13/08/2010
(UK / Pilote) Sherlock Holmes : les classiques sont indémodables. (A Scandal in Bohemia)
Cependant, quand on évoque Sherlock Holmes à un téléphage, logiquement, le nom qui lui vient à l'esprit instinctivement, celui qui représente la personnification télévisée du détective dans bien des coeurs et des souvenirs, demeure, bien évidemment, Jeremy Brett. Il aura conquis bien des générations, dans ce qui est considéré comme probablement la meilleure adaptation au petit écran des romans de Sir Arthur Conan Doyle (nous verrons ce que l'avenir réserve à Sherlock, 3 épisodes, c'est insuffisant pour émettre un jugement).
Sherlock Holmes, c'est une série produite par Granada Television, dont la diffusion s'étendit de 1984 à 1994, sur la chaîne anglaise ITV. La maladie, puis le décès de Jeremy Brett, en 1995, interrompit la suite d'adaptations. Elle a porté à l'écran, au total, 41 des 60 aventures romancées par Arthur Conan Doyle. Elle se divise en six saisons et cinq téléfilms, portant sur quatre grandes périodes, respectivement intitulées The Adventures of Sherlock Holmes (1984-1985), The Return of Sherlock Holmes (1986-1988), The Casebook of Sherlock Holmes (1991-1993) et, enfin, The Memoirs of Sherlock Holmes (1994).
Jeremy Brett laissera une trace indélébile dans la mythologie de Sherlock Holmes, par une interprétation plus vraie que nature du détective anglais, donnant vie dans sa complexité et ses paradoxes à ce personnage qui a tant fasciné et fascine toujours autant. A ses côtés, le personnage du Docteur Watson connaîtra un changement de casting. Tout d'abord interprété par David Burke, durant The Adventures of Sherlock Holmes, ce sera ensuite Edward Hardwicke qui prendra la relève pour le reste des adaptations.
Avoir suivi, au cours des dernières semaines, la modernisation proposée par BBC1 a réveillé en moi mon éternelle fibre nostalgique toujours prompte à être réactivée au moindre prétexte. D'où, ces derniers jours, ma soudaine envie de renouer avec les classiques et de me replonger dans cette ambiance victorienne inimitable, reconstitution historique particulièrement soignée et intégrée de façon naturelle à ce récit policier. C'est ainsi que je me suis installée devant le premier épisode de la série, curieuse de revoir comment la série nous avait introduit dans son univers.
A la différence du Sherlock BBC-ien, qui opta pour une approche narrative chronologique, en ré-adaptant à l'écran, à sa manière, l'aventure marquant la première rencontre entre Sherlock Holmes et John Watson, à l'occasion de l'enquête sur Une étude en rouge (A study in Scarlet, en VO), le Sherlock Holmes ITV-ien préfère lui nous introduire directement auprès d'un duo déjà formé, à la dynamique bien huilée et aux repères posés. Peut-être pour offrir aux téléspectateurs l'opportunité d'entre-apercevoir toutes les différentes facettes de ce personnage si complexe qu'est Sherlock Holmes, ce premier épisode est une adaptation de la seule histoire, publiée en 1891 par Arthur Conan Doyle, mettant en scène une des figures féminines pourtant les plus importantes du canon Holmes-ien, Irene Adler. Il s'agit d'Un scandale en Bohème (A scandal in Bohemia).
L'épisode est tout d'abord intéressant, car, de par son statut de "pilote", c'est à lui que va incomber la tâche de nous introduire dans cette nouvelle version du canon Holmes-ien. Puisque les personnages ont déjà adopté ce quotidien routinier qui est le leur, au 221B Baker Street, la présentation à destination du téléspectateur va être amenée de façon informelle. Dans cette perspective, les premières minutes vont s'avérer particulièrement réussies. Nous y suivons le retour de Watson après plusieurs jours d'absence. Le temps de croiser Mrs Hudson et le voilà à l'étage, incertain, presque anxieux, de l'état dans lequel il va retrouver Sherlock Holmes.
Dès les premiers échanges entre eux, dialogues déjà savoureux et captant immédiatement l'essence des deux personnages, les clés principales pour comprendre le fonctionnement du duo nous sont distillées, en guise d'introduction qui ne porte pas son nom. Sherlock Holmes et son esprit brillant, si versé à sombrer dans l'ennui lorsqu'aucun mytère ne se dresse devant lui. Son penchant pour certaines drogues et autres sources d'addiction est en même temps l'occasion de montrer la haute estime qu'a pour lui (et son intelligence) un Watson que le recours à ces produits met hors de lui. Sherlock et sa profession, unique, de "consulting detective", statut qu'il s'est lui-même donné. Aucun doute, l'esprit Holmes-ien est là, instantanément, dans le petit écran.
L'histoire en elle-même est divertissante et plaisante à suivre, car elle est l'occasion d'y retrouver utilisés tous les ingrédients qui font l'identité de la série. L'héritier du trône de Boheme sollicite les services de Sherlock Holmes pour retrouver une photographie compromettante, prise aux côtés d'une jeune femme qu'il a aimée il y a quelques années, Irene Adler. Désormais fiancé à quelqu'un de rang noble, ce souvenir, conservé par son ancienne amie, donne des sueurs froides au prince, qui craint le scandale. Blessée d'avoir été éconduite, Irène lui aurait assuré qu'elle enverrait la photographie l'incriminant le jour de l'officialisation de ses fiançailles. Malgré tous ses efforts et autres effractions peu légales, l'objet demeure hors d'atteinte du fiancé qui, ne sachant plus comment s'y prendre, se tourne donc vers le célèbre détective anglais.
Au final, tout cela nous donne une aventure rythmée, qui maintient l'attention du téléspectateur tout au long de l'épisde. On y retrouve aussi avec plaisir les éléments essentiels du "canon". Des jeux de déductions, autour d'une simple lettre excessivement sybilline, jusqu'aux déguisements et autres missions "sous couverture" pour se jouer de son adversaire du jour, en passant par un sens de l'initiative et de la débrouillardise sollicité comme il se doit. Et puis, l'histoire revêt peut-être une dimension supplémentaire de par la déférence vis-à-vis du personnage d'Irene Adler, brève rencontre qui marquera profondément le détective, comme insiste dessus à plusieurs reprises Watson.
