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26/10/2014

(AUS) The Code, saison 1 : un thriller politique, reflet de problématiques contemporaines

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Journalistes en quête de vérités, autorités gouvernementales plus ou moins zélées et secrets mal gardés forment invariablement le cocktail explosif parfait à partir duquel construire des thrillers qui s'adaptent très bien au format semi-long offert par les mini-séries. La télévision ne s'y est pas trompée, s'essayant assez régulièrement au genre, avec plus ou moins de réussite, du classique britannique State of Play, justement érigé en modèle, à la récente tentative norvégienne, beaucoup plus mitigée, qu'a été Mammon en début d'année. Dans la droite ligne de ces plus ou moins illustres prédécesseurs, cet automne, c'est le petit écran australien qui a apporté sa pierre à l'édifice avec The Code.

Créée par Shelley Birse, et débutée le 21 septembre dernier sur ABC1, cette mini-série s'est achevée il y a quelques heures en Australie (et hier soir en Angleterre, grâce à la diligence de BBC4) au terme de six épisodes. Portée par un casting solide, au sein duquel le sériephile reconnaîtra notamment Ashley Zukerman (actuellement dans Manhattan, dont je vous parlais il y a quelques semaines), Lucy Lawless (Xena) ou encore un Aden Young (Rectify) sous-employé mais impeccable dans ses quelques scènes, elle s'est révélée efficace à plus d'un titre. L'occasion d'y consacrer un billet dominical... australien.

[Edit du 26/11/2014 : La série a finalement été renouvelée pour une seconde saison.] 

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En six heures, The Code tisse une toile complexe dans laquelle vont tenter de se mouvoir des protagonistes qui ne seront guère ménagés tout au long de la série, se retrouvant pris dans des engrenages et des enjeux qui leur échappent. Le récit est dense, construit autour de plusieurs storylines parallèles, sans lien évident entre elles, mais qui sont destinées à se rejoindre et se répondre. Tout part d'une fuite gouvernementale mal orchestrée censée révélée une affaire de mœurs éclaboussant un homme politique. Une feuille de brouillon froissée, glissée dans le dossier, va pourtant conduire Ned Banks, un journaliste, bien au-delà de cette seule histoire : elle l'amène à s'intéresser à un mystérieux accident, impliquant deux adolescents aborigènes, qui s'est produit récemment dans un coin reculé du bush australien. Partant de là, la mini-série rassemble avec aplomb tous les ingrédients du thriller moderne, laissant entrevoir, au sein d'une démocratie australienne où la liberté d'information apparaît cadenassée au nom d'intérêts supérieurs, une face très sombre du pouvoir.

Déroulant une partition familière, entre recherche de sources, intimidations officielles et enquêtes de terrain, The Code ajoute une dimension particulière en y mêlant des problématiques liées à internet, du cyber-activisme jusqu'au contrôle même des informations et des documents mis en ligne sur le réseau. Le duo principal reflète ce parti pris narratif. Ned et Jesse Banks sont deux frères qui symbolisent les deux versants des quêtes d'exposition de la vérité aujourd'hui, à l'ère de WikiLeaks : l'un est journaliste, travaillant pour un site web d'informations, le second est un hacker, que le premier s'efforce -sans réussite- de tenir éloigner des ordinateurs. Ce sont donc des thématiques multiples que la mini-série est en mesure d'aborder. Si l'histoire est rondement menée, avec un dénouement cohérent où toutes les pièces réussissent à s'emboîter, l’œuvre a cependant le défaut de sa richesse : elle n'évite pas certains passages un peu brouillons, se dispersant parfois et ne liant pas toujours de manière maîtrisée tous les aspects qu'elle met en scène. Mais ces quelques flottements ne l'empêchent pas de rester efficace.

