16/04/2012
(AUS) East West 101, saison 1 : plus qu'une série policière, une exploration multiculturelle
En créant une case dédiée aux séries le jeudi soir, Arte a fait depuis le début de l'année de très intéressants choix, l'occasion de rendre accessible gratuitement à un public francophone une production internationale diversifiée, ouvrant de nouveaux horizons aux sériephiles. Cette semaine, nous sommes même doublement gâtés puisque vendredi soir (et le suivant), la chaîne franco-allemande diffuse celle qui a été une des plus marquantes (et ma préférée) mini-séries britanniques de 2011 : The Promise (Le Serment). Elle a déjà été diffusée sur Canal+, mais pour ceux qui ne l'auraient pas encore vue : n'hésitez pas ! En attendant, ce jeudi commencera la diffusion de la première saison d'une autre série sur laquelle je veux m'arrêter aujourd'hui : East West 101.
Créée par Steven Knapman et Kris Wyld (deux habitués des séries policières se déroulant à Sidney, également à l'origine de Wildside et de White Collar Blue), cette série a débuté sur SBS One en décembre 2007. Elle compte trois saisons, dont la dernière date du printemps 2011. Si cette première saison fut diffusée de manière confidentielle, elle n'en a pas moins obtenu une vraie reconnaissance de la part des critiques, remportant de nombreuses récompenses. En effet, plus qu'une simple série policière, East West 101 est une série à la résonnance particulièrement actuelle grâce à son thème central, le multiculturalisme. Pour bien comprendre le parti pris narratif, il est sans doute aussi nécessaire d'insister sur sa chaîne de diffusion, SBS : cette chaîne publique a justement pour mission de refléter le mélange des cultures et le multilinguisme au sein de la société australienne. Une tâche dont East West 101 s'acquitte avec brio.
East West 101 met en scène le quotidien d'une unité spécialisée dans les major crimes au sein de la police métropolitaine de Sidney. Dans cette équipe, la série s'intéresse plus particulièrement à Zane Malik, jeune détective consciencieux et ambitieux. C'est un drame personnel qui a conduit ce fils de réfugiés irakiens, père de famille et pieux musulman, dans les forces de l'ordre. En effet, alors qu'il n'était qu'un jeune adolescent, le commerce de son père fut victime d'un braquage. Tenant alors la caisse, Zane avait refusé d'obtempérer avec le criminel qui le menaçait pourtant de son arme ; son père intervint et fut grièvement blessé à la tête. L'auteur des faits n'a jamais été retrouvé, mais si le père de Zane survécut, il ne s'en remit pas, restant handicapé. En brisant l'équilibre familial d'alors, cet évènement a été déterminant dans la vie de Zane : le désormais policier n'a jamais tourné la page, se promettant de retrouver un jour le coupable.
C'est aux côtés de cet officier qu'East West 101 entreprend de nous immerger dans une Australie, terre d'asile et d'immigration. Dans un contexte post-11 septembre, difficile pour les communautés arabes du pays, où être musulman déclenche bien des préjugés et hostilités qui sont tenaces, Zane Malik s'efforce de concilier sa vie familiale, son appartenance à une communauté culturelle et religieuse, et sa carrière au sein d'une police dans laquelle il se heurte parfois aux mêmes difficultés et tensions. Outre les récits d'enquêtes qui conduisent les policiers à découvrir différentes communautés, c'est vers un affrontement plus personnel que s'oriente cette saison 1 de East West 101. Elle va en effet nous faire assister à la dégradation des rapports entre Zane et son supérieur direct, Ray Crowley. Ce dernier, représentant d'un tout autre milieu social, doit, au-delà de ses préconceptions contre la minorité à laquelle appartient Zane, faire face à un difficile drame familial.
Chronique du quotidien de violences et de crimes auquel est confrontée une unité de police spécialisée de Sidney, East West 101 est tout d'abord une solide série policière qui entend nous placer au plus près de la réalité des quartiers multi-ethniques de la ville. Privilégiant une approche locale, elle va ainsi s'efforcer de prendre véritablement le pouls d'une société australienne représentée ici dans toute sa diversité. Ce parti pris narratif se perçoit jusque dans le titre de la série, lequel contient une double référence à plusieurs antagonismes que les scénaristes souhaitent explorer : d'une part, on peut y voir une mise en lumière du choc culturel entre l'Ouest (l'Occident) et l'Est (le Moyen-Orient), d'autre part, c'est une référence plus australienne, celle de la répartition des classes sociales dans les grandes villes du pays (et notamment Sidney), les banlieues Est accueillant majoritairement des habitants plus aisés d'origine anglo-saxonne, tandis que dans les quartiers Ouest, se retrouve une population plus précaire, issue de l'immigration récente (le E101 étant le formulaire pour venir travailler en Australie). Autre signe révélateur de cette recherche de réalisme, le personnage central de Zane Malik est directement inspiré d'un policier australien d'origine égyptienne, Hany Elbatoory, vers lequel les scénaristes furent orientés au début de leur projet.
Cette préoccupation d'avoir une résonnance authentique va être une des grandes forces de East West 101. Non seulement cela lui permet de proposer un portrait diversifié et complexe de la société australienne, reflétant sans l'édulcorer la multiplicité d'origines et de cultures que l'on y croise, mais elle va en plus se démarquer de la simple (aussi efficace soit-elle) fiction policière. En effet, la thématique centrale autour de laquelle le récit s'organise est celle du multiculturalisme. C'est tout l'enjeu et les difficultés représentés par la conciliation, voire la confrontation, de cette diversité qui est au coeur de la série, transcendant toutes les histoires mises en scène, suivant un double niveau de lecture qui densifie considérablement chaque épisode. Ce multiculturalisme se décline tout d'abord dans les affaires à élucider, ces dernières amenant les policiers à s'intéresser à différentes minorités/communautés (aborigène, arabe, serbo-bosniaque, vietnamienne...). Mais en plus, cette problématique se retrouve au sein même de la police, où l'on croise cette même diversité (ne se cantonnant donc pas au seul personnage de Zane Malik).
S'il arrive à East West 101 de céder à certains raccourcis ou stéréotypes, la richesse des thèmes traités et l'évidente ambition de départ, portée par une écriture rythmée et tendue, font d'elle une des plus intéressantes séries policières de ces dernières années. Non seulement elle sait faire preuve de justesse dans le traitement de ces sujets très sensibles, mais surtout, en filigrane, s'esquisse une tentative de poser des bases de compréhension réciproque. Récit de cohabitation, de nécessaire ouverture sur l'autre, elle met en lumière les différences, mais aussi les valeurs partagées, par tous ces individus aux origines diverses mais qui, notamment au sein de la police, tendent vers un même objectif. En nous plongeant dans un melting-pot culturel, religieux et linguistique d'une densité fascinante, la série distille avec retenue et subtilité un message de tolérance. Et si parfois les oppositions peuvent paraître manichéennes, elle réussit régulièrement à s'en émanciper pour être capable de rester fidèle à cette idée d'un portrait de société nuancé par la multiplicité des points de vue proposés.
