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29/05/2013

(J-Drama / Pilote) Haitatsu Saretai Watashitachi : les lettres d'un espoir

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En ce mercredi asiatique, restons au Japon. Certes, la saison printanière n'y est pas très enthousiasmante, mais heureusement, on peut toujours compter sur la chaîne câblée WOWOW pour venir rompre la morosité ambiante. A condition que ces dramas parviennent jusqu'à nous, car hélas, pour l'instant, pas de trace de sous-titres pour Sodom no Ringo ou Lady Joker - ce dernier drama m'intéresse d'autant plus qu'il se situe dans le même univers que Marks no Yama, série datant de 2010 : il s'agit de l'adaptation d'un autre roman de Takamura Kaoru, et Kamikawa Takaya y reprend son rôle de détective. Tout en continuant d'espérer pour ces fictions, l'absence de sous-titres ne se rencontrera heureusement pas pour le dernier WOWOW sorti ce mois-ci.

Diffusé depuis le 12 mai 2013, Haitatsu Saretai Watashitachi comptera 5 épisodes d'une cinquantaine de minutes chacun environ. Il a la particularité d'être (librement) basé sur une histoire vraie, celle de Isshiki Nobuyuki, à qui a été confié l'écriture du scénario. Si l'histoire traite de thèmes sombres, puisqu'elle évoque dépression et projet de suicide, comme l'affiche colorée le suggérait, il ne s'agit pas de verser dans un registre trop larmoyant. L'idée directrice est de tenter de repartir de l'avant, et les premiers épisodes sont prometteurs. Habituellement, j'attends d'avoir tout vu avant de rédiger un billet sur les dramas de WOWOW du fait de leur durée courte, mais comme je préfère passer du temps à écrire sur des séries que j'ai appréciées plutôt que l'inverse, aujourd'hui sera une exception ! Rien ne m'interdit d'y revenir ultérieurement dessus ensuite.

[La review qui suit a été rédigée après le visionnage des deux premiers épisodes.]

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Haitatsu Saretai Watashitachi est l'histoire de Sawano. Marié, père d'un petit garçon de 6 ans, ce trentenaire semble a priori tout avoir pour être épanoui. Mais, depuis 2 ans, il s'est comme éteint. Il a perdu goût à la vie, se détachant de toute émotion et d'un quotidien qui semble se poursuivre en l'oubliant sur le bas-côté. Sans travail, sous traitement médical, il ne fait rien de ses journées, sinon traîner son mal-être. Cette situation étant devenue pour lui intenable, il décide un jour d'en finir, choisissant de se suicider dans un cinéma abandonné. Il échoue dans son projet, mais découvre dans la salle une vieille sacoche de courriers qui contient encore 7 lettres intactes.

Sawano se fixe alors pour mission de délivrer à leurs destinataires ces enveloppes : 7 courriers à apporter qui vont constituer pour lui un nouveau décompte avant de mettre, cette fois-ci sans contre-temps, fin à ses jours. La première personne qu'il rencontre par cet intermédiaire est une coiffeuse, Yu, qui vient de perdre son père. La jeune femme trouve dans cette lettre qui a mis tant d'années à lui parvenir un réconfort inattendu. Reconnaissante et intriguée par cet étrange facteur, elle décide de tenter de lui redonner goût à la vie, tout en l'aidant à délivrer les lettres restantes.

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Haitatsu Saretai Watashitachi s'ouvre sur une première scène marquante : une jeune coiffeuse, isolée dans son salon, contemple un rasoir qu'elle a posé contre sa jugulaire. Plus tard dans l'épisode, nous sera également relatée l'échec de la tentative de suicide par pendaison de Sawano qui l'a conduit à la découverte des lettres égarées. Le ton est donc donné : ce drama aborde un sujet difficile. Pour autant, il va éviter sans difficulté l'écueil du pathos excessif. Certes, il met en scène un personnage désabusé et cynique qui n'aimerait rien tant que s'enfermer dans sa détresse personnelle et mener de manière détachée son nouveau compte-à-rebours pour en finir. Mais la remise de ces vieilles lettres qu'il a entreprise vient perturber de façon inattendue ses projets. Pour Yu, à qui il remet le premier courrier alors qu'elle tenait un rasoir contre sa gorge, l'écrit reçu est un électrochoc. Il lui apporte ce dont elle avait besoin dans ces circonstances de deuil qu'elle traverse. Se sentant redevable, la jeune femme se montre entreprenante : Sawano a peut-être baissé les bras, mais Yu se donne pour mission de changer cela, afin de lui rendre la pareille.

Par son étrange office de facteur retardataire, Sawano enclenche ce qui va être le véritable fil rouge du drama : une quête pour reprendre goût à la vie. En remettant leurs lettres à ces sept personnes laissées pour compte des services postaux, c'est sur lui-même que Sawano va agir, sans l'avoir anticipé. En effet, ces courriers apportent quelque chose de précieux à leurs destinataires : une information qui jette un nouvel éclairage sur certains évènements, un souvenir cher, ou bien encore une raison de repartir de l'avant après un temps d'égarement. L'écrit conserve de plus une force particulière à l'ère de la dématérialisation d'internet. Il est chargé d'émotions, et ce sont ces dernières qui, par ricochet, vont tenter d'atteindre ce messager récalcitrant qu'est Sawano. Ces lettres ne sont donc pas là pour réduire la série à une succession d'histoires individuelles poignantes : tout en conférant une dimension humaine au récit, ce qui importe est la manière dont elles peuvent toucher celui qui les remet... Sans le savoir, malgré lui, il s'est ouvert une possible voie vers un retour à la vie. Pour le moment, il y reste insensible. Rien ne dit qu'il saisira cette opportunité. Mais l'ouverture est là, et cela suffit pour impliquer le téléspectateur.

