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16/04/2010

(Pilote US) Treme : Instantané d'une ville meurtrie ou métaphore d'une renaissance ?


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Down in the treme
Just me and my baby
We're all going crazy
While jamming and having fun
Trumpet bells ringing
Bass drum is swinging
As the trombone groans
And the big horn moans
And there's a saxophone
Down in the treme...

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Si tout téléphage est coutumier de l'adage "l'attente génère la déception", c'était avec une impatience confiante que j'attendais Treme. C'est sans doute la seule nouveauté de la saison devant laquelle je me suis installée sans la moindre inquiétude a priori sur la qualité du show que j'allais découvrir. Certes, des noms composant une équipe créatrice n'ont jamais offert de garantie absolument certaine sur le résultat porté dans le petit écran, mais si l'âme de toutes les créations passées est conservée, alors il n'y a pas de doute à avoir. Car s'il est un fait dont je suis certaine, c'est que David Simon & Co sont capables, instinctivement, naturellement, de transposer à l'écran, avec une authenticité rare, une vraie chronique sociale au sens noble et quasi-journalistique du terme. Que cela se déroule dans les rues de Baltimore (The Corner, The Wire), d'Irak (Generation Kill) ou de la Nouvelle-Orléans, l'objectif demeure le même : recréer, ou plutôt décrire, une certaine Amérique dans un environnement particulier, par le biais d'un récit toujours profondément humain. A l'heure où les fictions pré-formatées débordent des grilles de programmes, voici le prototype opposé ; et c'est un véritable bol d'air.

Et, oui, par son seul pilote, Treme m'a conquise.

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Sans scènes d'exposition ou longueurs introductives dilatoires, le pilote de Treme propose une immersion immédiate dans une Nouvelle-Orléans traumatisée, encore ébêtée, comme sonnée débout par la catastrophe qu'elle vient de connaître et dont elle commence seulement à envisager de se relever. Ses fondations-mêmes semblent atteintes, touchée jusqu'au plus profond de son âme, dans ce tourbillon de chaleur humaine auquel elle reste associée. Du déchaînement des éléments, de cette déferlante inarrêtable des eaux sur la ville, nous ne verrons aucune image directe, si ce n'est quelques rappels, souvenirs aussi fugaces qu'inutiles, finalement, tant la catastrophe demeure une ombre permanente qui pèse sur chaque mise en scène, dans toute référence directe comme au creux de ces non-dits si révélateurs dans les dialogues entre les personnages. 

Ne nous faisant pas revivre ces moments où tout bascula, Treme s'ouvre ainsi quelques mois après le passage de l'ouragan Katrina. Suivant une approche familière aux téléspectateurs qui ont gardé en tête les précédentes oeuvres de l'équipe créatrice, le pilote se rapproche d'un instantané de la ville, portrait d'une cité meurtrie où le quotidien, hésitant, reprend peu à peu ses droits. Fidèle à ce format de chronique sociale, où la caméra s'efface presque pour capter une authenticité et une spontanéité des faits relatés, l'épisode offre une présentation chorale de tranches de vies, où les différents protagonistes introduits s'insèrent naturellement dans la photographie plus vaste, omni-présente, que constitue le décor de la Nouvelle-Orléans. Les scénaristes esquissent les bases des storylines, laissant le récit trouver son propre rythme.

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La scène d'ouverture de la parade musicale, véritable modèle du genre, résume parfaitement l'essence de Treme. Elle est tout autant un symbole de cette expression par la musique, inaltérable, qui bat au coeur de cette ville, que les premiers signes d'une renaissance que la série nous invite à suivre. Il s'agit du premier défilé depuis Katrina. Sur un plan narratif, c'est également l'occasion d'un premier contact avec un cadre imposant, la ville en elle-même, mais aussi avec plusieurs des personnages principaux avec lesquels nous allons par la suite nous familiariser. Finalement, sont condensés dans ce défilé tous les aspects majeurs, complémentaires autant qu'indissociables, qui ressortent de ce premier épisode.