Dans cette optique, le pilote, très didactique, est parfaitement représentatif des enjeux immédiats soulevés par la série, faisant preuve d'une efficacité aussi poignante que remarquable. Toute la saison ne va pas se réduire à des incursions policières au sein de la communauté arabo-musulmane, mais pour un premier épisode, East West 101 choisit habilement d'entremêler ses deux fils narratifs principaux, c'est-à-dire ce qui se joue au sein de la police et l'affaire du jour, particulièrement sensible dans ce cas : la mort d'un policier, abattu alors qu'il poursuivait deux braqueurs, dont la seule description est leur "apparence moyen-orientale". Zane se retrouve logiquement dans une position difficile, à la jonction des tensions dans un quartier se retrouvant soudain sous la pression d'une police décidée à réagir vite et à ne pas laisser impuni un tel crime. L'officier tentera d'exploiter jusqu'au bout son statut particulier, passerelle fragile entre ces deux sphères, pour démêler la vérité au milieu des conclusions hâtives qui ont pu être dressées. La méfiance réciproque et les préconceptions de part et d'autre auront cependant lancé un engrenage létal bien difficile à enrayer.
Outre cette double dimension policière et multiculturelle qui fait la force de East West 101, cette série n'en néglige pas non plus un registre plus humain. Si les enquêtes rythment les épisodes, ce sont les personnages qui sont véritablement l'âme du récit. Les protagonistes secondaires ne sont pas négligés. Il faut souligner combien les individualités croisées au cours des enquêtes sont souvent bien caractérisées. Appliquant le même savoir-faire que pour son approche du multiculturalisme, l'écriture sonne toujours très authentique. La série sait faire preuve de nuances pour réfléchir sur les statuts parfois mêlés de victime et de criminel. Elle montre aussi de l'empathie à l'égard de ceux qui ont franchi la frontière de la légalité, et commis l'irréparable. A ce titre, le cinquième épisode (évoquant le conflit en ex-Yougoslavie) est sans aucun doute le plus marquant émotionnellement.
De plus, c'est un fil rouge personnel qui fait le lien entre toute la saison. Ces six premiers épisodes de East West 101 sont en effet construits vers une confrontation entre Zane Malik et son supérieur direct, Crowley. Initialement, leur opposition semble se réduire au racisme du second, se traduisant par des remarques désobligeantes. Mais très vite, des préoccupations plus intimes viennent se mêler à leur vie professionnelle. Pour Zane, c'est l'histoire de ce braquage ayant brisé son père qui resurgit : va-t-il enfin avoir l'occasion de clôturer l'enquête, alors qu'il découvre de nouveaux éléments permettant de la faire progresser ? Pour Crowley, c'est un deuil douloureux qui le touche et le précipite sur une pente autodestructrice. L'inimité des deux hommes se double d'une incompréhension flagrante. Pour autant, si la série perd ici parfois un peu de la subtilité qui fait sa force dans ses autres storylines, elle se construit un arc narratif intéressant que sa conclusion légitimise.
Sur la forme, East West 101 n'hésite pas à se montrer entreprenante, s'efforçant de transmettre par les images la violence et les tensions qui parcourent ses histoires. Pour y parvenir, la tâche a été confiée à l'expérimenté Peter Andrikidis, un réalisateur bien connu et reconnu du petit écran australien qui a notamment participé lui-aussi à Wildside. Il fait le choix d'une mise en scène très nerveuse et énergique, avec un style caméra à l'épaule volontairement abrasif. Si ces mouvements de caméra sont parfois accentués à l'excès, dans l'ensemble, le parti pris visuel apparaît globalement maîtrisé, et justifié par l'ambiance général. Par ailleurs, la série bénéficie d'une bande-son, confiée à Guy Cross, qui reflète à merveille cette thématique centrale multiculturelle, entremêlant les influences musicales à l'image d'un générique minimaliste mais dont la musique sonne très juste (cf. la vidéo ci-dessous).
Enfin, East West 101 dispose d'un casting homogène au sein duquel on retrouve des valeurs sûres du petit écran australien. C'est le toujours solide - et intense - Don Hany (White Collar Blue, Tangle, Offspring) qui interprète de façon très convaincante cet officier de police d'origine irakienne qui doit conjuguer son milieu professionnel avec la communauté à laquelle il appartient. A ses côtés, cela m'a fait plaisir de croiser Aaron Fa'aoso (interprète de l'héritier présomptif dans The Straits cet hiver) qui joue son équipier. Susie Porter (RAN : Remote Area Nurse, East of everything, The Jesters) est la supérieure hiérarchique dirigeant une unité où l'on retrouve également Daniela Farinacci (Carla Cametti PD) et Renee Lim (Crownies). Toujours au sein des forces de police, c'est William McInnes (Oceane, Blue Heelers) qui incarne Crowley, celui avec lequel la tension ne cesse de monter tout au long de la saison 1. Du côté de la famille de Zane, on retrouve Tasneem Roc (Hartley Coeur à Vif), Irini Pappas, Lucy Abroon, George Fayad et Taffi Hany (qui est le père de Don Hany, car ce rôle s'est avéré bien difficile à caster).
Bilan : Solide série policière en quête de réalisme et se plaçant au plus proche du terrain, East West 101 est cependant bien plus que cela : c'est une fiction ambitieuse et riche. Sa valeur ajoutée principale, elle la doit à la fascinante immersion multiculturelle qu'elle propose au sein d'une société australienne, terre d'asile dont elle s'attache à retranscrire la diversité, religieuse comme linguistique, mais aussi la multiplicité des points de vues qui en découle. Pour explorer ce thème central du multiculturalisme, la série entremêle habilement affaires policières efficaces, portrait de société nuancé et destinées personnelles souvent poignantes, avec une écriture dont il faut saluer la sobriété.
En résumé ? Rendez-vous sur Arte à partir du jeudi 19 avril (à 20h40).
NOTE : 8/10
Le générique :
12:07 Publié dans (Séries Océanie) | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : australie, sbs (australie), east west 101, arte, don hany, susie porter, aaron fa'aoso, daniela farinacci, renee lim, william mcinnes, tasneem roc, irini pappas, lucy abroon, george fayad, taffi hany | Facebook |
24/03/2012
(Pilote SE) Kommissarie Winter (Les enquêtes du commissaire Winter) : une série policière humaine et visuellement superbe
Arte est en train de me réapprendre à m'installer devant la télévision un soir de semaine. Et elle devient vraiment ma chaîne préférée : après Borgen, Whitechapel... ce jeudi soir marquait les débuts de Kommissarie Winter (Les Enquêtes du Commissaire Winter). A priori, les séries policières non feuilletonnantes ne sont pas ma tasse de thé, mais vous connaissez mes tendances un peu monomaniaques : de la même façon que le Danemark avait marqué mon année 2011, la Suède est la révélation 2012. Ma lune de miel sériephile suédoise est donc actuellement à son zénith. Et comme en plus, il semblerait que cette fin de mois soit dédiée au policier, puisque j'ai même craqué pour un cop show sud-coréen, c'était donc le moment où jamais d'apprécier Kommissarie Winter.
