Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/03/2012

(SE/DAN) Bron/Broen (The Bridge), saison 1 : un polar sombre et prenant aux multiples facettes

broenbron.jpg

Mes affinités avec les séries scandinaves se confirment ! Après s'être habituée au danois l'an dernier, mon oreille se familiarise depuis le début d'année avec le suédois. Forte de mes visionnages en cours de Äkta Människor ou encore de Anno 1790, je suis passée en ce mois de mars à l'étape suivante : m'offrir un mélange de suédois et de danois, devant une série co-produite par les deux pays, Bron/Broen (The Bridge en version internationale). C'est le moment de souligner que, jusqu'à présent, tous mes achats de coffret DVD étranger "à l'aveugle" (comprendre : sans avoir vu un seul épisode) auront tenu leurs promesses en provenance d'Europe du Nord (de Borgen à Næturvaktin), et cette dernière découverte ne m'aura pas déçue.

Bron/Broen a été diffusée au cours de l'automne 2011 en Suède (sur SVT1, à partir du 21 septembre) et au Danemark (sur DR, à partir du 28 septembre). Sa première saison compte 10 épisodes, d'une durée de 55 minutes environ. Une seconde saison a été commandée. A l'international, la série devrait être diffusée prochainement en Angleterre sur BBC4. Pas de nouvelle pour le moment en France, mais, ma foi, elle serait parfaite pour la politique de diffusion séries actuellement suivie par Arte (laquelle débute justement jeudi prochain la diffusion d'une série policière... suédoise, Les enquêtes du commissaire Winter, dont l'acteur joue aussi dans Bron/Broen) ! C'est donc de ce polar à la fois prenant et intense dont je vais vous parler aujourd'hui.

bronk.jpg

Une nuit, sur l'immense pont qui relie le Danemark à la Suède, un incident interrompt le trafic : un corps a été abandonné sur la route, déposé exactement sur la ligne de frontière séparant les deux pays. Les polices sudéoise et danoise sont a priori toutes deux compétentes pour enquêter sur cette mort. Pour éviter tout conflit de juridiction, c'est une collaboration qui se met en place entre les deux officiers de garde dépêchés sur place ce soir-là : la suédoise Saga Noren et le danois Martin Rohde. 

D'abord trop vite catalogué comme le simple meurtre d'une personnalité suédoise connue, ce premier crime se révèle rapidement bien plus complexe qu'il n'y paraissait a priori. Il n'est que la première étape, publique, dans un engrenage qui se transforme en traque d'un tueur semblant toujours avoir un temps d'avance sur les enquêteurs. Si Saga et Martin ont des approches et des méthodes très dissemblables, ils vont devoir apprendre à coopérer et à travailler efficacement ensemble dans cette investigation qui contient bien des fausses pistes.

brony.jpg

Bron/Broen est une série policière feuilletonnante extrêmement prenante. Si elle construit son intrigue sur des bases très classiques, elle va savoir pleinement exploiter tous les ingrédients à sa disposition pour se trouver une identité propre dans ce registre de fiction pourtant familier. A ce titre, c'est tout d'abord par sa très grande noirceur que la fiction se démarque. Elle s'impose en effet comme un de ces polars très sombres, dans la droite lignée d'une tradition scandinave dont la réputation n'est plus à faire et à laquelle elle contribue avec les honneurs.

Avec une sobriété voulue, souvent assez glaçante, il faut préciser que la série se contentera le plus souvent de suggérer la violence plutôt que de nous la montrer, mais l'impact restera tout aussi fort. Et quelques scènes explicites particulièrement dures seront également proposées. En filigrane, c'est la fragilité de la vie qui semble constamment rappelée. Ce parti pris confère à l'oeuvre une résonnance très réaliste, et renforce la tension ambiante tant il apparaît vite clair que le téléspectateur n'a aucune assurance sur l'issue de cette enquête au long cours, ni sur la manière dont va s'orienter cette recherche du tueur qui tourne à la confrontation.

bronr.jpg

Au-delà d'une atmosphère à la froideur soignée, Bron/Broen se démarque par sa maîtrise de sa construction narrative. La série glisse admirablement entre les différents genres policiers au fil de la saison, passant du fait divers isolé à la perspective d'un serial killer, des dénonciations provoquantes de dérives de la société moderne à des griefs autrement plus personnels. Les diverses tournures que prend une enquête très mouvante lui permettent de constamment aller de l'avant, sans aucun temps mort, ni jamais donner l'impression d'essayer de gagner du temps. Doté d'une tension constante exemplaire, le format de 10 épisodes est sans doute parfait pour ce genre d'exercice feuilletonnant, comme avait pu le prouver la saison 2 de Forbrydelsen. Le seul bémol éventuel à formuler viendrait peut-être de la façon dont la série a tendance à greffer de manière déconnectée des micro-intrigues et des protagonistes secondaires, donnant parfois l'impression qu'elle se disperse trop.

