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04/08/2010

(J-Drama) Hagetaka (Road to rebirth) : sur les ruines du capitalisme financier, destins croisés et vies à reconstruire




"Someone said there’s only two kinds of tragedy.
The first, having no money. Second, having too much of it.
The world is made of money, and money bears tragedies."

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Attention, petit bijou téléphagique en ce premier mercredi asiatique du mois d'août !

La découverte de la semaine est d'autant plus appréciable qu'elle aura été difficile à dénicher. La vie du sériephile est faite de frustrations. Cette curiosité inassouvie qui le pousse constamment vers de nouveaux horizons a un côté sombre : les découvertes ne sont pas toujours à la hauteur. Pour dix pilotes testés, combien d'essais concluants ? Le ratio est encore plus disproportionné quand je m'essaye à la télévision japonaise. Comme je vous l'ai déjà confié, actuellement, je m'intéresse plus particulièrement à ce pays. J'ai testé divers dramas de la saison estivale, tous genres et toutes chaînes confondues... sans grand succès. J'ai bien trouvé quelques programmes suffisamment accrocheurs pour que l'on est envie de poursuivre le visionnage, mais rien de marquant.

Insatisfaite, j'ai donc entrepris de remonter un peu le temps, me rendant dans des recoins plus reculés, encore inconnus de la relative profane en télévision japonaise que je suis. Ce week-end, je commençais à désespérer, achevant de m'auto-convaincre que le problème venait de mes goûts personnels et qu'aucune histoire d'amour sur le long terme ne serait peut-être jamais possible avec le pays du Soleil Levant (un coup de coeur pour combien de tentatives ?). Et puis, soudain, ce fut l'étincelle tant espérée ! Dès les premières minutes, j'ai bien senti qu'entre Hagetaka et moi, cela pourrait coller. Deux heures plus tard, les deux premiers épisodes visionnés à la suite, je m'étais réconciliée avec le Japon, à nouveau captivée, impressionnée, fascinée, par un jdrama ! Car voyez-vous, Hagetaka, c'est une de ces gifles téléphagiques qui vous font le plus grand bien, raniment une passion et vous redonnent foi dans le Dieu du petit écran.

Si bien qu'avant de vous en parler plus précisément, je profite de ce billet pour lancer un appel à vous, chers lecteurs ; car, motivée comme je le suis actuellement, c'est le moment ou jamais de me proposer des séries japonaises. Mais j'ai beau y mettre beaucoup de bonne volonté, je me perds trop souvent dans cette offre si riche. Si on récapitule, mes gros coups de coeur de ces derniers mois, en provenance du pays du Soleil Levant, furent Mother, Gaiji Keisatsu et, donc, Hagetaka. Quelles autres découvertes pourriez-vous me conseiller ? Sachant que les comédies ne m'intéressent pas et que j'ai fait une overdose de high school dramas lors de mon précédent cycle japonais.

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Hagetaka est une série qui fut diffusée sur NHK en 2007. Elle comporte six épisodes d'une heure chacun.

Adaptée d'un roman éponyme de Mayama Jin, elle nous plonge dans un cadre original, celui des rouages de la finance, pour nous relater les destins croisés, teintés de tragédies, de plusieurs personnages aux vies imbriquées. Dotée d'une réelle dimension humaine, elle s'intéressera à leurs évolutions, s'étalant sur presque une décennie, de la fin des années 90 au début des années 2000. Son premier épisode nous introduit dans un Japon encore affaibli par la crise que le pays connut lors de l'explosion de la bulle financière au début des années 90. Le modèle économique sur lequel il s'était reconstruit, après la Seconde Guerre Mondiale, est alors mis à mal par les excès d'un capitalisme forcené, dont les assauts font vaciller ses fondements. Ses anciennes valeurs fondatrices, patriarcales, apparaissent désormais obsolètes, étrangères et dépassées pour les nouveaux acteurs des marchés financiers.

Hagetaka débute en 1998. Une des banques les plus importantes du pays est alors en situation critique, considérablement fragilisée par la crise. Ses débiteurs n'étant plus en mesure de payer en respectant les échéances, sa dette s'est envolée. Pour éviter la banqueroute, elle n'a d'autre choix que d'accepter les propositions d'achat d'une partie de ses dettes par un fonds d'investissement étranger, Japan Horizon. Ce dernier est dirigé par un de ses anciens employés, Washizu Masahiko, pour qui cette tractation marque le retour au pays après plusieurs années passées aux Etats-Unis. Il avait à l'époque quitté précipitamment ses fonctions à la suite d'un drame, le suicide d'un de ses clients, conséquence de son refus d'accéder à sa demande de prêt.

