21/08/2011
(ISL) Næturvaktin (The Night Shift) : une ambiance désillusionnée à la fois drôle et touchante
Après l'expérience concluante qu'a été Pressa, en ce week-end caniculaire, je tente une parade (un peu vaine, certes) en vous proposant un nouveau voyage en Islande. Il faut dire que l'ambiance de la série dont je vais vous parler aujourd'hui a de quoi refroidir, et pas seulement en raison de la neige, des gros anoraks et du fait qu'elle se déroule intégralement de nuit. Si Næturvaktin a indéniablement intégré les codes narratifs du mockumentary moderne, la série ne se réduit pas à ce genre. Elle n'est ni complètement une comédie, ni totalement une série dramatique. Alternant les tons, les mêlant parfois d'une étonnante manière, elle apparaît aussi atypique qu'inclassable ; sauf qu'une chose est sûre, elle retient bel et bien l'attention d'un téléspectateur dont elle s'assure la fidélité.
Diffusée sur la chaîne Stöð 2 fin 2007, Næturvaktin (en anglais The Night Shift) est la première saison d'une trilogie. Elle comporte 12 épisodes d'environ 25 minutes chacun. Succès public et critique, elle a notamment remporté l'Edda Award de la meilleure série. Elle est suivie par une deuxième saison, rassemblant les mêmes protagonistes mais changeant le cadre, qui s'intitule Dagvaktin (The Day Shift), et par une troisième, Fangavaktin (The Prison Shift). Enfin, un film, Bjarnfreðarson, a conclu l'ensemble en décembre 2009 en Islande. Côté international, précisons que Næturvaktin a été diffusée ce printemps sur BBC4 en Angleterre.
Næturvaktin raconte le quotidien de l'équipe de nuit d'une station service à Reykjavik. Georg Bjarnfreðarson en est le superviseur. Multi-diplômé, marxiste sur les bords, il règne semblable à un dictateur sur ses collègues (cf. l'affiche de promo du début), avec un constant besoin d'affirmer son autorité, voire sa supériorité. Il nourrit aussi une fascination pour la Suède. Divorcé, il doit cependant également garder son fils certaines nuits à la station service. Sous ses ordres, Ólafur Ragnar est le plus ancien employé du trio ; il est très souvent le bouc-émissaire de Georg. S'il n'est ni le plus assidu, ni le plus intelligent, il reste quelqu'un de terre à terre, ayant tendance à se laisser embarquer dans des plans qui se terminent mal. Enfin, Daniel Sævarsson vient tout juste d'être embauché : ancien étudiant en médecine qui a tout laissé tomber, il déprime et se cherche sans trop savoir quoi faire.
Ce sont les intéractions au sein de ce trio que la série va mettre en scène. Si leur routine est à l'occasion perturbée par des clients ou évènements inattendus, c'est très souvent au sein même du groupe que se cristallise les tensions. Des débats sur la gestion de la clientèle aux entraînements de survie pour savoir comment accueillir un éventuel braqueur, en passant par les "amendes" arbitrairement imposées pour retard, ou encore par l'obsession suédoise de Georg qui veut organiser un voyage là-bas, les nuits ne manquent généralement pas d'animation. Les problème naissent le plus souvent en raison de l'autoritarisme exacerbé de Georg, mais aussi parfois des erreurs d'appréciation d'Ólafur, enfin plus rarement à cause de la famille de Daniel qui s'inquiète de son avenir.
Næturvaktin est une série à la tonalité atypique. Si elle a été écrite par ses scénaristes comme un drame, le versant comédie n'est pourtant jamais loin et prend même parfois le dessus. Elle entreprend de nous narrer un quotidien excessivement sobre, presque trop normal pour pouvoir être l'objet d'une fiction. On ne retrouve pas chez elle de succession de sketchs, d'excès burlesque, et encore moins de tentative d'humour volontaire. Si les mockumentary des années 2000, The Office en tête (avec sa figure de patron despotique cherchant aussi maladroitement à bien faire), sont à l'évidence passés par là, l'ambiance de Næturvaktin est beaucoup plus sombre que celle que l'on retrouve habituellement dans ces comédies. A travers ces trois protagonistes, la série développe une dimension humaine et sociale qui apparaît profondément désillusionnée. Elle se révèle aussi des plus psychologiques dans sa façon de mettre en scène les rêves, les aspirations, mais aussi les insécurités de ses personnages, suivant une logique et une cohérence très intéressantes.
Bénéficiant d'une écriture aussi corrosive qu'abrasive, c'est une série dont la dynamique repose principalement sur les échanges au sein de son trio principal. Ne manquant ni d'un certain sens de la répartie, ni d'inspiration pour proposer des chutes désabusées qui feront plus d'une fois sourire, Næturvaktin s'avère prenante pour un téléspectateur de plus en plus conquis et qui s'attache vraiment au fur et à mesure que progresse la saison. Si la série marque et se détache, elle le doit au paradoxe qu'elle cultive si bien, sachant se montrer à la fois touchante, drôle, bouleversante, dans une même scène. Cette étonnante confusion de tonalités normalement opposées et exclusives l'une de l'autre est un exercice narratif périlleux, mais la série trouve instinctivement et naturellement le juste équilibre. Næturvaktin a ainsi cette faculté très particulière de proposer des passages qui non seulement prêtent à sourire, mais qui laissent aussi le téléspectateur le coeur serré, avec un arrière-goût chargé d'amertume dans la bouche.
Sur la forme, Næturvaktin bénéficie d'une réalisation logiquemen sobre. Le cadre est restreint (la station service et ses abords), mais la série se prête bien à cette sorte de semi-huis clos où chacun se regarde dans le blanc des yeux et, occasionnellement, en vient à se dire ses quatre vérités. Quant à la bande-son, elle reflète parfaitement l'ambivalence de la série, à la fois un cri un peu désespéré, mais aussi une volonté de continuer d'aller de l'avant. Deux chansons "rock" sont utilisées à ces fins. Il y a tout d'abord celle du générique, intitulée Kyrrlátt kvöld ("Tranquil Evening") est signée par le groupe Utangarðsmenn. La seconde sert de générique de fin, mais résonne aussi parfois en cours d'épisode ; il s'agit de Jón pönkari ("John the Punk") par Bubbi Morthens.
