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11/01/2011

(Mini-série UK / ALL) The Sinking of the Laconia : une parenthèse d'humanité dans une guerre totale

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En fin de semaine dernière, BBC2 consacrait ses soirées de jeudi et vendredi (les 6 et 7 janvier 2011) à une mini-série inspirée d'une histoire survenue durant la Seconde Guerre Mondiale qui a marqué les codes de l'affrontement maritime : le naufrage du Laconia. Mettant en scène un sujet aux thématiques humaines fortes qui pouvaient difficilement laisser indifférent, cette co-production britannico-allemande (ce qui est aussi une de ses forces) était également l'occasion d'un retour au petit écran du scénariste Alan Bleasdale après plus d'une décennie d'absence.

Se découpant en deux parties d'une heure et demie, couvrant donc une durée de trois heures, The Sinking of the Laconia aura, après des débuts un peu lents, progressivement gagné en intensité, portée par un casting vraiment excellent (Ken Duken, Andrew Buchan, Lindsay Duncan...). Certes, on peut penser rétrospectivement que cette mini-série avait les moyens d'atteindre une dimension supplémentaire et qu'elle n'a sans doute pas exploité tout le potentiel que l'histoire de départ lui offrait, mais elle sera cependant aller bien au-delà du simple récit d'un fait de guerre atypique pour proposer une fiction qui, par la force de son sujet et des thématiques qu'elle esquisse, mérite assurément le détour. Elle m'a en tout cas permis de passer une vraie bonne soirée téléphagique comme je les aime.

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Septembre 1942. Le RMS Laconia s'apprête à quitter le port de Cape Town, avec à son bord plus de 2000 passagers, parmi lesquels des civils et soldats anglais et polonais, ainsi que 1800 prisonniers de guerre italiens. S'éloignant des côtes sud-africaines pour gagner l'Angleterre, le navire ne reverra plus jamais la terre ferme. Car la Seconde Guerre Mondiale se joue aussi en mer. Ou plutôt sous les océans qui sont le terrain de chasse des sous-marins allemands, les fameux U-Boat. La fumée noir du mauvais carburant brûlé par les moteurs du Laconia attirera l'attention de l'un d'eux, faisant du navire ayant une capacité suffisante pour potentiellement transporter des troupes alliées une proie facile. Les torpilles du sous-marin l'enverront irrémédiablement par le fond, laissant les passagers survivants se débattre parmi les débris, les plus chanceux ayant pu gagner les canaux de sauvetage.

Mais là où l'histoire diffère d'un autre fait divers de guerre, c'est que le U-Boat ne quitta pas immédiatement les lieux une fois sa mission accomplie. Découvrant sur place la tragédie des prisonniers de guerre italiens, mais aussi la présence de civils, femmes et enfants, se débattant dans l'eau, bien trop loin des côtes et sans message de détresse envoyé à temps pour espérer survivre, le capitaine allemand du sous-marin, Werner Hartenstein, prit alors une décision inattendue, qui se reférait à un autre code de conduite, un honneur maritime non écrit. Il ordonna l'organisation du sauvetage des survivants du navire qu'il venait juste de couler, accueillant à bord du U-Boat ces naufragés et signalant l'opération en cours au QG allemand afin qu'il envoie du renfort. 

Arborant une croix rouge et transportant désormais des civils en attendant l'arrivée d'un navire français envoyé par Vichy, le sous-marin sera ensuite pris pour cible par un bombardier américain, obligeant Hartenstein à retransférer dans les canaux de sauvetage les Anglais qui restaient à bord. Suite à ces évènements, l'amiral Donitz prendra le "Laconia order" qui interdira à l'armée allemande de procéder au moindre sauvetage à l'avenir. Les bâteaux français récupèreront un peu plus de 1000 survivants. Quant à l'U-Boat de Harstenstein, il sera coulé par les forces alliées quelques mois plus tard sans survivant parmi l'équipage.

