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05/05/2014

(Pilote AUS) Devil's Playground : au sein de l'Église catholique australienne de la fin des années 80

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Outre des histoires d'épidémie, le deuxième grand thème du Festival Séries Mania 2014 était le religieux. Un de mes grands regrets a d'ailleurs été de ne pas pouvoir découvrir l'israélienne Mekimi, sur laquelle j'ai entendu de très bons échos. Parallèlement, côté français, j'ai pu assister à la projection des premiers épisodes de la saison 2 de Ainsi Soient-Ils, qui sera diffusée cet automne sur Arte : si la première saison m'avait laissé bien des réserves, cette seconde démarre vraiment sur de très intéressantes promesses (j'aurais sans doute l'occasion d'y consacrer un billet prochainement). En restant au sein de l’Église catholique, une autre série a retenu mon attention : l'australienne Devil's Playground.

Encore inédite en Australie (elle était au festival en "avant-première mondiale"), où elle sera diffusée d'ici la fin de l'année sur Showcase, Devil's Playground comptera en tout 6 épisodes. Elle est la suite d'un film du même nom (The Devil's Playground) de Fred Schepisi datant de 1976. Elle reprend le même protagoniste principal, Tom Allen, qui était alors enfant dans un séminaire, et qui est désormais devenu psychiatre et père de famille. Fait notable, le personnage demeure toujours interprété par le même acteur, Simon Burke, à 38 années d'intervalle. Les deux histoires sont cependant indépendantes. Si Devil's Playground partage son point de départ criminel -la mort d'un enfant- avec bien d'autres séries récentes, à l'image de Broadchurch ou Mayday, elle n'en est pourtant pas une énième déclinaison policière. Il s'agit en effet avant tout d'une œuvre qui, au sein d'une communauté, s'interroge sur le pouvoir et la religion.

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Devil's Playground s'ouvre en 1988. Depuis le film d'origine, Tom Allen a bien grandi : il est devenu psychiatre, père de deux enfants. Il est veuf quand débute la série. Toujours croyant et pratiquant, il fréquente, avec ses enfants, la communauté catholique de Sydney - de l'école confessionnelle à la messe dominicale. Dans sa vie professionnelle, il est aussi amené à traiter un patient prêtre, qu'il convainc de confesser à ses supérieurs les malversations qu'il a commises. Ce "fait d'armes" attire l'attention d'un des évêques, dans le contexte particulier qui entoure une Église australienne alors en pleine effervescence et mutation. Tom Allen se voit proposer de poursuivre le travail qu'il a initié auprès de ce prêtre, en recevant d'autres membres du clergé qui auraient besoin de son assistance.

Au même moment, le quotidien de la communauté est soudainement troublé par la disparition d'un enfant, dont la famille est bien connue de Tom Allen. Le corps du garçon est finalement retrouvé dans une étendue d'eau. Tandis que la police traite l'affaire comme une simple noyade accidentelle, le meilleur ami du défunt est persuadé que cette mort a été provoquée. Le psychiatre se retrouve ainsi au premier rang pour essayer de comprendre ce qu'il s'est passé, et démêler ce qui se joue, à cette époque, au sein de l’Église catholique du pays. Un scandale se profile.

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Si Devil's Playground démarre sur un ressort dramatique classique, promesse d'un fil rouge criminel assuré de retenir l'attention du téléspectateur, la série opte pour une autre approche que la classique enquête relatée du point de vue des policiers. En effet, ne se réduisant pas à une simple investigation, les premiers épisodes entreprennent de nous plonger dans cette communauté catholique de la fin des années 80. Plus qu'aux fidèles, la fiction s'intéresse à l'institution ecclésiastique elle-même et aux tensions internes -mais aussi intimes- qui déchirent en son sein le clergé. Par l'intermédiaire de l'école confessionnelle ou du cabinet de Tom Allen, plusieurs prêtres sont ainsi introduits. Cependant, ce sont les sommets de la hiérarchie qui concentrent les enjeux principaux : en effet, la succession du plus haut dignitaire australien s'annonce. Par-delà les luttes d'hommes de pouvoir, ce sont aussi des conceptions qui s'opposent, entre intransigeants à la ligne rigoriste et ceux qui souhaiteraient évoluer dans le sens de la société. Convictions et ambitions s'entremêlent et se heurtent. Mais c'est un autre écueil qui s'annonce pour certains des protagonistes, lié à des affaires de mœurs.