Enfin, Næturvaktin bénéficie d'un casting tout simplement parfait pour incarner ces différents protagonistes, un peu brisé chacun à leur manière. Georg, avec ses excès d'autorisation et son besoin de tout contrôler en permanence, est joué par Jón Gnarr, qui fait vraiment sien ce personnage excentrique, souvent détestable, parfois pitoyable. Olafur est interprété avec une sobriété à saluer par Pétur Jóhann Sigfússon. Et c'est Jörundur Ragnarsson qui joue Daniel, sachant très bien retranscrire le côté désabusé et les crises existentielles du jeune homme. Dans les personnages secondaires récurents, Sara Margrét Nordhal Michaelsdóttir est la vendeuse du stand d'à côté, elle-aussi ouverte toute la nuit. Enfin, le fils de Georg est incarné par Arnar Freyr Karlsson.
Bilan : Entre comédie et drame, Næturvaktin est une série toujours prenante, parfois vraiment drôle, souvent assez touchante, dont l'écriture se révèle vraiment juste. Si son atmosphère, désillusionnée, surprend par sa noirceur, elle permet aussi d'offrir un éclairage très humain sur ses protagonistes et leurs relations. En raison de cette tonalité entre-deux, elle reste une série difficile à catégoriser, une forme de cri désespéré qui sait nous faire rire. Un paradoxe à elle toute seule, mais un paradoxe admirablement bien équilibré et écrit. A découvrir !
NOTE : 8,25/10
La bande-annonce :
La chanson utilisée dans le générique :
11:17 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : islande, næturvaktin, naeturvaktin, stöð 2, the night shift, jon gnarr, jorundur ragnarsson, pétur johann sigfusson, sara margrét nordhal michaelsdottir, arnar freyr karlsson | Facebook |
19/08/2011
(DAN) Forbrydelsen (The Killing), saison 2 : un suspense toujours aussi prenant
Le Danemark, c'est un pays de plus de 5 millions d'habitants qui a actuellement en production deux très bonnes séries : Borgen et Forbrydelsen. Avec sa première saison, cette dernière s'était imposée comme un des plus efficaces polars feuilletonnants du petit écran de ces dernières années. Par conséquent, forcément, la saison 2 était attendue au tournant avec un mélange d'excitation mêlée d'inquiétude : comment allait-elle se renouveler et repartir sur une nouvelle intrigue, à la fois fidèle à sa recette originelle mais en sachant aussi se réinventer ? Plus d'une fiction s'est brûlée les ailes lorsqu'il a fallu continuer au-delà de son premier grand arc narratif...
Mais c'est avec beaucoup de maîtrise que cette saison 2 de Forbrydelsen va déjouer toutes les craintes éventuelles. Sarah Lund est toujours fidèle à ses pulls, et le téléspectateur se prend pareillement au jeu du suspense. Composée cette fois-ci de dix épisodes, contre vingt épisodes pour sa première, la deuxième saison du polar danois du moment, diffusée à l'automne 2010 sur DR1, se révèle toute aussi haletante et prenante, sachant parfaitement rebondir après la résolution de l'affaire Nanna Birk Larsen. Si la première partie de la saison 1 sort en DVD ce 23 août en France, la saison 2 arrivera sur Arte, dès le 6 septembre prochain. En un mot, soyez au rendez-vous ! Quant à la saison 3, son tournage vient tout juste de débuter et elle devrait être diffusée à l'automne 2012 au Danemark.
[A noter : La review est garantie sans spoiler sur la résolution de l'intrigue.]
La saison 2 de Forbrydelsen débute deux ans après les évènements de la saison 1. Une avocate est retrouvée brutalement assassinée, son cadavre abandonné dans un mémorial militaire ; une mise en scène macabre qui pourrait trouver sa cause dans un éventuel mobile politique derrière ce meurtre. Si son ex-époux est suspecté, trop d'inconnues pour une enquête très sensible décident Lennart Brix, toujours en charge de la division criminelle à Copenhague, à contacter Sarah Lund, désormais exilée loin de la capitale, en raison de ce qu'il s'est passé il y a deux ans. Elle se laisse convaincre de venir jeter un oeil au dossier, pour offrir son expertise intuitive et un regard extérieur sur les faits.
Quelques jours après le meurtre de l'avocate, le ministre de la Justice est victime d'une crise cardiaque, le laissant hospitalisé, inconscient. Or une loi très importante, sur des mesures de lutte et de prévention contre le terrorisme au Danemark, est en négociation entre les différents partis et doit être incessamment sous peu votée. Le Premier Ministre nomme donc rapidement un successeur, son choix s'arrêtant sur Thomas Buch, politicien pragmatique et ambitieux pour qui c'est une promotion conséquente.
Mais le meurtre de l'avocate prend un tour politique des plus glissants lorsque l'hypothèse selon laquelle elle a été ciblée par des intégristes islamistes, en raison de son travail pour l'armée en Afghanistan, semble se confirmer. La police, les services du ministère de la Justice, mais aussi les services de renseignement ainsi que l'armée, vont nous entraîner dans les coulisses du pouvoir et de la guerre en Afghanistan, pour tenter de démêler les fils d'une intrigue bien complexe... D'autant que le prédécesseur de Buch en connaissait sans doute plus sur cette affaire qu'il ne l'avait laissé entendre.
La grande réussite de Forbrydelsen 2 va être de reprendre avec la même efficacité les ingrédients qui ont fait la force de la saison 1, tout en sachant parfaitement se renouveler pour proposer quelque chose de nouveau sur le fond. La recette est bien huilée : la dimension feuilletonnante est en effet pleinement exploitée. Elle fait naître chez le téléspectateur ce sentiment un peu grisant que l'on éprouve en se laissant complètement happé et entraîné dans ces longues histoires à suspense qui nous captivent jusqu'à la dernière page... jusqu'à l'ultime rebondissement. Cultivant une tension constante, chaque épisode est habilement construit, se concluant toujours de la manière la plus prenante qui soit, avec une accélération de l'intrigue qui requiert beaucoup de volonté de la part du téléspectateur pour ne pas se précipiter sur l'épisode suivant.
