des priorités, ils sont très bons dans leurs domaines respectifs et trouvent une complémentarité naturelle. Quant à Birgitte Hjort Sorensen, si elle a mis un peu plus de temps à me convaincre, sans doute parce que son personnage n'est pas au mieux au début de la saison, elle réussit peu à peu à s'imposer. A leurs côtés, on retrouve également Mikael Birkkjaer (Forbrydelsen 2), Freja Riemann, Emil Poulsen, Anders Juul, Thomas Levin, Soren Malling, Lisbeth Wulff ou encore Kasper Lange.

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"Politics is war without bloodshed while war is politics with bloodshed."
(Mao Zedong)

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Bilan : Fiction politique stimulante et passionnante, Borgen est une série au contenu particulièrement riche. En seulement 10 épisodes, elle impressionne par sa faculté à traiter habilement de toutes les facettes envisageables d'une démocratie moderne occidentale. Captant l'attention du téléspectateur par la diversité de ses problématiques, la série dresse un portrait vivant et très intéressant du Danemark actuel. Si on dit souvent, à juste titre, que The West Wing a tendance à être une référence écrasante pour toute fiction politique, Borgen démontre cependant que l'on peut bel et bien se forger son identité propre dans ce genre particulier. Plus proche de nous dans les moeurs politiques qu'elle dépeint, elle s'impose aussi par une dimension humaine pleinement développée et sa façon d'entremêler vie publique et vie privée, ce qui humanise considérablement les personnages. 

En résumé : à ne pas rater.

Vote Nyborg !


NOTE : 9,25/10


Le générique de la série :

12/05/2011

(Pilote DAN) Borgen : une série politique stimulante et captivante dans les coulisses du pouvoir

 

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Samedi dernier, j'ai enfin pu m'installer devant le pilote d'une série que je rêvais de découvrir depuis la fin de l'année dernière : Borgen. Il faut dire qu'elle arrivait sur mon écran à la suite d'un joli buzz, depuis Scénaristes en séries consacrés aux fictions scandinaves à l'automne dernier jusqu'au Fipa d'Or qu'elle a remporté fin janvier. Et puis, si vous avez pu constater que la télévision danoise a pris ses quartiers sur ce blog au cours de ces dernières semaines, il faut en plus préciser que Borgen est une série politique. Or vous savez combien je suis particulièrement attachée à ce genre.

Sa saison 1, comportant 10 épisodes d'une heure environ chacun, a été diffusée sur la chaîne publique DR1 en 2010. Succès critique et public, puisqu'elle a rassemblé en moyenne 1,5 millions de téléspectateurs danois, une saison 2 a été commandée et devrait arriver dans le courant de l'année au Danemark. Si, pour les plus impatients, un coffret DVD comportant une piste de sous-titres anglais existe, le téléspectateur français aura cependant normalement l'occasion de la découvrir, puisque la série a été achetée par Arte (qui a la bonne idée de poursuivre l'expérience danoise après Forbrydelsen) pour une diffusion normalement annoncée courant 2012.

C'est peu dire que je plaçais de très hautes attentes dans Borgen. Dans ces cas-là, le risque de la déception s'accroît... Mais c'est pourtant aussi impressionnée que charmée que j'ai fini ce premier épisode.

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Le pilote de Borgen débute en pleine fièvre électorale, trois jours avant des élections législatives qui vont modifier les rapports de force au sein du paysage politique multipartite danois. Le personnage central de la fiction, Birgitte Nyborg, est la leader du parti centriste, lequel a conclu des accords avec l'opposition, menant campagne contre le Premier Ministre sortant. Mais le dirigeant de ce parti, avec qui les centristes sont théoriquement alliés le temps de cette élection, rompt soudainement et sans préavis la ligne de programme commune sur laquelle il s'était engagé à propos d'un thème très sensible, celui de l'immigration. Prise au dépourvu en y assistant en direct lors d'une interview télévisée, Birgitte Nyborg refuse de se compromettre dans les fluctuations populistes de son partenaire et décide instantanément de rompre l'alliance qui les unissait, redistribuant ainsi les cartes sur l'échiquier politique. 

La prise de position de la dirigeante centriste va en réalité ouvrir trois journées qui vont considérablement bouleverser la scène politique danoise. En effet, parallèlement, à Londres, le Premier Ministre, dans une tentative mal inspirée d'éviter un scandale désagréable causé par son épouse, commet l'erreur de payer ses achats personnels avec une carte bancaire réservé aux frais publics. Par une série d'intermédiaires, les factures compromettantes arrivent entre les mains du spin doctor de Birgitte Nyborg, Kasper Juul. Si la femme politique refuse catégoriquement de s'abaisser à des pratiques aussi tendancieuses, sur la base de seules factures, le chargé de communication est plus amoral et le leader du parti d'opposition qu'il ira trouver n'aura pas la réserve de sa patronne.