Il faut cependant reconnaître (et saluer le fait) que, dans l'ensemble, les scénaristes ne laissent en réalité jamais rien au hasard : le moindre détail, la moindre insistance (ou au contraire, non-dit) de la caméra, renvoie à quelque chose qui se révèlera important. L'impression de maîtrise du tableau d'ensemble l'emporte donc aisément sur quelques flottements qui resteront purement anecdotiques à la fin. Et si le téléspectateur se laisse vraiment captiver par l'agencement progressif de toutes les pièces de ce vaste et dangereux puzzle, c'est aussi parce qu'il semble vite évident que c'est le tueur, et non la police, qui le contrôle. La saison forme un seul grand arc, qui nous conduit jusqu'à un apogée à couper le souffle avec un dernier épisode particulièrement réussi. Sans rien en dévoiler, j'insiste dessus car il est d'une force et d'une intensité marquantes. Non seulement le téléspectateur n'en ressort pas indemme, mais cette conclusion justifie vraiment la construction feuilletonnante en amont. Il amène le téléspectateur à porter un nouveau regard sur l'engrenage auquel il vient d'assister, et confère une autre dimension à toute l'histoire. 

bronc2.jpg

Cependant Bron/Broen n'est pas seulement un solide polar, c'est aussi une histoire qui va permettre d'explorer des personnages principaux à la caractérisation très réussie. La dynamique qui s'installe au sein du duo principal est excellente, permettant d'offrir des passages plus légers, de semi-détente, au cours desquels le téléspectateur esquisse un sourire. La série exploite ici un filon classique, en associant une paire improbable de policiers qui n'ont rien de commun, et qui vont donc devoir essayer de s'entendre. Reste que Bron/Broen apporte sa propre valeur ajoutée, avec notamment le personnage de Saga qui s'est imposé comme un grand coup de coeur personnel. Ses raisonnements binaires tranchés, sa perception très détachée des relations sociales et de son environnement, créent en effet une héroïne atypique vraiment intéressante, tout en constituant un pendant parfait à Martin, plus terre à terre et prêt à assouplir ses principes.

De plus, les relations entre Saga et Martin ne se figeront jamais. A mesure que l'enquête progresse, non seulement ils parviennent à une meilleure compréhension réciproque, mais surtout, chacun influe sur l'autre. Ou plutôt, Saga s'ouvre peu à peu aux personnes qui l'entourent, son respect sincère pour Martin la conduisant à essayer d'assimiler les conseils qui lui donnent sur la vie sociale de tous les jours. Au fil des confrontations de vues parfois proches de la dispute qui ont lieu entre les deux policiers, le téléspectateur assiste à une lente transformation de Saga. C'est ici aussi que se révèle la maîtrise narrative de Bron/Broen, avec ce fameux discours de Martin sur le fait de ménager les susceptibilités et de devoir parfois mentir pour le bien de son interlocuteur. Une conception du mensonge légitimé qui prend toute son importance à la fin. Personnalités complexes, intégrées dans une galerie de personnages secondaires homogène et nuancée, ces deux policiers sont les piliers d'une série qui n'aura jamais négligé sa dimension humaine, et aura réussi le policier comme l'intime.

brond2.jpg

Par ailleurs, Bron/Broen est également une belle réussite sur le plan formel. La réalisation est impeccablement maîtrisée, avec des images aux teintes froides dominantes qui correspondent parfaitement à l'ambiance générale. Surtout, la série exploite pleinement son double cadre danois et suédois, en utilisant des images de paysages pour opérer la transition entre certaines scènes. Comme l'illustre son générique à l'esthétique superbe (des time-lapses magnifiques ; cf. la vidéo en-dessous du billet), cela contribue à un certain dépaysement du téléspectateur qui alterne entre les deux pays, avec ce pont qui demeure toujours central. La bande-son reste très sobre, mais la musique qui retentit lors de l'ouverture, particulièrement bien choisie, retentira longtemps dans nos oreilles.

Enfin, la série bénéficie d'un casting bi-national très solide. Entremêlant danois et suédois, Bron/Broen est un exemple de co-production utilisée à bon escient ; pour l'apprécier à sa juste valeur, il est donc impératif de la regarder en version originale (cet aspect peut justement être un frein à son arrivée chez nous : une version française le ferait disparaître). J'ai été particulièrement marquée par Sofia Helin : passée la rigidité de la première rencontre, l'actrice se révèle vraiment dans les nuances qu'elle apporte peu à peu au personnage de Saga, avec quelques scènes magistrales (notamment dans le dernier épisode). Face à elle, Kim Bodnia est convaincant dans le rôle d'un officier certes efficace, mais aussi très humain avec ses failles, et qui n'a pas forcément beaucoup d'illusions sur lui-même. A leurs côtés, on retrouve également Dag Malmberg, Rafael Pettersson, Anette Lindbäck, Said Leque, Kristina Bränden, Puk Sharbau, Emil Birk Hartmann, Sarah Boberg, Christian Hillborg ou encore Magnus Krepper.

brond.jpg

 bronv.jpg

Bilan : Polar très sombre à la fois classique, mais également capable de se forger une identité propre dans ce genre policier, Bron/Broen est une série feuilletonnante extrêmement prenante et efficace. Si sa narration donne parfois l'impression d'une tendance à la dispersion, la construction de l'arc formé par cette saison 1 ne laisse pourtant rien au hasard, témoignant d'une belle vision et maîtrise d'ensemble. A mesure que l'enquête progresse, changeant aussi de nature, la série dévoile tout son potentiel, pour se terminer sur un final vraiment réussi qui me hantera sans doute longtemps. Une saison 2 a été commandée, mais cette première saison se suffit à elle-même.

Amateurs de séries policières feuilletonnantes, de polars très sombres, mais aussi de fictions scandinaves, cette première saison de Bron/Broen devrait trouver grâce à vos yeux ! N'hésitez pas.


