04/01/2015
(US) Mozart in the jungle, saison 1 : la musique classique dans tous ses états
Ouvrons 2015 en musique ! Plus précisément, ouvrons l'année au rythme d'un air de musique classique qui résonnera durablement dans vos oreilles après la fin d'un épisode. C'est en effet dans les coulisses d'un grand orchestre New Yorkais que nous plonge Mozart in the Jungle, dernière série née d'Amazon (après Transparent cet automne), dont les 10 épisodes de la première saison ont été mis en ligne juste avant les fêtes de fin d'année. Adaptant pour le petit écran les mémoires de Blair Tindall, une hautboïste ayant notamment joué au sein de l'orchestre philharmonique de New York, la fiction nous plonge dans la préparation mouvementée de la saison de concerts à venir, pour laquelle la direction décide d'embaucher un nouveau chef d'orchestre, génie incontrôlable, Rodrigo.
De la déjantée série japonaise Nodame Cantabile à l'attachante sud-coréenne Beethoven Virus, l'univers de la musique classique a déjà été exploré à plusieurs reprises par le petit écran (avec, pour trait commun, cette invariable fascination pour la figure du chef d'orchestre). L'approche de l'américaine Mozart in the Jungle, visant à dévoiler les coulisses d'une grande institution culturelle, rappellera cependant sans doute plus au téléspectateur occidental la démarche adoptée par la brillante -et savoureuse- série canadienne Slings & Arrows qui nous avait immergé dans le milieu du théâtre durant trois saisons (série injustement méconnue et pourtant incontournable, recommandée à tout sériephile). Mozart in the Jungle n'a certainement pas sa richesse d'écriture, mais elle n'en est pas moins d'un visionnage fort sympathique.
Si Mozart in the Jungle bénéficie de l'originalité de l'univers mis en scène -les dessous d'un grand orchestre-, elle entreprend d'y transposer des ficelles narratives très familières. La clé d'entrée du téléspectateur dans ce milieu musical est une jeune hautboïste, Hailey, venue lancer sa carrière à New York et dont le rêve est d'intégrer une telle institution. Une chance va lui être donnée par Rodrigo, opportunité qu'elle ne va cependant pas concrétiser aisément. Si le duo formé par l'apprentie et le chef d'orchestre occupe une place centrale dans la narration, Mozart in the Jungle opte opportunément pour une approche plutôt chorale, s'attachant à différentes figures qui lui permettent d'explorer diverses facettes : l'ancien maestro poussé par la sortie mais qui ne peut s'y résoudre, la belle violoncelliste servant de mentor à Hailey, la directrice de l'institution qui s'efforce tant bien que mal d'équilibrer les comptes et de faire entrer l'orchestre à l'ère de la communication moderne, ou encore un syndicaliste toujours prompt à rappeler les pauses dues durant les répétitions... Chacun suit une partition connue ; et cela donne des relations, et des développements, relativement convenus -oscillant entre solidarité, concurrence, voire attirance. Mais la série peut s'appuyer sur un solide sens du dialogue, et des rapports entre les personnages qui restent toujours très dynamiques. On s'attache facilement à cet ensemble. Et si l'écriture manque parfois de consistance, elle a néanmoins le mérite de savoir ne pas précipiter les choses, tout en revendiquant une légèreté appréciable.
En dix épisodes, Mozart in the Jungle se montrera inégale, avec des instants de grâce, mais aussi quelques flottements -vite balayés par un rythme rapide qui ne faiblit jamais. La série n'oublie pas que son principal atout demeure le cadre musical qu'elle porte à l'écran : le charme opère justement lorsqu'elle l'exploite pleinement. La fiction s'affirme dès qu'elle se laisse entraîner sur la pente de la passion musicale -communicative- de ses protagonistes. Elle devient alors une œuvre pétillante et savoureuse, s'affranchissant et dépassant la construction relativement banale de son scénario. Par intermittence, un petit grain de folie surgit même ; la série se fait plus décalée et se savoure sans modération. Dans cette optique, c'est logiquement la figure incontrôlable de Rodrigo qui concentre, avec une flamboyance assumée, ces éclats. Le personnage déborde d'une énergie qui rallie le téléspectateur à ses différents élans plus ou moins maîtrisés. Son interprète, Gael Garcia Bernal, s'en donne d'ailleurs à cœur joie, surjouant ce génie enthousiaste incompris, qui n'a pas son pareil pour entraîner tous ceux qui l'entourent. Enfin, pour happer le téléspectateur, la bande-son joue parfaitement son rôle. Destinés à accompagner et à marquer une atmosphère qui revendique un mélange confus de légèreté et de passion, les morceaux sont bien choisis. Et la musique classique retentira même parfois dans des lieux inattendus, à l'image du concert improvisé en plein air lors de l'épisode 6.