C'est le soir du débat télévisé final, au cours duquel chaque candidat est censé conclure sa campagne par un discours d'intention généralement parfaitement calibré, que tout bascule. Birgitte Nyborg, persuadée que sa carrière n'a plus d'avenir en raison de ses dernières décisions, délivre un magnifique discours débridé qui est un appel au sens citoyen de chacun. Juste après, le leader de l'opposition achève de plonger la campagne dans une ambiance délétère en lançant ses accusations financières contre le Premier Ministre sortant. Le public ne lui pardonnera pas cet excès de mise en scène. Le lendemain, à la surprise générale, le parti centriste est la formation qui remporte le plus de sièges aux élections. Logiquement, c'est alors vers Birgitte Nyborg que chacun se tourne pour constituer son gouvernement.

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La première réussite de Borgen est d'investir de manière très prenante et réaliste ce champ du politique sur lequel plus d'une fiction s'est échouée. Elle présente un tableau aussi stimulant que captivant des coulisses du pouvoir. D'autant que, pour nous introduire au sein de cette démocratie danoise, quoi de mieux que de la découvrir en pleine action ? Nous plonger dans les derniers jours enfiévrés d'une campagne électorale pour les législatives est une parfaite mise en bouche, les résultats venant conclure ce premier épisode. Cette approche permet de rapidement situer chacun des protagonistes, personnalisant ainsi les enjeux. Adoptant une narration rythmée qui fait pleinement ressortir la tension ambiante, la série sonne ici très juste dans sa reconstitution des dessous du pouvoir.

C'est avec une certaine fascination que l'on suit cet équilibre parfois hésitant où s'entremêlent convictions sincères sous-tendant l'engagement politique, ambitions personnelles affichées, le tout saupoudré d'un cynisme pragmatique. Borgen n'est pas manichéenne, encore moins idéaliste, mais son souci de réalisme se conjugue avec un autre souffle, caractéristique des grandes fictions politique du genre, celui qui réveille en nous une fibre particulière en parlant au téléspectateur citoyen. Le débat télévisé final constitue sur ce point le véritable déclic du pilote, révélant et imposant pleinement le personnage de Birgitte.

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Cette impression d'authenticité que renvoie Borgen est accentuée par la double perspective dont ce pilote bénéficie. En effet, non seulement la série nous immerge dans le cambouis des tractations politiques de dernières minutes, des alliances de circonstances et autres rapports de force internes à ce milieu, mais elle fait également le choix de donner une place importante à la place des médias. La politique est plus que jamais devenue un jeu de communication, où les spin doctor règnent et calibrent chaque idée, chaque apparition de leur candidat, aseptisant l'ensemble selon les attentes supposées du public.

N'occultant pas cet aspect qui fait désormais partie du jeu de pouvoirs, la série nous laisse entrevoir l'envers du décor médiatique en découvrant les coulisses d'une chaîne de télévision. En nous relatant ainsi les deux versants de cette "théâtralisation du politique", Borgen se révèle particulièrement intéressante. D'autant qu'elle esquisse une problématisation plus polémique, celle des rapports entre les protagonistes des deux camps : les journalistes et les politiques. C'est un sujet trop souvent plein de non-dits. A travers le drame que vit la jeune présentatrice au cours de ce pilote, l'épisode n'échappe pas à un certain excès de dramatisation peut-être dispensable. Mais le simple fait que cette question soit abordée frontalement promet beaucoup, si la suite est du même accabit.

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En plus de poser ce cadre politique, le pilote va prendre le temps de personnaliser son récit, en accordant un peu de temps à ces différents protagonistes qui vont tous, chacun à leur manière, volontairement ou non, jouer un rôle clé dans l'enchaînement d'évènements qui va porter Birgitte Nyborg au pouvoir. C'est peut-être dans cette dimension humaine que le parfum de réalisme de Borgen est le plus fort. En effet, dans ce milieu carriériste, souvent impitoyable, l'individualisme règne. Nous sommes loin de la solidarité familière, presque confortable, du staff présidentiel de The West Wing.