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Se comportant désormais comme un véritable "hagetaka" (= vautour), Washizu assure la liquidation rapide et déshumanisée des dettes reprises. Faisant peu de cas de l'opinion modératrice émanant de son ancien supérieur, Shibano Takeo, il traite notamment de manière particulièrement expéditive le dossier d'une vieille auberge familiale. Une histoire qui se terminera, une nouvelle fois, en tragédie. Mais la culpabilité appartient désormais au passé ; le temps n'est plus aux regrets. Cette première incursion dans l'économie japonaise est le début d'une bien plus vaste offensive de la part de Japan Horizon et de ses capitaux internationaux. "Let's buy Japan out !" est le mot d'ordre venu de New York.

Menant une politique agressive de spéculation, les froides recherches de rentabilité du fonds d'investissement viennent achever de bouleverser le modèle entrepreneurial traditionnel du Japon. Hagetaka dépeint avec un réalisme minutieux, mais jamais rébarbatif - bien au contraire -, les coulisses de milieux financiers où l'affrontement est permanent, guidés par une quête constante du profit. Dans ce cadre, acteurs et victimes vont et viennent, ne cessant de se croiser, évoluant au sein d'un même système qui cannibalise tout sur son passage. Drame humain autant que thriller financier, Hagetaka va prendre le temps de s'intéresser à ses personnages aux motivations plus insaisissables que les apparences ne le laisseraient penser. Au fil des épisodes et des années, c'est une forme de parcours initiatique qui s'esquisse sous les yeux du téléspectateur. Un voyage sur une "road to rebirth", pour essayer de faire la paix avec soi-même, même si toute faiblesse peut être fatale.

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L'argent est donc l'élément central, moteur, de l'univers de Hagetaka, en témoigne la première phrase que j'ai reprise au début de cet article, prononcée en guise d'introduction par Washizu. La symbolique de la scène d'ouverture de la série mériterait d'ailleurs à elle-seule un développement entier, tout comme le générique de fin, aussi troublant que poétique. Je me contenterai de souligner que ce drama est bien plus qu'une simple démonstration des ressorts broyeurs du capitalisme financier. Ici, pas de morale univoque, ni de vérité facilement accessible. Le but n'est pas de pointer des responsabilités, la série s'attache simplement - mais avec une rigueur ambitieuse - à décrire le fonctionnement d'un système, avec ses limites et ses injustices.

L'aspect humain ne s'oppose pas au vecteur financier. Les deux ne s'excluent pas, mais doivent, au contraire, se combiner et trouver un équilibre. Le danger réside dans les excès. La réussite de Hagetaka, c'est justement cette capacité à amener le téléspectateur à s'interroger, sans prétendre asséner de réponses miracles. Le drama trouble, interpelle, mais ne préjuge jamais. Sa portée est d'autant plus forte que derrière ce portrait sombre et pessimiste qu'il dépeint, les thématiques abordées marquent également par leur frappante actualité avec le monde réel. L'histoire relatée - et les dérives mises en lumières - trouve un écho particulier dans notre propre situation économique (l'impression amère que tout se répète en quelque sorte, sans que les enseignements aient été tirés).

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Cependant Hagetaka va bien au-delà de son seul cadre financier de départ. Si l'ensemble renvoie une image faussement déshumanisée, c'est pourtant bien une histoire aux accents terriblement humains que la série relate. L'émotion perce presque malgré la volonté de certains personnages. Comment arbitrer ses sentiments, son parcours personnel, voire même son éthique professionnelle, quand on est seulement un simple rouage dans un système qui s'auto-alimente ? Le capitalisme, même poussé à l'extrême, ne peut entraîner la négation complète de l'individu qui met en oeuvre sa logique. La force de Hagetaka est de refuser de céder à la tentation d'une approche manichéenne, optant pour un réalisme d'une rare acuité.

Il n'y a pas de chevalier blanc, pas de personnage pour incarner un "méchant" dénué de toute conscience. Il y a seulement des êtres humains, à la fois acteur et victime de ce système dont ils ne maîtrisent pas les règles. Les situations sont difficiles et la bonne solution évidente n'existe pas. Au fil des épisodes, chaque protagoniste gagne en épaisseur. Acculés dans des impasses qui les placent en porte-à-faux avec eux-même, ils révèlent peu à peu toute leur complexité, dévoilant des motivations plus obscures et des contradictions parfois fatales. Aussi vivant que troublé, c'est un tableau tout en nuances qui se peint finalement sous nos yeux fascinés.