Cette série a été diffusée a été diffusée en Suède, sur SVT, en 2010. Ce n'est pas la première fois que les romans de Ake Edwardson sont portés à l'écran, puisqu'au début des années 2000, ils avaient déjà fait l'objet d'une série. Mais cette fois, c'est Magnus Krepper (déjà repéré ce mois-ci dans Bron/Broen) qui reprend le rôle du commissaire Erik Winter. La série comporte 8 épisodes, nous relatant en tout 4 affaires différentes (couvrant 2 épisodes), dont la première, Väneste Land, était diffusée ce jeudi. Pour en savoir plus, je vous conseille chaudement la lecture de l'interview du réalisateur, Trygve Allister Diesen, faite par LadyTeruki, lors d'un Scénaristes en Séries passé : elle a achevé d'aiguiser ma curiosité. Et au terme de la soirée, sans aller jusqu'à parler de coup de coeur, je dois dire que j'ai passé un bon moment devant mon petit écran !
Kommissarie Winter se déroule dans la ville de Göteborg, une cité portuaire importante du sud-ouest de la Suède. La série se propose de nous faire suivre, couvrant à chaque fois deux épisodes, les enquêtes du commissaire Erik Winter et de son équipe. Ce policier instinctif, père de famille, ne manque généralement pas d'empathie envers les affaires, parfois très sordides et sanglantes, dont il a la charge, comme vont d'ailleurs très bien l'illustrer ces deux premiers épisodes.
Väneste Land s'ouvre sur la découverte de trois cadavres, aux visages massacrés ; employés abattus de nuit dans une petite supérette. L'affaire se transforme le lendemain en quadruple meurtre, lorsque la femme d'une des victimes est retrouvée égorgée chez elle. Leurs investigations obligent les policiers à intervenir dans un quartier sensible de l'agglomération, où la loi du silence semble régner, peu de personnes étant disposées à coopérer avec eux. Ecartant l'hypothèse d'un crime raciste, Erik Winter s'intéresse plus particulièrement à la communauté kurde. Autant que le ou les coupables, il cherche à comprendre quels motifs ont pu conduire à de tels crimes.
Si la lecture du synopsis laissait entrevoir une série policière aux ingrédients très classiques, dès les premières minutes, le téléspectateur comprend que Kommissarie Winter ne va pas se contenter de ce seul matériau de base. L'ampleur du travail réalisé (notamment par le "concept director" mentionné dans l'interview de Trygve Allister Diesen) pour se contruire une identité propre au sein du genre policier se perçoit à tous les niveaux, aussi bien formels que dans la construction narrative de l'intrigue. Sur ce plan, si l'enquête est complexe, restant cependant toujours solide au-delà des fausses pistes, c'est la progression lente de l'histoire qui marque : les scénaristes prennent volontairement leur temps.
Ce rythme peut dans un premier temps déstabiliser qui n'y est pas habitué, mais la série maîtrise parfaitement l'art des silences. Tous ces non-dits, ces plans parfois presque contemplatifs, apparaissent vite plus parlants, et surtout plus forts, que des discours précipités qui pointeraient des évidences. Car un des grands atouts de la série réside dans sa capacité à capturer l'ambiance du cadre dans lequel elle se déroule. C'est véritablement un récit dont le téléspectateur s'imprègne, se laissant immerger dans l'atmosphère patiemment construite, et dont chaque détail est travaillé. Presque paradoxalement, si tout tourne véritablement autour de l'enquête, la série renvoie l'impression que cette dernière n'est pas pour autant une fin en soi.
Dans cette perspective, une des forces de Kommissarie Winter va justement être que l'investigation n'y efface jamais l'humain. Loin du policier mécanique, c'est au contraire une série qui porte un intérêt sincère aux protagonistes qu'elle met en scène. Sur ce point, sans négliger les rôles secondaires, ni les témoins ou suspects de l'épisode, elle repose en grande partie sur les épaules de ce personnage assez fascinant qu'est Erik Winter. S'il ne manque pas de charisme, il n'en demeure pas moins toujours profondément humain. N'embrassant jamais le rôle du héros monolithique qui serait vite sans saveur, il conserve au contraire une forme d'ambivalence, une certaine faillibilité, qui permet au téléspectateur de s'attacher.
L'inclinaison naturelle de Winter à mettre en avant un facteur humain, son intérêt obstiné pour comprendre tous les tenants et aboutissants, sa sensibilité instinctive aux passions et déchirements qu'il devine sous la surface, confèrent au personnage une épaisseur et une dimension appréciables. S'il apparaît logiquement désillusionné du fait de son métier, il ne peut rester indifférent à certaines situations ; s'il s'obstine à mener à bien son enquête jusqu'à mettre sa vie en danger, son vernis d'assurance peut brusquement se fissurer. Toutes ces ambiguïtés dévoilent ainsi un personnage très intéressant. A ce titre, l'insertion, tout au long des deux épisodes, de scènes durant lesquelles il lit un témoignage poignant, sans que l'on sache avant la fin précisément ce dont il s'agit, est parfaitement révélatrice du parti pris. Elle montre à la fois cette empathie qui rejaillit sur le téléspectateur, mais également la volonté de la fiction, en dépit de la noirceur de son histoire, de chérir une part d'humanité salvatrice.
Le charme de Kommissarie Winter repose également beaucoup sur l'identité visuelle que la série se construit. Sur ce plan, la série est une bien belle réussite - que dis-je, une merveille ! Non seulement la photographie, travaillée et aux teintes claires et plutôt chaleureuses, est superbe, mais la caméra use d'une large palette d'effets pour construire l'ambiance et mettre en valeur les paysages suédois du côté de Göteborg. Un peu à la manière de Bron/Broen (je ne suis pas encore suffisamment familière du petit écran suédois, pour vous dire s'il s'agit d'une constante), la série s'approprie véritablement son cadre, exploite pleinement tous ses décors et nous offre quelques beaux plans en guise de transitions qui sont un vrai régal pour les yeux du téléspectateur. C'est le genre de fiction qui transmet une part du parfum du pays au sein duquel elle se déroule. De plus, la série bénéficie d'une bande-son également soignée, qui contribue à la tonalité d'ensemble, et s'ouvre sur un joli générique (cf. deuxième vidéo en bas du billet).
