20/01/2013
(Mini-série UK) Spies of Warsaw : jeux d'espions dans la Varsovie d'avant-guerre
Spies of Warsaw figurait en bonne place parmi les nouveautés que j'attendais en ce début d'année. Cette mini-série, composée de 2 parties de 90 minutes chacune, a été diffusée ces deux dernières semaines en Angleterre sur BBC4. Adaptation d'un roman du même titre d'Alan Furst, cette fiction d'espionnage se déroulant à la veille de la Seconde Guerre Mondiale avait en plus comme atout d'offrir un intéressant rôle à David Tennant. Ce dernier a parfaitement relevé le défi. Je serais en revanche beaucoup plus réservée sur la mini-série elle-même. Si les thèmes et les ingrédients sont là, il aura manqué quelque chose, dans le rythme, dans la solidité du scénario, pour se réapproprier ce sujet au potentiel certain.
Le colonel Jean-François Mercier, un soldat décoré de la Première Guerre Mondiale, devient attaché militaire à l'ambassade de France à Varsovie. L'enjeu que représente la Pologne dans une Europe où la tension ne cesse de croître durant cette deuxième moitié des années 30 en fait un terrain d'espionnage privilégié, où l'on entrevoit les stratégies des grandes puissances de l'époque. Au-delà des services de renseignement locaux alliés, il faut en effet composer et se méfier aussi bien des espions soviétiques que des agents de l'Allemagne nazie. La proximité de ce dernier pays fait aussi de Varsovie une base importante pour surveiller les manoeuvres ayant cours de l'autre côté de la frontière.
Des salons diplomatiques et mondains aux opérations de renseignement sur le terrain, Mercier navigue à vue dans un univers dangereux, rythmé au gré des intrigues, des trahisons et des assassinats. Il s'efforce notamment d'en apprendre plus sur les opérations militaires allemandes dans l'hypothèse où la guerre éclaterait, ou plutôt - car c'est pour lui inévitable - lorsque la guerre éclatera. Au cours d'une soirée, il rencontre Anna, une jeune femme d'origine polonaise travaillant pour la Société des Nations, organisation qui démontre désormais toutes ses limites. Si elle fréquente déjà un dissident russe, elle n'est pas insensible au colonel français. Sauront-ils sortir indemnes, avec leurs sentiments intacts, de ces premiers tourbillons préparant la tempête à venir ?
Spies of Warsaw disposait a priori de différents atouts. Les missions de son personnage principal n'ont rien d'anecdotiques, et même si l'on sait que ses efforts seront vains, les enjeux mis en scène sont d'importance. Il s'agit tout d'abord d'identifier la stratégie envisagée par l'Allemagne pour mener une guerre en Europe, notamment face à la France. Sur ce point, la mini-série n'a pas son pareil pour retranscrire l'aveuglement qui fut celui des élites françaises, et l'illusion créée par la ligne Maginot. Puis, une fois l'invasion polonaise inéluctable, l'exfiltration de l'or de sa banque centrale pour le faire échapper aux nazis est aussi une tâche à haute responsabilité. Malheureusement ces histoires n'acquièrent jamais l'ampleur dramatique qu'elles auraient méritée. Le scénario souffre en effet de récurrentes inégalités dans sa narration : il est capable de faire preuve d'une minutie d'orfèvre à certains instants, pour ensuite grossièrement esquisser des rebondissements convenus et téléphonés à d'autres. Au suspense de plusieurs passages, succèdent des raccourcis frustrants, des facilités dispensables, qui plombent la crédibilité du récit. Face à une mise en scène trop figée, peinant à atteindre l'intensité attendue, ce n'est que progressivement que le téléspectateur rentre dans l'histoire.
