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12/05/2011

(Pilote DAN) Borgen : une série politique stimulante et captivante dans les coulisses du pouvoir

 

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Samedi dernier, j'ai enfin pu m'installer devant le pilote d'une série que je rêvais de découvrir depuis la fin de l'année dernière : Borgen. Il faut dire qu'elle arrivait sur mon écran à la suite d'un joli buzz, depuis Scénaristes en séries consacrés aux fictions scandinaves à l'automne dernier jusqu'au Fipa d'Or qu'elle a remporté fin janvier. Et puis, si vous avez pu constater que la télévision danoise a pris ses quartiers sur ce blog au cours de ces dernières semaines, il faut en plus préciser que Borgen est une série politique. Or vous savez combien je suis particulièrement attachée à ce genre.

Sa saison 1, comportant 10 épisodes d'une heure environ chacun, a été diffusée sur la chaîne publique DR1 en 2010. Succès critique et public, puisqu'elle a rassemblé en moyenne 1,5 millions de téléspectateurs danois, une saison 2 a été commandée et devrait arriver dans le courant de l'année au Danemark. Si, pour les plus impatients, un coffret DVD comportant une piste de sous-titres anglais existe, le téléspectateur français aura cependant normalement l'occasion de la découvrir, puisque la série a été achetée par Arte (qui a la bonne idée de poursuivre l'expérience danoise après Forbrydelsen) pour une diffusion normalement annoncée courant 2012.

C'est peu dire que je plaçais de très hautes attentes dans Borgen. Dans ces cas-là, le risque de la déception s'accroît... Mais c'est pourtant aussi impressionnée que charmée que j'ai fini ce premier épisode.

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Le pilote de Borgen débute en pleine fièvre électorale, trois jours avant des élections législatives qui vont modifier les rapports de force au sein du paysage politique multipartite danois. Le personnage central de la fiction, Birgitte Nyborg, est la leader du parti centriste, lequel a conclu des accords avec l'opposition, menant campagne contre le Premier Ministre sortant. Mais le dirigeant de ce parti, avec qui les centristes sont théoriquement alliés le temps de cette élection, rompt soudainement et sans préavis la ligne de programme commune sur laquelle il s'était engagé à propos d'un thème très sensible, celui de l'immigration. Prise au dépourvu en y assistant en direct lors d'une interview télévisée, Birgitte Nyborg refuse de se compromettre dans les fluctuations populistes de son partenaire et décide instantanément de rompre l'alliance qui les unissait, redistribuant ainsi les cartes sur l'échiquier politique. 

La prise de position de la dirigeante centriste va en réalité ouvrir trois journées qui vont considérablement bouleverser la scène politique danoise. En effet, parallèlement, à Londres, le Premier Ministre, dans une tentative mal inspirée d'éviter un scandale désagréable causé par son épouse, commet l'erreur de payer ses achats personnels avec une carte bancaire réservé aux frais publics. Par une série d'intermédiaires, les factures compromettantes arrivent entre les mains du spin doctor de Birgitte Nyborg, Kasper Juul. Si la femme politique refuse catégoriquement de s'abaisser à des pratiques aussi tendancieuses, sur la base de seules factures, le chargé de communication est plus amoral et le leader du parti d'opposition qu'il ira trouver n'aura pas la réserve de sa patronne.

C'est le soir du débat télévisé final, au cours duquel chaque candidat est censé conclure sa campagne par un discours d'intention généralement parfaitement calibré, que tout bascule. Birgitte Nyborg, persuadée que sa carrière n'a plus d'avenir en raison de ses dernières décisions, délivre un magnifique discours débridé qui est un appel au sens citoyen de chacun. Juste après, le leader de l'opposition achève de plonger la campagne dans une ambiance délétère en lançant ses accusations financières contre le Premier Ministre sortant. Le public ne lui pardonnera pas cet excès de mise en scène. Le lendemain, à la surprise générale, le parti centriste est la formation qui remporte le plus de sièges aux élections. Logiquement, c'est alors vers Birgitte Nyborg que chacun se tourne pour constituer son gouvernement.