Enfin, si Kommissarie Winter fonctionne, elle le doit aussi à son interprète principal, Magnus Krepper. L'acteur avait déjà retenu mon attention dans un rôle très différent, et beaucoup plus inquiétant, dans Bron/Broen. Ici sa présence à l'écran, à la fois forte mais jamais dénuée d'une certaine ambivalence, sied parfaitement au personnage d'Erik Winter. Et si l'humanité du policier est une des caractéristiques qui marque le téléspectateur, c'est aussi parce que l'acteur est capable de laisser transparaître toutes les nuances contenues dans le scénario. A ses côtés, il est entouré par un casting homogène qui, s'il reste en retrait, trouve cependant aisément ses marques. Amanda Ooms incarne sa femme, tandis qu'au sein de la police, on retrouve Peter Andersson, Jens Hultén, Sharon Dyall, Viktor Trägårdh, Stig Engström ou encore Anna Åström.
Bilan : Série policière solide reposant sur un personnage principal assez fascinant, Kommissarie Winter se démarque et trouve sa place dans le genre des fictions d'enquêtes grâce à un soin particulier apporté à tous les niveaux. Sur le fond, sa narration volontairement lente, quasi-contemplative et privilégiant l'humain sans négliger le crime, tombe souvent juste, tandis que sur la forme, l'identité visuelle et esthétique de la série se révèle particulièrement réussie. Plus généralement, c'est une série qui surprend par sa capacité à créer une empathie avec le téléspectateur, misant beaucoup sur le ressenti de ce dernier pour le fidéliser. A découvrir.
NOTE : 7,25/10
Une bande-annonce :
Le générique :
09:36 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : suède, arte, svt, kommissarie winter, les enquêtes du commissaire winter, magnus krepper, amanda ooms, peter andersson, jens hulten, sharon dyall, viktor tragardh, stig engstrom, anna astrom | Facebook |
19/08/2011
(DAN) Forbrydelsen (The Killing), saison 2 : un suspense toujours aussi prenant
Le Danemark, c'est un pays de plus de 5 millions d'habitants qui a actuellement en production deux très bonnes séries : Borgen et Forbrydelsen. Avec sa première saison, cette dernière s'était imposée comme un des plus efficaces polars feuilletonnants du petit écran de ces dernières années. Par conséquent, forcément, la saison 2 était attendue au tournant avec un mélange d'excitation mêlée d'inquiétude : comment allait-elle se renouveler et repartir sur une nouvelle intrigue, à la fois fidèle à sa recette originelle mais en sachant aussi se réinventer ? Plus d'une fiction s'est brûlée les ailes lorsqu'il a fallu continuer au-delà de son premier grand arc narratif...
Mais c'est avec beaucoup de maîtrise que cette saison 2 de Forbrydelsen va déjouer toutes les craintes éventuelles. Sarah Lund est toujours fidèle à ses pulls, et le téléspectateur se prend pareillement au jeu du suspense. Composée cette fois-ci de dix épisodes, contre vingt épisodes pour sa première, la deuxième saison du polar danois du moment, diffusée à l'automne 2010 sur DR1, se révèle toute aussi haletante et prenante, sachant parfaitement rebondir après la résolution de l'affaire Nanna Birk Larsen. Si la première partie de la saison 1 sort en DVD ce 23 août en France, la saison 2 arrivera sur Arte, dès le 6 septembre prochain. En un mot, soyez au rendez-vous ! Quant à la saison 3, son tournage vient tout juste de débuter et elle devrait être diffusée à l'automne 2012 au Danemark.
[A noter : La review est garantie sans spoiler sur la résolution de l'intrigue.]
La saison 2 de Forbrydelsen débute deux ans après les évènements de la saison 1. Une avocate est retrouvée brutalement assassinée, son cadavre abandonné dans un mémorial militaire ; une mise en scène macabre qui pourrait trouver sa cause dans un éventuel mobile politique derrière ce meurtre. Si son ex-époux est suspecté, trop d'inconnues pour une enquête très sensible décident Lennart Brix, toujours en charge de la division criminelle à Copenhague, à contacter Sarah Lund, désormais exilée loin de la capitale, en raison de ce qu'il s'est passé il y a deux ans. Elle se laisse convaincre de venir jeter un oeil au dossier, pour offrir son expertise intuitive et un regard extérieur sur les faits.
Quelques jours après le meurtre de l'avocate, le ministre de la Justice est victime d'une crise cardiaque, le laissant hospitalisé, inconscient. Or une loi très importante, sur des mesures de lutte et de prévention contre le terrorisme au Danemark, est en négociation entre les différents partis et doit être incessamment sous peu votée. Le Premier Ministre nomme donc rapidement un successeur, son choix s'arrêtant sur Thomas Buch, politicien pragmatique et ambitieux pour qui c'est une promotion conséquente.
Mais le meurtre de l'avocate prend un tour politique des plus glissants lorsque l'hypothèse selon laquelle elle a été ciblée par des intégristes islamistes, en raison de son travail pour l'armée en Afghanistan, semble se confirmer. La police, les services du ministère de la Justice, mais aussi les services de renseignement ainsi que l'armée, vont nous entraîner dans les coulisses du pouvoir et de la guerre en Afghanistan, pour tenter de démêler les fils d'une intrigue bien complexe... D'autant que le prédécesseur de Buch en connaissait sans doute plus sur cette affaire qu'il ne l'avait laissé entendre.
La grande réussite de Forbrydelsen 2 va être de reprendre avec la même efficacité les ingrédients qui ont fait la force de la saison 1, tout en sachant parfaitement se renouveler pour proposer quelque chose de nouveau sur le fond. La recette est bien huilée : la dimension feuilletonnante est en effet pleinement exploitée. Elle fait naître chez le téléspectateur ce sentiment un peu grisant que l'on éprouve en se laissant complètement happé et entraîné dans ces longues histoires à suspense qui nous captivent jusqu'à la dernière page... jusqu'à l'ultime rebondissement. Cultivant une tension constante, chaque épisode est habilement construit, se concluant toujours de la manière la plus prenante qui soit, avec une accélération de l'intrigue qui requiert beaucoup de volonté de la part du téléspectateur pour ne pas se précipiter sur l'épisode suivant.
Le fait de ne compter que 10 épisodes, par rapport aux 20 de la saison 1, n'est pas préjudiciable. Non seulement parce que cela permet de maintenir un rythme toujours vif, parfois haletant, qu'aucun temps mort ou scène de transition ne vient perturber, mais aussi parce que la complexité de l'intrigue demeure intacte. Nous sommes face à une histoire à multiples tiroirs, jouant admirablement sur les faux semblants, nous égarant avec application sur des pistes erronées et nourrissant nos soupçons à mesure que les réels enjeux se dévoilent et que le tableau d'ensemble se dessine. Cette quête vers la vérité se bâtit finalement tant sur une ambiance tendue et prenante, que grâce à la solidité du scénario. Si bien que si l'on acquiert bien avant la fin des certitudes quant à la résolution des meurtres, il est impossible de se détacher de Forbrydelsen 2.