Le fait de ne compter que 10 épisodes, par rapport aux 20 de la saison 1, n'est pas préjudiciable. Non seulement parce que cela permet de maintenir un rythme toujours vif, parfois haletant, qu'aucun temps mort ou scène de transition ne vient perturber, mais aussi parce que la complexité de l'intrigue demeure intacte. Nous sommes face à une histoire à multiples tiroirs, jouant admirablement sur les faux semblants, nous égarant avec application sur des pistes erronées et nourrissant nos soupçons à mesure que les réels enjeux se dévoilent et que le tableau d'ensemble se dessine. Cette quête vers la vérité se bâtit finalement tant sur une ambiance tendue et prenante, que grâce à la solidité du scénario. Si bien que si l'on acquiert bien avant la fin des certitudes quant à la résolution des meurtres, il est impossible de se détacher de Forbrydelsen 2.
Outre cette dimension de thriller à suspense qui reste sa marque de fabrique, Forbrydelsen 2 va adopter un parfum différent par rapport à sa première saison. C'est sans doute à cette capacité de se réinventer que l'on reconnaît une bonne série. La saison 1 avait mis l'accent sur le drame familial, explorant toutes les ramifications du meurtre d'une adolescente - et se plaçant notamment du point de vue des parents. L'enquête touchait à des thèmes classiques, de société, de moeurs, voire de psychologie d'un tueur. Dans la saison 2, Forbrydelsen bascule cette fois dans un thriller au parfum conspirationniste, avec en arrière-plan des enjeux politiques qui dépassent les simples querelles de personne pour prendre l'allure de potentiels scandales d'Etat. Il y a ici moins de place pour l'émotionnel. Les recettes invariables du polar noir sont appliquées à un nouveau cadre : la guerre en Afghanistan, le fondamentalisme religieux, et plus globalement toutes ces craintes qui agitent les démocraties occidentales post-11 septembre.
L'intrigue est très ancrée dans la société danoise de son époque, avec les peurs et les préjugés qui peuvent la traverser, comme en témoigne l'importance prise par la législation de lutte contre le terrorisme en discussion. Car les ramifications de l'enquête se répercutent cette fois dans la sphère politique nationale : jusqu'où peut-on - ou plutôt, doit-on - sacrifier la liberté - d'association, notamment - au nom de la protection de la société ? L'imbrication de toutes les sous-intrigues avec le fil rouge que représente cette suite de meurtres sanglants de militaires - l'avocate n'étant que la première victime - est menée d'une main de maître. Les répercussions des décisions de chacun des protagonistes sur l'avancée générale vers la vérité sont toutes aussi habilement traitées, la série conservant toujours une homogénéité narrative en plus de sa tension. Du côté des personnages, parce qu'elle est la seule que nous connaissons déjà - outre Brix -, Sarah Lund est, encore plus que dans la saison 1, le point de repère du téléspectateur. C'est d'autant plus vrai que les évènements d'il y a deux ans l'ont profondément marquée et placée un peu à part par rapport à ses confrères. De plus, les nouveaux personnages ont moins de consistance que la saison passée, peut-être parce que la durée plus courte ne permet pas de les développer suffisamment, et donc marquent moins.
Sur la forme, Forbrydelsen est fidèle à elle-même. La série privilégie toujours cette atmosphère de polar sombre caractéristique, accentuée par les scènes nocturnes ou le temps pluvieux de Copenhague. La réalisation se calque parfaitement sur cette atmosphère, avec une caméra qui épouse les tensions de chaque scène, qu'il s'agisse de confrontation nécessitant un cadre serré ou pour capturer l'ambiance plus morbide d'une scène de crime par des plans beaucoup plus larges. Le thème musical demeure également inchangé ; et c'est toujours avec un petit frisson que se conclut chaque épisode sur ce rythme musical entraînant, avec la tension intacte qui transparaît de ces quelques notes, semblable à une invitation à immédiatement lancer le suivant.
Enfin, Forbrydelsen bénéficie une nouvelle fois d'un casting d'ensemble convaincant. Ne restent de la première saison que Sofie Gråbøl (Nikolaj og Julie), absolument magistrale pour incarner une Sarah Lund toujours aussi intense, et Morten Suurball qui demeure son supérieur hiérarchique. On retrouve aussi d'autres têtes connues des lecteurs de ce blog, puisque le partenaire de Sarah Lund est incarné par Mikael Birkkjær (qui joue l'époux de Birgitte Nybord dans Borgen). A leurs côtés, tous les acteurs se montrent des plus convaincants dans leurs rôles respectifs, qu'il s'agisse de Nicolas Bro (Hjerteafdelingen), Charlotte Guldberg, Preben Kristensen, Ken Vedsegaard (Maj & Charlie, Krøniken), Stine Prætorius, Flemming Enevold (Edderkoppen), Carsten Bjørnlund (Pagten), Lotte Andersen (Edderkoppen), Kurt Ravn ou encore Jens Jacob Tychsen.
Bilan : Toujours dotée de cette faculté rare pour cultiver un suspense prenant et constant jusqu'au dernier twist de son intrigue, basée sur un scénario à tiroirs admirablement maîtrisé, Forbrydelsen réussit dans cette saison 2 à conserver tous les ingrédients qui font sa force, tout en sachant investir de nouvelles thématiques traitées avec beaucoup d'efficacité. Le téléspectateur se laisse captiver par ce polar addictif, ambitieux par ses ramifications, mais suffisamment sobre pour que le récit demeure très bien maîtrisé.
NOTE : 8,75/10
La bande-annonce de la saison :
07:25 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : danemark, arte, dr1, forbrydelsen, the killing, sofie gråbøl, morten suurball, mikael birkkjaer, nicolas bro, charlotte guldberg, preben kristensen, ken vedsegaard, stine prætorius, flemming enevold, carsten bjørnlund, lotte andersen, kurt ravn, jens jacob tychsen | Facebook |
12/08/2011
(DAN) Borgen, saison 1 : une brillante et passionnante série politique incontournable
"Democracy is the worst form of government except all those other forms that have been tried."
(Winston Churchill)
2011 est une bonne année sériephile. Depuis sept mois, j'ai savouré un certain nombre de bonnes, voire très bonnes, séries. Et puis, ce printemps, j'ai découvert le Danemark, avec Forbrydelsen, Edderkoppen, etc... Il y avait aussi Borgen, qui aiguisait tant ma curiosité. En mai, j'avais adoré le pilote et n'avais qu'une envie : la suite ! La série sera diffusée sur Arte en 2012, mais il m'était impensable de patienter aussi longtemps. J'ai donc acheté le coffret DVD danois de la saison 1, qui contient une piste de sous-titres anglais. Je l'ai reçu la semaine dernière. Et je dois bien avouer que j'ai dévoré Borgen en un laps de temps... assez indécent, même pour la sériephile que je suis. Heureusement une saison 2 a été commandée par DR1.