Tout en utilisant assez habilement son concept de départ, Haitatsu Saretai Watashitachi a aussi pour lui une justesse d'écriture très engageante. Les dialogues sonnent sincères et authentiques, avec une tonalité changeante bien dosée. Plus d'une fois, les scènes prennent à rebours les attentes dramatiques : qu'il s'agisse d'insuffler de brefs passages plus légers, voire décalés, ou bien de mettre en scène des confrontations explosives pour essayer de sortir Sawano de la léthargie dans laquelle il se laisse enfermé. L'ensemble apparaît donc solide. Par ailleurs, l'autre atout du drama est la manière dont il va mettre en mots la dépression dont souffre son héros, choisissant une approche directe appréciable : Sawano partage sans artifice, avec le téléspectateur, ses ressentis et essaie de retranscrire ce vide pesant qui s'est abattu sur lui. Cela donne des passages très poignants et forts - le vécu du scénariste joue sans doute ici un rôle important : c'est par exemple le cas du monologue de fin du premier épisode, où Yu découvre le mail de suicide inachevé de Sawano. Ces propos touchent en plein coeur, faisant preuve d'une sensibilité rare. Ils font office de déclic final pour parachever un pilote convaincant.

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Sur la forme, Haitatsu Saretai Watashitachi bénéficie d'une réalisation correcte. C'est par son ambiance musicale que le drama se démarque particulièrement. Je l'aurais probablement qualifiée d'envahissante si j'avais croisé cette bande-son dans toute autre série. Mais dans celle-ci, il y a une adéquation entre la tonalité du propos et les choix musicaux qui permet à l'ensemble de fonctionner, voire même d'insuffler une vitalité ou une dimension supplémentaire à certaines scènes, qu'il s'agisse des instrumentaux déchirants ou des morceaux plus légers et dynamiques. Le drama marche sur une fine ligne, mais semble ici tenir un cap intéressant. De plus, c'est une chanson très sympathique qui clôture les épisodes (Niji wo tsukamu hito, par Sano Motoharu), de façon à laisser le téléspectateur éteindre sa télévision sur une bonne note.

Côté casting, c'est à Tsukamoto Takashi (Manhattan Love Story, Tempest) qu'est confié le rôle de Sawano : interpréter une figure déprimée et sans émotion n'est pas un rôle qui sollicite beaucoup l'expressivité d'un acteur, il se glisse dans ce personnage sans difficulté. Ma satisfaction de ces deux premiers épisodes vient surtout de mes retrouvailles avec celle qui va jouer les trouble-fêtes dans le compte-à-rebours de Sawano, apportant une énergie qui vaut pour deux, à savoir Kuriyama Chiaki : c'est une actrice pour qui j'ai beaucoup d'affection depuis Hagetaka et Atami no Sousakan. Hasegawa Kyoko (M no Higeki, Yae no Sakura) joue quant à elle l'épouse de Sawano. Au cours du périple de ce dernier, il va être amené à croiser toute une galerie de personnages, interprétés par des acteurs pour beaucoup familiers du petit écran japonais, parmi lesquels on retrouve notamment Ishiguro Ken, Sato Jiro, Horibe Keisuke, Emoto Tasuku, Nishioka Tokuma, Kurotani Tomoka, Kaito Ken, Nakao Akiyoshi, Tabata Tomoko ou encore Kondo Yoshimasa.

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Bilan : Haitatsu Saretai Watashitachi signe des débuts réussis, en parvenant à exploiter avec habileté cette thématique lourde et difficile qu'est celle de la dépression et du suicide. Mettant en avant une dimension humaine appréciable et pouvant s'appuyer sur une écriture qui démontre beaucoup de justesse et de sobriété, ce drama apparaît comme une quête pour retrouver goût à la vie. Si Sawano ne veut pas être sauvé, ses remises de lettres égarées vont influer sur le destin de leurs destinataires, lui ouvrant indirectement de nouvelles perspectives. On retrouve ainsi dans Haitatsu Saretai Watashitachi une vitalité inattendue, en dépit de la détresse manifeste de son personnage principal. Du fait de l'arc narratif suivi, c'est une série dont la pleine portée s'appréciera au terme de ses cinq épisodes, mais ses débuts sont indéniablement riches et prometteurs. A suivre !


NOTE : 7,75/10

25/07/2012

(J-Drama) Tsukahara Bokuden : le portrait romancé d'un maître d'armes légendaire

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Restons au Japon en ce mercredi asiatique ! Etant donné mon inclinaison naturelle pour tout ce qui touche à l'historique et aux fictions en costumes, parmi mes résolutions de début d'année, figurait celle d'essayer de caser dans mes programmes un vrai jidaigeki. Jin peut certes être rapproché de ce genre, mais cela reste une histoire de voyage dans le temps qui démarre dans le présent. La cinquantaine d'épisodes qui compose un taiga étant trop volumineuse actuellement pour me lancer dans un tel investissement au long cours (même si, dès que j'ai un peu de temps, je compte bien me lancer dans Ryomaden - c'est un de mes challenges placé tout en haut de ma liste de sériephile !), j'ai donc surveillé les dramas plus courts. Il faut dire que ce n'est pas le type pour lequel des sous-titres sortent le plus fréquemment, mais j'ai quand même pu trouver une série adéquate : Tsukahara Bokuden. Elle a été diffusé à l'automne 2011 sur NHK (BS Premium). Elle se compose d'un total de sept épisodes, d'une quarantaine de minutes chacun (sauf le premier d'une durée de 70 minutes).