NOTE : 8,25/10


Le générique :

17/02/2012

(Pilote NOR/US) Lilyhammer : un gangster new-yorkais en Norvège

lilyhammer0.jpg

Les séries s'affranchissent peu à peu de leur cadre traditionnel. De nouveaux modèles économiques sont à inventer ; et internet a sa place dans ces expérimentations. En ce mois de février, une nouvelle étape vient d'être franchie : Netflix et Hulu, deux grandes plates-formes de streaming, marchent sur les plate-bandes des chaînes de télévision classiques en lançant toutes deux leurs premières productions originales : Lilyhammer pour la première, Battleground pour la seconde. Et cela n'est que le début, puisque Netflix a d'autres projets en cours, comme House of Cards

Lilyhammer, la première du genre, est une série américano-norvégienne, qui a été diffusée tout d'abord en Norvège, sur NRK1, le 25 janvier 2012 (avec un score d'audience impressionnant). Depuis, depuis le 6 février 2012, la fiction est désormais disponible dans son intégralité sur Netflix. La saison 1 comporte 8 épisodes ; une saison 2 a d'ores et déjà été commandée. Si elle pose les premières bases d'une révolution de l'industrie par son origine et son mode de diffusion, Lilyhammer reste une comédie douce-amère très classique sur le clash des cultures. Cependant son pilote n'en est pas moins sympathique.

lilyhammerg.jpg

Frank Tagliano, surnommé "the Fixer", appartient à la mafia new-yorkaise. Mais un conflit avec le nouveau boss de l'organisation le conduit à accepter l'offre des autorités américaines de témoigner dans un procès contre lui. Logiquement, il doit intégrer un programme de protection des témoins, sa vie étant désormais en danger. Or Frank veut quitter les Etats-Unis. Il avait été très marqué par la ville de Lillehammer lorsqu'il avait suivi les Jeux Olympiques de 1994 à la télévision : il demande donc à être envoyé en Norvège.

C'est ainsi qu'un gangster new-yorkais aguerri débarque dans la campagne enneigée scandinave, avec en poche de faux papiers fabriqués par le FBI et quelques économies qui devraient lui permettre de débuter une nouvelle existence. Evidemment, la vie à Lillehammer n'a pas grand chose à voir avec les habitudes quotidiennes qu'avait Frank ; il faut dire qu'on y craint plus le loup rôdeur que le potentiel délinquant. Il va falloir apprendre à s'intégrer, tandis que le rêve de l'Américain est d'ouvrir son propre bar.

lilyhammerm.jpg

Au-delà de ses enjeux linguistiques omniprésents (l'anglais et le norvégien s'entremêlent constamment dans les dialogues) et des vieux réflexes de Frank, prêt à intimider ou à corrompre avec la même aisance qu'il respire, le charme du pilote de Lilyhammer tient beaucoup à la simplicité avec laquelle il entreprend de nous conter les aventures norvégiennes colorées d'un pur new-yorkais. Si l'épisode cède très vite à quelques clins d'oeil incontournables, il le fait avec une douce ironie à laquelle le téléspectateur ne reste pas insensible. Comment résister à cette scène du premier réveil de Frank à Lillehammer au cours de laquelle il découvre, abandonnée devant chez lui, une tête d'animal, écho à une autre tête mythique, celle du cheval du Parrain ? Tandis que le téléspectateur partage l'incrédulité passagère du personnage, la chute qui suit, en découvrant qu'il s'agit simplement de la voisine qui a égaré par mégarde son futur déjeuner, tombe parfaitement.

Cette anecdote est vraiment représentative de la tonalité d'ensemble de ce premier épisode. Sans chercher à innover, Lilyhammer propose un pilote, certes classique dans ses dynamiques, mais sympathique. La série investit pleinement - mais sans paraître pour autant forcée, ou artificielle - ce terrain si bien connu du choc des cultures, toujours prompt à susciter confrontation et décalages improbables. Restant très sobre, avec une retenue qu'on pourrait presque qualifier de scandinave, il s'agit d'une comédie noire, un peu douce-amère, qui dépayse et prête à sourire, et à laquelle on s'attache facilement. Certes, on pourra sans doute reprocher à ce pilote d'exposition son côté par trop convenu, mais il s'agit d'un épisode qui remplit sa mission d'introduction. Par la suite, il faudra donc voir si la série est capable de faire preuve de plus d'initiative (et peut-être d'ambition ?) pour exploiter toutes les facettes de son cadre. 

lilyhammern.jpg

Sur la forme, Lilyhammer bénéficie d'une réalisation très classique, capitalisant sur ce ressenti un peu old school. Si l'introduction new yorkaise est expédiée sans chercher à rendre particulièrement crédibles des passages comme la fusillade déterminante du bar, l'arrivée en Norvège permet ensuite à la série de trouver progressivement son style. Tout en restant très simple et sobre, la caméra n'en sait pas moins mettre en valeur le décor enneigé qui sert de cadre à la fiction, offrant un dépaysement garanti au téléspectateur.

