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20/06/2010

(Pilote US) Rubicon : invitation aux extrapolations conspirationnistes


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A la suite du season finale de Breaking Bad, AMC avait choisi de profiter du lead-in d'une de ses séries phares pour dévoiler à ses téléspectateurs la première heure du pilote d'une nouvelle de ses productions, très attendue, Rubicon. Une façon de proposer un petit aperçu intrigant afin de fixer un rendez-vous au coeur de l'été, la diffusion officielle de la série devant débuter au mois d'août.

J'avoue que la thématique conspirationniste mise en valeur, ainsi que les quelques échos critiques croisés ci et là sur le web, avaient retenu mon attention. Ma curiosité téléphagique aura finalement eu raison de mes hésitations à découvrir un "demi-pilote" quasiment deux mois avant que la série ne soit officiellement lancée (surtout si cette fiction repose sur une trame de fond complexe liant l'ensemble). Mais j'ai donc finalement regardé ce premier épisode de Rubicon. Et, si je dois reconnaître être très bon public, voire même friande de ce type d'histoire, mon verdict est enthousiaste : j'ai adoré cette première incursion dans l'univers de la série.

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Comme son titre ne l'indique pas, il n'est pas question d'Antiquité romaine dans cette série contemporaine se déroulant aux Etats-Unis, de nos jours. Rubicon se présente sous les traits aguicheurs d'un thriller conspirationniste dans la plus belle tradition du genre, prompt à aiguiser la paranoïa de son personnage principal, comme celle des téléspectateurs. En résumé, elle est présentée comme une invitation à nous plonger dans l'envers du décor, dans les coulisses d'un pouvoir réel derrière des dirigeants fantoches et les ressorts apparents aux yeux du public. En attendant de découvrir la réelle ampleur de ce qui se trame en arrière-plan, ce premier épisode de Rubicon sert avant tout d'exposition. Il introduit ses protagonistes et va être un catalyseur expliquant les évènements qui suivront.

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Will Travers travaille à l'American Policy Institute. Il analyse l'intelligence fournie par divers services de renseignements, notamment de sources gouvernementales. Son travail consiste donc à établir des liens entre des données sans rapport apparent entre elles, en les recoupant de façon à en faire apparaître, au fil des déductions, le tableau global des situations qui leur sont soumises. Ce quotidien est une routine un peu léthargique pour Will qui ne s'est jamais remis des décès de sa femme et de sa fille dans les attentats du 11 septembre contre le World Trade Center. Considéré comme un des éléments les plus brillants du service, il a conservé sa position en partie pour son supérieur hiérarchique direct qui était le père de son épouse.

Un jour, Will recoupe par hasard les grilles de mots croisés de divers journaux et y découvre d'étranges références. Intrigué, il en parle à son beau-père qui balaie d'un revers de main, sur le ton de la plaisanterie, ses interrogations. Pourtant, peu après, ce dernier lui remet, en guise de cadeau d'anniversaire, les clés d'une moto, sous forme d'invitation à partir se ressourcer ailleurs. Il ne tiendra jamais sa promesse de tout lui expliquer le lendemain : le train qu'il prend pour se rendre au travail subit en effet une terrible collision. Des non-dits, d'étranges détails qui n'ont aucun sens, conduisent Will à s'interroger sur la réalité de ce drame. Avec l'idée d'enquête flottant dans un coin de sa tête et après avoir longtemps hésité, l'analyste accepte finalement la promotion qui lui est offerte et succèder à son beau-père.

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Thriller conspirationniste soigné, Rubicon s'approprie avec classe tous les codes scénaristiques du genre. Les interrogations progressives de Will, au fil de l'épisode, à mesure que des détails étonnants retiennent son attention, constituent une première immersion efficace. Les enjeux de la série sont clairement posés, au-delà du mystère contenu dans les mots croisés, la mort du beau-père va constituer l'élément moteur des investigations du personnage principal. Le pilote pose donc des fondations solides pour pouvoir construire sur cette base toute la série. Il bénéficie également d'une atmosphère parfaitement en adéquation avec le récit : l'ambiance y est lourde et sombre peu à peu dans une paranoïa latente où le moindre inconnu croisé sur un quai de gare désert attirera sur lui une attention teintée d'inquiétude.

De manière astucieuse, les scénaristes, étant conscients que nous ne sommes qu'au début, et donc que, pour le téléspectateur, les choses sont encore plus floues que pour Will, distillent avec parcimonie juste assez d'indices permettant de bien suggérer qu'un tableau plus complexe existe en arrière-plan. A défaut d'avoir l'implication émotionnelle de Will pour se lancer dans cette quête, notre curiosité est donc savamment aiguisée par ces quelques passage un peu en aparté. La première scène de l'épisode, un suicide, donne d'ailleurs immédiatement un ton grave qui souligne la profondeur des ramifications à découvrir, tandis que la scène finale ne fait que confirmer cette information, attisant un peu plus l'intérêt d'un téléspectateur de toute façon déjà pleinement entré dans la série.

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Le téléspectateur se glisse donc sans difficulté dans l'ambiance de Rubicon, presque plus happé par ce qu'il pressent ou perçoit, que par ce dont il est véritablement témoin. Car ce pilote, en plus d'être doté d'un scénario solide et efficace, bénéficie d'une écriture assez ambitieuse, où les scénaristes ne pèchent jamais par excès d'informations. Tout n'est pas livré clef en main, même si la mise en scène soupçonneuse laisse peu de place à une ambivalence réellement subtile Le contenu est dense, les informations nombreuses ; et, finalement, on a l'impression que le téléspectateur est comme invité à entrebâiller, aux côtés du héros, la porte donnant sur des coulisses dissimulées, afin découvrir des connexions formant un toutélié déstabilisant.