Nous voilà donc arrivé au moment où je trempe ma plume dans l'encre le plus dithyrambique qui soit et où j'essaye de retranscrire en mots l'enthousiasme qu'a su engendrer cette série, le tout dans une critique d'une longueur raisonnable. Je crains n'avoir pas vraiment rempli l'exigence de brièveté, mais j'espère au moins que ce billet saura laisser entrevoir une partie du bonheur qu'a constitué le visionnage de Borgen. Car voyez-vous, ce n'est pas simplement une très bonne série ; c'est aussi une fiction qui contient tous les ingrédients et toutes les thématiques que je chéris. C'est une solide série politique (et vous savez combien je vénère ce genre quand il est bien fait), mais c'est aussi bien plus que cela : c'est une fiction qui vous fait vous investir émotionnellement dans des personnages auprès desquels on va subir les difficultés et savourer les réussites de la saison.
Borgen nous plonge dans les coulisses de la vie politique danoise, nous invitant non seulement au sommet de l'Etat, mais aussi dans tous les rouages de cette démocratie, en suivant les principaux acteurs qui gravitent dans les cercles du pouvoir de la capitale du pays. La saison 1 s'étend sur une année : elle débute sur des élections législatives remportées par le parti centriste de Birgitte Nyborg. Après des tractations animées, la femme politique accède au poste de Premier Ministre, en prenant la tête d'une coalition rassemblant l'opposition contre la majorté sortante. (Pour un résumé complet du point de départ de la série, avec le récit des évènements du pilote, je vous invite à vous référer à ma critique de ce premier épisode.)
Au cours de cette année, Borgen va nous faire vivre toutes les épreuves politiques et personnelles qui vont jalonner la vie des trois protagonistes principaux qui seront nos points de repère dans ces arcanes du pouvoir. La figure centrale, autour de laquelle chacun gravite, reste Birgitte Nyborg. Elle va peu à peu prendre la mesure du rôle, mais aussi des sacrifices qu'implique son poste. A ses côtés, elle bénéficie du soutien d'un spin-doctor cultivant un cynisme toujours pragmatique, Kasper Juul, mais qui n'a pas son pareil pour vendre une histoire aux médias. Ses liens personnels avec Katrine Fonsmark, journaliste présentratice vedette de la première chaîne du pays, avec qui il a eu une histoire, ont ainsi leur utilité, même si leurs rapports vont souvent être mis à rude épreuve devant les conflits d'intérêts que leurs métiers respectifs peuvent engendrer.
D'une richesse narrative impressionnante (qui vous laisse en fin de saison avec une seule envie : celle de revisionner immédiatement la série), Borgen s'approprie tout d'abord brillamment les codes de la série politique. Ambitieuse, elle entreprend de jouer sur tous les tableaux, de la politique politicienne jusqu'à la réflexion sur certains sujets de fond, dressant au passage un portrait très intéressant du Danemark. Bénéficiant du cadre multipartite de ce régime parlementaire, la série nous immerge dans des coulisses très mouvantes et souvent hostiles. L'épisode traitant de l'accession au poste de Premier Ministre de Birgitte est, dans cette optique, absolument fascinant, éclairant les dessous de rapports de force qui se fondent non seulement sur le poids des partis, mais aussi sur la personnalité des différents protagonistes. L'instinct politique, mais aussi la force des déterminations personnelles, n'ont jamais paru aussi importants que durant ces négociations.
Loin de toute idéalisation, Borgen passionne par sa capacité à prendre la mesure et à couvrir tous les ressorts d'une démocratie moderne. La série pointe notamment très bien les dérives que peut engendrer la réduction de la politique à la seule communication ; la manière de vendre le message semble régulièrement être aussi, si ce n'est plus importante, que le contenu dudit message. Ne pas se cantonner aux coulisses politiques et prendre le temps de s'intéresser à la presse est d'ailleurs une très bonne idée. La série met en lumière toutes les étapes de la fabrique de l'information, en nous faisant découvrir l'émission phare de la plus grande chaîne du pays. Balayant les diverses problématiques que le sujet peut soulever, vont être mis en scène les arbitrages rédactionnels, mais aussi la prise en compte des exigences d'audience face au devoir d'informer. De plus, le mélange des intérêts médiatiques et des sirènes du pouvoir politique n'est pas passé sous silence : qu'il s'agisse de connivences discutables avec le gouvernement, de l'effort pour éviter des clashs, ou bien encore de l'instrumentalisation d'une certaine presse à des fins politiques, comme c'est le cas pour L'Express, toutes les facettes sont évoquées.
Au-delà de ce portrait vivant et animé de la scène politique et des dessous du pouvoir, Borgen retient aussi l'attention par les sujets qu'elle choisit d'aborder. Dans l'ensemble, la série théorise peu, préférant les tractations et la politique politicienne aux débats d'idées. Le parti centriste a remporté les élections sur un programme : on en est encore au stade où la victoire légitimise que l'on tente de mettre en oeuvre les mesures prévues. La question de la parité au sein des conseils d'administration des entreprises sera sans doute le sujet le plus discuté sur le fond, laissant entrevoir ici les rapports avec la sphère économique. Cependant, c'est sur le plan international que Borgen se démarque sans doute le plus. La série est simplement brillante lorsqu'elle nous plonge dans les jeux diplomatiques au sein desquels le Danemark tente de s'imposer à son niveau. Un des éclairages les plus passionnants concerne les rapports du pays avec le Groenland, territoire colonisé disposant d'une autonomie mais pas de souveraineté, dont la population Inuit apparaît sans futur.
Outre la (dé)colonisation, la série touche avec cet espace à une autre problématique, omniprésente depuis les attentats du 11 septembre, la question du terrorisme. Cette dernière est abordée du point de vue de l'atteinte aux libertés publiques des citoyens, mais aussi en traitant son impact dans les relations internationales. Le Groenland a longtemps été livré comme arrière-base, sans condition, aux Etats-Unis : jusqu'où le Danemark peut-il être un allié dans la guerre qu'a entrepris l'Amérique ? Avec beaucoup de réalisme et un certain cran, Borgen va d'ailleurs souligner combien la qualification de "terroriste" peut être aléatoire. Elle n'a pas non plus son pareil pour exposer les dilemmes que posent les principes, notamment les droits de l'homme, face aux enjeux économiques : quand la signature de contrats dépend de votre reconnaissance des supposées avancées démocratiques d'un régime opaque dont vous avez pleinement conscience des limites, la marge de manoeuvre est minime et l'arbitrage des plus complexes.