Bilan : Classique indémodable, reconstitution littéraire comme historique aboutie et entière, Sherlock Holmes est une de ces fictions sur laquelle le temps n'a que peu d'emprise, si ce n'est de façon anecdotique, en terme d'images et de réalisation. Savoureuses à suivre, les aventures mises en scène ont ce même parfum, tour à tour intrigant, piquant, qui émane des livres, porté par la fascination magnétique qu'exerce, auprès du téléspectateur, la version de Sherlock Holmes proposée par Jeremy Brett. Un classique qui se savoure sans modération.
NOTE : 9/10
Le générique (au thème musical savoureux) :
11:59 Publié dans (Pilotes UK), (Séries britanniques) | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : itv, sherlock holmes, jeremy brett, david burke, edward hardwicke | Facebook |
11/08/2010
(J-Drama) Mousou Shimai (Paranoid Sisters) : une poésie téléphagique à vivre et ressentir
Trois coups de coeur téléphagiques japonais en un été. Je crois qu'on peut officiellement dire que je me suis réconciliée avec le Japon, non ? Ce qui est enthousiasmant, c'est de constater que ces trois coups de coeur concernent des séries très différentes, traitant de thématiques qui n'ont rien à voir. Preuve de richesse d'un petit écran japonais cachant décidément en son sein des perles téléphagiques qui justifient vraiment cette quête vers l'inconnu, un peu abstraite, qui pousse le sériephile à l'exploration. Certes, j'ai passé sous silence tous mes échecs et vous épargnerez donc les reviews des quelques dizaines de pilotes non concluants qu'il aura fallu visionner pour dénicher ces trois petits bijoux, mais qu'importe.
Armée donc de votre liste de recommandations j-drama-esques, samedi dernier, j'ai lancé le premier épisode d'une des séries conseillées, Mousou Shimai. Il y avait une part d'excitation chez moi, mais aussi un peu d'appréhension. Il faut dire que la critique dythirambique qu'en avait rédigée Ladyteruki m'avait un peu effrayée : la peur de rompre la magie que faisait ressortir la review.
Sur ce point, j'avoue que le coup de foudre avec Mousou Shimai n'a pas été immédiat. Le premier épisode m'a autant intriguée que déroutée. Surprise, presque perplexe, j'ai poursuivi la découverte. C'est progressivement, au fil des minutes, que je suis rentrée dans cet univers. La soirée progressant, je n'ai bientôt plus réussi à me détacher de cette ambiance si particulière. Et c'est véritablement au cours du troisième épisode que la magie de ce drama m'a touchée en plein coeur. Pour ne plus me quitter jusqu'à la fin. Un moment de grâce téléphagique comme on en ressent peu, à chérir précieusement.
Composé de 11 épisodes d'une durée moyenne de 25 minutes, sauf le dernier qui en dure une cinquantaine, Mousou Shimai fut diffusé sur la chaîne NTV du 17 janvier au 28 mars 2009.
Ce drama nous plonge dans l'intimité de trois soeurs qui vivent dans la grande maison familiale que leur a laissée leur père, décédé, entre ces mêmes murs, il y a vingt ans, dans des circonstances mystérieuses. Écrivain prestigieux, au talent reconnu par ses pairs et le public, sa mort est demeurée depuis inexpliquée. La pièce dans laquelle il se trouvait ayant été fermée de l'intérieur, et le corps ne portant aucune trace de blessure, ni ne contenant le moindre poison, les enquêteurs ne purent relever aucun indice permettant d'écarter ou de valider l'hypothèse du meurtre ou du suicide. Les trois soeurs ont continué leur vie et ont grandi, enterrant quelque part au fond de leur coeur ces questions douloureuses et sans réponse laissées par leur enfance. Ne prêtant plus vraiment attention au passé, elles sont devenues trois jeunes femmes, chacune au tempérament très différent. L'aînée, la maternelle et douce Akiko, s'occupe désormais du quotidien domestique, tout en veillant sur ses soeurs. La cadette, Fujio, profite pleinement de la vie, entièrement consacrée à son plaisir personnel. Enfin, Setsuko, rêveuse à la constitution fragile, se complaît dans son statut de benjamine de la maisonnée.
Mais le jour du vingtième anniversaire de la mort de leur père, elles reçoivent une lettre qui va bouleverser ce petit quotidien bien huilé. Elle émane de leur père lui-même, qui l'a écrite juste avant sa mort. Le message est cryptique. Tout en leur demandant pardon, il laisse entendre qu'il leur a laissé un secret, dans sa bibliothèque qu'il aimait tant. L'enveloppe contient également une petite clé qui leur donne accès à un coffre-fort caché derrière les rayonnages des livres. A l'intérieur, les soeurs y trouvent onze ouvrages, qui paraissaient manquant dans la collection de leur père. A côté, ce dernier a laissé une instruction sibylline : elles doivent les lire dans l'ordre où il les a laissés. A partir de là, les jeunes femmes vont se plonger dans les histoires suggestives, parfois érotiques, de ces romans. En s'identifiant dans les héroïnes qu'elles mettent en scène, c'est une part d'elles-mêmes qu'elles vont découvrir.
Cette première présentation laisse déjà présager l'étrange mélange des genres que va proposer Mousou Shimai. C'est une série qui ne ressemble à aucun drama que j'avais eu l'occasion de découvrir jusqu'à présent. Étrange assortiment, troublant, presque indéfinissable, illuminé par une beauté esthétique comme émotionnelle, aussi éblouissante que poétique, qui rend impossible toute classification, si ce n'est la certitude que seuls les japonais doivent être capables d'une telle création. Car Mousou Shimai est d'une richesse étonnante, investissant des thématiques qui se déclinent sur plusieurs niveaux de lecture.
