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24/02/2013

(FR) Les Rois Maudits : "the original game of thrones"

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La saga littéraire de Maurice Druon a été qualifiée par George R.R. Martin, comme "the original game of thrones" : "Iron kings and strangled queens, battles and betrayals, lies and lust, the curse of the Templars, the doom of a great dynasty – and all of it (well, most of it) straight from the pages of history, and believe me, the Starks and the Lannisters have nothing on the Capets and Plantagenets." Publiés dans les années 50, comprenant six tomes initialement - un septième et dernier se rajoutera en 1977 -, ces livres ont fait l'objet de deux adaptations à la télévision française. Je ne m'étendrai pas sur la dispensable plus récente, datant de 2005, et vais m'arrêter aujourd'hui sur la première.

Diffusée du 21 décembre 1972 au 24 janvier 1973 sur la deuxième chaîne de l'ORTF (c'est donc l'occasion de poursuivre le cycle ORTF), Les Rois maudits est une mini-série qui compte six épisodes d'1h40 chacun environ. Réalisée par Claude Barma, d'après une adaptation de Marcel Jullian, elle est disponible en DVD depuis 2005. Avec sa mise en scène théâtrale, ses acteurs plus que convaincants et cette Histoire qu'elle romance si bien, elle fait partie de ces quelques séries que je re-visionne régulièrement avec un plaisir toujours intact. C'est généralement vers la fin de l'hiver que me prend l'envie de sortir mon coffret DVD. Cette année n'aura pas dérogé à ce visionnage quasi-rituel. Mais, cette fois, je me suis dit qu'il était grand temps que j'écrive quelques mots sur cette oeuvre !

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Les Rois maudits raconte à sa manière la fin du "miracle capétien", lequel avait, depuis 987, placé la couronne de France à l'abri des problèmes successoraux. La mini-série s'ouvre en 1314 avec la fin des procès menés contre l'Ordre du Temple, anéanti sept années auparavant par le roi de Fer. Jacques de Molay, dernier grand maître, est alors conduit sur le bûcher après de longues années de procédures menées par les légistes de Philippe le Bel. Ses derniers mots seront une malédiction qui va résonner tout au long des six épisodes et servir de fil rouge à l'ensemble de l'histoire. Avant un an, il cite à comparaître devant le tribunal de Dieu les désignés responsables de la chute de son ordre et les maudit sur treize générations. Le pape Clément V et Philippe le Bel trépassent dans les mois qui suivent. Le roi de Fer a alors trois fils adultes, mais aucun petit-fils, et des brus infidèles qui, à défaut d'héritier mâle, offrent aux princes - pour deux d'entre elles - une paire de cornes.

De 1314 à 1337, la mini-série suit les intrigues des puissants et autres jeux de cour létaux qui vont précipiter les royaumes de France et d'Angleterre dans ce que l'on appellera la "Guerre de Cent Ans", dernier acte d'un conflit commencé deux siècles auparavant, lorsqu'une duchesse d'Aquitaine, par ailleurs épouse du roi de France, s'était éprise d'un Plantagenêt qui allait devenir roi d'Angleterre. Parmi les complots et les vengeances ourdis dans les coulisses du pouvoir, on suit tout particulièrement les manigances de Robert d'Artois, tout entier consacré à sa revanche contre sa tante Mahaut face à laquelle il a perdu son procès en héritage. De 1314 à 1328, les trois fils de Philippe le Bel se succèdent, sans laisser aucune descendance mâle. Les règles successorales se forgent face aux périls. Le principe de l'exclusion des femmes posé à la mort de Louis le Hutin est complété en 1328 du principe d'exclusion des descendants par les femmes, rejetant hors du trône celui qui était le plus proche parent du dernier roi... et qui avait contre lui de porter déjà une autre couronne, celle de l'Angleterre.

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Mené sans temps morts, Les Rois Maudits n'a pas son pareil pour romancer deux décennies d'intrigues de palais. Les complots et les assassinats s'y enchaînent ; les vengeances s'y trament ; et les alliances se concluent au gré des rapports de force et des opportunités. L'ensemble est présenté comme un vaste engrenage létal vers la Guerre de Cent Ans. On assiste à une partie d'échecs qui voit les rois tomber les uns après les autres, victimes pour certains de la main des hommes, pour d'autres de celle du destin. La malédiction de Jacques de Molay traverse ainsi le récit en y trouvant une résonnance particulière. Chaque épisode est consacré à un roi : en France, à partir de 1314, succèdent ainsi à Philippe IV le Bel, Louis X, Jean Ier (le Posthume) pour quelques jours, Philippe V, Charles IV et, enfin, Philippe VI, prenant le relais des Capétiens directs. L'Angleterre n'est pas en reste avec le renversement d'Edouard II, puis l'avènement du jeune Edouard III qui écarte du pouvoir sa mère et son amant. Empruntant l'accent des grandes tragédies, la mini-série nous relate l'affrontement des puissants, avançant leurs pions pour servir leurs propres intérêts, et décrit comment se font et se défont les rois et les papes en ce début de XIVe siècle. Elle éclaire aussi le rôle de gens de naissance plus humble, des banquiers Lombards, qui, par leur proximité avec le pouvoir, se retrouvent aussi au coeur des intrigues.