Parallèlement à ce contenu des plus stimulants, la dimension humaine de la série n'est pas pour autant négligée. Le pilote insiste surtout sur le personnage principal de Will. Il sera le repère du téléspectateur. C'est un homme fatigué, quelque peu déconnecté par moment, qui est encore en deuil et fonctionne suivant un quotidien plus ritualisé qu'autre chose. Si la routine est brisée dans ce pilote, des mots croisés jusqu'à la mort de son beau-père, l'épisode s'attache à décrire avec beaucoup d'humanité les deux facettes du personnage, la lassitude comme l'excellence de ses facultés d'analyses, au cours desquels il s'anime. Aussi usé soit-il, Will a en effet une capacité étonnante pour établir des connexions entre des éléments d'informations a priori sans rapport. Il se coule donc sans problème dans l'atmosphère de la série, figure logique dans une telle thématique conspirationniste.

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Sur un plan formel, Rubicon ne prend pas de risque particulier. La réalisation se situe dans la moyenne haute ; sans proposer d'initiative particulière, la caméra nous offre quand même quelques plans soignés. Le style, comme les teintes des images, sont en harmonie avec la tonalité du récit.

Côté casting, les téléspectateurs américains retrouveront James Badge Dale, tout juste sorti de la mini-série printanière de HBO, The Pacific. A ses côtés, figurent également Jessica Collins (The Nine), Arliss Howard, Dallas Roberts (The L Word), Miranda Richardson, Christopher Evan Welch ou encore Peter Gerety.

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Bilan : Tout en se dévoilant peu, Rubicon intrigue, piquant la curiosité d'un téléspectateur ne pouvant rester insensible à cette ambiance chargée de mystères et de non-dits que ce pilote parvient immédiatement à instaurer. La série bénéficie d'une écriture ambitieuse, où rien n'est pré-mâché pour un téléspectateur invité à plonger dans un récit exploitant pleinement tous les ressorts d'une fiction conspirationniste. On se laisse donc prendre au piège des questions soulevées, des suggestions générées par certaines scènes, rapidement pris dans la toile d'araignée de ce vaste mystère dont nous ne pouvons que pressentir les ramifications, aux côtés d'un personnage principal pour lequel on éprouve rapidement une certaine affection.

Ce pilote d'exposition remplit donc efficacement sa mission, dévoilant un potentiel pour faire de Rubicon un thrilller passionnant. La curiosité aiguisée, il sera difficile au téléspectateur de ne pas prendre rendez-vous pour les semaines à venir. De mon côté, tout en reconnaissant mon penchant naturel pour de telles histoires, me voilà d'avance scotchée à ma télévision pour la suite !


NOTE : 8,5/10


La bande-annonce de la série :

22/05/2010

(Pilote US) The Good Guys : le retour des buddy cop shows des années 80

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Toutes les séries des grands networks US se concluent les unes après les autres en cette fin de mois de mai (il sera bientôt l'heure de dresser un bilan de la saison écoulée), tandis que leurs consoeurs estivales s'apprêtent à prendre le relais, principalement sur les chaînes câblées. Cependant, certaines chaînes insufflent encore un soupçon de nouveauté, ou plutôt d'inédits (le terme "nouveauté" étant, par bien des côtés, peu en rapport avec la réalité d'une série comme The Good Guys). C'est le cas de la Fox, sur laquelle a démarré le 19 mai 2010, The Good Guys, un cop show tout droit sorti des années 80, prouvant une nouvelle fois ce revival des fictions policières à l'ancienne, plaçant les personnages en son centre et délaissant le scientifique déshumanisé qu'avait insufflé la franchise CSI au paysage téléphagique.

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The Good Guys nous plonge dans le quotidien d'un duo d'enquêteurs de la police de Dallas. Reprenant à son compte un schéma invariable décliné depuis des décennies, les deux personnages principaux ne pourraient être plus opposés : tout les différencie, de leur façon d'être à leur conception de leur métier. Pourtant, la série va logiquement nous montrer qu'au-delà des affrontements inévitables et des clashs réguliers que l'association génère, ils forment aussi une équipe très atypique, vaguement improbable, mais finalement complémentaire.

Avec un sens inné pour fâcher ses supérieurs, assorti d'une certaine arrogance et d'une tendance à respecter scrupuleusement les règlements, Jack Bailey est un jeune carriériste qui a énervé suffisamment de monde dans son département pour se retrouver à devoir faire équipe avec le vétéran du service, relique d'un autre temps avec laquelle personne ne souhaite s'associer, Dan Stark. Ce dernier est un policier déphasé, perdu dans le souvenir des aventures de ses folles premières années dans les forces de l'ordre, qui a oublié de rentrer dans le XXIe siècle. S'il a conservé son badge, en dépit de ses écarts, notamment en boissons alcoolisées, c'est en raison d'une gloire passée : dans les années 80, lui et son partenaire ont sauvé la vie du fils du gouverneur. Hollywood en a fait un film, son ancien partenaire une crise de nerfs, et Dan Stark est resté, imperturbabe et immuable, à son poste.

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Le concept de base de The Good Guys laissait entrevoir une série se réappropriant de vieilles recettes. La promo entourant la série annonçait quelque chose d'assez décalé, la Fox ayant capitalisé plus que de raison sur la fameuse moustache de Dan Stark. Le résultat se révèle au final rempli d'une autodérision plutôt lourde, où le décalage et le ridicule des situations sont poussés jusqu'à l'absurde. Jouant sur ses codes scénaristiques, s'amusant des clichés qu'elle convoque et empile à l'écran, ce pilote finit cependant par faire frôler l'indigestion au téléspectateur. Car c'est sans finesse, et avec une complaisance assez grasse, que la série verse dans un second degré qui, s'il n'est pas forcément désagréable à suivre, ne brille pas par son originalité et ni les surprises qu'il pourrait réserver au téléspectateur. The Good Guys exploite jusqu'à l'excès son côté kitsh, sur la forme comme sur le fond, de sa réalisation jusqu'à son traitement des intrigues mises en scène.