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Aussi dense et passionnant que soit son contenu, Hagetaka ne serait pas ce qu'elle est sans sa somptueuse bande-son signée Sato Naoki (plus connu pour avoir réalisé celle de Pandora, par exemple). Le téléspectateur est presque surpris de découvrir, dès les premières minutes, un tel accompagnement musical pour une série qui aura su éviter tous les écueils dus à la technicité de son sujet. Insufflant un souffle épique dans chaque scène, subtile et sobre quand il le faut, vertigineuse et entraînante en parfaite adéquation avec l'importance du passage à d'autres moments, elle constitue un véritable petit bijou à elle toute seule. Pour couronner le tout, l'ensemble est complété par un langoureux générique, mélancolique à souhait, qui donne des frissons au téléspectateur.

Dans le même temps, Hagetaka est tout aussi sérieuse dans sa réalisation, proposant des plans soignés, ne renonçant pas à cette poésie des images que l'on retrouve dans les dramas japonais réussis. Elle a également recours à des jeux de lumière intéressants qui lui permettent de s'approprier pleinement son univers.

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Enfin, dernier compliment - mais non des moindres -, celui qui doit être adressé au casting qui se révèle juste impeccable. Faisant preuve d'une sobriété pesée et calculée, en adéquation avec la tonalité d'ensemble du drama, les différents acteurs parviennent également, sans jamais se départir de leur réserve, à exprimer une réelle intensité dramatique lors des passages les plus poignants. Leurs performances m'ont bluffée, en particulier le duo principal dont l'interprétation nuancée, de figures pourtant particulièrement complexes, fut d'une justesse jamais prise en défaut.

Nao Omori réussit ainsi à capter parfaitement l'ambivalence des conflits internes animant un Washizu Masahiko qui se révèle bien loin d'être un simple "hagetaka" ; tandis que Kyohei Shibata dépeint, avec beaucoup de subtilité et de retenue, ce personnage renvoyant une image toujours si solide qu'est Shibano Takeo. A leurs côtés, Chiaki Kuriyama (Mishima Yuka) apporte une touche de fraîcheur, mais aussi de foi et d'espérance en certains personnages, qui s'avère touchante. Plus en retrait, enfin, Ryuhei Matsuda (Osanu Nishino) colle parfaitement à l'affirmation d'un fils brisé par le suicide de son père, chez qui le désir de vengeance finira par tout obscurcir.

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Bilan : Hagetaka, c'est une de ces claques téléphagiques salvatrices que l'on rêverait de rencontrer plus souvent dans ses explorations du petit écran. A partir d'une thématique originale, mais également très ardue, qui ne manquait pas de complexité et pouvait décontenancer a priori, la série s'affirme comme un drama de haut standing, sublimant et dépassant son cadre financier. Bénéficiant d'une écriture subtile, d'une justesse troublante, sa richesse est de proposer une lecture à plusieurs niveaux. Elle dresse le portrait nuancé d'un Japon économiquement affaibli, au sortir des années 90, au croisement de deux voies semblant destinées à se confronter, entre une tradition industrielle forgée dans les liens familiaux et un capitalisme impersonnel presque sauvage. C'est une société en crise, où les situations renvoient à des images de l'actualité récente.

Mais Hagetaka, ce sont aussi des histoires personnelles, un chemin timide vers la rédemption entrepris par des personnages cherchant à faire la paix avec eux-mêmes, tous acteurs d'un système capitaliste outrancier, dont les rouages broyeurs les ont, à des degrés divers, brisés. Agresseurs ou victimes, les rôles se révèlent bien moins clairs que ce que les apparences peuvent laisser croire a priori. Détachée de tout manichéisme, Hagetaka est une série sombre, relativement pessimiste, qui choisit de traiter avec beaucoup de réalisme des problématiques compliquées, tout en parvenant à captiver le téléspectateur tout au long de ses six épisodes.


En résumé - en espérant avoir réussi à retranscrire au moins une partie de mon enthousiasme dans cette review -, il s'agit d'une série tout simplement incontournable. Et par sa thématique qui transcende les frontières, elle parlera à tout téléspectateur, qu'il soit familier ou non avec les fictions japonaises. Indispensable.


NOTE : 9,5/10


Le superbe générique de fin :



Une bande-annonce (pour le premier épisode) :