Tout d'abord, ce drama est une enthousiasmante ode à la littérature. Une forme de déclaration d'amour, sans retenue, à ces histoires intenses, émouvantes, passionnelles, dont regorgent les livres dormant sur les étages de nos bibliothèques. C'est d'ailleurs à travers un point de vue de lecteur que les scénaristes vont nous faire vivre le parcours intimiste des trois soeurs qui prend rapidement un tournant de quête identitaire, troublant un peu plus nos repères. Car c'est sur elles-mêmes, autant que sur leur père, que va porter cette introspection littéraire. Chaque épisode est l'occasion de pénétrer, de s'immerger dans un ouvrage. Et chaque histoire ouvre un peu plus leur coeur, mais aussi celui d'un téléspectateur qui ne peut se détacher de ce tumulte émotionnel en train de naître. Mousou Shimai nous glisse ainsi aux côtés des héroînes de chacun des romans, par le biais d'une reconstitution où l'une des soeurs incarne le personnage principal.
Là où la magie opère, c'est que la série va réussir à transmettre au téléspectateur un ressenti diffus, difficile à décrire, mais absolument unique : l'impression d'être en train de lire devant notre télévision. Comment s'y prend-elle ? En parvenant à introduire des ingrédients propre à lecture dans sa narration. Mousou Shimai, c'est de la poésie téléphagique. Cela se concrétise par une ambiance profondément contemplative et poétique, où l'empathie domine et où le fond et la forme fusionnent. Cela passe aussi par des procédés techniques, comme l'incrustation à l'écran de certaines phrases du roman, lues à voix haute par une des soeurs. Ce sont aussi les échanges, souvent passionnés, qu'elles ont à la fin de chaque récit, et qui renforcent cette sensation par la vivacité et l'authenticité qui s'en dégagent. Le résultat est troublant car, au-delà même du sujet abordé, et comme s'il y avait plusieurs enjeux, plusieurs degrés de lecture, cette série apparaît tout d'abord comme un hommage d'une sincérité profonde à la littérature.
Outre ce choix narratif, Mousou Shimai, c'est aussi une histoire d'amour. Ou plutôt, il s'agit d'une histoire - ou d'une réflexion - sur l'amour. A mesure qu'elles progressent dans la collection de leur père, les soeurs vont explorer l'intensité, la versatilité, la diversité, la dangerosité, mais aussi la richesse, d'un sentiment a priori si volatile, si irrationnel, sur lequel elles ne se sont jamais vraiment penchées. D'une manière semblable à la construction de certaines fables, chaque histoire lue contient un apport, ou un enseignement, sur cette thématique centrale qu'est l'amour. Les soeurs suivent les pas d'héroïnes dont le destin fut commandé par ce sentiment. L'expérience est d'autant plus intense que les histoires mises en scène m'ont plus d'une fois laissée sans voix devant mon écran, y allant de ma petite larme. Car en entreprenant d'explorer des facettes multiples et différentes de l'amour, elles flirtent bien souvent avec la tragédie.
Pourtant, ne vous y trompez pas, Mousou Shimai n'est pas une série triste. Au contraire. Si l'amour et la mort semblent tout deux constamment, fatalement, imbriqués, ils le sont en reflet d'un lien plus profond, transcendant, qui unit deux êtres mortels. La narration conserve toujours une distance salutaire. Le rappel qu'il s'agit d'un roman est régulier, mais il est normal de se laisser toucher par des reconstitutions, dont le but premier est d'agir sur ses personnages, et par ricochet sur le téléspectateur. Les débats et analyses cliniques qu'en font les soeurs à la fin ne remettent d'ailleurs jamais en cause la décharge émotionnelle que constitue le récit brut que l'on vient de vivre ; le simple fait d'en discuter en accentue l'impact. Le tout est mis en scène de façon très contemplative, sans rapport avec les codes de narration occidentaux. C'est une mosaïque d'images et de ressentis qui se mélangent, d'où se dégage une authenticité émotionnelle rare. Dépourvue d'artifices, elle vous touche en plein coeur en un instant, sans que vous y preniez garde, vous submergeant le temps d'une parenthèse fictive au détour d'une page. Ce drama ouvre le coeur des soeurs, comme celui du téléspectateur. Et c'est tout simplement magique.
Expérience littéraire, introspection sentimentale, le tableau de Mousou Shimai se complète enfin d'un fil rouge aux accents policiers. La résolution de l'énigme que constitue la mort de leur père demeure l'objectif de ce parcours initiatique à travers la collection qu'il leur a laissée. Si le mystère semble souvent un peu lointain et l'enjeu parfois presque ailleurs, pour un téléspectateur que les immersions romanesques fascinent plus, cela insuffle cependant une dynamique supplémentaire au récit. Notre seule peur, c'est peut-être qu'une réponse trop terre-à-terre vienne briser la magie que la série a su créer. Dans cette perspective, la conclusion se révèlera finalement être en parfaite continuité avec la tonalité d'ensemble du drama. Toute aussi déstabilisante aussi.
Il est d'autant plus facile d'apprécier pleinement cette série que les trois héroïnes, à travers leurs différences et leurs oppositions, se révèlent toutes attachantes, chacune à leur manière, avec les contrastes qu'elles offrent. Les tensions qui se créent entre elles, au fil de l'expérience que leur père est en train de leur faire vivre, sonnent toujours avec beaucoup de justesse. Toute cette dynamique est vivante, et redonne une touche très humaine à une réflexion aux allures parfois un peu abstraites.
Cependant si Mousou Shimai est une oeuvre véritablement aboutie, elle l'est aussi parce que le fond et la forme se conjuguent en un tout indissociable, où la technique devient un ingrédient à part entière, faisant partie intégrante du récit. La réalisation s'avère être non seulement le reflet fidèle de la poésie émanant de l'ensemble, mais la magie ressentie lors des immersions littéraires se traduit également à l'écran par une photographie dont la beauté est à couper le souffle. Qu'il s'agisse des jeux de teintes et de couleurs ou du cadre choisi pour certaines scènes, Mousou Shimai compose sous nos yeux, qui oscillent entre émerveillement et fascination, de véritables oeuvres d'art, utilisant tout le savoir-faire japonais en la matière. En somme, c'est une belle histoire qui est également belle pour les yeux.