La relation entre les deux co-équipiers évolue avec une prévisibilité déconcertante au fil de l'épisode, de la défiance jusqu'à une relative compréhension. Chacun des personnages force sur ses traits de caractère, Dan Stark symbolisant, jusqu'au bout de sa moustache, le "vieux de la vieille", allergique aux ordinateurs et à toute technologie moderne, resté coincé dans les méthodes ayant cours deux décennies auparavant et idéalisant cette période jusqu'à la caricature. A ses côtés, Jack Bailey promène ses faux airs de gendre idéal, bien sous tout rapport, avec l'assurance d'une jeunesse qui va se retrouver confrontée aux limites de ses vérités sur le travail de policier. Si cela donne une ambiance inclassable, pas déplaisante, l'accumulation de ces effets finit par peser.

The Good Guys replace également les délinquants au centre du jeu, leur appliquant le même traitement que pour ses protagonistes principaux. Cette forme d'autodérision du genre policier, ne prenant pas au sérieux les évènements relatés, même quand il s'agit de fusillade, m'a un peu rappelé, cette saison, la manière dont Justified met en scène ses propres criminels. Seulement, là où la série de FX montre une certaine habileté et finesse pour manier cette tonalité décalée, y recourrant avec parcimonie et maîtrise, The Good Guys s'y complaît en versant dans une caricature de la caricature.

L'appréciation reste ensuite très subjective. Tout dépend du téléspectateur : est-il prêt à jouer le jeu et à suivre les scénaristes sur cette voie ? Pour ma part, j'avoue que c'était un peu too much.

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Sur le fond, comme sur la forme, The Good Guys apparaît donc comme une série hors de son époque, à l'image de Dan Stark. Les scénaristes ont voulu jouer jusqu'à l'excès sur ce parti pris ; ils obtiennent une fiction de pure détente qui ne sollicite pas le cerveau fatigué du téléspectateur rentrant du travail. La narration aurait cependant pu être un peu plus fluide ; car la série s'amuse plus que de raison à faire des retours en arrière, pour expliquer comment tel ou tel personnage en est arrivé là. Cela renforce cette impression d'absence de sérieux ; la légende nous indiquant à l'écran que nous repartons en arrière s'accompagnant d'ailleurs d'un coup de feu, bruitage qui prête à sourire ou à se dire qu'ils en font vraiment trop.

Je vous avoue que, dès le départ, je me doutais que The Good Guys ne serait pas trop ma tasse de thé. Si j'ai tenu à visionner au moins le pilote, c'est autant pour dépasser mes a priori et faire preuve d'une saine curiosité sériephile, que pour retrouver les membres de son casting dans mon petit écran. Il faut savoir que Bradley Whitford et moi, c'est une histoire qui a vraiment débuté un vendredi soir de juillet 2001, sur France 2 ; quand il releva une tête pas réveillée, assommée par sa gueule de bois, du bureau sur lequel il venait de passer sa nuit, l'épée de Damoclés d'un renvoi pesant sur sa tête. Oui, il s'agissait alors du pilote d'A la Maison Blanche ; et Josh Lyman demeurera toujours pour moi une des figures les plus symboliques d'une série qui restera sans doute à jamais comme une de mes préférées, pour tout ce qu'elle a pu apporter à ma téléphagie. Par conséquent, il m'était inconcevable de ne pas au moins regarder le premier épisode de The Good Guys. En souvenir du "bon vieux temps", pour une production qui se complaît tellement à en appeler à la fibre nostalgique du téléspectateur. Aux côtés de Bradley Whitford, qui en fait peut-être un peu trop en Dan Stark, "vétéran des vétérans", on retrouve Colin Hanks (Roswell) qui correspond parfaitement à l'image de Jack Bailey. Enfin, la petite touche féminine indispensable est assurée par Diana-Maria Riva (Side ordre of life) et Jenny Wade (Reaper).

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Bilan : The Good Guys est une série plutôt adaptée à la période estivale en ce sens où elle est une invitation claire à se divertir sans réfléchir. Elle se place volontairement dans le registre de l'excès, se complaisant souvent dans une autodérision grasse. Par son cadre très 80s', elle entreprend de surfer sur la fibre nostalgique du téléspectateur qui aurait gardé quelques doux souvenirs des rodéos motorisés et fusillades multiples du petit écran de cette décennie. Malheureusement, tout cela tourne un peu à vide, se laissant submerger par une course à l'absurde qui peut lasser le téléspectateur.
Au final, le visionnage du pilote de The Good Guys se justifie surtout par son casting. La seule présence de Bradley Whitford (avec moustache !) vaut bien un bonus de +1,5 points sur la note finale attribuée à l'épisode. En souvenir du bon vieux temps. Mais la suite sera sans moi.


NOTE : 4/10


La bande-annonce de la série :

16/04/2010

(Pilote US) Treme : Instantané d'une ville meurtrie ou métaphore d'une renaissance ?


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Down in the treme
Just me and my baby
We're all going crazy
While jamming and having fun
Trumpet bells ringing
Bass drum is swinging
As the trombone groans
And the big horn moans
And there's a saxophone
Down in the treme...

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Si tout téléphage est coutumier de l'adage "l'attente génère la déception", c'était avec une impatience confiante que j'attendais Treme. C'est sans doute la seule nouveauté de la saison devant laquelle je me suis installée sans la moindre inquiétude a priori sur la qualité du show que j'allais découvrir. Certes, des noms composant une équipe créatrice n'ont jamais offert de garantie absolument certaine sur le résultat porté dans le petit écran, mais si l'âme de toutes les créations passées est conservée, alors il n'y a pas de doute à avoir. Car s'il est un fait dont je suis certaine, c'est que David Simon & Co sont capables, instinctivement, naturellement, de transposer à l'écran, avec une authenticité rare, une vraie chronique sociale au sens noble et quasi-journalistique du terme. Que cela se déroule dans les rues de Baltimore (The Corner, The Wire), d'Irak (Generation Kill) ou de la Nouvelle-Orléans, l'objectif demeure le même : recréer, ou plutôt décrire, une certaine Amérique dans un environnement particulier, par le biais d'un récit toujours profondément humain. A l'heure où les fictions pré-formatées débordent des grilles de programmes, voici le prototype opposé ; et c'est un véritable bol d'air.