Enfin, Lilyhammer rassemble un casting qui sonne très authentique, puisqu'entièrement norvégien à l'exception de l'acteur principal, une tête bien identifiable pour tout sériephile, puisqu'associé à jamais aux séries mafieuses, Steven Van Zandt (The Sopranos), qui est évidemment parfaitement taillé pour ce rôle (et, je l'avoue, sa présence n'a pas été sans éveiller en moi quelque nostalgie). A ses côtés, pour ma première (!) incursion en terres téléphagiques norvégiennes, nous croisons Trond Fausa Aurvåg, Marian Saastad Ottesen, Steinar Sagen, Fridtjov Såheim, Sven Nordin, Anne Krigsvoll, Mikael Aksnes-Pehrson, Kyrre Hellum, Tommy Karlsen Sandum, Greg Canestrari ou encore Tim Ahern.

lilyhammeri.jpg

Bilan : Comédie sombre au parfum scandinave aussi dépaysant que rafraîchissant (dans tous les sens du terme), Lilyhammer propose un pilote de facture très classique, mais qui n'en est pas moins sympathique. Les dynamiques du clash culturel mis en scène fonctionnent, et, sans révolutionner ce terrain familier, on y retrouve toutes les recettes qui ont su faire leur preuve. Pour huit épisodes, on a donc envie de découvrir comment la série va grandir ! 


NOTE : 6,5/10


Une bande-annonce de la série :  

12/02/2012

(Pilote SE) Äkta Människor : une intéressante série de science-fiction sur le thème des robots

pilote-akta-manniskor-interessante-serie-scie-L-KTsXhT.jpeg

Mon exploration téléphagique en territoire scandinave se poursuit, avec encore une fois son lot de belles découvertes ! C'est ainsi que My Télé is Rich! s'ouvre officiellement aujourd'hui à un nouveau pays d'Europe du Nord : la Suède. Et ce n'est même pas pour ces fameux polars sombres qui font la renommée de ces contrées qu'elle est à l'honneur, mais pour une série actuellement en cours de diffusion d'un genre que l'on ne se serait pas forcément attendu à croiser dans son petit écran : de la science-fiction ! Un grand merci à Ladyteruki pour ses conseils avisés !

Äkta Människor (Real Humans) est une série qui a débuté sur la chaîne suédoise SVT1 le 22 janvier 2012. Écrite par Lars Lundström, et réalisé par Harald Hamrell et Levan Akin, sa première saison comptera 10 épisodes, d'une durée d'1 heure chacun environ. Nous rappelant que le thème des robots reste un classique indémodable et plein de potentiel, c'est une revisitation nordique de ce sujet qui nous est ici proposée. Dotée d'un univers travaillé, la série se révèle vraiment intéressante. Après avoir visionné quasiment d'une traite les trois premiers épisodes, j'attends impatiemment la suite !

pilote-akta-manniskor-interessante-serie-scie-L-FiQmok.jpeg

Äkta Människor se déroule dans une Suède située dans un monde parallèle, ou dans un futur proche, où sont désormais commercialisés à grande échelle des robots humanoïdes, appelés Hubots. Ces derniers se sont petit à petit imposés comme les substituts parfaits pour les tâches les plus diverses, allant de la gestion du quotidien ménager et culinaire de la maison familiale, jusqu'aux activités professionnelles pénibles/répétitives ou nécessitant une rigueur où la faillibilité humaine est parfois prise en défaut. Théoriquement, les hubots permettent donc de dégager du temps libre ou d'assister efficacement leurs propriétaires.

Cependant, leurs programmes devenant de plus en plus performants et évolutifs, leur utilisation soulève désormais de nouvelles problématiques et des questionnements qui divisent la population. Tandis que certains humains s'attachent à leur hubot plus que de raison, d'autres prennent peur en les voyant s'immiscer dans le quotidien et remplacer les humains du travail jusque dans leurs relations sociales. De plus, si les hubots sont juridiquement considérés comme des choses et peuvent être exploités sans la moindre considération, en simple outil fonctionnel dont il faut profiter, il y en a parmi eux qui s'affranchissent des limites de leur programmation pour revendiquer des droits. Quelle place donner aux hubots ? En filigrane, la question située en arrière-plan est tout simplement : qu'est-ce qui peut définir notre appartenance à l'humanité ?

pilote-akta-manniskor-interessante-serie-scie-L-HwpBV5.jpeg

Les débuts d'Äkta Människor posent les bases d'une série très riche qui entend pleinement s'approprier son sujet. Exploitant son format télévisuel, elle adopte une narration feuilletonnante. Après une entrée en matière très sombre - digne d'un polar nordique, pourrait-on dire -, qui pose immédiatement les enjeux des rapports entre humains et hubots, la série prend ensuite le temps d'installer son univers. Le rythme est volontairement lent, mais la densité du récit compense les quelques petites longueurs. Car c'est une immersion aussi sobre qu'appliquée qui nous entraîne dans une Suède oscillant entre dépendance et rejet pour ses robots. Un soin particulier est accordé à la mise en scène et au moindre détail du quotidien : le décor très travaillé, comme l'illustre notamment un passage dans un magasin vendant les hubots ou encore la nécessité quotidienne qu'ont ces derniers de se recharger, nourrit la fascination du téléspectateur et apporte une réelle crédibilité au traitement du sujet.