La réussite de ces débuts tient au fait que tout en capturant sans complaisance ces jeux politiques ecclésiastiques, Devil's Playground n'oublie pas de donner un personnage pouvant servir de point d'accroche au téléspectateur : Tom Allen occupe en effet très bien cette fonction. Le personnage est dépeint avec ses failles, dans sa vie privée et familiale ; de quoi lui donner l'épaisseur qui convient. Mais il y a aussi chez lui une droiture. Et il est surtout un croyant sincère, loyal à l’Église ; un laïc, observateur extérieur d'une institution qui lui reste très familière. Invité, à la demande d'un évêque, à devenir le "psychiatre de l’Église", il se retrouve donc dans une situation privilégiée, y compris pour pousser un peu plus loin les questions que soulève la mort du fils de cette famille qu'il côtoie. Autour de ce drame, la série est capable de se construire en dehors de l’Église, introduisant divers protagonistes -la famille du défunt, son meilleur ami-, qui lui permettent de traiter avec justesse des thèmes forts que sont la perte d'un être cher, ou encore le rapport à la foi face à un tel événement. Ainsi, si la série entend jeter un éclairage sur l'institution ecclésiastique, c'est cependant bien un portrait plus vaste de la communauté catholique, où croyants et clergés se croisent, qui est envisagé, donnant plus d'ampleur au récit.

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Visuellement, Devil's Playground fait preuve d'une belle maîtrise formelle qu'il convient de saluer. La photographie y est soignée, et la réalisation emprunte une sobriété toute calculée. La simplicité travaillée, très bien dosée, permet une reconstitution de l'Australie de la fin des années 80 par petites touches et grâce à quelques détails du quotidien, des voitures aux technologies. Une telle mise en scène assure l'immersion du téléspectateur au sein de ce cadre et de la communauté catholique dans laquelle elle nous glisse. Signe du parti pris esthétique de la série, le générique d'ouverture est tout aussi réussi, annonçant avec style le thème de la fiction.

Enfin, Devil's Playground peut s'appuyer sur un casting solide, au diapason de la sombre tonalité ambiante : les interprétations sont convaincantes, avec la retenue, mais aussi l'intensité qui convient parfois. Les protagonistes personnalisent différents enjeux, et consolident par leur jeu un récit déjà très efficace. Comme indiqué en introduction, c'est Simon Burke (The Alice) qui reprend, trois décennies après, le rôle de Tom Allen. A ses côtés, on croise quelques têtes très familières, toutes impeccables, comme Toni Collette (United States of Tara), John Noble (Fringe, Sleepy Hollow), Don Hany (East West 101, Serangoon Road), voire Leon Ford (Puberty Blues). Figurent également dans la distribution Andrew McFarlane (The Alice), Jack Thompson, Max Cullen (Love My Way) ou encore Anna Lise Phillips (Young Lions).

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Bilan : Délivrant deux premiers épisodes denses, dotés d'une narration solide et maîtrisée, Devil's Playground signe des débuts réussis. La série introduit efficacement le téléspectateur dans la communauté catholique de Sydney, aussi bien du côté des laïcs que des ecclésiastiques, utilisant le personnage de Tom Allen comme clé d'entrée - son statut de psychiatre lui donnant une dimension supplémentaire. Les tensions et les luttes, exacerbées, qui se perçoivent au sein de l'institution dépeinte, retiennent l'attention du téléspectateur, tout autant que le fil rouge criminel qui ébranle la communauté.

Après deux épisodes, Devil's Playground en est certes encore au stade des promesses ; mais elle semble avoir toutes les cartes en main pour mener à bien les ambitions affichées. Une chose est sûre, je surveillerai la diffusion australienne.