Mozart in the Jungle est dans l'ensemble une série plaisante à visionner. Divertissante, souvent légère, pétillante même, c'est une fiction assez calibrée qui, par-delà les inégalités de son récit, sait aussi réussir, à partir d'un tel sujet, quelques belles fulgurances qui sont à saluer. Le charme opère sans peine grâce à sa mise en scène d'un souffle de passion musicale qu'elle a communicative, un souffle entraînant qui touche et emporte le téléspectateur aux côtés des protagonistes. Si la série a certaines limites, elle n'en offre donc pas moins un visionnage sympathique. Avis aux curieux !
NOTE : 7/10
La bande-annonce de la série :
20:23 Publié dans (Séries américaines) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : amazon, mozart in the jungle, gael garcia bernal, lola kirke, saffron burrows, hannah dunne, malcolm mcdowell, bernadette peters | Facebook |
07/12/2014
(US) Madam Secretary, saison 1 - 1ère partie : jeux de pouvoir et gestion de crises internationales à Washington
Les dernières semaines de novembre sont l'occasion pour moi de faire le bilan de la rentrée des grands networks américains. Après avoir beaucoup présélectionné et jeté un œil à une poignée de pilotes en septembre, sans le moindre coup de cœur, j'accorde une chance à une ou deux nouveautés pour un éventuel rattrapage de mi-saison coïncidant avec le hiatus hivernal. C'est pourquoi je peux donc désormais écrire que How to get away with murder a confirmé toute mon incompréhension face à une écriture de tous les excès, dont il est attendu de chanter les louanges actuellement, mais dans laquelle je ne me retrouve décidément pas. Cependant, c'est un cas plus ambigu -que je n'ai pas encore tranché définitivement- qui a retenu mon attention. Celui d'une autre nouveauté, diffusée sur CBS : Madam Secretary.
Pour qui The West Wing a constitué un déclic dans sa sériephilie de jeunesse, le retour à Washington est toujours empreint d'une certaine nostalgie, entremêlée d'espoirs et d'attentes souvent mal récompensés, à l'aune desquels sont invariablement évaluées toutes les nouvelles prétendantes. Arpenter les coulisses du pouvoir -de Scandal (deux saisons visionnées) à House of Cards US (vu 2 épisodes, puis j'ai préféré regarder à nouveau House of Cards UK), en passant par la toute récente State of Affairs (non testée)- exerce toujours un attrait, en dépit du passif représenté par Commander in Chief ou encore Political Animals. Face à tous ces précédents, au terme de ces onze premiers épisodes, où Madam Secretary se place-t-elle sur l'échelle des fictions politiques américaines du XXIe siècle ?
Madam Secretary, c'est l'histoire d'Une fille à scandales (Téa Leoni) qui se retrouve propulsée au poste de secrétaire d'État suite à la disparition de son prédécesseur dans un mystérieux accident d'avion. Proposant un mélange des genres au sein duquel l'équilibre n'est pas immédiat, la série esquisse un cocktail ambitieux, se plaçant au confluent du thriller diplomatique international (un récit de gestion de crises au quotidien), du drama familial (la nomination à une fonction aussi exposée troublant quelque peu l'harmonie familiale de la nouvelle secrétaire d'État) et de la fiction conspirationniste (que cache la mort de l'ambitieux homme d'État dont elle a pris la succession ?). Les débuts n'en sont pas moins poussifs, pas seulement parce que Bess McCord doit apprendre à faire face aux contraintes de son nouvel environnement professionnel et à l'hostilité relative d'un staff qu'elle n'a pas choisi.