Par-delà les ambitions, les égos et le sort qui semble devoir s'acharner sur ces derniers Capétiens directs, ce sont surtout l'antagonisme de deux figures et la haine qu'elles se vouent, qui vont attiser les flammes du conflit à venir. Tout tourne ici autour d'une autre querelle de succession, où aucune couronne royale n'est en jeu, celle de l'Artois. Robert et Mahaut se disputent âprement ce comté. Ou plutôt, ayant perdu le procès mené contre sa tante qui apparaît plus en cour que jamais, Robert, s'estimant spolié, s'active en coulisses pour la perdre. C'est ainsi que tout débute par une première machination qui va contribuer aux problèmes de descendance des fils de Philippe le Bel. Car Mahaut a marié deux de ses filles aux princes. Mais, en 1314, Robert vole vers l'Angleterre et la reine Isabelle afin d'exposer au grand jour les infidélités des princesses insouciantes. Dans les turbulences et les déchirements qui suivront, dès que l'un choisira un camp, l'autre embrassera immédiatement celui adverse pour s'affairer à anéantir les projets de son opposant. Leurs joutes oratoires resteront toujours particulièrement jubilatoires. Et cette obsession pour l'Artois les perdra tous deux, car ils refuseront jusqu'au bout obstinément la moindre concession, même celles ordonnées par des rois. Ironiquement, ils trépasseront des armes dont ils ont usé et abusé, le poison pour l'une, la guerre pour l'autre. Ils s'éteignent ainsi comme s'embrase le conflit qu'ils auront contribué à faire naître, dernier acte et chute-transition parfaite de la tragédie qu'ils auront façonnée.

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Bénéficiant d'une histoire d'envergure, captivante sur le fond, une partie du charme des Rois Maudits repose également sur la manière dont Claude Barma a su composer avec les contraintes matérielles. Si la mini-série est une fresque épique, son décor est minimaliste, se composant de teintures peintes en arrière-plan. Aucun paysage, aucun extérieur n'est filmé. L'ensemble tient en réalité d'une vraie pièce de théâtre, assumant cette mise en scène jusque dans la manière dont les tableaux s'agencent et se jouent devant la caméra, avec des personnages s'avançant ou se fondant en arrière-plan, voire s'expliquant parfois directement face à la caméra. La mini-série n'en conserve pas moins toute l'intensité des enjeux relatés. Pour accompagner sa narration, elle bénéficie d'une bande-son composée par une référence en la matière, Georges Delerue, qui saura proposer un thème principal notamment particulièrement adéquat (cf. la deuxième vidéo ci-dessous). Et surtout, la force des dialogues et le cinglant des répliques, jamais pris en défaut, reposent sur un grand casting qui sait retenir justement toute l'attention, se sublimant et habitant les rôles qui leur sont confiés.

La grandiloquence d'un Jean Piat magnétique en Robert d'Artois resteront longtemps gravés dans la mémoire du téléspectateur ; mais il faut reconnaître que ce sont tous les acteurs qui sont au diapason et qui défilent au rythme des tragédies. Face à Jean Piat, se tiendra presque jusqu'au bout Hélène Duc, une Mahaut sèche et autoritaire, rivale d'envergure dans l'art des complots. Louis Seigner interprète Tolomei, homme d'affaires si au fait des secrets des hauts dignitaires du royaume. On retrouve également Jean-Luc Moreau, jeune Lombard qui côtoiera bien des puissants, et Catherine Rouvel, en inquiétante empoisonneuse. Philippe le Bel est joué par Georges Marchal, tandis que ses enfants le sont respectivement par Georges Ser, José-Maria Flotats, Gilles Béhat et Geneviève Casile, la si froide Louve de France. Parmi leur entourage, Jean Deschamps incarne l'intriguant frère cadet de Philippe le Bel, tandis que les brus de ce dernier sont jouées par Muriel Baptiste, Catherine Rich et Catherine Hubeau. La liste serait encore longue à égréner, retenez donc seulement ceci : l'attrait des Rois Maudits doit beaucoup à l'interprétation de chacun, et à la force qu'ils mettront dans leurs répliques et confrontations.

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Bilan : Fresque historique soignée autant que tragédie du pouvoir, Les Rois Maudits est une mini-série captivante et fascinante, rythmée par des jeux de trônes létaux, où complots, morts et alliances se succèdent. Nous racontant la fin du "miracle capétien" avec en arrière-plan la pesante menace que fait planer la malédiction lancée de son bûcher par le grand maître de l'Ordre du Temple, elle romance l'Histoire - s'octroyant les libertés qu'il convient - avec un souffle narratif et tragique jamais pris en défaut. Portée par un grand casting, cette fresque adopte la rigidité, mais aussi le charme, d'une mise en scène théâtrale qui n'amoindrit en rien la force de son récit. En résumé, voilà du très grand art.

Les Rois Maudits reste une oeuvre incontournable du petit écran français.


NOTE : 9/10


L'introduction du premier épisode et un extrait :


Le thème principal de la série :

18/01/2013

(FR) L'Invention de Morel : aux frontières de l'illusion et de la réalité

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Au printemps dernier, j'avais initié dans ces colonnes ce que j'avais appelé un "cycle ORTF". Cela avait été l'occasion de se pencher sur le petit écran français d'il y a plusieurs décennies, et surtout d'y découvrir quelques perles rares récompensant la curiosité du sériephile qui s'aventure dans ce patrimoine télévisuel extrêmement riche. On avait alors croisé tous les genres : de l'historique aventurier avec Ardéchois coeur fidèle au fantastique policier dans La Brigade des Maléfices, en passant par des paradoxes temporels savoureux avec Le Voyageur des siècles. Je ne comptais pas en rester là.