NOTE : 7,5/10

28/09/2013

(Pilote AUS) Serangoon Road : enquêtes à Singapour dans les années 60

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La rentrée sériephile bat son plein en cette dernière semaine de septembre. Pas vraiment de coups de coeur parmi les quelques pilotes américains que j'ai visionnés pour le moment. J'entends (et lis) beaucoup de bien sur Masters of Sex qui débute sur Showtime ce dimanche, j'espère donc que cette série rompra la relative morosité automnale. En attendant, tout en restant dans les fictions anglophones, je vous propose aujourd'hui de poursuivre nos voyages exotiques, cette fois-ci direction l'Océan Pacifique.

Serangoon Road est une série australienne, co-produite par ABC et HBO Asia (dont c'est la première série originale). Commandée pour une saison de 10 épisodes, elle a débuté ce dimanche 22 septembre 2013. En dépit de cette double origine, Serangoon Road est sans doute avant tout à rapprocher d'autres period/cop dramas actuels d'ABC1, de Miss Fisher's Murder Mysteries à The Doctor Blake Mysteries. Sa grande particularité est de se dérouler à Singapour dans les années 60. Avec un tel cadre, le dépaysement était assuré. Ce pilote n'est cependant pas aussi convaincant que je l'espérais.

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Serangoon Road débute en 1964. Singapour est alors une place-tournant dans le Pacifique, point de passage et de croisement multiculturel. Politiquement, tandis que l'Empire britannique se retire, les tensions y sont à leur comble. La ville accueille en plus de nombreux visiteurs, des touristes, mais aussi beaucoup de soldats, y compris américains, qui viennent prendre du bon temps. Entre jeux d'argent, prostitution, mais aussi jeux d'espions sur fond de guerre froide qui a connu bien des soubresauts depuis le début de la décennie, c'est un ville extrêmement animée dans laquelle la série nous entraîne.

Sam Callaghan connaît parfaitement Singapour. Enfant, il a survécu au camp de prisonniers de guerre de Changi construit par les Japonais durant la Seconde Guerre Mondiale. Il a par la suite notamment travaillé dans le renseignement militaire pour les Australiens. De retour à Singapour, capable d'évoluer aussi bien dans les ruelles des quartiers populaires de la ville qu'au sein de la communauté des expatriés, Sam est sollicité par Patricia Cheng, en charge d'une agence de détective voisine depuis la mort de son mari. Dans ce premier épisode, c'est la CIA qui vient les engager pour retrouver un soldat enfui, soupçonné d'un crime.

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Le principal attrait de Serangoon Road réside dans le décor que la série s'est choisie, signe d'un parti pris ambitieux : la ville de Singapour se trouve à une période charnière de son Histoire au début des années 60, et constitue en plus un point de passage incontournable dans cette région du monde. Ainsi placée au croisement des cultures, des époques et même des mondes, elle permet de se confronter à divers acteurs aux préoccupations très différentes. Un effort de reconstitution historique est réalisé, avec un pilote parsemé de références, présentant suivant un regard australien critique les dernières crises qui ont marqué la Guerre Froide, et plus généralement l'approche américaine. Pour naviguer dans ce cadre multiculturel, la série utilise un classique : un personnage principal qui, rattaché à chacun de ces mondes, n'appartient pleinement à aucun, à la fois intégré et extérieur à ce qui se joue dans les diverses communautés. L'effet de dépaysement est immédiat pour le téléspectateur. Cette délocalisation bienvenue va cependant être la seule réelle originalité de ce pilote.