Sur le plan politique, le format procedural sied assez mal aux crises internationales majeures qu'il convient de régler en 40 minutes, montre en main, et à la complexité inhérente aux jeux diplomatiques. De plus, il est difficile de rejouer Treize jours toutes les semaines en y insufflant la tension dramatique qui convient. À ces problèmes de crédibilité qui entachent l'efficacité des scénarios, s'ajoute un portrait des relations internationales, cédant à bien des caricatures et autres poncifs, qui peut légitimement agacer. Autant d'aspects sur lesquels une série comme Political Animals, par exemple, s'était irrémédiablement échouée. La force de Madam Secretary va être de parvenir à asseoir et à affiner ses atouts au fil des épisodes, avec une seconde moitié de première partie de saison qui laisse peu à peu entrevoir des choses de plus en plus intéressantes.
La série gagne tout d'abord en homogénéité, notamment en prenant le temps d'exploiter la galerie des personnages qui gravitent autour de Bess. Au sein de son staff, le sens de la répartie des uns et des autres fonctionne de mieux en mieux, y compris dans le registre de l'humour où les répliques et l'impeccable timing de Blake, l'assistant de Bess, font des merveilles. Cela permet de déjouer toute tentation de drama trop pompeux qui se prendrait excessivement au sérieux. Côté familial, la caractérisation reste inégale. Les scénaristes peinent à décider quel rôle attribuer au mari de Bess, entre le professeur observateur extérieur et l'espion réactivé qu'elle entraîne dans son enquête sur la mort de son prédécesseur. Conséquence immédiate, le personnage manque de constance. Mais le couple n'en a pas moins des passages qui sonnent justes, et un potentiel certain qui ne demande qu'à être exploité.
En outre, Madam Secretary acquiert aussi plus de consistance dans son versant diplomatique. À défaut d'histoires originales (avec des sources d'inspiration transparentes), quelques gestions de storylines se révèlent assez intéressantes. Surtout, la série apprend à déjouer certaines évidences, à nuancer un peu ses vues, et plus généralement à ne pas rentrer systématiquement dans une course à la surenchère permanente par crainte de laisser filer l'attention du téléspectateur. La gestion du fil rouge conspirationniste illustre assez bien ce dosage, qui semble se faire plus assuré dans les derniers épisodes. Tout en jouant pleinement la carte d'une méfiance de plus en plus accrue vis-à-vis de la Maison Blanche, l'écriture fait ainsi le choix de ne pas tirer à outrance sur la corde. Les cartes sont abattues rapidement. L'épisode 11 se conclut sur une redistribution qui, en dépassant la piste d'un simple complot interne, ouvre des perspectives. En posant de nouvelles problématiques, la série complexifie d'autant la partie en cours et aiguise donc la curiosité pour la suite.
Transposer dans le petit écran une gestion au quotidien de crises diplomatiques, souvent complexes et qui mériteraient un traitement très nuancé, n'est certainement pas une tâche facile - d'aucuns la qualifieraient d'impossible. Sans surprise, Madam Secretary se heurte à un certain nombre d'écueils propres à cette ambition. Pour autant, en onze épisodes, la série montre une progression dans le bon sens au sein des différents registres qu'elle essaie d'investir. Les dynamiques relationnelles restent certainement l'atout le plus accessible, à préserver et à continuer d'affiner. Quant au versant politique, sans doute le plus fragile, l'écriture se montre capable d'éviter la course à la surenchère et s'offre même quelques fulgurances qui réveillent par instant le fantôme des grandes heures de la fiction politique à la télévision américaine.
Cette première partie de saison est donc inégale, mais laisse cependant entrevoir des choses intéressantes. La série parviendra-t-elle à faire mûrir et à exploiter ce potentiel entraperçu, ou retombera-t-elle dans certains travers dont il est difficile de s'affranchir ? Le reste de la saison nous le dira. Mais, pour l'instant, je compte poursuivre le visionnage malgré ces réserves. Et pour une sériephile aussi peu américano-centrée que moi, c'est déjà à saluer. À suivre.
NOTE : 6,25/10
Une bande-annonce de la série :
19:59 Publié dans (Séries américaines) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cbs, madam secretary, téa leoni, tim daly, patina miller, geoffrey arend, erich bergen, katherine herzer, evan roe, wallis currie-wood, zejiko ivanek, bebe neuwirth | Facebook |
28/09/2014
(US) Manhattan, saison 1 : 'What about the next war ?'