Admirable série politique, la force de Borgen va cependant être aussi de ne pas seulement relater les coulisses du pouvoir. Elle personnalise son récit et parvient à impliquer émotionnellement le téléspectateur, grâce à ces trois personnages principaux. C'est par le prisme de ces derniers, à travers leurs certitudes, leurs doutes et leurs passés, que l'on va vivre tous les évènements de cette saison. A côté des ingrédients classiques d'une fiction politique, la série se réapproprie tous les codes d'un drama au sens large. Avec une vraie justesse dans la tonalité, elle nous parle d'amitié, d'amour perturbé, de vie familiale qui s'étiole... Disposant de personnages forts, auxquels on s'attache, Borgen traite pareillement vie publique et vie privée. Elle éclaire les interconnexions, parfois pesantes mais forcément inévitables, entre ces deux versants. Le sujet se révèle d'autant plus sensible en période de crise dans l'une des deux sphères.
Initialement, on aurait pu craindre que la série se disperse trop, en tentant de se positionner sur tous ces terrains, mais le téléspectateur est rapidement rassuré. En effet, Borgen ne perd pas en homogénéité, et la portée de la mise en scène du politique n'en souffre pas. En revanche, cette dimension humaine récompense la fidélité du téléspectateur qui peut ainsi en apprendre plus sur les motivations et ce qui se cache derrière l'apparence soigneusement gardée de ces personnages. C'est ainsi qu'au fil de la saison, je me suis surprise à apprécier de plus en plus la relation chaotique entre Kasper et Katrine. La complicité instinctive qui les unit à l'écran, avec toutes ses limites, sonne toujours très authentique. Ils se comprennent instinctivement réciproquement, liés par cette passion pour la dynamique du milieu politique ; mais ce qui les rapproche les éloigne presque aussi sûrement. Kasper n'aurait pas cette capacité à se détacher et à vendre comme personne des histoires qu'il invente spontanément sans ce qu'il a traversé, or c'est ce qui fait qu'il maintient justement ses distances. Leurs rapports sont explosifs, suivant un schéma assez invariable qui est vite compris du téléspectateur, mais qui fonctionne sacrément bien à l'écran !
Le relationnel est également très important pour suivre l'évolution du personnage de Birgitte Nyborg. Sur le plan professionnel, la nouvelle Premier Ministre est vite confrontée à l'épreuve de la "realpolitik", perdant la liberté de ton du temps de l'opposition pour devoir désormais prendre des décisions parfois difficiles, arbitrant entre principes et intérêts divergents. Un des premiers conseils que lui avait donné celui qui faisait office de mentor à ses côtés, au sein du parti, avait été la nécessité de s'isoler : à partir du moment où elle accédait à ce poste, elle n'avait plus d'amis dans les rangs des politiques. Bouclant la boucle de la plus symbolique des manières, c'est de ce mentor qu'elle doit se séparer dans le dernier épisode, pour effectuer un mini-remaniement ministériel nécessaire pour sa survie politique personnelle.
Sur le plan privé, ce même glissement est également perceptible. Birgitte et Philip sont à l'origine un couple qui a su trouver le juste équilibre entre carrière professionnelle et investissement familial. Il existe notamment un arrangement entre eux, au terme duquel chacun poursuit pendant cinq années son métier, puis consacre cinq années à la famille pendant que l'autre peut à son tour s'épanouir professionnellement. La victoire de Birgitte va venir rompre ce rythme : quel mari peut demander à son épouse de décliner le poste de Premier Ministre ? Or ce poste va bouleverser encore plus profondément l'équilibre du couple.
Borgen vient ainsi confirmer toute la solitude du pouvoir. La saison 1, hautement symbolique à ce niveau, se referme sur une victoire politique parachevant l'évolution. Le secrétaire général félicite alors Birgitte pour l'année qu'elle vient de passer à ce poste, estimant qu'elle a désormais pris toute la mesure de ses responsabilités... Mais derrière les traits tirés de la Premier Ministre, entièrement vêtue de noir, une question amère s'impose au téléspectateur : à quel prix vient le pouvoir ?
Réussie sur le fond, Borgen l'est aussi incontestablement sur la forme. C'est une série visuellement belle, tout en sachant rester sobre. La réalisation est parfaitement maîtrisée, mais c'est surtout la photographie très travaillée et soignée qui retient l'attention. Au final, on obtient des épisodes avec une image colorée et épurée qui rend vraiment bien à l'écran. L'impression d'une approche quasi-cinématographique est accentuée par le format dans lequel elle est filmée (16:9).
Enfin, Borgen bénéficie d'un casting aussi convaincant que solide. Sidse Babett Knudsen (Juletestamentet) se révèle progressivement, gagnant en présence à mesure que son personnage gagne en assurance, trouve ses marques et devient véritablement la Premier Ministre. En spin doctor avisé, aussi pragmatique que compétent, Johan Philip Asbaek (Blekingegade) lui donne très bien la réplique : si les deux n'ont pas toujours le même sens des priorités, ils sont très bons dans leurs domaines respectifs et trouvent une complémentarité naturelle. Quant à Birgitte Hjort Sorensen, si elle a mis un peu plus de temps à me convaincre, sans doute parce que son personnage n'est pas au mieux au début de la saison, elle réussit peu à peu à s'imposer. A leurs côtés, on retrouve également Mikael Birkkjaer (Forbrydelsen 2), Freja Riemann, Emil Poulsen, Anders Juul, Thomas Levin, Soren Malling, Lisbeth Wulff ou encore Kasper Lange.
"Politics is war without bloodshed while war is politics with bloodshed."
(Mao Zedong)
Bilan : Fiction politique stimulante et passionnante, Borgen est une série au contenu particulièrement riche. En seulement 10 épisodes, elle impressionne par sa faculté à traiter habilement de toutes les facettes envisageables d'une démocratie moderne occidentale. Captant l'attention du téléspectateur par la diversité de ses problématiques, la série dresse un portrait vivant et très intéressant du Danemark actuel. Si on dit souvent, à juste titre, que The West Wing a tendance à être une référence écrasante pour toute fiction politique, Borgen démontre cependant que l'on peut bel et bien se forger son identité propre dans ce genre particulier. Plus proche de nous dans les moeurs politiques qu'elle dépeint, elle s'impose aussi par une dimension humaine pleinement développée et sa façon d'entremêler vie publique et vie privée, ce qui humanise considérablement les personnages.