L'élément le plus marquant de ce pilote réside, en effet, dans l'effort réalisé - et réussi -  pour transposer à l'écran l'âme de la Nouvelle-Orléans. L'univers coloré à l'excès de cette ville a toujours exercé une certaine forme de fascination sur l'imaginaire collectif : quelque part entre le carnaval et le jazz, c'est le côté festif que l'on retient généralement. Nombre de fictions s'y sont risquées par le passé, pour des résultats très divers, proposant invariablement des empilements plus ou moins digestes d'images d'Epinal auxquelles "The Big Easy" demeure associée dans l'esprit de chacun. D'ailleurs, en essayant de fouiller dans ma mémoire téléphagique, j'y ai trouvé assez peu d'évocations de cette ville : j'ai conservé de lointains, mais très agréables, souvenirs de Flic de mon coeur, qui restera sans doute comme la photographie sériephile de cette Nouvelle-Orléans d'avant Katrina. Dans un autre registre, Thief avait une autre ambition, mais est restée trop inconnue malheureusement. Plus récemment, K-Ville était oubliable et a été vite oubliée.

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La force de Treme est de parvenir à donner vie, de façon naturelle, sans artifice ou effet de style inutiles, à une atmosphère qui renvoie pourtant parfaitement aux particularités profondément attachées à la Nouvelle-Orléans. Tout dans ce pilote respire cette cité, sans que l'on ait l'impression que l'introduction de ces multiples détails, qui sont autant d'anecdotes formant un tout homogène, paraisse forcée. Mais au-delà de cette capacité à proposer un récit humain, chronique quotidienne ordinaire aux accents pourtant spécifiques, il est impossible d'évoquer ce premier épisode sans parler de la place occupée par la musique.

Plus qu'un simple accompagnement du quotidien, c'est toute la Nouvelle-Orléans qui vit par ce rythme dansant et entraînant. Entendez-moi bien, il ne s'agit pas là d'une simple bande-son qui équivaudrait à une sélection pseudo-folklorique de morceaux "typiques" destinée à  créer une "ambiance", même si Treme joue habilement sur cet aspect touristique, notamment à travers la programmation de la station de radio. Ici, ce que l'on ressent véritablement, c'est le pouls de la Nouvelle-Orléans. On perçoit, au milieu de cet univers si contrasté, entre couleurs originaires et noirceurs d'après la catastrophe, cette identité volatile qui s'exprime par le biais de la production musicale des personnages musiciens. Qu'elle vienne illustrer une renaissance, comme la scène d'ouverture, ou conclure une vie, comme le marque l'enterrement final, la musique révèle, ou marque, chaque étape du quotidien, témoignant de tout un panel si diversifié d'émotions et d'impressions.

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Aussi omni-présente que soit cet aspect musical, le téléspectateur n'a jamais l'impression de se voir offrir un simple jukebox. La musique est élevée au rang d'outil de narration, utilisée par les scénaristes, pour porter à l'écran, de façon réfléchie et aussi explicitement que par les dialogues, cette chronique sociale qu'ils se proposent de nous conter. En parallèle, la dimension humaine  de la série demeure donc logiquement centrale. Dans cette optique, le pilote présente toute une galerie homogène de personnages dont les tranches de vie se croisent et s'entre-choquent. Les blessures béantes laissées par Katrina n'ont pas encore commencé à cicatriser et obscurcissent tout l'horizon de Treme. Il y a bien sûr les dégâts qui sautent aux yeux du téléspectateur, ces ruines matérielles qui paraissent les plus concrètes. Mais, en arrière-plan, c'est un mal plus insidieux, plus profond, qui frappe la Nouvelle-Orléans. Ce ne sont pas seulement les maisons qui manquent, le désert que constituent certains quartiers où ne restent que des tôles froissées souligne une absence plus criante : c'est toute une population qui a été durement touchée.