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La première réussite de Borgen est d'investir de manière très prenante et réaliste ce champ du politique sur lequel plus d'une fiction s'est échouée. Elle présente un tableau aussi stimulant que captivant des coulisses du pouvoir. D'autant que, pour nous introduire au sein de cette démocratie danoise, quoi de mieux que de la découvrir en pleine action ? Nous plonger dans les derniers jours enfiévrés d'une campagne électorale pour les législatives est une parfaite mise en bouche, les résultats venant conclure ce premier épisode. Cette approche permet de rapidement situer chacun des protagonistes, personnalisant ainsi les enjeux. Adoptant une narration rythmée qui fait pleinement ressortir la tension ambiante, la série sonne ici très juste dans sa reconstitution des dessous du pouvoir.

C'est avec une certaine fascination que l'on suit cet équilibre parfois hésitant où s'entremêlent convictions sincères sous-tendant l'engagement politique, ambitions personnelles affichées, le tout saupoudré d'un cynisme pragmatique. Borgen n'est pas manichéenne, encore moins idéaliste, mais son souci de réalisme se conjugue avec un autre souffle, caractéristique des grandes fictions politique du genre, celui qui réveille en nous une fibre particulière en parlant au téléspectateur citoyen. Le débat télévisé final constitue sur ce point le véritable déclic du pilote, révélant et imposant pleinement le personnage de Birgitte.

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Cette impression d'authenticité que renvoie Borgen est accentuée par la double perspective dont ce pilote bénéficie. En effet, non seulement la série nous immerge dans le cambouis des tractations politiques de dernières minutes, des alliances de circonstances et autres rapports de force internes à ce milieu, mais elle fait également le choix de donner une place importante à la place des médias. La politique est plus que jamais devenue un jeu de communication, où les spin doctor règnent et calibrent chaque idée, chaque apparition de leur candidat, aseptisant l'ensemble selon les attentes supposées du public.

N'occultant pas cet aspect qui fait désormais partie du jeu de pouvoirs, la série nous laisse entrevoir l'envers du décor médiatique en découvrant les coulisses d'une chaîne de télévision. En nous relatant ainsi les deux versants de cette "théâtralisation du politique", Borgen se révèle particulièrement intéressante. D'autant qu'elle esquisse une problématisation plus polémique, celle des rapports entre les protagonistes des deux camps : les journalistes et les politiques. C'est un sujet trop souvent plein de non-dits. A travers le drame que vit la jeune présentatrice au cours de ce pilote, l'épisode n'échappe pas à un certain excès de dramatisation peut-être dispensable. Mais le simple fait que cette question soit abordée frontalement promet beaucoup, si la suite est du même accabit.

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En plus de poser ce cadre politique, le pilote va prendre le temps de personnaliser son récit, en accordant un peu de temps à ces différents protagonistes qui vont tous, chacun à leur manière, volontairement ou non, jouer un rôle clé dans l'enchaînement d'évènements qui va porter Birgitte Nyborg au pouvoir. C'est peut-être dans cette dimension humaine que le parfum de réalisme de Borgen est le plus fort. En effet, dans ce milieu carriériste, souvent impitoyable, l'individualisme règne. Nous sommes loin de la solidarité familière, presque confortable, du staff présidentiel de The West Wing.

Dans cette série, chacun suit sa route et fait ses choix en conscience. Le fait que chaque personnage appartienne à une sphère différente renforce ce ressenti, chacun semble évoluer de manière indépendante. Accentuant cet aspect, il faut dire que le seul lien professionnel existant entre deux personnages est rompu à la fin, sans le moindre sentimentalisme déplacé ou l'ombre d'une hésitation, Birgitte refusant de transiger avec certains de ses principes. En cela, j'ai eu le sentiment que Borgen s'efforçait d'être plus en prise avec la réalité de ces milieux professionnels.