Et, oui, par son seul pilote, Treme m'a conquise.

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Sans scènes d'exposition ou longueurs introductives dilatoires, le pilote de Treme propose une immersion immédiate dans une Nouvelle-Orléans traumatisée, encore ébêtée, comme sonnée débout par la catastrophe qu'elle vient de connaître et dont elle commence seulement à envisager de se relever. Ses fondations-mêmes semblent atteintes, touchée jusqu'au plus profond de son âme, dans ce tourbillon de chaleur humaine auquel elle reste associée. Du déchaînement des éléments, de cette déferlante inarrêtable des eaux sur la ville, nous ne verrons aucune image directe, si ce n'est quelques rappels, souvenirs aussi fugaces qu'inutiles, finalement, tant la catastrophe demeure une ombre permanente qui pèse sur chaque mise en scène, dans toute référence directe comme au creux de ces non-dits si révélateurs dans les dialogues entre les personnages. 

Ne nous faisant pas revivre ces moments où tout bascula, Treme s'ouvre ainsi quelques mois après le passage de l'ouragan Katrina. Suivant une approche familière aux téléspectateurs qui ont gardé en tête les précédentes oeuvres de l'équipe créatrice, le pilote se rapproche d'un instantané de la ville, portrait d'une cité meurtrie où le quotidien, hésitant, reprend peu à peu ses droits. Fidèle à ce format de chronique sociale, où la caméra s'efface presque pour capter une authenticité et une spontanéité des faits relatés, l'épisode offre une présentation chorale de tranches de vies, où les différents protagonistes introduits s'insèrent naturellement dans la photographie plus vaste, omni-présente, que constitue le décor de la Nouvelle-Orléans. Les scénaristes esquissent les bases des storylines, laissant le récit trouver son propre rythme.

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La scène d'ouverture de la parade musicale, véritable modèle du genre, résume parfaitement l'essence de Treme. Elle est tout autant un symbole de cette expression par la musique, inaltérable, qui bat au coeur de cette ville, que les premiers signes d'une renaissance que la série nous invite à suivre. Il s'agit du premier défilé depuis Katrina. Sur un plan narratif, c'est également l'occasion d'un premier contact avec un cadre imposant, la ville en elle-même, mais aussi avec plusieurs des personnages principaux avec lesquels nous allons par la suite nous familiariser. Finalement, sont condensés dans ce défilé tous les aspects majeurs, complémentaires autant qu'indissociables, qui ressortent de ce premier épisode.

L'élément le plus marquant de ce pilote réside, en effet, dans l'effort réalisé - et réussi -  pour transposer à l'écran l'âme de la Nouvelle-Orléans. L'univers coloré à l'excès de cette ville a toujours exercé une certaine forme de fascination sur l'imaginaire collectif : quelque part entre le carnaval et le jazz, c'est le côté festif que l'on retient généralement. Nombre de fictions s'y sont risquées par le passé, pour des résultats très divers, proposant invariablement des empilements plus ou moins digestes d'images d'Epinal auxquelles "The Big Easy" demeure associée dans l'esprit de chacun. D'ailleurs, en essayant de fouiller dans ma mémoire téléphagique, j'y ai trouvé assez peu d'évocations de cette ville : j'ai conservé de lointains, mais très agréables, souvenirs de Flic de mon coeur, qui restera sans doute comme la photographie sériephile de cette Nouvelle-Orléans d'avant Katrina. Dans un autre registre, Thief avait une autre ambition, mais est restée trop inconnue malheureusement. Plus récemment, K-Ville était oubliable et a été vite oubliée.

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La force de Treme est de parvenir à donner vie, de façon naturelle, sans artifice ou effet de style inutiles, à une atmosphère qui renvoie pourtant parfaitement aux particularités profondément attachées à la Nouvelle-Orléans. Tout dans ce pilote respire cette cité, sans que l'on ait l'impression que l'introduction de ces multiples détails, qui sont autant d'anecdotes formant un tout homogène, paraisse forcée. Mais au-delà de cette capacité à proposer un récit humain, chronique quotidienne ordinaire aux accents pourtant spécifiques, il est impossible d'évoquer ce premier épisode sans parler de la place occupée par la musique.

Plus qu'un simple accompagnement du quotidien, c'est toute la Nouvelle-Orléans qui vit par ce rythme dansant et entraînant. Entendez-moi bien, il ne s'agit pas là d'une simple bande-son qui équivaudrait à une sélection pseudo-folklorique de morceaux "typiques" destinée à  créer une "ambiance", même si Treme joue habilement sur cet aspect touristique, notamment à travers la programmation de la station de radio. Ici, ce que l'on ressent véritablement, c'est le pouls de la Nouvelle-Orléans. On perçoit, au milieu de cet univers si contrasté, entre couleurs originaires et noirceurs d'après la catastrophe, cette identité volatile qui s'exprime par le biais de la production musicale des personnages musiciens. Qu'elle vienne illustrer une renaissance, comme la scène d'ouverture, ou conclure une vie, comme le marque l'enterrement final, la musique révèle, ou marque, chaque étape du quotidien, témoignant de tout un panel si diversifié d'émotions et d'impressions.

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Aussi omni-présente que soit cet aspect musical, le téléspectateur n'a jamais l'impression de se voir offrir un simple jukebox. La musique est élevée au rang d'outil de narration, utilisée par les scénaristes, pour porter à l'écran, de façon réfléchie et aussi explicitement que par les dialogues, cette chronique sociale qu'ils se proposent de nous conter. En parallèle, la dimension humaine  de la série demeure donc logiquement centrale. Dans cette optique, le pilote présente toute une galerie homogène de personnages dont les tranches de vie se croisent et s'entre-choquent. Les blessures béantes laissées par Katrina n'ont pas encore commencé à cicatriser et obscurcissent tout l'horizon de Treme. Il y a bien sûr les dégâts qui sautent aux yeux du téléspectateur, ces ruines matérielles qui paraissent les plus concrètes. Mais, en arrière-plan, c'est un mal plus insidieux, plus profond, qui frappe la Nouvelle-Orléans. Ce ne sont pas seulement les maisons qui manquent, le désert que constituent certains quartiers où ne restent que des tôles froissées souligne une absence plus criante : c'est toute une population qui a été durement touchée.