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Proposant une immersion dans le Japon médiéval, ce drama propose le récit romancé (avec certaines libertés prises) de la vie d'un maître d'armes légendaire : Tsukahara Bokuden. Né vers 1489, il est resté un des sabreurs les plus célèbres de l'Histoire du Japon. S'il a eu une longue vie (il est décédé en 1571, de mort naturelle), la série ne s'intéresse en réalité qu'à ses premiers pas dans la vie d'adulte et, surtout, aux épreuves qui vont permettre sa maturation progressive, jusqu'à faire de lui la figure combattante qui s'est imposée dans la mémoire collective.

Entraîné dès le plus jeune âge, une fois l'âge adulte atteint, ShinEmon (c'est sous ce nom que nous le connaîtrons durant la majeure partie du drama) demande à être autorisé à partir voyager à travers le Japon. Son but premier est le perfectionnement de ses techniques de combat, un art qu'il entend pouvoir parfaire en croisant des combattants rompus à d'autres styles. Mais l'objectif est aussi de répandre le nom de Kashima afin de redonner son éclat au sanctuaire shinto qui s'y trouve, puisque cette maîtrise du sabre est un don de la divinité qui y est révérée.

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Tsukahara Bokuden est un récit initiatique au sens strict du terme, avec les forces, mais aussi les limites de ce genre. La construction de ce drama semi-itinérant suit une évolution linéaire régulière, avec des épisodes respectant tous une structure très proche : une épreuve se présente au héros, et il va devoir la surmonter. Le plus souvent, elle se matérialise par un combat. La première moitié du drama permet à ShinEmon de se mesurer à des adversaires disposant de forces et d'atouts auquel il doit s'adapter (stratégie, armes...), améliorant par là-même ses propres techniques. Puis, à mesure qu'il maîtrise son art, c'est logiquement en lui-même qu'une autre bataille se lève et va devoir être gagner : ne pas se laisser entraîner par cette soif de sang, ce rush d'adrénaline qui le parcourt à chaque victoire. Il lui faut lutter pour rester fidèle à ses principes et à ses valeurs, sans s'écarter de sa ligne de conduite. Si le récit est fluide, le drama apparaît cependant très didactique dans ses développements, manquant de souffle, voire de tension en raison de ses issues prévisibles.

Pour autant, Tsukahara Bokuden reste plaisant à suivre justement parce qu'il met en scène un héros que, comme dans toute histoire initiatique, on a envie de voir grandir et mûrir. De plus, je ne suis pas restée insensible à l'immersion médiévale proposée - même si la vie du maître d'armes y est relatée avec plus ou moins de libertés (Pour en savoir plus / en anglais). Sans avoir de grands moyens, la série s'efforce cependant de bien retranscrire la codification de la société féodale d'alors, avec la place des maîtres d'armes. Elle fait également un effort de contextualisation intéressant pour évoquer une période troublée qui voit s'affronter de nombreux seigneurs locaux. ShinEmon se retrouve en effet entraîné dans des affrontements autour du pouvoir, et si, encore une fois, le drama peine à matérialiser une vraie tension, les échanges et les rapports de force fluctuants enrichissent le parcours personnel raconté. Enfin, une place importante est aussi accordée à la religion, avec les croyances qui rattachent l'art du combat à la divinité : en consacrant sa vie à cet art, le héros mène en parallèle une véritable quête spirituelle (particulièrement perceptible dans les derniers épisodes) qui aboutit à faire de lui le dépositaire du message de cette dernière.

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La réalisation est traditionnelle, un peu figée par moment, mais avec une belle photographie. Dans l'ensemble, elle sait mettre en valeur la reconstitution d'époque, notamment par quelques superbes plans qui nous immerge dans ce Japon médiéval avec efficacité. Il faut préciser que Tsukahara Bokuden n'est pas un drama d'action. Toutefois les combats y occupent bien une place centrale. Leur mise en scène donne un résultat plus mitigé : la vitesse d'exécution de certains affrontements - où un seul coup de sabre achève l'adversaire - impose au réalisateur d'essayer de les dramatiser en recourant à des ralentis - ce qui n'est pas toujours du plus convaincant. L'autre élément qui m'a marqué, c'est à quel point les combats paraissent "propres", et finalement très peu graphiques en terme de violence. Non que j'aille jusqu'à conseiller le responsable des effets spéciaux d'OCN (et ses chers jets d'hémoglobine) à la NHK, mais c'est vrai que le rendu est ici assez réservé (par rapport à mes derniers sageuk sud-coréens). A noter également un long générique introductif qui semble avoir pour thème l'harmonie avec la nature que j'ai trouvé très beau visuellement (et je vous l'ai découpé spécialement, 1ère vidéo ci-dessous).

