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03/11/2012

(ISL) Hamarinn (The Cliff / La Falaise) : enquête criminelle sur fond de folklore légendaire local

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My Télé is rich! a pour habitude de partir s'évader sous les latitudes nordiques islandaises dès que le thermomètre atteint des hauteurs déraisonnables. C'est ce que j'appelle une contre-programmation tempérée ; elle est en plus le prétexte parfait pour cultiver l'affection toute particulière que je nourris pour l'Islande. Pourtant, le week-end dernier, c'est alors qu'une épaisse couche de neige ensevelissait ma ville que je me suis plongée dans Hamarinn, une mini-série datant de 2009, écrite par Sveinbjörn I. Baldvinsson (connue sous le titre The Cliff en version internationale, La Falaise en version française).

Si j'ai ainsi bravé - ou presque - les éléments, c'est que cette fiction est diffusée en France sur Eurochannel à partir de ce soir (à minuit) et qu'elle est d'ores et déjà disponible sur le service VOD de la chaîne qui propose par cet intermédiaire un certain nombre des séries qu'elle a eu l'occasion de diffuser (une opportunité, pour les amateurs de séries européennes, d'effectuer éventuellement quelques rattrapages). En ce qui concerne Hamarinn, cette mini-série comptant 4 épisodes m'a permis de poursuivre, avec encore une fois une fiction très intéressante, mon incursion dans le polar islandais, mêlant folklore légendaire local et enquête criminelle solide. Ce n'est pas encore aujourd'hui que mon affection pour l'Islande va se démentir.

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Le calme d'un village retiré dans la campagne islandaise est perturbé lorsqu'un accident se produit de nuit sur un chantier, dans d'étranges circonstances. En effet, alors que des terrassements doivent avoir lieu pour moderniser les infrastructures énergétiques, un des ouvriers chute avec son engin du haut de la falaise qui doit être rasée. Il est transporté à l'hôpital dans le coma. Non seulement il s'agit de déterminer si c'est un simple accident, une tentative de suicide ou un véritable meurtre, mais la police s'intéresse d'autant plus à ce drame que des explosifs devant servir aux travaux ont aussi disparu.

L'affaire est particulièrement sensible car la réalisation du projet d'aménagement est très controversée, et la falaise en cause cristallise toutes les tensions locales. Des militants écologistes pointent ainsi la destruction des sites naturels jusqu'alors préservés qu'elle entraînera. Des entrepreneurs locaux s'affrontent pour récupérer le contrat afin de poursuivre les travaux. Et les plus anciens rappellent eux que cette falaise n'est pas de la simple roche, mais que sur son sol sacré se croisent des créatures surnaturelles qu'il ne faut pas déranger... 

L'enquête qui s'annonce bien complexe est confiée à une jeune policière, Inga, qui a encore tout à prouver aux yeux de son supérieur. Méfiant, ce dernier lui adjoint l'assistance d'un policier de Reykjavik, Helgi, qui a grandi sur les lieux du crime et connaît bien la petite communauté au sein de laquelle il va falloir démêler les fils des secrets et des motivations de chacun.

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Hamarinn s'inscrit dans la droite ligne des polars nordiques, exploitant pleinement cette approche grâce à une construction narrative, classique mais solide, qui permet quatre riches épisodes. Elle délivre une intrigue policière efficacement menée, usant de ficelles rôdées et multipliant à dessein les fausses pistes, pour retomber finalement sur une résolution cohérente venant conclure un enquête difficile. Element important du récit, la dimension humaine n'est jamais négligée. La mini-série se repose en partie sur la dynamique efficace qui s'installe au sein de son duo principal d'enquêteurs : aux concurrence et méfiance initiales succèdent un rapprochement progressif, une confiance, puis un vrai soutien. Le schéma est certes familier, mais il fonctionne d'autant mieux que le scénario prend soin de leur donner une consistance, dévoilant un passé, des incertitudes et des blessures qui peinent à se refermer. Ces personnages apparaissent ainsi faillibles, usant même parfois de moyens discutables pour parvenir à leurs fins. Les figures secondaires sont également bien traitées : le poids des histoires de familles, des traditions opposées à la modernité, des secrets à peine avoués et des amours déçus pèsent sur le drame qui se joue sous nos yeux. L'enjeu du récit est autant d'identifier un éventuel coupable que de mesurer l'impact des évènements sur la communauté touchée, mais aussi sur les enquêteurs chez qui elle ravive d'autres questionnements intimes.

Cependant la réelle valeur ajoutée de Hamarinn du polar tient surtout à l'ambiance très particulière qui s'y développe, entreprenant d'explorer des légendes du folklore islandais. La localisation loin de la ville est déterminante : elle permet d'introduire légitimement, et en leur donnant de l'importance, toutes les croyances héritées des ouïes-dires et traditions se transmettant au sein des petites communautés rurales. L'histoire glisse ainsi peu à peu vers une dimension surnaturelle, toujours utilisée avec parcimonie. Si on assiste à des phénomènes paranormaux, ceux-ci sont complètement intégrés au récit, comme normalisés. Qu'il s'agisse d'apparitions visuelles, tel l'homme au long manteau, ou encore de coïncidences troublantes, tel ce jeune garçon semblant capable de voir bien des choses, la mini-série préfère rester dans le suggestif. Elle ne tente jamais de les expliquer, laissant à chacun le soin de tirer ses propres conclusions. Comme si, dans ce soin reculé d'Islande, tout pouvait être envisageable. Il y plane ainsi l'ombre vénérable, à l'occasion menaçante, de cette falaise. Une inquiétude sourde flotte dans l'atmosphère, les questions informulées se bousculant : cette falaise est-elle vraiment maudite ? Tous les incidents qui l'entourent ont-ils une cause qui dépasse l'entendement des policiers ? Mais si Hamarinn nous plonge dans des superstitutions et des manifestations intriguantes, elle n'oublie jamais qu'elle reste un polar. Cette immersion dans un folklore typique apporte un cachet et une identité à une enquête qui aurait sans doute été sinon un peu trop classique, mais le téléspectateur n'en a pas moins ce pour quoi il est venu : une histoire policière résolue rationnellement à la fin. Le contrat est donc parfaitement rempli.

