Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/01/2013

(FR) L'Invention de Morel : aux frontières de l'illusion et de la réalité

inventiondemorel0_zps0145d112.jpg

Au printemps dernier, j'avais initié dans ces colonnes ce que j'avais appelé un "cycle ORTF". Cela avait été l'occasion de se pencher sur le petit écran français d'il y a plusieurs décennies, et surtout d'y découvrir quelques perles rares récompensant la curiosité du sériephile qui s'aventure dans ce patrimoine télévisuel extrêmement riche. On avait alors croisé tous les genres : de l'historique aventurier avec Ardéchois coeur fidèle au fantastique policier dans La Brigade des Maléfices, en passant par des paradoxes temporels savoureux avec Le Voyageur des siècles. Je ne comptais pas en rester là.

Après quelques mois de pause - et quelques achats de DVD supplémentaires - me voilà repartie explorer le petit écran français d'avant. Etant donné les belles trouvailles déjà faites dans Les Inédits Fantastiques, édités par Ina Editions, qui m'ont rappelé que notre télévision avait su s'approprier le genre du fantastique avec brio par le passé, j'ai logiquement poursuivi dans cette collection. La fiction du jour est L'Invention de Morel : c'est un téléfilm d'une durée d'1h35, réalisé par Claude-Jean Bonnardot. Il s'agit de l'adaptation d'un roman d'Adolfo Bioy Casares. Diffusé le 8 décembre 1967 sur la deuxième chaîne de l'ORTF, il est notable de signaler qu'il a été tourné en couleur. Une fois encore, il s'agit d'une oeuvre valant le détour qui s'est révélée vraiment fascinante à visionner.

inventiondemorelm_zpsd5ea6a93.jpg

Le protagoniste principal de L'Invention de Morel se nomme Luis. Evadé de prison, il se réfugie sur une île perdue conseillée par l'Italien de Calcutta. Il a été prévenu : les voyageurs évitent avec soin ces lieux, car, dit-on, plusieurs personnes ont été retrouvées mortes sur ces côtes, atteintes d'un mal mystérieux. Voulant fuir la justice, Luis espère y disparaître. Il découvre sur place une immense villa, autrefois luxueuse, et aujourd'hui abandonnée. Puis il prend peu à peu ses marques et entreprend de tenir un journal détaillé de son séjour sur l'île.

Mais un jour, surgit de nulle part un groupe d'individus, bourgeois festifs venus passer du bon temps. Ils s'approprient les lieux, obligeant Luis à s'éloigner. De loin, l'ancien prisonnier les observe profiter d'un quotidien d'insouciance. Parmi ces intrus, une jeune femme retient tout particulièrement son attention : la troublante Faustine. Puis, après plusieurs jours, Luis retrouve soudain un matin la villa abandonnée telle qu'elle était lorsqu'il est arrivé : décrépie et en mauvais état, loin du luxe et du confort avec lequel elle a accueilli le groupe d'amis.

Par amour pour Faustine, Luis va chercher à percer le mystère de sa présence et comprendre ainsi les secrets que cache l'île.

inventiondemorelu_zps68ae90dd.jpg

L'Invention de Morel commence semblable à une sorte de Robinson Crusoé : elle met d'abord en scène un individu, en bout de course, qui souhaite écrire et préciser ses réflexions sur le monde et la société contre laquelle il s'insurge. Puisqu'il ne peut dialoguer avec quiconque, c'est par une opportune voix off, posée et rationnelle, que Luis partage avec le téléspectateur ses états d'âme et consigne méthodiquement les évènements qui ont lieu dans un journal. A l'arrivée des intrus, la fiction change de registre, glissant peu à peu dans un étrange inclassable. Les questions se bousculent, d'abord naturelles pour Luis : ces gens sont-ils à sa poursuite pour le ramener en prison ? Mais les découvertes qu'il fait sont de plus en plus déroutantes et déconcertantes. Lorsqu'ils le croisent, pourquoi ces individus l'ignorent-ils, semblant vivre leur quotidien en marge de son existence ? Pourquoi la villa délabrée et insalubre s'anime-t-elle luxueusement lorsqu'ils y festoient et s'éteint-elle à leur départ ? Et d'ailleurs, comment viennent-ils et où repartent-ils, puisqu'aucune embarcation n'est jamais visible à proximité de l'île ?

Intrigué, Luis est aussi vite fasciné par une figure inaccessible, celle de la si belle Faustine. Qui est-elle ? se tourmente-t-il. Et, plus généralement, qui sont ces gens paraissant revivre, de façon imperturbable et immuable, une même semaine passée sur l'île ? Un doute germe dans son esprit, comme dans celui du téléspectateur : s'ils ne peuvent pas le voir, existent-ils seulement ? Ne sont-ils que des illusions créées par son cerveau saturé par l'isolement et le défaut de nourriture ? Ou bien est-ce que Luis, déjà mort, n'est en fait que le témoin privilégié d'une vie à laquelle il n'appartiendrait plus ? A mesure que le mystère s'épaissit, L'Invention de Morel nous entraîne aux limites des perceptions et d'une réalité qui semblent se diluer, défiant les sens et la raison. Ses sentiments poussent pourtant Luis à résoudre l'énigme. Une fois découverte l'invention géniale et glaçante de Morel, puis son plan compris, le spectacle auquel il assiste prend alors tout son sens. Entre l'éternité illusoire de ces invités confinés dans la vacuité de leur existence futile et la réalité vivante, oppressante et sans futur, Luis fera un choix. Au rythme de marées, rejoindra-t-il Faustine ?

inventiondemorelc_zpsabed903f.jpg

Sur la forme, L'Invention de Morel bénéficie d'une réalisation qui parvient à capturer l'atmosphère particulière qui caractérise l'histoire mise en scène. Elle a de plus le grand avantage de bénéficier de la couleur. Cela permet d'apprécier pleinement le cadre offert par l'île, qui peut être aussi bien paradisiaque qu'hostile, escapade dorée ou prison sans issue. Par ailleurs, la couleur n'en souligne que plus, de manière paradoxale et troublante, la vitalité qui émane de ces intrus insouciants et la beauté de Faustine, comme autant d'instantanés parfaitement capturés mais à jamais glacés et figés.