Enfin, le casting s'en sort globalement bien. Sakai Masato (Legal High) interprète ShinEmon durant tout le drama, de la sortie de l'adolescence jusqu'à la maturité avec pour seule nuance marquant l'âge et l'expérience, l'évolution dans les postures du héros. Certes il a, au début, quelques expressions forcées qui sonnent faux (surtout pour souligner l'insouciance avec un sourire figé agaçant), mais j'ai été vite soulagée en constatant qu'il trouvait ensuite un juste équilibre très intéressant entre la distance qu'acquiert rapidement le héros et une humanité qu'il ne perd jamais et qui ressort plus fortement dans certaines scènes. S'il manque donc parfois un brin d'expressivité, il est plus que correct. A ses côtés, j'ai eu le plaisir de retrouver Kuriyama Chiaki (Atami no Sousakan), qui interprète sa soeur : restée à Kashima, on la voit assez peu, mais il n'y a rien à redire à ses scènes. On croise également dans ce drama Hira Takehiro, Kyono Kotomi, Nakamura Kinnosuke, Asaka Mayumi, Honda Hirotaro ou encore Nashima Toshiyuki.

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Bilan : Récit initiatique nous plongeant dans le Japon médiéval, Tsukahara Bokuden est un drama à la construction linéaire, assez basique et prévisible dans la progression par étapes qu'il offre à son personnage principal. Manquant un peu d'ambition sur ce point, il peine à insuffler une dramatisation et une tension qui auraient rendu l'ensemble plus marquant. Cependant l'immersion historique qu'il propose n'en reste pas moins intéressante. Efficace et sans temps mort, il se laisse donc suivre sans déplaisir, tout en nourrissant quelques regrets.

A réserver pour les amateurs du genre (ou pour les curieux souhaitant regarder un
jidaigeki de longueur raisonnable).


NOTE : 6,5/10


Le générique d'ouverture du drama :

La bande-annonce de la série :

29/09/2010

(J-Drama) Atami no Sousakan : comme un faux air de Twin Peaks japonais, et bien plus encore...


Un intrigant mystère fantastico-policier à la frontière des genres

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A l'heure où les networks américains me confortent une nouvelle fois dans tout le mal que je pense d'eux, de manière salvatrice, les découvertes enthousiasmantes se succèdent jusqu'au pays du Soleil Levant. Mine de rien, je vais peut-être arriver à la dizaine de j-dramas visionnés au cours de l'année en cours. Je suis d'autant plus contente qu'ils s'inscrivent tous dans des genres très différents les uns des autres, prouvant s'il en était encore besoin, toute la diversité de la télévision japonaise et les perles que l'on s'y cache (si l'on sait où chercher, ou bien si l'on connaît des téléphages charitables qui feront du prosélytisme à bon escient - au hasard par là). Mon dernier coup de coeur en provenance du pays du Japon est une série toute récente, puisqu'elle a été diffusée au cours de cet été 2010, du 30 juillet au 17 septembre, sur TV Asahi. Il s'agit de Atami no Sousakan.

Composée de 8 épisodes, elle est signée du scénariste Miki Satoshi, à qui l'on doit notamment Jikou Keisatsu, un drama qui n'est pas sans avoir une certaine filiation avec Atami no Sousakan (dans l'esprit autant que dans le casting, puisqu'on retrouve dans les deux, le toujours si excellent Joe Odagiri, mais également Fuse Eri). Cette série s'inscrit cependant dans un registre moins léger et plus empreint d'un mystéro-fantastique policier fort attrayant. Au nombre des inspirations de ce jdrama, il est d'ailleurs difficile de ne pas établir des parallèles avec une autre institution téléphagique, américaine cette fois, Twin Peaks, les clins d'oeil se multipliant au cours du pilote pour le plus grand plaisir d'un téléspectateur ravi. Si on tombe sous le charme d'Atami no Sousakan pour son ambiance, c'est sa mythologie qui nous marquera en conclusion.

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L'histoire d'Atami no Sousakan débute il y a trois ans. Un bus qui transportait 4 écolières pour ce qui devait être leur cérémonie de rentrée dans une école privée disparaît dans des conditions mystérieuses. Son chauffeur s'était arrêté sur le bas côté, en croisant un vieil homme étendu sur la route auquel il voulut porter secours. Mais il n'eut que le temps de se retourner pour voir son car reprendre son chemin et s'enfoncer dans le brouillard d'alors, ses 4 passagères à son bord. Plusieurs jours après, une des disparues, Mai Shinonome, est retrouvée à un arrêt de bus, inconsciente ; tandis que le sort de ses camarades demeure un mystère. Elle va rester plongée dans le coma pendant plusieurs années, jusqu'au jour où elle se réveille sans aucun souvenir de l'incident.

Espérant qu'elle retrouve la mémoire, deux agents spéciaux sont dépêchés sur place pour enquêter sur cette si complexe affaire dont Atami est encore profondément marquée. Kenzo Hoshizaki et Sae Kitajima découvrent une ville avec ses codes implicites, ses règles et ses non-dits, avec pour toile de fond une ambiance quelque peu indéfinissable qui semble cacher bien des choses... Très vite, des rebondissements interviennent dans le cours de leur enquête, apportant de nouveaux indices - le bus, notamment, étant retrouvé au fond de la mer - et jetant un éclairage nouveau sur les évènements passés. Que cachent ces disparitions ? Quel lien ou point commun unissait les quatre jeunes filles ? Les trois adolescentes encore manquantes peuvent-elles être toujours vivantes ? Aidé par les forces de police locale, notre duo d'enquêteurs de choc va finalement être amené à plonger aux sources des secrets d'Atami... En reviendront-ils ? Que découvriront-ils ?