Un aperçu de la photographie de la série :
Pour porter ce récit troublant, Mousou Shimai bénéficie enfin d'un trio d'actrices qui vont toutes être à la hauteur de la poésie de l'histoire. La superbe Kichise Michiko illumine chacune des scènes d'une grâce discrète et assurée, incarnant Akiko, l'aînée des trois soeurs. Konno Mahiru, plus intense et assumée en apparence, offre sans doute le plus de contrastes dans les attitudes qu'elle adoptera de façon toujours maîtrisée. Enfin, Takahashi Mai capte à merveille la fragilité sensible et innocente de son personnage.
Bilan : Le visionnage de Mousou Shimai constitue en soi une expérience téléphagique. C'est une oeuvre à part, qu'il est difficile d'analyser de façon désincarnée dans une review. C'est une fiction contemplative, intimiste, profondément poétique et très métaphorique, qui se situe en dehors et au-delà des classifications. C'est une série pour les amoureux de littérature, qui retrouveront ce ressenti enivrant dans lequel on s'immerge lorsque l'on ouvre et se plonge dans un livre. C'est aussi un parcours initiatique, une réflexion d'une étonnante authenticité émotionnelle qui se révèle très touchante.
L'ambiance et la tonalité surprennent au départ, pouvant déstabiliser un téléspectateur occidental qui voit ses repères narratifs brouillés. Mais c'est une expérience qui mérite d'être vécue. Et si l'amour et la mort paraissent à jamais lier en son sein, Mousou Shimai n'a rien d'un drame. C'est un magnifique hymne à l'amour, reconnaissant, célébrant la beauté, la pureté et la noblesse de ce sentiment.
NOTE : 9/10
Le générique de la série :
(via Ladytelephagy)
07:06 Publié dans (Séries asiatiques) | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : j-drama, mousou shimai, moso shimai, paranoid sisters, kishise michiko, konno mahiru, takahashi mai | Facebook |
09/08/2010
(UK) Jekyll : une brillante adaptation de l'oeuvre de Stevenson
Tandis que Sherlock s'est achevée hier soir en Angleterre, je profite de l'occasion pour revenir sur une autre adaptation, antérieure, ayant modernisé avec brio une oeuvre littéraire du XIXe siècle, le Dr Jekyll & Mr Hyde de Stevenson. Diffusée au cours de l'été 2007, Jekyll fut une incontestable réussite, se réappropriant et revivifiant le mythe, porté par des dialogues enlevés et délicieusement ciselés, signés Steven Moffat, et un très grand James Nesbitt personnifiant la figure centrale de la mini-série. Au final, vous avez là un petit bijou télévisuel british absolument incontournable.
Le seul bémol que j'aurai à adresser à Jekyll est son doublage. C'est un sujet sur lequel j'ai rarement l'occasion de m'attarder pour émettre un avis (positif ou négatif), dans la mesure où je regarde très peu la télévision française. C'est encore plus exceptionnel pour les fictions britanniques : j 'aime trop les accents pour envisager un seul instant de ne pas les visionner en version originale. Cependant, par hasard, un soir d'insomnie, j'étais tombée, il y a quelques mois, sur une rediffusion de Jekyll, par Arte, en version française. J'avoue que le gâchis réalisé m'a fait peine à voir. Par conséquent, louez ou achetez l'édition DVD. Guettez une rediffusion en VM. Mais, surtout, évitez la VF à moins d'aller au devant d'importantes déconvenues.
Jekyll se révèle savoureuse à plus d'un titre. Elle se réapproprie pleinement l'ambivalente figure de son personnage central, replaçant dans un contexte et avec des enjeux modernisés, cette troublante et glaçante histoire de partage d'un même corps entre deux êtres différents, dont la nature de l'un effraie l'autre.
Pourtant, ce sont derrière des apparences d'une banalité confondante que dort ce terrible secret. En effet, le Docteur Tom Jackman, chercheur, mène à première vue une vie des plus rangées, entre sa famille, composée de son épouse et de ses deux jumeaux, et son travail. Mais de temps à autre, il doit s'absenter. Une autre personnalité émerge dans ces moments-là qui paraît être une différente personne, plus grande, plus jeune, plus forte ; mais également totalement incontrôlable, dangereuse pour son entourage.
Cette cohabitation forcée entre ces deux personnalités se maintient de façon précaire grâce à un fragile accord conclu. Étant donné que lorsque l'un prend le contrôle, l'autre perd toute conscience, jusqu'à ce qu'il reprenne ensuite possession du corps, c'est tout un protocole qui a dû être mis en place. De leurs techniques de communication jusqu'aux problèmes de frais d'hôtel et autres clés de voiture, cette gestion presque étonnamment terre à terre d'un quotidien si extraordinaire, captive et fascine instantanément le téléspectateur. Mais l'équilibre entre les deux êtres, cet impossible partage d'un même corps que leur condition impose, ne saurait se pérenniser. Tandis que le Dr Jackman s'efforce de stabiliser sa condition et de la contrôler, d'autres menaces s'agitent dans l'ombre. Son secret n'est pas aussi confidentiel qu'il peut le croire ; et son cas intéresse de près certaines personnes. En comprenant ce qu'il est, le Docteur pourra-t-il se sauver lui-même, ainsi que sa famille ?
La première grande réussite de Jekyll réside dans la façon dont elle va traiter sa figure centrale. Les rapports entre le Dr Jackman et Jekyll sont superbement caractérisés, un rapport de force, teinté d'ambivalence, dans lequel domine un pragmatisme instinctif et une indéfinissable incompréhension réciproque. Le Dr Jackman incarne un stéréotype de l'homme ordinaire, effacé et étouffé par ses propres inhibitions. Une caricature de l'ennui. Le contraste est saisissant avec un Jekyll, véritable force de la nature, assumant -et réalisant- toutes ses pulsions, comme affranchi du poids des convenances sociales. La mini-série n'hésite d'ailleurs pas à se laisser à quelques parallèles bestiales qui captent bien cette puissance qui émane de lui. En un mot, Jekyll parvient à retranscrire à l'écran, avec une vitalité et une dynamique assez ambiguë, cette idée un peu folle, imaginée par Stevenson.
