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30/04/2011

(UK) The Suspicions of Mr Whicher : le récit d'une affaire criminelle marquante du XIXe siècle

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Me revoilà après une semaine de vacances londoniennes, laquelle m'aura rappelé à quel point j'aime cette ville (même plongée en pleine frénésie de "royal wedding"). Ce furent donc quelques jours loin d'internet et des séries. Je n'aurais pas eu de nouveaux sujets téléphagiques à aborder en rentrant, si la chambre d'hôtel n'avait pas eu une télévision. Et lundi soir, fourbue après une journée estivale bien remplie, je n'ai pas pu résister à m'installer devant ITV1 à 21h, pour regarder The Suspicions of Mr Whicher.

Ce téléfilm d'un peu plus d'1h30, adaptation d'un best-steller de Kate Summerscale, relate une histoire vraie : il retrace une des grandes affaires criminelles marquantes du XIXe siècle, emblématique des premières années d'existence de Scotland Yard, le meurtre de Road Hill House. Ayant eu un retentissement considérable à l'époque, cette enquête a aussi éclairé le rôle des détectives : la figure de Jack Whicher a inspiré bien des auteurs de l'époque. On le retrouve ainsi à l'origine de l'inspecteur Bucket, dans Bleak House ou encore du sergent Cuff dans The Moonstone. Pour qui aime l'ambiance des policiers victoriens de la deuxième partie du XIXe siècle, ce téléfilm devrait plaire, bien servi de plus par un casting très solide. Et même si ce n'est pas techniquement une série, toute production du petit écran a par nature sa place sur ce blog.

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L'histoire débute en 1860, dans un petit bourg typiquement anglais, situé dans le Wiltshire. Lorsque la spacieuse maisonnée des Kent, une famille appartenant à la middle-classe de la notabilité provinciale, s'éveille un matin, le lit d'un des enfants est retrouvé vide. Le petit Saville Kent, un jeune garçon de trois ans, a disparu. Rapidement, les recherches des serviteurs les orientent vers le jardin, où le corps sans vie de l'enfant est découvert. Cet assassinat aussi brutal que mystérieux, puisque l'absence d'infraction semble logiquement désigner un habitant de la maison comme le coupable, met rapidement tout le pays en émoi. Les journaux se saisissent de l'affaire. Pressé d'agir, le ministre de l'intérieur dépêche finalement sur place un des détectives vedettes de la branche spéciale de Scotland Yard pour enquêter, Jonathan Whicher.

Parachuté dans une province où les notables locaux ne voient pas d'un très bon oeil les ingérences londoniennes, Whicher va devoir non seulement essayer de passer outre le manque de coopération des autorités, mais également démêler la vérité parmi les rumeurs et bruits qui courent, notamment contre le maître de maison, Samuel Kent, fort peu apprécié dans le village. C'est sur cette famille, qui va se révéler dysfonctionnelle, que Whicher concentre son attention. Après avoir déjà eu des enfants d'un premier mariage, Constance et William, Saville était issu de sa seconde union. Cependant certains parlent également de l'existence d'une maîtresse actuelle, la nourrice qui était en charge de la jeune victime.

Si l'enquêteur de Scotland Yard acquiert peu à peu des certitudes, trouver des preuves pour corroborer ses soupçons va se révéler compliqué. Or c'est bien sa carrière que Whicher va jouer sur cette affaire.

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The Suspicions of Mr Whicher a un charme particulier, que certains qualifieront sans doute à juste titre d'indémodable, celui d'un classique policier victorien. Ce fait divers sordide trouvant son inspiration dans un cas bien réel, il confère à l'histoire une dimension supplémentaire. Cela donne l'opportunité à cette fiction d'offrir un véritable instantané de la réalité sociale de l'époque : elle capture et dépeint avec soin aussi bien l'atmosphère régnant dans ce petit bourg de campagne anglaise où les ragots et les jalousies vont bon train, que les codes et mises en scène qui règlent une bourgeoisie provinciale si attachée au maintien des apparences et à la protection de ses acquis.

Tout ce confort quotidien est bouleversé par un drame, dans lequel viennent s'immiscer des intervenants extérieurs dont l'implication va surtout accentuer ce clivage perceptible entre les préoccupations de la capitale, sujette aux pressions médiatiques et politiques, et une province qui se garde presque jalousement. Immédiatement, il apparaît clair que les intérêts divergent entre Scotland Yard et des notables locaux qui sont plus portés à trouver le plus court chemin vers un retour au calme qu'à rechercher une supposée vérité susceptible, par elle-même, d'être source de nouvelles perturbations.

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Au-delà du portrait esquissé de cette société du milieu du XIXe siècle, c'est surtout par son angle criminel et historique que The Suspicions of Mr Whicher mérite le détour. Non seulement l'impact médiatique de cette affaire la place à part, mais surtout, grâce à cette publicité, la population va s'ériger en témoin privilégié, suivant avec attention l'enquête et ses développements sur lesquels elle va prendre position. Le détective devient alors, sous les projecteurs des journaux, un acteur public à part entière, dont les prises de positions sont soumises au jugement populaire. Par la manière dont son rôle est éclairé, Mr Whicher apparaît comme l'ancêtre de toutes ces figures policières qui allaient fleurir dans les oeuvres de fiction anglaise de la seconde moitié du XIXe siècle.

Les méthodes de Mr Whicher laisse une large part à l'instinct dans des déductions qui fonctionnent par intuition autant que par une analyse rigoureuse à partir des maigres indices qu'il peut découvrir. Homme charismatique, doté d'un esprit vif et d'une forme d'humilité liée à son origine sociale, à laquelle se mêle une détermination sans faille, il permet au téléspectateur de pleinement s'investir à ses côtés pour suivre l'avancée de l'enquête. D'autant que l'histoire gagne progressivement en intensité dramatique, en abordant des thèmes de criminologie novateurs pour l'époque (notamment sur la façon de percevoir les enfants). La fin offrira la satisfaction de sonner authentique, démontrant que la réalité de la nature humaine délivre des instants parfois plus marquants que ce que la fiction ne saurait imaginer (même si The Suspicions of Mr Whicher introduit cependant une interprétation personnelle de certains faits).