"What about the next war ? What happens when Stalin's got one ? China ? The Shah of Iran ? You know the story of the golem ? A rabbi wanted to protect the Jews of Prague, so he built an automaton out of mud, brought it to life. First the golem kills the enemies of the Jews. Then it turns on Jews themselves. See, he couldn't control it. He'd built Frankenstein's monster."
(Charlie Isaacs)
L'un des thèmes à la mode, en ce moment dans les fictions, ce sont les scientifiques et leurs rôles durant la Seconde Guerre Mondiale. En attendant la sortie d'un film comme The Imitation Game, présenté au festival de Toronto ce mois-ci, on peut citer par exemple le téléfilm unitaire proposé par BBC2 début septembre, Castles in the sky, consacré à la mise au point du radar par les Britanniques dans les années 30. De l'autre côté de l'Atlantique, les États-Unis ne sont pas en reste, puisque c'est la chaîne WGN - continuant ainsi à se positionner dans le domaine des séries après Salem - qui s'est appropriée ce sujet depuis le mois de juillet avec Manhattan. Neuf épisodes ont été diffusés à ce jour, sur les treize que comptera la première saison. Si elle est l'objet de ce billet dominical, c'est que cette série est certainement ma nouveauté américaine préférée de l'été.
La première image de Manhattan lance un décompte : le récit débute 766 jours avant Hiroshima. Nous sommes en pleine Seconde Guerre Mondiale, mais la série éclaire un front particulier, celui d'une course contre-la-montre scientifique entre les grandes puissances engagées dans le conflit, en quête d'une arme nucléaire dont la mise au point sera décisive pour le pays qui la possèdera. L'issue de ces recherches est connue du téléspectateur. L'enjeu de la série n'est donc pas de savoir si les équipes réunies au sein du projet américain réussiront, mais la manière dont elles vont y parvenir, avec toutes les difficultés, mais aussi les questionnements, qui marqueront ce long parcours. Partant de là, ce qui frappe immédiatement le téléspectateur s'installant devant Manhattan, c'est à quel point le récit, servi par un rythme de narration rapide, est parcouru de tensions contradictoires permanentes. La série tout entière se construit sur des confrontations personnelles et des interrogations éthiques qui foisonnent à tous les niveaux. Cette approche lui permet de prendre pleinement la mesure de la richesse thématique qu'offrent ces événements se déroulant dans un coin reclus du Nouveau-Mexique.
Réunir dans un huis clos les plus grands cerveaux du pays pour travailler à l'élaboration d'une bombe ne pouvait que donner des relations de travail compliquées. L'humilité et le relationnel sont loin d'être les qualités premières de ces scientifiques toujours prompts à se concurrencer. Manhattan met donc en scène des rapports de force constants, où chacun avance ses pions et tente de peser sur les orientations du projet, sans pour autant négliger forcément son propre agenda de recherches. Tout se décline en rivalités. Les répliques y sont cinglantes et les réparties mordantes, apportant un piment appréciable à des dialogues souvent vifs. À ces tensions internes à une communauté universitaire délocalisée et reconstituée en plein désert, s'ajoutent des rapports difficiles avec l'armée et le contre-espionnage. La sécurité est en effet censée tout primer, légitimant la multiplication de mesures intrusives dans la vie quotidienne et l'intransigeance avec laquelle est accueillie la moindre infraction aux règles établies. Ce cadre aux accents kafkaïens contribue à cultiver une paranoïa vite pesante, presque oppressante, incessant rappel de cette guerre qui se déroule à des milliers de kilomètres de là.
Un autre des grands atouts de Manhattan est de ne jamais oublier où conduit ce projet et les questionnements légitimes soulevés. L'objectif de mettre fin à la guerre peut-il vraiment justifier la mise au point d'une telle arme ? Remettre cette bombe, capable d'une telle destruction, entre les mains des militaires peut-il être source de paix ? Quel avenir s'ouvre avec une ère où les grandes puissances disposeront d'une telle force de frappe ? Autant d'interrogations qui résonnent avec une acuité particulière auprès d'un téléspectateur qui sait très bien où tout cela mène. La situation est d'autant plus compliquée pour ces scientifiques qu'ils ont emmené avec eux leurs familles. Ces dernières subissent non seulement un dépaysement désertique loin de tout, mais aussi les prises de distance d'époux contraints de compartimenter leurs journées pour préserver la sécurité. Derrière les dynamiques de couples qui s'enraillent face aux secrets, se ressent en permanence le poids d'un projet qui hante les consciences de chacun de ses participants.