Cependant, il parvient à se prendre peu à peu à ces jeux d'espions en cours : il le fait en s'investissant dans les destinées personnelles des personnages, et non dans les missions relatées. Spies of Warsaw repose en fait entièrement sur les épaules du colonel Mercier. Figure aristocratique quelque peu idéalisée à laquelle il manque peut-être l'ambivalence recherchée dans ce type de fiction, ses développements restent intéressants tout au long de la mini-série. Il sait impliquer le téléspectateur à ses côtés. Mais la mini-série souffre ici du syndrome du "héros" : il lui manque une approche plus chorale, qui aurait été la bienvenue pour mieux apprécier les enjeux et faire gagner la fiction en homogénéité. Si Mercier s'impose comme un repère convaincant pour le téléspectateur, les personnages qui l'entourent peinent eux à acquérir une vraie consistance, à l'image des oppositions rencontrées au sein de la hiérarchie française où les officiers renvoient à des caricatures frustrantes qui servent avant-tout de faire-valoir à Mercier. Dans un registre plus personnel, son histoire d'amour avec Anna est calibrée, mais n'aura pas su capturer l'intensité des sentiments et des déchirements vécus.
Sur la forme, Spies of Warsaw bénéficie d'une réalisation correcte, mais un peu figée, à laquelle manque parfois ce souffle et cette tension que l'histoire relatée aurait dû permettre d'attendre. Il est manifeste que la mini-série a privilégié une sobriété, ce qui parfaitement légitime. Cela rend l'ensemble globalement bien adapté pour son genre. C'est une fiction sérieuse et classique, qui n'éblouit pas, ni ne prend le moindre risque sur ce plan.
En réalité, c'est avant tout le casting qui permet de s'investir dans cette mini-série. Plus précisément Spies of Warsaw doit beaucoup à un David Tennant (Doctor Who, Single Father) impeccable, qui tient là un rôle fort et intéressant, de maître-espion amoureux, dans lequel il trouve pleinement à s'exprimer (une fois que l'on admet qu'il interprète un officier français, ce qui a nécessité pour moi un léger temps d'ajustement). Les autres personnages sont moins fouillés, et les acteurs ne sont pas toujours très sollicités. Janet Montgomery (Human Target, Made in Jersey, Dancing on the edge) interprète Anna, la jolie Polonaise qui séduira le colonel Mercier. S'il n'y a rien à redire sur son jeu, l'écriture ne donne pas à son personnage une grande ampleur. A leurs côtés, on retrouve un casting international, composé notamment de Marcin Dorocinski (Gleboka woda, Pitbull), Miroslaw Zbrojewicz, Burn Gorman, Ellie Haddington, Piotr Baumann, Jan Pohl, Radoslaw Kaim, Linda Bassett, Allan Corduner, Anton Lesser, Julian Glover, Richard Lintern, Tuppense Middleton, Tusse Silberg et Fenella Woolgar.
Bilan : Proposant une immersion dans les jeux d'espions d'avant-guerre en Europe continentale, et plus précisément autour de la question de la Pologne, Spies of Warsaw est une honnête mini-série historique d'espionnage qui ne rebutera pas les amateurs du genre. Mais elle laissera quelques regrets, n'ayant pas réussi à rendre à ses enjeux le souffle dramatique et la tension qu'ils méritaient. Se reposant que sur les destinées personnelles de ses personnages, et surtout, de sa figure centrale, elle doit ici beaucoup à David Tennant pour avoir su apporter consistance et intensité à un officier dont on aurait pu craindre une idéalisation trop unidimensionnelle. Spies of Warsaw reflète aussi peut-être les difficultés qui peuvent se rencontrer lorsque l'on entreprend de transposer certains aspects d'un roman à l'écran. Au final, si j'en garde une impression mitigée, je ne regrette certainement pas de l'avoir regardée (mon inclinaison naturelle pour ce type d'histoire s'exprime sans doute ici).