Tous les habitants ne sont pas encore revenus des évacuations effectuées dans l'urgence, alors que plusieurs semaines se sont déjà écoulées depuis la catastrophe. Tous ne rentreront pas, l'eau ayant finalement balayé et tiré un trait sur un passé qu'ils souhaitent désormais laisser derrière eux. Certains ont tout perdu. D'autres reviennent sur leurs pas, retrouvant des lieux autrefois familiers où ne restent que moisissures et toitures éventrées. Chacun donne l'impression de naviguer à un peu à vue, entre fatalisme et désir ardent de tourner la page, d'aller de l'avant même si quelque chose semble irrémédiablement cassé. Si certains personnages se voient déjà attribuer un rôle bien défini, de trublion, de musicien, de victime... On devine qu'il ne s'agit que d'un premier contact, un premier aperçu de personnalités diverses, complexes, qui ne sont aussi aisément catégorisables que l'image initialement renvoyée.

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S'inscrivant volontairement dans l'ombre du traumatisme causé par Katrina, l'épisode construit progressivement une communauté, des habitants dont le point commun demeure leur amour pour leur ville. Dans ce décor où certains quatiers semblent plus évoquer un pays du Tiers-Monde que les Etats-Unis, un sentiment d'isolation prédomine, renforçant un peu plus les liens entre chacun. Comme si quelque chose s'était arrêté, sur place, au passage de l'ouragan. Dans cette perspective, les scénaristes n'omettent pas de confier, à ces oubliés qui ont l'impression d'être laissé pour compte, un porte-voix pour crier toute leur frustration. Dans cette faillite complète du système qui laisse les habitants livrés à eux-mêmes, confrontés à une perte que seuls peuvent comprendre, il y a également une recherche de responsabilité. Qu'elle soit exposée de façon explicite à travers le personnage de Creighton Bernette, ou qu'il s'agisse d'un simple constat face à cette soeur qui recherche désespérément un frère qui n'a pas reparu depuis l'évacuation, la charge contre les officiels, contre les décideurs politiques, est bien réelle. Cette frustration, mêlée de désillusion, des personnages frappent le téléspectateur et ne laissent pas indifférent.

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Côté acteurs, c'est l'homogénéité d'un casting au diapason de l'atmosphère de la série qui interpelle. Les personnalités s'effacent devant la caméra. Tous sont au parfaitement immergés dans l'ambiance, ils respirent naturellement l'atmosphère qui émane de Treme. Ce n'est pas très étonnant, car c'est dans l'ensemble un casting solide qui a été réuni. La plupart des personnages clés sont incarnés par des têtes plutôt familières du petit écran, à commencer par un certain nombre en provenance directe de Baltimore (The Wire et/ou The Corner), comme Wendell Pierce, Clarke Peters. Khandi Alexander retrouve sa dignité et un rôle à sa hauteur après une période d'égarement sous le soleil de Miami. Melissa Leo nous revient pour son premier rôle principal depuis Homicide. Kim Dickens continue de se construire une jolie petite filmographie (Deadwood, Friday Night Lights). Si vous avez des souvenirs téléphagiques de la décennie 90, John Goodman devrait vous dire quelque chose (Roseanne).

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Bilan : Le pilote de Treme propose un véritable instantané d'une ville meurtrie, par le biais d'une mosaïque de tranches de vie qui se téléscopent, dans les mois difficiles qui suivent le passage de l'ouragan Katrina. Plus qu'une plongée immédiate au coeur du centre névralgique de la Nouvelle-Orléans, la force de cet épisode est de parvenir à capter et à porter à l'écran un portrait d'une richesse qui sonne d'une authenticité rare. Les détails de la narration jusqu'à l'instrumentalisation de la musique, omni-présente, réussissent à transposer l'atmosphère si particulière, mais obscurcie par la catastrophe, qui renvoie à l'âme-même de cette cité.


NOTE : 9/10


Le générique de la série :


Une bande-annonce de la série :


18/03/2010

(Pilote US) Justified : Héros anachronique d'un polar hors du temps


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Un vent d'excitation souffle sur mes programmes téléphagiques : cette semaine, je me suis réconciliée avec les séries américaines (ou presque) ! Car hier soir, j'ai regardé ce qui est probablement, jusqu'à présent, le plus prometteur pilote de toute la saison US 2009-2010 (il serait temps, nous sommes bientôt fin mars), en découvrant les débuts de Justified sur FX . La téléphage qui sommeille en moi est restée, je l'avoue, une inconditionnelle de Deadwood ; si bien que la perspective de retrouver Timothy Olyphant dans un rôle à sa mesure, ainsi que les échos assez positifs qui émanaient des critiques américaines ces derniers jours, avaient fait monter en flèche mes attentes. Eh bien, une fois n'est pas coutume : le résultat fut à la hauteur.

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Se proposant de nous plonger dans les terres reculées du Kentucky, au sein des services de l'US Marshall officiant au niveau de l'Etat, Justified se présente dans un cadre atypique : sous un vernis moderne se cache un western qui revendique sa filiation à ce genre autrefois prisé du petit écran américain. Son personnage principal, Raylan Givens, est à l'image de cette atmosphère, se situant au croisement des tonalités. Sous un extérieur lisse, à l'attitude toujours posée et au calme presque surréalistes, se cache une personnalité complexe, aux motivations bien plus ambivalentes que les premières images auraient pu le laisser croire.