Enfin, côté casting, c'est Alain Saury qui interprète Luis. Il retranscrit très bien les troubles de son personnage, incertain et égaré, face à ce spectacle dont il ne saisit pas encore le sens. Offrant le contraste parfait par rapport à l'ambiance de plus en plus déroutante qui s'installe, sa voix calme et monocorde fait office de narrateur, rythmant le récit à sa manière : le ton relativement calme dont elle ne se départit jamais, en dépit de tous les questionnements qui peuvent se bousculer, en fait un repère solide. Juliette Mills joue l'ensorcellante Faustine, tandis que Didier Conti incarne l'inquiétant Morel. On croise également Ursula Vian-Kubler, Dominique Vincent, Eric Sinclair, Max Vialle, Robert Rimbaud, Florence Musset, Anne Talbo, Jean Martin, Paule Dehelly, Guy d'Arcanques, Maurice Cieutat et Tony Sandro.

inventiondemoreli_zpsa09e081d.jpg

inventiondemorelg_zpsee1c85de.jpginventiondemorelh_zps3a44bfbb.jpg

Bilan : Oeuvre envoûtante, presque hantée à sa manière, L'Invention de Morel fascine et captive, se réappropriant plusieurs thématiques du fantastique. Tour à tour fable existentielle, métaphysique, elle égare les certitudes et les repères de son personnage principal, et par ricochet du téléspectateur, troublant les frontières entre réalité et illusion, vie et mort, fin actée et éternité hors du temps... Bénéficiant d'un récit très bien construit, qu'il s'agisse de poser le mystère ou d'aboutir à sa résolution et à la conclusion choisie par Luis, le téléfilm se révèle prenant de bout en bout, à la fois intriguant et déroutant. En résumé, c'est une belle expérience télévisuelle, qui ne demande pas trop d'investissement en temps (1h30), et mérite assurément le détour. A conseiller au-delà même des seuls amateurs de fantastique.


NOTE : 7,75/10


Lien vers une bande-annonce : Bande-annonce DVD Ina Editions (Dailymotion).

16/12/2012

(UK) Callan : l'espion récalcitrant

callan0_zpse2349d60.jpg

Vous connaissez mon faible pour les fictions d'espionnage. Pas le clinquant glamour d'un James Bond, mais plutôt ces récits sombres, riches en manipulations, en jeux d'espions froids et calculés, où la frontière morale est toujours floue. La télévision anglais a produit au fil des décennies plusieurs perles appartenant à ce genre à rapprocher des romans de John Le Carré. Dans les années 70, Tinker, Tailor, Soldier, Spy (La Taupe) sur la BBC et The Sandbaggers sur ITV restent deux bijoux, incontournables, dont je vous ai déjà parlé. Au printemps dernier, j'avais eu un vrai coup de coeur pour The Sandbaggers qui demeure une des meilleures séries que j'ai eu l'occasion de voir en cette année 2012. Logiquement, j'ai donc voulu poursuivre mes explorations, et j'ai continué à remonter le temps, changeant encore de décennie : direction les années 60 !

Après avoir vu The Sandbaggers, j'avais demandé quelques conseils : un grand merci à Thierry Attard pour m'avoir suggéré la série, inédite en France, dont je vais vous parler aujourd'hui. Créée par James Mitchell, Callan a été diffusée sur ITV de 1967 à 1972, comptant 44 (seuls 3 épisodes restent conservés de la première saison). Le personnage sera porté sur grand écran en 1974, et fera une ultime apparition dans un téléfilm de 1981. Initialement proposée en noir et blanc pour ces deux premières saisons, les dernières seront en revanche en couleur. Plusieurs éditions DVD sont disponibles en Angleterre, séparant ces deux périodes : The Monochrome Years d'une part, The Colour Years d'autre part. J'ai investi dans le premier coffret, et c'est comme ça que j'ai donc découvert une série dont le pilote a été diffusée pour la première fois en... février 1967 !

callanf_zps6948c998.jpg

Dans le pilote de la série, intitulé A Magnum for Schneider, David Callan est rappelé par son ancien chef, le colonel "Hunter". Longtemps considéré comme un des meilleurs agents d'une mystérieuse organisation gouvernementale connue sous le nom de "The Section", il a été renvoyé parce qu'il avait pris l'habitude de trop s'intéresser à ses cibles, enquêtant sur elles et questionnant les missions qui lui étaient confiées. Or The Section a pour but de faire disparaître toute personne posant un danger pour les sujets britanniques ; elle ne recule devant aucun moyen, qu'il s'agisse de chantage, d'extorsion ou bien d'exécution. En résumé, elle est celle qui se salit les mains quand aucune autre agence gouvernementale ne souhaite intervenir.