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Si  The Sinking of the Laconia est une mini-série qui gagne progressivement en intensité, ses débuts comportent quelques longueurs sur lesquelles il ne faut pas se formaliser. Elle prend en effet son temps pour nous présenter les derniers jours du Laconia, choisissant de nous replonger dans l'atmosphère et les préoccupations d'une époque en guerre tout en mettant en scène un quotidien relativement prévisible. Cela lui permet d'esquisser les individualités de personnages clés qui, sans forcément s'imposer instantanément, vont constituer des repères pour le téléspectateur. Qu'il s'agisse de l'officier Mortimer, rattrapé cruellement par les bombardements se déroulant sur le sol anglais, d'Hilda, figure en fuite anglo-allemande à une période où cela n'était plus possible, ou encore de l'aristocrate Lady Elisabeth, c'est une galerie bigarrée de protagonistes ayant chacun une histoire très différente qui est ainsi présentée.

La première demi-heure apparaît donc comme un passage narratif obligé pour donner un sens au tournant du récit et au drame sur le point de se produire, sans apporter de réelle valeur ajoutée par rapport aux classiques du genre. Après ce début relativement lent mais toujours très appliqué et rigoureux, la mini-série acquiert peu à peu toute sa dimension dramatique pour délivrer deux derniers tiers autrement plus prenants, proposant quelques scènes magistrales d'une grande intensité humaine. Car si le naufrage apporte logiquement ses premières tragédies, l'intérêt de la mini-série réside dans cet autre regard qu'elle va introduire dans ces évènements, celui des Allemands, et du dilemme irréductible qui se pose à eux.

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En raison des faits particuliers qu'elle relate, The Sinking of the Laconia n'est pas une mini-série de guerre ordinaire. Lors du second épisode, plusieurs soldats font naturellement référence à une autre trêve mythique, celle qui intervint spontanément à Noël 1914 dans les tranchées. Le parallèle est pertinent en ce sens où ces deux évènements mettent lumière une valeur qui transcende tous ces conflits, lumière vacillante mais toujours présente : une humanité partagée. Pourtant The Sinking of the Laconia jette un éclairage autrement plus ambigü sur la guerre, conduisant à une confrontation de valeurs et de devoirs qui renvoient presque à deux réalités.

La responsabilité de l'U-Boat dans la tragédie que vivent les passagers est entière mais, comme le dit d'ailleurs sans arrière-pensée un soldat ne sachant comment calmer la douleur du deuil d'une rescapée, cette attaque obéissait à une simple et froide vérité : celle de la guerre. En procédant ensuite à l'organisation du sauvetage, Hartenstein se situe sur un autre plan, autrement plus universel : celui de l'humanité. Entre les deux, existe une antinomie profonde dans laquelle réside justement toute la force de ce récit qui ne peut laisser indifférent. D'autant que, sans occulter la dimension dramatique, le scénario va avoir l'habileté d'opter pour une neutralité opportune, ne portant pas le moindre jugement sur les faits qu'il raconte.

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C'est dans cette tonalité aux accents très authentiques que se trouve un des atouts majeurs de cette mini-série. Se détachant de tout manichéisme, The Sinking of the Laconia tranche avec les clichés traditionnels que véhiculent bien des fictions traitant de la Seconde Guerre Mondiale. Finalement, son incontestable et grande réussite va résider dans le portrait nuancé et très humain que la mini-série dresse des sous-mariniers allemands. Ils incarnent à eux-seuls toute l'ambivalence des différentes valeurs représentées, ainsi que toute la fascination que peut exercer cette histoire atypique.

Sous la mer, il n'y a pas vraiment place pour l'idéologie ; le nazisme n'est d'ailleurs évoqué que de manière incidente, surtout par le biais du personnage de Hilda, qui justifie ici toute son utilité narrative en s'imposant comme une figure à la croisée des camps. En revanche, à l'image de Rostau, les soldats allemands vont se retrouver dans deux valeurs identitaires, qui se révèle comme un dénominateur plus universel qu'il n'y paraîtrait a priori : il y a d'une part un nationalisme renforcé en ces temps troubés et d'autre part cette fierté d'être marin, propre à ceux qui répondent à l'appel du large. En leur sein, celui qui s'impose comme la figure centrale absolument incontournable de ce récit, dépeint avec une justesse et une retenue vraiment bien inspirées, est le capitaine Hartenstein. Le téléspectateur ressent, jusque dans ses silences, les arbitrages et compromis constants et difficiles qu'il doit opérer entre ses différentes obligations.