Outre cette dimension de thriller à suspense qui reste sa marque de fabrique, Forbrydelsen 2 va adopter un parfum différent par rapport à sa première saison. C'est sans doute à cette capacité de se réinventer que l'on reconnaît une bonne série. La saison 1 avait mis l'accent sur le drame familial, explorant toutes les ramifications du meurtre d'une adolescente - et se plaçant notamment du point de vue des parents. L'enquête touchait à des thèmes classiques, de société, de moeurs, voire de psychologie d'un tueur. Dans la saison 2, Forbrydelsen bascule cette fois dans un thriller au parfum conspirationniste, avec en arrière-plan des enjeux politiques qui dépassent les simples querelles de personne pour prendre l'allure de potentiels scandales d'Etat. Il y a ici moins de place pour l'émotionnel. Les recettes invariables du polar noir sont appliquées à un nouveau cadre : la guerre en Afghanistan, le fondamentalisme religieux, et plus globalement toutes ces craintes qui agitent les démocraties occidentales post-11 septembre.
L'intrigue est très ancrée dans la société danoise de son époque, avec les peurs et les préjugés qui peuvent la traverser, comme en témoigne l'importance prise par la législation de lutte contre le terrorisme en discussion. Car les ramifications de l'enquête se répercutent cette fois dans la sphère politique nationale : jusqu'où peut-on - ou plutôt, doit-on - sacrifier la liberté - d'association, notamment - au nom de la protection de la société ? L'imbrication de toutes les sous-intrigues avec le fil rouge que représente cette suite de meurtres sanglants de militaires - l'avocate n'étant que la première victime - est menée d'une main de maître. Les répercussions des décisions de chacun des protagonistes sur l'avancée générale vers la vérité sont toutes aussi habilement traitées, la série conservant toujours une homogénéité narrative en plus de sa tension. Du côté des personnages, parce qu'elle est la seule que nous connaissons déjà - outre Brix -, Sarah Lund est, encore plus que dans la saison 1, le point de repère du téléspectateur. C'est d'autant plus vrai que les évènements d'il y a deux ans l'ont profondément marquée et placée un peu à part par rapport à ses confrères. De plus, les nouveaux personnages ont moins de consistance que la saison passée, peut-être parce que la durée plus courte ne permet pas de les développer suffisamment, et donc marquent moins.
Sur la forme, Forbrydelsen est fidèle à elle-même. La série privilégie toujours cette atmosphère de polar sombre caractéristique, accentuée par les scènes nocturnes ou le temps pluvieux de Copenhague. La réalisation se calque parfaitement sur cette atmosphère, avec une caméra qui épouse les tensions de chaque scène, qu'il s'agisse de confrontation nécessitant un cadre serré ou pour capturer l'ambiance plus morbide d'une scène de crime par des plans beaucoup plus larges. Le thème musical demeure également inchangé ; et c'est toujours avec un petit frisson que se conclut chaque épisode sur ce rythme musical entraînant, avec la tension intacte qui transparaît de ces quelques notes, semblable à une invitation à immédiatement lancer le suivant.
Enfin, Forbrydelsen bénéficie une nouvelle fois d'un casting d'ensemble convaincant. Ne restent de la première saison que Sofie Gråbøl (Nikolaj og Julie), absolument magistrale pour incarner une Sarah Lund toujours aussi intense, et Morten Suurball qui demeure son supérieur hiérarchique. On retrouve aussi d'autres têtes connues des lecteurs de ce blog, puisque le partenaire de Sarah Lund est incarné par Mikael Birkkjær (qui joue l'époux de Birgitte Nybord dans Borgen). A leurs côtés, tous les acteurs se montrent des plus convaincants dans leurs rôles respectifs, qu'il s'agisse de Nicolas Bro (Hjerteafdelingen), Charlotte Guldberg, Preben Kristensen, Ken Vedsegaard (Maj & Charlie, Krøniken), Stine Prætorius, Flemming Enevold (Edderkoppen), Carsten Bjørnlund (Pagten), Lotte Andersen (Edderkoppen), Kurt Ravn ou encore Jens Jacob Tychsen.
Bilan : Toujours dotée de cette faculté rare pour cultiver un suspense prenant et constant jusqu'au dernier twist de son intrigue, basée sur un scénario à tiroirs admirablement maîtrisé, Forbrydelsen réussit dans cette saison 2 à conserver tous les ingrédients qui font sa force, tout en sachant investir de nouvelles thématiques traitées avec beaucoup d'efficacité. Le téléspectateur se laisse captiver par ce polar addictif, ambitieux par ses ramifications, mais suffisamment sobre pour que le récit demeure très bien maîtrisé.
NOTE : 8,75/10
La bande-annonce de la saison :
07:25 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : danemark, arte, dr1, forbrydelsen, the killing, sofie gråbøl, morten suurball, mikael birkkjaer, nicolas bro, charlotte guldberg, preben kristensen, ken vedsegaard, stine prætorius, flemming enevold, carsten bjørnlund, lotte andersen, kurt ravn, jens jacob tychsen | Facebook |
12/08/2011
(DAN) Borgen, saison 1 : une brillante et passionnante série politique incontournable
"Democracy is the worst form of government except all those other forms that have been tried."
(Winston Churchill)
2011 est une bonne année sériephile. Depuis sept mois, j'ai savouré un certain nombre de bonnes, voire très bonnes, séries. Et puis, ce printemps, j'ai découvert le Danemark, avec Forbrydelsen, Edderkoppen, etc... Il y avait aussi Borgen, qui aiguisait tant ma curiosité. En mai, j'avais adoré le pilote et n'avais qu'une envie : la suite ! La série sera diffusée sur Arte en 2012, mais il m'était impensable de patienter aussi longtemps. J'ai donc acheté le coffret DVD danois de la saison 1, qui contient une piste de sous-titres anglais. Je l'ai reçu la semaine dernière. Et je dois bien avouer que j'ai dévoré Borgen en un laps de temps... assez indécent, même pour la sériephile que je suis. Heureusement une saison 2 a été commandée par DR1.
Nous voilà donc arrivé au moment où je trempe ma plume dans l'encre le plus dithyrambique qui soit et où j'essaye de retranscrire en mots l'enthousiasme qu'a su engendrer cette série, le tout dans une critique d'une longueur raisonnable. Je crains n'avoir pas vraiment rempli l'exigence de brièveté, mais j'espère au moins que ce billet saura laisser entrevoir une partie du bonheur qu'a constitué le visionnage de Borgen. Car voyez-vous, ce n'est pas simplement une très bonne série ; c'est aussi une fiction qui contient tous les ingrédients et toutes les thématiques que je chéris. C'est une solide série politique (et vous savez combien je vénère ce genre quand il est bien fait), mais c'est aussi bien plus que cela : c'est une fiction qui vous fait vous investir émotionnellement dans des personnages auprès desquels on va subir les difficultés et savourer les réussites de la saison.