Cette impression d'authenticité du cadre de science-fiction est renforcée par le fait qu'Äkta Människor soit une fiction chorale. Introduisant toute une galerie de protagonistes représentatifs des différentes situations personnelles auxquelles la commercialisation des hubots peut donner lieu, la série développe donc des storylines séparées, liées entre elles de telle façon qu'elles ont vocation à terme à s'entrelacer ; mais seul le téléspectateur, avec sa vision d'ensemble, en a conscience pour le moment. Cette approche, ambitieuse, permet de nous imprégner d'une atmosphère et surtout d'offrir une photographie générale de la société suédoise, des tensions qui la parcourent et des débats qui l'animent. Sans précipitation, ni surenchère, mais avec une maîtrise narrative qui permet de savoir dans quelle direction la série s'oriente, Äkta Människor laisse le téléspectateur comprendre et se familiariser avec son univers, tout en posant de solides fondations pour les développements à venir. 

pilote-akta-manniskor-interessante-serie-scie-L-dOViPK.jpeg

Bien sûr, les robots humanoïdes sont un sujet maintes fois traité, qui reste un grand classique de la science-fiction. Äkta Människor ne prétend pas renouveler ou révolutionner ce genre bien connu. Mais la série a le grand mérite d'en prendre rapidement la pleine mesure, entreprenant d'explorer toutes les facettes de cette thématique. Le questionnement central reste logiquement celui de la place et de la nature des hubots au sein d'une société quasi-schizophrène qui, tour à tour, les réifie - les séances de configuration après achat, l'entrepôt où les vieux modèles sont détruits, ou encore ces lieux underground de prostitution - ou les personnifie - la femme qui trouve dans son hubot le compagnon parfait et en quitte son mari. Éclairant bien les paradoxes, les malaises et les contradictions suscitées, la série propose un vaste kaléidoscope des différentes réactions, prenant soin aussi d'expliquer les motivations de chacun.

pilote-akta-manniskor-interessante-serie-scie-L-EsAZDv.jpeg

Dès le pilote - confirmé et précisé dans les deux épisodes suivants -, Äkta Människor embrasse ainsi tous les thèmes légitimement attendus. Nous introduisant dans le quotidien d'une famille-type, on se familiarise à ses côtés à la présence et à l'utilité d'un hubot, comprenant pourquoi ces robots ont pu s'imposer chez la plupart des Suédois. Pour autant, la série n'oublie pas l'autre versant plus négatif de ce choix de société et le ressentiment qui peut en découler. Il y a tous ces métiers où désormais les hubots ont remplacé les humains, provoquant une cohabitation difficile avec ces derniers. Il y a aussi ces hubots qui, en s'adaptant si bien aux besoins de leurs propriétaires, deviennent le centre de leur vie sociale, voire sentimentale : n'est-ce pas nouer une relation "humaine", d'amitié ou d'amour, que de se lier ainsi à son hubot ?

Mais la confiance aveugle dans ces robots doit en plus être nuancée. Non seulement certains programmes se montrent très envahissants, faisant preuve d'une ingérence potentiellement dangereuse au nom du bien de leur maître. Mais il y a aussi, à mesure que les robots se perfectionnent et tendent de plus en plus vers des réactions humaines, une volonté d'autonomie qui risque de finir par transparaître. Pour le moment, la réglementation très stricte des hubots et leur programmation posent des limites à cette aspiration, mais un petit groupe indépendant a déjà brisé ce premier carcan. S'autosuffisant et ambitionnant de se libérer des humains, ils vivent à l'écart. Or les positions, dans chaque camp, se radicalisent progressivement...

pilote-akta-manniskor-interessante-serie-scie-L-yqqYNb.jpeg

Le soin apporté au scénario en général se retrouve dans les qualités formelles de la série. La réalisation est solide, avec une belle photographie, contribuant grandement à l'atmosphère générale de la série. Pour nous donner vie à ce monde si proche mais qui, en même temps, n'est pas vraiment notre présent, Äkta Människor recourt fréquemment à une image saturée de lumière, extrêmement claire. La mise en scène conserve toujours une sobriété jamais remise en cause, jusqu'à la bande-son qui reste en arrière-plan, utilisée avec parcimonie et intervenant peu dans des images qui se suffisent presque par elles-mêmes.

Enfin, le casting s'impose naturellement à l'écran, bénéficiant de l'approche chorale choisie par la série. Même si ce n'est pas ma première incursion en Suède (les précédents essais n'avaient cependant pas été aussi concluants), Äkta Människor ne comporte que des nouvelles têtes pour moi. Pour interpréter les membres de la famille Engman, on retrouve Pia Halvorsen, Johan Paulsen, Natalie Minnevik, Kare Hedebrant et Aline Palmstierna. Lisette Pagler joue leur nouveau hubot, issue du marché noir sans qu'ils le sachent. Du côté de la faction dissidente, Andreas Wilson marche sur les pas de son père et du projet qu'il nourrissait pour les hubots, mais est prêt à tout pour retrouver Mimi/Anita, tandis qu'Eva Röse est l'inquiétante hubot qui mène le groupe. Enfin, Leif Andrée va être celui que les circonstances vont entraîner vers Äkta Människor (les "vrais gens") et le camp des opposants aux hubots.  

pilote-akta-manniskor-interessante-serie-scie-L-yrxTQy.jpeg

Bilan : Exploitant pleinement et efficacement sa thématique robotique, Äkta Människor est une très intéressante série de science-fiction. Dotée d'une narration feuilletonnante, prenant son temps pour poser les bases de son univers, il s'agit d'une fiction chorale qui, sans révolutionner son genre, cerne bien ses enjeux et les atouts dont il dispose. Le soin apporté à la mise en scène et la précision avec laquelle nous est dépeint un véritable tableau social confèrent une assise dramatique très crédible au récit. Ces trois premiers épisodes laissent donc entrevoir un réel potentiel. La densité de l'histoire m'a beaucoup plu ; vivement la suite !

Äkta Människor est une série à découvrir pour un large public, allant des amateurs de science-fiction à tous ceux qui apprécient de solides dramas, avec un twist particulier apportant un réel plus.