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Sur la forme, The Sinking of the Laconia propose une mise en scène globalement soignée, avec une réalisation parfois assez agitée notamment pour retranscrire les mouvements du sous-marin en plongée. Certains passages à bord du Laconia ont fatalement un goût de sous-Titanic ou autre récit du genre, mais l'enjeu réel est de toute façon ailleurs. En dehors de quelques thèmes musicaux récurrents, l'ensemble reste formellement très sobre. On perçoit une volonté de ne pas trop en faire pour appuyer sur une forme d'authenticité, à laquelle contribue grandement un réalisme linguistique à souligner. Pas de faux accent traînant : les sous-mariniers sont bien joués par des acteurs allemands et une bonne partie de la mini-série se déroule donc dans la langue de Goethe sous-titrée en anglais. Cela renforce ainsi une impression de réalisme.

Ce choix apparaît d'autant plus opportun que la mini-série bénéficie d'un excellent casting dont il convient de saluer la performance. Il va réussir à jouer tant sur l'empathie que sur l'ambiguïté des protagonistes mis en scène. Si je n'avais aucun doute quant aux acteurs anglais, parmi lesquels on retrouve un toujours aussi inspiré Andrew Buchan (The Fixer, Garrow's Law), qui est partout en ce moment (mais ce n'est pas moi qui m'en plaindrais), ou encore une superbe et fidèle à elle-même Lindsay Duncan (Shooting the Past,  Rome), la révélation de ces trois heures est vraiment venue du côté allemand. Au-delà de Franka Potente (plus connue sur grand écran, dans La mémoire dans la peau notamment), qui se tient entre les deux, au sein de la galerie d'acteurs très convaincants qui compose l'équipage du sous-marin (Thomas Kretschmann, Jacob Matschenz...), c'est Ken Duken (La fuite des innocents,  Guerre & Paix) qui capte toute l'attention. Avec beaucoup de maîtrise, tout en sobriété teintée d'ambivalence, il incarne ce capitaine allemand confronté à des responsabilités qu'il n'hésitera pas à prendre. 

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Bilan : Parenthèse déroutante d'humanité dans une guerre où nulle concession n'était envisageable, c'est par son empathie étonnante et l'éclairage particulier qu'elle propose de ce sous-marin allemand et de son équipage, que The Sinking of the Laconia s'impose comme une fiction de guerre à part. Tout n'est certes pas parfait dans un récit qui aurait gagné à être plus homogène : au-delà de son démarrage lent, il est difficile de ne pas être quelque peu frustré à sa conclusion, sentant confusément qu'elle a seulement laissé entrevoir par éclipse un potentiel qu'elle aurait peut-être pu exploiter avec plus de densité et prendre ainsi une dimension supplémentaire. Mais, outre son histoire qui mérite d'être connue, sa force reste d'être parvenu à relater avec justesse et beaucoup d'authenticité un fait de guerre qui soulève bien des problématiques ne laissant pas insensible le téléspectateur. Pour toutes ces raisons, cette mini-série mérite vraiment d'être vue.


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce (de la seconde partie) :

27/03/2010

(ITA) Romanzo criminale, saison 1 : un polar romain au coeur des années de plomb italiennes


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Aujourd'hui, une critique qui marque la poursuite de "l'internationalisation" de ce blog, avec une fiction d'une nouvelle nationalité (et l'apparition d'une catégorie généraliste par la même occasion).


Je ne vous cache pas mon excitation lorsque j'ai mis la main, il y a une dizaine de jours, à un prix raisonnable, sur le coffret DVD de la première saison d'une série que je souhaitais découvrir depuis plus d'un an, et dans laquelle j'étais prête à investir "à l'aveugle" sans hésitation : il s'agit de Romanzo Criminale. Cette fiction a la particularité de provenir de l'autre côté des Alpes. La saison 1, comportant 12 épisodes, y fut diffusée au cours de l'hiver 2008-2009 sur la chaîne câblée italienne Sky Cinéma 1. Ayant rencontré un succès tant auprès du public que des critiques, une deuxième saison a été commandée et est annoncée pour la fin de l'année en Italie (novembre 2010).

En France, nous (enfin, du moins, les chanceux abonnés) avons eu l'opportunité de pouvoir la découvrir l'été dernier grâce à Canal +, qui confirmait une nouvelle fois que les (bonnes) séries européennes ont une place dans sa grille. De mon côté, ne recevant pas cette chaîne, j'ai donc dû patienter encore un peu en surveillant la sortie du DVD (décembre 2009) ainsi que l'évolution des prix. Mais le retard est désormais rattrapé ; et cette découverte s'est révélée être largement à la hauteur de mes attentes, voire les a même dépassées.