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Sur la forme, The Suspicions of Mr Whicher bénéficie d'une réalisation globalement sobre qui reste soignée. La reconstitution historique est rigoureuse et, sans que l'image verse dans des teintes trop sombres, elle parvient à retranscrire de manière convaincante cette atmosphère victorienne caractéristique des fictions se déroulant à cette époque. De plus, elle bénéficie d'un accompagnement musical qui sied parfaitement à la tonalité ambiante et sait faire ressortir l'intensité de certaines confrontations.

Enfin, il convient de saluer le casting très solide dont les prestations d'ensemble vont apporter à la dramatisation de cette affaire une force supplémentaire. Paddy Considine (Red Riding) délivre une excellente et convaincante performance dans le rôle du détective Whicher, très crédible dans cette façon nuancée d'osciller entre obstination et une certaine forme de fatalisme. A ses côtés, nous retrouvons des têtes connues du petit écran anglais, tels Peter Capaldi (The Thick of It), Alexandra Roach (Candy Cabs), Emma Fielding (Cranford), William Beck (Red Cap, Casualty), Tom Georgeson (Bleak House, The Crimson Petal and the White), Donald Sumpter (Being human), Ben Miles (Lark Rise to Candleford, The Promise) ou encore Tim Pigott-Smith (North & South).

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Bilan : A défaut d'innover, The Suspicions of Mr Whicher investit avec maîtrise ce terrain connu du policier historique qui demeure une source d'inspiration sûre. Classique dans sa mise en scène, comme dans la façon dont l'intrigue est posée, ce téléfilm, à l'atmosphère bien sombre, tire cependant son épingle du jeu grâce l'aura particulière que lui confère le fait qu'il s'agisse d'une véritable affaire criminelle ayant marqué le XIXe siècle. Brassant des thématiques aussi bien sociales que policières très intéressantes, elle permet de rémonter aux premières décennies de Scotland Yard, en plaçant son enquêteur au coeur du récit.

L'ensemble donne donc une heure et demie pas forcément indispensable, mais assurément plaisante à suivre que ne bouderont pas les amateurs du genre.


NOTE : 6,75/10

24/04/2011

[Blog] Vacances

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My Télé is Rich! prend quelques jours de vacances. Je pars loin du net, du boulot et de mes chères séries. La photo ci-dessus vous donnera un indice de ma destination. En ce week-end de retour du Docteur dans les petits écrans anglais, on ne pourrait faire guère plus approprié... si notre Time Lord n'était pas parti crapahuter aux Etats-Unis (nous aurons le temps d'en reparler à mon retour). Enfin, sait-on jamais, au gré des timelines, j'ouvrirais l'oeil.

Je vous souhaite un bon week-end de Pâques. A samedi prochain.

23/04/2011

(Mini-série DAN) Edderkoppen (L'araignée) : un polar noir entre trafics et corruptions dans un pays à reconstruire

 
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Après avoir évoqué l'après Seconde Guerre Mondiale au Japon, mercredi, avec Fumou Chitai, je vous propose aujourd'hui de rester dans cette période mais de revenir en Europe, pour une critique d'ensemble d'une mini-série danoise intrigante, Edderkoppen (c'est-à-dire "L'araignée"). Mon exploration téléphagique au Danemark se poursuit sur des bases intéressantes, avec cette fois-ci, une fiction historique (oui, il ne m'aura pas fallu longtemps pour mettre la main sur une du genre !) au parfum enfumé et grisâtre, caractéristique des polars noirs se déroulant au milieu du XXe siècle.

Edderkoppen est une mini-série comportant 6 épisodes, d'une heure chacun environ. Elle fut diffusée sur la chaîne DR1, en 2000, rassemblant près de 2 millions de téléspectateurs (sur 5 millions d'habitants). Pour épicer l'ensemble, précisons également que son scénario est basé sur l'histoire vraie d'un syndicat du crime danois, même si l'adaptation est romancée et que la mini-série prend bien soin de préciser que, si elle s'inspire de certaines figures qui ont bien existé, elle reste une fiction. 

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Edderkoppen s'ouvre quelques années après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, en 1949, à Copenhague. La ville, comme le pays tout entier, est encore en train de se reconstruire. Les blessures laissées par la guerre ne se sont pas refermées. Les actions des nouvelles institutions gouvernementales apparaissent toujours fragiles face à une économie balbutiante, où le rationnement des denrées perdure. Un marché noir conséquent s'est développé en parallèle. Ces trafics génèrent des revenus qui alimentent des réseaux souterrains, faisant la richesse de certains. A mesure que l'importance de ces derniers grandit, c'est une véritable toile d'araignée criminelle qui se tisse peu à peu dans Copenhague, avec la bénédiction d'officiers de police corrompus ou de connivence.

Dans cette même ville, Bjarne Maden est un jeune journaliste au Social-Democrat, encore plein de certitudes sur son métier et plus que désireux de faire ses preuves. Idéaliste refusant la moindre compromission avec une éthique à laquelle il tient, il entreprend de tenter d'exposer le marché noir dont il perçoit l'importance grandissante. Il soupçonne que se cache derrière ces activités un véritable syndicat du crime bien plus organisé que ce que les officiels veulent bien reconnaître. C'est avec une obstination où l'audace confine parfois à de l'inconscience que Bjarne va se lancer dans une sorte de croisade aux ramifications plus importantes qu'il n'aurait pu l'imaginer. En quête de la tête pensante, "l'araignée", il remonte une toile qui le conduit dans les hautes sphères dirigeantes du Danemark. A mesure qu'il progresse, les choses ne vont cesser de se complexifier pour le jeune homme, qui voit en plus son quotidien bouleversé par le retour des Etats-Unis de son frère, Ole, un ancien sympathisant nazi qui a fui le pays il y a des années.