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Sur la forme, Hamarinn bénéficie d'une réalisation solide qui a été confiée à Reynir Lyngda. Les effets de la caméra contribuent à créer l'ambiance très particulière de la mini-série : tant en nous introduisant dans un polar classique égaré en pleine capagne - mettant donc en avant le paysage islandais -, elle sait aussi jouer sur une hypothèse surnaturelle plus angoissante, sans jamais trop en faire (quelques apparitions de silhouettes suffisent à diffuser une sourde angoisse en écho aux légendes locales). L'autre élément formel qui joue également un rôle fondamental est sa riche bande originale. La récompense remportée par cette dernière aux Edda Awards en 2010 est pleinement justifiée : l'accompagnant dans ses brusques montées d'inquiétude, comme dans la routine de l'enquête, la musique rythme le récit et lui confère une tonalité à part.

Enfin Hamarinn dispose d'un casting homogène dont les intéractions fonctionnent à l'écran. Les développements suivis par les rapports de la paire d'enquêteurs peuvent sembler très convenus, mais la série peut s'appuyer sur deux acteurs sympathiques, ayant une bonne alchimie entre eux, Björn Hlynur Haraldsson et Dóra Jóhannsdóttir. Avec ses pulls nordiques, son caractère affirmé et sa manière de s'inscrire en porte à faux vis-à-vis de ses collègues, il est facile de rapprocher le rôle de cette dernière des héroïnes de polars nordiques qui sont devenues pour nous des figures familières emblématiques, de Sarah Lund à Saga Noren. Le casting plus secondaire n'est pas en reste, chacun étant bien rentré dans le rôle qui lui est dévolu.

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Bilan : Proposant une enquête efficace couvrant ses quatre épisodes, Hamarinn est un polar nordique aux ressorts narratifs très classiques, aussi bien dans sa gestion toujours très humaine de personnages qu'elle prend le temps de développer, que dans la construction de son intrigue. Cependant, en plus d'être une fiction policière correcte, cette mini-série a pour elle une vraie identité islandaise, marquée par une ambiance à part qui nous plonge dans le folklore légendaire local et toutes les croyances qui l'accompagnent. Flirtant avec le surnaturel de manière étrangement normalisée, elle nous entraîne dans un coin perdu d'Islande pour nous proposer un mélange des genres intriguant qui se révèle être bien plus qu'un simple récit policier.

Rendez-vous donc sur Eurochannel pour les curieux ; voire, sinon, comme souvent en Islande, le coffret DVD contient une piste de sous-titres anglais.


NOTE : 7,25/10


La bande-annonce de la mini-série :

01/10/2012

(NL) Overspel, saison 1 : une infidélité, des trahisons et déchirements intimes et judiciaires

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Nouvelle étape de mon tour d'Europe en séries, avec une escale aujourd'hui dans un nouveau pays jamais encore traité sur ce blog : les Pays-Bas ! Ces dernières années, la télévision néerlandaise a en effet vu plusieurs de ses fictions retenir l'attention internationale. Penoza, datant de 2010, connaîtra début 2013 un remake américain prévu pour être diffusé sur ABC à la mi-saison sous le titre de Red Widow. Quant à la série dont je vais vous parler aujourd'hui, un projet de remake est aussi actuellement à l'étude aux Etats-Unis (mais je ne suis pas certaine qu'il existe un seul concept étranger intéressant dont le remake n'est pas envisagé en ce moment outre-Atlantique...).

Mais pour partir, nous, à la découverte des originaux, il faut franchir la barrière linguistique néerlandaise. Pour l'instant, une seule solution : prier pour que les coffrets DVD locaux contiennent une piste de sous-titres anglais. Ce n'est malheureusement pas le cas pour Penoza... Mais le téléspectateur est plus chanceux avec Overspel. Scénarisée par Frank Ketelaar et Robert Kievit, cette série - dont le titre signifie "Adultère" - a été diffusée à l'automne 2011 sur VARA. Inutile de faire durer le suspense la concernant : je l'ai beaucoup aimée. Après un temps d'exposition nécessaire, elle nous plonge dans un récit aussi prenant que très fort émotionnellement.

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Overspel débute par le coup de foudre inattendu entre deux adultes mariés, ayant chacun travail, famille et enfants. Leur adultère va venir bouleverser et remettre en cause bien des choses dans leur quotidien ordonné. Iris mène alors une vie tranquille de mère - elle a un fils de six ans - et de photographe en devenir dont la carrière décolle peu à peu. Elle est mariée à Pepijn, un représentant du ministère public en quête de la grande affaire qui pourra lui ouvrir les portes d'une promotion. Au cours d'une soirée où elle expose ses photos, Iris fait par hasard la connaissance de Willem, un avocat avec qui le courant passe instantanément.

Très vite, ils se recontactent, entamant une aventure extraconjugale en secret, nourrissant des sentiments l'un pour l'autre qui se renforcent au fil des jours. Cependant ils ignorent que, parallèlement, Pepijn réussit à mettre la main sur l'affaire qu'il attendait tant : essayer faire tomber Huub Couwenberg, un patriarche magnat de l'immobilier à la réputation trouble. Or Willem est non seulement l'avocat de la famille Couwenberg, mais il est également marié à la fille de Huub. Les choses prennent un tournant dangereux lorsque le beau-frère de Willem, qui souffre de séquelles neurologiques suite à un accident de voiture, est suspecté dans une mort touchant de près les Couwenberg.

A partir de ces évènements judiciaires sur lesquels vient s'ajouter en toile de fond l'adultère d'Iris et de Willem, c'est dans un jeu dangereux de trahisons et de déchirement intimes que vont glisser tous les protagonistes de la série.