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Parler d'un "investissement à l'aveugle" lorsque j'évoque cette série est sans doute un peu excessif. Car si j'étais si curieuse de découvrir cette adaptation télévisée de Romanzo Criminale, dont il existe aussi un film éponyme sorti en 2005 (plus condensé, mais qui mérite également le détour), c'était tout d'abord parce que j'avais lu et beaucoup aimé le roman d'origine, d'où sont tirées toutes ces versions à destination du petit et grand écran. Récit dont l'auteur, Giancarlo de Cataldo, a exercé les fonctions de magistrat, il s'agit certes d'une histoire de gangsters, mais pas seulement, tant elle s'attache avec beaucoup de soin à dresser un portrait riche, vivant et détaillé sans complaisance de l'Italie des années de plomb.

Romanzo Criminale se révèle d'autant plus prenante et intrigante qu'elle s'inspire de faits réels. Ce qu'elle se propose en effet de nous relater, c'est une version romancée de l'histoire de la bande de la Magliana, qui tint le milieu romain dans les années 70-80. Régnant sur les activités criminelles de la capitale italienne, elle joua également un rôle dans les tensions secouant l'Italie de cette période, entretenant des rapports ambiguës avec les milieux d'extrême-droite, ainsi qu'avec la Mafia. Ces liens troubles permettent à la série de dépasser le cloisonnement des genres, offrant ainsi un véritable polar noir au contenu particulièrement dense et intéressant.

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Romanzo Criminale est tout d'abord une fiction nous plongeant dans la destinée mouvementée d'une bande de malfrats qui va faire main basse sur les activités criminelles de Rome à la fin des années 70. Auparavant, jamais aucun groupe n'avait pu imposer son autorité sur une ville qui avait fini par sembler imprenable, chaque tentative se soldant par une implosion fatale en vol. Lieu de compromis où s'exerce l'influence des différentes Mafias du sud du pays, la ville va pourtant céder sous les coups d'éclats de la bande de la Magliana, réussissant là où tous les autres avaient échoué. La série nous entraîne aux origines de cette association criminelle. Cette union, de ce qui correspondait initialement à deux bandes distinctes, se forge dans le sang et l'argent de l'enlèvement et du meurtre d'un riche homme d'affaires, le baron Rosselini. Dans l'euphorie de ce coup de maître et portés par l'ambition et la vision de celui que l'on surnomme le Libanais, ses différents membres vont poursuivre leur collaboration commune en réinvestissant les sommes gagnées grâce à la rançon dans le trafic de drogue.

Dirigée par un trio d'individualités très dissemblables, où le Libanais s'impose comme le leader naturel, aux côtés de Froid et de Dandy, cette bande va peu à peu gravir tous les échelons dans sa course folle aux sommets des hautes sphères du crime, jusqu'à parvenir à exercer un contrôle sans partage sur Rome. Dans cette entreprise, les heurts avec les pontes déjà en place ne sont que règlements de comptes de bas étage, en comparaison des forces tentaculaires avec lesquelles alliance et compromis se révèlent rapidement nécessaires. Cette navigation à vue dans ces eaux dangereuses les conduira ainsi à se rapprocher de la Mafia calabraise ou encore sicilienne, à côtoyer des mouvances politiques extrémistes, à un moment où elles sont à leur apogée, et dont sont également proches d'autres personnes directement liées au pouvoir étatique, à qui le gang devra rendre certains services pour survivre, notamment par une collaboration avec les services secrets italiens.

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Pour mettre en scène ces évènements très denses, il faut souligner l'ambitieuse construction narrative de la série. En effet, Romanzo Criminale nous fait certes vivre le développement de la bande, avec une ascension irrésistible portée par leur arrogance et leur ambition. Mais la série prend également le temps de marquer chaque étape, de décrire les obstacles imprévus placés sur leurs routes. Au-delà d'une continuité toujours présente, le côté feuilletonnant ne prend jamais le pas sur l'indépendance que conserve chaque épisode. Parvenant à trouver le juste équilibre entre les développements sur le long terme et des intrigues quotidiennes toutes aussi solides même si leur intérêt peut varier, bouclées en une heure, la première saison constitue un vaste arc, où la morale finale pourrait être une réflexion sur le caractère dévorant, et au final auto-destructeur, de l'ambition. La fin est à la fois une conclusion convaincante, dont le caractère inévitable est perceptible très tôt, mais aussi une redistribution des cartes qui promet une saison 2 toute aussi passionnante.