Borgen nous plonge dans les coulisses de la vie politique danoise, nous invitant non seulement au sommet de l'Etat, mais aussi dans tous les rouages de cette démocratie, en suivant les principaux acteurs qui gravitent dans les cercles du pouvoir de la capitale du pays. La saison 1 s'étend sur une année : elle débute sur des élections législatives remportées par le parti centriste de Birgitte Nyborg. Après des tractations animées, la femme politique accède au poste de Premier Ministre, en prenant la tête d'une coalition rassemblant l'opposition contre la majorté sortante. (Pour un résumé complet du point de départ de la série, avec le récit des évènements du pilote, je vous invite à vous référer à ma critique de ce premier épisode.)
Au cours de cette année, Borgen va nous faire vivre toutes les épreuves politiques et personnelles qui vont jalonner la vie des trois protagonistes principaux qui seront nos points de repère dans ces arcanes du pouvoir. La figure centrale, autour de laquelle chacun gravite, reste Birgitte Nyborg. Elle va peu à peu prendre la mesure du rôle, mais aussi des sacrifices qu'implique son poste. A ses côtés, elle bénéficie du soutien d'un spin-doctor cultivant un cynisme toujours pragmatique, Kasper Juul, mais qui n'a pas son pareil pour vendre une histoire aux médias. Ses liens personnels avec Katrine Fonsmark, journaliste présentratice vedette de la première chaîne du pays, avec qui il a eu une histoire, ont ainsi leur utilité, même si leurs rapports vont souvent être mis à rude épreuve devant les conflits d'intérêts que leurs métiers respectifs peuvent engendrer.
D'une richesse narrative impressionnante (qui vous laisse en fin de saison avec une seule envie : celle de revisionner immédiatement la série), Borgen s'approprie tout d'abord brillamment les codes de la série politique. Ambitieuse, elle entreprend de jouer sur tous les tableaux, de la politique politicienne jusqu'à la réflexion sur certains sujets de fond, dressant au passage un portrait très intéressant du Danemark. Bénéficiant du cadre multipartite de ce régime parlementaire, la série nous immerge dans des coulisses très mouvantes et souvent hostiles. L'épisode traitant de l'accession au poste de Premier Ministre de Birgitte est, dans cette optique, absolument fascinant, éclairant les dessous de rapports de force qui se fondent non seulement sur le poids des partis, mais aussi sur la personnalité des différents protagonistes. L'instinct politique, mais aussi la force des déterminations personnelles, n'ont jamais paru aussi importants que durant ces négociations.
Loin de toute idéalisation, Borgen passionne par sa capacité à prendre la mesure et à couvrir tous les ressorts d'une démocratie moderne. La série pointe notamment très bien les dérives que peut engendrer la réduction de la politique à la seule communication ; la manière de vendre le message semble régulièrement être aussi, si ce n'est plus importante, que le contenu dudit message. Ne pas se cantonner aux coulisses politiques et prendre le temps de s'intéresser à la presse est d'ailleurs une très bonne idée. La série met en lumière toutes les étapes de la fabrique de l'information, en nous faisant découvrir l'émission phare de la plus grande chaîne du pays. Balayant les diverses problématiques que le sujet peut soulever, vont être mis en scène les arbitrages rédactionnels, mais aussi la prise en compte des exigences d'audience face au devoir d'informer. De plus, le mélange des intérêts médiatiques et des sirènes du pouvoir politique n'est pas passé sous silence : qu'il s'agisse de connivences discutables avec le gouvernement, de l'effort pour éviter des clashs, ou bien encore de l'instrumentalisation d'une certaine presse à des fins politiques, comme c'est le cas pour L'Express, toutes les facettes sont évoquées.
Au-delà de ce portrait vivant et animé de la scène politique et des dessous du pouvoir, Borgen retient aussi l'attention par les sujets qu'elle choisit d'aborder. Dans l'ensemble, la série théorise peu, préférant les tractations et la politique politicienne aux débats d'idées. Le parti centriste a remporté les élections sur un programme : on en est encore au stade où la victoire légitimise que l'on tente de mettre en oeuvre les mesures prévues. La question de la parité au sein des conseils d'administration des entreprises sera sans doute le sujet le plus discuté sur le fond, laissant entrevoir ici les rapports avec la sphère économique. Cependant, c'est sur le plan international que Borgen se démarque sans doute le plus. La série est simplement brillante lorsqu'elle nous plonge dans les jeux diplomatiques au sein desquels le Danemark tente de s'imposer à son niveau. Un des éclairages les plus passionnants concerne les rapports du pays avec le Groenland, territoire colonisé disposant d'une autonomie mais pas de souveraineté, dont la population Inuit apparaît sans futur.
Outre la (dé)colonisation, la série touche avec cet espace à une autre problématique, omniprésente depuis les attentats du 11 septembre, la question du terrorisme. Cette dernière est abordée du point de vue de l'atteinte aux libertés publiques des citoyens, mais aussi en traitant son impact dans les relations internationales. Le Groenland a longtemps été livré comme arrière-base, sans condition, aux Etats-Unis : jusqu'où le Danemark peut-il être un allié dans la guerre qu'a entrepris l'Amérique ? Avec beaucoup de réalisme et un certain cran, Borgen va d'ailleurs souligner combien la qualification de "terroriste" peut être aléatoire. Elle n'a pas non plus son pareil pour exposer les dilemmes que posent les principes, notamment les droits de l'homme, face aux enjeux économiques : quand la signature de contrats dépend de votre reconnaissance des supposées avancées démocratiques d'un régime opaque dont vous avez pleinement conscience des limites, la marge de manoeuvre est minime et l'arbitrage des plus complexes.
Admirable série politique, la force de Borgen va cependant être aussi de ne pas seulement relater les coulisses du pouvoir. Elle personnalise son récit et parvient à impliquer émotionnellement le téléspectateur, grâce à ces trois personnages principaux. C'est par le prisme de ces derniers, à travers leurs certitudes, leurs doutes et leurs passés, que l'on va vivre tous les évènements de cette saison. A côté des ingrédients classiques d'une fiction politique, la série se réapproprie tous les codes d'un drama au sens large. Avec une vraie justesse dans la tonalité, elle nous parle d'amitié, d'amour perturbé, de vie familiale qui s'étiole... Disposant de personnages forts, auxquels on s'attache, Borgen traite pareillement vie publique et vie privée. Elle éclaire les interconnexions, parfois pesantes mais forcément inévitables, entre ces deux versants. Le sujet se révèle d'autant plus sensible en période de crise dans l'une des deux sphères.