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Dans sa construction, Overspel fait preuve d'une maîtrise très appréciable. C'est en effet une série qui sait tout d'abord prendre son temps : elle démarre par des épisodes qui cherchent à bien poser son univers et les enjeux, familiaux mais aussi professionnels, qui animent chaque protagoniste. Le scénario est dense, développant des histoires construites indépendamment en parallèle, destinées à se rejoindre d'une façon ou d'une autre à terme. Puis, très vite, le rythme de narration s'accélère. Une fois entrée dans le vif de son sujet, la série démontre au téléspectateur que son investissement était mérité. Elle va savoir exploiter pleinement tous les thèmes et toutes les facettes de son concept de départ. Gagnant constamment en tension et en intensité, l'histoire emprunte alors les codes narratifs du thriller, jouant sur un suspense bien réel et sur un sens du cliffhanger à saluer. Elle se fait de plus en plus prenante, conduisant sans temps mort jusqu'au solde final des comptes dans un dernier épisode qui fait office d'apogée des confrontations.

Le thème central du scénario est celui de la loyauté, ou, plus précisément, de son absence dans certaines circonstances. L'adultère n'est qu'une illustration et un évènement parmi d'autres dans un engrenage plus vaste. Cependant, il a pour conséquence de briser la frontière entre les sphères professionnelles et personnelles de chacun. L'originalité de Overspel est ainsi d'aborder, sur un registre beaucoup plus intime et donc émotionnel, un affrontement judiciaire classique qui oppose un patriarche aux affaires suspectes, tentant de protéger les siens, et les autorités souhaitant le faire définitivement tomber. A mesure que l'histoire progresse, elle se fait le récit d'implosions familiales et de déchirements. Les trahisons sentimentales mènent à d'autres trahisons dans la sphère professionnelle, tandis que la situation échappe au contrôle des différents protagonistes. Les mesures devenant plus désespérées et les arbitrages plus tranchés, bientôt, rien ne garantit plus qu'un drame ne viendra pas entacher cette escalade.

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Par ailleurs, la force de Overspel réside également dans ses personnages. L'écriture s'attache en effet à humaniser chaque individu, capturant ses failles, soignant la crédibilité et l'authenticité de ses réactions. Ce ne sont pas des figures unidimensionnelles ou caricaturales auxquelles on a à faire. Au contraire, chacun apparaît nuancé, avec ses ambivalences, ses principes, mais aussi ses cordes sensibles qui le rendent capable de décisions qu'il n'aurait jamais osées normalement. La série met l'accent sur les conflits internes, de plus en plus importants, qui marquent des protagonistes tiraillés entre plusieurs loyautés : les liens du sang, les sentiments, mais aussi le devoir. Les dilemmes qui les traversent créent peu à peu une solide empathie à leur profit que la série va habilement exploiter.

C'est tout particulièrement par l'intermédiaire du couple central, infidèle, et des épreuves qu'il affronte que Overspel orchestre une partition émotionnelle à l'intensité croissante. En effet la série ne fait pas durer longtemps le secret de leur histoire. Très vite, elle les place face à leurs responsabilités, les obligeant à assumer les conséquences de leurs actes auprès de leur entourage, et surtout, à choisir. Il est impossible de rester insensible devant le basculement auquel on assiste dans la vie de ces deux adultes dépassés par leurs sentiments, qui se laissent ennivrer par un amour naissant, au risque de mettre en danger tout ce qu'ils ont construit jusqu'à présent. Dans sa seconde partie, la série devient particulièrement éprouvante, relatant avec une dimension sentimentale à fleur de peau, des épreuves de plus en plus difficiles à surmonter, où aucun retour en arrière ne sera possible, et d'où personne ne sortira complètement indemne.

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Sur la forme, Overspel est une série maîtrisée. Sa réalisation est solide, avec une photographie qui sied bien à une histoire où les passions troublent les évènements et occasionnent tant de déchirements. Dans le travail d'ambiance effectué, la musique joue aussi un rôle important. Tout d'abord, il y a l'utilisation opportune d'un thème musical nerveux, écho à cette impression d'un engrenage qui se referme sur chacun. De plus, la série prend l'habitude de conclure ses épisodes sur un morceau musical - souvent un vinyle qui se lance, extrait de la collection de Huub - qui permet de passer en revue, les balayant en quelques images, les situations complexes dans lesquelles se trouve chaque protagoniste. C'est une orchestration du cliffhanger qui fonctionne, accompagnée de musiques souvent bien choisies.

Enfin Overspel bénéficie d'un casting qui se montre dans l'ensemble convaincant. Sylvia Hoeks (Vuurzee, Bloedverwanten) est la clé d'entrée du téléspectateur dans l'univers de la série : elle sait susciter de l'empathie, et laisse parfaitement transparaître les conflits qui parcourent son personnage tout au long de l'histoire. Face à elle, Fedja van Huêt (Penoza) interprète une figure d'un abord beaucoup plus ambivalent. A mesure que les choses lui échappent, il va cependant pareillement être en mesure d'impliquer le téléspectateur dans ses dilemmes émotionnels. Ramsey Nasr a lui un rôle plus difficile, celui de l'homme trompé, blessé, qui ne va pas rester sans réagir : son glissement face à la trahison retranscrit bien la perte de repères et de certitudes qu'il connaît. Kees Prins (Jiskefet) est très convaincant en patriarche devant gérer un mélange affaires-famille des plus explosifs, protecteur de son fils, incarné par Guido Pollemans (Wolfseinde). On retrouve également Rifka Lodeizen (Evelien), Trudy de Jong, Bert Luppes, Hidde Maas, Jeffrey Hamilton, Sigrid ten Napel, Nanette Drazic, Kenneth Herdigein ou encore Redmar Siegertsz.

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Bilan : Prenante série dont la construction se rapproche du thriller, Overspel entremêle les genres, le registre sentimental et le judiciaire, de façon convaincante. Loin d'être une simple histoire d'adultère, elle exploite habilement son angle d'approche particulier : l'infidélité vient s'ajouter et menacer d'enrayer à sa manière l'engrenage judiciaire plus classique dans lesquels les autres protagonistes sont pris. Lier la femme du procureur et l'avocat de la défense était un choix intéressant qui nécessitait de soigner la crédibilité de la relation ; mais la série négocie très bien cette dificculté. Conséquence immédiate, une charge émotionnelle importante accompagne un récit qui marque par son intensité.