En résumé : à ne pas rater.
Vote Nyborg !
NOTE : 9,25/10
Le générique de la série :
08:01 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : danemark, borgen, dr1, arte, sidse babett knudsen, mikael birkkjaer, johan philip asbaek, birgitte hjort sorensen, freja riemann, emil poulsen, anders juul, thomas levin, soren malling, lisbeth wulff, kasper lange | Facebook |
04/08/2011
(ISL) Pressa (The Press), saison 1 : interrogations sur le rôle de la presse sur fond d'enquête criminelle
Au programme du jour : de l'exploration sériephile ! Si, vous aussi, vous vous lamentez au travail en parcourant les cartes postales de connaissances supposément bien attentionnées, envoyées du bout du monde où elles sont occupées à paresser, j'ai trouvé un (quasi) palliatif ! Certes, ce n'est pas le chaud soleil que je vous propose aujourd'hui, mais la série dont je vais vous parler nous vient d'un pays encore inconnu sur My Télé is Rich!, l'Islande, avec une fiction qui a été ma vraie bonne surprise de la semaine : Pressa (dont le titre anglophone est The Press).
Diffusée en prime-time, à partir du 30 décembre 2007 et en début d'année 2008, sur Stöð 2, Pressa formait initialement un ensemble composé de 6 épisodes de 45 minutes chacun. Le succès critique avec lequel cette première saison a été accueillie explique qu'une seconde ait été commandée. Comportant également 6 épisodes, elle a été diffusée au cours de ce printemps 2011 en Islande. Pour son écriture, autour de Óskar Jónasson et Sigurjón Kjartansson, elle a réuni une équipe d'écrivains de polars islandais (Arni Thorarinsson, Pall Kristinn Palsson, Aevar Orn Josepsson, Yrsa Sigurdardottir). Et le résultat est au rendez-vous : la première saison de Pressa délivre une prenante série feuilletonnante qui, suivant un fil rouge d'enquête criminelle, propose une immersion dans les dessous de la presse tabloïd, en s'inspirant ici du grand journal du genre de l'île, DV.
Pressa nous entraîne dans les coulisses de Pósturinn, communément appelé "The Post", le plus important quotidien tabloïd d'Islande. On y suit les pas de Lára, une jeune mère célibataire qui a toujours rêvé de devenir journaliste. Grâce à une connaissance, elle vient tout juste de se faire embaucher à l'essai dans ce journal pour le moins controversé. Sans expérience dans le domaine de la presse, la "chance du débutant" est cependant avec elle. En effet, elle met dès le premier jour le doigt sur une grosse histoire, réunissant tous les ingrédients d'une affaire criminelle médiatique, avec sa dose de scandales, qui va tenir le pays en haleine.
Le mari d'une des présentatrices télévisées les plus célèbres d'Islande, Esther, est porté disparu. Rapidement la police conclut à une mort probable en découvrant la voiture de l'homme, avec des traces de sang nettoyées à l'intérieur. Les soupçons se portent logiquement sur la possible veuve. Sur le coup depuis le début, avec une longueur d'avance sur ses confrères, "The Post" enquête de son côté. Au nom du droit à l'information, il n'hésite pas à dévoiler les secrets les mieux gardés de l'investigation policière, tout en parvenant parfois aussi à avoir un temps d'avance sur les autorités. A mesure que Lára progresse, c'est une histoire bien plus dangereuse et complexe qu'envisagée, avec des enjeux financiers extrêmement importants, qui se dévoile peu à peu.
Le premier grand atout de Pressa est le milieu dans lequel la série nous immerge et dont elle va savoir prendre toute la mesure : celui de la presse tabloïd. Le sujet est d'actualité, puisqu'on a rarement autant discuté de cette dernière que durant cet été 2011 et le scandale ayant éclaté en Angleterre. De plus, le fait que "The Post" soit une version fictive inspirée du très réel DV islandais n'est sans doute pas pour rien dans l'impression de réalisme qui se ressent face au milieu médiatique que la série va nous dépeindre.
Car la vraie réussite de Pressa est de parvenir à traiter avec beaucoup d'habileté et de nuances de cette problématique tabloïd, en prenant soin d'aborder toutes les facettes qu'elle peut recouper. Elle capture tout d'abord le souffle d'une rédaction et de toutes les dynamiques qui y sont à l'oeuvre : les dissensions existent, mais s'esquisse en filigrane une forme de solidarité dans l'adversité. Elle expose les convictions mais aussi les doutes des journalistes, confrontés à la nécessité d'un arbitrage constant entre des intérêts commerciaux et des principes moraux pas toujours convergents. Peut-on et doit-on tout publier ? Où commence et où s'arrête l'information ? Existe-t-il une frontière infranchissable au nom de la vie privée ?
Si ces questionnements sont personnels à chacun, Pressa va bien mettre en lumière les tenants et aboutissants des débats agitant cette presse. Elle évoque le problème des moyens pour accéder aux scoops, les libertés prises avec la loi au nom du supposé intérêt supérieur et les atteintes à la vie privée que cela peut engendrer (recouvrer illégalement les adresses ip d'un blogueur par exemple). Elle met aussi en scène les conséquences des articles publiés, pouvant avoir une incidence grave sur la vie des gens, dépassant la seule affaire en cause. La mission d'informer des journalistes les place alors devant des responsabilités inattendues auxquelles il est parfois dur de faire face.
Plus largement, Pressa évoque également toute l'ambiguïté des rapports de chacun avec la presse tabloïd. "The Post" est facilement dédaigné par ses confrères, taxé de "sous-journalisme de caniveau". Mais, même mis à l'index, il reste le journal auquel tout le monde est abonné, que chacun lit, demeurant incontournable dans les discussions privées comme dans les revues de presse plus officielles. La série nous décrit avec brio cette forme de fascination/répulsion pour un journal qui marche sur une fine ligne entre information, sensationnalisme et voyeurisme. Ces ambivalences sont d'ailleurs parfaitement représentées à tous les niveaux. Au sein du conseil d'administration du quotidien, ces financiers respectables rejettent le scandale, mais dans le même temps, on sent bien que, loin de toute considération morale, c'est l'évolution des ventes qui demeure le facteur déterminant. Au sein de la presse, "The Post" fait office de défouloir osant publier et franchir des lignes que ses confrères n'oseront pas.