Initialement, on aurait pu craindre que la série se disperse trop, en tentant de se positionner sur tous ces terrains, mais le téléspectateur est rapidement rassuré. En effet, Borgen ne perd pas en homogénéité, et la portée de la mise en scène du politique n'en souffre pas. En revanche, cette dimension humaine récompense la fidélité du téléspectateur qui peut ainsi en apprendre plus sur les motivations et ce qui se cache derrière l'apparence soigneusement gardée de ces personnages. C'est ainsi qu'au fil de la saison, je me suis surprise à apprécier de plus en plus la relation chaotique entre Kasper et Katrine. La complicité instinctive qui les unit à l'écran, avec toutes ses limites, sonne toujours très authentique. Ils se comprennent instinctivement réciproquement, liés par cette passion pour la dynamique du milieu politique ; mais ce qui les rapproche les éloigne presque aussi sûrement. Kasper n'aurait pas cette capacité à se détacher et à vendre comme personne des histoires qu'il invente spontanément sans ce qu'il a traversé, or c'est ce qui fait qu'il maintient justement ses distances. Leurs rapports sont explosifs, suivant un schéma assez invariable qui est vite compris du téléspectateur, mais qui fonctionne sacrément bien à l'écran !
Le relationnel est également très important pour suivre l'évolution du personnage de Birgitte Nyborg. Sur le plan professionnel, la nouvelle Premier Ministre est vite confrontée à l'épreuve de la "realpolitik", perdant la liberté de ton du temps de l'opposition pour devoir désormais prendre des décisions parfois difficiles, arbitrant entre principes et intérêts divergents. Un des premiers conseils que lui avait donné celui qui faisait office de mentor à ses côtés, au sein du parti, avait été la nécessité de s'isoler : à partir du moment où elle accédait à ce poste, elle n'avait plus d'amis dans les rangs des politiques. Bouclant la boucle de la plus symbolique des manières, c'est de ce mentor qu'elle doit se séparer dans le dernier épisode, pour effectuer un mini-remaniement ministériel nécessaire pour sa survie politique personnelle.
Sur le plan privé, ce même glissement est également perceptible. Birgitte et Philip sont à l'origine un couple qui a su trouver le juste équilibre entre carrière professionnelle et investissement familial. Il existe notamment un arrangement entre eux, au terme duquel chacun poursuit pendant cinq années son métier, puis consacre cinq années à la famille pendant que l'autre peut à son tour s'épanouir professionnellement. La victoire de Birgitte va venir rompre ce rythme : quel mari peut demander à son épouse de décliner le poste de Premier Ministre ? Or ce poste va bouleverser encore plus profondément l'équilibre du couple.
Borgen vient ainsi confirmer toute la solitude du pouvoir. La saison 1, hautement symbolique à ce niveau, se referme sur une victoire politique parachevant l'évolution. Le secrétaire général félicite alors Birgitte pour l'année qu'elle vient de passer à ce poste, estimant qu'elle a désormais pris toute la mesure de ses responsabilités... Mais derrière les traits tirés de la Premier Ministre, entièrement vêtue de noir, une question amère s'impose au téléspectateur : à quel prix vient le pouvoir ?
Réussie sur le fond, Borgen l'est aussi incontestablement sur la forme. C'est une série visuellement belle, tout en sachant rester sobre. La réalisation est parfaitement maîtrisée, mais c'est surtout la photographie très travaillée et soignée qui retient l'attention. Au final, on obtient des épisodes avec une image colorée et épurée qui rend vraiment bien à l'écran. L'impression d'une approche quasi-cinématographique est accentuée par le format dans lequel elle est filmée (16:9).
Enfin, Borgen bénéficie d'un casting aussi convaincant que solide. Sidse Babett Knudsen (Juletestamentet) se révèle progressivement, gagnant en présence à mesure que son personnage gagne en assurance, trouve ses marques et devient véritablement la Premier Ministre. En spin doctor avisé, aussi pragmatique que compétent, Johan Philip Asbaek (Blekingegade) lui donne très bien la réplique : si les deux n'ont pas toujours le même sens des priorités, ils sont très bons dans leurs domaines respectifs et trouvent une complémentarité naturelle. Quant à Birgitte Hjort Sorensen, si elle a mis un peu plus de temps à me convaincre, sans doute parce que son personnage n'est pas au mieux au début de la saison, elle réussit peu à peu à s'imposer. A leurs côtés, on retrouve également Mikael Birkkjaer (Forbrydelsen 2), Freja Riemann, Emil Poulsen, Anders Juul, Thomas Levin, Soren Malling, Lisbeth Wulff ou encore Kasper Lange.
"Politics is war without bloodshed while war is politics with bloodshed."
(Mao Zedong)
Bilan : Fiction politique stimulante et passionnante, Borgen est une série au contenu particulièrement riche. En seulement 10 épisodes, elle impressionne par sa faculté à traiter habilement de toutes les facettes envisageables d'une démocratie moderne occidentale. Captant l'attention du téléspectateur par la diversité de ses problématiques, la série dresse un portrait vivant et très intéressant du Danemark actuel. Si on dit souvent, à juste titre, que The West Wing a tendance à être une référence écrasante pour toute fiction politique, Borgen démontre cependant que l'on peut bel et bien se forger son identité propre dans ce genre particulier. Plus proche de nous dans les moeurs politiques qu'elle dépeint, elle s'impose aussi par une dimension humaine pleinement développée et sa façon d'entremêler vie publique et vie privée, ce qui humanise considérablement les personnages.
En résumé : à ne pas rater.
Vote Nyborg !
NOTE : 9,25/10
Le générique de la série :
08:01 Publié dans (Séries européennes autres) | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : danemark, borgen, dr1, arte, sidse babett knudsen, mikael birkkjaer, johan philip asbaek, birgitte hjort sorensen, freja riemann, emil poulsen, anders juul, thomas levin, soren malling, lisbeth wulff, kasper lange | Facebook |
21/05/2011
(BR/FR/POR) Les Mystères de Lisbonne (Mistérios de Lisboa) : fresque romanesque envoûtante dans le Portugal du XIXe siècle
Les rapports du petit et du grand écrans sont souvent discutés. Particulièrement en France, où les deux ont longtemps été présentés artificiellement comme antinomiques. Cette semaine, Arte s'attachait à corriger ces préjugés, diffusant ces jeudi et vendredi soirs une des plus belles réconciliations qui soit. L'occasion de nous rappeler que le cinéma et la télévision sont deux formats différents, mais qui ont chacun des atouts propres à leur genre. C'est ce que Raoul Ruiz, l'esprit tourné vers ces telenovelas qu'il rêvait de réaliser, a parfaitement compris à travers ses adaptations des Mystères de Lisbonne.