A la suite d'une fusillade au faux goût de duel d'une époque révolue, Raylan Givens se retrouve réaffecté d'office de la chaude Floride à sa région natale. Un brusque retour forcé qui le ramène sur les traces d'un passé qui comprend ses zones d'ombre, et où de nombreux comptes sont restés non réglés, suite à son départ il y a plusieurs années. Reviennent ainsi des anciens amis devenus embarassants, des ex-flirts pour qui les sentiments sont toujours vivaces, et, en arrière-plan, une figure paternelle, simplement mentionnée dans ce pilote, mais dont l'ombre pèse déjà sur Raylan et ses actions, paraissant offrir des débuts d'explication pour cerner ce personnage finalement très énigmatique. D'une personnalité a priori unidimensionnelle à l'excès, Raylan révèle progressivement des contradictions qui font prendre une toute autre dimension au personnage, et permettent ainsi au téléspectateur d'adopter presque instantanément ce nouvel héros du petit écran.

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Le confronter, dès sa première enquête, à d'anciennes connaissances est un choix avisé des scénaristes. Ce retour aux sources permet de poser efficacement le cadre assez particulier qu'offre ce petit bout perdu du Kentucky et de présenter les multiples paradoxes prenant vie en Raylan. Pourtant, les intrigues ne présentent rien d'original a priori : un solde de comptes conjugaux avec le meurtre d'un mari violent ; une affaire qui navigue entre racisme et trafic de drogue, avec une église d'un genre assez particulier rayée de la carte par une arme de guerre... La délinquance mise en scène suit les classiques, mais il y flotte le parfum atypique d'une Amérique profonde qu'accentue à dessein l'ambiance de western moderne que l'épisode entreprend de recréer. Ces différents cas conduisent Raylan auprès d'un ancien ami, avec lequel il partagea beaucoup du temps de leur jeunesse.

Ce dernier vit désormais en marge de la société ; frayant avec les groupuscules d'extrême-droite, tels les White Supremacists, arborant fièrement une croix gamée tatouée sur sa poitrine. Ces retrouvailles, empreintes d'une ambiguïté subtile admirablement bien maîtrisée par les scénaristes, constituent le pivot de l'épisode et servent surtout de révélateur à l'égard de Raylan. C'est l'occasion d'en apprendre plus sur lui et de souligner la complexité qui l'anime. Les scènes communes entre les deux personnages sont parmi les plus réussies, parce qu'elles retranscrivent et captent parfaitement ce qui semble destiné à être l'essence de Justified : ces ambivalences morale, mais aussi temporelle, sur lesquelles la série paraît vouloir jouer. Leurs évolutions respectives les amènent désormais à s'opposer. Sans se départir des civilités de façade, mais aussi d'une étrange complicité naturelle lorsqu'ils sont ensemble, cela n'empêchera pas les deux hommes, peut-être plus semblables qu'ils ne voudraient bien l'admettre, de recourir aux extrêmes dans une scène finale dans la plus pure lignée du western.

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Nous touchons, dans cette filiation hybride à ce genre traditionnel, à la spécificité et au premier atout incontestable de Justified. Il réside en effet dans son ambiance, réussissant à capter instantanément l'attention du téléspectateur par ce mélange osé, ersatz indéfinissable naviguant entre le western et le cop show se déroulant loin du décor habituel des grandes villes. S'inscrivant dans un cadre temporel moderne, où les préoccupations de chacun sont des plus classiques, la série n'hésite pas à utiliser un certain nombre de codes scénaristiques propres aux westerns. Ce n'est pas seulement l'évocation de ces répliques "cultes" sur le débat "who pulled first", mais cela se reflète de façon plus global dans l'atmosphère générale de la série. Par exemple, cela se traduit par le recours à de nombreuses confrontations face à face, forme d'opposition, pas forcément armée, où chacun défie l'autre de ciller le premier. Et puis, il y a évidemment aussi cette figure anachronique du justicier solitaire, à part, qu'incarne, consciemment ou non, Raylan.

Sur la forme également, le réalisateur exploite à merveille ce parti pris scénaristique. Cela passe par une caméra qui prend le temps de se concentrer sur chacun des protagonistes en tant qu'individualité, et sur leur regards lors des moments critiques. De plus, une musique fortement marquée western accompagne le téléspectateur tout au long de l'épisode. Elle n'est pas envahissante et bénéficie d'une utilisation sobre et judicieuse, mais elle marque cependant bien sa présence. Et puis, évidemment, Justified jouit d'un décor propice à ces digressions qui prennent un faux air d'appel de l'Ouest : dans ce Kentucky reculé, les scénaristes exploitent ces vastes étendues et leurs secrets, égarées entre les deux pôles attractifs que constitue chacune des côtes du pays, afin de mettre en scène cet aspect souverainiste que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. Une forme d'indépendance anachronique qui imprègne ces coins retirés, voire retranchés; et donne le ton à l'ambiance de ce pilote.

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Pour porter l'ensemble, la série dispose d'un solide casting, conduit d'une main de maître par un excellent Timothy Olyphant (Deadwood) qui délivre ici une prestation à la hauteur du scénario. Personnage complexe, hors du temps, masquant ses démons intérieurs derrière une assurance inaltérable, il cache, au-delà de cette fausse façade placide et de ce calme à toute épreuve, des émotions intenses. C'est une colère non formulée que souligne par sa propension à se servir de son arme. Cette figure de l'homme de loi, au caractère complexe, jouant sur une pseudo-apparence lisse au premier abord, n'est évidemment pas sans rappeler Seth Bullock, de Deadwood ; et il est difficile pour le téléspectateur, déjà encouragé par le cadre, de ne pas faire quelques comparaisons somme tout flatteuses. Reste que Timothy Olyphant trouve, dans ce pilote, le ton juste, jouant sur une ambivalence plus subtile qu'il n'y paraît a priori, pour proposer un personnage qui ne  manque pas d'aiguiser la curiosité du téléspectateur.

A ses côtés, l'épisode met surtout en avant, par la confrontation qui permet au personnage de Raylan de s'affirmer dans toute sa complexité, un ancien ami de l'homme de loi, interprété par un acteur bien connu des téléspectateurs de FX, Walt Goggins (The Shield). Le pilote introduit également des figures féminines de poids, avec Joelle Carter en veuve meurtrière, victime autant que coupable, et Natalie Zea (Dirty Sexy Money), ancien flirt qui exerce toujours un certain attrait sur Raylan. De l'équipe d'US Marshall que rejoint le héros au début de l'épisode, c'est surtout le patron, incarné par Nick Searcy, qui sort du lot, cadrant avec l'image stéréotypée que l'on peut se faire d'un tel dirigeant de ce service dans le Kentucky.