NOTE : 6,75/10
Une bande-annonce de la mini-série :
10:32 Publié dans (Mini-séries UK) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bbc, arte, the spies of warsaw, david tennant, janet montgomery, marcin dorocinski, miroslaw zbrojewicz, burn gorman, ellie haddington, piotr baumann, jan pohl, radoslaw kaim, linda bassett, allan corduner, anton lesser, julian glover, richard lintern, tuppense middleton, tusse silberg, fenella woolgar, espionnage | Facebook |
09/08/2010
(UK) Jekyll : une brillante adaptation de l'oeuvre de Stevenson
Tandis que Sherlock s'est achevée hier soir en Angleterre, je profite de l'occasion pour revenir sur une autre adaptation, antérieure, ayant modernisé avec brio une oeuvre littéraire du XIXe siècle, le Dr Jekyll & Mr Hyde de Stevenson. Diffusée au cours de l'été 2007, Jekyll fut une incontestable réussite, se réappropriant et revivifiant le mythe, porté par des dialogues enlevés et délicieusement ciselés, signés Steven Moffat, et un très grand James Nesbitt personnifiant la figure centrale de la mini-série. Au final, vous avez là un petit bijou télévisuel british absolument incontournable.
Le seul bémol que j'aurai à adresser à Jekyll est son doublage. C'est un sujet sur lequel j'ai rarement l'occasion de m'attarder pour émettre un avis (positif ou négatif), dans la mesure où je regarde très peu la télévision française. C'est encore plus exceptionnel pour les fictions britanniques : j 'aime trop les accents pour envisager un seul instant de ne pas les visionner en version originale. Cependant, par hasard, un soir d'insomnie, j'étais tombée, il y a quelques mois, sur une rediffusion de Jekyll, par Arte, en version française. J'avoue que le gâchis réalisé m'a fait peine à voir. Par conséquent, louez ou achetez l'édition DVD. Guettez une rediffusion en VM. Mais, surtout, évitez la VF à moins d'aller au devant d'importantes déconvenues.
Jekyll se révèle savoureuse à plus d'un titre. Elle se réapproprie pleinement l'ambivalente figure de son personnage central, replaçant dans un contexte et avec des enjeux modernisés, cette troublante et glaçante histoire de partage d'un même corps entre deux êtres différents, dont la nature de l'un effraie l'autre.
Pourtant, ce sont derrière des apparences d'une banalité confondante que dort ce terrible secret. En effet, le Docteur Tom Jackman, chercheur, mène à première vue une vie des plus rangées, entre sa famille, composée de son épouse et de ses deux jumeaux, et son travail. Mais de temps à autre, il doit s'absenter. Une autre personnalité émerge dans ces moments-là qui paraît être une différente personne, plus grande, plus jeune, plus forte ; mais également totalement incontrôlable, dangereuse pour son entourage.
Cette cohabitation forcée entre ces deux personnalités se maintient de façon précaire grâce à un fragile accord conclu. Étant donné que lorsque l'un prend le contrôle, l'autre perd toute conscience, jusqu'à ce qu'il reprenne ensuite possession du corps, c'est tout un protocole qui a dû être mis en place. De leurs techniques de communication jusqu'aux problèmes de frais d'hôtel et autres clés de voiture, cette gestion presque étonnamment terre à terre d'un quotidien si extraordinaire, captive et fascine instantanément le téléspectateur. Mais l'équilibre entre les deux êtres, cet impossible partage d'un même corps que leur condition impose, ne saurait se pérenniser. Tandis que le Dr Jackman s'efforce de stabiliser sa condition et de la contrôler, d'autres menaces s'agitent dans l'ombre. Son secret n'est pas aussi confidentiel qu'il peut le croire ; et son cas intéresse de près certaines personnes. En comprenant ce qu'il est, le Docteur pourra-t-il se sauver lui-même, ainsi que sa famille ?
