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06/03/2010

(Mini-série UK) House of Cards : chef d'oeuvre de politique-fiction machiavélique, entre Shakespeare et Profit



"You might very well think that ; I couldn't possibly comment."

(Francis Urquhart)

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Le savoir-faire britannique pour mettre en scène les coulisses du pouvoir n'est plus à prouver. Parmi les diverses fictions nées de cette tradition, House of Cards occupe une place de choix, incontournable, dans l'Histoire des productions anglaises. Originellement mini-série de 4 épisodes, qui devint ensuite une trilogie, elle fut diffusée de 1990 à 1995. Sa première partie clôture l'ère Thatchérienne de la plus symbolique des manières. Les amateurs d'anecdotes retiendront en effet que la diffusion du premier épisode anticipa le retrait de la Dame de fer, ayant fictivement refermé cette page de la vie politique anglaise seulement quelques jours avant que cet évènement n'ait lieu dans la réalité. Quand la fiction préfigure les faits réels...

Adaptée d'un thriller de Michael Dobbs, un auteur qui a touché de près aux sphères dirigeantes dépeintes dans son roman, House of Cards (1990) optera pour une conclusion différente du livre d'origine, lui permettant de bénéficier d'une suite. La seconde mini-série, construite sur le même format, s'intitule To Play the King (1993). Enfin, elle sera clôturée par une troisième partie The Final Cut (1995).

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Dans ce premier volet, House of Cards nous offre une plongée dans l'envers du décor politique, en nous immergeant dans une course au pouvoir, marquée par la concurrence exacerbée et traître que se livrent les prétendants au poste suprême de Premier Ministre. Elle s'ouvre en effet sur la mise à l'écart de Margaret Thatcher, se proposant donc de traiter la vacance de poste qui en résulte. Chaque étoile montante ou vieux briscards du Parti Conservateur lorgne, avec plus ou moins de subtilité, d'insistance et de machiavélisme, sur cette place si coinvoitée. Au milieu de ce champ de bataille, la caméra s'attache à relater l'histoire en suivant la perspective de Francis Urquhart, qui est alors le Chief Whip respecté du parti au Parlement (le "chef du groupe parlementaire" dirait-on en France). Politicien déjà aguéri, aux ambitions initialement simplement ministérielles, son absence de promotion, en dépit de promesses verbales appuyées, va le conduire à envisager concrètement de briguer le poste suprême. Manipulateur surdoué, avançant ses pions un à un, caché dans l'ombre, il va mettre en place une partie d'échecs dont il est le seul connaître le cadre réel, afin de créer les circonstances favorables qui permettront son accession à la place si convoitée de Premier Ministre.

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House of Cards est donc le récit d'une conquête du pouvoir. La mini-série dépeint, de façon désillusionnée, l'envers d'une démocratie. Elle détaille avec une minutie d'orfèvre les rouages et mécanismes qui sont à l'oeuvre dans les coulisses. Elle s'intéresse à tous les aspects, tant les relations entre les différents prétendants que le poids du quatième pouvoir que constitue la presse. C'est un jeu constant d'instrumentalisation dans lequel il convient de trouver le dosage adéquat entre illusions, maintien des apparences et rapports de force imposés où tous les coups sont alors permis. Mais plus que la description si prenante de ce jeu de pouvoirs fatal, House of Cards s'impose par le biais de son personnage principal, Francis Urquhart, génialement interprété par un magistral Ian Richardson, qui apporte au récit une tonalité vraiment à part.

En effet, cette fiction se démarque de toute autre par son cynisme démesuré. Elle n'est rien moins que la mise en scène, glacée, par moment étrangement distanciée, mais également très jubilatoire, d'un machiavélisme poussé à l'extrême. House of Cards raconte la conquête du pouvoir d'un être presque déshumanisé, prêt à tout pour parvenir à ses fins. Cette noirceur accentue et nourrit la fascination presque malsaine que le téléspectateur développe rapidement à l'égard de Francis Urquhart. Le style narratif choisi y contribue également, car ce personnage n'hésite pas, dans certaines scènes, à briser les codes classiques de la fiction pour se tourner vers la caméra, en s'adressant directement au téléspectateur. Il lui confie ses pensées et impressions avec une assurance désarmante. Le ton qu'il emploie, tour à tour secret, étrangement malicieux, faussement moqueur ou employant un sérieux clinique, conduit à une prise de distance assez intrigante.

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Pour bien situer House of Cards, évoquons des références qui parleront à tous. Il y a incontestablement du Jim Profit en Francis Urquhart. En tant que téléphage qui continue d'apprendre beaucoup sur ma passion en découvrant de petits bijoux encore inconnus, j'ai vraiment été frappée par la parenté, au moins spirituelle, qui existe entre ces deux anti-héros qui ont, chacun dans leur pays - et, finalement, en Angleterre, avec plusieurs années d'avance sur les Etats-Unis (Profit ayant eu une brève existence sur la Fox en 1996) -, consacré une évolution dans l'approche narrative des productions destinées au petit écran et amorcé un tournant important dans la façon dont on conçoit le personnage principal.