Servie par un casting solide et une écriture dynamique qui rend le visionnage agréable, Manhattan est une série qui traite de thèmes qui ont toujours une résonance particulière aujourd'hui. Au fil des épisodes, s'esquisse en effet un portrait qui ne peut qu'interpeller : est mise en scène une course aux armements avec tous les moyens d'un État moderne, lequel rationalise à l'extrême le processus et sacrifie, en conscience, un certain nombre de principes et de droits élémentaires au nom d'un intérêt supérieur. Face aux problématiques soulevées, chaque personnage permet d'apporter un éclairage personnel, fruit de ses origines et/ou de sa propre expérience. C'est donc une série aux propos riches, qui sait happer le téléspectateur. Espérons qu'elle poursuive sur cette voie, notamment en continuant à doser sans déséquilibre les deux versants professionnel et personnel des protagonistes. À suivre.
NOTE : 7,5/10
La bande-annonce de la série :
Le générique de la série :
20:02 Publié dans (Séries américaines) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : wgn, manhattan, john benjamin hickey, olivia williams, ashley zukerman, rachel brosnahan, daniel stern, katja herbers, harry lloyd, alexia fast, christopher denham, michael chernus | Facebook |
21/09/2014
(US) E.R. (Urgences) : petit hommage à une série fondatrice
Si ce dimanche marque le véritable coup d'envoi de la rentrée des networks américains, la semaine écoulée a été marquée par un autre type de célébration. Une rentrée plus ancienne occupait l'esprit du sériephile enclin à la nostalgie, celle de 1994. Il y a déjà vingt ans (et deux jours), NBC lançait en effet une série qui n'a pas usurpé le qualificatif souvent galvaudé de "générationnelle". Un style, une durée et des personnages qui en ont marqué plus d'un : c'était E.R. (Urgences). Débutée en 1994, elle n'a débarqué qu'à l'été 1996 en France. Elle allait pourtant créer un rituel télévisuel automnal incontournable, allégeant d'autant le retour sur les bancs du collège ou du lycée (pour les premières saisons en ce qui me concerne). Installés devant France 2, nous terminions immanquablement le week-end dans les couloirs du Cook County. Suivant ainsi le chemin défriché par X-Files sur M6, Urgences a contribué à asseoir les séries américaines en prime-time, familiarisant le téléspectateur, dans cette ère sans haut débit, à la temporalité sériephile.
Urgences est un des monuments fondateurs de ma passion pour le petit écran. Elle est sans doute arrivée un peu tôt pour produire le déclic que provoquera cinq ans plus tard A la Maison Blanche, mais elle a construit, avec quelques autres séries de sa décennie, mon éducation sériephile et des réflexes toujours bien présents. Cette série populaire réunit les ingrédients qui représentent encore aujourd'hui, à mes yeux, l'essence même de ce que doit être une œuvre télévisée. Au sein de ce service des urgences de Chicago, ce sont autant d'importants enjeux liés aux services de santé, et de manière générale de grands thèmes de société, qui faisaient irruption dans le sillage des patients se succédant à l'hôpital. Le cadre se prêtait parfaitement à une fiction, permettant de jouer sur une dimension théâtrale et un rythme incertain et changeant, capable de s'emballer comme peu de récits. Pour reprendre l'expression chère à Martin Winckler, Urgences était un véritable "miroir de la vie", reflet réaliste, esquissé sans complaisance, d'une grande ville américaine, de sa population et des problématiques auxquelles elle était confrontée.
Vingt ans après, demeure le souvenir d'une longue chronique de société, seulement achevée en 2009, au terme de 15 saisons. Le parcours n'a pas été homogène, avec des accidents et une qualité devenue en dents de scie. Par-delà l'importance du discours tenu et des thèmes traités, la force d'Urgences a aussi été de savoir reposer sur un facteur humain déterminant pour l'engagement du téléspectateur. Certes, avec le recul, il me faut constater que c'est l'équipe des premières saisons qui est restée inchangée dans ma mémoire. Les autres personnages, condamnés à n'être que d'éternels nouveaux venus, ont été les greffes d'un renouvellement nécessaire qui, inconsciemment ou non, n'a jamais été totalement enregistré. Pour autant, le lien humain ne fut pas rompu. Une des règles classiques du scénariste, pour immerger le téléspectateur dans les codes d'un univers particulier, est d'utiliser comme clé d'entrée narrative un nouveau. Urgences est de celles qui ont réussi cet exercice au-delà de toutes espérances. Débarqué durant le pilote avec sa blouse blanche immaculée trop bien taillée, Carter a été l'âme de la série. Il a mûri devant nous et est resté notre fil rouge. Je reconnais n'avoir jamais pu regarder que par intermittence les saisons où il a été absent.
