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29/09/2013

(CAN) Aveux : des retrouvailles entre secrets, recherche de vérité et quête de soi

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Dernière étape dans mes rattrapages en séries réalisés au cours de ce mois de septembre, aujourd'hui, direction le Canada, et plus précisément, le Québec. L'an dernier, la découverte d'Unité 9 avait été autant un coup de cœur qu'une révélation sur ce petit écran. J'en avais retiré l'envie d'explorer la télévision québécoise. Faute de temps, j'ai longtemps remis à plus tard cette résolution. Septembre est heureusement arrivé pour corriger cela. Parmi les recommandations les plus fréquentes, figurait notamment Apparences, une série écrite par Serge Boucher datant de 2012. Après avoir hésité, j'ai finalement opté pour une découverte plus chronologique en commençant par la première série de cet auteur : Aveux.

Il s'agit d'une fiction, comprenant 12 épisodes de 45 minutes environ, qui a été diffusée sur Radio-Canada du 8 septembre au 24 novembre 2009. En France, la série a été projetée au Festival SeriesMania en 2010. Elle a reçu le prix de la meilleure réalisation (confiée à Claude Desrosiers) au Festival de la Rochelle. Elle a enfin été diffusée sur TV5 Monde au printemps 2013. Pour tout vous dire, je blâme un peu Aveux de me gâcher la rentrée en me faisant trouver si fades tant de nouveautés parmi celles testées ces derniers jours. Cette série n'est pas un simple coup de cœur sériephile, c'est une œuvre à l'intensité et à la justesse émotionnelle aussi rares que précieuses. Le téléspectateur n'en ressort pas complètement indemne, mais qu'est-ce que c'est bon...

[Pour préserver la force du récit à toute personne n'ayant pas visionné la série - tout en essayant d'aiguiser sa curiosité -, la review qui suit est garantie sans spoilers.]

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Carl Laplante a tout quitté à 18 ans. Il a laissé derrière lui sa famille et ses amis, sans leur donner la moindre explication, ni leur transmettre de nouvelles par la suite. Ses parents l'ont d'abord recherché, puis chacun a baissé les bras, le départ de Carl restant une blessure jamais cicatrisée dans leur cœur. Quinze ans ont passé depuis. Carl s'appelle désormais Simon. Il s'est inventé un autre passé et s'est construit une nouvelle existence auprès de Brigitte dont il partage la vie depuis huit ans. Malgré les secrets et les mensonges, il a retrouvé un équilibre, aussi précaire soit-il, aux côtés de sa belle-famille et de nouveaux amis, avec un emploi tranquille de livreur.

Tout se déroule pour le mieux jusqu'au jour où son passé ressurgit soudain, malgré lui, par le hasard d'une livraison. Sonnant à une maison pour y apporter un canapé, il tombe nez-à-nez avec Olivier, un ami d'enfance, qui le reconnaît instantanément. Ces retrouvailles inattendues obligent Carl/Simon à renouer avec son passé, et tout cet entourage qu'il avait laissé derrière lui à 18 ans. Il lui faut faire face aux interrogations et aux incompréhensions. Que s'est-il passé il y a presque deux décennies ? Pour quelles raisons le jeune homme a-t-il choisi de s'enfuir et de couper tous les ponts ? Quels secrets ont été préservés pendant tout ce temps au sein de la famille Laplante ?

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Aveux est le récit de difficiles retrouvailles familiales, et des douloureux secrets qu'elles vont conduire à exposer. Elle est traversée par une tension psychologique prenante. Derrière le mystère des raisons du départ de Carl/Simon, apparaissent peu à peu des drames intimes, des incompréhensions jamais levées et des non-dits anecdotiques sur le moment, mais déterminants sur le long terme. A mesure que l'histoire progresse, des pans du passé se dévoilent, avec toute la subjectivité des regards biaisés d'alors et des éventuels quiproquos jamais balayés. Allant de révélations en confrontations, la narration fluide et cohérente happe le téléspectateur. Chaque personnage se voit contraint de faire face à des vérités qu'il aurait voulu laisser enfouies, et pour certains, aux culpabilités qui les rongent. Car si le processus est éprouvant, il est aussi nécessaire pour définitivement solder ce passé qui pèse tant et envisager un avenir. Aveux mêle ainsi habilement les ingrédients d'une solide série à suspense et l'exploration plus personnelle d'une quête de soi, identitaire, au terme de laquelle Carl/Simon peut peut-être espérer faire la paix avec lui-même. 