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La réussite première d'Edderkoppen tient à l'ambition qui transparaît d'une mini-série qui entend exploiter une multitude de thématiques, proposant ainsi un contenu riche et diversifié. Nous plongeant dans les bas-fonds, c'est-à-dire plus précisément dans les coulisses officieuses de Copenhague, cette fiction se réapproprie avec succès les classiques codes narratifs du polar. Elle impose une ambiance noire, très 50s', invitant même des airs de jazz à venir bercer certaines scènes dans un style assez atypique pour une fiction danoise. La mini-série joue d'ailleurs sur cet aspect : dans l'esprit du téléspectateur, le parallèle avec un Chicago de la Prohibition ne serait presque pas déplacé. Mais ce qui fait cependant la valeur ajoutée d'Edderkoppen par rapport à d'autres fictions du genre, c'est que si criminels et société respectable se confondent, cela s'explique parce que nous nous situons sur ce champ de ruines à reconstruire qu'est l'après-guerre.

Car Edderkoppen, c'est aussi une série où l'on retrouve ce parfum un peu particulier d'une société qui a perdu ses repères et où, dans la confusion qui règne, tout est à rebâtir. Le retour du frère de Bjarne, qui avait eu dans les années 30 des sympathies nazies, permet de manière incidente de montrer que les choix passés cataloguent toujours les individus. Cependant la mini-série ne fait qu'effleurer ces thématiques sociales. Elle s'attache en revanche à mettre en lumière la façon dont cette "araignée du crime" que traque Bjarne s'est créée. La guerre a entraîné sur des sentiers loin de la légalité des hommes issus de milieux très différents. La Résistance a fondé des réseaux, elle a aussi su trouver ses ressources. Ses membres, officiels ou officieux, sont les rebâtisseurs de ce nouveau Danemark. Mais tous ne partagent pas la même vision du futur. Le retour à l'ordre et à la légalité n'est pas pour tous une priorité. Si ces tensions ne sont pas toujours précisément explicitées sur le moment, la résolution finale offrira à cette intrigue une dimension supplémentaire qui jette un autre éclairage sur l'ensemble de la mini-série.

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Cette atmosphère entre crime et après-guerre se révèle donc être un cocktail détonnant des plus intrigants. Cependant Edderkoppen bénéficie également, pour s'assurer de la pleine attention du téléspectateur, d'une intrigue qui se complexifie considérablement au fil des épisodes. Dans cette recherche qui nous plonge dans les dessous d'un groupe de la Résistance et des mythes qui ont pu l'accompagner, on se perd parfois un peu dans cette galerie d'individus louches et de noms qu'on ne retient pas toujours. Mais la mini-série parvient à maintenir une tension constante des plus appréciables et qui durera jusqu'à la fin. Si bien que, même si on devinera avant Bjarne quelles sont les réelles forces à l'oeuvre, le téléspectateur s'est trop attaché à la destinée du jeune homme et aux choix difficiles qu'il va devoir prendre pour vouloir brusquer les choses. Le puzzle se résoudra en temps voulu et de façon convaincante.

De plus, Edderkoppen n'a rien d'un polar froid déshumanisé. Au contraire, on y retrouve avec une intensité parfois même un peu trop poussée toutes les passions des relations humaines. Ces dernières sont d'ailleurs traitées avec plus ou moins d'habileté. La relation entre Bjarne et son frère, Ole, est décrite avec beaucoup d'ambivalence qui lui confère une touche d'authenticité supplémentaire. En dépit de l'adolescence nazie d'Ole, il y a un lien indéfectible qui semble les unir. Au-delà des valeurs différentes, des concurrences qui se créent parfois, ils restent deux frères qui ont plus ou moins conscience des limites à ne pas franchir avec l'autre et se soutiendront quand il le faudra. Je serais en revanche plus nuancée sur le personnage féminin, prétexte à décliner une ritournelle amoureuse un peu trop caricaturale et forcée pour que l'on y adhère, d'autant qu'elle occasionne des ruptures de rythme dispensables lors de certains passages un peu longs.

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L'atmosphère de polar noir des 50s' dans laquelle semble baigner Edderkoppen se retrouve sur la forme, par le biais d'une réalisation qui va utiliser à bon escient des teintes aux coloris noircis un peu froids. Dans ce décor typiquement enfumé où la cigarette est un ingrédient d'ambiance, l'esthétique d'ensemble renforce cette impression de reconstitution historique. Si quelques effets de style (les ralentis notamment) sont dispensables, le téléspectateur apprécie ces images qui correspondent parfaitement à la tonalité du récit proposé. De même, les musiques collent à l'époque et à la manière dont cette période nous est retranscrite à l'écran.

Enfin, Edderkoppen bénéficie d'un excellent casting qui n'est pas étranger au charme qui se dégage de la mini-série. J'y ai retrouvé pour mon plus grand plaisir un certain nombre de têtes déjà connues (mais bon, le petit écran danois est vraiment petit, d'où ce rapide sentiment de familiarité avec les acteurs que l'on y croise), à commencer par l'acteur principal, qui joue actuellement dans Den som Draeber : le toujours charmant Jakob Cedergren (Morden i Sandhamn, Harry & Charles). En jeune premier, journaliste encore idéaliste qui va peu à peu réaliser les forces et intérêts en jeu, il n'a pas son pareil et se révèle très convaincant. A ses côtés, les téléspectateurs qui ont suivi la saison 1 de Forbrydelsen reconnaîtront notamment Lars Mikkelsen (que l'on retrouve aussi à l'affiche de Den som Draeber), Bjarne Henriksen (Blekingegade, Lykke) ou encore Ben Mejding. On retrouve également Stine Stengade, Lars Bom, Birthe Neumann, Louis Mieritz, Flemming Enevold, Peter Steen, Troels Lyby, Max Hansen ou encore Lotte Andersen.

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Bilan : Derrière les codes narratifs qu'elle emprunte polar noir en nous plongeant dans la toile de trafics et de corruption tissée par un syndicat du crime, Edderkoppen bénéficie aussi de ce parfum caractéristique de la fiction d'après-guerre. Au-delà du chaos persistant dans lequel est plongée Copenhague, il y a en toile de fond un retour progressif à la légalité pour des membres de la Résistance qui ont longtemps oeuvrer légitimement en marge de la loi. L'histoire est complexe, mais le dénouement final dénote une maîtrise d'ensemble des plus convaincantes. Ainsi Edderkoppen est une fiction à multiples facettes, prenante par ses intrigues et attachante par son personnage principal. Une mini-série que je ne regrette donc pas d'avoir découverte.