Outre cette pleine maîtrise du concept étonnant de départ, Jekyll se distingue par son admirable construction narrative qui laisse une large place à un suspense, chargé de tension, qui va crescendo. Sur bien des points, la manière dont est menée l'intrigue constitue un modèle du genre, n'hésitant pas à recourir parfois à certains procédés comme les flash-backs. L'histoire se construit par palier, nous entraînant dans un engrenage où l'attention du téléspectateur se retrouve rapidement happée. Tout va crescendo, donnant l'impression d'être magistralement orchestré, et prend forme, naturellement, sous nos yeux.
L'ensemble est d'autant plus convaincant que l'écriture, fine et vive de Steven Moffat, fait ici merveille. Non seulement les dialogues se révèlent savoureux, les "monologues" entre les deux personnalités centrales étant sans conteste les plus jubilatoires, mais la mini-série parvient également, avec une aisance fascinante, à alterner tous les styles, empruntant au thriller, mais aussi aux codes d'une horreur, étrangement burlesque, au faux accent gore. Teinté d'un humour noir diffus, typiquement britannique, qui permet d'éviter le ridicule d'une fiction qui se prendrait trop au sérieux, Jekyll se crée une ambiance tour à tour inquiétante, déstabilisante, voire parfois simplement touchante. C'est dans ce juste maniement de tous ces tons que réside une bonne partie de sa richesse.
Pour autant, aussi bien écrit soit-elle, la mini-série n'atteindrait pas une telle dimension sans la somptueuse performance d'un James Nesbitt (The Deep) au sommet de son art, qui personnifie cette figure centrale de la plus impressionnante des manières. C'est bien simple : le téléspectateur a effectivement l'impression d'avoir face à lui deux personnages distincts, aux physiques similaires certes, mais trop différents dans leur façon d'être pour que notre cerveau les assimile. C'est troublant, mais surtout particulièrement réjouissant.
Aux côtés de James Nesbitt, on retrouve un casting très solide, avec notamment une superbe Gina Bellman (Coupling), qui joue l'épouse de Tom Jackman. Meera Syal (Holby City, Beautiful people), Fenella Woolgar ou encore Denis Lawson (Bleak House, Criminal Justice) sont au diapason. La seule à ne pas tirer son épingle du jeu est sans doute Michelle Ryan (Bionic Woman), peut-être peu aidée par son rôle d'infirmière un peu en marge des autres dynamiques.
Bilan : Jekyll est un petit bijou télévisuel original et enthousiasmant, une réjouissante adaptation d'un classique de la littérature, brillamment écrite par un Steven Moffat des grands jours et porté par un James Nesbitt dont la performance marquera. Exploitant pleinement la fibre mystérieuse de son histoire, dotée d'un suspense qui demeure jusqu'au bout entier, jusqu'à l'ultime pied de nez final, elle réussit avec brio à jouer avec beaucoup de justesse sur l'ambivalence de sa figure centrale. Une fiction simplement incontournable.
NOTE : 9,25/10
La bande-annonce de la série :
05:49 Publié dans (Séries britanniques) | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : steven moffat, gina bellman, james nesbitt, jekyll, meera syal, fenella woolgar, denis lawson | Facebook |
06/08/2010
(Pilote / Mini-série UK) The Deep : plongée en de troubles profondeurs
Mardi soir débutait sur BBC1 une nouvelle mini-série (5 x 60') intitulée The Deep. Dépaysement claustrophobique garanti pour un plongeon en Arctique construit sur un format de thriller. Le calme paysage téléphagique aoûtien se prête aux aventures ; et The Deep, avec son casting (James Nesbitt, Minnie Driver, Goran Visnjic, et même Tobias Menzies), ne manquait pas d'atouts, a priori, pour nous décider à embarquer dans son exploration des profondeurs.
Fonctionnant par à-coups, ce premier épisode se révèlera surtout assez poussif, s'attachant à introduire méthodiquement tous ses enjeux. La brusque accélération de l'intrigue, dans son dernier tiers, réveillera cependant la curiosité jusqu'alors très réservée du téléspectateur. Jusqu'à se laisser embarquer pour explorer les mystères des fonds marins ?
The Deep pose, dès sa scène d'ouverture, le cadre claustrophobique auquel elle tend, tout en peinant à réellement insuffler l'angoisse que l'on devine devoir poindre. En mission d'exploration dans les eaux de l'Arctique, le sous-marin Hermes y disparaît sans laisser de trace, son équipage, porté disparu, étant déclaré mort. Le mystère de cette tragédie demeure entier. Six mois plus tard, une nouvelle expédition s'organise, dirigée cette fois par Frances Kelly. En digne fiction du genre, cherchant à trouver un équilibre entre action et émotionnel, on retrouve également à son bord, tendu et, logiquement, déprimé, le mari de la scientifique qui dirigeait la précédente mission, Clem ; ainsi qu'un biologiste marié avec lequel Frances entretient une liaison.
Cependant, avant même la plongée, l'objectif initial d'exploration est remis en cause, en cours de route, par l'addition d'un nouveau membre à l'équipage, Raymond, qui enquête sur ce qui a pu arriver au Hermes. De troublants enregistrements audios des dernières minutes du sous-marin contribuent à nourrir d'étranges hypothèses ; il est donc nécessaire de retrouver les données que l'appareil a pu recueillir dans ces instants dramatiques. De regards appuyés en lourds sous-entendus, s'esquissent les différentes questions centrales de l'intrigue de ce pilote : qui cache quoi à bord de l'expédition ? Et, surtout, quels secrets renferment ces profondeurs inexplorées ?
