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09/08/2010

(UK) Jekyll : une brillante adaptation de l'oeuvre de Stevenson

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Tandis que Sherlock s'est achevée hier soir en Angleterre, je profite de l'occasion pour revenir sur une autre adaptation, antérieure, ayant modernisé avec brio une oeuvre littéraire du XIXe siècle, le Dr Jekyll & Mr Hyde de Stevenson. Diffusée au cours de l'été 2007, Jekyll fut une incontestable réussite, se réappropriant et revivifiant le mythe, porté par des dialogues enlevés et délicieusement ciselés, signés Steven Moffat, et un très grand James Nesbitt personnifiant la figure centrale de la mini-série. Au final, vous avez là un petit bijou télévisuel british absolument incontournable.

Le seul bémol que j'aurai à adresser à Jekyll est son doublage. C'est un sujet sur lequel j'ai rarement l'occasion de m'attarder pour émettre un avis (positif ou négatif), dans la mesure où je regarde très peu la télévision française. C'est encore plus exceptionnel pour les fictions britanniques : j 'aime trop les accents pour envisager un seul instant de ne pas les visionner en version originale. Cependant, par hasard, un soir d'insomnie, j'étais tombée, il y a quelques mois, sur une rediffusion de Jekyll, par Arte, en version française. J'avoue que le gâchis réalisé m'a fait peine à voir. Par conséquent, louez ou achetez l'édition DVD. Guettez une rediffusion en VM. Mais, surtout, évitez la VF à moins d'aller au devant d'importantes déconvenues.

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Jekyll se révèle savoureuse à plus d'un titre. Elle se réapproprie pleinement l'ambivalente figure de son personnage central, replaçant dans un contexte et avec des enjeux modernisés, cette troublante et glaçante histoire de partage d'un même corps entre deux êtres différents, dont la nature de l'un effraie l'autre.

Pourtant, ce sont derrière des apparences d'une banalité confondante que dort ce terrible secret. En effet, le Docteur Tom Jackman, chercheur, mène à première vue une vie des plus rangées, entre sa famille, composée de son épouse et de ses deux jumeaux, et son travail. Mais de temps à autre, il doit s'absenter. Une autre personnalité émerge dans ces moments-là qui paraît être une différente personne, plus grande, plus jeune, plus forte ; mais également totalement incontrôlable, dangereuse pour son entourage.

Cette cohabitation forcée entre ces deux personnalités se maintient de façon précaire grâce à un fragile accord conclu. Étant donné que lorsque l'un prend le contrôle, l'autre perd toute conscience, jusqu'à ce qu'il reprenne ensuite possession du corps, c'est tout un protocole qui a dû être mis en place. De leurs techniques de communication jusqu'aux problèmes de frais d'hôtel et autres clés de voiture, cette gestion presque étonnamment terre à terre d'un quotidien si extraordinaire, captive et fascine instantanément le téléspectateur. Mais l'équilibre entre les deux êtres, cet impossible partage d'un même corps que leur condition impose, ne saurait se pérenniser. Tandis que le Dr Jackman s'efforce de stabiliser sa condition et de la contrôler, d'autres menaces s'agitent dans l'ombre. Son secret n'est pas aussi confidentiel qu'il peut le croire ; et son cas intéresse de près certaines personnes. En comprenant ce qu'il est, le Docteur pourra-t-il se sauver lui-même, ainsi que sa famille ?  

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La première grande réussite de Jekyll réside dans la façon dont elle va traiter sa figure centrale. Les rapports entre le Dr Jackman et Jekyll sont superbement caractérisés, un rapport de force, teinté d'ambivalence, dans lequel domine un pragmatisme instinctif et une indéfinissable incompréhension réciproque. Le Dr Jackman incarne un stéréotype de l'homme ordinaire, effacé et étouffé par ses propres inhibitions. Une caricature de l'ennui. Le contraste est saisissant avec un Jekyll, véritable force de la nature, assumant -et réalisant- toutes ses pulsions, comme affranchi du poids des convenances sociales. La mini-série n'hésite d'ailleurs pas à se laisser à quelques parallèles bestiales qui captent bien cette puissance qui émane de lui. En un mot, Jekyll parvient à retranscrire à l'écran, avec une vitalité et une dynamique assez ambiguë, cette idée un peu folle, imaginée par Stevenson.

Outre cette pleine maîtrise du concept étonnant de départ, Jekyll se distingue par son admirable construction narrative qui laisse une large place à un suspense, chargé de tension, qui va crescendo. Sur bien des points, la manière dont est menée l'intrigue constitue un modèle du genre, n'hésitant pas à recourir parfois à certains procédés comme les flash-backs. L'histoire se construit par palier, nous entraînant dans un engrenage où l'attention du téléspectateur se retrouve rapidement happée. Tout va crescendo, donnant l'impression d'être magistralement orchestré, et prend forme, naturellement, sous nos yeux.