Après quelques mois de pause - et quelques achats de DVD supplémentaires - me voilà repartie explorer le petit écran français d'avant. Etant donné les belles trouvailles déjà faites dans Les Inédits Fantastiques, édités par Ina Editions, qui m'ont rappelé que notre télévision avait su s'approprier le genre du fantastique avec brio par le passé, j'ai logiquement poursuivi dans cette collection. La fiction du jour est L'Invention de Morel : c'est un téléfilm d'une durée d'1h35, réalisé par Claude-Jean Bonnardot. Il s'agit de l'adaptation d'un roman d'Adolfo Bioy Casares. Diffusé le 8 décembre 1967 sur la deuxième chaîne de l'ORTF, il est notable de signaler qu'il a été tourné en couleur. Une fois encore, il s'agit d'une oeuvre valant le détour qui s'est révélée vraiment fascinante à visionner.

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Le protagoniste principal de L'Invention de Morel se nomme Luis. Evadé de prison, il se réfugie sur une île perdue conseillée par l'Italien de Calcutta. Il a été prévenu : les voyageurs évitent avec soin ces lieux, car, dit-on, plusieurs personnes ont été retrouvées mortes sur ces côtes, atteintes d'un mal mystérieux. Voulant fuir la justice, Luis espère y disparaître. Il découvre sur place une immense villa, autrefois luxueuse, et aujourd'hui abandonnée. Puis il prend peu à peu ses marques et entreprend de tenir un journal détaillé de son séjour sur l'île.

Mais un jour, surgit de nulle part un groupe d'individus, bourgeois festifs venus passer du bon temps. Ils s'approprient les lieux, obligeant Luis à s'éloigner. De loin, l'ancien prisonnier les observe profiter d'un quotidien d'insouciance. Parmi ces intrus, une jeune femme retient tout particulièrement son attention : la troublante Faustine. Puis, après plusieurs jours, Luis retrouve soudain un matin la villa abandonnée telle qu'elle était lorsqu'il est arrivé : décrépie et en mauvais état, loin du luxe et du confort avec lequel elle a accueilli le groupe d'amis.

Par amour pour Faustine, Luis va chercher à percer le mystère de sa présence et comprendre ainsi les secrets que cache l'île.

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L'Invention de Morel commence semblable à une sorte de Robinson Crusoé : elle met d'abord en scène un individu, en bout de course, qui souhaite écrire et préciser ses réflexions sur le monde et la société contre laquelle il s'insurge. Puisqu'il ne peut dialoguer avec quiconque, c'est par une opportune voix off, posée et rationnelle, que Luis partage avec le téléspectateur ses états d'âme et consigne méthodiquement les évènements qui ont lieu dans un journal. A l'arrivée des intrus, la fiction change de registre, glissant peu à peu dans un étrange inclassable. Les questions se bousculent, d'abord naturelles pour Luis : ces gens sont-ils à sa poursuite pour le ramener en prison ? Mais les découvertes qu'il fait sont de plus en plus déroutantes et déconcertantes. Lorsqu'ils le croisent, pourquoi ces individus l'ignorent-ils, semblant vivre leur quotidien en marge de son existence ? Pourquoi la villa délabrée et insalubre s'anime-t-elle luxueusement lorsqu'ils y festoient et s'éteint-elle à leur départ ? Et d'ailleurs, comment viennent-ils et où repartent-ils, puisqu'aucune embarcation n'est jamais visible à proximité de l'île ?

Intrigué, Luis est aussi vite fasciné par une figure inaccessible, celle de la si belle Faustine. Qui est-elle ? se tourmente-t-il. Et, plus généralement, qui sont ces gens paraissant revivre, de façon imperturbable et immuable, une même semaine passée sur l'île ? Un doute germe dans son esprit, comme dans celui du téléspectateur : s'ils ne peuvent pas le voir, existent-ils seulement ? Ne sont-ils que des illusions créées par son cerveau saturé par l'isolement et le défaut de nourriture ? Ou bien est-ce que Luis, déjà mort, n'est en fait que le témoin privilégié d'une vie à laquelle il n'appartiendrait plus ? A mesure que le mystère s'épaissit, L'Invention de Morel nous entraîne aux limites des perceptions et d'une réalité qui semblent se diluer, défiant les sens et la raison. Ses sentiments poussent pourtant Luis à résoudre l'énigme. Une fois découverte l'invention géniale et glaçante de Morel, puis son plan compris, le spectacle auquel il assiste prend alors tout son sens. Entre l'éternité illusoire de ces invités confinés dans la vacuité de leur existence futile et la réalité vivante, oppressante et sans futur, Luis fera un choix. Au rythme de marées, rejoindra-t-il Faustine ?

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Sur la forme, L'Invention de Morel bénéficie d'une réalisation qui parvient à capturer l'atmosphère particulière qui caractérise l'histoire mise en scène. Elle a de plus le grand avantage de bénéficier de la couleur. Cela permet d'apprécier pleinement le cadre offert par l'île, qui peut être aussi bien paradisiaque qu'hostile, escapade dorée ou prison sans issue. Par ailleurs, la couleur n'en souligne que plus, de manière paradoxale et troublante, la vitalité qui émane de ces intrus insouciants et la beauté de Faustine, comme autant d'instantanés parfaitement capturés mais à jamais glacés et figés.

Enfin, côté casting, c'est Alain Saury qui interprète Luis. Il retranscrit très bien les troubles de son personnage, incertain et égaré, face à ce spectacle dont il ne saisit pas encore le sens. Offrant le contraste parfait par rapport à l'ambiance de plus en plus déroutante qui s'installe, sa voix calme et monocorde fait office de narrateur, rythmant le récit à sa manière : le ton relativement calme dont elle ne se départit jamais, en dépit de tous les questionnements qui peuvent se bousculer, en fait un repère solide. Juliette Mills joue l'ensorcellante Faustine, tandis que Didier Conti incarne l'inquiétant Morel. On croise également Ursula Vian-Kubler, Dominique Vincent, Eric Sinclair, Max Vialle, Robert Rimbaud, Florence Musset, Anne Talbo, Jean Martin, Paule Dehelly, Guy d'Arcanques, Maurice Cieutat et Tony Sandro.