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Bilan : Justified délivre un pilote très solide et particulièrement prometteur. Se déroulant dans un cadre assez atypique, à l'intersection de plusieurs genres, il souffle sur l'épisode un faux air de Far West moderne, auxquels se mêlent les préoccupations d'un cop show moderne se déroulant dans les grands espaces proposés par le Kentucky. Introduisant un solide personnage principal, complexe et surtout intriguant, l'épisode aiguise la curiosité du téléspectateur en laissant entrevoir une ambivalence sombre, derrière cette façade de justicier solitaire presque cliché. Le pilote semble d'ailleurs prendre beaucoup de plaisir à jouer sur les apparences, mettant en scène des dynamiques bien plus complexes que ce que l'on imagine hâtivement à première vue.

En somme, mission parfaitement remplie avec ce pilote, qui donne très envie de s'investir dans la série et d'en découvrir la suite.


NOTE : 8,5/10


Une bande-annonce de la série :

16/03/2010

(Pilote / Mini-série US) The Pacific, Part One : Guadalcanal / Leckie

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Beaucoup d'excitation téléphagique pour cette semaine qui constitue une des charnières de mon premier semestre sériephile 2010, avec l'arrivée de deux des trois nouveautés américaines, dans lesquelles je place plus ou moins tous mes espoirs outre-Atlantique : The Pacific et Justified (ce soir, sur FX) (la troisième étant Treme, au mois d'avril sur HBO).

En fait, c'est presque un euphémisme d'écrire que j'attendais avec impatience The Pacific. Depuis l'époque où le projet a été simplement annoncé, mon impatience n'a fait que croître. Ce n'est pas forcément une bonne chose, j'en suis consciente. Tout téléphage le sait : l'espérance est le meilleur moyen de finir déçu. Pire, on peut se gâcher le visionnage d'une fiction honnête, simplement parce que l'on avait imaginé monts et merveilles. Certes, de mon côté, j'avoue aussi n'avoir pas eu non plus une stratégie très avisée. Le revisionnage de Band of Brothers en ce début d'année m'a bien rafraîchi la mémoire et rappelé à quel point j'aimais cette mini-série.

Bref, j'ai eu beau me promettre de ne pas placer mes espoirs trop hauts, j'avais quand même souligné la date du 14 mars sur mon agenda. Restait à mettre de côté tous mes préjugés, m'installer devant la télé... et alea jacta est !

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The Pacific s'ouvre sur un épisode dont la construction se découpe en deux parties. Il débute par une longue introduction, ayant une pure fonction d'exposition parfaitement assumée. Après un rappel des évènements de décembre 1941, avec l'utilisation d'images d'archives et la voix de Roosevelt en fond sonore, nous voici immédiatement plongés dans cette Amérique encore sous le choc, traumatisée par Pearl Harbor, et qui mobilise ses soldats afin d'entrer en guerre. Cette mini-série va nous faire suivre la Seconde Guerre Mondiale sur un front moins connu pour un Européen : le front Pacifique, à travers les destins croisés de trois militaires. L'exposé pédagogique initial, un brin didactique, a l'avantage de poser clairement le contexte et la situation historique dans laquelle nous allons être plongés. Ce souci de partir sur des bases claires, afin que le téléspectateur ne rencontre aucun obstacle pour rentrer dans l'histoire, se retrouve également dans le premier quart d'heure de l'épisode. Il est en effet utilisé par les scénaristes comme une parenthèse introductive, présentant les trois personnages qui constitueront nos points de repères à travers les soubresauts meurtriers à venir. Ce sont leurs parcours qui nous feront vivre cette guerre.

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Ces rapides portraits dressés se révèlent de facture somme toute très classique, esquissant en un minimum de temps les bases de leurs personnalités, sur un format sans originalité particulière. Chacun dispose d'un background très différent. John Basilone, fils d'immigrés italiens, est déjà un militaire de carrière, qui a plusieurs années de service derrière lui, notamment un séjour aux Philippines. Il rejoint les marines à l'aube de cette guerre. Un milieu populaire très différent de celui d'Eugene Sledge, jeune homme tout juste sorti de l'adolescence du haut de ses 18 ans. Il est issu d'une riche famille du Sud, originaire de l'Alabama. Pour le moment, il ne fait qu'exprimer son désir de rejoindre l'armée, confronté à l'opposition de son père, qui lui diagnostique un souffle au coeur permettant de tranquilliser sa mère. Enfin, Robert Leckie est un homme de lettres, qui a grandi sur la côte Est, en Pennsylvanie. C'est aux côtés de ce dernier que le téléspectateur va véritablement rentrer dans la réalité du conflit au cours la seconde partie de l'épisode.

Ainsi, nous avons trois protagonistes aux parcours séparés, mais qui vont tous les conduire dans le Pacifique. Le seul lien relationnel entre existant dans ce pilote, se situe entre deux de ces trois personnages principaux et va prendre une forme indirecte : le meilleur ami d'Eugene, Sidney Phillips, se retrouve en effet affecté à l'unité de Robert Leckie. En raison de cet éventail éclaté, ce temps de présentation en rupture se justifie. Mais il est aussi la raison pour laquelle ce premier épisode met un peu de temps à atteindre son rythme de croisière. C'est un choix délibéré d'avoir ainsi débuté ; du point de vue du téléspectateur, pour qui personne ne se ressemble plus que deux soldats portant leur harnachement et leur casque, couverts de terre et de sang, c'est aussi une attention bienvenue, afin de bien enregistrer qui est qui, avant que le récit ne commence vraiment. 