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La consistance de The Code s'explique notamment par son investissement dans ses personnages : cela lui confère une épaisseur qui dépasse la seule mécanique à suspense attendue d'un thriller. La mini-série propose en effet une galerie de protagonistes secondaires ayant leur propre part d'ambiguïté à démêler face aux événements, et se retrouvant contraints de prendre position. En outre, au cœur du récit, figurent deux frères très différents. La situation de crise qu'ils traversent va être l'occasion d'explorer la relation complexe, non dénuée d'ambivalence, qu'ils ont nouée, et les limites auxquelles son fonctionnement se heurte. Jesse est en effet atteint d'une forme d'autisme ; Ned a toujours pris sur lui de s'occuper de son frère. Si ce dernier est brillant derrière un écran d'ordinateur, il lui est beaucoup plus difficile de fonctionner en société. Entre Ned et Jesse, un lien de dépendance s'est forgé, chacun envahissant la vie de l'autre, sans être capable de s'épanouir dans la sienne. Les tensions sont fréquentes. Elles vont être exacerbées par l'engrenage dans lequel ils sont entraînés. En les poussant à bout, cette affaire les conduit à remettre en perspective leurs rapports et à s'émanciper, à leur manière.

Enfin, The Code dispose d'un dernier atout qui joue un rôle important dans l'immersion réussie du téléspectateur dans cet univers : la réalisation. Il s'agit en effet d'une mini-série à l'esthétique travaillée, visuellement très réussie. La caméra s'attache à mettre pleinement en valeur le cadre australien. Suivant une technique proche de celle adoptée au printemps dernier par The Gods of Wheat Street, également diffusée sur ABC1, la mini-série intègre, entre certains scènes, de courtes séquences de plans extérieurs dans lesquelles le paysage défile en time-lapse - nous égarant ainsi dans le bush australien, ou dans le ciel, entre couchers de soleil et étoiles. Ce travail d'ambiance, qui est sans doute à rapprocher de celui que maîtrisent à merveille les fictions scandinaves, donne un cachet supplémentaire à la fiction. À noter également, pour compléter ces efforts de forme, que la mini-série propose un vrai générique, au rythme nerveux, qui donne aussi très bien le ton. 

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Thriller politico-médiatique efficace, The Code déroule une partition classique au genre, en prenant soin d'y intégrer des problématiques contemporaines concernant l'information, sa liberté et son contrôle, à l'ère d'internet, au sein de démocraties parfois bien promptes à sacrifier la liberté d'information -et d'autres droits de ses citoyens- au nom de supposés intérêts supérieurs. Un peu brouillonne à l'occasion, se dispersant, mais ne manquant pas de ressources, ni de thèmes à explorer, la mini-série se révèle dense et prenante. Et le voyage visuel qu'elle permet au sein du paysage australien achève de transporter le sériephile à l'âme voyageuse. À découvrir !

(Pour les lecteurs français, sachez que The Code est annoncée la saison prochaine sur Arte. Merci @Lordofnoyze pour l'information.)


NOTE : 7,25/10


La bande-annonce de la mini-série :

28/09/2014

(US) Manhattan, saison 1 : 'What about the next war ?'

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"What about the next war ? What happens when Stalin's got one ? China ? The Shah of Iran ? You know the story of the golem ? A rabbi wanted to protect the Jews of Prague, so he built an automaton out of mud, brought it to life. First the golem kills the enemies of the Jews. Then it turns on Jews themselves. See, he couldn't control it. He'd built Frankenstein's monster."
(Charlie Isaacs)


L'un des thèmes à la mode, en ce moment dans les fictions, ce sont les scientifiques et leurs rôles durant la Seconde Guerre Mondiale. En attendant la sortie d'un film comme The Imitation Game, présenté au festival de Toronto ce mois-ci, on peut citer par exemple le téléfilm unitaire proposé par BBC2 début septembre, Castles in the sky, consacré à la mise au point du radar par les Britanniques dans les années 30. De l'autre côté de l'Atlantique, les États-Unis ne sont pas en reste, puisque c'est la chaîne WGN - continuant ainsi à se positionner dans le domaine des séries après Salem - qui s'est appropriée ce sujet depuis le mois de juillet avec Manhattan. Neuf épisodes ont été diffusés à ce jour, sur les treize que comptera la première saison. Si elle est l'objet de ce billet dominical, c'est que cette série est certainement ma nouveauté américaine préférée de l'été.