La première grande réussite de Jekyll réside dans la façon dont elle va traiter sa figure centrale. Les rapports entre le Dr Jackman et Jekyll sont superbement caractérisés, un rapport de force, teinté d'ambivalence, dans lequel domine un pragmatisme instinctif et une indéfinissable incompréhension réciproque. Le Dr Jackman incarne un stéréotype de l'homme ordinaire, effacé et étouffé par ses propres inhibitions. Une caricature de l'ennui. Le contraste est saisissant avec un Jekyll, véritable force de la nature, assumant -et réalisant- toutes ses pulsions, comme affranchi du poids des convenances sociales. La mini-série n'hésite d'ailleurs pas à se laisser à quelques parallèles bestiales qui captent bien cette puissance qui émane de lui. En un mot, Jekyll parvient à retranscrire à l'écran, avec une vitalité et une dynamique assez ambiguë, cette idée un peu folle, imaginée par Stevenson.
Outre cette pleine maîtrise du concept étonnant de départ, Jekyll se distingue par son admirable construction narrative qui laisse une large place à un suspense, chargé de tension, qui va crescendo. Sur bien des points, la manière dont est menée l'intrigue constitue un modèle du genre, n'hésitant pas à recourir parfois à certains procédés comme les flash-backs. L'histoire se construit par palier, nous entraînant dans un engrenage où l'attention du téléspectateur se retrouve rapidement happée. Tout va crescendo, donnant l'impression d'être magistralement orchestré, et prend forme, naturellement, sous nos yeux.
L'ensemble est d'autant plus convaincant que l'écriture, fine et vive de Steven Moffat, fait ici merveille. Non seulement les dialogues se révèlent savoureux, les "monologues" entre les deux personnalités centrales étant sans conteste les plus jubilatoires, mais la mini-série parvient également, avec une aisance fascinante, à alterner tous les styles, empruntant au thriller, mais aussi aux codes d'une horreur, étrangement burlesque, au faux accent gore. Teinté d'un humour noir diffus, typiquement britannique, qui permet d'éviter le ridicule d'une fiction qui se prendrait trop au sérieux, Jekyll se crée une ambiance tour à tour inquiétante, déstabilisante, voire parfois simplement touchante. C'est dans ce juste maniement de tous ces tons que réside une bonne partie de sa richesse.
Pour autant, aussi bien écrit soit-elle, la mini-série n'atteindrait pas une telle dimension sans la somptueuse performance d'un James Nesbitt (The Deep) au sommet de son art, qui personnifie cette figure centrale de la plus impressionnante des manières. C'est bien simple : le téléspectateur a effectivement l'impression d'avoir face à lui deux personnages distincts, aux physiques similaires certes, mais trop différents dans leur façon d'être pour que notre cerveau les assimile. C'est troublant, mais surtout particulièrement réjouissant.
Aux côtés de James Nesbitt, on retrouve un casting très solide, avec notamment une superbe Gina Bellman (Coupling), qui joue l'épouse de Tom Jackman. Meera Syal (Holby City, Beautiful people), Fenella Woolgar ou encore Denis Lawson (Bleak House, Criminal Justice) sont au diapason. La seule à ne pas tirer son épingle du jeu est sans doute Michelle Ryan (Bionic Woman), peut-être peu aidée par son rôle d'infirmière un peu en marge des autres dynamiques.
Bilan : Jekyll est un petit bijou télévisuel original et enthousiasmant, une réjouissante adaptation d'un classique de la littérature, brillamment écrite par un Steven Moffat des grands jours et porté par un James Nesbitt dont la performance marquera. Exploitant pleinement la fibre mystérieuse de son histoire, dotée d'un suspense qui demeure jusqu'au bout entier, jusqu'à l'ultime pied de nez final, elle réussit avec brio à jouer avec beaucoup de justesse sur l'ambivalence de sa figure centrale. Une fiction simplement incontournable.
NOTE : 9,25/10
La bande-annonce de la série :
05:49 Publié dans (Séries britanniques) | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : steven moffat, gina bellman, james nesbitt, jekyll, meera syal, fenella woolgar, denis lawson | Facebook |