Ces séries ont donc constitué un tournant, certes. Mais, dans House of Cards, il y a aussi la transposition dans un décor moderne de grands classiques immuables, tant il est aisé de retrouver, dans cette tragique mise en scène d'une course au pouvoir létale, des rhétoriques aux accents très Shakespeariens : il y a du MacBeth et du Richard III dans House of Cards. Les parallèles s'opèrent en effet naturellement dans l'esprit du téléspectateur, pas seulement parce que le rôle principal est incarné par Ian Richardson.

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Bilan : Ce chef-d'oeuvre de la télévision britannique dresse un portrait désillusionné de l'envers d'une démocratie. Adoptant un ton d'une noirceur et d'un cynisme étonnants qui sonne très moderne, cette mini-série, par l'intermédiaire de son personnage principal atypique, parvient à exercer une forme de fascination sur un téléspectateur dont l'intérêt demeure captivé tout au long de cette fiction.
Ces jeux de pouvoirs à la tonalité shakespearienne, capitalisant pleinement sur le savoir-faire britannique de la mise en scène politique, sont à découvrir avec curiosité et sans arrière-pensée.

A noter : L'édition DVD de l'intégrale de la trilogie, disponible en Angleterre, comporte des sous-titres anglais.


NOTE : 9,5/10


Introduction : les premières minutes de House of Cards :

Commentaires

La série existe-t-elle en vostfr (ou à défaut en vf)...
et si oui, où peut-on se la procurer?

Écrit par : dumenicu | 28/01/2013

Bonjour la serie House of cards a été diffusé en VF au début des années 1990 sur FR3. En revanche, je pense qu'il s'agissait uniquement du premier volet de la trilogie; les deux autres sont sans doute véritablement inédits.

Écrit par : boudroul | 27/06/2013

@ dumenicu : Elle n'existe pas en VF, ni en VOSTF à ma connaissance. Les trois mini-séries sont toujours inédites en France à ce jour, aucune chaîne ne les a diffusées. J'aimerais croire que la sortie de la version US va aiguiser la curiosité, et qu'au moins une fansub se charge de proposer des sous-titres français. Mais pour le moment, malheureusement, il faut se contenter de sous-titres anglais.

(Et vu toutes les critiques de House of Cards US que j'ai vues passer ces derniers jours qui se résument à 1/ David Fincher. David Fincher. David Fincher. 2/ aucune référence à l'originale si ce n'est une brève dans l'introduction.... Je doute que House of Cards UK soit jamais reconnue de ce côté de la Manche à sa juste valeur !)

Écrit par : Livia | 02/02/2013

Excellente suite de mini-séries, en effet.
"To Play the King" était particulièrement mémorable grâce au face à face entre Francis Urquhart et le roi progressiste joué par Michael Kitchen. Cependant, les deux autres volets étaient aussi des réussites magistrales. J'espère que la version US (que je visionnerai sans doute bientôt) conserve l'esprit de la série tout en n'étant pas qu'une pâle copie.

J'apporte une précision à propos de la diffusion en France de House of Cards.
On trouve mention d'anciens programmes télé dans les archives en lignes de l'Huma. J'y ai découvert une diffusion de la série (du moins le premier volet) sur France 3, à une heure tardive, en 1995. Voir cette page: http://www.humanite.fr/node/196961

Écrit par : Greg | 04/02/2013

" Et vu toutes les critiques de House of Cards US que j'ai vues passer ces derniers jours qui se résument à 1/ David Fincher. David Fincher. David Fincher. 2/ aucune référence à l'originale si ce n'est une brève dans l'introduction..."

Ben, c'est juste normal, non ?

Écrit par : Fred | 05/02/2013

@ Greg : Merci pour la précision sur la diffusion. Annuseries (ma référence en matière de diffusion) ne l'indiquait pas !



@ Fred : "Ben, c'est juste normal, non ?"
C'est sans doute que je n'ai pas le bon angle d'approche...
Pour moi, Netflix fait un remake d'un chef d'oeuvre du petit écran, un petit bijou brillant juste immanquable. A moins d'un accident industriel, House of Cards US sera une bonne série : c'est simple, il lui suffit d'être un quart aussi bonne que House of Cards UK. Et si elle est à moitié aussi bonne, cela donne aisément une des meilleures séries US de l'année... Ca, c'est le matériel de base, le niveau de départ avant l'intervention d'un réalisateur qui va apporter sa touche et potentiellement une dimension supplémentaire. Comment dans ces conditions est-il possible de ne pas faire la moindre référence à l'originale ? Personnellement, ce qui m'intéressait a priori, c'était justement le travail d'adaptation. Les emprunts, mais aussi la valeur ajoutée apportée à l'ensemble... Logiquement, étant donné le format de 13 épisodes, il va y avoir un moment où l'ensemble va vraiment s'émanciper et va peut-être marquer l'histoire des séries. Mais devant les deux premiers épisodes - que j'ai regardés -, si l'esthétique et la réalisation est importante (et solide et sobre comme il faut), et que le rythme donné et la tonalité comptent aussi... comment peut-on ne pas évoquer les continuités, les forces de l'originale qui sont ici transposées (ou pas) ?