NOTE : 8/10


Une bande-annonce longue (sous-titrée anglais) de la série :


Une publicité pour Hubot (qui en veut un ?) :

10/02/2012

(Pilote DAN) Lulu & Leon : une mère de famille se lance dans le crime

lululeons1.jpg

Depuis l'année dernière, je me suis découvert un intérêt aussi inattendu que non démenti pour les fictions en provenance des territoires scandinaves. Et si j'ai bon espoir de pouvoir vous parler prochainement d'une série du pays d'Ikea, en attendant, poursuivons notre exploration du petit écran du moment, celui du Danemark. Il faut dire que, hier soir, ça parlait danois jusque sur Arte pour les débuts remarqués d'une des séries phares de DR, Borgen (pour les retardataires, il est toujours temps de rattraper (pendant 7 jours) les deux premiers épisodes).

Si DR est incontestablement celle qui dispose du plus de moyens au Danemark, les autres chaînes s'essaient également aux fictions. Et le résultat est parfois fort sympathique, comme semblent le montrer les débuts de Lulu & Leon (Lulu og Leon). Cette série a été diffusée sur TV3 de 2009 à 2010 (les audiences n'ont cependant pas été au rendez-vous). Elle a duré deux saisons, pour un total de 24 épisodes d'une quarantaine de minutes chacun. Si c'est de son pilote dont je vais vous parler aujourd'hui, c'est que la série sera prochainement diffusée en France, sur Eurochannel (disponible via les bouquets SFR, chaîne numéro 89), à partir du dimanche 26 février 2012, en prime-time à 21 heures.

lululeonb.jpg

Lulu & Leon nous raconte l'histoire d'une mère de famille qui se retrouve entraînée par les circonstances dans le milieu du crime organisé. Elle va devoir apprendre à s'y débrouiller pour continuer à vivre. Pourtant, Lulu avait un quotidien en apparence bien rangé. Habitant en banlieue résidentielle et tenant un salon de coiffure, elle vit avec Leon, officiellement gérant d'un lavomatic, et élève ses deux enfants (l'aînée étant issue d'un précédent mariage). Jusqu'à présent, tout en aimant profondément son compagnon, elle avait posé une condition avant d'accepter de se laisser passer la bague au doigt : que Leon, avec son passé criminel qu'elle n'ignore pas, soit en mesure d'éviter les ennuis vis-à-vis de la police pendant cinq années d'affilée. La série débute le jour où ce challenge est justement réussi et rempli, c'est donc de mariage dont il va être question dans ce premier épisode.

Il faut dire que Leon a déjà tout prévu pour organiser la cérémonie, et cette journée démarre de la plus heureuse des façons pour Lulu. Seulement, au cours de la fête qui suit le passage à la mairie, deux inspecteurs de police débarquent : ils arrêtent Leon et embarquent même Lulu au commissariat dans sa robe de noces. Voyant tous leurs comptes en banque gelés (puisque désormais mariés, elle n'a plus de patrimoine propre), sans argent mis de côté pour parer à ce genre d'urgence, Leon ne peut transmettre à Lulu qu'une chose : l'appareil qui lui sert à faire des casses d'entrepôt en craquant les codes d'entrée... Or il a aussi des dettes qu'il va falloir rembourser...

C'est le début, pour la jeune femme, de la découverte d'un autre milieu, où elle va devoir faire preuve de ses capacités d'adaptation, tout restant une mère de famille présente pour ses deux enfants. 

lululeonf.jpg

Si ce pilote se suit avec plaisir et sans voir le temps passer, c'est tout d'abord parce que Lulu & Leon se révèle être une fiction très rafraîchissante. On y trouve une spontanéité et une sobriété d'écriture qui insufflent un dynamisme communicatif à l'ensemble. A défaut de situations mises en scène particulièrement originales, les dialogues ne manquent pas de réparties. Rythmé et sans temps mort, l'épisode navigue à la lisière du drama et de la comédie, trouvant rapidement ses marques dans cet "entre-deux". L'approche orientée dramédie permet ainsi de traiter avec une tonalité jamais pesante et plutôt légère de thèmes sérieux - la vie d'une famille qui bascule avec l'arrestation du mari, les confrontations avec la police, etc. -, sans avoir à les esquiver ou que ces derniers perdent en tension ou en enjeu.

De plus, le pilote de Lulu & Leon sait éveiller la sympathie du téléspectateur. On s'attache en effet facilement à ses personnages. Tout en distillant quelques pointes de mystère (comme les motivations d'un des deux policiers qui semble essayer d'entraver l'enquête), la série opte dans l'ensemble pour une simplicité d'approche assumée, avec une caractérisation rapide de chacun, qui se révèle au final payante. Il faut dire que Lulu est un personnage principal solide, laissant entrevoir du potentiel. Si elle passe de la belle surprise d'une demande en mariage au saut du lit, à la descente de police qui soudain gèle sa vie, mais aussi ses affaires, elle a trop de caractère pour rester passive dans cette situation. L'escapade champêtre de fin d'épisode, pour récupérer ce qui est dû à son mari, est là pour nous prouver le pragmatisme, mais aussi tout l'aplomb de cette mère de famille qui fait preuve d'un sang froid admirable face à la police. Cela donne donc envie de l'accompagner sur ce chemin vers le monde du crime.

lululeonh.jpg

C'est sans doute sur la forme que le contraste de moyens entre DR et TV3 se ressent le plus fortement, mais la réalisation reste très correcte, tout comme la qualité d'image, la photographie gardant une dominante plutôt froide. Par ailleurs, la bande-son apparaît sympathique, sans trop en faire. J'ai bien aimé l'intégration à plusieurs reprises de chansons rythmées : cela permet à moindre coût de donner de l'énergie au récit, et cela correspond bien à ce mélange des tons où les passages plus dramatiques gardent toujours une certaine légèreté.