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Le premier atout d'Atami no Sousakan réside dans l'incontestable, et si fascinante, richesse du cadre recréé. Un réel effort scénaristique a été fait pour poser les bases d'un univers à part, résolument décalé, d'où perce un diffus, mais lancinant, mystère. Tour à tour folklorique et inquiétant, il faut dire que tout demeure profondément intrigant dans cette ville dont la dynamique semble échapper à toute rationalisation. La série navigue entre le pittoresque pseudo-fantastique et la caricaturale vie provinciale quelque peu déphasée et en autarcie. Si l'étrangeté générale frappe d'emblée le téléspectateur, la force d'Atami no Sousakan est de parvenir à  façonner, autour d'une mise en scène regorgeant de petits détails typiques et de protagonistes assez uniques, une ambiance étonnante et  décalée qui fascine.

Aussi travaillé qu'ambitieux, le décor reflète l'investissement considérable qui a été réalisé pour soigner ce cadre. Le téléspectateur se laisse instantanément prendre au jeu, rapidement captivé par l'univers qui se met progressivement en place. De façon naturelle, des parallèles s'imposent entre cette indéfinissable atmosphère si résolument mystérieuse, et d'autres fictions du genre, au sein desquelles Twin Peaks exerce une influence prédominante. Il y a d'ailleurs quelque chose d'assez jubilatoire de voir reproduites certaines approches, sorte d'hommage nippon à une oeuvre classique de la télévision occidentale. Si l'atmosphère s'y fait plus légère, tendant plutôt vers une comédie diffuse, il pointe pourtant bel et bien un sourd, presque inquiétant, secret. 

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L'ambiance décalée fonctionne d'autant plus auprès du téléspectateur qu'elle est renforcée par des personnages  aussi loufoques qu'attachants. Kenzo Hoshizaki et Sae Kitajima forment ainsi un duo d'enquêteurs détonnant, aussi atypique que complémentaire. Très différents, les deux agents se révèlent pourtant aussi étonnamment complices dans la conduite de l'enquête. L'alchimie fonctionne parfaitement entre eux deux, renforçant l'impression d'une homogénéité d'ensemble, parfaitement maîtrisée, des protagonistes. Car c'est bien toute la galerie des personnages qui apportent leur contribution - même la plus modeste - et se fondent naturellement dans l'ambiance décalée du drama, contribuant à asseoir sa tonalité. De ce point de vue, la dimension humaine de Atami no Sousakan doit être saluée car elle rend la série particulièrement confortable à suivre pour un téléspectateur qui se surprend à se prendre d'affection pour certains, tandis que d'autres se chargent de nourrir ses questions.

Attachant, ce drama se révèle aussi très intrigant. Si le pan policier est pluôt décalé, l'enquête confère un liant à l'ensemble, permettant à la série de se construire sur et à partir de cette base. Il est difficile de prendre au sérieux les méthodes alternatives de Kenzo Hoshizaki, mais elles ont le mérite de s'intégrer à merveille à l'atmosphère globale et, surtout, de permettre de développer tout ce cadre sans jamais perdre de vue le fil rouge central qui est l'enquête sur la disparition du bus avec les adolescentes à son bord. Atami no Sousakan s'assure ainsi de retenir l'attention du téléspectateur. Le cocktail était audacieux, le burlesque côtoyant le mystérieux dramatique en un mélange des tons à l'équilibre fragile, mais le résultat est à la hauteur des ambitions.

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Cependant, au-delà de l'univers même, la fascination qu'exerce Atami no Sousakan s'explique par une forme d'indéfinissable ambivalence. Certes, la série tend résolument vers la comédie. Elle n'hésite pas à décliner, pour le plus grand plaisir d'un téléspectateur amené maintes fois à sourire, gags naïfs et mises en scène excessives. Pour autant, la série est bien plus qu'une trop facilement catégorisable "comédie'.Elle se révèle bien plus ambiguë, défiant les classifications et les genres. Car on sent confusément poindre, au fil des épisodes, quelque chose de plus sombre, un secret au coeur de cette ville, sans que le téléspectateur puisse véritablement identifier la source de son diffus malaise. Ce sont des répliques apparemment anodines, des indices ou des réactions dont la logique nous échappe, qui entretiennent cette ambiguïté, génère des doutes et des interrogations informulées qui restent à la lisière de notre conscience. Finalement, apparaît, de façon de plus en plus perceptible, une étrange mélancolie, à mesure que la rationnalité du cadre s'étiole.

La conclusion du drama offre une vraie fin à Atami no Sousakan, bouclant cette boucle dont on sentait confusément l'existence sans forcément la théoriser. Elle a aussi le mérite d'être suffisamment ouverte pour laisser à chacun toute liberté de faire ses propres interprétations. Si elle peut surprendre ou rendre perplexe dans un premier temps, avec le recul et après réflexion, je trouve qu'elle s'inscrit parfaitement dans la construction de la série et dans le glissement narratif qui s'opère peu à peu. Moi qui m'agace si souvent contre ces séries mythologiques qui s'essouflent, usent leur concept et tombent à plat pour notre plus grande frustration, Atami no Sousakan représente le modèle inverse qu'il faut saluer. Le résultat est d'autant plus remarquable que c'est d'une manière subtile, fonctionnant par petites esquisses et sous-entendus que toutes les pièces du puzzle s'emboîtent peu à peu. La construction mythologique ne se fonde pas sur une problématique clairement énoncée, mais fonctionne sur des non-dits ; une approche des plus rafraîchissantes.