Tous les habitants ne sont pas encore revenus des évacuations effectuées dans l'urgence, alors que plusieurs semaines se sont déjà écoulées depuis la catastrophe. Tous ne rentreront pas, l'eau ayant finalement balayé et tiré un trait sur un passé qu'ils souhaitent désormais laisser derrière eux. Certains ont tout perdu. D'autres reviennent sur leurs pas, retrouvant des lieux autrefois familiers où ne restent que moisissures et toitures éventrées. Chacun donne l'impression de naviguer à un peu à vue, entre fatalisme et désir ardent de tourner la page, d'aller de l'avant même si quelque chose semble irrémédiablement cassé. Si certains personnages se voient déjà attribuer un rôle bien défini, de trublion, de musicien, de victime... On devine qu'il ne s'agit que d'un premier contact, un premier aperçu de personnalités diverses, complexes, qui ne sont aussi aisément catégorisables que l'image initialement renvoyée.

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S'inscrivant volontairement dans l'ombre du traumatisme causé par Katrina, l'épisode construit progressivement une communauté, des habitants dont le point commun demeure leur amour pour leur ville. Dans ce décor où certains quatiers semblent plus évoquer un pays du Tiers-Monde que les Etats-Unis, un sentiment d'isolation prédomine, renforçant un peu plus les liens entre chacun. Comme si quelque chose s'était arrêté, sur place, au passage de l'ouragan. Dans cette perspective, les scénaristes n'omettent pas de confier, à ces oubliés qui ont l'impression d'être laissé pour compte, un porte-voix pour crier toute leur frustration. Dans cette faillite complète du système qui laisse les habitants livrés à eux-mêmes, confrontés à une perte que seuls peuvent comprendre, il y a également une recherche de responsabilité. Qu'elle soit exposée de façon explicite à travers le personnage de Creighton Bernette, ou qu'il s'agisse d'un simple constat face à cette soeur qui recherche désespérément un frère qui n'a pas reparu depuis l'évacuation, la charge contre les officiels, contre les décideurs politiques, est bien réelle. Cette frustration, mêlée de désillusion, des personnages frappent le téléspectateur et ne laissent pas indifférent.

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Côté acteurs, c'est l'homogénéité d'un casting au diapason de l'atmosphère de la série qui interpelle. Les personnalités s'effacent devant la caméra. Tous sont au parfaitement immergés dans l'ambiance, ils respirent naturellement l'atmosphère qui émane de Treme. Ce n'est pas très étonnant, car c'est dans l'ensemble un casting solide qui a été réuni. La plupart des personnages clés sont incarnés par des têtes plutôt familières du petit écran, à commencer par un certain nombre en provenance directe de Baltimore (The Wire et/ou The Corner), comme Wendell Pierce, Clarke Peters. Khandi Alexander retrouve sa dignité et un rôle à sa hauteur après une période d'égarement sous le soleil de Miami. Melissa Leo nous revient pour son premier rôle principal depuis Homicide. Kim Dickens continue de se construire une jolie petite filmographie (Deadwood, Friday Night Lights). Si vous avez des souvenirs téléphagiques de la décennie 90, John Goodman devrait vous dire quelque chose (Roseanne).

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Bilan : Le pilote de Treme propose un véritable instantané d'une ville meurtrie, par le biais d'une mosaïque de tranches de vie qui se téléscopent, dans les mois difficiles qui suivent le passage de l'ouragan Katrina. Plus qu'une plongée immédiate au coeur du centre névralgique de la Nouvelle-Orléans, la force de cet épisode est de parvenir à capter et à porter à l'écran un portrait d'une richesse qui sonne d'une authenticité rare. Les détails de la narration jusqu'à l'instrumentalisation de la musique, omni-présente, réussissent à transposer l'atmosphère si particulière, mais obscurcie par la catastrophe, qui renvoie à l'âme-même de cette cité.


NOTE : 9/10


Le générique de la série :


Une bande-annonce de la série :