Enfin Lulu & Leon dispose d'un casting au sein duquel Lene Maria Christensen (Deroute) s'impose comme la solide tête d'affiche, retranscrivant bien la dualité de Lulu. Derrière une apparence très ordinaire et douce, on devine dès le pilote qu'elle est capable de se révéler dans l'adversité pour prendre les choses en main. A ses côtés, Lars Brygmann (Forsvar, Borgen, Lykke) interprète son mari, désormais derrière les barreaux. On croise également Nicole Johansen, Jacob Ottensten, Lars Kaalund, Jacob Randrup ou encore Henning Valin Jakobsen (Pagten, Broen/Bron).

lululeoni.jpg

Bilan : Fort d'un concept intéressant mêlant familial et fiction de gangster, le pilote de Lulu & Leon se révèle à la fois rafraîchissant et sympathique. On s'attache aux protagonistes de cette dramédie rythmée, au premier rang desquels figure une Lulu qui a tout pour être un personnage fort, ne manquant pas de potentiel. S'il faudra voir concrètement comment sera traité le glissement vers le milieu du crime annoncé par le pitch, la série semble cependant avoir les cartes en main pour proposer un divertissement plaisant à suivre sur une famille assez atypique.


NOTE : 6,75/10


La bande-annonce de la série :

05/02/2012

(DAN) Forestillinger (Performances) : la vie est une vaste représentation théâtrale où l'on joue tous un rôle


 performances.jpg

Cela faisait quelques mois que le Danemark ne s'était plus invité sur My Télé is Rich!. Non que j'avais délaissé le petit écran scandinave, ayant par exemple dévoré fin décembre la saison 2 de Borgen (à ce sujet, petit rappel : la saison 1 démarre ce jeudi, en prime-time en plus, sur Arte ; c'est l'occasion d'être curieux !), mais je n'étais plus partie à la découverte de nouveaux horizons. Or, suite au visionnage du pilote de Smash, j'avais envie de retrouver les coulisses d'une création artistique. Se programmer une intégrale de Slings & Arrows était évidemment tentant (même si peu raisonnable), mais je me suis rappelée que j'avais une autre série, danoise cette fois-ci, s'intéressant également au théâtre, qui m'attendait depuis quelques temps.

Forestillinger (Performances en version anglaise) est une série, composée de 6 épisodes d'1 heure chacun, diffusée par la chaîne publique danoise DR1 au printemps 2007. Ecrite par Lars Kjeldgaard, il s'agit de la première série télévisée du réalisateur Per Fly, avec lequel sont peut-être familiers ceux qui, parmi vous, s'intéressent au cinéma danois, notamment pour sa trilogie The Bench (2000), The Inheritance (2003) et Manslaughter (2005). Plus qu'une série sur les coulisses d'une représentation, Forestillinger est une véritable expérience narrative, assez fascinante, explorant sans artifice les relations humaines. Son visionnage aura été très intéressant.

forestillingero.jpg

Forestillinger s'intéresse aux coulisses de la préparation d'une adaptation de Venus et Adonis, de William Shakespeare, écrite par Marko, un directeur qui a révolutionné le théâtre danois dans les années 90. Même si tout le monde ne le sait pas encore, il s'agira de la dernière production du Théâtre Sortedam. Le récit couvre une période de six semaines qui s'ouvre avec le début des répétitions de la pièce, pour se conclure dans les applaudissements du public le soir de la première représentation.

L'originalité de Forestillinger tient à la construction narrative très particulière qu'elle adopte. En effet, chaque épisode couvre l'intégralité de ces six semaines, et la série va faire le choix de nous raconter cette période six fois, à travers les yeux d'un personnage différent à chaque fois. Six points de vue pour une même histoire en quelque sorte. Mais chacun des protagoniste apparaît à un croisement de sa vie, à l'heure de devoir assumer les conséquences de choix passés ou de prendre des décisions importantes pour le futur. Plus qu'une simple représentation théâtrale, le travail de mise en scène de ce poème shakespearien va se révéler être un véritable chemin introspectif, souvent douloureux, mais probablement nécessaire pour chacun d'entre eux.

forestillingerb.jpg

Forestillinger est tout d'abord une véritable expérience narrative qui interpelle et interroge le téléspectateur sur son rapport à la réalité. Troublante et fascinante, elle souligne l'extrême subjectivité inhérente aux perceptions humaines. A priori, faire le choix de raconter une même période de temps, en empruntant six points de vue différents, aurait pu faire craindre un risque de répétition un peu lassante ; il n'en est rien. Car la première réussite de la série réside justement dans sa faculté à exploiter pleinement son intriguant concept de départ. Chaque heure éclaire un personnage dont on adopte la perspective, c'est-à-dire le ressenti, mais aussi la façon d'analyser et de comprendre tout ce qui l'entoure. Pour y parvenir, les scénaristes se livrent alors à un véritable exercice d'écriture et de réécriture permanente d'une même période.