Le colonel "Hunter" s'interroge sur le statut de Callan, qui est à la fois leur plus efficace tueur, mais aussi un agent trop instable et un risque permanent qu'il n'est pas certain de vouloir prendre. La saison 1 illustre bien cette ambivalence : dans le premier, Hunter confie à Callan la mission de tuer un homme d'affaires échappant aux autorités, avec comme objectif de mettre son agent à l'épreuve, quitte à s'en débarrasser au cours de l'opération en le précipitant entre les mains de la police. Dans le second épisode, Hunter revient vers Callan cette fois-ci en jouant carte sur table : ou il remplit la mission confiée (délivrer un ex-SS aux Israéliens), ou il devient lui-même une cible pour l'agence.

calland_zps7c7396d0.jpg

Une bonne part de la fascination qu'exerce immédiatement la série tient au personnage de Callan, véritable modèle d'anti-héros, difficilement classable pour le téléspectateur tant son ambivalence apparaît exacerbée. Tueur rompu à ce métier, doté d'un savoir-faire clinique remarquable, il a toutes les qualités requises pour être un agent d'exception pour The Section. Mais il pense et réfléchit trop au goût de ses supérieurs. Le masque de froideur grâce auquel il peut mener à bien les infiltrations et les manipulations les plus dangereuses se fissure parfois brusquement pour laisser place à ses questionnements. Il est d'ailleurs capable de développer une profonde empathie envers ces cibles, oscillant alors dangereusement sur la ligne entre professionnalisme et humanité. Sa versatilité d'état d'esprit permet d'entrevoir avec une intensité marquante tous les doutes qui l'assaillent. Vulnérable dans ces moments où sa détermination vascille, l'homme dévoile au fil des épisodes une psychologie complexe et nuancée proprement captivante.

De manière générale, l'ambiguïté semble être le maître-mot de la série. Le colonel Hunter se méfie de lui, mais dans le même temps, il reconnaît sans mal qu'il est leur meilleur tueur. Toute la question est de savoir jusqu'où peut-il utiliser les talents de Callan, et à partir de quand le risque pris devient-il trop important. Dès le deuxième épisode, les menaces se font directes : si Callan n'exécute pas la tâche confiée, il deviendra lui-même l'objet d'une des missions d'élimination de The Section. Sans aucun statut officiel - il a été renvoyé -, l'homme est forcé d'agir sous la contrainte. Pourtant, excellant dans ce qu'il fait, ses réflexes reviennent toujours comme une seconde nature. Il tente d'ailleurs à l'occasion de s'émanciper, démontrant à Hunter toute sa dangerosité, mais aussi - paradoxalement - pourquoi il reste un agent incontournable qui, si les bonnes pressions sont exercées, reste utile à l'agence. Si Callan se découvre encore avec plaisir aujourd'hui, c'est aussi justement parce que la noirceur de l'univers dépeint, qui ne dépaillerait pas parmi les anti-héros dits "modernes", lui a permis de tgrès bien traverser les décennies. Les épisodes demeurent construits efficacement et, en dépit de quelques lenteurs propres à son époque, la solidité de l'écriture est intacte : la série sait générer une tension et une nervosité qui fonctionnent toujours.

scallani_zps89a6049f.jpg

Sur la forme, nul doute que ces premiers épisodes trahissent leur âge. Si  le thème musical récurrent les hante avec toujours autant de force, la qualité de la vidéo est aléatoire, le transfert sur DVD des originaux laissant entrevoir quelques limites. Pensez que The Monochrome Years nous fait remonter en 1967 et 1969, pour les deux premières saisons. Certains épisodes paraissent tout juste sortis des obscures archives d'où on les a exhumées, avec leurs défauts techniques, ce qui ajoute un certain cachet d'authenticité face à un tel support. Et tant que le scénario s'apprécie pareillement, l'effort fait pour nous proposer de découvrir de telles séries mérite avant tout d'être salué : c'est une sorte de plongeon dans les archives sériephiles.

Enfin, il faut terminer par rendre un hommage appuyé à la performance délivrée par Edward Woodward (plus connu sans doute dans les mémoires internationales -notamment auprès du public américain- pour The Equalizer). Si le personnage de Callan a tant pu marquer, c'est non seulement dû à l'écriture teintée d'ambivalence des scénaristes, mais c'est aussi grâce à l'impressionnante interprétation de l'acteur. Il parvient à capturer, en imposant une présence très intense à l'écran, toute l'ambiguïté de ce maître-assassin dos au mur, trop doué pour pouvoir être rendu à la vie civile et exécutant avec un savoir-faire à part les missions qui lui sont confiées. 

callane_zps639c8e18.jpg

Bilan : Découvrir Callan en 2012, c'est se retrouver happé par la figure d'un anti-héros ambivalent, évoluant dans un univers extrêmement sombre où chacun manipule l'autre. C'est se laisser capturer par les rouages d'un scénario remarquable d'ambiguïtés, magnifiquement sublimé par une performance d'acteur qui se savoure. Il faut noter que la construction globale des missions reste d'une efficacité rarement prise en défaut, en dépit d'un rythme avec quelques lenteurs signe l'âge de la série. Quant à la mise en scène datée, elle n'est pas un obstacle à l'appréciation de la série.

Dans la lignée des grandes fictions d'espionnage (ou plutôt, parmi les oeuvres de référence d'origine !), Callan fait preuve d'une nuance et d'une noirceur maîtrisées qui n'ont pas pris une ride et s'avèrent bien plus aboutis que certains ersatz indigestes récents comme Hunted cet automne. Pour qui apprécie le genre espionnage, il s'agit d'une découverte qui mérite d'être curieux (à condition d'être anglophone, les DVD ne comportant pas de piste de sous-titres anglais) !