NOTE : 7/10


La scène d'ouverture, suivie du générique :

20/04/2011

(J-Drama) Fumou Chitai : le traumatisme d'un homme, la reconstruction d'un pays dans le Japon de l'après-guerre

 
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En ce mercredi asiatique, la série dont je vais vous parler aujourd'hui est une oeuvre particulière. Je ne suis pas quelqu'un qui aime surenchérir dans la course aux superlatifs, et j'ai bien conscience d'avoir encore beaucoup à apprendre et à découvrir du petit écran japonais, mais je peux écrire sans hésiter que je n'avais encore jamais visionné de série semblable à Fumou Chitai. Elle dispose d'un concept fort, dans un cadre au parfum également à part, celui de l'après-guerre au Japon. Il y a une richesse et une consistance narratives constantes absolument fascinantes dans ce drama, où l'intime côtoie l'historique.

Marquant le cinquantième anniversaire de Fuji TV, Fumou Chitai a été diffusée du 15 octobre 2009 au 11 mars 2010. Comportant en tout 19 épisodes, elle est l'adaptation d'un roman à succès, portant le même titre, écrit par Yamazaki Toyoko à qui l'on doit également le livre ayant servi de base à un autre drama, lui aussi incontournable, avec lequel cette série partage certaines thématiques, Karei Naru Ichizoku. A noter, enfin, que Fumou Chitai avait déjà été porté au petit écran en 1979, dans une première série qui comportait elle 31 épisodes.

En somme, cette série fait partie des oeuvres qui, par leur densité, par les thématiques si riches qu'elles soulèvent, intimident quelque peu le critique. Il est difficile de lui rendre pleinement justice ; mais je vais quand même essayer de vous expliquer ce que j'ai trouvé et ressenti dans ce drama que je conseille vraiment à tous, familiers du petit écran japonais ou non.

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Fumou Chitai s'ouvre en 1945 sur la capitulation japonaise, marquant la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Iki Tadashi est alors un stratège au sein de l'armée impériale. Si comme beaucoup, il écoute avec une forme d'incrédulité le discours de reddition de l'Empereur, il est cependant envoyé en Chine pour s'assurer que les forces armées japonaises respectent bien ces ordres univoques. Devant l'avancée des soldats russes, il ne peut se résoudre à regagner à temps le Japon et décide de rester auprès de ses hommes. Fait prisonnier, il est expédié en Union Soviétique. Il bénéficie au début d'un traitement de faveur dans un contexte de (pré-)Guerre Froide, les Russes espérant obtenir un témoignage compromettant pour remettre en cause la thèse américaine exonérant l'Empereur japonais. Mais devant son refus catégorique, Iki Tadashi est finalement condamné à une longue peine de travaux forcés.

Il restera dans les camps de travail de Sibérie jusqu'en 1956, soit onze années passées dans l'enfer des goulags russes. Les conditions de vie si difficiles eurent raison de nombreux prisonniers. Ce qui permit à Iki Tadashi de survivre, c'est non seulement la pensée de sa famille, mais également le souvenir de tous ses camarades qui s'éteignirent sous ses yeux, tombés d'épuisement, de malnutrition ou pour qui, une fois l'espoir disparu, le suicide apparut comme le seul recours pour en finir avec toutes ces souffrances. Après tant d'années loin des siens et de son pays, le retour au Japon ne s'opère pas sans une phase d'adaptation douloureuse. Sa femme s'est mise à travailler pour subvenir à leurs besoins. Sa fille craint plus que tout que son père poursuive dans cette carrière militaire tant honnie. Quant à son fils, n'ayant connu son père que par une idéalisation enfantine d'une figure militaire lointaine, il ne le reconnaît pas.

Pour reprendre le cours de sa vie mise en hiatus pendant plus d'une décennie, et dont il gardera à jamais le traumatisme au plus profond de lui, Iki Tadashi se tourne finalement vers une carrière civile. Déjà dans la force de l'âge, peut-il vraiment se reconstruire dans le domaine du commerce qui lui est totalement étranger ? Il sera pourtant le témoin privilégié, et un des acteurs, de la restructuration économique japonaise au cours de deux décennies cruciales jusqu'à la fin des années 70.

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Fumou Chitai, c'est tout d'abord une fresque, grande et ambitieuse, dont une des réussites va être de savoir mêler l'historique et le personnel. Elle y parvient en suivant le parcours d'Iki Tadashi, fil conducteur du drama, dont la destinée apparaît liée à celle de son pays. Au sortir de la défaite, le pays est à reconstruire économiquement, mais aussi socialement, de la même manière que la vie d'Iki Tadashi est à rebâtir lorsqu'il revient de Sibérie après ces onze années perdues. Les fictions se déroulant dans une période d'après-guerre ont souvent un parfum assez particulier, et ce drama n'y déroge pas. Jusqu'à présent, j'ai assez peu vu ou lu d'oeuvres sur cette époque au Japon, à l'exception peut-être du Soldat Dieu de Koji Wakamatsu qui traite plutôt du militarisme japonais précédant la défaite. Toujours est-il que l'évocation de cette fin de guerre constitue une première thématique forte de ce drama, évoquée de la perspective du personnage principal.

La série aborde ce sujet difficile avec une maîtrise et un aplomb à saluer. Même si vous ne deviez pas poursuivre au-delà, je ne saurais trop vous conseiller de prendre le temps de regarder au moins le pilote, très long (plus d'1h50), mais absolument fascinant, qui nous relate la façon dont Iki Tadashi va vivre la capitulation et les années de détention. Fumou Chitai opte pour une approche simple, sans pathos inutile et dépourvue du moindre excès dans la mise en scène. Cette présentation confère au récit toute sa force, ainsi que son intérêt. Car cette sobriété bienvenue accentue l'intensité des évènements relatés, renforçant l'impression d'authenticité et de rigueur historique. Si la série montre peu le Japon durant cette période, la question des prisonniers de guerre internés en Union Soviétique est en revanche traitée avec soin. J'avoue que c'est un sujet dont j'ignorais tout avant de visionner ce drama ; mais plus de 500.000 soldats japonais qui se trouvaient sur le continent lors de la capitulation passèrent ainsi par les camps russes. En raison de son grade (et de son manque de coopération), Iki Tadashi sera condamné par un tribunal militaire soviétique, ce qui explique qu'il fera partie de ceux qui subiront la plus longue durée d'emprisonnement.