Outre l'habile gestion des interrogations et des révélations rythmant le récit, Aveux marque par l'authenticité et le réalisme qui caractérisent ce portrait d'une famille dont les membres se sont perdus les uns par rapport aux autres. L'écriture est très fine, d'une rare justesse. La série repose sur ses dialogues, laissant vraiment le temps à ses personnages d'échanger. Optant pour une caractérisation fouillée et nuancée, privilégiant le naturel, elle permet aux protagonistes d'avoir des réactions qui sonnent justes. Les figures mises en scène sont ordinaires, avant tout humaines, avec toutes leurs ambivalences inhérentes, leurs craintes et leurs aspirations : elles paraissent ainsi très proches au téléspectateur, l'impliquant d'autant plus à leurs côtés. Aucune n'est oubliée dans les développements que va nous conter la série, avec une cohésion d'ensemble appréciable. Le fil rouge central reste la confrontation avec son passé de Carl/Simon : il va falloir, à lui et à ses proches, aller au-delà de ses mensonges et de sa fuite en avant permanente, qui sont autant de mécanismes de défense, de survie, qu'il a mis en place en deux décennies. C'est avec prudence et une intensité émotionnelle marquante que la série réalise cela, délivrant une histoire dense qui ne peut laisser insensible.

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Formellement, Aveux est une œuvre solide et réussie. La série se construit sa propre identité visuelle, avec une caméra dynamique qui suit les personnages et des flashbacks en noir et blanc incrustés dans le récit. La réalisation est travaillée, la photographie soignée. La bande-son est pareillement bien dosée, jamais intrusive, mais accompagnant parfaitement la tonalité des scènes concernées. Le générique, avec sa musique et ses ruptures, en devient même presque entêtant, symbolisant toutes les ambiguïtés sur laquelle la série joue. 

Enfin, Aveux réunit un casting solide et homogène qui s'efforce de respecter le souci d'authenticité de la fiction. Carl/Simon Laplante est interprété par Maxime Denommée (Un monde à part). Ses parents sont joués par Guy Nadon (Musée Eden) et Danielle Proulx (Les héritiers Duval), tandis que Evelyne Brochu (Mirador, Orphan Black) est sa soeur, Joliane. Catherine Proulx-Lemay (Unité 9) incarne sa femme. Dans leur entourage proche, Marie-Ginette Guay (Chabotte et fille) est l'ancienne directrice d'école dont le mari s'est suicidé il y a presque vingt ans, Benoît McGinnis (Les hauts et les bas de Sophie Paquin, Trauma) jouant son neveu et celui par lequel les retrouvailles ont lieu puisqu'il est le premier à retrouver Carl/Simon par hasard. Interprétant le petit ami de Joliane, Steve Laplante (Mirador, Tu m'aimes-tu ?) est parfait dans un rôle de poil-à-gratter, trop curieux, voire provocateur. On retrouve également Marie-Hélène Thibault (Providence), Vincent Bilodeau (Les Bougon : C'est aussi ça la vie), Micheline Bernard (Vice caché), Pier Paquette, mais aussi René Gagnon dans le rôle de Sandrine.

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Bilan : Récit de retrouvailles qui précipitent au grand jour de terribles secrets et des non-dits sur lesquels des quiproquos se sont bâtis, Aveux nous fait revenir sur deux décennies qui ont déchiré de l'intérieur la famille Laplante. C'est une série intense émotionnellement, qui sait jouer sur ses mystères et les questions qu'ils suscitent pour capturer l'attention du téléspectateur et construire un suspense. Misant sur une authenticité travaillée, son écriture fine et nuancée permet d'aborder sans artifice des thèmes durs et des sujets très sensibles. Elle a le souci constant de les traiter avec sincérité et beaucoup de justesse, évitant ainsi bien des écueils. Capable de passer du rire aux larmes, de moments profondément bouleversants à des passages chargés de chaleur humaine, Aveux est tout simplement un magnifique moment de télévision... et certainement mon coup de cœur sériephile des visionnages de septembre. A découvrir.