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Par contraste, la série se charge cependant d'introduire un autre versant, plus personnel, qui offre un pendant parfait. Certes, vie privée et vie professionnelle sont imbriquées. Le pilote regorge d'exemples le prouvant : tandis que la chute du Premier Ministre est précipitée par sa femme, la jeune journaliste vedette entretient des rapports intimes avec différents conseillers en communication. Les relations de cette dernière vont d'ailleurs avoir des conséquences sur l'élection puisque Kasper n'aurait jamais mis la main sur les factures créant le scandale financier. Si la césure n'existe donc pas toujours, la vie personnelle offre aussi un cocon protecteur, loin de cette arène, comme l'illustre parfaitement Birgitte Nyborg.

Je dois dire que la façon dont nous est présentée son couple est une des excellentes idées de ce pilote : complices et complémentaires, Birgitte et son mari suivent jusqu'à présent un arrangement qui les place sur un plan d'égalité : chacun mène, par cycle de cinq années, sa carrière professionnelle, tandis que l'autre se consacre à leurs enfants. Philip apparaît vraiment comme un partenaire, soutenant et conseillant sa femme. Leurs échanges souvent plein de complicité et de réparties taquines et tendres font partie des scènes les plus justes et réussies. C'est une vie de famille saine, épanouie, que mène en parallèle celle qui va devenir la Premier Ministre danoise, venant donc compléter parfaitement ce portrait de dirigeante politique authentique que nous dépeint l'épisode. 

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Aboutie sur le fond, Borgen impressionne également sur la forme. La série bénéficie en effet d'une superbe réalisation, à l'esthétique soignée quasi-cinématographique. D'une excellente facture, la photographie est épurée, tout en sachant faire ressortir à propos les couleurs afin d'offrir des images belles, nerveuses quand il le faut, mais toujours maîtrisées. L'ensemble s'avère donc très convaincant, pour proposer un produit fini qui s'apprécie visuellement. A noter également la présence d'un générique classique, mais élégant et stylé, tout en sobriété, où l'âme des fictions politiques transparaît pleinement (pour un aperçu, il s'agit de la première vidéo à la fin de l'article).

Enfin, Borgen bénéficie d'un casting qui se révèle impeccable. Pour interpréter Birgitte Nyborg, Sidse Babett Knudsen s'impose peu à peu dans ce rôle de femme de conviction, dont le naturel et le charisme deviennent progressivement une évidence au fil de l'épisode pour être consacré lors de la (fameuse) scène du débat final. A ses côtés, soutien indéfectible autant que partenaire complice, son mari est incarné par Mikael Birkkjaer. Johan Philip Asbaek joue ce spin doctor pragmatique, qui prendra la décision déterminante de confier les preuves du scandale financier à l'opposition. Birgitte Hjort Sorensen est cette jeune journaliste ambitieuse que ces quelques jours vont secouer aussi bien sur un plan personnel que professionnel. On retrouve également Freja Riemann, Emil Poulsen, Anders Juul, Thomas Levin, Soren Malling, Lisbeth Wulff ou encore Kasper Lange.

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Bilan : Fiction politique au sens noble du terme, Borgen propose un pilote stimulant, bien écrit (par instant frôlant même le brillant), superbement réalisé et magnifiquement interprété. Tandis que Brigitte conquiert peu à peu le téléspectateur, l'épisode nous plonge avec réalisme dans un monde politique individualiste, mettant particulièrement en lumière les relations des politiques et des médias, déterminantes dans cet ère où l'art de la communication prime et en vient à effacer les idées. Si l'évocation de The West Wing, référence du genre, vient naturellement à l'esprit, Borgen ne renie pas son inspiration mais sait imposer sa propre identité. Ici, son atout est peut-être aussi d'être une fiction européenne : elle trouve naturellement un écho sans doute plus proche de nous et de notre démocratie.

En conclusion, retenez bien le nom de cette série. Dès que l'occasion se présentera, n'hésitez pas un seul instant : si j'en juge par ce pilote, Borgen est une série très intéressante qui mérite assurément le détour !