Cette oeuvre est à l'origine un classique de la littérature portugaise du XIXe siècle, de l'écrivain Camilo Castelo Branco. Le cinéaste chilien l'a transposée au cinéma, dans un film sorti en fin d'année dernière, qui constitue une fresque unique d'une durée de 4 heures 30. Mais il a également réalisé une version destinée à la télévision : une mini-série, composée de six épisodes de 55 minutes chacun, que la chaîne franco-allemande proposait donc cette semaine, en VM. Si je n'ai pas vu la version cinématographique, j'ai trouvé que le rythme narratif du récit s'adaptait vraiment parfaitement au découpage par épisode permis par le passage au petit écran. Cela a été incontestablement ma découverte sériephile de la semaine.
Nous plongeant dans un tourbillon de destinées entremêlées, Les Mystères de Lisbonne dévoilent, à travers une fascinante quête identitaire, les dessous de l'aristocratie portugaise du premier XIXe siècle.
Le jeune João Pedro da Silva, âgé de 14 ans, est interne dans un pensionnat religieux. Recueilli et élevé par le responsable des lieux, le père Dinis, l'adolescent ignore tout de sa naissance et de sa véritable identité, enfant sans nom subissant les brimades de ses camarades à un âge où les question sur les origines s'éveillent. A la suite d'une violente altercation, Pedro, blessé à la tête, perd connaissance. Cette nuit-là, il reçoit la visite d'une mystérieuse femme. Si au réveil, le père Dinis et Dona Antonia, une carmélite dont il est proche, lui recommandent d'oublier tout cela, Pedro sait qu'il s'agit de la première pierre sur le chemin de la découverte de ses origines.
A partir de cet évènement qui sert de catalyseur, les récits vont peu à peu se succéder, révélations intimes de vies rarement heureuses qui ont, d'une façon ou d'une autre, influer et présider à la vie de Pedro, ce dernier restant le fil rouge - et le narrateur - de cette histoire à la fois éclatée, mais pourtant toujours si fluide. Les Mystères de Lisbonne nous entraînent ainsi dans un voyage mouvementé à travers les destinées, souvent passionnelles et tragiques, de différents protagonistes. La mini-série remonte le temps, nous conduisant au-delà du Portugal, de Venise à la France impériale napoléonienne, pour proposer une fresque d'une densité aussi fascinante qu'envoûtante.
Les Mystères de Lisbonne correspondent à une vaste fresque, tourbillonnante et captivante, dans laquelle on retrouve tant cette ambiance d'époque que ce style foisonnant caractéristique de la littérature du XIXe siècle. A la fois dense et contemplative, sans égale pour verser dans un romanesque magnifique où les sentiments les plus violents, de l'amour à la haine, s'expriment, la mini-série propose un récit aussi éclaté qu'extrêmement vivant. On y croise tous les ressorts scénaristiques propres à ce genre. Ainsi, sa dimension historique lui permet de dresser un portrait de cette société portugaise, soulignant l'hypocrisie des élites et les paradoxes du pragmatisme de chacun. Mais c'est aussi un récit d'aventures, rythmé par les choix des personnages et les passions brisées. Au final, c'est un tableau fascinant, extrêmement coloré, qui prend forme sous nos yeux, où tous les rebondissements et toutes les coïncidences se justifient comme autant de pièces d'un même puzzle, d'une même énigme identitaire qui se complète peu à peu.
En effet, le fil rouge que constituent les origines et, plus généralement, la vie de Pedro Da Silva sert de prétexte parfait pour nous entraîner dans un récit dilué, mais toujours admirablement maîtrisé, qui va prendre la forme d'une mosaïque de destinées éparses, que le sort conduira à entremêler. La construction en mini-série trouve ici toute sa justification : chaque épisode apparaît dédié à une thématique et se consacre à une destinée, semblant par certains côtés indépendant des autres, mais poursuivant toujours cette exploration d'une ligne de vie particulière et de toutes celles qui ont pu influer sur elle. Dotée d'une narration atypique, qui confine à une forme de surréalisme un peu théâtral aussi déroutant qu'envoûtant, Les Mystères de Lisbonne constitue une oeuvre à part qui happe le téléspectateur sans que ce dernier puisse s'en détacher.
C'est en raison de ce surréalisme théâtral qu'il est difficile de distinguer le fond de la forme face aux Mystères de Lisbonne. En effet, ils finissent par se confondre, faisant tous deux partie intégrante d'une narration qui suit un style qui lui est propre. La réalisation apparaît semblable à une oeuvre d'orfèvre : chaque plan est particulièrement soigné, millimétré. Rien n'est laissé au hasard dans ce qui s'apparente presque à une succession de tableaux, d'instantané où la symbolique se dispute au suggestif de manière admirablement maîtrisée. Les changements de lieux, comme l'enchaînement des scènes dans un même récit, observent une forme d'invariable continuité qui parachève l'ensemble, apportant une consistance homogène à la façon dont l'histoire est racontée.
Enfin, Les Mystères de Lisbonne bénéficient d'un casting qui parvient à très bien retranscrire cette tonalité que le réalisateur choisit d'adopter. Adriano Luz incarne ce père Dinis, figure tutélaire omniprésente dont la destinée mouvementée semble liée à celle de Pedro. Ce dernier est joué par José Afonso Pimentel. A leurs côtés, on retrouve notamment Maria João Bastos, mère absente qui aura tant subi, Ricardo Pereira, constant protecteur à la vie débridée, mais aussi Clotilde Hesme, Julien Alluquette, Léa Seydoux, Melvil Poupaud, Sofia Aparicio ou encore Malik Zidi.
Bilan : Sur fond de recherche des origines pour cet orphelin dont la mini-série narre en réalité la vie (des faits antérieurs déterminants jusqu'à la fin), Les Mystères de Lisbonne s'apparentent à une mosaïque tourbillonante de flashbacks qui vont progressivement former un tableau captivant, portrait de la société portugaise du XIXe siècle. Cette épopée romanesque nous présente ainsi des destinées entremêlées, souvent tragiques, marquées par une intensité émotionnelle constante et déterminante qui apporte une dimension supplémentaire à l'histoire.
En résumé, cette mini-série constitue une véritable expérience narrative qui se savoure comme rarement. Laissez-vous captiver. Pour les retardataires, il n'est pas trop tard... Rendez-vous sur le catch-up d'Arte !
NOTE : 9/10
La bande-annonce :
18:52 Publié dans (Séries Amérique Latine), (Séries européennes autres), (Séries françaises) | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : brésil, france, portugal, arte, les mysteres de lisbonne, mistérios de lisboa, raoul ruiz, adriano luz, josé afonso pimentel, maria joão bastos, ricardo pereira, clotilde hesme, julien alluquette, léa seydoux, melvil poupaud, sofia aparicio, malik zidi | Facebook |