Overspel aura donc été pour moi une première incursion néerlandaise réussie. Il est certain que le concept peut offrir matière à un remake parfaitement transposable aux Etats-Unis. Cependant, comme rien n'est sûr pour le moment, si jamais cette review vous a intrigué, pourquoi ne pas directement investir dans le coffret DVD néerlandais ? Je l'ai acheté sur ce site.


NOTE : 8/10


Le générique de la série :


La bande-annonce de la série :

09/09/2012

(ALL) Im Angesicht des Verbrechens (Face au crime) : immersion criminelle dans la communauté russophone berlinoise


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Parmi mes défis sériephiles de l'année, il y a celui de poursuivre l'exploration du petit écran européen, notamment des pays dans lesquels My Télé is rich! ne s'est encore jamais arrêté. Certes, la destination du jour n'a rien d'une inconnue : les séries allemandes, ou du moins un certain type, ne manquent pas dans les programmes des chaînes françaises. En revanche, en trouver une 1) récente, 2) dont l'histoire soit susceptible de m'intéresser et 3) qui soit disponible avec des sous-titres relève d'un challenge un brin plus compliqué. C'est pour ça que lorsqu'on m'a parlé de Im Angesicht des Verbrechens, je me suis dit que je me devais de lui donner sa chance.

Datant de 2010 et comportant dix épisodes de 45 minutes environ, cette série a déjà été diffusée en France sur Arte, sous le titre Face au crime. Elle est sortie en DVD, outre-Rhin, avec deux pistes audio (originale et version française), mais paradoxalement aucun sous-titres français. Heureusement, l'édition comporte des sous-titres anglais (ainsi que portugais, espagnol, russe... de quoi rendre incompréhensible l'absence de sous-titres français). En tout cas, pour avoir testé quelques minutes la VF, je la déconseille. D'autant plus que Im Angesicht des Verbrechens est une série allemande qui nous immerge dans une communauté russophone. Je ne prétends pas que mon oreille soit assez exercée à ses langues pour toujours les distinguer (surtout quand l'allemand est parlé avec un fort accent russe), mais cette dimension linguistique est une partie trop intégrante du récit pour se tourner vers une VF.

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Nous entraînant des bars russes de Berlin jusqu'aux campagnes d'Ukraine, Im Angesicht des Verbrechens navigue entre les trafics et autres règlements de compte au sein de la communauté russophone de la capitale allemande. On y suit plusieurs protagonistes, au premier rang desquels figurent Marek et Stella, deux frère et soeur d'origine juive lettone, soudés par un deuil qu'ils n'ont jamais surmonté : le meurtre, il y a 10 ans, de leur frère aîné, Grisha, abattu à bout portant dans une rue proche de chez eux. Stella a d'abord noyé son chagrin dans la drogue, avant d'épouser un homme d'affaires russe dont le restaurant dissimule mal les véritables activités illégales. Marek a lui préféré rompre avec ce milieu et choisi d'entrer dans la police, au risque de faire figure de traître.

Mais la tranquillité du système d'économie parallèle que cette organisation criminelle russe fait fructifier est troublée par les ambitions d'un de ses chefs : ce dernier attaque un des convois de contrebande de cigarettes du mari de Stella. La menace d'une possible guerre, qui aurait pour tous un coût trop élevé, se fait pressante. Tandis que chacun avance ses pions, la police berlinoise se rapproche dangereusement, instrumentalisée dans cette lutte de territoires. Au milieu des tensions, Marek poursuit inlassablement une quête plus personnelle : l'investigation sur le meurtre de son frère, au risque de toucher à une vérité qui pourrait être fatale.

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Si Im Angesicht des Verbrechens exerce tant d'attrait sur le téléspectateur, cela est dû en premier lieu à sa dimension multiculturelle. La série nous plonge au sein d'une communauté immigrée, représentante de populations diverses issues de l'ancienne URSS (Lettonie pour Marek et Stella, Russie pour le mari de cette dernière...), unies par leur langue, par une philosophie de vie aussi, et fermées à l'extérieur par sa défiance vis-à-vis de toute autorité. La substitution de ses propres codes à la loi étatique apparaît ainsi légitime, expliquant pourquoi le crime prospère en son sein. Sans forcément toujours les traiter en profondeur, la série entreprend d'explorer les différentes facettes de cette confrontation des cultures, mais aussi de la volonté d'intégration dans la société allemande de certains.

Le personnage de Marek est ici le plus emblématique. Devenu policier en réaction à la violence meurtrière existante dans le milieu dont il est issu, il n'en conserve pas moins cet héritage slave chevillé au corps. Mais il est désormais traité comme un paria : un "mussar", jusque dans les réunions familiales. Ses conceptions et ses choix de vie sont d'autant plus significatifs qu'ils sont mis en parallèle avec ceux faits par l'être qui lui est le plus cher, sa soeur. Cette dernière suit une démarche opposée. Par son mariage, elle accepte de progressivement embrasser cette communauté, tentant d'en tirer les bénéfices qui pourraient compenser le prix qu'elle a payé avec la mort de Grisha. Ces deux jeunes gens constituent à la fois le fil rouge du récit, et la porte d'entrée du téléspectateur dans ce milieu.

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Dans ses développements, Im Angesicht des Verbrechens est portée par une vitalité communicative. Les histoires suivent une progression rythmée, le scénario ne tergiversant jamais. Au point de ne pas hésiter à emprunter un certain nombre de raccourcis pour faire avancer les intrigues. La narration pèche alors par manque de direction : à trop vouloir multiplier les protagonistes, afin d'esquisser un tableau complet de ceux qui gravitent dans ce milieu du banditisme, le récit s'y perd parfois. Plusieurs défauts, notamment un côté trop brouillon et dispersé, deviennent très perceptibles dans la seconde partie de la saison. Si on croise de bonnes idées et des approches ayant du potentiel, l'exécution n'est pas toujours convaincante. Il est cependant intéressant d'observer combien l'écriture fait preuve d'initiatives et exploite une riche symbolique dans sa mise en scène.