Enfin, si Urgences a été une fiction capitale à plus d'un titre, elle n'est pas seulement une œuvre à analyser et à intellectualiser pour y trouver une radiographie de la société américaine d'alors. Elle a légué au téléspectateur bien plus que cela, avec quelques flashbacks à jamais profondément ancrés dans le panthéon du sériephile. Ce sont des scènes qui pincent encore le cœur et humidifient les yeux comme au premier visionnage lorsqu'elles se rejouent dans nos têtes, ou lorsqu'on les recroise au détour d'une rediffusion. Parce que personne n'oubliera jamais Lucy, agonisant dans cette salle des urgences tandis que le service fait la fête à côté, inconscient du drame qui se noue. Parce que la chanson Over the rainbow, à la légèreté entêtante, est restée celle d'un adieu. Urgences a laissé à son téléspectateur une suite de souvenirs empreints d'émotions brutes, intacts après toutes ces années, et que l'on chérit toujours comme autant de parts de ce monument télévisuel protéiforme.
En résumé, Urgences a posé sa marque indélébile, dans des registres bien différents, sur l'univers des séries télévisées. Il faut donc me pardonner cet élan nostalgique, mais ces 20 ans d'anniversaire méritaient bien un billet dominical, un hommage forcément trop court mais une petite célébration nécessaire... le tout avant de se lancer dans la nouvelle saison des networks US.
♫ Somewhere over the rainbow... ♫
20:22 Publié dans (Séries américaines) | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : urgences, er, nbc, noah wyle, anthony edwards, sherry stringfield, julianna margulies, eriq la salle, george clooney, laura innes, alex kingston, goran visnjic, maura tierney | Facebook |
14/02/2014
(US) Sleepy Hollow, saison 1 : cavalier sans tête, Apocalypse et duo de choc
Débarquée cet automne 2013 sur la Fox, Sleepy Hollow est la bonne surprise de la saison parmi les nouveautés des grands networks américains. J'avoue pourtant que c'était d'un œil quelque peu perplexe que j'avais parcouru son synopsis lorsque la série avait été commandée. En guise de libre adaptation de la nouvelle de Washington Irving, j'avais vaguement en tête le film de Tim Burton, mais le résultat du pitch proposé laissait songeur... Treize épisodes plus tard, les doutes ont été balayés : la série s'est imposée comme un divertissement fantastique aussi décomplexé que rafraîchissant. Très plaisant.
Pour les retardataires, rappelons brièvement que Sleepy Hollow met en scène deux personnages aux destinées liées, un soldat de la fin du XVIIIe siècle ayant participé à la guerre d'indépendance des États-Unis et une policière contemporaine. Ils se retrouvent confrontés à des forces démoniaques œuvrant pour rien moins que... l'Apocalypse.
Servis à un téléspectateur qui, au cours des deux dernières décennies a vu évitées plus d'une apocalypse, de Buffy à Supernatural, les bases de départ sonnent logiquement familières. Il faut cependant reconnaître que Sleepy Hollow parvient à se réapproprier cette idée de lutte ultime pour en proposer sa propre version. La série entremêle et revisite joyeusement les références bibliques (les cavaliers de l'Apocalypse) et celles de l'Histoire américaine (la guerre d'Indépendance), faisant par exemple de Washington, non plus seulement un père fondateur du pays, mais aussi un combattant contre des forces occultes à l’œuvre. La fiction offre ainsi une relecture de divers passages des premières années d'indépendance des États-Unis à la lumière d'un conflit surnaturel combattu dans l'ombre. Dans ces flashbacks historiques, comme dans le présent, elle décline toujours avec enthousiasme ses classiques du folklore fantastique, voire de l'horreur, entre démon, cavalier sans tête/de l'Apocalypse et sorcières.