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Au-delà de la reconstitution historique, cette détention sibérienne va permettre à Fumou Chitai d'explorer une dimension plus intime, en un sens plus déchirante, à travers la figure complexe de son personnage central. Car si la série va ensuite de l'avant, tournée vers le futur à l'image d'une société qui souhaite se rebâtir, le traumatisme constitué par ces années en Sibérie ne va jamais s'effacer. La portée symbolique du générique de fin est à ce titre révélatrice : il se charge de nous rappeler que c'est dans cet enfer blanc que la volonté de continuer à vivre d'Iki Tadashi trouve sa fondation. Cette dernière se résume en un simple commandement : servir son pays. Mais s'il s'efforce de retrouver un équilibre dans sa vie familiale, s'il amorce avec assurance une ascension professionnelle impressionnante, cette reconstruction n'est qu'illusoire. Elle n'est qu'une apparence, une façade de survie au sujet de laquelle même Iki Tadashi se ment parfois, mais dont chacun de ses actes va nous démontrer la vanité.

Car une partie du personnage est bien morte en Union Soviétique. Ce pacte qu'il a fait avec lui-même, cette ligne de conduite qu'il s'est fixé, survivre pour servir son pays, il la suivra certes longtemps sans recul. Jusqu'aux dernières années où la remise en cause de ses certitudes lui feront prendre conscience de ses priorités. Akitsu Chisato l'accusera d'égoïsme, mais en réalité, le choix final de retourner en pèlerinage en Sibérie ne vient que confirmer ce que le téléspectateur a compris depuis longtemps. Si Iki Tadashi s'est assigné un devoir, assumant les responsabilités qu'il devait à ses hommes, à sa famille et à son pays, lui-même n'a jamais su ou pu recommencer sa vie. Tous les espoirs d'un futur auquel il aurait droit sont morts en même temps que ses camarades, ceux qui se sont suicidés sous ses yeux comme ceux qui ont succombé aux mauvais traitements. C'est seulement à la fin de la série qu'Iki Tadashi semble le reconnaître et l'accepter.

Laissant une place pour l'interprétation d'un téléspectateur captivé, l'approche psychologique de Fumou Chitai est d'une finesse assez fascinante, traitant de façon très nuancée, avec beaucoup de non-dits de ce fil rouge central. S'assurant ainsi d'une fondation très solide, le drama va pouvoir investir d'autres enjeux immédiats, et notamment les questions économiques.

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L'industriel, c'est en effet le thème le plus directement évoqué par Fumou Chitai. Cela le rapproche de Karei Naru Ichizoku, sans pour autant que les deux dramas se confondent. Dénuée de tous les ingrédients empruntés aux soaps qui faisaient la marque du second, Fumou Chitai apparaît plus rigoureuse et documentée dans son approche, sans pour autant être moins accessible. En effet, la série ne va avoir aucune difficulté à retenir l'attention du téléspectateur sur des enjeux qui touchent plutôt à des problématiques de stratégie industrielle. Par sa mise en scène d'une concurrence acharnée entre entreprises, ce drama s'inscrit plutôt dans le thriller financier, reprenant des codes classiques de l'espionnage : la collecte et l'analyse des données sont un travail proche de celui du renseignement. Le résultat donne un mélange des genres efficace, sachant entretenir une tension et un suspense presque inattendus.

Dans ce domaine économique, la série a également un intérêt historique : elle nous plonge dans le Japon de l'après-guerre, à travers plusieurs décennies d'industrialisation et de progressive ouverture au monde du pays. Nous permettant de suivre indirectement les grandes politiques et transformations initiées, Fumou Chitai éclaire sans complaisance des moeurs gouvernementales où la corruption est généralisée et apparaît normalisée, dressant ainsi un portrait peu flatteur du personnel politique dirigeant. De plus, ce récit explore le développement industriel japonais dans des domaines très divers, avec une approche résolument internationale. En effet, après avoir passé deux années à se remettre physiquement de sa détention, Iki Tadashi accepte l'offre d'emploi du président de Kinki Trading Co. La série traitera de l'industrie à travers plusieurs grands arcs narratifs successifs, en commençant par un sujet qui touche de près son héros, l'armement, pour finir par une problématique devenue centrale, le pétrole, en passant par les grandes restructurations des années 70 dans l'industrie automobile.

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En outre, Fumou Chitai va savoir investir une dimension humaine grâce à laquelle le téléspectateur va s'attacher à son univers. La rigidité, toute militaire pourrait-on dire, d'Iki Tadashi qui s'attache à ses principes et à une probité qui tranchent dans ce milieu, ne sera pas toujours dénuée d'ambivalence. Si, initialement, c'est l'invocation d'intérêts supérieurs nationaux qui semble justifier le recours à des moyens peu recommandables, un glissement est perceptible dans l'ordre des priorités du personnage. Toujours présentée sous couvert de servir son pays, la dernière intrigue pétrolière montre toutes les limites, voire l'hypocrisie, de ce raisonnement et les transformations d'Iki Tadashi au contact d'un milieu industriel dont il a désormais pleinement intégré les codes, même s'il s'en défend. Fumou Chitai permet d'ailleurs de nous immerger de façon crispante et prenante dans ce monde des affaires, où les ambitions et les égos conditionnent de fragiles alliances de circonstances et où chacun cultive des inimités qui traversent les années. L'ultra-concurrentiel offre une forme de prolongement civil à l'affrontement militaire ; le parallèle opéré grâce aux mises en oeuvre des stratégies d'Iki Tadashi est à ce titre très révélateur.