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Bilan : Oeuvre envoûtante, presque hantée à sa manière, L'Invention de Morel fascine et captive, se réappropriant plusieurs thématiques du fantastique. Tour à tour fable existentielle, métaphysique, elle égare les certitudes et les repères de son personnage principal, et par ricochet du téléspectateur, troublant les frontières entre réalité et illusion, vie et mort, fin actée et éternité hors du temps... Bénéficiant d'un récit très bien construit, qu'il s'agisse de poser le mystère ou d'aboutir à sa résolution et à la conclusion choisie par Luis, le téléfilm se révèle prenant de bout en bout, à la fois intriguant et déroutant. En résumé, c'est une belle expérience télévisuelle, qui ne demande pas trop d'investissement en temps (1h30), et mérite assurément le détour. A conseiller au-delà même des seuls amateurs de fantastique.


NOTE : 7,75/10


Lien vers une bande-annonce : Bande-annonce DVD Ina Editions (Dailymotion).

17/06/2012

(FR) Le voyageur des siècles : une savoureuse plongée au coeur des paradoxes temporels

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Où je découvre que le petit écran français a lui aussi son voyageur partant à l'assaut du Temps avec son tournevis... magnétique.

C'est décidément la loi des séries : ce mois de juin aura été placé sous le signe des voyages temporels, après Jin, après Continuum, voilà une autre preuve que ce thème reste un classique par-delà les continents et les époques. En ce dimanche, My Télé is rich! vous propose donc de remonter le temps et d'embarquer dans ce qui aura été ma belle surprise de la semaine, tandis que je poursuis mon exploration du patrimoine télévisuel français. C'est que ce cycle consacré aux séries de l'ORTF est décidément riche en trésors dont je ne soupçonnais ni l'inventivité, ni la qualité ! Après La Brigade des Maléfices, c'est toujours dans la collection Les Inédits Fantastiques d'INA Editions, que j'ai trouvé mon bonheur, avec Le Voyageur des siècles.

Il s'agit d'une mini-série française qui a été diffusée dans le courant du moins d'août 1971 sur la première chaîne de l'ORTF. Elle compte en tout 4 épisodes, dont la durée oscille entre 1h15 et 1h25. Au départ, ce projet a été développé pendant des années par Noël-Noël et Jean Dréville à destination du cinéma. C'est finalement sur le petit écran que le scénario de Noël-Noël voit le jour, avec des moyens budgétaires forcément moindres, mais toujours Jean Dréville derrière la caméra. Sa diffusion égarée au coeur de l'été 1971 s'est malheureusement soldée par un échec. Heureusement, il y a eu depuis les rediffusions sur le câble et la sortie du coffret DVD (le mois dernier) pour éviter qu'elle ne tombe dans un injuste oubli. Car Le Voyageur des siècles est une réjouissante et originale oeuvre de science-fiction comme le petit écran français en a rarement proposé : un petit bijou à (re)découvrir !

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L'histoire débute par un prologue se situant dans le futur, en 1981. Souhaitant mettre un terme à l'indivision de leurs terres, la soeur de Philippe d'Audigné fait appel à des enquêteurs pour essayer de retrouver son frère disparu. Scientifique et inventeur passionné, ce dernier menait dans le plus grand secret des expériences à partir de travaux commencés un siècle auparavant par leur grand-oncle, le savant François d'Audigné. Mais les recherches tournent court, leurs conclusions se heurtant à la logique de leur raison.

En réalité, Philippe d'Audigné a réussi ses recherches : il a mis au point une machine capable de voyager dans le temps. Sa première incursion officielle dans le passé le conduit dans les années 1880, à la rencontre de son grand-oncle sans qui rien n'aurait été possible. Ce dernier est émerveillé par la mise en oeuvre de ses théories et l'arrivée de ce visiteur du futur, un petit-neveu débarqué d'un autre temps. Mais Philippe a d'autres projets que ces retrouvailles scientifiques : dans un des miroirs qu'il utilise pour capturer des images du passé, il est tombé amoureux d'une belle jeune femme qui vivait au château dans les années 1780.

Philippe et François d'Audigné mettent alors le cap vers 1788. Si la Révolution française menace celle qu'il considère comme sa dulcinée, poussé par l'amour, jusqu'où Philippe sera-t-il capable d'aller et quels bouleversements sera-t-il prêt à provoquer pour la sauver ?

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Présentée dès son introduction par un néologisme évocateur, celui de "julvernerie moderne", Le Voyageur des siècles est une véritable invitation à se lancer dans une histoire extraordinaire : celle d'une aventure à part à travers les époques. Il est intéressant de noter que le récit se vit du point de vue de François d'Audigné, savant du XIXe siècle au talent de conteur indéniable, lequel nous relate les évènements a posteriori avec une voix off qui apporte une saveur particulière à l'ensemble. Dotée d'une écriture réjouissante qui mise beaucoup sur l'émerveillement provoqué par cette ouverture sur le passé et/ou le futur, la mini-série se réapproprie toutes les facettes de ce thème classique de science-fiction qu'est le voyage dans le temps.  