A lire ce résumé servant de base à The Deep, il est aisé d'identifier l'écueil que ce premier épisode ne parvient pas à éviter : un enchaînement de clichés peu subtiles qui peinent à générer la moindre tension. Les scénaristes appliquent (trop ?) cliniquement le cahier des charges des fictions pseudo-claustrophobiques du genre. Les ficelles du scénario se révèlent, au mieux, trop évidentes, au pire, grossières. Si bien que l'épisode ronronne sur une dynamique trop prévisible pour ne pas être frustrante. Tout y est huilé à l'excès, finalement assez déshumanisé, semblable à un thriller sur papier glacé.
Les élans de dramatisation ne réussissent pas à dégager la moindre empathie avec un téléspectateur qui peine à s'impliquer. Tandis que la construction du suspense sonne un peu trop creux pour créer une ambiance inquiétante... du moins pour le moment.
Une fois ce manque d'épaisseur d'un scénario trop prompt à céder à la facilité, constaté, le seul élément pouvant permettre à The Deep de redresser la barre serait de réussir le côté mouvementé de cette plongée dans les profondeurs qu'elle entend nous proposer, afin d'éclaircir le mystère de la disparition du précédent sous-marin. Ici, la mini-série souffre surtout du syndrome du premier épisode d'exposition. Les débuts sont poussifs, assez lents. Tout avance par à-coup sans parvenir à verser dans l'ambiance un peu oppressante qu'on serait en droit d'attendre d'une telle histoire. Manquant d'homogénéité, cette première heure débute réellement dans son dernier tiers. Cependant, si la suite poursuit sur ces bases finales plus rythmées, elle pourra se révéler plus divertissante.
En somme, au-delà de cette résurrection de tous les poncifs du genre "thriller en huis-clos", le téléspectateur était sans doute en droit d'attendre mieux de ce premier épisode de The Deep. Les amateurs de ce genre aux rouages un peu mécaniques ne seront pas dépaysés ; j'espère surtout que la mini-série saura construire une atmosphère plus tendue et propre à son cadre particulier par la suite.
Sur la forme, The Deep tente quelques effets de style, sans que sa réalisation d'ensemble se démarque réellement. Si elle sait jouer sur des teintes colorées différentes, suivant l'environnement (prédominance bleue dans le sous-marin, etc...), en revanche, cette utilisation de flou sur les bords qu'elle renvoie à certains moments, pour renforcer son ambiance, n'est pas des plus convaincantes.
Enfin, le casting, comme je l'ai déjà dit, ne manque pas de figures bien connues, que le téléspectateur familier des fictions britanniques (et même au-delà) devrait retrouver avec un certain plaisir. Même si, pour le moment, il faut reconnaître que le scénario ne les transcende pas, chacun assurant un solide service minimum, si j'ose dire. Minnie Driver (The Riches) mène l'expédition, aux côtés de Clem, en veuf déprimé interprété avec naturel par James Nesbitt (Jekyll). Au sein de l'équipage du sous-marin, pour compléter ce trio principal, on retrouve Goran Visnjic (Urgences). Enfin (et parce que je l'aime bien), signalons en invité de dernière minute qui en sait sans doute plus qu'il ne le dit sur le mystère de la disparition du précédent sous-marin, un Tobias Menzies (Rome) fidèle à lui-même.
Bilan : Un peu lente au démarrage, The Deep peine à trouver son rythme dans une première partie d'épisode qui se révèle un peu creuse, servant surtout d'exposition un brin poussive, voire clichée. Si bien que le téléspectateur éprouve quelques difficultés à s'investir immédiatement dans les enjeux qui s'esquissent. Cependant, une fois que l'action commence réellement, il est possible de se prendre à ce jeu claustrophobique, essayant d'oublier les écueils d'une écriture très unidimensionnelle qui manque trop souvent de punch et de subtilité.
Au final, The Deep est un peu trop plate en terme de personnalité et d'ambiance (ce qui, pour une telle fiction, est assez dommageable), mais si elle poursuit sur le rythme du dernier tiers de l'épisode (comme la bande-annonce du suivant le laisse entendre), elle peut peut-être s'imposer dans ce créneau de l'aventure divertissante sur papier glacé, sans autre prétention. En plein mois d'août, aidé par le désoeuvrement du téléphage, cela peut fonctionner. Cependant, il est fort probable que ce voyage ne restera pas dans les annales.
NOTE : 5,25/10
Une bande-annonce de la mini-série :
08:30 Publié dans (Mini-séries UK), (Pilotes UK) | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : bbc, the deep, james nesbitt, minnie driver, goran visnjic, tobias menzies | Facebook |
04/08/2010
(J-Drama) Hagetaka (Road to rebirth) : sur les ruines du capitalisme financier, destins croisés et vies à reconstruire
"Someone said there’s only two kinds of tragedy.
Attention, petit bijou téléphagique en ce premier mercredi asiatique du mois d'août !
La découverte de la semaine est d'autant plus appréciable qu'elle aura été difficile à dénicher. La vie du sériephile est faite de frustrations. Cette curiosité inassouvie qui le pousse constamment vers de nouveaux horizons a un côté sombre : les découvertes ne sont pas toujours à la hauteur. Pour dix pilotes testés, combien d'essais concluants ? Le ratio est encore plus disproportionné quand je m'essaye à la télévision japonaise. Comme je vous l'ai déjà confié, actuellement, je m'intéresse plus particulièrement à ce pays. J'ai testé divers dramas de la saison estivale, tous genres et toutes chaînes confondues... sans grand succès. J'ai bien trouvé quelques programmes suffisamment accrocheurs pour que l'on est envie de poursuivre le visionnage, mais rien de marquant.