Car si le décor est certainement parfait pour que s'y déroulent des intrigues versant dans le polar noir, Serangoon Road peine à convaincre. L'épisode cède en effet à tous les poncifs du genre, suivant un cahier des charges calibré à l'extrême, que d'aucuns qualifieraient d'éculé. L'histoire se construit autour d'une figure centrale, héros au passé pesant, torturé par de douloureux souvenirs, mais avec une boussole morale parfaitement ordonnée. Le téléspectateur pourrait sans doute se rallier cette caractérisation un peu facile, si parallèlement l'enquête policière ne se révélait pas si faible, empruntant de nombreux raccourcis sans parvenir à générer la tension attendue. L'écriture apparaît souvent malhabile, versant dans un manichéisme simplificateur loin de l'entre-deux grisâtre et des compromis qu'un tel cadre aurait dû encourager. Ce pilote manque donc de nuances et de prises de risque. Il faudra que la suite complexifie ces intrigues pour éviter que la série ne soit qu'une énième déclinaison historique d'enquêtes trop quelconque.

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Sur la forme, Serangoon Road se heurte à certaines limites de l'exercice de reconstitution d'une ville aussi animée que peut l'être Singapour : la mise en scène sonne trop lissée, ou parfois trop ordonnée, et il n'y perce pas toujours l'atmosphère agitée dans laquelle la série tente d'immerger le téléspectateur. La réalisation est honnête, mais ne se démarque pas. La bande-son n'est pas non plus mémorable. En revanche, plus enthousiasmant est le générique d'ouverture, travaillé, qui nous glisse de façon plutôt stylée dans l'ambiance d'un lieu et d'une époque (cf. la 1ère vidéo ci-dessous).

Côté casting, Serangoon Road est l'occasion de retrouver dans le rôle principal Don Hany (Offspring), croisé l'année dernière dans East West 101 dont la saison 1 avait été diffusée sur Arte. Il trouve sans difficulté ses marques dans ce registre d'homme droit mais torturé qui lui est dévolu. Il faut cependant espérer que son rôle gagne en complexité au fil des épisodes. A ses côtés, Joan Chen (Twin Peaks) incarne la veuve qui vient lui demander de conduire une enquête pour son agence. On retrouve également Chin Han, Alaric Tay, Ario Bayu, Maeve Dermody (Paper Giants : The Birth of Cleo, Bikie Wars : Brothers in Arms), Rachael Blake (The Prisoner, The Straits), Pamelyn Chee (Point of entry) ou encore Michael Dorman (Wild Boys, Wonderland).

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Bilan : Si le cadre choisi de Singapour dans les années 60 est un décor parfait pour y conduire un polar noir, Serangoon Road signe un pilote assez quelconque. Il y a du potentiel dans tous les ingrédients réunis à l'écran - aussi bien pour évoquer les enjeux politiques et sociaux de l'époque, que pour plonger dans les tensions propres à la ville. Mais l'écriture manquant de nuances et de finesse, assez maladroite parfois dans sa conduite du versant policier, ne permet pas de mettre en valeur ces aspects.

Les amateurs de romans noirs délocalisés au bout du monde ne resteront sans doute pas insensibles à l'expérience entreprise. Quant à moi, la dimension historique et multiculturelle de la série me parle suffisamment pour poursuivre un peu plus loin l'aventure. Espérons que Serangoon Road corrige au moins les limites de ses enquêtes.


NOTE : 6/10


Le générique de la série :


Une bande-annonce de la série :


16/04/2012

(AUS) East West 101, saison 1 : plus qu'une série policière, une exploration multiculturelle

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En créant une case dédiée aux séries le jeudi soir, Arte a fait depuis le début de l'année de très intéressants choix, l'occasion de rendre accessible gratuitement à un public francophone une production internationale diversifiée, ouvrant de nouveaux horizons aux sériephiles. Cette semaine, nous sommes même doublement gâtés puisque vendredi soir (et le suivant), la chaîne franco-allemande diffuse celle qui a été une des plus marquantes (et ma préférée) mini-séries britanniques de 2011 : The Promise (Le Serment). Elle a déjà été diffusée sur Canal+, mais pour ceux qui ne l'auraient pas encore vue : n'hésitez pas ! En attendant, ce jeudi commencera la diffusion de la première saison d'une autre série sur laquelle je veux m'arrêter aujourd'hui : East West 101.