L'amateur de SF est donc en terrain conquis : toutes les problématiques soulevées par ce sujet sont abordées, qu'il s'agisse de rencontrer, ému, des ancêtres, de nouer des relations hors du temps avec des figures du passé, et bien entendu, la plus importante, la question de l'influence que l'on peut avoir sur le bon déroulement de l'Histoire. La mini-série se révèle ici particulièrement bien construite. Elle démarre de la plus anecdotique et sobre des manières, au XIXe siècle, par une simple rencontre entre le grand-oncle inventeur et Philippe qui vient lui apprendre que ses théories sont justes et lui offrir un bref aperçu du futur. Puis, lors du deuxième saut temporel qui les conduit au XVIIIe siècle, d'observateurs extérieurs, nos héros deviennent des acteurs à part entière : leurs agissements font alors basculer le récit dans une véritable uchronie, bousculant les évènements et changeant la face du monde en communiquant à Louis XVI des informations qu'il n'aurait jamais dû avoir. Les limites du voyage temporel, et surtout leur impact sur les voyageurs, vont alors prendre tout leur sens.

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Adoptant initialement une tonalité enlevée et légère qu tend plutôt vers la comédie, Le Voyageur des siècles sait basculer dans un versant plus dramatique lorsque les enjeux se complexifient. A l'innocence première des explorateurs curieux de tout et fascinés par ce passé qui revit sous leurs yeux, succède le déchirement d'être rattrapé par les évènements, puis par la responsabilité qui pèse sur eux d'avoir décidé d'en changer le cours. L'efficacité de l'histoire doit beaucoup à l'empathie que suscitent les personnages confrontés à leurs dilemmes, mais aussi au soin apporté aux époques qu'ils découvrent. La série fait souvent preuve d'une richesse et d'une inventivité au charme un peu désuet, mais tellement stimulant. Initialement, le prologue débute d'ailleurs comme une série d'anticipation, offrant une vision futuriste de l'année 1981 (la série date de 1971), avec ses voitures magnétiques, ses télévisions sans écran et ses gratte-ciels à perte de vue jusqu'à Saint-Flour (!). Par la suite, Le Voyageur des siècles se rapproche du récit historique, à la découverte du XIXe (avec par exemple ce professeur fervent soutien du boulangisme), puis du XVIIIe siècle.

Les deux derniers épisodes sont sans doute les plus savoureux dans la reconstitution proposée. Tout d'abord parce que la France de 1788 vue à travers les yeux de François et de Philippe, émerveillés par ce qui les entoure, présente un portrait plein d'anecdotes au cours duquel le téléspectateur a presque l'impression d'être à leurs côtés. Et ensuite, parce que le basculement dans la néo-Histoire, en 1808, dans un royaume qui n'a pas connu la Révolution et donc l'Empire, nous entraîne dans une société du début du XIXe siècle difficilement reconnaissable du fait des avancées technologiques anarchiques permises par les indications de Philippe. Le scénariste montre alors l'étendue de son imagination fertile, avec ces chaises à porteur devenues à moteur, ces téléphones au combiné improbable... Et puis, la mini-série nous entraîne sur les pas d'un Empereur au destin inaccompli, mais dont l'aura incontestable écrase et laisse tout aussi admiratifs le républicain et le monarchiste qui forment pourtant notre duo d'explorateurs. L'uchronie, ici particulièrement savoureuse, mérite vraiment le détour !

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Si la série déborde d'idées qu'il est réjouissant de voir transposer à l'écran, c'est logiquement sur la forme que Le Voyageur des siècles montre ses limites et a sans doute le plus vieilli. Cependant, la réalisation n'a rien perdu de son efficacté narrative et le plaisir de visionner la mini-série est intact. Au fond, l'image en noir & blanc, les décors recréés avec les moyens du bord - notamment en arrière-plans - et les images qui font parfois assez datées ajoutent finalement un certain parfum de nostalgie qui n'est pas déplaisant.

Si la vitalité de l'ensemble demeure, c'est aussi en partie grâce à un casting impeccable. Hervé Jolly apporte une belle fougue de jeunesse à son portrait de Philippe d'Audigné, homme brillant emporté par ses sentiments. Pour former avec lui un duo complémentaire, au sein duquel naît une vraie complicité, c'est Robert Vattier qui incarne avec une bonhomie savoureuse François d'Audigné. Les seconds rôles sont aussi solides : Raymond Baillet est l'assistant de François, celui qui lit le récit laissé par son maître aux grands professeurs de son temps. Et c'est la belle Myriam Colombi qui interprète celle qui a été la motivation de Philippe durant toutes ces années pour perfectionner sa machine à remonter le temps.

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La dernière Renault magnétique de 1981

Bilan : Se réappropriant avec inventivité et enthousiasme ce grand thème de la science-fiction qu'est le voyage dans le temps, Le Voyageur des siècles se découvre avec beaucoup de plaisir. Elle se démarque par son écriture au dynamisme communicatif et par la richesse avec laquelle son univers est recréé. En effet, un soin constant est apporté aux détails, qu'il s'agisse de reconstitution - et recontextualisation - historique, ou bien lorsque la série s'aventure dans l'uchronie. Elle reste aujourd'hui une perle très originale de la télévision française. C'est donc une aventure qui mérite le détour, pour les curieux, les amateurs de science-fiction et/ou de bonnes séries françaises.


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de la série :

03/06/2012

(FR) La Brigade des Maléfices : aux frontières du policier et du merveilleux

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My Télé is Rich! continue de remonter le temps, et tombe sur de vraies perles du petit écran. Après la fiction historique, dimanche dernier avec Ardéchois coeur fidèle, je vous propose aujourd'hui dans ce "cycle ORTF" une incursion dans le fantastique. En effet, c'est un genre dans lequel le petit écran français s'est essayé avec parfois beaucoup d'inventivité, même si cette tradition semble un peu oubliée de nos jours. Cependant l'excellente initiative d'INA Editions rend désormais accessible certaines de ces fictions expérimentales et originales de notre patrimoine télévisuel, dans une collection DVD qu'il faut avoir à l'oeil : Les Inédits Fantastiques. La première série sur laquelle je me suis arrêtée m'a été conseillée sur twitter par Thibault... que je remercie donc pour la découverte !