NOTE : 8,25/10


Le générique de la série :

28/09/2013

(Pilote AUS) Serangoon Road : enquêtes à Singapour dans les années 60

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La rentrée sériephile bat son plein en cette dernière semaine de septembre. Pas vraiment de coups de coeur parmi les quelques pilotes américains que j'ai visionnés pour le moment. J'entends (et lis) beaucoup de bien sur Masters of Sex qui débute sur Showtime ce dimanche, j'espère donc que cette série rompra la relative morosité automnale. En attendant, tout en restant dans les fictions anglophones, je vous propose aujourd'hui de poursuivre nos voyages exotiques, cette fois-ci direction l'Océan Pacifique.

Serangoon Road est une série australienne, co-produite par ABC et HBO Asia (dont c'est la première série originale). Commandée pour une saison de 10 épisodes, elle a débuté ce dimanche 22 septembre 2013. En dépit de cette double origine, Serangoon Road est sans doute avant tout à rapprocher d'autres period/cop dramas actuels d'ABC1, de Miss Fisher's Murder Mysteries à The Doctor Blake Mysteries. Sa grande particularité est de se dérouler à Singapour dans les années 60. Avec un tel cadre, le dépaysement était assuré. Ce pilote n'est cependant pas aussi convaincant que je l'espérais.

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Serangoon Road débute en 1964. Singapour est alors une place-tournant dans le Pacifique, point de passage et de croisement multiculturel. Politiquement, tandis que l'Empire britannique se retire, les tensions y sont à leur comble. La ville accueille en plus de nombreux visiteurs, des touristes, mais aussi beaucoup de soldats, y compris américains, qui viennent prendre du bon temps. Entre jeux d'argent, prostitution, mais aussi jeux d'espions sur fond de guerre froide qui a connu bien des soubresauts depuis le début de la décennie, c'est un ville extrêmement animée dans laquelle la série nous entraîne.

Sam Callaghan connaît parfaitement Singapour. Enfant, il a survécu au camp de prisonniers de guerre de Changi construit par les Japonais durant la Seconde Guerre Mondiale. Il a par la suite notamment travaillé dans le renseignement militaire pour les Australiens. De retour à Singapour, capable d'évoluer aussi bien dans les ruelles des quartiers populaires de la ville qu'au sein de la communauté des expatriés, Sam est sollicité par Patricia Cheng, en charge d'une agence de détective voisine depuis la mort de son mari. Dans ce premier épisode, c'est la CIA qui vient les engager pour retrouver un soldat enfui, soupçonné d'un crime.

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Le principal attrait de Serangoon Road réside dans le décor que la série s'est choisie, signe d'un parti pris ambitieux : la ville de Singapour se trouve à une période charnière de son Histoire au début des années 60, et constitue en plus un point de passage incontournable dans cette région du monde. Ainsi placée au croisement des cultures, des époques et même des mondes, elle permet de se confronter à divers acteurs aux préoccupations très différentes. Un effort de reconstitution historique est réalisé, avec un pilote parsemé de références, présentant suivant un regard australien critique les dernières crises qui ont marqué la Guerre Froide, et plus généralement l'approche américaine. Pour naviguer dans ce cadre multiculturel, la série utilise un classique : un personnage principal qui, rattaché à chacun de ces mondes, n'appartient pleinement à aucun, à la fois intégré et extérieur à ce qui se joue dans les diverses communautés. L'effet de dépaysement est immédiat pour le téléspectateur. Cette délocalisation bienvenue va cependant être la seule réelle originalité de ce pilote.

Car si le décor est certainement parfait pour que s'y déroulent des intrigues versant dans le polar noir, Serangoon Road peine à convaincre. L'épisode cède en effet à tous les poncifs du genre, suivant un cahier des charges calibré à l'extrême, que d'aucuns qualifieraient d'éculé. L'histoire se construit autour d'une figure centrale, héros au passé pesant, torturé par de douloureux souvenirs, mais avec une boussole morale parfaitement ordonnée. Le téléspectateur pourrait sans doute se rallier cette caractérisation un peu facile, si parallèlement l'enquête policière ne se révélait pas si faible, empruntant de nombreux raccourcis sans parvenir à générer la tension attendue. L'écriture apparaît souvent malhabile, versant dans un manichéisme simplificateur loin de l'entre-deux grisâtre et des compromis qu'un tel cadre aurait dû encourager. Ce pilote manque donc de nuances et de prises de risque. Il faudra que la suite complexifie ces intrigues pour éviter que la série ne soit qu'une énième déclinaison historique d'enquêtes trop quelconque.