Créée par Steven Knapman et Kris Wyld (deux habitués des séries policières se déroulant à Sidney, également à l'origine de Wildside et de White Collar Blue), cette série a débuté sur SBS One en décembre 2007. Elle compte trois saisons, dont la dernière date du printemps 2011. Si cette première saison fut diffusée de manière confidentielle, elle n'en a pas moins obtenu une vraie reconnaissance de la part des critiques, remportant de nombreuses récompenses. En effet, plus qu'une simple série policière, East West 101 est une série à la résonnance particulièrement actuelle grâce à son thème central, le multiculturalisme. Pour bien comprendre le parti pris narratif, il est sans doute aussi nécessaire d'insister sur sa chaîne de diffusion, SBS : cette chaîne publique a justement pour mission de refléter le mélange des cultures et le multilinguisme au sein de la société australienne. Une tâche dont East West 101 s'acquitte avec brio.

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East West 101 met en scène le quotidien d'une unité spécialisée dans les major crimes au sein de la police métropolitaine de Sidney. Dans cette équipe, la série s'intéresse plus particulièrement à Zane Malik, jeune détective consciencieux et ambitieux. C'est un drame personnel qui a conduit ce fils de réfugiés irakiens, père de famille et pieux musulman, dans les forces de l'ordre. En effet, alors qu'il n'était qu'un jeune adolescent, le commerce de son père fut victime d'un braquage. Tenant alors la caisse, Zane avait refusé d'obtempérer avec le criminel qui le menaçait pourtant de son arme ; son père intervint et fut grièvement blessé à la tête. L'auteur des faits n'a jamais été retrouvé, mais si le père de Zane survécut, il ne s'en remit pas, restant handicapé. En brisant l'équilibre familial d'alors, cet évènement a été déterminant dans la vie de Zane : le désormais policier n'a jamais tourné la page, se promettant de retrouver un jour le coupable.

C'est aux côtés de cet officier qu'East West 101 entreprend de nous immerger dans une Australie, terre d'asile et d'immigration. Dans un contexte post-11 septembre, difficile pour les communautés arabes du pays, où être musulman déclenche bien des préjugés et hostilités qui sont tenaces, Zane Malik s'efforce de concilier sa vie familiale, son appartenance à une communauté culturelle et religieuse, et sa carrière au sein d'une police dans laquelle il se heurte parfois aux mêmes difficultés et tensions. Outre les récits d'enquêtes qui conduisent les policiers à découvrir différentes communautés, c'est vers un affrontement plus personnel que s'oriente cette saison 1 de East West 101. Elle va en effet nous faire assister à la dégradation des rapports entre Zane et son supérieur direct, Ray Crowley. Ce dernier, représentant d'un tout autre milieu social, doit, au-delà de ses préconceptions contre la minorité à laquelle appartient Zane, faire face à un difficile drame familial.

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Chronique du quotidien de violences et de crimes auquel est confrontée une unité de police spécialisée de Sidney, East West 101 est tout d'abord une solide série policière qui entend nous placer au plus près de la réalité des quartiers multi-ethniques de la ville. Privilégiant une approche locale, elle va ainsi s'efforcer de prendre véritablement le pouls d'une société australienne représentée ici dans toute sa diversité. Ce parti pris narratif se perçoit jusque dans le titre de la série, lequel contient une double référence à plusieurs antagonismes que les scénaristes souhaitent explorer : d'une part, on peut y voir une mise en lumière du choc culturel entre l'Ouest (l'Occident) et l'Est (le Moyen-Orient), d'autre part, c'est une référence plus australienne, celle de la répartition des classes sociales dans les grandes villes du pays (et notamment Sidney), les banlieues Est accueillant majoritairement des habitants plus aisés d'origine anglo-saxonne, tandis que dans les quartiers Ouest, se retrouve une population plus précaire, issue de l'immigration récente (le E101 étant le formulaire pour venir travailler en Australie). Autre signe révélateur de cette recherche de réalisme, le personnage central de Zane Malik est directement inspiré d'un policier australien d'origine égyptienne, Hany Elbatoory, vers lequel les scénaristes furent orientés au début de leur projet.