En dépit de ces limites, l'intérêt pour la série ne se dément pas tout au long de son unique saison. Im Angesicht des Verbrechens est une de ces fictions qui se regarde d'une traite, car elle sait impliquer le téléspectateur dans la destinée de ses personnages qui, avec leurs certitudes et leurs failles, sonnent très humains. Sans éviter quelques caricatures dans les rôles plus secondaires, la série rassemble des protagonistes principaux attachants, mis en scène avec une part d'ambiguïté. S'il a ses excès (ne manquant ni de violence, ni de scènes de sexe), le scénario parvient dans le même temps à créer et à nous faire percevoir un véritable tourbillon d'émotions, d'envie de vivre, d'aspirations personnelles conflictuelles, au sein duquel il est aisé de se laisser entraîner.

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L'énergie qui traverse Im Angesicht des Verbrechens se retrouve également sur la forme. La réalisation expérimente beaucoup : versant parfois dans un surprenant surréalisme presque fantastique comme lors de la rencontre sous l'eau qui fait office de prologue, elle use aussi de constructions où les flashback sont une composante à part entière du récit. Cela lui permet de nous faire revivre de manière entêtante certains moments - comme le meurtre de Grisha, fil rouge sanglant, dont la résolution obsède Marek. L'immersion dans l'atmosphère de la communauté russophone dépeinte passe aussi par la bande-son qui contribue grandement à cette marque identitaire : une musique traditionnelle, entraînante mais semblant aussi chargée de drames, rythme la narration.

Enfin, au sein du casting, plusieurs acteurs sortent du lot. La jeunesse teintée d'une froideur un peu distante de Max Riemelt correspond parfaitement à la figure de Marek, symbole de toutes les ambivalences de ces croisements culturels, cherchant à la fois une sortie de ce milieu et une vengeance qui l'y replongerait immédiatement. Marie Bäumer interprète avec tout autant d'aplomb sa soeur qui a fait, en conscience, d'autres choix de vie ; l'affirmation progressive de son personnage tout au long de la série lui permet de suivre une transformation très appréciable. Alina Levshin prête des traits d'une innocence rare à cette jeune ukrainienne se retrouvant soudain projetée dans le milieu de la prostitution, qui va tenter de survivre à Berlin. Dans l'ensemble, Im Angesicht des Verbrechens reste une série chorale : l'ensemble du casting tient globalement la route. On y croise notamment Ronald Zehrfeld, Mišel Matičević, Katja Nesytowa, Uwe Preuss, Ulrike C. Tscharre, Mark Ivanir, Marko Mandić, Karolina Lodyga, Arved Birnbaum, Ryszard Ronczewski ou encore Carmen Birk.

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Bilan : Bénéficiant une écriture pas toujours subtile mais à la vitalité communicative, portée par des personnages principaux attachants, Im Angesicht des Verbrechens met en scène une communauté où l'économie et les codes parallèles ont fondé une criminalité prospère. Immersion dépaysante dans différents pans des cultures slaves, son récit rythmé sait retenir l'attention du téléspectateur, même si un manque de maîtrise dans la narration, quelques excès et des raccourcis un peu trop faciles amoindrissent la portée dramatique de l'histoire et laissent l'impression d'un potentiel non complètement exploité.

En résumé, cette série a ses limites, et je ne la qualifierais pas d'incontournable, mais j'ai passé un bon moment devant mon petit écran (vous savez combien je suis sensible aux approches multicurelles !). Une découverte qui me donne envie de poursuivre mes explorations allemandes. Si jamais vous avez des séries à me conseiller, c'est le moment.


NOTE : 6,75/10


Une bande-annonce de la série :

23/08/2012

(ITA) Il Capo dei Capi (Corleone) : l'histoire d'un demi-siècle de Cosa Nostra

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La fin de l'été approchant, il est temps de rédiger quelques bilans des découvertes et nouveautés estivales. C'est de ma DVDthèque qu'est venue une des fictions qui m'a le plus marquée : Il Capo dei Capi. Pour tout vous dire, c'est une mini-série dont j'avais vu le premier épisode l'an dernier. A l'époque, je lui avais trouvé des accents de biopic qui démarrait sur des bases un peu trop scolaires. Je l'avais mise de côté en attendant un regain d'intérêt de ma part. Puis cet été, parmi mes lectures, je me suis notamment plongée dans Cosa Nostra : La mafia sicilienne de 1860 à nos jours de John Dickie. Assez naturellement, j'ai ressorti mes DVD, et cette fois-ci pris le temps de programmer six soirées à consacrer à cette production. Quelle bonne idée ai-je eu là ! Elle est peut-être plus traditionnelle sur certains aspects que Romanzo Criminale, mais elle s'est révélée être bien plus qu'un simple biopic.

Il Capo dei Capi est une mini-série italienne, diffusée sur Canale 5, d'octobre à novembre 2007. Elle compte six épisodes relativement longs, d'une durée de 1h30 à 1h45 chacun. Elle est sortie en France en DVD, avec version originale sous-titrée disponible, sous le titre de Corleone. Relatant un demi-siècle de l'histoire de la Cosa Nostra, elle avait fait quelques remous en Italie lors de sa diffusion. En janvier 2008, Canale 5 avait ensuite diffusé une mini-série qui peut en quelque sorte être considérée comme sa suite : L'ultimo padrino, s'intéressant, après 1993 et l'arrestation de Salvatore Riina, au dernier chef de la Cosa Nostra, jusqu'à son arrestation en 2006.

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Il Capo dei Capi débute dans la campagne sicilienne, à Corleone, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Les temps y sont durs pour la population pauvre, à majorité paysanne. Le père de Salvatore (dit Toto) Riina se tue en tentant d'ouvrir une bombe américaine qui n'avait pas explosé. Décidé à faire son chemin et à ne plus avoir faim, Riina entraîne ses amis d'enfance, Bernardo Provenzano, Calogero Bagarella et Biagio Schirò, pour se mettre au service de Luciano Liggio, qui travaille pour le chef mafieux local, Michele Navarra. Un choix de vie dont Schirò se désolidarise vite. Tandis que Riina se prend au jeu et gagne en ambition, brûlant les étapes et finissant en prison pour meurtre, Schirò étudie et fait finalement le choix de rentrer dans la police.