Pour autant, Fumou Chitai aborde aussi un registre plus intime, voire sentimental. Plusieurs figures féminines vont en effet marquer la vie d'Iki Tadashi, chacune représentant une conception différente de la femme. Yoshiko est l'épouse à la fidélité sans faille, qui se sera sacrifiée elle aussi pendant ces onze années pour faire survivre sa famille. Renvoyant à la conception familiale japonaise traditionnelle, elle gagne en importance au fil des épisodes : loin d'être effacée, elle acquiert une épaisseur et une dimension presque tragique dans son obstination à essayer de maintenir unie une famille dont la Sibérie n'a laissé, sur bien des points, qu'une coquille vide. Avec Akitsu Chisato, il y a un changement de génération : c'est une femme active, pour qui le bonheur importe, seul le mariage d'amour se justifiant à ses yeux. Sa relation avec Iki Tadashi est particulièrement bien traitée. Toute en nuances, elle sonne très authentique par le carcan dans lequel elle se développe. Si Chisato privilégiera les sentiments à la raison, elle n'en recueillera pas les bénéfices En effet, celui qu'elle aime a perdu en Sibérie cet élément précieux qu'est la capacité à pouvoir se construire un futur. Enfin, de façon plus incidente, il est également possible d'évoquer Hamanaka Beniko, symbole, elle, de la femme fatale qui a gagné une forme de liberté en embrassant et dépassant les conventions sociales de son milieu aisé. Toutes trois enrichissent la série, vis-à-vis de caractère permettant de remettre en cause les certitudes d'Iki Tadashi.

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Appliquée et solide sur le fond, Fumou Chitai l'est également sur la forme. Sa réalisation est soignée, bénéficiant d'une photographie qui sied parfaitement à l'atmosphère de la série qui va traverser les décennies en partant du milieu du XXe siècle. Les teintes choisies mettent d'ailleurs bien en exergue l'effort de reconstitution historique. Cette sobriété, qui n'est pas pour autant frodie, est d'autant plus appréciable qu'elle confère une classe à part à la série. La maîtrise d'ensemble se ressent tout particulièrement par un certain nombre de plans qui dépassent le simple fonctionnel, pour réellement investir une mise en scène symbolique.

Par ailleurs, la série bénéficie d'une belle bande-son qui s'impose rapidement comme un outil de narration à part entière, accompagnant et rythmant l'intensité du récit, tout en permettant de refléter l'ambiance particulière de l'histoire. Toujours utilisée à bon escient, composée d'instrumentaux de musique classique, elle a été composée par Kanno Yugo. Je vous avoue que, depuis plusieurs jours, j'écoute le CD de l'OST indépendamment avec beaucoup de plaisir. Il convient également de saluer la chanson du générique de fin (Tom Traubert's Blues, par Tom Waits) : ce morceau anglophone, inattendu, déstabilise dans un premier temps, mais le téléspectateur prend rapidement conscience de sa réelle portée : cette complainte lancinante est un cri déchirant, écho parfait à ce que ressent le héros de ce drama.

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Enfin, Fumou Chitai bénéficie d'un casting très solide qui permet d'asseoir efficacement l'histoire. Tout d'abord, il faut saluer la performance de Karasawa Toshiaki : il est vraiment fascinant dans sa façon d'interpréter de manière extrêmement sobre un personnage dont l'inexpressivité est souvent interprétée comme une forme d'insensibilité. Le détachement qu'il cultive renforce l'impression que Iki Tadashi demeure une sorte d'observateur extérieur des évènements, même s'il influe sur eux : une partie de lui-même est resté dans cette Sibérie qui a glacé une part d'humanité. Cette approche du personnage permet également de rendre encore plus marquante les scènes au cours desquelles la façade se fissure en des éclats d'émotion poignants.

A ses côtés, les personnalités féminines l'entourant, toutes très différentes, sont incarnées de façon convaincante par Wakui Emi (Hanayome to Papa), parfaite en épouse dévouée, par Koyuki (Engine), l'artiste de céramique, et enfin par Amami Yuki (BOSS, Gold), en femme fatale absolument resplendissante. Autre figure ayant son importance, la fille de Iki Tadashi est interprétée par Tabe Mikako (Deka Wanko). Parallèlement, au sein de l'entreprise, j'ai retrouvé avec beaucoup de plasir Takenouchi Yutaka (BOSS), en subordonné passionné par l'exploitation pétrolière. On croise également Harada Yoshio (Engine), Kishibe Ittoku (Arifureta Kiseki), Endo Kenichi (Gaiji Keisatsu) en concurrent qui prend très vite l'affrontemet personnellement et Abe Sadao (Dare Yorimo Mama wo Ai su) en journaliste toujours en quête d'un scoop.

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Bilan : Fumou Chitai, c'est une fresque fascinante, éprouvante, d'une richesse rare par sa capacité à jouer sur tous les registres de la fiction. C'est l'histoire d'une reconstruction personnelle impossible, sur fond de refondation économique et sociale d'un pays sorti exangue de la Seconde Guerre Mondiale. Récit politico-industriel à l'intérêt historique indéniable, le fil rouge de Fumou Chitai reste pourtant, en premier lieu, celui d'un drame humain. La série nous relate le parcours d'un ancien soldat, prisonnier de guerre marqué par la défaite et par onze années de captivité qui ont irrémédiablement brisé quelque chose en lui. Son sens du devoir lui donnera les ressources nécessaires pour aller de l'avant et entreprendre tous ces projets que le téléspectateur suivra avec attention. Mais, même le temps ne saura effacer ce traumatisme central qui nous sera constamment rappelé.


Si j'ai conscience de la longueur intimidante de cette review, je finis pourtant ma critique en ayant encore l'impression d'avoir tant à dire sur certains aspects que j'ai passés sous silence. C'est vous dire la densité de ce drama à part. Une série incontournable.


NOTE : 9,5/10


Le générique de fin (la chanson : Tom Traubert's Blues, par Tom Waits) :



Une musique de l'OST (le thème principal) :

19/04/2011

(Pilote US) Game of Thrones : Winter is coming...

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Après des semaines d'orchestration d'une campagne médiatique alléchante, de vidéos foisonnantes titillant la curiosité, dimanche soir, débutait sur HBO une des nouveautés les plus attendues de la saison, Game of Thrones. Adaptation d'une des grandes sagas littéraires récentes de fantasy (non encore achevée) de George R. R. Martin, c'était aussi l'occasion pour la chaîne câblée américaine de se glisser dans un genre qu'elle n'avait encore jamais exploré dans un décor médiéval réaliste.