Autre bonne idée qui ajoute à la richesse de l'univers proposé par Romanzo Criminale, et qui permet de contribuer à l'ambiance de polar sur laquelle la série capitalise pleinement : c'est l'introduction, en opposant récurrent, d'un commissaire têtu, Nicola Scialoja, qui sera en charge de la première affaire fondatrice du gang, l'enlèvement du baron Rossellini. Frustré par son échec, par la suite, son entêtement à les voir tomber n'aura de cesse de grandir à mesure que la bande prendra du pouvoir. Le personnage de Scialoja offre le pendant policier parfait au groupe. S'imposant progressivement comme l'adversaire solitaire de tout un système qui s'auto-régule de lui-même, il n'est pas non plus dénué d'ambiguïtés. En un mot, il symbolise un autre versant de cette société italienne de la fin des années 70, avec ses propres paradoxes et contradictions.

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Au-delà de la solidité de l'histoire, au coeur de cette épopée criminelle, les protagonistes constituent l'âme de la série, volatils et explosifs à son image. Disposant de personnalités très différentes, ils sont tous des personnages hauts en couleur, dont un trio principal va rapidement émerger. L'ambition insatiable de certains, cette absence de satisfaction qui les pousse toujours plus loin dans ce règne sans partage sur Rome, les amène sur des voies de plus en plus dangereuses. A la simplicité des objectifs des débuts succèdent une gestion des affaires où priment l'immédiateté et le court terme. Ils brûlent leur empire avec la même ferveur qu'ils ont savouré les premiers succès. Au-delà de ces excès, la série présente, avec beaucoup d'authenticité, le fragile équilibre qui a fait naître la bande de la Magliana : les intérêts personnels de chacun, mêlés à un égo toujours prompt à se manifester, sont une menace constante pour la cohésion d'un groupe que l'on devine, dès le départ, précaire. Le compromis atteint se résume à un fonctionnement hybride, entre démocratie participative, où chacun est un associé ayant voix au chapitre des prises de décision, et des orientations globales impulsées par des leaders naturels, dont le Libanais est le coeur.

Cette dynamique de groupe, atypique, est un constant rappel de l'instabilité explosive qui fait le quotidien de la série. Soulignant les rapports de force permanents, et la versatilité première de chacun des personnages, la fiction choisit l'angle du réalisme pour traiter de la vie du gang. Pas de codes de l'honneur désuets, pas d'amitiés placées au-dessus de tout, simplement un ensemble d'individus pragmatiques, pesant toujours avec soin leurs propres intérêts dans cette alliance collective. Ils agissent ou réagissent avec plus ou moins de passivité, selon leurs personnalités, mais, plus que tout, ils restent toujours profondément indépendants. Le rapport hiérarchique entre eux est fondé sur des non-dits, une capacité instinctive de la part de certains à s'imposer, cependant ils gardent ancrés en eux leurs réflexes de délinquants issus de la Rome éclatée et jamais vraiment domptée.

Romanzo Criminale parvient ainsi à créer une atmosphère semblable à une poudrière, violente et souvent létale, mais maintenant toujours une cohésion d'une volatilité addictive pour le téléspectateur. Cette tension constante est une vraie réussite à saluer, soutenant des intrigues bien construites et permettant à la série de se créer une identité propre.

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Cependant, Romanzo Criminale n'est pas seulement une simple série de gangsters : ce polar trouve en effet une résonance historique particulière, d'autant plus forte qu'elle évoque des faits encore très récents. Elle dresse un portrait vif et complexe d'une décennie tragique de l'histoire italienne, celle des années de plomb. Période intense de déchirements politiques et sociaux passionnels, la série nous en propose une reconstitution minutieuse où elle parvient à retranscrire, avec beaucoup de justesse, l'atmosphère qui régnait dans le pays. Elle nous fait vivre au plus près les violents soubresauts que connut une Italie déchirée par ses extrêmes. En suivant les actions et les contacts de la bande de la Magliana et du milieu romain en général, Romanzo Criminale nous conduit à croiser tous les acteurs de l'ombre des évènements sanglants qui vont marquer cette époque : des Brigades Rouges aux groupuscules d'extrême-droite, des troubles services secrets italiens aux différentes Mafias. Les responsabilités de chacun dans cette escalade qui sera qualifiée de "stratégie de la tension" ne sont pas toujours clairement appréhendées, mais cet instantané photographique est très révélateur.