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Sur la forme, Serangoon Road se heurte à certaines limites de l'exercice de reconstitution d'une ville aussi animée que peut l'être Singapour : la mise en scène sonne trop lissée, ou parfois trop ordonnée, et il n'y perce pas toujours l'atmosphère agitée dans laquelle la série tente d'immerger le téléspectateur. La réalisation est honnête, mais ne se démarque pas. La bande-son n'est pas non plus mémorable. En revanche, plus enthousiasmant est le générique d'ouverture, travaillé, qui nous glisse de façon plutôt stylée dans l'ambiance d'un lieu et d'une époque (cf. la 1ère vidéo ci-dessous).

Côté casting, Serangoon Road est l'occasion de retrouver dans le rôle principal Don Hany (Offspring), croisé l'année dernière dans East West 101 dont la saison 1 avait été diffusée sur Arte. Il trouve sans difficulté ses marques dans ce registre d'homme droit mais torturé qui lui est dévolu. Il faut cependant espérer que son rôle gagne en complexité au fil des épisodes. A ses côtés, Joan Chen (Twin Peaks) incarne la veuve qui vient lui demander de conduire une enquête pour son agence. On retrouve également Chin Han, Alaric Tay, Ario Bayu, Maeve Dermody (Paper Giants : The Birth of Cleo, Bikie Wars : Brothers in Arms), Rachael Blake (The Prisoner, The Straits), Pamelyn Chee (Point of entry) ou encore Michael Dorman (Wild Boys, Wonderland).

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Bilan : Si le cadre choisi de Singapour dans les années 60 est un décor parfait pour y conduire un polar noir, Serangoon Road signe un pilote assez quelconque. Il y a du potentiel dans tous les ingrédients réunis à l'écran - aussi bien pour évoquer les enjeux politiques et sociaux de l'époque, que pour plonger dans les tensions propres à la ville. Mais l'écriture manquant de nuances et de finesse, assez maladroite parfois dans sa conduite du versant policier, ne permet pas de mettre en valeur ces aspects.

Les amateurs de romans noirs délocalisés au bout du monde ne resteront sans doute pas insensibles à l'expérience entreprise. Quant à moi, la dimension historique et multiculturelle de la série me parle suffisamment pour poursuivre un peu plus loin l'aventure. Espérons que Serangoon Road corrige au moins les limites de ses enquêtes.


NOTE : 6/10


Le générique de la série :


Une bande-annonce de la série :


25/09/2013

(BR) Filhos do Carnaval, saison 1 : au nom du père et des fils, et du Carnaval

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En l'absence exceptionnelle du mercredi asiatique, je vous avais promis d'aller au-delà des destinations habituellement explorées sur ce blog. Après Israël la semaine dernière, changeons à nouveau de continent : direction aujourd'hui l'Amérique Latine, et plus précisément le Brésil. Au printemps dernier, la saison 1 de la chilienne Profugos m'avait beaucoup enthousiasmé (d'ailleurs, notez que la diffusion de la saison 2 a commencé depuis le 15 septembre dernier outre-Atlantique). L'an passé, c'était le Brésil que j'avais découvert grâce à Cidade dos Homens. Si bien que cet été, j'ai recherché une série susceptible de leur succéder. C'est finalement seulement en septembre que j'ai mis la main sur une perle rare qui a plus que retenu mon attention.

Filhos do Carnaval est une série brésilienne, comptant deux saisons pour un total de 13 épisodes. Elle est, comme Profugos, une production de HBO Latino. Elle a été diffusée de 2006 à 2009. En France, elle a été diffusée sur OCS et sur France Ô. Si elle a pour cadre un lieu que tout téléspectateur étranger a en tête en songeant au Brésil, une école de samba sur fond de préparation au carnaval, la série nous glisse dans la pègre locale et l'organisation des jeux d'argent. Cependant, c'est avant tout une histoire de relations familiales, centrée sur un père et ses fils, issus de femmes différentes, qui s'efforcent de trouver leur place les uns par rapport aux autres.