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Sur la forme, Atami no Sousakan parvient à prolonger la fascination qu'elle sait susciter par son contenu. Si le décor occupe une place centrale et aussi déterminante dans l'ambiance intrigante créée, c'est en partie grâce à la réalisation, soignée et singulière, qui prend soin de s'attacher aux plus petits détails, mettant en avant les ingrédients les plus anecdotiques pour former au final un ensemble décalé très homogène. La caméra n'est pas non plus avare en plans plus larges, exploitant ces paysages côtiers de campagne. En guise de complément rapidement indispensable, il convient également de saluer la bande-son de la série, parfaite pour distiller cette dose de mystère où la comédie se mêle à quelque chose de plus sombre et mélancolique, indiscernable jusqu'à la fin pour le téléspectateur, mais dont la chanson qui clôture chaque épisode est une parfaite illustration.

Enfin, le casting s'avère juste parfait, réjouissant de décalages et proposant une interprétation reflétant merveilleusement bien l'atmosphère étrange dans lequel baigne ce drama. Il faut dire qu'il était a priori composé de valeurs sûres. Une fois n'est pas coutume, je connaissais même déjà tous les acteurs principaux, à l'égard desquels j'avais un très bon a priori. J'ai certes plus l'habitude de croiser Odagiri Joe au cinéma (tout récemment, il était à l'affiche du troublant/fascinant film japonais sorti en juin dans nos salles, Air Doll) ; voici vraiment un acteur dont j'adore la versatilité et la capacité à alterner les styles avec brio. Quant à Kuriyama Chiaki, si j'avais déjà eu l'occasion de la voir dans d'autres séries, cet été, je l'ai appréciée dans mon j-drama/découverte phare de l'été, le somptueux Hagetaka. Cela m'a fait d'autant plus plaisir de les retrouver que ces deux-là forment à l'écran, dans Atami no Sousakan, un duo d'enquêteurs extras, complice et complémentaire, tout autant que très atypique. C'est savoureux à suivre, en partie grâce à la capacité des deux acteurs à se fondre parfaitement dans leur rôle respectif. A leurs côtés, on retrouve d'autres habitués du petit écran japonais, comme Tanaka Tetsushi, Matsushige Yutaka ou encore Fuse Eri.

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Bilan : Atami no Sousakan se révèle être une série d'une richesse fascinante, dont la mise en scène soignée, aux décalages travaillés, est un délice pour un téléspectateur qui perçoit une filiation Twin Peaks-ienne assumée. Mêlant avec un aplomb tout japonais et beaucoup de maîtrise, mystère fantastique intriguant presque inquiétant et comédie policière atypique défiant toute classification, ce drama ne saurait pourtant se réduire à sa seule apparente légèreté de ton. Car c'est une indicible ambivalence qui s'esquisse peu à peu, sur fond d'un cadre mythologique restant dans l'informulé. Une énième étrangeté dans laquelle la mélancolie de la chanson du générique de fin trouve un écho particulier.

Oeuvre complète, Atami no Sousakan réussit ainsi la synthèse admirable de genres très différents, dont l'agencement offre un résultat intrigant qui mérite le détour à plus d'un titre. Une expérience téléphagique à tenter.


NOTE : 8,5/10


La bande-annonce de la série :


La chanson qui clôture chaque épisode - Welcome to the Heaven :

熱海の捜査官 天国へようこそ

04/08/2010

(J-Drama) Hagetaka (Road to rebirth) : sur les ruines du capitalisme financier, destins croisés et vies à reconstruire




"Someone said there’s only two kinds of tragedy.
The first, having no money. Second, having too much of it.
The world is made of money, and money bears tragedies."

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Attention, petit bijou téléphagique en ce premier mercredi asiatique du mois d'août !

La découverte de la semaine est d'autant plus appréciable qu'elle aura été difficile à dénicher. La vie du sériephile est faite de frustrations. Cette curiosité inassouvie qui le pousse constamment vers de nouveaux horizons a un côté sombre : les découvertes ne sont pas toujours à la hauteur. Pour dix pilotes testés, combien d'essais concluants ? Le ratio est encore plus disproportionné quand je m'essaye à la télévision japonaise. Comme je vous l'ai déjà confié, actuellement, je m'intéresse plus particulièrement à ce pays. J'ai testé divers dramas de la saison estivale, tous genres et toutes chaînes confondues... sans grand succès. J'ai bien trouvé quelques programmes suffisamment accrocheurs pour que l'on est envie de poursuivre le visionnage, mais rien de marquant.

Insatisfaite, j'ai donc entrepris de remonter un peu le temps, me rendant dans des recoins plus reculés, encore inconnus de la relative profane en télévision japonaise que je suis. Ce week-end, je commençais à désespérer, achevant de m'auto-convaincre que le problème venait de mes goûts personnels et qu'aucune histoire d'amour sur le long terme ne serait peut-être jamais possible avec le pays du Soleil Levant (un coup de coeur pour combien de tentatives ?). Et puis, soudain, ce fut l'étincelle tant espérée ! Dès les premières minutes, j'ai bien senti qu'entre Hagetaka et moi, cela pourrait coller. Deux heures plus tard, les deux premiers épisodes visionnés à la suite, je m'étais réconciliée avec le Japon, à nouveau captivée, impressionnée, fascinée, par un jdrama ! Car voyez-vous, Hagetaka, c'est une de ces gifles téléphagiques qui vous font le plus grand bien, raniment une passion et vous redonnent foi dans le Dieu du petit écran.