Des années 60 jusqu'aux années 90, Il Capo dei Capi nous relate ensuite l'ascension des hommes originaires de Corleone, et plus particulièrement de Riina, au sein de l'organisation de la Cosa Nostra. Cette dernière, avec à sa tête une commission, a jusqu'alors toujours été gouvernée par des familles de Palerme. Contrôlant tous les trafics de l'île, véritable Etat dans l'Etat, la mafia voit se dresser contre elle quelques figures isolées de la justice italienne. Toute sa vie, Schirò traque Riina, pour, le plus souvent, se heurter à l'inertie générale des pouvoirs publics, entre compromission et peur, et à la perte d'amis proches sur le champ d'une bataille qui n'est pas encore reconnue comme telle. La multiplication des assassinats et les premiers témoignages de repentis permettent cependant la mise en branle du système judiciaire... Riina est condamné par contumace au maxi-procès de Palerme en 1987, initié par les juges Falcone et Borsellino, et est finalement capturé en 1993.

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Il Capo dei Capi est une mini-série aboutie, très riche, qui ne cesse de gagner en force tout au long de ses six épisodes. Sa réussite est de ne pas avoir voulu seulement raconter l'histoire de Salvatore 'Toto' Riina, mais d'avoir ambitionné de dresser un portrait d'un demi-siècle d'évolution de la Cosa Nostra. Pour cela, elle nous immerge dans la société sicilienne, partant des conditions de vie très dures de Corleone qui forgent les ambitions de Riina, et décrypte pour nous les rouages du système mafieux d'alors. L'ascension de Riina coïncide avec d'importants bouleversements au sein même de la Cosa Nostra, qui investit de nouvelles activités, comme la drogue, et étend son influence à de nouveaux territoires, notamment aux Etats-Unis. La mini-série ne nous épargne rien des explosions de violence, des assassinats sanglants et des trahisons préméditées qui jalonnent le chemin de celui qui parviendra à concentrer entre ses mains tous les pouvoirs au sein de l'organisation, devenant "il capo dei capi". Elle se fait sobre et abrasive, relatant sans les romancer ces exploits meurtriers, et ce que représente vraiment cette vie criminelle. Le portrait fait sonne ainsi très authentique, avec tous les excès liés aux égos et aux failles humaines de ses différents acteurs.

Série mafieuse travaillée, Il Capo dei Capi trouve aussi sa force dans le fait qu'elle adopte un double point de vue : en parallèle, elle s'arrête sur ceux qui vont tenter de lutter contre ce système et, pour beaucoup, y sacrifier leur vie. Pour suivre ce fil rouge, elle fait le choix judicieux d'introduire un personnage fictif, Schirò. Cet ami d'enfance de Riina, témoin privilégié des évènements depuis le début, est le pendant opposé du chef mafieux. Il Capo dei Capi est en quelque sorte le récit de leurs destins croisés, et d'un affrontement récurrent en filigranne. Par l'intermédiaire de Schirò, on assiste au développement de la lutte antimafieuse, de ses premiers balbutiements, fruits d'initiatives isolées (suicidaires) vouées à l'échec, jusqu'au maxi-procès de Palerme. La lutte semble pourtant toujours très inégale et la vie trop fragile, la violence ne les épargnant jamais. En s'installant dans les locaux du commissariat et du palais de justice, Schirò permet de montrer plusieurs décennies meurtrières qui appartiennent à l'Histoire. La mini-série fait preuve ici aussi de beaucoup de soin dans cette reconstitution, capturant l'atmosphère fiévreuse et pesante d'une époque.

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Appliquée, Il Capo dei Capi acquiert progressivement un véritable souffle, historique et dramatique, de plus en plus prenant, et qui ne va pas cesser de gagner en ampleur jusqu'à sa conclusion. La fiction peut schématiquement se distinguer en deux grandes périodes. Dans ses trois premiers épisodes - et en pointillés jusqu'au quatrième -, elle est une pure fiction de gangsters. La narration y est assez linéaire. Partant de la base, issu d'une campagne pauvre, Riina, stratège avisé, manoeuvre pour atteindre le sommet, se brûlant parfois, mais finissant toujours par parvenir à ses fins. Après avoir pris le contrôle de Corleone, il met ensuite le cap vers Palerme. Accueilli prudemment, il applique consciencieusement l'adage "diviser pour mieux régner" et sait frapper quand il le faut les autres familles. Les exécutions et les guerres rythment ce parcours. Si cette ascension au sein de la Cosa Nostra est racontée de manière efficace, c'est cependant la suite, dans sa seconde partie, qui permet à Il Capo dei Capi d'atteindre une autre dimension, encore plus passionnante : lorsqu'elle se tourne vers une confrontation directe avec l'Etat italien.

Après les premières escarmouches qui avaient été autant de coups d'épée dans l'eau pour Schirò, la mini-série rejoint le fil d'une Histoire plus familière au téléspectateur. Le récit de la lutte entre la Cosa Nostra et des agents de l'Etat voit les protagonistes défiler au rythme de leurs assassinats. La fiction ressort opportunément des images d'archives d'attentat ayant marqué la mémoire collective. Elle n'en souligne que trop l'isolement de ces personnalités qui, en conscience, endossent la responsabilité d'une lutte entremêlant trop d'intérêts contradictoires jusqu'au sommet de l'Etat pour que les camps puissent être clairement distingués. Si Schirò reste toujours présent, il repasse plus en arrière-plan dans les derniers épisodes, où face à Riina, se trouvent désormais Giovanni Falcone et Paolo Borsellino aux côtés desquels Il Capo dei Capi prend le temps de s'arrêter. Leurs succès (le maxi-procès de Palerme), les obstacles qu'ils se voient opposer au sein même de l'appareil judiciaire, et enfin les attentats qui leur coûteront la vie, en 1992, font partie des moments forts de la mini-série. Dans le même temps, le pouvoir et la vieillesse conduisent Riina sur une pente où sa paranoïa et sa démesure provoqueront sa perte.