NOTE : 7,5/10


Pour un aperçu, un extrait qui pose bien le ton de la série :


09/11/2012

(Mini-série UK) A very British coup : thriller de politique-fiction pessimiste à la fois glaçant et prenant

 
averybritishcoup1.jpg

Ce mercredi soir (7 novembre 2012) commençait sur Channel 4, en Angleterre, Secret State, une mini-série s'inscrivant dans le registre prisé du thriller politique - les chaînes anglaises surfant depuis une décennie dans la voie ouverte par State of Play. Même si la lecture du synopsis semble de prime abord assez différent, il faut préciser qu'elle s'inspire d'un roman écrit au début des années 80 par un politique anglais, Chris Mullin, A very British coup. Cet ouvrage, relatant les destinées troublées d'un gouvernement travailliste et publié dans l'Angleterre Thatcherienne d'alors, a déjà donné lieu à une première adaptation qui figure parmi les quelques oeuvres clés de politique-fiction typiquement britanniques incontournables (que j'avais déjà évoquée dans mon dossier sur les séries & la politique en avril dernier).

Diffusée en 1988, également sur Channel 4, A very British coup comporte trois épisodes et est scénarisée par Alan Plater. Oeuvre pessimiste sur la réalité de la démocratie, elle a marqué son époque, mais se visionne encore très bien aujourd'hui. L'aura dont elle jouit toujours (les BAFTA et Emmy qu'elle a remportés y contribuant également) n'est pas usurpée. Avant de jeter un oeil au nouvel essai qu'est Secret State, permettez-moi donc de profiter de l'occasion pour revenir sur cet essai glaçant de politique-fiction qu'est A very British coup.

averybritishcoupc.jpg

Les élections législatives du printemps 1989 sont remportées par le Parti Travailliste. Son leader, Harry Perkins, un homme issu d'un milieu populaire, représente les vues de l'aile gauche du parti. Parmi les mesures phares du programme qu'il entend mettre en oeuvre, figurent notamment la fin des monopoles dans les médias - et notamment la presse - de grands groupes capitalistes, l'organisation d'un désarmement nucléaire unilatéral ou encore la fermeture des bases militaires américaines existant sur le sol britannique. Il entend conduire sa politique avec une communication très ouverte, où le principe est de dire la vérité.

L'arrivée d'un tel gouvernement socialiste n'est évidemment pas du goût de l'establishment britannique, d'autant que Harry Perkins semble être un homme de conviction, droit dans ses bottes, qui n'est pas influençable. Rapprochés par des intérêts convergents, différents acteurs de l'ombre entrent alors en action dans les coulisses du pouvoir réel pour faire chuter ce Premier Ministre encombrant. Parmi ces opposants au sein desquels on retrouve aussi bien des magnats de la presse que des agents américains dont le pays s'inquiète pour ses intérêts en Europe, le directeur du MI5 s'impose comme une figure dominante du fait des ressources dont il dispose. Aristocrate représentant tout ce que Perkins souhaiterait changer dans la société, Sir Percy Browne se révèle être un adversaire dangereux. Tandis que dans le même temps le Premier Ministre ne peut guère compter que sur une poignée de fidèles pour tenter de mener à bien ses projets...

averybritishcoupg.jpg

Regarder A very British coup aujourd'hui, c'est tout d'abord constater que si le propos de la mini-série n'a rien perdu de sa force, l'ensemble demeure représentatif d'une époque particulière, celle des années 80. Elle décrit l'arrivée au pouvoir de l'aile la plus à gauche du parti travailliste, avec un programme de campagne suscitant la peur du capital et provoquant une panique boursière. De même, les enjeux géopolitiques envisagés sont ceux d'une période où la guerre froide n'est pas encore achevée et où l'URSS existe encore. Les thèmes ici envisagés, telles la dénucléarisation ou la fin de la "special relationship" avec les Etats-Unis, ont des enjeux particuliers. De plus, l'histoire a été écrite et publiée - et la série diffusée - dans l'Angleterre conservatrice de Margaret Thatcher. Sa réception par le public de la fin des années 80 ne peut donc pleinement s'apprécier et se comprendre sans se replacer dans ce contexte global.

Pourtant, cette nécessaire recontextualisation n'amoindrit en rien le propos de A very British coup. Si une oeuvre comme House of Cards, quelques années plus tard, transposera magnifiquement à l'écran tout le cynisme et le machiavélisme de la lutte pour le pouvoir, il souffle sur cette mini-série un pessimisme ambiant plus marquant car il touche à l'essence même du régime démocratique. En montrant la réaction des élites et leur organisation contre celui qui a remporté les élections, le récit oppose à la volonté du peuple celle d'un pouvoir de l'ombre. La capacité d'action du politique se trouve ici activement réduite par ceux que l'attaché de presse de Perkins appelle lui-même les "real masters" du pays. En dressant le portrait d'une véritable oligarchie, avec un establishment prêt à tout pour protéger ses intérêts et tirant les ficelles en marge des élections, loin du regard des gouvernés, A very British coup trouve un écho qui parle toujours au téléspectateur de 2012, alors que les questions du poids du monde financier, de certaines instances ou de l'abandon de souveraineté n'ont pas quitté l'actualité.