Si bien qu'avant de vous en parler plus précisément, je profite de ce billet pour lancer un appel à vous, chers lecteurs ; car, motivée comme je le suis actuellement, c'est le moment ou jamais de me proposer des séries japonaises. Mais j'ai beau y mettre beaucoup de bonne volonté, je me perds trop souvent dans cette offre si riche. Si on récapitule, mes gros coups de coeur de ces derniers mois, en provenance du pays du Soleil Levant, furent Mother, Gaiji Keisatsu et, donc, Hagetaka. Quelles autres découvertes pourriez-vous me conseiller ? Sachant que les comédies ne m'intéressent pas et que j'ai fait une overdose de high school dramas lors de mon précédent cycle japonais.

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Hagetaka est une série qui fut diffusée sur NHK en 2007. Elle comporte six épisodes d'une heure chacun.

Adaptée d'un roman éponyme de Mayama Jin, elle nous plonge dans un cadre original, celui des rouages de la finance, pour nous relater les destins croisés, teintés de tragédies, de plusieurs personnages aux vies imbriquées. Dotée d'une réelle dimension humaine, elle s'intéressera à leurs évolutions, s'étalant sur presque une décennie, de la fin des années 90 au début des années 2000. Son premier épisode nous introduit dans un Japon encore affaibli par la crise que le pays connut lors de l'explosion de la bulle financière au début des années 90. Le modèle économique sur lequel il s'était reconstruit, après la Seconde Guerre Mondiale, est alors mis à mal par les excès d'un capitalisme forcené, dont les assauts font vaciller ses fondements. Ses anciennes valeurs fondatrices, patriarcales, apparaissent désormais obsolètes, étrangères et dépassées pour les nouveaux acteurs des marchés financiers.

Hagetaka débute en 1998. Une des banques les plus importantes du pays est alors en situation critique, considérablement fragilisée par la crise. Ses débiteurs n'étant plus en mesure de payer en respectant les échéances, sa dette s'est envolée. Pour éviter la banqueroute, elle n'a d'autre choix que d'accepter les propositions d'achat d'une partie de ses dettes par un fonds d'investissement étranger, Japan Horizon. Ce dernier est dirigé par un de ses anciens employés, Washizu Masahiko, pour qui cette tractation marque le retour au pays après plusieurs années passées aux Etats-Unis. Il avait à l'époque quitté précipitamment ses fonctions à la suite d'un drame, le suicide d'un de ses clients, conséquence de son refus d'accéder à sa demande de prêt.

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Se comportant désormais comme un véritable "hagetaka" (= vautour), Washizu assure la liquidation rapide et déshumanisée des dettes reprises. Faisant peu de cas de l'opinion modératrice émanant de son ancien supérieur, Shibano Takeo, il traite notamment de manière particulièrement expéditive le dossier d'une vieille auberge familiale. Une histoire qui se terminera, une nouvelle fois, en tragédie. Mais la culpabilité appartient désormais au passé ; le temps n'est plus aux regrets. Cette première incursion dans l'économie japonaise est le début d'une bien plus vaste offensive de la part de Japan Horizon et de ses capitaux internationaux. "Let's buy Japan out !" est le mot d'ordre venu de New York.

Menant une politique agressive de spéculation, les froides recherches de rentabilité du fonds d'investissement viennent achever de bouleverser le modèle entrepreneurial traditionnel du Japon. Hagetaka dépeint avec un réalisme minutieux, mais jamais rébarbatif - bien au contraire -, les coulisses de milieux financiers où l'affrontement est permanent, guidés par une quête constante du profit. Dans ce cadre, acteurs et victimes vont et viennent, ne cessant de se croiser, évoluant au sein d'un même système qui cannibalise tout sur son passage. Drame humain autant que thriller financier, Hagetaka va prendre le temps de s'intéresser à ses personnages aux motivations plus insaisissables que les apparences ne le laisseraient penser. Au fil des épisodes et des années, c'est une forme de parcours initiatique qui s'esquisse sous les yeux du téléspectateur. Un voyage sur une "road to rebirth", pour essayer de faire la paix avec soi-même, même si toute faiblesse peut être fatale.

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L'argent est donc l'élément central, moteur, de l'univers de Hagetaka, en témoigne la première phrase que j'ai reprise au début de cet article, prononcée en guise d'introduction par Washizu. La symbolique de la scène d'ouverture de la série mériterait d'ailleurs à elle-seule un développement entier, tout comme le générique de fin, aussi troublant que poétique. Je me contenterai de souligner que ce drama est bien plus qu'une simple démonstration des ressorts broyeurs du capitalisme financier. Ici, pas de morale univoque, ni de vérité facilement accessible. Le but n'est pas de pointer des responsabilités, la série s'attache simplement - mais avec une rigueur ambitieuse - à décrire le fonctionnement d'un système, avec ses limites et ses injustices.

L'aspect humain ne s'oppose pas au vecteur financier. Les deux ne s'excluent pas, mais doivent, au contraire, se combiner et trouver un équilibre. Le danger réside dans les excès. La réussite de Hagetaka, c'est justement cette capacité à amener le téléspectateur à s'interroger, sans prétendre asséner de réponses miracles. Le drama trouble, interpelle, mais ne préjuge jamais. Sa portée est d'autant plus forte que derrière ce portrait sombre et pessimiste qu'il dépeint, les thématiques abordées marquent également par leur frappante actualité avec le monde réel. L'histoire relatée - et les dérives mises en lumières - trouve un écho particulier dans notre propre situation économique (l'impression amère que tout se répète en quelque sorte, sans que les enseignements aient été tirés).