En somme, Pressa offre un éclairage nuancé et vraiment très intéressant sur la presse, et plus particulièrement sur la problématique spécifique posée par les tabloïds, qui mérite assurément le détour.
Outre cette immersion dans la presse tabloïd, le second atout de Pressa est d'être une fiction construite comme un thriller, où les pistes se brouillent, les retournements de situation se multiplient et les morts nourrissent les suspicions - le tout sous le regard du public. Le téléspectateur suit l'enquête criminelle commencée avec la disparition du mari d'Esther à travers les journalistes du "Post" ; même si la série se permet quelques incursions au sein de la police, permettant de nous proposer en parallèle une autre façon d'enquêter, avec des ressources qui n'ont rien à voir avec celles du tabloïd. Le suspense monte, à mesure que les préconceptions tombent et que l'histoire s'avère bien plus compliquée qu'initialement envisagée. Si Pressa échouera à aller jusqu'au bout de son concept et à confirmer la tension palpable et presque paranoïaque qui s'esquisse par instant, l'ensemble est efficacement construit, en escalade. Gagnant constamment en intensité, ce fil rouge entraîne le téléspectateur, sans le moindre temps mort, jusqu'à une résolution climax des plus correctes.
Par ailleurs, Pressa se démarque également par la proximité qui en émane. La série dispose en effet d'un atout unique, celui de son cadre. Les enjeux sont certes nationaux, mais les réseaux de relations sociales et l'inter-connexion entre chacun sont à l'échelle de l'Islande : un pays d'un peu plus de 300.000 habitants. Grâce au pays où elle se déroule, Pressa mêle ainsi local et national comme peu de fictions peuvent le faire, alliant les points positifs des deux. De plus, la série se bâtit sur une dynamique humaine convaincante. Elle nous permet de suivre l'affirmation de sa figure féminine centrale. Initialement, Lára arrive sans expérience, recommandée par une connaissance et suffisamment jolie pour que ses collègues puissent supputer sur certaines arrière-pensées entretenues par leurs supérieurs. Face aux épreuves, la jeune femme mûrit peu à peu sous nos yeux. Si toute la dimension familiale qui l'entoure apparaît parfois excessivement déconnectée de l'intrigue principale, comme une sorte de parenthèse à l'utilité pas toujours évidente, on finit d'ailleurs par apprécier sa fille et sa passion pour la Formule 1. Le rythme d'ensemble de la narration n'en souffre pas trop, si bien que ces quelques maladresses sont vite oubliées.
Si elle s'est montrée très intéressante et globalement maîtrisée sur le fond, c'est sans doute sur la forme que je serais plus mitigée. Certes la photographie est parfaitement adéquate : les images adoptant une teinte un peu glacée qui correspond à l'ambiance de polar médiatique de Pressa. Mais en revanche, les choix de réalisation sont plus discutables. En effet, toutes les scènes sont filmées caméra au poing, l'image ne se fixant jamais sur un plan précis, tressautant constamment, censée renvoyer un ressenti de nervosité. Si elle atteint en partie son but, j'ai mis deux épisodes à m'habituer à cette réalisation insuffisamment posée. Par ailleurs, il convient de souligner un autre aspect formel positif de cette série : sa bande-son, toujours sobre, uniquement composée d'instrumentaux, rythmés et tendus comme il faut pour donner le ton.
Enfin, Pressa bénéficie d'un casting homogène et globalement solide, au sein duquel Sara Dögg Ásgeirsdóttir s'impose de manière convaincante en figure féminine centrale qui s'affirme et trouve progressivement ses marques dans ce milieu du journalisme au fil de la saison. A ses côtés, on retrouve notamment Kjartan Guðjónsson, Þorsteinn Bachmann, Stefán Hallur Stefánsson, Nanna Kristín Magnúsdóttir ou encore Orri Huginn Ágústsson.
Bilan : Pressa est une série feuilletonnante, prenante et efficace, qui sait s'imposer dans un double registre. D'une part, elle nous plonge, avec beaucoup d'authenticité, dans les rouages d'un journal tabloïd, en abordant habilement toutes les problématiques soulevées par cette presse controversée. D'autre part, l'enquête qui fait office de fil rouge se complexifie peu à peu pour reprendre à son compte les codes d'un thriller à suspense. Si le premier aspect est sans doute mieux maîtrisé que le second, l'ensemble forme une fiction des plus convaincantes qui mérite assurément le détour.
En résumé, Pressa, c'est vraiment l'occasion sériephile rêvée de partir explorer téléphagiquement l'Islande. Profitez donc du mois d'août et du hiatus des networks américains !
NOTE : 7,75/10
[Disponible en DVD avec sous-titres anglais.]
08:28 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : islande, pressa, the press, stöð 2, sara dogg asgeirsdottir, kjartan gudjonsson, Þorsteinn bachmann, stefan hallur stefansson, nanna kristin magnusdottir, orri huginn agustsson | Facebook |
21/05/2011
(BR/FR/POR) Les Mystères de Lisbonne (Mistérios de Lisboa) : fresque romanesque envoûtante dans le Portugal du XIXe siècle
Les rapports du petit et du grand écrans sont souvent discutés. Particulièrement en France, où les deux ont longtemps été présentés artificiellement comme antinomiques. Cette semaine, Arte s'attachait à corriger ces préjugés, diffusant ces jeudi et vendredi soirs une des plus belles réconciliations qui soit. L'occasion de nous rappeler que le cinéma et la télévision sont deux formats différents, mais qui ont chacun des atouts propres à leur genre. C'est ce que Raoul Ruiz, l'esprit tourné vers ces telenovelas qu'il rêvait de réaliser, a parfaitement compris à travers ses adaptations des Mystères de Lisbonne.
Cette oeuvre est à l'origine un classique de la littérature portugaise du XIXe siècle, de l'écrivain Camilo Castelo Branco. Le cinéaste chilien l'a transposée au cinéma, dans un film sorti en fin d'année dernière, qui constitue une fresque unique d'une durée de 4 heures 30. Mais il a également réalisé une version destinée à la télévision : une mini-série, composée de six épisodes de 55 minutes chacun, que la chaîne franco-allemande proposait donc cette semaine, en VM. Si je n'ai pas vu la version cinématographique, j'ai trouvé que le rythme narratif du récit s'adaptait vraiment parfaitement au découpage par épisode permis par le passage au petit écran. Cela a été incontestablement ma découverte sériephile de la semaine.