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Anésio Gebara est un patriarche qui règne sur des affaires très rentables. Il est propriétaire d'une école de samba, mais surtout en charge d'une loterie illégale. Son âge avançant, il envisage de plus de plus sa succession. Il faut dire qu'il a quatre fils, mais n'a reconnu que ses deux légitimes : Anesinho, l'aîné et son favori programmé pour prendre sa place, et Claudinho, qui joue le businessman loin de la ville où sont centralisés tous leurs revenus. Claudinho est né la même semaine que ses deux autres demi-frères : Brown, très investi dans l'école de samba, et Nilo qui sert de garde du corps à Anésio. Les liens qui unissent ces derniers à leur père biologique restent distendus, chargés de non-dits et d'incompréhensions.

Tout bascule le jour de l'anniversaire d'Anésio : au cours de la soirée festive organisée, Anesinho se suicide. Il laisse derrière lui un père profondément ébranlé et des affaires dans un état extrêmement chaotique avec des dettes dont il va rapidement falloir s'acquitter. Conscients du vide laissé par la disparition de leur aîné, les trois frères restants vont s'efforcer chacun de le remplir, espérant une redistribution des responsabilités. Les six épisodes que compte la saison suivent les trajectoires croisées de ces trois fils mal aimés qui cherchent leur place, par rapport à ce patriarche parfois si cruel qui n'a rien de paternel, mais aussi par rapport à eux et à la manière dont ils veulent mener leur vie.

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Rythmée par des airs de samba, des répétitions de l'école jusqu'au défilé final, Filhos de Carnaval est tout d'abord une fiction d'ambiance. Son décor est un acteur à part entière du récit. La tonalité y est empreinte d'un souci de réalisme et d'authenticité pour capturer les quartiers populaires brésiliens sans artifices, ni glamour. Elle propose une véritable immersion dans Rio de Janeiro, avec ses favelas, mais aussi ceux qui tirent les ficelles et parviennent à s'élever par l'intermédiaire d'activités illégales. C'est un portrait coloré et dense qui se dessine : par-delà la fébrilité des jeux d'argent mis en scène, il nous glisse dans un tourbillon plein de vie et de musique, parfois dur, mais jamais misérabiliste. Signe de sa richesse, la série joue aussi sur les croyances et les symboles qui comptent dans ce milieu, utilisant les rêves tournant autour de la loterie comme autant de possibles présages qui suscitent fréquemment l'inquiétude et de vives réactions de la part du patriarche. Exploitant ce riche univers, la série prend son temps pour y greffer et construire ses différentes histoires. L'ensemble de la saison tend vers un final sous forme d'apothéose qui donnera de beaux frissons : le soir du défilé du carnaval, parallèlement à la représentation, chaque fils prend des décisions déterminantes pour son futur. Un tournant qui parachève les évolutions dont la saison a été le témoin.

Car par-delà le travail d'immersion réalisé, la trame centrale de Filhos do Carnaval est celle d'une dynamique familiale. Ce n'est pas une simple série de gangsters centrée sur leur gestion des affaires et transposée au cadre brésilien, c'est avant tout le récit des relations d'un père avec ses fils, et la manière dont ces trois derniers cherchent à se positionner. Chacun apparaît insignifiant pour ce père qui n'a jamais eu d'yeux que pour Anesinho. Tandis que certains amorcent une quête de reconnaissances, d'autres songent plutôt à s'émanciper de cette figure autoritaire qui remplit si rarement le rôle qui devrait être le sien. Au fil de la saison, face à l'indifférence d'Anésino, c'est en réaction une quasi-dynamique fraternelle qui s'esquisse timidement. Claudinho, Brown et Nilo sont très dissemblables physiquement ; ils ont des caractères extrêmement différents. Mais s'ils n'ont jamais été proches, le décès de leur frère et le rejet de leur père les rassemblent un temps dans cette volonté de faire face et de remplir le vide laissé par leur aîné. Le plus lucide des trois, Nilo, sert de narrateur, dressant un portrait intime et sans complaisance de toutes les ambiguïtés de cette famille éclatée. Chacun a ses démons à surmonter, et chacun se façonne par rapport au père, soit en embrassant sa voie, soit en la repoussant. Au risque peut-être de répéter les mêmes tragédies...