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Cependant Hagetaka va bien au-delà de son seul cadre financier de départ. Si l'ensemble renvoie une image faussement déshumanisée, c'est pourtant bien une histoire aux accents terriblement humains que la série relate. L'émotion perce presque malgré la volonté de certains personnages. Comment arbitrer ses sentiments, son parcours personnel, voire même son éthique professionnelle, quand on est seulement un simple rouage dans un système qui s'auto-alimente ? Le capitalisme, même poussé à l'extrême, ne peut entraîner la négation complète de l'individu qui met en oeuvre sa logique. La force de Hagetaka est de refuser de céder à la tentation d'une approche manichéenne, optant pour un réalisme d'une rare acuité.

Il n'y a pas de chevalier blanc, pas de personnage pour incarner un "méchant" dénué de toute conscience. Il y a seulement des êtres humains, à la fois acteur et victime de ce système dont ils ne maîtrisent pas les règles. Les situations sont difficiles et la bonne solution évidente n'existe pas. Au fil des épisodes, chaque protagoniste gagne en épaisseur. Acculés dans des impasses qui les placent en porte-à-faux avec eux-même, ils révèlent peu à peu toute leur complexité, dévoilant des motivations plus obscures et des contradictions parfois fatales. Aussi vivant que troublé, c'est un tableau tout en nuances qui se peint finalement sous nos yeux fascinés.

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Aussi dense et passionnant que soit son contenu, Hagetaka ne serait pas ce qu'elle est sans sa somptueuse bande-son signée Sato Naoki (plus connu pour avoir réalisé celle de Pandora, par exemple). Le téléspectateur est presque surpris de découvrir, dès les premières minutes, un tel accompagnement musical pour une série qui aura su éviter tous les écueils dus à la technicité de son sujet. Insufflant un souffle épique dans chaque scène, subtile et sobre quand il le faut, vertigineuse et entraînante en parfaite adéquation avec l'importance du passage à d'autres moments, elle constitue un véritable petit bijou à elle toute seule. Pour couronner le tout, l'ensemble est complété par un langoureux générique, mélancolique à souhait, qui donne des frissons au téléspectateur.

Dans le même temps, Hagetaka est tout aussi sérieuse dans sa réalisation, proposant des plans soignés, ne renonçant pas à cette poésie des images que l'on retrouve dans les dramas japonais réussis. Elle a également recours à des jeux de lumière intéressants qui lui permettent de s'approprier pleinement son univers.

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Enfin, dernier compliment - mais non des moindres -, celui qui doit être adressé au casting qui se révèle juste impeccable. Faisant preuve d'une sobriété pesée et calculée, en adéquation avec la tonalité d'ensemble du drama, les différents acteurs parviennent également, sans jamais se départir de leur réserve, à exprimer une réelle intensité dramatique lors des passages les plus poignants. Leurs performances m'ont bluffée, en particulier le duo principal dont l'interprétation nuancée, de figures pourtant particulièrement complexes, fut d'une justesse jamais prise en défaut.

Nao Omori réussit ainsi à capter parfaitement l'ambivalence des conflits internes animant un Washizu Masahiko qui se révèle bien loin d'être un simple "hagetaka" ; tandis que Kyohei Shibata dépeint, avec beaucoup de subtilité et de retenue, ce personnage renvoyant une image toujours si solide qu'est Shibano Takeo. A leurs côtés, Chiaki Kuriyama (Mishima Yuka) apporte une touche de fraîcheur, mais aussi de foi et d'espérance en certains personnages, qui s'avère touchante. Plus en retrait, enfin, Ryuhei Matsuda (Osanu Nishino) colle parfaitement à l'affirmation d'un fils brisé par le suicide de son père, chez qui le désir de vengeance finira par tout obscurcir.

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Bilan : Hagetaka, c'est une de ces claques téléphagiques salvatrices que l'on rêverait de rencontrer plus souvent dans ses explorations du petit écran. A partir d'une thématique originale, mais également très ardue, qui ne manquait pas de complexité et pouvait décontenancer a priori, la série s'affirme comme un drama de haut standing, sublimant et dépassant son cadre financier. Bénéficiant d'une écriture subtile, d'une justesse troublante, sa richesse est de proposer une lecture à plusieurs niveaux. Elle dresse le portrait nuancé d'un Japon économiquement affaibli, au sortir des années 90, au croisement de deux voies semblant destinées à se confronter, entre une tradition industrielle forgée dans les liens familiaux et un capitalisme impersonnel presque sauvage. C'est une société en crise, où les situations renvoient à des images de l'actualité récente.

Mais Hagetaka, ce sont aussi des histoires personnelles, un chemin timide vers la rédemption entrepris par des personnages cherchant à faire la paix avec eux-mêmes, tous acteurs d'un système capitaliste outrancier, dont les rouages broyeurs les ont, à des degrés divers, brisés. Agresseurs ou victimes, les rôles se révèlent bien moins clairs que ce que les apparences peuvent laisser croire a priori. Détachée de tout manichéisme, Hagetaka est une série sombre, relativement pessimiste, qui choisit de traiter avec beaucoup de réalisme des problématiques compliquées, tout en parvenant à captiver le téléspectateur tout au long de ses six épisodes.


En résumé - en espérant avoir réussi à retranscrire au moins une partie de mon enthousiasme dans cette review -, il s'agit d'une série tout simplement incontournable. Et par sa thématique qui transcende les frontières, elle parlera à tout téléspectateur, qu'il soit familier ou non avec les fictions japonaises. Indispensable.


NOTE : 9,5/10


Le superbe générique de fin :



Une bande-annonce (pour le premier épisode) :