Cette préoccupation d'avoir une résonnance authentique va être une des grandes forces de East West 101. Non seulement cela lui permet de proposer un portrait diversifié et complexe de la société australienne, reflétant sans l'édulcorer la multiplicité d'origines et de cultures que l'on y croise, mais elle va en plus se démarquer de la simple (aussi efficace soit-elle) fiction policière. En effet, la thématique centrale autour de laquelle le récit s'organise est celle du multiculturalisme. C'est tout l'enjeu et les difficultés représentés par la conciliation, voire la confrontation, de cette diversité qui est au coeur de la série, transcendant toutes les histoires mises en scène, suivant un double niveau de lecture qui densifie considérablement chaque épisode. Ce multiculturalisme se décline tout d'abord dans les affaires à élucider, ces dernières amenant les policiers à s'intéresser à différentes minorités/communautés (aborigène, arabe, serbo-bosniaque, vietnamienne...). Mais en plus, cette problématique se retrouve au sein même de la police, où l'on croise cette même diversité (ne se cantonnant donc pas au seul personnage de Zane Malik).

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S'il arrive à East West 101 de céder à certains raccourcis ou stéréotypes, la richesse des thèmes traités et l'évidente ambition de départ, portée par une écriture rythmée et tendue, font d'elle une des plus intéressantes séries policières de ces dernières années. Non seulement elle sait faire preuve de justesse dans le traitement de ces sujets très sensibles, mais surtout, en filigrane, s'esquisse une tentative de poser des bases de compréhension réciproque. Récit de cohabitation, de nécessaire ouverture sur l'autre, elle met en lumière les différences, mais aussi les valeurs partagées, par tous ces individus aux origines diverses mais qui, notamment au sein de la police, tendent vers un même objectif. En nous plongeant dans un melting-pot culturel, religieux et linguistique d'une densité fascinante, la série distille avec retenue et subtilité un message de tolérance. Et si parfois les oppositions peuvent paraître manichéennes, elle réussit régulièrement à s'en émanciper pour être capable de rester fidèle à cette idée d'un portrait de société nuancé par la multiplicité des points de vue proposés.

Dans cette optique, le pilote, très didactique, est parfaitement représentatif des enjeux immédiats soulevés par la série, faisant preuve d'une efficacité aussi poignante que remarquable. Toute la saison ne va pas se réduire à des incursions policières au sein de la communauté arabo-musulmane, mais pour un premier épisode, East West 101 choisit habilement d'entremêler ses deux fils narratifs principaux, c'est-à-dire ce qui se joue au sein de la police et l'affaire du jour, particulièrement sensible dans ce cas : la mort d'un policier, abattu alors qu'il poursuivait deux braqueurs, dont la seule description est leur "apparence moyen-orientale". Zane se retrouve logiquement dans une position difficile, à la jonction des tensions dans un quartier se retrouvant soudain sous la pression d'une police décidée à réagir vite et à ne pas laisser impuni un tel crime. L'officier tentera d'exploiter jusqu'au bout son statut particulier, passerelle fragile entre ces deux sphères, pour démêler la vérité au milieu des conclusions hâtives qui ont pu être dressées. La méfiance réciproque et les préconceptions de part et d'autre auront cependant lancé un engrenage létal bien difficile à enrayer. 

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Outre cette double dimension policière et multiculturelle qui fait la force de East West 101, cette série n'en néglige pas non plus un registre plus humain. Si les enquêtes rythment les épisodes, ce sont les personnages qui sont véritablement l'âme du récit. Les protagonistes secondaires ne sont pas négligés. Il faut souligner combien les individualités croisées au cours des enquêtes sont souvent bien caractérisées. Appliquant le même savoir-faire que pour son approche du multiculturalisme, l'écriture sonne toujours très authentique. La série sait faire preuve de nuances pour réfléchir sur les statuts parfois mêlés de victime et de criminel. Elle montre aussi de l'empathie à l'égard de ceux qui ont franchi la frontière de la légalité, et commis l'irréparable. A ce titre, le cinquième épisode (évoquant le conflit en ex-Yougoslavie) est sans aucun doute le plus marquant émotionnellement.