NOTE : 8,75/10


EDIT : A lire désormais, mon bilan complet de la première saison de Borgen
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Le générique :

(via Ladytelephagy)


Quelques images et une présentation de la série (suivies d'interviews) :


03/04/2011

(DAN) Forbrydelsen (The Killing), saison 1 : un polar captivant incontournable

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En ce premier dimanche d'avril, My Télé is Rich! met le cap vers le nord de l'Europe pour une fiction que j'avais déjà eue l'occasion d'évoquer brièvement lors d'un jour du TV Meme. Pour une première excursion dans le petit écran danois, je pouvais sans doute difficilement mieux tomber que sur cette série qui m'aura tenu en haleine pendant presque deux mois, rythmant chacun de mes week-end. Plus que tout, la saison 1 de Forbrydelsen aura réveillé en moi la fièvre du feuilletonnant nerveux et addictif, un genre dont j'avais un peu oublié la saveur ces dernières années.

Datant de 2007, la série est toujours en cours de production au Danemark : la saison 2 a été diffusée en 2009, et une saison 3 est annoncée pour l'an prochain. De plus, ce soir débute aux Etats-Unis le remake attendu, The Killing. Mais même si AMC apparaît comme une valeur relativement sûre pour diffuser ce type de fiction, je suis contente d'avoir eu l'occasion de savourer la version d'origine de cette histoire policière qui aura su captiver tout au long des vingt épisodes qui la composent. Ma curiosité - et mon appétit - pour les séries scandinaves étant désormais aiguisé, j'espère que d'autres séries suivront (Arte a bien acheté les droits de Borgen par exemple).

[A noter : La review qui suit est garantie sans spoiler sur la résolution de l'intrigue.]

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Se déroulant en tout sur une vingtaine de jours seulement, la saison 1 de Forbrydelsen a pour cadre la ville de Copenhague. Elle s'ouvre sur le pot de départ de la détective Sarah Lund qui s'apprête à vivre un dernier jour de travail au sein de la police danoise, avant d'être transférée en Suède où elle doit rejoindre, avec son fils, son fiancé. Mais si son remplaçant, Jan Meyer, arrive bien comme prévu afin de partager avec elle, sur le terrain, une journée du quotidien de l'unité, l'affaire qui débute ce jour-là, sous leur garde, va bouleverser tous les plans pré-établis.

En effet, la disparition d'une jeune fille de 19 ans, Nanna Birk Larsen, acquiert une dimension criminelle particulière lorsque son cadavre est retrouvé dans le coffre d'une voiture. Violée et battue, elle a été abandonnée vivante dans ce compartiment pour y mourir noyée. En dépit de ses réticences, Sarah Lund se voit alors confier la direction d'une enquête qui s'annonce compliquée. Non seulement parce que, comme toute adolescente, la vie de Nanna comportait son lot de secrets, mais aussi parce que l'investigation va conduire les policiers jusqu'au centre du pouvoir politique local, la mairie de Copenhague en pleine effervescence électorale, prise dans une lutte des ambitions et des égos où tout est permis - et où faciliter une simple enquête policière apparaît loin d'être une priorité.

Forbrydelsen nous plonge ainsi dans une enquête complexe, entrecoupée de fausses pistes, où chacun cache une part d'ombre et de non-dits et où le meurtrier a finalement tissé une toile de faisceau d'indices bien difficiles à interpréter. L'entêtement de Sarah Lund suffira-t-il à démêler et à s'extraire des faux-semblants ? Et surtout, quel sera le prix de la vérité ?