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C'est avec le début officiel des hostilités sur le terrain, que l'épisode prend toute son ampleur et acquiert sa pleine dimension, rappelant ses ambitions  au bon souvenir du téléspectateur. Ce qui marque, c'est l'aisance avec laquelle, après cette première parenthèse introductive très neutre, l'épisode bascule, sans transition, dans un récit de guerre aux accents empreints d'une authenticité qui sonne très naturelle. Car les scénaristes trouvent instantanément le ton adéquat pour nous immerger aux côtés d'une unité qui s'apprête à débarquer sur le premier objectif stratégique américain, l'île de Guadalcanal. Les Japonais l'ont conquise au cours de leur offensive de décembre 1941 : s'ils réussissent à y construire une base aérienne, ils couperaient les Etats-Unis de l'Australie, et s'assureraient ainsi une hégémonie sans partage sur la zone du Pacifique.

C'est donc sur ce petit bout de terre exotique, en plein hémisphère sud, que vont se dérouler les premiers contacts et combats terrestres avec les Japonais. Au-delà de Robert Leckie, figure centrale de la narration auquel le téléspectateur s'attache rapidement, c'est toute une unité qui prend vie sous nos yeux, avec beaucoup de facilité. La dynamique des rapports entre les différents soldats se révèle inspirée et bien écrite, développée sans accroc. Aussi classique qu'apparaisse ce récit, il trouve facilement une tonalité juste et convaincante : on ressent, avec les soldats, l'attente, les fausses angoisses, les incertitudes et, enfin, les émotions fortes des premières escarmouches... Tout paraîtrait presque trop calibré si l'épisode ne nous offrait pas également ces premières scènes vraiment marquantes, qui nous rappellent que nous ne sommes pas devant n'importe quelle fiction de guerre, comme nous aurions pu un instant l'imaginer après ce début ronronnant. La confrontation directe avec les Japonais donne lieu à un résultat horrifiant. Plus que le combat en lui-même, c'est aussi la différence culturelle qui frappe, avec notamment ce rapport à la mort et au sacrifice qu'ont les Japonais. Elle s'illustre de la plus glaçante des façons avec cette plage couverte de cadavres une fois le soleil levé, conséquence du fait que ces soldats continuaient d'avancer alors même que la voie était définitivement bouchée par les mitrailleuses américaines. Mais ce rapport à la mort passe aussi par le choix de ce blessé qui préfère se faire exploser à la grenade plutôt que d'être pris par l'ennemi. De part et d'autre, déjà, l'horreur et l'absurdité des combats révèlent des pans de la nature humaine que l'on préfère cacher dans l'ombre. Des scènes où le regard de Robert Leckie apporte une dimension plus humaine qui permet au téléspectateur d'apprécier d'autant plus le repère que constitue ce personnage.

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Ces premiers combats sont également l'occasion de souligner la spécificité du décor dans lequel se déroule The Pacific, et que la mini-série, par son esthétisme soigné, va parfaitement savoir exploiter. Il y a cet océan bleu à perte de vue, ces plantes exotiques, ce climat humide et chaud... Tous ces éléments qui évoquent instinctivement ces lieux rêvés loin des soucis du quotidien. Si bien qu'un contraste saisissant s'impose d'emblée entre le cadre de cette île tropicale, aux fausses apparences paradisiaques, et les horreurs qui ont lieu derrière cette végétation touffue. The Pacific choisit à dessein de mettre en avant ce cadre où une guerre pourrait presque paraître déplacée, permettant d'en souligner avec force le paradoxe à la fois glacial, cruel et fascinant. Dans cette perspective, l'image de la plage jonchée de cadavres à perte de vue restera gravée dans la rétine du téléspectateur : elle constitue une réussite symbolique qui interpelle. Car ce tableau, à la belle esthétique presque indécente au vu de l'horreur ainsi mise en scène, reflète pourtant déjà la noirceur la plus extrême de cette guerre. 

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Avec l'exploitation du décor proposé par l'île de Guadalcanal, nous touchons également à un autre des atouts de The Pacific : il s'agit bien évidemment de la forme. Projet ambitieux, disposant d'un budget conséquent qui lui permet de voir les choses en grand, la mini-série nous propose une réalisation particulièrement soignée. Encore une fois, la caméra n'est jamais meilleure que lorsqu'il s'agit de porter à l'écran les scènes de guerre. Ces dernières lui permettent en effet de renouer avec ce raffinement assez fascinant, où la beauté première des images se heurte à la froide réalité de la barbarie ainsi dépeinte. Plaçant ainsi le téléspectateur presque en porte-à-faux, suscitant inconsciemment un certain malaise, cela confère une dimension supplémentaire au récit, retenant l'attention jusque dans les moindres détails des scènes de transition. Ici, la forme n'est pas seulement un moyen au service du fond. Elle est un composant à part entière qui le complète, conférant un impact encore plus décisif à certains passages clés. Parvenir à faire fonctionner en harmonie l'histoire et le visuel est l'objectif théoriqe de toute fiction télévisée, The Pacific y réussit avec beaucoup de maîtrise dans la seconde partie de l'épisode. De bonne augure pour la suite.

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Bilan : Ce premier épisode prend son temps pour introduire le cadre de cette mini-série, en commençant par nosu présenter les protagonistes. Cette fonction d'exposition, sous une forme très classique, retarde quelque peu le début réel de l'histoire, mais offre une parenthèse bienvenue qui fournit toutes les clés au téléspectateur pour comprendre la suite. Puis, dans ses deux derniers tiers, The Pacific se révèle à la hauteur de ses ambitions, en acquérant peu à peu toute sa dimension, parvenant instantanément à trouver le ton juste pour relater les premiers combats, avec des images qui restent déjà gravées dans notre mémoire, bien servies par le soin accordé à la forme, bénéficiant d'une réalisation et d'une photo très travaillées.

Ce premier épisode lance donc la mini-série sur de bons rails et légitimise les attentes initiales, nous laissant avec une bonne impression d'ensemble et le sentiment que le récit devrait être capable de mûrir et d'exploiter efficacement son cadre dans les prochains épisodes.


NOTE : 8,5/10


Le superbe (et très long) générique :

Une bande-annonce diffusée sur HBO :