Par ailleurs, A very British coup reste une fiction à la construction très efficace. Véritable thriller politique mettant en scène une partie d'échecs létale au sommet de l'Etat, la mini-série propose trois épisodes exécutés sans le moindre temps mort, où la lutte entre chaque camp ne cesse de s'intensifier. Perkins a beau se présenter devant les caméras comme un homme simple issu du peuple, il est d'une lucité à toute épreuve. Son expérience lui permet de parfaitement comprendre la réalité des rapports de force à l'oeuvre, identifiant les rouages en train de s'activer pour précipiter son échec. Ses adversaires sont coriaces, et leurs ressources, multiples, rendent le combat - on le devine d'emblée - trop inégal. Mais ce Premier Ministre, stratège qui lutte pour ses idées et qui reste un homme intègre n'entendant pas se compromettre pour le pouvoir, implique vraiment le téléspectateur à ses côtés. Ses confrontations avec le chef du MI5 sont d'une intensité bluffante, et sa faculté à retourner des situations semblant sans issue force le respect. Si on peut peut-être reprocher à certains passages de prendre quelques raccourcis, l'ensemble s'agence vraiment de manière glaçante. 

averybritishcoupm.jpg

Sur la forme, A very British coup a logiquement vieilli visuellement, sans que la mise en scène datée n'affecte en rien la portée d'une histoire qui repose sur la finesse et le côté percutant des dialogues. Surtout, il faut relever que la mini-série bénéficie d'une bande-son extrêmement riche, rythmée et envahissante à la manière d'une musique de campagne électorale. Elle s'avère toujours très efficace pour accompagner le récit.

Enfin A very British coup n'aurait sans doute pas eu un tel impact sans son casting extrêmement solide et convaincant. Il faut commencer par rendre hommage à Ray McAnally (A Perfect Spy) dont la performance en Harry Perkins est magistrale : il sait allier avec beaucoup de justesse et de subtilité la bonhomie apparente de l'homme politique et la finesse et la précision du stratège qui s'efforce de mener à bien ses projets, le tout en ayant une présence marquante à l'écran. Face à lui, Alan MacNaughton dirige les hostilités avec un flegme inébranlable et une main de maître (ce qui ne surprendra pas la téléspectatrice que je suis qui a tant savouré la manière dont il incarnait Sir Wellingham dans The Sandbaggers). Autour d'eux, on retrouve notamment Keith Allen, Geoffrey Beevers, Marjorie Yates, Jim Carter, Philip Madoc, Jeremy Young, Tim McInnerny ou encore Shane Rimmer.

averybritishcoupn.jpg
 averybritishcoupj.jpg

Bilan : Exercice de politique-fiction très pessimiste sur la réalité et la nature du régime démocratique et des rapports de force qui s'y jouent en coulisse, A very British coup est une oeuvre de son époque, mais aussi une histoire qui trouve toujours un écho particulier de nos jours. Thriller bien construit mettant en scène un véritable coup d'Etat fomenté dans les coulisses feutrées des élites, loin du regard des gouvernés, cette mini-série n'a rien perdu de son efficacité, et les questionnements soulevés restent glaçants. Parmi les libertés prises avec le livre d'origine, il faut noter sa conclusion qui suggère de manière très amère l'échec de tous les protagonistes : la défaite de Perkins, comme celle du maintien de l'illusion démocratique.

En résumé, A very British coup est une oeuvre politique dont je recommande (encore aujourd'hui) le visionnage. Pour les curieux, elle existe en DVD en Angleterre (malheureusement sans piste de sous-titres, à réserver donc aux anglophones).


NOTE : 8/10

17/06/2012

(FR) Le voyageur des siècles : une savoureuse plongée au coeur des paradoxes temporels

 levoyageurdessiecles.jpg

Où je découvre que le petit écran français a lui aussi son voyageur partant à l'assaut du Temps avec son tournevis... magnétique.

C'est décidément la loi des séries : ce mois de juin aura été placé sous le signe des voyages temporels, après Jin, après Continuum, voilà une autre preuve que ce thème reste un classique par-delà les continents et les époques. En ce dimanche, My Télé is rich! vous propose donc de remonter le temps et d'embarquer dans ce qui aura été ma belle surprise de la semaine, tandis que je poursuis mon exploration du patrimoine télévisuel français. C'est que ce cycle consacré aux séries de l'ORTF est décidément riche en trésors dont je ne soupçonnais ni l'inventivité, ni la qualité ! Après La Brigade des Maléfices, c'est toujours dans la collection Les Inédits Fantastiques d'INA Editions, que j'ai trouvé mon bonheur, avec Le Voyageur des siècles.

Il s'agit d'une mini-série française qui a été diffusée dans le courant du moins d'août 1971 sur la première chaîne de l'ORTF. Elle compte en tout 4 épisodes, dont la durée oscille entre 1h15 et 1h25. Au départ, ce projet a été développé pendant des années par Noël-Noël et Jean Dréville à destination du cinéma. C'est finalement sur le petit écran que le scénario de Noël-Noël voit le jour, avec des moyens budgétaires forcément moindres, mais toujours Jean Dréville derrière la caméra. Sa diffusion égarée au coeur de l'été 1971 s'est malheureusement soldée par un échec. Heureusement, il y a eu depuis les rediffusions sur le câble et la sortie du coffret DVD (le mois dernier) pour éviter qu'elle ne tombe dans un injuste oubli. Car Le Voyageur des siècles est une réjouissante et originale oeuvre de science-fiction comme le petit écran français en a rarement proposé : un petit bijou à (re)découvrir !

levoyageurdessiclesi.jpg

L'histoire débute par un prologue se situant dans le futur, en 1981. Souhaitant mettre un terme à l'indivision de leurs terres, la soeur de Philippe d'Audigné fait appel à des enquêteurs pour essayer de retrouver son frère disparu. Scientifique et inventeur passionné, ce dernier menait dans le plus grand secret des expériences à partir de travaux commencés un siècle auparavant par leur grand-oncle, le savant François d'Audigné. Mais les recherches tournent court, leurs conclusions se heurtant à la logique de leur raison.