Pour exploiter cet univers, Sleepy Hollow repose sur une construction feuilletonnante où le toutélié est bien calibré. C'est-à-dire que les épisodes proposent des affaires/enquêtes qui peuvent sembler au départ indépendantes, mais qui finissent par rejoindre d'une façon ou d'une autre la trame principale, apportant ainsi de nouveaux développements aux grandes manœuvres en cours. La série tire ici partie d'un format de 13 épisodes, utilisé à bon escient, qui n'a opportunément pas été rallongé par la Fox. S'il y a bien quelques épisodes plus creux, l'intrigue progresse vite, sans temps mort, avec une mythologie qui s'étoffe rapidement. La fiction assume crânement son concept et, surtout, trouve l'approche et la tonalité qui conviennent : ne pas se prendre excessivement au sérieux, être capable de piques et de réparties plus légères, tout en ne négligeant pas une dimension plus dramatique et émotionnelle -car les personnages vont traverser des épreuves éprouvantes.
Cette écriture entraînante est rythmée par les nombreux rebondissements et révélations sur lesquels la série sait parfaitement jouer pour ne jamais risquer de faire du surplace -le final est à ce titre un modèle d'exécution particulièrement enthousiasmant. Cependant le charme de Sleepy Hollow doit aussi beaucoup à la dynamique d'un duo principal qui fonctionne immédiatement à l'écran. Par-delà le caractère improbable de leur association, tant les deux personnages sont différents, la série exploite très bien la source inépuisable de décalages, humoristiques ou non, qu'offre l'idée de parachuter un homme du XVIIIe siècle dans le présent, sans pour autant trop en faire. A mesure que la confiance et l'estime se construisent entre Ichabod et Abby, sont peu à peu posées les bases d'une amitié solide entre ces deux figures réunies par le destin. Sans ambiguïté, ni la moindre tension sexuelle, leur complicité est extrêmement plaisante à suivre et constitue probablement la fondation la plus pérenne sur laquelle peut miser la série.
Côté casting, Tom Mison (Lost in Austen, Parade's End) déclame son texte avec un côté théâtral qui sied parfaitement à ce personnage d'un autre temps. Son accent, comme ses habits (la mode moderne lui restant viscéralement étrangère), renvoie l'image d'un personnage échappé d'un costume drama et propulsé dans un présent auquel il se heurte à bien des changements, mais dans lequel il va peu à peu prendre pied, mobilisé par la lutte en cours, mais aussi par son espoir de retrouver/délivrer son épouse Katrina (interprétée par Katia Winter (Dexter)). Face à lui, Nicole Beharie interprète avec aplomb une jeune femme déterminée, dont la façade assurée cache aussi des blessures plus anciennes. En ce qui concerne les personnages plus secondaires, en positif, il faut signaler la présence de John Noble (Fringe) pour un rôle à multiples facettes. En plus négatif, le temps d'écran d'Orlando Jones aurait sans doute pu être réduit sans peser sur le développement de la trame principale...
Bilan : Réjouissant divertissement surnaturel, la saison 1 de Sleepy Hollow doit beaucoup à une écriture directe et efficace, qui exploite pleinement et sans détour le concept de la série, en trouvant la tonalité qui convient. Elle ne tergiverse jamais : on entre immédiatement dans le vif du sujet et l'histoire progresse vite. Chaque épisode est utilisé pour apporter une pierre supplémentaire à l'édifice en construction, ce qui permet à la mythologie de se densifier rapidement. Cependant, si le téléspectateur se laisse happé par ce rythme narratif très vif, c'est la dynamique du duo principal qui fait la petite différence supplémentaire. La série propose en effet sa propre déclinaison de l'association improbable de deux figures dissemblables, unies pour une même cause ; et cela fonctionne.
Jusqu'au terme de son treizième épisode, Sleepy Hollow a ainsi su conserver son style et son énergie des débuts. Le final a été à la hauteur. Rendez-vous donc pour une saison 2 afin de voir si les scénaristes confirment et continuent de développer cet ensemble fantastique.
NOTE : 7/10
La bande-annonce de la série (en VOSTF) :
18:52 Publié dans (Séries américaines) | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : fox, sleepy hollow, tom mison, nicole beharie, orlando jones, katia winter, lyndie greenwood, john noble | Facebook |