Je dois avoir une mauvaise grille de lecture : pour moi, c'est l'originale qui est le point de référence fondamental pour l'appréciation de cette série, pas le fait que ce soit réalisé par Fincher (aussi chouette que cela puisse être).
Mais cela doit être assez révélateur des rapports que je peux entretenir avec le grand et le petit écran. (désolée on ne se refait pas ;) )

[Et puis je crois qu'il y a aussi le fait que je pensais que ce serait l'occasion pour House of Cards UK de dépasser le seul cadre de son public ; et voir si peu de curiosité m'a attristé. Cela m'a frustré d'y assister vendredi-samedi, c'était un mouvement d'humeur passager. ;)]

Écrit par : Livia | 05/02/2013

Les analyses de fond, les comparaisons argumentées, ça pourra (ou pas) venir dans un deuxième temps.
Là, il me semble qu'il est question de présenter une nouveauté. Alors oui, il n'est sans doute pas inutile de préciser qu'il s'agit d'une adaptation d'une série déjà ancienne mais il me semble dans l'immédiat plus intéressant de parler de House of cards US pour ce qu'elle est.
Et là, l'angle David Fincher, qu'on le veuille ou non, est incontournable.
En tout cas, largement plus que des comparaisons avec un matériau de base qui vont passer au-dessus de la tête d'une grande majorité de lecteurs qui n'ont pas vu la série originale.
Question de grille de lecture en effet...

"Mais cela doit être assez révélateur des rapports que je peux entretenir avec le grand et le petit écran. (désolée on ne se refait pas ;) )"

Je ne sais pas trop quels sont tes rapports avec le grand écran, mais au vu de tes chroniques, je ne suis pas vraiment étonné par tes propos. :)
Sans vouloir tomber dans la caricature archi-clichée, l'art cinématographique me semble quand même beaucoup plus traversé par des questionnements formels et par des propositions fortes en matière de style que les séries télévisuelles qui pour la plupart se contentent d'établir une bible stylistique que chaque réalisateur d'épisodes se doit de scrupuleusement respecter.
C'est dans ce sens que, personnellement, je suis plus intéressé par ce que peut amener un David Fincher que par des points de comparaison avec le matériel scénaristique de la série anglaise.

Écrit par : Fred | 05/02/2013

Tiens d'ailleurs, je remarque que tu as entamé ton article en parlant de "savoir faire".
Je trouve que c'est très souvent quelque chose sur lequel le petit monde des séries télévisuelles se repose beaucoup trop, particulièrement en Grande-Bretagne d'ailleurs.
D'un côté, cela donne une qualité moyenne très acceptable mais de l'autre, cela engendre malheureusement peu de séries qui se démarquent réellement de toutes les autres, peu de séries qui possèdent une identité forte, peu de séries dont on peut dire qu'elles sont réellement uniques.
Bon, en cherchant bien, on en trouve certes quelques unes mais j'aurais beaucoup de peine parmi la production actuelles à utiliser mes deux mains pour les compter (Treme et Louie très certainement, mais à part ça?).

Personnellement, il arrive toujours un moment où cette mise en avant du savoir faire finit par me gonfler.
Et là, je suis content de me dire que, sans pour autant abandonner les séries, je peux trouver ailleurs, au cinéma par exemple, des visions beaucoup plus personnelles, beaucoup moins formatées par un savoir-faire qui tend à atténuer les aspérités, les spécificités d'une oeuvre. Tout ce qui la rend unique et donc précieuse.

Écrit par : Fred | 05/02/2013

Tiens, je me rends compte qu'en citant Treme et Louie, je cite des séries créées par des artistes qui ne viennent pas à l'origine de l'univers de la série télévisuelle.
David Simon est un ancien journaliste et Louie C.K. vient du stand-up et des talk shows. Qui plus est, un David Simon s'entoure de gens comme George Pelecanos, Richard Price, Dennis Lehane, Ed Burns,... qui sont tous étrangers aux habitudes ancrées dans le milieu télévisuel. Etrangers donc au savoir-faire mentionné plus haut.
Je ne suis pas vraiment certain qu'il s'agisse d'un hasard.
Pas un hasard non plus si Twin Peaks, une des séries les plus uniques de l'histoire de la télévision, est sortie de l'imagination débridée d'un ... réalisateur de cinéma.

Écrit par : Fred | 05/02/2013

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