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La première image de Manhattan lance un décompte : le récit débute 766 jours avant Hiroshima. Nous sommes en pleine Seconde Guerre Mondiale, mais la série éclaire un front particulier, celui d'une course contre-la-montre scientifique entre les grandes puissances engagées dans le conflit, en quête d'une arme nucléaire dont la mise au point sera décisive pour le pays qui la possèdera. L'issue de ces recherches est connue du téléspectateur. L'enjeu de la série n'est donc pas de savoir si les équipes réunies au sein du projet américain réussiront, mais la manière dont elles vont y parvenir, avec toutes les difficultés, mais aussi les questionnements, qui marqueront ce long parcours. Partant de là, ce qui frappe immédiatement le téléspectateur s'installant devant Manhattan, c'est à quel point le récit, servi par un rythme de narration rapide, est parcouru de tensions contradictoires permanentes. La série tout entière se construit sur des confrontations personnelles et des interrogations éthiques qui foisonnent à tous les niveaux. Cette approche lui permet de prendre pleinement la mesure de la richesse thématique qu'offrent ces événements se déroulant dans un coin reclus du Nouveau-Mexique.

Réunir dans un huis clos les plus grands cerveaux du pays pour travailler à l'élaboration d'une bombe ne pouvait que donner des relations de travail compliquées. L'humilité et le relationnel sont loin d'être les qualités premières de ces scientifiques toujours prompts à se concurrencer. Manhattan met donc en scène des rapports de force constants, où chacun avance ses pions et tente de peser sur les orientations du projet, sans pour autant négliger forcément son propre agenda de recherches. Tout se décline en rivalités. Les répliques y sont cinglantes et les réparties mordantes, apportant un piment appréciable à des dialogues souvent vifs. À ces tensions internes à une communauté universitaire délocalisée et reconstituée en plein désert, s'ajoutent des rapports difficiles avec l'armée et le contre-espionnage. La sécurité est en effet censée tout primer, légitimant la multiplication de mesures intrusives dans la vie quotidienne et l'intransigeance avec laquelle est accueillie la moindre infraction aux règles établies. Ce cadre aux accents kafkaïens contribue à cultiver une paranoïa vite pesante, presque oppressante, incessant rappel de cette guerre qui se déroule à des milliers de kilomètres de là.

Un autre des grands atouts de Manhattan est de ne jamais oublier où conduit ce projet et les questionnements légitimes soulevés. L'objectif de mettre fin à la guerre peut-il vraiment justifier la mise au point d'une telle arme ? Remettre cette bombe, capable d'une telle destruction, entre les mains des militaires peut-il être source de paix ? Quel avenir s'ouvre avec une ère où les grandes puissances disposeront d'une telle force de frappe ? Autant d'interrogations qui résonnent avec une acuité particulière auprès d'un téléspectateur qui sait très bien où tout cela mène. La situation est d'autant plus compliquée pour ces scientifiques qu'ils ont emmené avec eux leurs familles. Ces dernières subissent non seulement un dépaysement désertique loin de tout, mais aussi les prises de distance d'époux contraints de compartimenter leurs journées pour préserver la sécurité. Derrière les dynamiques de couples qui s'enraillent face aux secrets, se ressent en permanence le poids d'un projet qui hante les consciences de chacun de ses participants. vlcsnap-2014-09-28-11h58m33s177_zps18a63909.jpgvlcsnap-2014-09-28-11h58m58s196_zps8e024eeb.jpg

Servie par un casting solide et une écriture dynamique qui rend le visionnage agréable, Manhattan est une série qui traite de thèmes qui ont toujours une résonance particulière aujourd'hui. Au fil des épisodes, s'esquisse en effet un portrait qui ne peut qu'interpeller : est mise en scène une course aux armements avec tous les moyens d'un État moderne, lequel rationalise à l'extrême le processus et sacrifie, en conscience, un certain nombre de principes et de droits élémentaires au nom d'un intérêt supérieur. Face aux problématiques soulevées, chaque personnage permet d'apporter un éclairage personnel, fruit de ses origines et/ou de sa propre expérience. C'est donc une série aux propos riches, qui sait happer le téléspectateur. Espérons qu'elle poursuive sur cette voie, notamment en continuant à doser sans déséquilibre les deux versants professionnel et personnel des protagonistes. À suivre.


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce de la série :

Le générique de la série :