La Brigade des Maléfices a été diffusée durant l'été 1971 (d'août à septembre) sur la deuxième chaîne de l'ORTF, elle y rencontra un certain succès mais ne fut pas reconduite. Elle compte donc seulement une saison de 6 épisodes d'une durée de 55 minutes environ. Imaginée et scénarisée par Claude Guillemot et Claude Nahon (Claude Jean-Philippe, présentateur du Ciné-Club d'Antenne 2), cette série possède un charme certain, un peu désuet, qui apparaît comme une forme d'appel sincère à l'imaginaire du téléspectateur. Elle se redécouvre avec attachement et plaisir, même 40 ans après sa diffusion originale.

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Le monologue du générique d'ouverture fait figure d'introduction dans l'univers atypique de la série, entrouvrant pour le téléspectateur les portes du fantastique : "La brigade des maléfices ne figure sur aucun document officiel de la préfecture de police. Personne dans le public ne soupçonne son existence et pourtant chaque jour s’étend le champ de son activité. Bien des enquêtes menées par les plus fins limiers de la police judiciaire s’arrêtent soudain devant l’impossible, l’incroyable ou le surnaturel. C’est alors qu’intervient Guillaume-Martin Paumier, chef de la brigade des maléfices, Sherlock Holmes de la féérie, Maigret de la sorcellerie moderne, expert en sciences occultes, familier de l'invisible, l'inspecteur Paumier ne refuse aucune des voies ouvertes sur l'inconnu. Il a accepté d'ouvrir pour nous quelques dossiers, de nous faire participer à quelques-unes de ses étrangers enquêtes."

Exilée sous les combles du commissariat parisien du Quai des Orfèvres, la Brigade des Maléfices est donc une unité très particulière de la police française. Elle ne compte que deux membres, l'inspecteur Paumier, figure flegmatique et malicieuse à barbe blanche pour qui le surnaturel est un quotidien qui n'a pas de secret, et son assistant, Albert, agent à tout faire et chauffeur de son supérieur dans sa moto deux places lorsqu'ils doivent se déplacer. Quand des enquêtes se heurtent à l'inexplicable, semblant échapper à l'entendement, le commissaire principal prend son téléphone pour les contacter. Disparitions mystérieuses, crimes conjugaux en série, épidémie de suicide, braquage de banque du sang ou encore escroquerie à portée interstellaire, ce sont des affaires très différentes qui sont ainsi soumises à la brigade.

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Permettant l'alliance de deux genres importants du petit écran, le polar et le fantastique, la Brigade des Maléfices est une série, au style théâtral et au rythme relativement lent, qui flirte avec un savoureux surréalisme. Teintée d'humour mais aussi touchante à l'occasion, la tonalité est originale. De façon intrigante, la fiction propose une incursion dans un merveilleux parfaitement intégré au quotidien de cette société française du début des années 70, dont elle nous offre un aperçu complet, entre boom des appareils électro-ménagers et constructions de grands ensembles.

S'inscrivant dans une tradition classique du fantastique qui lui permet d'explorer les grands mythes du genre, comme les fées, les vampires, les fantômes ou bien un démon au nom suggestif (Diablevert), voire une charmante extraterrestre Vénusienne, la série organise et banalise les rencontres avec l'extraordinaire d'individus normaux, soudain confrontés à des choses qui dépassent leur entendement. Il est intéressant de noter qu'il n'y a pas d'opposition ou de lutte systématique avec ces éléments issus du surnaturel : la plupart du temps, il s'agit d'assurer une cohabitation permettant que tout rentre dans l'ordre. Le seul véritable adversaire (récurrent) de Paumier est Diablevert : cette figure diabolique, filant toujours pour mieux réapparaître avec un nouveau plan qu'il faut exposer au grand jour pour y mettre un terme, occupe là une fonction incontournable dans ce type de fiction.

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Appel au rêve et à l'imaginaire, la série trouve un intéressant équilibre entre ses différents genres. Elle développe un versant policier, à la dynamique savoureuse, et où l'humour diffus, distillé à juste dose, est très présent. Paumier, dans sa robe de chambre défraîchie et son bureau bigarré comprenant mille merveilles et autres étrangetés, a l'apparence d'un vieil original hors du temps, mais révèle la malice et la sagacité d'un fin limier. Albert offre un parfait pendant, avec des remarques souvent comiques. A l'opposé de cette ouverture d'esprit, le commissaire Muselier et son arrogance cartésienne tourne en dérision son collègue, pour toujours devoir finir par s'incliner devant ses contributions. Au milieu, le commissaire principal, réticent mais prudent, conserve quant à lui une retenue pragmatique.

Outre cette dynamique propre au commissariat, La Brigade des Maléfices prend également le temps d'explorer le point de vue non policier. En effet, à chaque épisode, elle soigne tout particulièrement son cadre et l'histoire qui s'y rattache. Une place importante est ainsi laissée aux créatures fantastiques, la rapprochant par moment presque d'un format semi-anthologique. Chaque épisode a une tonalité qui lui est propre, et des atmosphères particulières. Parmi les plus marquantes, je citerais celle du 1er épisode où la mise en scène de cette mare aux fées trouve un écho poétique troublant à l'écran. Les histoires usent généralement de ressorts classiques mais efficaces, avec une inventivité appréciable, à l'image du 2e épisode sur la place de la télévision dans les familles et la mystérieuse septième chaîne. L'amour n'est pas non plus absent, sorte de trait d'union le plus universel qui soit entre ordinaire et surnaturel. On assiste ainsi à un mélange de simplicité et d'originalité qui se visionne avec plaisir.