En réalité, Philippe d'Audigné a réussi ses recherches : il a mis au point une machine capable de voyager dans le temps. Sa première incursion officielle dans le passé le conduit dans les années 1880, à la rencontre de son grand-oncle sans qui rien n'aurait été possible. Ce dernier est émerveillé par la mise en oeuvre de ses théories et l'arrivée de ce visiteur du futur, un petit-neveu débarqué d'un autre temps. Mais Philippe a d'autres projets que ces retrouvailles scientifiques : dans un des miroirs qu'il utilise pour capturer des images du passé, il est tombé amoureux d'une belle jeune femme qui vivait au château dans les années 1780.

Philippe et François d'Audigné mettent alors le cap vers 1788. Si la Révolution française menace celle qu'il considère comme sa dulcinée, poussé par l'amour, jusqu'où Philippe sera-t-il capable d'aller et quels bouleversements sera-t-il prêt à provoquer pour la sauver ?

levoyageurdessicles2c.jpg

Présentée dès son introduction par un néologisme évocateur, celui de "julvernerie moderne", Le Voyageur des siècles est une véritable invitation à se lancer dans une histoire extraordinaire : celle d'une aventure à part à travers les époques. Il est intéressant de noter que le récit se vit du point de vue de François d'Audigné, savant du XIXe siècle au talent de conteur indéniable, lequel nous relate les évènements a posteriori avec une voix off qui apporte une saveur particulière à l'ensemble. Dotée d'une écriture réjouissante qui mise beaucoup sur l'émerveillement provoqué par cette ouverture sur le passé et/ou le futur, la mini-série se réapproprie toutes les facettes de ce thème classique de science-fiction qu'est le voyage dans le temps.  

L'amateur de SF est donc en terrain conquis : toutes les problématiques soulevées par ce sujet sont abordées, qu'il s'agisse de rencontrer, ému, des ancêtres, de nouer des relations hors du temps avec des figures du passé, et bien entendu, la plus importante, la question de l'influence que l'on peut avoir sur le bon déroulement de l'Histoire. La mini-série se révèle ici particulièrement bien construite. Elle démarre de la plus anecdotique et sobre des manières, au XIXe siècle, par une simple rencontre entre le grand-oncle inventeur et Philippe qui vient lui apprendre que ses théories sont justes et lui offrir un bref aperçu du futur. Puis, lors du deuxième saut temporel qui les conduit au XVIIIe siècle, d'observateurs extérieurs, nos héros deviennent des acteurs à part entière : leurs agissements font alors basculer le récit dans une véritable uchronie, bousculant les évènements et changeant la face du monde en communiquant à Louis XVI des informations qu'il n'aurait jamais dû avoir. Les limites du voyage temporel, et surtout leur impact sur les voyageurs, vont alors prendre tout leur sens.

levoyageurdessicles2d.jpg

Adoptant initialement une tonalité enlevée et légère qu tend plutôt vers la comédie, Le Voyageur des siècles sait basculer dans un versant plus dramatique lorsque les enjeux se complexifient. A l'innocence première des explorateurs curieux de tout et fascinés par ce passé qui revit sous leurs yeux, succède le déchirement d'être rattrapé par les évènements, puis par la responsabilité qui pèse sur eux d'avoir décidé d'en changer le cours. L'efficacité de l'histoire doit beaucoup à l'empathie que suscitent les personnages confrontés à leurs dilemmes, mais aussi au soin apporté aux époques qu'ils découvrent. La série fait souvent preuve d'une richesse et d'une inventivité au charme un peu désuet, mais tellement stimulant. Initialement, le prologue débute d'ailleurs comme une série d'anticipation, offrant une vision futuriste de l'année 1981 (la série date de 1971), avec ses voitures magnétiques, ses télévisions sans écran et ses gratte-ciels à perte de vue jusqu'à Saint-Flour (!). Par la suite, Le Voyageur des siècles se rapproche du récit historique, à la découverte du XIXe (avec par exemple ce professeur fervent soutien du boulangisme), puis du XVIIIe siècle.

Les deux derniers épisodes sont sans doute les plus savoureux dans la reconstitution proposée. Tout d'abord parce que la France de 1788 vue à travers les yeux de François et de Philippe, émerveillés par ce qui les entoure, présente un portrait plein d'anecdotes au cours duquel le téléspectateur a presque l'impression d'être à leurs côtés. Et ensuite, parce que le basculement dans la néo-Histoire, en 1808, dans un royaume qui n'a pas connu la Révolution et donc l'Empire, nous entraîne dans une société du début du XIXe siècle difficilement reconnaissable du fait des avancées technologiques anarchiques permises par les indications de Philippe. Le scénariste montre alors l'étendue de son imagination fertile, avec ces chaises à porteur devenues à moteur, ces téléphones au combiné improbable... Et puis, la mini-série nous entraîne sur les pas d'un Empereur au destin inaccompli, mais dont l'aura incontestable écrase et laisse tout aussi admiratifs le républicain et le monarchiste qui forment pourtant notre duo d'explorateurs. L'uchronie, ici particulièrement savoureuse, mérite vraiment le détour !

levoyageurdessicles2g.jpg

Si la série déborde d'idées qu'il est réjouissant de voir transposer à l'écran, c'est logiquement sur la forme que Le Voyageur des siècles montre ses limites et a sans doute le plus vieilli. Cependant, la réalisation n'a rien perdu de son efficacté narrative et le plaisir de visionner la mini-série est intact. Au fond, l'image en noir & blanc, les décors recréés avec les moyens du bord - notamment en arrière-plans - et les images qui font parfois assez datées ajoutent finalement un certain parfum de nostalgie qui n'est pas déplaisant.