Insatisfaite, j'ai donc entrepris de remonter un peu le temps, me rendant dans des recoins plus reculés, encore inconnus de la relative profane en télévision japonaise que je suis. Ce week-end, je commençais à désespérer, achevant de m'auto-convaincre que le problème venait de mes goûts personnels et qu'aucune histoire d'amour sur le long terme ne serait peut-être jamais possible avec le pays du Soleil Levant (un coup de coeur pour combien de tentatives ?). Et puis, soudain, ce fut l'étincelle tant espérée ! Dès les premières minutes, j'ai bien senti qu'entre Hagetaka et moi, cela pourrait coller. Deux heures plus tard, les deux premiers épisodes visionnés à la suite, je m'étais réconciliée avec le Japon, à nouveau captivée, impressionnée, fascinée, par un jdrama ! Car voyez-vous, Hagetaka, c'est une de ces gifles téléphagiques qui vous font le plus grand bien, raniment une passion et vous redonnent foi dans le Dieu du petit écran.
Si bien qu'avant de vous en parler plus précisément, je profite de ce billet pour lancer un appel à vous, chers lecteurs ; car, motivée comme je le suis actuellement, c'est le moment ou jamais de me proposer des séries japonaises. Mais j'ai beau y mettre beaucoup de bonne volonté, je me perds trop souvent dans cette offre si riche. Si on récapitule, mes gros coups de coeur de ces derniers mois, en provenance du pays du Soleil Levant, furent Mother, Gaiji Keisatsu et, donc, Hagetaka. Quelles autres découvertes pourriez-vous me conseiller ? Sachant que les comédies ne m'intéressent pas et que j'ai fait une overdose de high school dramas lors de mon précédent cycle japonais.
Hagetaka est une série qui fut diffusée sur NHK en 2007. Elle comporte six épisodes d'une heure chacun.
Adaptée d'un roman éponyme de Mayama Jin, elle nous plonge dans un cadre original, celui des rouages de la finance, pour nous relater les destins croisés, teintés de tragédies, de plusieurs personnages aux vies imbriquées. Dotée d'une réelle dimension humaine, elle s'intéressera à leurs évolutions, s'étalant sur presque une décennie, de la fin des années 90 au début des années 2000. Son premier épisode nous introduit dans un Japon encore affaibli par la crise que le pays connut lors de l'explosion de la bulle financière au début des années 90. Le modèle économique sur lequel il s'était reconstruit, après la Seconde Guerre Mondiale, est alors mis à mal par les excès d'un capitalisme forcené, dont les assauts font vaciller ses fondements. Ses anciennes valeurs fondatrices, patriarcales, apparaissent désormais obsolètes, étrangères et dépassées pour les nouveaux acteurs des marchés financiers.
Hagetaka débute en 1998. Une des banques les plus importantes du pays est alors en situation critique, considérablement fragilisée par la crise. Ses débiteurs n'étant plus en mesure de payer en respectant les échéances, sa dette s'est envolée. Pour éviter la banqueroute, elle n'a d'autre choix que d'accepter les propositions d'achat d'une partie de ses dettes par un fonds d'investissement étranger, Japan Horizon. Ce dernier est dirigé par un de ses anciens employés, Washizu Masahiko, pour qui cette tractation marque le retour au pays après plusieurs années passées aux Etats-Unis. Il avait à l'époque quitté précipitamment ses fonctions à la suite d'un drame, le suicide d'un de ses clients, conséquence de son refus d'accéder à sa demande de prêt.
Se comportant désormais comme un véritable "hagetaka" (= vautour), Washizu assure la liquidation rapide et déshumanisée des dettes reprises. Faisant peu de cas de l'opinion modératrice émanant de son ancien supérieur, Shibano Takeo, il traite notamment de manière particulièrement expéditive le dossier d'une vieille auberge familiale. Une histoire qui se terminera, une nouvelle fois, en tragédie. Mais la culpabilité appartient désormais au passé ; le temps n'est plus aux regrets. Cette première incursion dans l'économie japonaise est le début d'une bien plus vaste offensive de la part de Japan Horizon et de ses capitaux internationaux. "Let's buy Japan out !" est le mot d'ordre venu de New York.
Menant une politique agressive de spéculation, les froides recherches de rentabilité du fonds d'investissement viennent achever de bouleverser le modèle entrepreneurial traditionnel du Japon. Hagetaka dépeint avec un réalisme minutieux, mais jamais rébarbatif - bien au contraire -, les coulisses de milieux financiers où l'affrontement est permanent, guidés par une quête constante du profit. Dans ce cadre, acteurs et victimes vont et viennent, ne cessant de se croiser, évoluant au sein d'un même système qui cannibalise tout sur son passage. Drame humain autant que thriller financier, Hagetaka va prendre le temps de s'intéresser à ses personnages aux motivations plus insaisissables que les apparences ne le laisseraient penser. Au fil des épisodes et des années, c'est une forme de parcours initiatique qui s'esquisse sous les yeux du téléspectateur. Un voyage sur une "road to rebirth", pour essayer de faire la paix avec soi-même, même si toute faiblesse peut être fatale.
L'argent est donc l'élément central, moteur, de l'univers de Hagetaka, en témoigne la première phrase que j'ai reprise au début de cet article, prononcée en guise d'introduction par Washizu. La symbolique de la scène d'ouverture de la série mériterait d'ailleurs à elle-seule un développement entier, tout comme le générique de fin, aussi troublant que poétique. Je me contenterai de souligner que ce drama est bien plus qu'une simple démonstration des ressorts broyeurs du capitalisme financier. Ici, pas de morale univoque, ni de vérité facilement accessible. Le but n'est pas de pointer des responsabilités, la série s'attache simplement - mais avec une rigueur ambitieuse - à décrire le fonctionnement d'un système, avec ses limites et ses injustices.
L'aspect humain ne s'oppose pas au vecteur financier. Les deux ne s'excluent pas, mais doivent, au contraire, se combiner et trouver un équilibre. Le danger réside dans les excès. La réussite de Hagetaka, c'est justement cette capacité à amener le téléspectateur à s'interroger, sans prétendre asséner de réponses miracles. Le drama trouble, interpelle, mais ne préjuge jamais. Sa portée est d'autant plus forte que derrière ce portrait sombre et pessimiste qu'il dépeint, les thématiques abordées marquent également par leur frappante actualité avec le monde réel. L'histoire relatée - et les dérives mises en lumières - trouve un écho particulier dans notre propre situation économique (l'impression amère que tout se répète en quelque sorte, sans que les enseignements aient été tirés).