Nous plongeant dans un tourbillon de destinées entremêlées, Les Mystères de Lisbonne dévoilent, à travers une fascinante quête identitaire, les dessous de l'aristocratie portugaise du premier XIXe siècle.
Le jeune João Pedro da Silva, âgé de 14 ans, est interne dans un pensionnat religieux. Recueilli et élevé par le responsable des lieux, le père Dinis, l'adolescent ignore tout de sa naissance et de sa véritable identité, enfant sans nom subissant les brimades de ses camarades à un âge où les question sur les origines s'éveillent. A la suite d'une violente altercation, Pedro, blessé à la tête, perd connaissance. Cette nuit-là, il reçoit la visite d'une mystérieuse femme. Si au réveil, le père Dinis et Dona Antonia, une carmélite dont il est proche, lui recommandent d'oublier tout cela, Pedro sait qu'il s'agit de la première pierre sur le chemin de la découverte de ses origines.
A partir de cet évènement qui sert de catalyseur, les récits vont peu à peu se succéder, révélations intimes de vies rarement heureuses qui ont, d'une façon ou d'une autre, influer et présider à la vie de Pedro, ce dernier restant le fil rouge - et le narrateur - de cette histoire à la fois éclatée, mais pourtant toujours si fluide. Les Mystères de Lisbonne nous entraînent ainsi dans un voyage mouvementé à travers les destinées, souvent passionnelles et tragiques, de différents protagonistes. La mini-série remonte le temps, nous conduisant au-delà du Portugal, de Venise à la France impériale napoléonienne, pour proposer une fresque d'une densité aussi fascinante qu'envoûtante.
Les Mystères de Lisbonne correspondent à une vaste fresque, tourbillonnante et captivante, dans laquelle on retrouve tant cette ambiance d'époque que ce style foisonnant caractéristique de la littérature du XIXe siècle. A la fois dense et contemplative, sans égale pour verser dans un romanesque magnifique où les sentiments les plus violents, de l'amour à la haine, s'expriment, la mini-série propose un récit aussi éclaté qu'extrêmement vivant. On y croise tous les ressorts scénaristiques propres à ce genre. Ainsi, sa dimension historique lui permet de dresser un portrait de cette société portugaise, soulignant l'hypocrisie des élites et les paradoxes du pragmatisme de chacun. Mais c'est aussi un récit d'aventures, rythmé par les choix des personnages et les passions brisées. Au final, c'est un tableau fascinant, extrêmement coloré, qui prend forme sous nos yeux, où tous les rebondissements et toutes les coïncidences se justifient comme autant de pièces d'un même puzzle, d'une même énigme identitaire qui se complète peu à peu.
En effet, le fil rouge que constituent les origines et, plus généralement, la vie de Pedro Da Silva sert de prétexte parfait pour nous entraîner dans un récit dilué, mais toujours admirablement maîtrisé, qui va prendre la forme d'une mosaïque de destinées éparses, que le sort conduira à entremêler. La construction en mini-série trouve ici toute sa justification : chaque épisode apparaît dédié à une thématique et se consacre à une destinée, semblant par certains côtés indépendant des autres, mais poursuivant toujours cette exploration d'une ligne de vie particulière et de toutes celles qui ont pu influer sur elle. Dotée d'une narration atypique, qui confine à une forme de surréalisme un peu théâtral aussi déroutant qu'envoûtant, Les Mystères de Lisbonne constitue une oeuvre à part qui happe le téléspectateur sans que ce dernier puisse s'en détacher.
C'est en raison de ce surréalisme théâtral qu'il est difficile de distinguer le fond de la forme face aux Mystères de Lisbonne. En effet, ils finissent par se confondre, faisant tous deux partie intégrante d'une narration qui suit un style qui lui est propre. La réalisation apparaît semblable à une oeuvre d'orfèvre : chaque plan est particulièrement soigné, millimétré. Rien n'est laissé au hasard dans ce qui s'apparente presque à une succession de tableaux, d'instantané où la symbolique se dispute au suggestif de manière admirablement maîtrisée. Les changements de lieux, comme l'enchaînement des scènes dans un même récit, observent une forme d'invariable continuité qui parachève l'ensemble, apportant une consistance homogène à la façon dont l'histoire est racontée.
Enfin, Les Mystères de Lisbonne bénéficient d'un casting qui parvient à très bien retranscrire cette tonalité que le réalisateur choisit d'adopter. Adriano Luz incarne ce père Dinis, figure tutélaire omniprésente dont la destinée mouvementée semble liée à celle de Pedro. Ce dernier est joué par José Afonso Pimentel. A leurs côtés, on retrouve notamment Maria João Bastos, mère absente qui aura tant subi, Ricardo Pereira, constant protecteur à la vie débridée, mais aussi Clotilde Hesme, Julien Alluquette, Léa Seydoux, Melvil Poupaud, Sofia Aparicio ou encore Malik Zidi.
Bilan : Sur fond de recherche des origines pour cet orphelin dont la mini-série narre en réalité la vie (des faits antérieurs déterminants jusqu'à la fin), Les Mystères de Lisbonne s'apparentent à une mosaïque tourbillonante de flashbacks qui vont progressivement former un tableau captivant, portrait de la société portugaise du XIXe siècle. Cette épopée romanesque nous présente ainsi des destinées entremêlées, souvent tragiques, marquées par une intensité émotionnelle constante et déterminante qui apporte une dimension supplémentaire à l'histoire.
En résumé, cette mini-série constitue une véritable expérience narrative qui se savoure comme rarement. Laissez-vous captiver. Pour les retardataires, il n'est pas trop tard... Rendez-vous sur le catch-up d'Arte !
NOTE : 9/10
La bande-annonce :
18:52 Publié dans (Séries Amérique Latine), (Séries européennes autres), (Séries françaises) | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : brésil, france, portugal, arte, les mysteres de lisbonne, mistérios de lisboa, raoul ruiz, adriano luz, josé afonso pimentel, maria joão bastos, ricardo pereira, clotilde hesme, julien alluquette, léa seydoux, melvil poupaud, sofia aparicio, malik zidi | Facebook |