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Le premier atout de la série va résider dans sa capacité à exploiter son caractère feuilletonnant de manière extrêmement bien maîtrisée. Tranchant avec les procedural show policiers formatés sur une durée trop brève pour redonner au polar ses lettres de noblesse, c'est une seule et même enquête qui va occuper les vingt épisodes que comporte la saison 1 de Forbrydelsen. Se construisant sur une narration où la tension demeure constante, la série va prendre le temps d'explorer avec méthodes toutes les conséquences et les facettes du meurtre de Nanna Birk Larsen, nous entraînant dans les errances et méandres d'une enquête qui se doit de traiter toutes les pistes envisageables. L'intensité ne se dément pas, mais fluctue de manière crédible, rythmée par les brusques avancées mais aussi par les piétinements des policiers. Demeurant toujours homogène (ce qui est remarquable vu sa longueur), la narration est bien huilée et dénote un savoir-faire indéniable : chaque fin d'épisode nous laisse invariablement en suspens, si bien que réussir à se retenir de lancer l'épisode suivant dans la foulée se transforme en véritable test de maîtrise de soi.

Car voilà bien un sentiment dont j'avais un peu oublié le parfum et que Forbrydelsen aura réveillé de la plus convaincante des manières : l'effet addictif et grisant que peut provoquer un arc sur lequel toute une saison est construite. Cette série est en fait très semblable, par sa capacité constante à se complexifier et à retenir l'attention du téléspectateur, à ces romans policiers qui se dévorent d'une traite, ces polars noirs que vous commencez un soir et dont les pages se tournent avidement, chaque fin de chapitre (à la manière des fins d'épisodes de Forbrydelsen) étant une invitation à poursuivre plus avant une intrigue dont on ne peut plus se détacher avant d'être arrivé au bout. Le parallèle avec ce genre littéraire pourrait a priori sembler étonnant puisqu'il s'agit d'une série télévisée, mais le téléspectateur retrouve de manière frappante les mêmes ingrédients utilisés dans la construction scénaristique suivie, avec ses poussées d'adrénaline, ses fausses pistes évidentes et ses non-dits qui jouent peu à peu sur la paranoïa des protagonistes comme du téléspectateur.

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Extrêmement prenante, Forbrydelsen nous réconcilie ainsi avec un genre policier qui se décline assez peu, au petit écran, sous ce format feuilletonnant le plus poussé. Mais sa capacité à nous tenir en haleine n'est pas son seul attrait. C'est un polar au sens complet et noble que la série va proposer. En effet, en nous faisant suivre les conséquences de l'affaire Nanna Birk Larsen, elle s'ouvre à une multiplicité de points de vue et de remises en perspective qui l'enrichissent considérablement. Certes, l'enquête conduite par Sarah Lund demeure centrale, mais ses thématiques sont très larges. Elle nous glisse en effet également au côté des parents de la victime qui doivent non seulement faire face à la mort de leur fille aînée, mais aussi à ce jeu éreintant des spéculations et des soupçons policiers si changeants. De plus, Forbrydelsen nous introduit dans les coulisses de la scène politique locale : tandis que les enquêteurs s'interrogent sur les liens de la victime avec la mairie, l'affaire va être aussi un prétexte pour s'engouffrer dans des jeux de politique politicienne dont les intérêts ne recoupent pas toujours ceux d'une police sur laquelle s'exerce des pressions contradictoires. Cela complexifie d'autant l'investigation.

De plus, outre la richesse de son cadre, la série marque également par la dimension humaine, plus psychologique, qu'elle investit. Ne s'effaçant jamais devant le fait divers mis en scène, elle s'intéresse sincèrement à ses protagonistes. A mesure que l'enquête progresse et se fait plus éprouvante, le portrait de ces derniers se nuance, les apparences se craquellent et les failles apparaissent. Car ce meurtre va non seulement happer chacun, mais surtout les ronger peu à peu de façon quasi inexorable. Nous entraînant dans une spirale de plus en plus obsédante de quête du coupable, le récit se dote d'accents très authentiques : de l'obstination inflexible d'une Sarah Lund qui en perd peu à peu le sens des priorités dans sa vie, au travail de deuil si difficile de la famille de Nanna qui doit, en dépit de tout, continuer à vivre et à aller de l'avant, en passant par les doutes d'un Troels Hartmann qui voit ses certitudes s'étioler, s'efforçant d'arbitrer maladroitement entre exploitation électoraliste et aide à la police. C'est finalement un glissement vers la part sombre de chacun qui s'opère au fil de la série, avec une justesse fascinante pour un téléspectateur se laissant à son tour gagner par cette ambiance oppressante.