Pour l'avoir tant espérée, j'en ai presque hésité à lancer le pilote hier soir, de crainte de rompre une magie préinstallée. A la question de savoir si Game of Thrones peut être apprécié tant par les fans que par des personnes ne connaissant pas (encore) cet univers, je pense que la réponse est positive. Mais il est certain que les deux publics n'auront pas la même approche du pilote. Là où certains vont s'efforcer de se situer et de retenir la complexité de l'univers introduit et de ses intrigues, les autres vont seulement admirer - les yeux brillants, en ce qui me concerne - la mise en scène d'une histoire qu'ils connaissent déjà, s'attachant aux détails, aux non-dits et, plus généralement, à la symbolique dont chaque scène regorge.

Cela donne donc une review forcément subjective venant d'une téléphage qui a lu et aime le Trône de Fer. Je signale cependant que j'ai fait attention à m'en tenir uniquement au pilote et aux informations qui y sont dévoilées en écrivant ce billet.

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L'hiver approche dans le Royaume des Sept Couronnes. Il se murmure que, après des siècles d'absence, des Autres auraient été aperçus par-delà le Mur qui protège des territoires sauvages les plus au nord ; des dire wolves (de grands loups) ont même franchi cette frontière de pierre pourtant si imposante. Des forces sont à l'oeuvre autour, mais également au sein même du royaume, s'apprêtant à plonger ces terres dans un des plus terribles hivers qu'elles aient connu.

Impassible, le roi Robert Baratheon règne sur le continent de Westeros. Il a renversé et déposé le roi Aerys II Targaryen, il y a presque deux décennies. A l'époque, la victoire avait été remportée avec l'aide décisive de son ami, Eddard (Ned) Stark, seigneur de Winterfell ; ce dernier administre toujours ce vaste duché situé le plus au nord du royaume. Il s'est jusqu'à présent sagement tenu loin des intrigues de cour, préservant sa famille dans leur domaine. Mais, au sud, dans la capitale, Jon Arryn, la Main du Roi, meurt soudainement. N'envisageant qu'une personne de confiance à qui confier ce poste décisif où le titulaire régente tout le royaume, Robert se met alors en route vers le nord pour raviver l'amitié passée et demander à Ned de prendre la place du défunt conseiller.

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L'arrivée du roi et de la cour, notamment des Lannister, dont la reine Cersei est une des représentantes, va mettre un terme au quotidien familial, loin des complots et ambitions, que connaissaient les Stark. Ces derniers se retrouvent projetés dans des rapports de force dont ils ne savent encore rien. Catelyn, l'épouse de Ned, reçoit ainsi un message inquiétant de sa soeur, veuve de Jon Arryn, affirmant que la mort de ce dernier n'a pas une cause naturelle. Quels secrets et machinations sont à l'oeuvre à Port-Réal ? L'union envisagée entre trois des principales Maisons du Royaume (Baratheon, Stark et Lannister) que permettrait le mariage de Sansa avec le prince héritier, fils de Robert et de Cersei, revêt soudain une importance particulière.

Loin de ces considérations nordiques, sur un autre continent, un autre héritier, celui-ci considéré comme "légitime", manoeuvre également pour reconquérir son pouvoir perdu. Derniers descendants de la lignée déchue des Targaryen, Viserys marie en effet sa soeur Daenerys à un chef militaire puissant, Drogo, dans l'espoir d'obtenir une armée lui permettant de chasser l'usurpateur du Royaume des Sept Couronnes, ainsi que tous les traîtres qui avaient scellé la chute de leur Maison, les Stark comme les Lannister, dont le surnom du frère de la reine est resté, après toutes ces années, inchangé : le Régicide.

La lutte pour la conquête du Trône de Fer peut débuter... L'hiver vient.

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Ce résumé condensé ci-dessus ne fait qu'effleurer la complexité et la richesse d'un univers qui ne demande qu'à se construire et s'animer sous nos yeux. Le défi du pilote allait donc résider dans sa capacité de retenir l'attention et d'éveiller la curiosité du téléspectateur pour qui ce cadre était inconnu, sans le perdre au détour de cette galerie de personnages hauts en couleur et d'intrigues compliquées. Le tout, en apportant dans le même temps suffisamment de nuances et de soins à une reconstitution appliquée afin que les personnes déjà familières de l'histoire soient elles-aussi captivées. Dans la recherche de cet équilibre narratif, Game of Thrones s'en sort avec les honneurs.

En effet, l'épisode mêle habilement des séquences d'exposition et des passages déjà déterminants pour le futur en train de se mettre en mouvement, l'importance des décisions à prendre étant perceptible. On se sent rapidement impliqué dans les évènements qui s'annoncent. On partage ainsi, par exemple, l'inquiétude et le dilemme de Ned. Mais la preuve la plus éclatante que l'on est vraiment entré dans l'histoire, c'est la vraie claque téléphagique que l'on subit lors de la scène de fin, ô combien marquante : elle vous laisse le souffle presque coupé, même lorsque vous saviez ce qui allait se produire. Après une telle conclusion qui scelle définitivement notre plongée dans le royaume, il n'est même pas pensable de ne pas lancer l'épisode suivant !

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Construit sur un rythme de narration plutôt rapide qu'explique l'effort de condenser tant d'informations en une petite heure, il faut noter que l'épisode suit rigoureusement les débuts du premier tome dont il est l'adaptation, sélectionnant de manière opportune les scènes clés déterminantes. Il va à l'essentiel. Il n'y a rien en trop, et les scénaristes ont su choisir les échanges qui, par leurs répliques ou la mise en scène symbolique qu'ils occasionnent, permettent de poser tant les enjeux que de présenter des protagonistes dont la complexité ira croissante.

D'ailleurs, il faut bien insister sur cette capacité à susciter une fascination (pour les Lannister) ou de l'affection (pour les Stark) à l'égard de tous ces personnages, qui sont autant de pions sur une vaste partie d'échecs pour le pouvoir. L'attrait de ces figures souvent ambivalentes s'explique par une absence de manichéisme rafraîchissant. Cela demeure un des apports les plus fondamentaux de l'oeuvre de George R. R. Martin, et ce pilote en pose les bases prometteuses, notamment par la mise en scène des frères Lannister que j'ai trouvés parfaitement introduits. Le souffle épique et l'âme de la saga sont donc tous deux perceptibles dans cette première immersion fidèle.