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Sur la forme, Il Capo dei Capi bénéficie d'une réalisation classique, solide, qui se révèle particulièrement apte à construire une atmosphère particulière. Qu'il s'agisse de recréer le Corleone des années 50, ou encore de dépeindre les explosions de violence dont le récit est parsemé, elle immerge véritablement le téléspectateur dans ses décors. La Sicile reste de plus une belle région, qui est bien mise en valeur. Fiction s'inspirant de faits réels, elle a pleinement conscience que la dimension historique qui l'entoure est également un atout. La mise en scène n'échappe pas toujours à certains excès de dramaturgie, mais l'ensemble reste globalement sobre. Et surtout elle fait le choix d'utiliser des images de la télévision d'alors qui sont restés dans les souvenirs (comme la route défoncée suite à l'attentat à la bombe contre le juge Falcone), mais aussi des flashs d'informations télévisées d'époque. Elle vieillit même volontairement certaines images pour reconstituer des scènes avec ses acteurs (notamment les enterrements). C'est une reconstitution soignée qui est donc proposée.

Enfin, Il Capo dei Capi dispose d'un casting convaincant. Claudio Gioè interprète Salvatore Riina avec une vraie densité. A mesure que l'homme acquiert des responsabilités, il se fait de plus en plus inquiétant : l'acteur lui confère une aura particulière qui prend vraiment la mesure de la figure interprétée et de ce que représente cette ascension pour devenir "il capo dei capi". Face à lui, Daniele Liotti incarne Biagio Schirò avec également beaucoup de présence dans ce rôle frustrant où l'on tente tout, mais on se heurte à tant d'obstacles. Gioia Spaziani et Simona Cavallarie interprètent leurs épouses respectives. Salvatore Lazzaro est celui qui suivra toujours dans l'ombre de Riina, Bernardo Provenzano. Andrea Tidona incarne Giovanni Falcone, et Gaetano Aronica, Paolo Borsellino. On retrouve également Francesco Scianna, Paolo Ricca, Alfredo Pea, Imma Piro, Giuseppe Montana, ou encore Bruno Torrisi.  

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Bilan : Loin de se réduire à juste un biopic sur Salvatore Riina, figure dirigeante de la mafia sicilienne, Il Capo dei Capi est le récit d'un demi-siècle de Cosa Nostra, à travers ses bouleversements internes et l'ascension irrésistible de Riina, mais aussi dans sa confrontation avec l'Etat italien et face au développement de la lutte antimafia. Fiction de gangsters, violente et sanguinolente, elle relate un pan d'histoire criminelle et judiciaire, mais aussi d'Histoire tout court, de la Sicile. Toujours efficace, elle gagne en intensité au fil des épisodes, tout en restant une reconstitution soignée d'une époque.

En résumé, une mini-série recommandée à tous ceux qui s'intéressent à ce sujet, aux sériephiles appréciant les fictions mettant en scène des criminels, et enfin à tous ceux qui souhaitent s'immerger pendant plus de 9 heures dans la Sicile de la seconde moitié du XXe siècle. Et puis à tout téléphage curieux.


NOTE : 8,25/10


La bande-annonce de la série :

18/08/2012

(ISL) Réttur (The Court), saison 1 : un legal drama islandais

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En ce week-end annoncé comme caniculaire, vous vous doutiez bien que la tradition de ce blog risquait de voir poindre le billet de ce jour. Respectons l'usage : pour se rafraîchir, rien de tel que de mettre le cap sériephile vers des latitudes nordiques et de se rappeler, le temps de quelques épisodes, ce qu'est le froid. Il faut dire que la série dont je vais vous parler aujourd'hui est particulièrement appropriée pour une contre-programmation : elle se déroule sous le plafond grisâtre de nuages bas qui ne semblent jamais devoir se lever, dans une ville de Reykjavik qui reste plongée sous son manteau neigeux.

Réttur est la deuxième série islandaise que j'aborde en ce mois d'août, et déjà la quatrième de 2012 (et le sixième bilet consacré à une fiction de cette nationalité sur ce blog). Mes affinités avec le petit écran de cette île du Nord ne se démentent pas. En l'occurence, Réttur constitue rien moins que le premier legal drama de la télévision islandaise. Elle compte deux saisons, de six épisodes chacune. La première a été diffusée début 2009 sur Stöð 2. On retrouve à l'écriture quelqu'un dont le nom doit commencer à vous être familier, Sigurjón Kjartansson, scénariste extrêmement productif à qui l'on doit notamment la prenante Pressa dont je vous ai déjà tant parlé (ce qui explique sans doute l'air familier que j'y ai trouvé). Sur Réttur, il est entouré de Margrét Örnólfsdóttir et de Kristinn Thordarson.

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Réttur est une série judiciaire nous relatant le quotidien d'un trio d'avocats d'un cabinet de Reykjavik. Brynhildur et Hordur en sont les actuels associés, tandis que Logi y travaille pour l'instant à l'essai. Embauché avec pour objectif de relancer l'activité quelque peu en berne du cabinet, ce dernier est un des meilleurs avocats de la capitale. Ambitieux et plein d'aplomb, c'est un défenseur hors pair, mais dont la réputation est entachée par un crime passé : à 18 ans, il a commis un meurtre, puis a été condamné et emprisonné. Sorti quelques années plus tard, il a obtenu le pardon lui permettant de devenir... avocat. Cependant, cette histoire reste dans tous les esprits, notamment policiers, même si Logi prétend ne se souvenir de rien.

La série les suit à travers plusieurs affaires, touchant à des domaines très différents : des procès criminels, du meurtre au trafic d'être humain, en passant par des escroqueries financières ou bien des abus de faiblesse. Ils représentent, suivant les cas, l'accusé ou la victime. En arrière-plan, un fil rouge se dessine : pèse sur l'atmosphère de Reykjavik des faits divers qui sont devenus malheureusement un rituel craint du vendredi soir, une série de viols commis par un serial rapist, face auquel l'enquête de la police piétine. Avec ce tableau d'une ville où le ministère public cherche souvent à faire des exemples de ceux qui troublent la tranquillité, Réttur se concentre sur ses trois protagonistes, se proposant de nous faire vivre leurs succès et leurs échecs, professionnels comme personnels.