Dans cette série, chacun suit sa route et fait ses choix en conscience. Le fait que chaque personnage appartienne à une sphère différente renforce ce ressenti, chacun semble évoluer de manière indépendante. Accentuant cet aspect, il faut dire que le seul lien professionnel existant entre deux personnages est rompu à la fin, sans le moindre sentimentalisme déplacé ou l'ombre d'une hésitation, Birgitte refusant de transiger avec certains de ses principes. En cela, j'ai eu le sentiment que Borgen s'efforçait d'être plus en prise avec la réalité de ces milieux professionnels.

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Par contraste, la série se charge cependant d'introduire un autre versant, plus personnel, qui offre un pendant parfait. Certes, vie privée et vie professionnelle sont imbriquées. Le pilote regorge d'exemples le prouvant : tandis que la chute du Premier Ministre est précipitée par sa femme, la jeune journaliste vedette entretient des rapports intimes avec différents conseillers en communication. Les relations de cette dernière vont d'ailleurs avoir des conséquences sur l'élection puisque Kasper n'aurait jamais mis la main sur les factures créant le scandale financier. Si la césure n'existe donc pas toujours, la vie personnelle offre aussi un cocon protecteur, loin de cette arène, comme l'illustre parfaitement Birgitte Nyborg.

Je dois dire que la façon dont nous est présentée son couple est une des excellentes idées de ce pilote : complices et complémentaires, Birgitte et son mari suivent jusqu'à présent un arrangement qui les place sur un plan d'égalité : chacun mène, par cycle de cinq années, sa carrière professionnelle, tandis que l'autre se consacre à leurs enfants. Philip apparaît vraiment comme un partenaire, soutenant et conseillant sa femme. Leurs échanges souvent plein de complicité et de réparties taquines et tendres font partie des scènes les plus justes et réussies. C'est une vie de famille saine, épanouie, que mène en parallèle celle qui va devenir la Premier Ministre danoise, venant donc compléter parfaitement ce portrait de dirigeante politique authentique que nous dépeint l'épisode. 

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Aboutie sur le fond, Borgen impressionne également sur la forme. La série bénéficie en effet d'une superbe réalisation, à l'esthétique soignée quasi-cinématographique. D'une excellente facture, la photographie est épurée, tout en sachant faire ressortir à propos les couleurs afin d'offrir des images belles, nerveuses quand il le faut, mais toujours maîtrisées. L'ensemble s'avère donc très convaincant, pour proposer un produit fini qui s'apprécie visuellement. A noter également la présence d'un générique classique, mais élégant et stylé, tout en sobriété, où l'âme des fictions politiques transparaît pleinement (pour un aperçu, il s'agit de la première vidéo à la fin de l'article).

Enfin, Borgen bénéficie d'un casting qui se révèle impeccable. Pour interpréter Birgitte Nyborg, Sidse Babett Knudsen s'impose peu à peu dans ce rôle de femme de conviction, dont le naturel et le charisme deviennent progressivement une évidence au fil de l'épisode pour être consacré lors de la (fameuse) scène du débat final. A ses côtés, soutien indéfectible autant que partenaire complice, son mari est incarné par Mikael Birkkjaer. Johan Philip Asbaek joue ce spin doctor pragmatique, qui prendra la décision déterminante de confier les preuves du scandale financier à l'opposition. Birgitte Hjort Sorensen est cette jeune journaliste ambitieuse que ces quelques jours vont secouer aussi bien sur un plan personnel que professionnel. On retrouve également Freja Riemann, Emil Poulsen, Anders Juul, Thomas Levin, Soren Malling, Lisbeth Wulff ou encore Kasper Lange.

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Bilan : Fiction politique au sens noble du terme, Borgen propose un pilote stimulant, bien écrit (par instant frôlant même le brillant), superbement réalisé et magnifiquement interprété. Tandis que Brigitte conquiert peu à peu le téléspectateur, l'épisode nous plonge avec réalisme dans un monde politique individualiste, mettant particulièrement en lumière les relations des politiques et des médias, déterminantes dans cet ère où l'art de la communication prime et en vient à effacer les idées. Si l'évocation de The West Wing, référence du genre, vient naturellement à l'esprit, Borgen ne renie pas son inspiration mais sait imposer sa propre identité. Ici, son atout est peut-être aussi d'être une fiction européenne : elle trouve naturellement un écho sans doute plus proche de nous et de notre démocratie.

En conclusion, retenez bien le nom de cette série. Dès que l'occasion se présentera, n'hésitez pas un seul instant : si j'en juge par ce pilote, Borgen est une série très intéressante qui mérite assurément le détour !


NOTE : 8,75/10


EDIT : A lire désormais, mon bilan complet de la première saison de Borgen
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Le générique :

(via Ladytelephagy)


Quelques images et une présentation de la série (suivies d'interviews) :