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Polar prenant, presque source d'obsession sur le fond, Forbrydelsen se révèle toute aussi convaincante sur la forme. D'une neutralité bienvenue, la réalisation opte pour une efficacité sobre, sans effet de style particulier. L'image est mise au service de l'intrigue, les angles choisis par une caméra parfois nerveuse sachant quand il le faut aiguiser les suspicions d'un téléspectateur, sans pour autant verser dans un suggestif excessif. Par ailleurs, il faut également saluer une bande-son présente sans être envahissante, composée de morceaux intrumentaux parfaitement adéquats. C'est surtout la musique de clôture de chacun des épisodes, transition captivante qui s'impose comme le symbole de la continuité narrative et de ce registre de feuilletonnant addictif.

Enfin, Forbrydelsen bénéficie d'un solide casting qui achève d'asseoir la crédibilité de l'ensemble, chacun sachant retranscrire la progressive transformation des personnages et le tournant que ces quelques jours vont faire prendre à leurs vies. Leurs jeux, tout en sobriété, permettent de construire avec beaucoup de justesse la tension qui s'installe. Retenons quelques noms pour des excursions téléphagiques danoises futures, parmi lesquels Sofie Gråbøl, Søren Malling, Lars Mikkelsen, Bjarne Henriksen, Ann Eleonora Jørgensen, Marie Askehave, Michael Moritzen, Nicolaj Kopernikus, Bent Farshad Kholghi.

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 En résumé : laissez-vous happer par ce polar venu de l'Europe du Nord.

Qui a tué Nanna Birk Larsen ?

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Bilan : Toujours captivante, parfois proprement haletante, Forbrydelsen est une fiction ambitieuse tant par la multiplicité des points de vue adoptés et des thématiques développées autour du meurtre qui constitue son coeur, que par sa construction narrative, feuilletonnante à l'extrême. Polar noir inspiré qui s'inscrit dans la plus belle tradition de ce genre, l'histoire met son format de série télévisée - avec une longueur qui aurait pu effrayer plus d'un scénariste - au service d'une intrigue complexe, qui sait prendre son temps sans que son rythme d'ensemble n'en souffre jamais. Si elle connait des moments plus intenses, elle impressionne cependant par son homogénéité globale : du premier au dernier épisode, c'est un arc narratif parfaitement maîtrisé, avec un début, des doutes et une résolution finale qu'elle va nous relater.

Pour toutes ces raisons, Forbrydelsen est une série à découvrir. Une de ces expériences téléphagiques qui se vivent et se savourent pleinement, renouvelant les fondements et la vitalité des productions du petit écran. C'est ce qu'on appelle une incontournable...


NOTE : 9/10


La bande-annonce de la série (Arte / VF) :


A re-écouter - Des extraits de la bande-son musicale :


17/12/2009

(Mini-série UK) Le retour de Jack l'Eventreur : les mystères de Whitechapel


Si je ne prends pas toujours le temps de m'installer devant, j'avoue que j'aime beaucoup Arte et sa politique de diffusion des fictions, offrant un pied-à-terre continental à quelques productions britanniques qui méritent le détour. C'est ainsi que ce vendredi soir, la chaîne diffusera l'intégralité des 3 épisodes composant la mini-série Whitechapel, du nom du quartier londonien théâtre des meurtres du plus célèbre serial killer de l'histoire, à la fin du XIXe siècle. Pour l'occasion, la fiction a été sobrement rebaptisée pour le téléspectateur distrait, aux connaissances géographiques confuses, Le retour de Jack l'Eventreur, de façon à attirer l'attention de quelques curieux.