De plus, c'est un fil rouge personnel qui fait le lien entre toute la saison. Ces six premiers épisodes de East West 101 sont en effet construits vers une confrontation entre Zane Malik et son supérieur direct, Crowley. Initialement, leur opposition semble se réduire au racisme du second, se traduisant par des remarques désobligeantes. Mais très vite, des préoccupations plus intimes viennent se mêler à leur vie professionnelle. Pour Zane, c'est l'histoire de ce braquage ayant brisé son père qui resurgit : va-t-il enfin avoir l'occasion de clôturer l'enquête, alors qu'il découvre de nouveaux éléments permettant de la faire progresser ? Pour Crowley, c'est un deuil douloureux qui le touche et le précipite sur une pente autodestructrice. L'inimité des deux hommes se double d'une incompréhension flagrante. Pour autant, si la série perd ici parfois un peu de la subtilité qui fait sa force dans ses autres storylines, elle se construit un arc narratif intéressant que sa conclusion légitimise.

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Sur la forme, East West 101 n'hésite pas à se montrer entreprenante, s'efforçant de transmettre par les images la violence et les tensions qui parcourent ses histoires. Pour y parvenir, la tâche a été confiée à l'expérimenté Peter Andrikidis, un réalisateur bien connu et reconnu du petit écran australien qui a notamment participé lui-aussi à Wildside. Il fait le choix d'une mise en scène très nerveuse et énergique, avec un style caméra à l'épaule volontairement abrasif. Si ces mouvements de caméra sont parfois accentués à l'excès, dans l'ensemble, le parti pris visuel apparaît globalement maîtrisé, et justifié par l'ambiance général. Par ailleurs, la série bénéficie d'une bande-son, confiée à Guy Cross, qui reflète à merveille cette thématique centrale multiculturelle, entremêlant les influences musicales à l'image d'un générique minimaliste mais dont la musique sonne très juste (cf. la vidéo ci-dessous).

Enfin, East West 101 dispose d'un casting homogène au sein duquel on retrouve des valeurs sûres du petit écran australien. C'est le toujours solide - et intense - Don Hany (White Collar Blue, Tangle, Offspring) qui interprète de façon très convaincante cet officier de police d'origine irakienne qui doit conjuguer son milieu professionnel avec la communauté à laquelle il appartient. A ses côtés, cela m'a fait plaisir de croiser Aaron Fa'aoso (interprète de l'héritier présomptif dans The Straits cet hiver) qui joue son équipier. Susie Porter (RAN : Remote Area Nurse, East of everything, The Jesters) est la supérieure hiérarchique dirigeant une unité où l'on retrouve également Daniela Farinacci (Carla Cametti PD) et Renee Lim (Crownies). Toujours au sein des forces de police, c'est William McInnes (Oceane, Blue Heelers) qui incarne Crowley, celui avec lequel la tension ne cesse de monter tout au long de la saison 1. Du côté de la famille de Zane, on retrouve Tasneem Roc (Hartley Coeur à Vif), Irini Pappas, Lucy Abroon, George Fayad et Taffi Hany (qui est le père de Don Hany, car ce rôle s'est avéré bien difficile à caster).

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Bilan : Solide série policière en quête de réalisme et se plaçant au plus proche du terrain, East West 101 est cependant bien plus que cela : c'est une fiction ambitieuse et riche. Sa valeur ajoutée principale, elle la doit à la fascinante immersion multiculturelle qu'elle propose au sein d'une société australienne, terre d'asile dont elle s'attache à retranscrire la diversité, religieuse comme linguistique, mais aussi la multiplicité des points de vues qui en découle. Pour explorer ce thème central du multiculturalisme, la série entremêle habilement affaires policières efficaces, portrait de société nuancé et destinées personnelles souvent poignantes, avec une écriture dont il faut saluer la sobriété.

En résumé ? Rendez-vous sur Arte à partir du jeudi 19 avril (à 20h40).


NOTE : 8/10


Le générique :