La première saison se déroulant de 1978 à 1980, elle va évoquer plusieurs des grandes tragédies de ces années de plomb, au  coeur des heures les plus sombres de cette période, emportées dans une spirale tragique de montées des violences. Au printemps 1978, c'est le traumatisme de l'enlèvement et de l'exécution du politicien Aldo Moro, le dirigeant de la démocratie-chrétienne, par les Brigades Rouges. Radicalisant les positions, s'ensuivent escalades des tensions et répressions policières. Puis, dans le dernier quart de la saison, au cours de l'été 1980, le pays sera secoué par un attentat à la bombe particulièrement meurtrier, celui de la gare de Bologne qui 85 morts, perpétré par l'extrême-droite italienne.

C'est donc avec pour toile de fond ces références constantes et incontournables que Romanzo Criminale va nous faire vivre l'épopée criminelle, hors de contrôle, de la bande de la Magliana. Un contexte historique particulier qui aura également son incidence.

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Enfin, sur la forme, Romanzo Criminale m'a agréablement surprise. Ne connaissant pas vraiment la production télévisée italienne, je ne savais trop à quoi m'attendre. Mais finalement, tout en étant très classique, la série fait preuve d'une maturité très intéressante. La réalisation est de bonne facture. Le réalisateur trouve progressivement ses marques, proposant certains plans très convaincants. L'image paraît initialement un peu sombre ou brouillonne par moment, mais elle n'hésite pas non plus à recourir à des teintes plus chatoyantes sur certaines scènes extérieures, l'ensemble soulignant une réelle volonté de reconstitution de l'ambiance de ces années 70. Le style s'affirme donc au fil des épisodes, le téléspectateur s'habituant également aux choix faits et les adoptant.

Par ailleurs, la série prend beaucoup de plaisir à souligner l'intensité et les contrastes de certaines scènes clés, par le recours au fameux montage parallèle, dont la scène la plus symbolique est celle qui suivra, en alternance, les festivités d'un mariage et l'exécution d'un ennemi. C'est un procédé très classique, mais accompagné d'une musique appropriée, il fait toujours de l'effet. D'ailleurs, la bande-son, composée d'un thème récurrent adéquat et de chansons d'époque, après une importante utilisation dans le pilote, sera utilisée avec plus de parcimonie et une certaine justesse par la suite. Jamais envahissante, elle constituera une musique d'ambiance plutôt entraînante, très appréciable pour souligner certaines scènes ou faire office de transition.

Enfin, l'ensemble des acteurs (qui m'étaient tous inconnus : Francesco Montanari, Vinicio Marchioni, Alessandro Roja, Marco Bocci et Daniela Virgilio) délivrent une prestation assez solide. Je pense sincèrement que la série est à pleinement savourer en version originale. C'est peut-être une appréciation très personnelle, car elle a dégrippé en moi quelques bases rouillées (il semblerait que j'ai conservé plus de souvenirs que je ne le pensais de mes années d'études) et m'a rappelé à quel point j'aimais cette belle langue qu'est l'italien. Cependant, comme il s'agit aussi d'une série d'ambiance, l'immersion du téléspectateur ne peut, à mon sens, que passer par la version originale.

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Bilan : Polar noir passionnant, sur fond de chronique sociale et de reconstitution historique d'une époque particulièrement agitée où l'Italie traversa une des périodes les plus sombres de sa démocratie, Romanzo Criminale acquiert progressivement au cours de la saison une dimension qui dépasse la simple série de gangsters. C'est par la durée que son scénario solide peut pleinement trouver ses marques. Son format lui permet d'exploiter pleinement tous les ressorts narratifs que le roman d'origine pouvait poser. En cela, sa construction se révèle au final bien maîtrisée et très agréable à suivre pour le téléspectateur, dont l'intérêt n'est jamais pris en défaut.

Romanzo Criminale est donc une réussite, avec une saison 1 admirablement bien mise en scène et qui dresse un portrait fascinant et complexe de l'Italie des années de plomb. Une série à découvrir sans hésitation.


NOTE : 8,25/10


La bande-annonce (en VO sous-titrée anglais) :