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Sur la forme, un des défis qu'aura su relever La Brigade des Maléfices aura été de parvenir à évoquer le merveilleux sans réels moyens budgétaires : elle repose entièrement sur une ambiance et des montages suggestifs. Et le résultat ne manque pour autant pas d'intérêt. Un des passages du genre les plus réussis restera sans doute celui du premier épisode : pour révéler l'existence d'une créature envoûtante, on assiste à une longue scène tremblotante où apparaît et disparaît dans les images d'un film amateur la troublante fée de la mare du bois de Rambouillet. De plus, la musique joue aussi un rôle important, qu'il s'agisse de poser une atmosphère inquiétante, de souligner les passages de tension, ou plus généralement d'embrasser le versant un peu rêveur du fantastique dans laquelle la série se complaît.

Enfin La Brigade des Maléfices bénéficie d'un casting qui contribue à l'attachement que l'on éprouve pour cette fiction. Léo Campion incarne un inspecteur Paumier particulièrement savoureux, tandis que Marc Lamole joue avec spontanéité son assistant. Jean-Claude Balard, à l'arrogance un peu nonchalente, est le commissaire Muselier, ferraillant régulièrement avec Paumier, tandis que Jacques François incarne leur supérieur hiérarchique. Mais la série vaut également les guest-stars marquantes qu'elle accueille, au premier rang desquels Pierre Brasseur qui, par deux fois, revient incarner ce démon charismatique Diablevert que la brigade tentera d'empêcher de nuire. Dans le 4e épisode, il se retrouvera même face à son fils, Claude Brasseur, qui joue alors la victime potentielle de ses machinations. On croise également Sylvie Fennec en fée ensorcelante, Anny Duperey en Vénusienne de charme, Pierre Vernier en vampire mélancolique ou encore Jean-Pierre Andréani.

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Bilan : Se réappropriant, sans moyens mais avec une belle dose d'inventivité, les grands mythes du fantastique pour les introduire dans le quotidien de la société française du début des années 1970, La Brigade des Maléfices est une série attachante, à laquelle l'humour et le flegme de son personnage principal apportent un charme un peu désuet plaisant. Série d'ambiance, dotée d'un rythme plutôt lent auquel il faut prendre le temps de s'ajuster, elle ouvre les portes d'un merveilleux accessible qui interpelle l'imaginaire d'un téléspectateur, parfois rêveur, d'autre fois intrigué, mais à la curiosité toujours piquée.

Parce que X-Files, Torchwood et les autres n'ont pas le monopole des enquêtes sur le surnaturel... Voilà un digne représentant français de ce genre qui mérite d'être redécouvert !


NOTE : 7,75/10


Le générique :

26/05/2012

(FR) Ardéchois coeur fidèle : vengeance, amitié et condition ouvrière sous la Restauration

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Essayer tant bien que mal de se tenir à jour des dernières nouveautés dans le monde des séries est un défi insurmontable. Le plus tôt le sériephile l'admet, le mieux il se porte. Trop de choses intéressantes et autres curiosités pour suivre le rythme. Il faut se faire une raison : impossible de tout voir. Mais on tâchera tant bien que mal de sélectionner l'essentiel d'une saison en fonction de nos affinités. Sauf que le petit écran a beau se renouveler constamment, cela n'est pas non plus une raison pour oublier les oeuvres passées. Et puis, ce n'est pas ma faute si je suis née plusieurs décennies après la naissance du petit écran et des séries ! Ces six derniers mois, j'ai fait de belles découvertes en m'aventurant dans les 60s' aux Etats-Unis avec Rawhide et dans les 70s' en Angleterre avec The Sandbaggers. Mais je n'étais encore jamais remontée dans l'histoire télévisuelle française.

Et puis, l'autre jour, j'ai eu envie d'expérimenter (parce que ce blog n'est qu'un vaste compte-rendu d'expériences téléphagiques plus ou moins téméraires). Armée de mon dictionnaire sur les séries (enrichi depuis par des contacts twitter) et d'une carte bleue, j'ai donc fait quelques emplettes DVD. Et c'est comme cela que je vous propose aujourd'hui de débuter ce qu'on appellera un "cycle ORTF" (à voir si on ira au-delà ou pas). J'évoquerai aussi d'autres genres, mais il me semblait logique de commencer par de l'historique. Pas seulement parce que je suis une grande amatrice, mais aussi parce que j'ai toujours entendu parler en grandissant d'un supposé "âge d'or de la fiction française historique" ; et jusqu'à présent, hormis les Rois maudits, je n'avais vraiment eu l'occasion de tester...

Mon choix s'est porté sur Ardéchois coeur fidèle (non cela n'a rien à voir avec mes racines ardéchoises). Cette série compte 6 épisodes, de 55 minutes environ (notez que, sur le DVD, les épisodes ne sont pas découpés). Au scénario, on retrouve Jean Cosmos et Jean Chatenay. Elle a été diffusée sur la deuxième chaîne de l'ORTF du 21 novembre au 19 décembre 1974, où elle a rencontré un franc succès d'audience (favorisé par les grèves qui touchaient alors l'ORTF). En ce qui me concerne, j'ai apprécié cette immersion dans la première moitié du XIXe siècle : elle est non seulement une série d'aventure humaine et historique, mêlant de grands thèmes de vengeance et d'amitié, elle s'impose aussi un portrait social d'une grande richesse.