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De premier abord, Réttur est un legal drama aux consonnances très classiques. Il se réapproprie efficacement le genre, mais reste relativement quelconque en optant pour une présentation très sobre de la dynamique judiciaire. Plus qu'au métier lui-même, il est manifeste que la série s'intéresse avant tout à l'humain derrière le professionnel portant la robe. C'est sans doute pour cela que l'on a l'impression de la voir parfois emprunter des raccourcis un peu faciles, laissant certains développements inachevés, dans sa gestion des affaires. Cependant, elle dispose d'une narration qui ne traîne pas, va à l'essentiel, et permet donc d'évoquer - plus ou moins brièvement - toutes les facettes de la profession, avec son lot de dilemmes moraux et ces affaires que l'on ne sait comment aborder. De plus, par la diversité des cas traités, il faut reconnaître à cette première saison une indéniable richesse.

La construction de Réttur mêle un procédural travaillé et un fil rouge à la densité variable. On retrouve dans l'exploitation de ce dernier une façon de faire assez caractéristique du style du scénariste. Suivant une forme de continuité à éclipse, une intrigue peut ainsi être introduite, s'imposer sur le devant de la scène, puis être oubliée, pour ensuite ressurgir soudain au centre des enjeux. Même si cela peut renvoyer le sentiment d'un manque d'homogénéité, l'essentiel est que la série sait manifestement où elle nous conduit et qu'elle fait preuve pour cela d'un réel savoir-faire qui retient l'attention du téléspectateur de bout en bout. Ce sont des limites de construction que l'on trouve aussi dans Pressa, mais qui n'affectent pas la portée de la série. Autre procédé similaire avec Pressa : l'utilisation des médias comme observateurs/narrateurs extérieurs des évènements mis en scène. C'est une technique qui est tout aussi bien utilisée dans Réttur.

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A côté de ce quotidien judiciaire bien huilé, Réttur fidélise aussi son public grâce à ses personnages, chacun très différents, mais complémentaires à leur manière. En premier lieu, c'est évidemment Logi qui s'impose à l'écran : par son assurance où perce une pointe d'arrogance, sa conception très relativiste de son métier et sa capacité à prendre les choses en main quel que soit la situation. Marque aussi l'ambivalence inhérente au personnage. Derrière cette apparence d'avocat en représentation permanente qu'il cultive, en arrière-plan, figure toujours ce crime commis il y a 25 ans. S'il prétend ne plus s'en soucier - ne l'ayant pas en mémoire -, le souvenir revient toujours, imperturbable, aussi bien face à des interlocuteurs qui l'évoquent que face à la famille de la victime... Et à mesure que l'on apprend à le connaître, à identifier ces mécanismes de défense, on comprend mieux son fonctionnement, son problème avec l'alcool, et surtout on devine, derrière cette allure excessivement pragmatique, des blessures qui lui font plus d'une fois frôler l'autodestruction, comme le montre sa gestion calamiteuse de sa vie sentimentale.

Outre ce personnage tranchant qui s'impose d'emblée, l'atout de Réttur est aussi de trouver le juste équilibre avec les deux autres avocats du cabinet, Brynhildur et Hordur. Chacun voit ses histoires professionnelles, mais aussi sa vie personnelle, développées. Brynhildur, divorcée, instinctivement méfiante mais au caractère affirmé, connaîtra ainsi toutes les émotions au cours de la saison, des joies personnelles, mais aussi bien des challenges bien difficiles dans sa vie professionnelle. Elle en sort grandie, et sa figure affirmée ; le téléspectateur espérant secrètement que le futur entrevu pour elle à la fin de la saison puisse voir le jour. Quant à Hordur, c'est un avocat paradoxal : il n'aime rien tant que rester dans l'ombre des recherches et des procédures, laissant la lumière des prétoires à ses associés. Malgré les réticences qu'il avait initialement à accueillir Logi, il est intéressant de voir comment les deux avocats trouvent finalement assez facilement un terrain d'entente, grâce à leurs différences, au point de voir Logi héberger Hordur lorsque ce dernier rencontre des difficultés dans son couple.

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Sur la forme, Réttur est une série à la réalisation très sobre, avec une photographie qui semble s'imprégner de l'atmosphère glacée de Reykjavik. Les teintes y sont froides, une pellicule grisâtre paraissant recouvrir l'ensemble. Ce ressenti est renforcé par les multiples plans de la ville enneigée, où la couleur du sol se confond avec le ciel, tandis que l'océan en arrière-fond est un mince ligne peu plus grise. La musique épouse très bien l'ambiance finalement assez posée d'un legal drama. Du classique, mais qui correspond aux attentes, à l'image du thème du générique (cf. la vidéo ci-dessous).

Enfin, Réttur bénéficie d'un casting globalement solide. Plus précisément, elle dispose d'un trio principal qui endosse sans difficulté les caractéristiques de leurs rôles respectifs : ce qui permet ainsi à cette rapide complémentarité de s'installer immédiatement à l'écran. C'est sans doute Magnus Jonsson, interprétant Logi, le personnage le plus emblématique de la série, qui marque le plus. Mais j'ai également bien aimé la dynamique qui s'installe avec Vikingur Kristjansson (Hordur), ainsi que le caractère que fait sien Johanna Vigdis Arnardottir dans le rôle de Brynhildur.

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Bilan : Legal drama sobre et classique, Réttur trouve le juste équilibre entre ses explorations du système judiciaire à travers des affaires très diverses, le développement de personnages auxquels le téléspectateur s'attache et l'adjonction d'un fil rouge criminel qui permet de lier en un seul ensemble toute la saison. Portée par une figure centrale marquante à l'ambivalence morale intriguante, qui constitue sa principale particularité, la série bénéficie en plus d'une narration très efficace. Sans être toujours pleinement aboutie sur certains points de son volet judiciaire, la construction d'ensemble n'en demeure pas moins solide.

C'est donc un legal drama venu du Nord qui devrait satisfaire les amateurs du genre.

[A noter : Comme beaucoup de séries islandaises, Réttur est disponible en DVD avec une piste de sous-titres anglais.]


NOTE : 7/10


Le générique de la série :

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