Cependant Hagetaka va bien au-delà de son seul cadre financier de départ. Si l'ensemble renvoie une image faussement déshumanisée, c'est pourtant bien une histoire aux accents terriblement humains que la série relate. L'émotion perce presque malgré la volonté de certains personnages. Comment arbitrer ses sentiments, son parcours personnel, voire même son éthique professionnelle, quand on est seulement un simple rouage dans un système qui s'auto-alimente ? Le capitalisme, même poussé à l'extrême, ne peut entraîner la négation complète de l'individu qui met en oeuvre sa logique. La force de Hagetaka est de refuser de céder à la tentation d'une approche manichéenne, optant pour un réalisme d'une rare acuité.
Il n'y a pas de chevalier blanc, pas de personnage pour incarner un "méchant" dénué de toute conscience. Il y a seulement des êtres humains, à la fois acteur et victime de ce système dont ils ne maîtrisent pas les règles. Les situations sont difficiles et la bonne solution évidente n'existe pas. Au fil des épisodes, chaque protagoniste gagne en épaisseur. Acculés dans des impasses qui les placent en porte-à-faux avec eux-même, ils révèlent peu à peu toute leur complexité, dévoilant des motivations plus obscures et des contradictions parfois fatales. Aussi vivant que troublé, c'est un tableau tout en nuances qui se peint finalement sous nos yeux fascinés.
Aussi dense et passionnant que soit son contenu, Hagetaka ne serait pas ce qu'elle est sans sa somptueuse bande-son signée Sato Naoki (plus connu pour avoir réalisé celle de Pandora, par exemple). Le téléspectateur est presque surpris de découvrir, dès les premières minutes, un tel accompagnement musical pour une série qui aura su éviter tous les écueils dus à la technicité de son sujet. Insufflant un souffle épique dans chaque scène, subtile et sobre quand il le faut, vertigineuse et entraînante en parfaite adéquation avec l'importance du passage à d'autres moments, elle constitue un véritable petit bijou à elle toute seule. Pour couronner le tout, l'ensemble est complété par un langoureux générique, mélancolique à souhait, qui donne des frissons au téléspectateur.
Dans le même temps, Hagetaka est tout aussi sérieuse dans sa réalisation, proposant des plans soignés, ne renonçant pas à cette poésie des images que l'on retrouve dans les dramas japonais réussis. Elle a également recours à des jeux de lumière intéressants qui lui permettent de s'approprier pleinement son univers.
Enfin, dernier compliment - mais non des moindres -, celui qui doit être adressé au casting qui se révèle juste impeccable. Faisant preuve d'une sobriété pesée et calculée, en adéquation avec la tonalité d'ensemble du drama, les différents acteurs parviennent également, sans jamais se départir de leur réserve, à exprimer une réelle intensité dramatique lors des passages les plus poignants. Leurs performances m'ont bluffée, en particulier le duo principal dont l'interprétation nuancée, de figures pourtant particulièrement complexes, fut d'une justesse jamais prise en défaut.
Nao Omori réussit ainsi à capter parfaitement l'ambivalence des conflits internes animant un Washizu Masahiko qui se révèle bien loin d'être un simple "hagetaka" ; tandis que Kyohei Shibata dépeint, avec beaucoup de subtilité et de retenue, ce personnage renvoyant une image toujours si solide qu'est Shibano Takeo. A leurs côtés, Chiaki Kuriyama (Mishima Yuka) apporte une touche de fraîcheur, mais aussi de foi et d'espérance en certains personnages, qui s'avère touchante. Plus en retrait, enfin, Ryuhei Matsuda (Osanu Nishino) colle parfaitement à l'affirmation d'un fils brisé par le suicide de son père, chez qui le désir de vengeance finira par tout obscurcir.
Bilan : Hagetaka, c'est une de ces claques téléphagiques salvatrices que l'on rêverait de rencontrer plus souvent dans ses explorations du petit écran. A partir d'une thématique originale, mais également très ardue, qui ne manquait pas de complexité et pouvait décontenancer a priori, la série s'affirme comme un drama de haut standing, sublimant et dépassant son cadre financier. Bénéficiant d'une écriture subtile, d'une justesse troublante, sa richesse est de proposer une lecture à plusieurs niveaux. Elle dresse le portrait nuancé d'un Japon économiquement affaibli, au sortir des années 90, au croisement de deux voies semblant destinées à se confronter, entre une tradition industrielle forgée dans les liens familiaux et un capitalisme impersonnel presque sauvage. C'est une société en crise, où les situations renvoient à des images de l'actualité récente.
Mais Hagetaka, ce sont aussi des histoires personnelles, un chemin timide vers la rédemption entrepris par des personnages cherchant à faire la paix avec eux-mêmes, tous acteurs d'un système capitaliste outrancier, dont les rouages broyeurs les ont, à des degrés divers, brisés. Agresseurs ou victimes, les rôles se révèlent bien moins clairs que ce que les apparences peuvent laisser croire a priori. Détachée de tout manichéisme, Hagetaka est une série sombre, relativement pessimiste, qui choisit de traiter avec beaucoup de réalisme des problématiques compliquées, tout en parvenant à captiver le téléspectateur tout au long de ses six épisodes.
En résumé - en espérant avoir réussi à retranscrire au moins une partie de mon enthousiasme dans cette review -, il s'agit d'une série tout simplement incontournable. Et par sa thématique qui transcende les frontières, elle parlera à tout téléspectateur, qu'il soit familier ou non avec les fictions japonaises. Indispensable.
NOTE : 9,5/10
Le superbe générique de fin :
Une bande-annonce (pour le premier épisode) :
07:26 Publié dans (Séries asiatiques) | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : j-drama, hagetaka, road to rebirth, omori nao, shibata kyohei, kuriyama chiaki, matsuda ryuhei, nakao akira | Facebook |