Chaque épisode opère une sélection des passages considérés comme importants pour le protagoniste concerné, apportant son lot de scènes inédites. Mais ce sont surtout les moments partagés à plusieurs qui retiennent l'attention : un même passage verra ses dialogues édités et pourra ainsi être relaté de manière complètement différente d'un personnage à l'autre. Le scénariste nous place véritablement dans leur tête, et la caméra nous montre, à travers leurs yeux, le déroulement des évènements. La façon dont un même échange peut sembler très dissemblable d'un épisode à l'autre, ou le fait que certains éléments sont occultés ou mis en lumière de manière exacerbée suivant le personnage, offre un storytelling mouvant qu'il est fascinant de voir se construire et se déconstruire, sans que l'on sache qu'elle est la version de l'histoire la plus proche de la réalité. A mesure que les pièces de ce vaste puzzle humain se mettent en place, la série devient une réflexion très intéressante sur notre façon d'appréhender ce qui nous entoure, tout en permettant une compréhension rare de ses protagonistes.

forestillingers.jpg

En effet, le second atout de Forestillinger tient à l'empathie que chaque personnage est capable de susciter. Tout en abordant des thématiques relationnelles relativement classiques, qu'il s'agisse d'amour, d'amitié ou des rapports parents/enfant, la série réussit à nous impliquer dans le sort de chacun. D'une finesse et d'une justesse psychologiques à saluer, elle place la compréhension de ses "sujets" au centre de son récit, s'efforçant de capturer l'essence de toutes ces personnalités très différentes. Pour cela, elle n'hésite pas à utiliser des parenthèses au cours desquelles les personnages se livrent directement face à la caméra. Ils donnent alors spontanément dans ce confessionnal improvisé leurs impressions sur ce qui vient de se passer, avec souvent une franchise rare. C'est sur ces bases solides que la série va pouvoir explorer les passions, les failles et les forces qui rythment les parcours de chacun. Si tous les épisodes ne se valent pas en intensité - le cinquième étant peut-être le plus faible -, ils trouvent tous une résonnance particulière auprès d'un téléspectateur qui ne reste jamais insensible.

Il faut dire que les six semaines choisies sont une période déterminante où chaque personnage se trouve à un carrefour. Ils voient leurs certitudes être remises en cause et vont finalement se découvrir eux-mêmes dans des circonstances personnelles et professionnelles peu plaisantes. Forestillinger acquiert ici une autre dimension. La série n'est pas une simple fiction sur les coulisses d'une production. Les lignes de démarcation entre la préparation de la représentation théâtrale et la vie de chacun des personnages se troublent peu à peu et finissent parfois par disparaître complètement. Pour les trois acteurs principaux de la pièce, ainsi que pour Marko, cette dernière devient un moyen d'exprimer leurs sentiments, et d'extérioriser les conflits et les émotions qui les déchirent. Paradoxalement, tandis que le théâtre apparaît comme une véritable métaphore de la vie, au fil des épisodes, la vie s'apparente elle de plus en plus à une vaste représentation où chacun joue et se voit attribuer un rôle.  

forestillingerx.jpg

Sur un plan formel, la maîtrise dont fait preuve Forestillinger contribue grandement à la réussite de la série. La réalisation est d'une sobriété travaillée, chaque plan semble étudié, alternant cadre serré ou large suivant l'impression de proximité que le réalisateur veut donner à la scène. La photographie est soignée, avec une dominante de couleurs froides qui correspond parfaitement à la tonalité avant tout dramatique de l'histoire. De plus, la série bénéficie également d'une bande-son originale superbe : entre accompagnement minimaliste au piano et passages plus dynamiques, la musique est un élément à part entière de la narration. Sur bien des points, l'influence de Per Fly est perceptible, et le petit écran fait sien une mise en scène très cinématographique.

Enfin, Forestillinger doit également beaucoup à son casting, homogène, qui délivre un ensemble de prestations authentiques et troublantes à la hauteur de la subtilité et des ambivalences du scénario. Si Mark, interprété par Dejan Cukic (Nikolaj og Julie, Borgia), reste le pivôt central et le dénominateur commun de tous les récits, chaque acteur a droit à un épisode dans lequel il peut s'affirmer et s'imposer. Et tous sont capables de proposer des performances où l'émotion surgit à fleur de peau, à mesure que leur personnage se décompose sous l'oeil de la caméra. Par ordre d'épisode leur étant consacré - le dernier étant logiquement celui de Marko -, on retrouve Mads Wille, Sonja Richter (Forsvar), Sara Hjort Ditlevsen, Pernilla August et Jesper Christensen (Kroniken, Revelations).

forestillingern.jpg

Bilan : Disposant d'un casting convaincant et bénéficiant d'une réalisation impeccable, la grande originalité de Forestillinger tient à l'expérience narrative assez fascinante qu'elle fait vivre au téléspectateur. Pour exploiter pleinement ce concept d'une même période racontée suivant six points de vue différents, la pièce de théâtre est le cadre parfait. Quoi de mieux qu'une représentation artistique pour s'interroger sur notre perception fluctuante et subjective de la réalité, et plus généralement sur les rôles que la vie nous fait tous jouer consciemment ou inconsciemment ? De plus, en s'intéressant aux fondements des relations humaines, la série sait également jouer efficacement sur la carte du drama et de l'émotionnel.

Le résultat reste particulier (ce qui en soit est déjà un point positif), et Forestillinger peut sans doute dérouter plus d'un téléspectateur. Mais c'est une série qui mérite assurément le coup d'oeil pour son parti pris narratif. A découvrir ! 


NOTE : 8,5/10


Un aperçu de la série :