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L'ensemble est d'autant plus convaincant que l'écriture, fine et vive de Steven Moffat, fait ici merveille. Non seulement les dialogues se révèlent savoureux, les "monologues" entre les deux personnalités centrales étant sans conteste les plus jubilatoires, mais la mini-série parvient également, avec une aisance fascinante, à alterner tous les styles, empruntant au thriller, mais aussi aux codes d'une horreur, étrangement burlesque, au faux accent gore. Teinté d'un humour noir diffus, typiquement britannique, qui permet d'éviter le ridicule d'une fiction qui se prendrait trop au sérieux, Jekyll se crée une ambiance tour à tour inquiétante, déstabilisante, voire parfois simplement touchante. C'est dans ce juste maniement de tous ces tons que réside une bonne partie de sa richesse.

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Pour autant, aussi bien écrit soit-elle, la mini-série n'atteindrait pas une telle dimension sans la somptueuse performance d'un James Nesbitt (The Deep) au sommet de son art, qui personnifie cette figure centrale de la plus impressionnante des manières. C'est bien simple : le téléspectateur a effectivement l'impression d'avoir face à lui deux personnages distincts, aux physiques similaires certes, mais trop différents dans leur façon d'être pour que notre cerveau les assimile. C'est troublant, mais surtout particulièrement réjouissant.

Aux côtés de James Nesbitt, on retrouve un casting très solide, avec notamment une superbe Gina Bellman (Coupling), qui joue l'épouse de Tom Jackman. Meera Syal (Holby City, Beautiful people), Fenella Woolgar ou encore Denis Lawson (Bleak House, Criminal Justice) sont au diapason. La seule à ne pas tirer son épingle du jeu est sans doute Michelle Ryan (Bionic Woman), peut-être peu aidée par son rôle d'infirmière un peu en marge des autres dynamiques.

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Bilan : Jekyll est un petit bijou télévisuel original et enthousiasmant, une réjouissante adaptation d'un classique de la littérature, brillamment écrite par un Steven Moffat des grands jours et porté par un James Nesbitt dont la performance marquera. Exploitant pleinement la fibre mystérieuse de son histoire, dotée d'un suspense qui demeure jusqu'au bout entier, jusqu'à l'ultime pied de nez final, elle réussit avec brio à jouer avec beaucoup de justesse sur l'ambivalence de sa figure centrale. Une fiction simplement incontournable.


NOTE : 9,25/10


La bande-annonce de la série
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Commentaires

Je me souviens que j'avais enchaîné les épisodes (je ne fais que très rarement ça, j'aime bien savourer, un par ci, un par là), mais en lisant ton post, je me rends compte que j'ai pas mal oublié, il faut que je me le refasse ! (Je regrette un peu d'avoir acheté les DVD anglais, à l'époque, parce qu'il s'avère que le coffret français est plus joli !)

Écrit par : Saru | 09/08/2010

@Saru : tu veux dire, le sang séché, là ?

Jekyll est une véritable perle. Et c'est quelqu'un d'assez peu enthousiaste envers la fiction britannique qui le dit ! J'avais découvert la série sur arte (en VF, donc... oui nan mais moi la VO British, je peux juste pas) et j'avais été absolument scotchée. La série n'est pas parfaite, loin de là, mais elle reste non moins épatante. Ce que tu dis sur la prestation de Nesbitt est vraie, l'âme qu'il donne à chacun des personnages est incroyable, on a vraiment l'impression que Jekyll fait effectivement quelques centimètres de plus. C'est confondant.

Écrit par : ladyteruki | 10/08/2010

Mais que se passe-t-il avec cette VF (nan, parce que bon, soit tu en as trop dit, soit pas assez... Faut étayer ! :D Qu'est-ce qu'on y perd -hormis les accents ?- ? Y'a des contresens ? De la censure ?)

Sinon, j'avoue que si j'étais un peu sceptique au départ, force est de constater que la mini-série a effectivement su me surprendre très agréablement avec sa construction qui aurait pu vite devenir casse-gueule et confuse, hors ce n'est jamais le cas, et toujours pour le service du récit.
Et j'ai aussi beaucoup aimé l'ambiance générale (et effectivement James Nesbitt offre une excellente prestation).