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Ardéchois coeur fidèle se déroule dans les années 1820 sous la Restauration. Toussaint Rouveyre rentre chez lui, en Ardèche, après presque une décennie passée au loin, qui l'a entraîné jusqu'au Canada. Ancien capitaine des armées de Napoléon, il était en effet à Waterloo lors de l'ultime défaite de l'Empereur. Il retrouve une famille aux penchants républicains notoires qui a souffert sous la Terreur blanche, la réaction royaliste qui a accompagné l'instauration du nouveau régime. Toussaint ne sait comment reprendre le fil de sa vie. Il songe à repartir de l'autre côté de l'Atlantique. Son oncle l'encourage cependant sur une autre voie : celle du métier de menuisier, exercé dans le cadre d'une association particulière, celle des compagnons.

Toussaint le soldat ne s'imagine pas ouvrier, mais se trouvant rapidement en porte-à-faux avec les autorités policières, il reprend la route pour retrouver son frère qui est en train d'effectuer le tour de France des compagnons. Sans nouvelle de lui depuis trop longtemps, son enquête le conduit à Tournon, sur les lieux d'une rixe entre Compagnons du Devoir et Compagnons du Devoir de Liberté qui a dégénéré. Son frère, qui appartenait à la première, est mort dans la mêlée alors qu'il n'avait même pas 20 ans. Toussaint n'obtient qu'un nom : Tourangeau sans Quartier. Il décide alors d'entrer dans cette société des compagnons du Devoir de Liberté avec pour objectif de découvrir ce qu'il s'est vraiment passé et de tuer le meurtrier de son frère.

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Animée d'un sacré souffle narratif, Ardéchois coeur fidèle débute comme un récit de vengeance classique. Pourtant, la série va rapidement prendre un tournant plus subtil et nuancé pour s'imposer dans un autre registre. C'est avant tout une fiction empreinte d'une profonde humanité qui, détachée de tout manichéisme, va mettre en scène des personnages complexes, riches en paradoxes et en ambivalences. La quête de Toussaint le conduit en effet dans un milieu qui parle à l'ancien soldat : il y retrouve la solidarité et la solidité caractérisant ces liens humains qui ne peuvent naître qu'au sein de communautés unies par des conditions de vie difficiles. Avec leurs principes, mais aussi leurs contradictions et leurs fortes personnalités, tous les personnages se révèlent très attachants. L'écriture laisse pleinement s'exprimer l'intensité des émotions mal apprivoisées de ces ouvriers qui apprennent la vie en même temps qu'un métier. Cela permet de susciter une réelle empathie auprès du téléspectateur. Récit d'amitiés solides se créant sur les routes du tour de France, Ardéchois coeur fidèle traite aussi des rapports de l'individu au collectif, en essayant de tracer les limites d'un certain corporatisme. Marquée par le drame de cette rixe qui a mal tourné, elle éclaire avec beaucoup de justesse les dynamiques chargées d'ambiguïtés inhérentes à ce milieu. 

De plus, la série peut s'appuyer sur une solide reconstitution historique. En toile de fond, elle expose les tensions politiques, et surtout sociales, de la société française de l'époque. Survolant aussi bien les agitations bonapartistes que l'appareil répressif de l'Etat avec sa défiance à l'égard de toutes associations ouvrières, elle fait preuve de beaucoup d'acuité dans le portrait dressé ; le passé de Toussaint et les liens qu'il conserve avec d'anciens fidèles de l'Empereur permettent ici d'enrichir le tableau. Reste que c'est logiquement par sa dimension sociale, par l'immersion dans le milieu du compagnonnage qu'elle retient tout particulièrement l'attention. La série prend une allure très pédagogique quand il s'agit de nous permettre d'apprécier les rites et raisonnements singuliers des membres de la société dans laquelle Toussaint s'introduit. Globalement, ce soin des détails apporte un parfum d'authenticité appréciable. En filigranne, c'est la condition d'une certaine catégorie d'ouvriers dans une France qui n'en est encore qu'aux premiers frémissements de la révolution industrielle qu'Ardéchois coeur fidèle éclaire. 

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Sur la forme, en terme d'images, il faut sans doute ici surtout s'arrêter pour parler de la qualité vidéo du DVD : cette dernière oscille de moyen à médiocre, suivant les scènes et l'éclairage. Cependant, cela n'affecte pas le visionnage, car l'histoire se suit sans problème et n'en est pas moins agréable. Le thème musical récurrent, entraînant, donne assez bien le ton de ce qui reste une aventure historique rythmée.

Enfin, Ardéchois coeur fidèle bénéfice d'un casting très convaincant, porté par un duo magistral sans lequel la série n'aurait sans doute pas eu la même force. Sylvain Joubert a la présence et l'intensité adéquates pour incarner cet ancien officier marqué par la mort de son frère, mais dont l'expérience passée et le recul joueront beaucoup dans son appréciation des évènements. Face à lui, Claude Brosset sait également retranscrire les ambivalences de son personnage : la brute sanguinaire initialement présentée se révèlera bien plus complexe que sa réputation ne pouvait le  laisser entrevoir. A leurs côtés, on retrouve notamment Pierre Guéant, Henri Marteau, Claude Furlan, Julien Verdier, Michel Robin, Alice Reichen, Max Doria, Jean Champion, Alain Doutey ou encore Michel Pilorgé.

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Bilan : Fresque historique riche et rythmée, Ardéchois coeur fidèle est une série qui marque par son éclairage social, mais aussi par son humanité. Bénéficiant de personnages tout en contradictions et en paradoxes qui s'imposent comme autant de de personnalités fortes et ambiguës, cette quête de vengeance dépasse rapidement les limites du genre pour devenir plutôt une histoire d'apprentissage et d'amitiés, dans ce milieu ouvrier particulier où une conscience de classe semble encore seulement en gestation.

C'est donc une série très intéressante à plus d'un titre. Pour les amateurs de fictions historiques et ceux qui apprécient ces vieux feuilletons français.


NOTE : 7,25/10


Le générique :