Si la vitalité de l'ensemble demeure, c'est aussi en partie grâce à un casting impeccable. Hervé Jolly apporte une belle fougue de jeunesse à son portrait de Philippe d'Audigné, homme brillant emporté par ses sentiments. Pour former avec lui un duo complémentaire, au sein duquel naît une vraie complicité, c'est Robert Vattier qui incarne avec une bonhomie savoureuse François d'Audigné. Les seconds rôles sont aussi solides : Raymond Baillet est l'assistant de François, celui qui lit le récit laissé par son maître aux grands professeurs de son temps. Et c'est la belle Myriam Colombi qui interprète celle qui a été la motivation de Philippe durant toutes ces années pour perfectionner sa machine à remonter le temps.

levoyageurdessiecles2a-1.jpg
La dernière Renault magnétique de 1981

Bilan : Se réappropriant avec inventivité et enthousiasme ce grand thème de la science-fiction qu'est le voyage dans le temps, Le Voyageur des siècles se découvre avec beaucoup de plaisir. Elle se démarque par son écriture au dynamisme communicatif et par la richesse avec laquelle son univers est recréé. En effet, un soin constant est apporté aux détails, qu'il s'agisse de reconstitution - et recontextualisation - historique, ou bien lorsque la série s'aventure dans l'uchronie. Elle reste aujourd'hui une perle très originale de la télévision française. C'est donc une aventure qui mérite le détour, pour les curieux, les amateurs de science-fiction et/ou de bonnes séries françaises.


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de la série :

03/06/2012

(FR) La Brigade des Maléfices : aux frontières du policier et du merveilleux

labrigadedesmalefices0-1.jpg

My Télé is Rich! continue de remonter le temps, et tombe sur de vraies perles du petit écran. Après la fiction historique, dimanche dernier avec Ardéchois coeur fidèle, je vous propose aujourd'hui dans ce "cycle ORTF" une incursion dans le fantastique. En effet, c'est un genre dans lequel le petit écran français s'est essayé avec parfois beaucoup d'inventivité, même si cette tradition semble un peu oubliée de nos jours. Cependant l'excellente initiative d'INA Editions rend désormais accessible certaines de ces fictions expérimentales et originales de notre patrimoine télévisuel, dans une collection DVD qu'il faut avoir à l'oeil : Les Inédits Fantastiques. La première série sur laquelle je me suis arrêtée m'a été conseillée sur twitter par Thibault... que je remercie donc pour la découverte !

La Brigade des Maléfices a été diffusée durant l'été 1971 (d'août à septembre) sur la deuxième chaîne de l'ORTF, elle y rencontra un certain succès mais ne fut pas reconduite. Elle compte donc seulement une saison de 6 épisodes d'une durée de 55 minutes environ. Imaginée et scénarisée par Claude Guillemot et Claude Nahon (Claude Jean-Philippe, présentateur du Ciné-Club d'Antenne 2), cette série possède un charme certain, un peu désuet, qui apparaît comme une forme d'appel sincère à l'imaginaire du téléspectateur. Elle se redécouvre avec attachement et plaisir, même 40 ans après sa diffusion originale.

labrigadedesmaleficesm.jpg

Le monologue du générique d'ouverture fait figure d'introduction dans l'univers atypique de la série, entrouvrant pour le téléspectateur les portes du fantastique : "La brigade des maléfices ne figure sur aucun document officiel de la préfecture de police. Personne dans le public ne soupçonne son existence et pourtant chaque jour s’étend le champ de son activité. Bien des enquêtes menées par les plus fins limiers de la police judiciaire s’arrêtent soudain devant l’impossible, l’incroyable ou le surnaturel. C’est alors qu’intervient Guillaume-Martin Paumier, chef de la brigade des maléfices, Sherlock Holmes de la féérie, Maigret de la sorcellerie moderne, expert en sciences occultes, familier de l'invisible, l'inspecteur Paumier ne refuse aucune des voies ouvertes sur l'inconnu. Il a accepté d'ouvrir pour nous quelques dossiers, de nous faire participer à quelques-unes de ses étrangers enquêtes."

Exilée sous les combles du commissariat parisien du Quai des Orfèvres, la Brigade des Maléfices est donc une unité très particulière de la police française. Elle ne compte que deux membres, l'inspecteur Paumier, figure flegmatique et malicieuse à barbe blanche pour qui le surnaturel est un quotidien qui n'a pas de secret, et son assistant, Albert, agent à tout faire et chauffeur de son supérieur dans sa moto deux places lorsqu'ils doivent se déplacer. Quand des enquêtes se heurtent à l'inexplicable, semblant échapper à l'entendement, le commissaire principal prend son téléphone pour les contacter. Disparitions mystérieuses, crimes conjugaux en série, épidémie de suicide, braquage de banque du sang ou encore escroquerie à portée interstellaire, ce sont des affaires très différentes qui sont ainsi soumises à la brigade.

labrigadedesmaleficesj.jpg

Permettant l'alliance de deux genres importants du petit écran, le polar et le fantastique, la Brigade des Maléfices est une série, au style théâtral et au rythme relativement lent, qui flirte avec un savoureux surréalisme. Teintée d'humour mais aussi touchante à l'occasion, la tonalité est originale. De façon intrigante, la fiction propose une incursion dans un merveilleux parfaitement intégré au quotidien de cette société française du début des années 70, dont elle nous offre un aperçu complet, entre boom des appareils électro-ménagers et constructions de grands ensembles.