Écrit par : Nakayomi | 10/08/2010

Hmm... il faut vraiment qu'on parle de cette pratique blasphématoire de regarder en VF des séries britanniques. *snif* lol ~_^
A lire vos réactions, vous risquez de ne pas me comprendre, mais à mes yeux, cette VF ne rend justement pas compte de la performance de James Nesbitt -elle ne le met pas à sa juste valeur-, de plus elle prive d'une partie de l'ambiance et, personnellement, j'ai eu une impression de platitude où tout sonnait creux au final.
Mais si vous avez quand même apprécié la série, c'est l'essentiel (même si je persiste à dire que... bon, je n'insiste pas O:-) ).

Sinon, Jekyll, je trouve que c'est dans les séries british de ces dernières années, un des symboles du versant le plus emballant d'une partie des fictions d'outre-manche : savoir tenter crânement sa chance, en exploitant pleinement un concept, parfois très osé (dans le sens : mais comment cela est-il transposable à l'écran ?!), sans la moindre arrière-pensée. Ce n'est pas toujours parfait, il y a des maladresses et des excès, mais c'est vivant, emballant et l'enthousiasme est communicatif. C'est une façon de faire de la télévision très rafraîchissante.
Et puis bon, Jekyll, c'est du pur Moffat, donc forcément (si jamais tu entreprends une brève exploration outre-Manche, Ladyteruky ;-) ).


@ Saru : Je l'ai revu cet hiver en fait, j'avais, comme toi, quasiment tout oublié, et j'ai été agréablement surprise de la manière dont finalement tout re-fonctionne aussi efficacement. Finalement, elle franchit le cap du temps et d'une redécouverte !

Écrit par : Livia | 10/08/2010

c'est vrai qu'au delà du physique, la transformation de Jackmann en Jeckyll passe aussi par la voix..et il est juste flippant à souhait quand il parle autant que quand il regarde avec ses yeux fous...
James Nesbitt est comme tu le dit, étourdissant de talent et porte à lui tout seul la série et efface quelque peu les faiblesses du scénario (il y a en a quand même quelques unes, entre le rythme inégal et une fin un peu bancale pour moi).

Écrit par : cybellah | 10/08/2010

"il faut vraiment qu'on parle de cette pratique blasphématoire de regarder en VF des séries britanniques", hé hé ! Je suis pour qu'on forme une ligue, Livia ! :)

@ladyteruki : tu veux dire que le sang du coffret sèche au bout d'un moment ? ;) Mais surtout, il me semble qu'il est en métal, non ?

Écrit par : Saru | 10/08/2010

ça me donne envie de me replonger dedans ! cette mini-série est une vraie petite pépite, du grand art.

Écrit par : Eirian | 10/08/2010

@Saru : oui, il sèche en petits cristaux, c'est moyennement attrayant. J'avais fait un post sur ce petit soucis (clicky clicky) quand je l'avais acheté, mais comme mon téléphone/appareil photo est crappy, ça se voit pas forcément très bien. Cela dit, je te rejoins sur le fait que la boîte métal est très sympathique.

@Livia : exploration, je ne sais pas, mais des tentatives de temps à autres c'est pas exclu. Mon problème majeur est que je ne comprends pas l'accent British (alors bon, yen aura pour arguer que ce sont les Américains qui ont un accent, bref), et que, pour suivre une série britannique de façon fluide, il me faut au mieux les sous-titres, au pire la VF. Même soucis pour l'Australie, d'ailleurs. Et encore, je redoute le jour où la curiosité me portera vers l'Irlande ou l'Écosse.
Mais des fois je me dis pourquoi pas.
Sherlock, notamment, est sur ma liste non-prioritaire...

Écrit par : ladyteruki | 11/08/2010

@ Eirian : Ca fait plaisir aussi de temps en temps de retrouver des valeurs sûres !


@ Ladyteruki : Ah, l'Irlande ou l'Ecosse, c'est vrai que c'est compliqué. Mais bon même en Angleterre, les accents bien prononcés du Nord, comme à Manchester, mes oreilles prennent parfois un peu peur. Mais j'avoue que quitte à regarder avec des ST anglais, je préfère à l'accent "neutre" de certaines séries d'outre-atlantique. Après des séries avec l'accent "BBC type" du style Spooks, par contre, à mes oreilles, c'est un plaisir et la compréhension est beaucoup plus aisé que dans les séries américaines. Mais j'aime aussi un anglais qui n'est pas neutre : par exemple, dans True Blood, l'accent du sud j'adore également. J'aime quand l'anglais a une identité forte à mon oreille ; c'est un plaisir à suivre et à écouter. (Mais après, ça doit être un plaisir très personnel, je le conçois tout à fait ^^ ; et mon penchant british vient peut-être aussi du fait que c'est au contact de l'anglais de l'Angleterre que j'ai plus appris l'anglais, même si les séries US ont un peu contre-balancé cela.)

Écrit par : Livia | 13/08/2010

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