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Soignée sur le fond, Game of Thrones l'est aussi sur la forme. La réalisation est aboutie et, surtout, avec cette volonté de condenser un maximum d'informations, voire d'esquisser des suggestions non encore formulées, de nombreux plans jouent un registre très symbolique dans leur mise en scène. C'est vraiment appréciable à suivre. Sans doute le téléspectateur ne connaissant pas l'univers ne fera pas immédiatement attention à tous ses détails, mais cela renforce cependant le sentiment que l'on a une série vraiment penséee qui pose ici ses premières fondations.

De même, l'épisode sait mettre en valeur et distinguer les différents lieux qui seront déterminants pour la suite. Pour le moment, la sobriété froide de Winterfell tranche de façon convaincante avec l'exotisme du continent de l'Est, tandis que le Mur apparaît, brièvement, glacé au possible et que Port-Réal devrait symboliser le véritable luxe. Précisons que nous nous situons plutôt dans un registre plutôt de low fantasy, à savoir que le décor médiéval se veut globalement réaliste. S'il y aura des éléments plus caractéristiques de la fantasy par la suite, il y a une réelle volonté de nous introduire dans un univers où les luttes de pouvoir entre ces différentes puissantes familles suivent l'art de la guerre et de la ruse propre à toute intrigue de ce genre.

De plus, Game of Thrones bénéfice d'une bande-son vraiment excellente qui colle parfaitement à l'atmosphère de l'histoire. C'est dès le générique que les ambitions sont affichées. En effet, non seulement réussit-il à présenter le cadre, géographique et géopolitique de la série, mais sa musique est une vraie réussite : entraînante juste comme il faut, avec une tonalité un peu grave qui renforce l'impression de solennité du récit et confère à l'ensemble ce souffle épique qui lui sied si bien. 

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Enfin, Game of Thrones repose sur une galerie impressionante de personalités fortes qu'il convenait donc de bien transposer à l'écran. Le passage de l'imaginaire du livre au concret de la série est globalement bien conduit. Sean Bean est convaincant en Eddard (Ned) Stark, avec cette noblesse pleine de principes qui semble un peu isolée au milieu de toutes ces ambitions pragmatiques. Je serais un peu plus mesurée quant au choix de Michelle Fairley comme épouse, peut-être trop éteinte par rapport à l'idée que je me faisais de Catelyn. En revanche, j'ai trouvé les enfants Stark juste parfaits. Ils gagnent une paire d'années au passage par comparaison aux livres (par rapport à la chronologie originale, tout l'univers gagne deux ans), mais trouvent dès les premières scènes le ton juste, servis par une introduction vraiment bien menée lors d'une séance de tir à l'arc pleine de symboles. J'ai été tout particulièrement heureuse du choix de mes Stark préférés, c'est-à-dire Jon Snow (Kit Harington), Brandon (Isaac Hempstead-Wright) et Arya (Maisie Williams). Robb est incarné, avec cette fierté caractéristique, par Richard Madden et la si sensuelle Sansa par Sophie Turner.

Dans les autres maisons, si Mark Addy, pour jouer le roi Robert Baratheon, est également très bien casté, je serais un peu plus mitigée du côté des Lannister. En fait, pour ce qui est des deux frères, ce serait presque un euphémisme que d'affirmer que je les ai trouvés extra. En deux scènes, Peter Dinklage impose immédiatement Tyrion à l'écran de façon assez jubilatoire (forcément, ses répliques le sont toujours) et me rappelle pourquoi il est mon personnage préféré de toute la saga. Tandis que Nikolaj Coster-Waldau trouve vraiment l'ambivalence adéquate pour Jaime, avec cet "attachement" familial sincère (dans tous les sens du terme) qui contrebalance étrangement l'inimité suscitée par ses actes. De plus, il prononce la dernière et grande phrase marquante de l'épisode avec une pointe de désinvolture caractéristique juste parfaite. En revanche, je reste réservée sur le choix de Lena Headey en Cersei qui m'est apparue trop en retrait et effacée par rapport aux autres.

Enfin, du côté des Targaryen (une autre famille aux moeurs très saines, mais les Targaryen se mariant entre eux depuis des générations, on dira que la consanguinité est ici normalisée, avec toutes les conséquences qu'elle implique), Emilia Clarke impose une grâce assez troublante dans ce personnage de Daenerys, mêlant une fragilité évidente mais aussi une force plus sourde, qui ne demande qu'à s'éveiller, symbolisée par la scène où elle plonge dans l'eau presque bouillante : les dragons ne craignent pas le chaud. Quant à Viserys, les amateurs de Doctor Who auront sans doute reconnu Harry Lloyd, et il trouve instantanément ses marques pour mettre en scène ce prince dévoré, sans le moindre recul, par l'ambition et le désir de vengeance. Et pour incarner le nouvel époux de Daenerys, Khal Drogo, on retrouve un Jason Momoa (Stargate Atlantis) qui se fond très bien dans ce décor violent et exotique.

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"The things I do for love..." (Jaime Lannister)

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Bilan : Offrant une mise en images aboutie et particulièrement soignée, regorgeant d'une symbolique assez jubilatoire, le pilote de Game of Thrones propose une introduction efficace, posant les bases de l'univers en présentant les protagonistes et les grands enjeux. On perçoit non seulement la densité d'un univers où il y a tant à explorer, mais également le caractère épique que vont vite prendre ces luttes de pouvoir. Le seul regret éventuel viendra de la durée presque trop courte, obligeant à condenser au maximum et donc à laisser de côté certains aspects (les croyances religieuses avec la scène de l'arbre, etc.). Il y a tant de choses qu'il faudra préciser ; mais je pense que, par exemple pour la Garde de Nuit, tout viendra en son temps.

En résumé, c'est avec le regard brillant et une pointe d'émerveillement que j'ai suivi ce premier épisode d'une saga assurément prometteuse : la suite, vite !


NOTE : 9/10


Une bande-annonce de la série :

Le (superbe/somptueux) générique :