S'inscrivant dans une tradition classique du fantastique qui lui permet d'explorer les grands mythes du genre, comme les fées, les vampires, les fantômes ou bien un démon au nom suggestif (Diablevert), voire une charmante extraterrestre Vénusienne, la série organise et banalise les rencontres avec l'extraordinaire d'individus normaux, soudain confrontés à des choses qui dépassent leur entendement. Il est intéressant de noter qu'il n'y a pas d'opposition ou de lutte systématique avec ces éléments issus du surnaturel : la plupart du temps, il s'agit d'assurer une cohabitation permettant que tout rentre dans l'ordre. Le seul véritable adversaire (récurrent) de Paumier est Diablevert : cette figure diabolique, filant toujours pour mieux réapparaître avec un nouveau plan qu'il faut exposer au grand jour pour y mettre un terme, occupe là une fonction incontournable dans ce type de fiction.

labrigadedesmaleficeso.jpg

Appel au rêve et à l'imaginaire, la série trouve un intéressant équilibre entre ses différents genres. Elle développe un versant policier, à la dynamique savoureuse, et où l'humour diffus, distillé à juste dose, est très présent. Paumier, dans sa robe de chambre défraîchie et son bureau bigarré comprenant mille merveilles et autres étrangetés, a l'apparence d'un vieil original hors du temps, mais révèle la malice et la sagacité d'un fin limier. Albert offre un parfait pendant, avec des remarques souvent comiques. A l'opposé de cette ouverture d'esprit, le commissaire Muselier et son arrogance cartésienne tourne en dérision son collègue, pour toujours devoir finir par s'incliner devant ses contributions. Au milieu, le commissaire principal, réticent mais prudent, conserve quant à lui une retenue pragmatique.

Outre cette dynamique propre au commissariat, La Brigade des Maléfices prend également le temps d'explorer le point de vue non policier. En effet, à chaque épisode, elle soigne tout particulièrement son cadre et l'histoire qui s'y rattache. Une place importante est ainsi laissée aux créatures fantastiques, la rapprochant par moment presque d'un format semi-anthologique. Chaque épisode a une tonalité qui lui est propre, et des atmosphères particulières. Parmi les plus marquantes, je citerais celle du 1er épisode où la mise en scène de cette mare aux fées trouve un écho poétique troublant à l'écran. Les histoires usent généralement de ressorts classiques mais efficaces, avec une inventivité appréciable, à l'image du 2e épisode sur la place de la télévision dans les familles et la mystérieuse septième chaîne. L'amour n'est pas non plus absent, sorte de trait d'union le plus universel qui soit entre ordinaire et surnaturel. On assiste ainsi à un mélange de simplicité et d'originalité qui se visionne avec plaisir.

labrigadedesmaleficesp.jpg

Sur la forme, un des défis qu'aura su relever La Brigade des Maléfices aura été de parvenir à évoquer le merveilleux sans réels moyens budgétaires : elle repose entièrement sur une ambiance et des montages suggestifs. Et le résultat ne manque pour autant pas d'intérêt. Un des passages du genre les plus réussis restera sans doute celui du premier épisode : pour révéler l'existence d'une créature envoûtante, on assiste à une longue scène tremblotante où apparaît et disparaît dans les images d'un film amateur la troublante fée de la mare du bois de Rambouillet. De plus, la musique joue aussi un rôle important, qu'il s'agisse de poser une atmosphère inquiétante, de souligner les passages de tension, ou plus généralement d'embrasser le versant un peu rêveur du fantastique dans laquelle la série se complaît.

Enfin La Brigade des Maléfices bénéficie d'un casting qui contribue à l'attachement que l'on éprouve pour cette fiction. Léo Campion incarne un inspecteur Paumier particulièrement savoureux, tandis que Marc Lamole joue avec spontanéité son assistant. Jean-Claude Balard, à l'arrogance un peu nonchalente, est le commissaire Muselier, ferraillant régulièrement avec Paumier, tandis que Jacques François incarne leur supérieur hiérarchique. Mais la série vaut également les guest-stars marquantes qu'elle accueille, au premier rang desquels Pierre Brasseur qui, par deux fois, revient incarner ce démon charismatique Diablevert que la brigade tentera d'empêcher de nuire. Dans le 4e épisode, il se retrouvera même face à son fils, Claude Brasseur, qui joue alors la victime potentielle de ses machinations. On croise également Sylvie Fennec en fée ensorcelante, Anny Duperey en Vénusienne de charme, Pierre Vernier en vampire mélancolique ou encore Jean-Pierre Andréani.

labrigadedesmaleficesr.jpg

Bilan : Se réappropriant, sans moyens mais avec une belle dose d'inventivité, les grands mythes du fantastique pour les introduire dans le quotidien de la société française du début des années 1970, La Brigade des Maléfices est une série attachante, à laquelle l'humour et le flegme de son personnage principal apportent un charme un peu désuet plaisant. Série d'ambiance, dotée d'un rythme plutôt lent auquel il faut prendre le temps de s'ajuster, elle ouvre les portes d'un merveilleux accessible qui interpelle l'imaginaire d'un téléspectateur, parfois rêveur, d'autre fois intrigué, mais à la curiosité toujours piquée.

Parce que X-Files, Torchwood et les autres n'ont pas le monopole des enquêtes sur le surnaturel... Voilà un digne représentant français de ce genre qui mérite d'être redécouvert !


NOTE : 7,75/10


Le générique :