Diffusée en février dernier sur ITV1, Whitechapel se déroule de nos jours, alors qu'un tueur semble reproduire, avec un réel sens du détail, les assassinats commis plus d'un siècle auparavant. L'enquête va conduire des policiers déstabilisés sur les chemins déjà empruntés par la police londonienne à l'époque. C'est finalement une version de l'histoire originale qu'il leur faudra choisir, pour espérer résoudre leur propre enquête ; s'intéresser au passé, pour comprendre le présent. Auront-ils plus de succès que leurs prédécesseurs ?

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L'incontestable atout de Whitechapel réside dans son concept. La mini-série entreprend de ressusciter Jack l'Eventreur, un mythe criminel instantanément intriguant, en suivant un assassin méticuleux qui adopte les mêmes schémas et méthodes que ceux de son inspirateur. Abondante en détails morbides, cherchant (sans toujours y parvenir) à créer une ambiance sombre, presque inquiétante par moment, Whitechapel se révèle être une fiction policière efficace. A partir de fondations très riches, le fait de marcher sur des traces, datant d'il y a 120 ans, va exercer un attrait historique, tout en générant une certaine frustration auprès du téléspectateur, surtout s'il est familier avec cette affaire. En effet, si les meurtres sont des reproductions des victimes de Jack l'Eventreur, la police semble, suivant le même mimétisme, reproduire ses erreurs d'autrefois. Si bien que le rapport entre le présent et le passé donne finalement l'impression de quelque peu tourner en rond ; on en vient à se demander si les scénaristes ne rêvaient pas secrètement de transposer le mythe de ce serial killer dans notre présent. Car, pendant une bonne partie de la mini-série, la police contribue à la reproduction de l'histoire, avec les mêmes errances, plus qu'elle ne s'aide du passé pour empêcher les drames futurs. Pourtant, lorsque la nécessité de comprendre la première enquête, pour résoudre celle à laquelle ils sont confrontés, s'impose enfin, la mini-série va se révèler habile à manier les sources dont on dispose sur cette époque, avec le recours à un ripperologist.

Si Whitechapel manque parfois un peu de consistance sur le fond, elle n'en demeure pas moins attachante, grâce à un duo principal d'enquêteurs, opposés et caricaturaux, mais très humains et dont l'association fonctionne bien. Le policier blasé et expérimenté et le jeune commissaire arriviste, maniéré et manquant de confiance en lui (Rupert Penry-Jones, à des lieues de Spooks), c'est une recette des plus classiques, mais elle est mise en scène efficacement ici. La galerie des personnages secondaires offre finalement un ensemble homogène et équilibré. Si bien que même si l'histoire se situe sur des sentiers très connus, on a envie d'y accompagner cette équipe d'enquêteurs, sans tenir compte du manque récurrent d'originalité.

Reste que, sur la forme, la série souffre des mêmes défauts que sur le fond. En effet, sans toujours éviter l'écueil de la caricature, la mini-série met beaucoup d'application, souvant maladroite, à essayer de se créer une identité qui lui est propre. Ce constat peut être fait aussi bien concernant les choix de réalisation et de traitement de l'image (quelques flashs maladroits de l'assassin, par exemple), que pour la bande-son, avec un thème récurrent au piano. Tout cela constitue des efforts louables, mais pas toujours bien dosés, ils apparaissent parfois excessifs ou inopportuns. Mais, s'ils n'atteignent pas vraiment leur but, ils ont le mérite d'exister.

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Bilan : Non exempte de défauts parfois frustrants, Whitechapel n'en demeure pas moins une honnête et efficace fiction policière qui se suit avec un intérêt jamais démenti, grâce à son fort concept de départ et à ses divers protagonistes. La diffusion des trois épisodes à la suite permet d'ailleurs à la mini-série de gagner en homogénéité dans la construction de l'enquête, le choix de diffusion de Arte étant donc à souligner. Si tout cela reste très classique et ne marquera pas la télévision, n'exploitant pas pleinement le potentiel initial, il est facile de se laisser happer par l'ambiance qui s'en dégage.
A découvrir avec curiosité !


NOTE : 7/10


Les trois premières minutes de la série : Disponibles sur le site officiel d'Arte