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Sur la forme, Filhos do Carnaval a une volonté constante de sonner authentique. La photographie est plutôt sombre, la réalisation nerveuse, avec des plans parfois très heurtés, notamment lorsque les rêves d'Anésio viennent troubler le quotidien et l'inquiéter. La bande-son est omniprésente : outre la samba, le récit est aussi rythmé par des instrumentaux qui accompagnent les changements de tonalité, renvoyant soudain à des ambiances troublées après des passages plus calmes. L'ensemble fonctionne parfaitement pour construire un univers particulier dans lequel le téléspectateur se laisse entraîner sans difficulté, avec une atmosphère brésilienne dépaysante à souhait à l'image du générique représentatif des choix faits (cf. la 1ère vidéo ci-dessous).

Enfin, la série bénéfice d'un casting homogène qui retranscrit bien cet effort de réalisme et de sobriété. Parmi les trois frères survivants, Enrique Diaz (Cordel Encantado, 3 Teresas) interprète un Claudinho qui tente de prendre la suite de son aîné, mais n'a sans doute pas la carrure pour mener de telles affaires. Rodrigo dos Santos joue Brown, partageant le penchant de son père pour les femmes, au risque d'être confronté à ces paternités multiples si difficiles à gérer. Et Thogun incarne Nilo, le plus proche de leur père en raison de son travail, mais celui qui a paradoxalement le plus de recul par rapport à ce dernier, s'interrogeant notamment sur le sort de sa mère décédée quand il était bébé. Quant à Jece Valadão, il interprète le patriarche dont les actions et les propos conditionnent les décisions de chacun des frères. On retrouve également Mariana Lima (O Brado Retumbante), ou encore Felipe Camargo (Cordel Encantado, Som e Furia, Tempos Modernos), dans le rôle du frère aîné dont la mort bouleverse l'ordonnancement établi.

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Bilan : Filhos do Carnaval est une série d'ambiance qui réussit une belle immersion dans une Rio de Janeiro dont le portrait est riche, dense et extrêmement vivant, entre favelas et samba. Si elle emprunte aux fictions de gangsters en évoquant la gestion de jeux d'argent illégaux, et toutes les tensions et convoitises que de telles affaires peuvent générer, elle s'intéresse avant tout à une trame familiale centrale, suivant les trajectoires des trois fils survivants du patriarche et leurs rapports compliqués avec ce père qui les avait toujours ignorés au profit de leur aîné. Les relations mises en scène sont complexes, souvent ambivalentes, mais une intéressante maturation s'observe au fil de la saison. Ces six épisodes forment un arc qui se suit avec énormément de plaisir.

La saison 2 verra la dynamique quelque peu changer, car l'acteur incarnant Anésio est décédé entre les deux saisons : la mort du patriarche sera incluse dans le récit qui racontera comment les trois évoluent suite à cet évènement. J'espère pouvoir vous en parler prochainement (si je parviens à la trouver en VOST). En attendant, n'hésitez pas à prendre la direction de Rio de Janeiro, Filhos do Carnaval est un belle série qui mérite vraiment le détour. Ces explorations dans le petit écran d'Amérique du Sud se continuent de façon très positive.


NOTE : 8/10


Le générique de la série :

Une bande-annonce de la saison :


21/09/2013

(Mini-série UK) What remains : isolement et secrets derrière des portes closes

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Cette semaine, un des responsables de Sky déclarait dans une interview qu'il trouvait les dramas diffusés sur la BBC ou Channel 4 trop déprimants, voire moroses, et qu'a contrario, sa chaîne comptait justement développer des séries avec une tonalité plus nuancée. Une chose est sûre, ce n'est pas en s'installant devant la dernière mini-série de BBC1, What remains, que le téléspectateur anglais lui donnera tort sur ce constat de noirceur.

Écrite par Tony Basgallop (Inside Men), cette fiction compte en tout 4 épisodes, proposée du 25 août au 15 septembre 2013. Cette année, la télévision anglaise ayant véritablement regorgé de crime dramas ambitieux, il apparaissait difficile pour elle de se faire une place. Pourtant, à l'instar de ses prédécesseurs, What remains a su décliner un certain nombre de codes traditionnels au genre dans un registre qui lui est propre, glissant le téléspectateur dans le quotidien des habitants d'un immeuble.

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Un corps est découvert dans le grenier d'une maison, par un couple venant d'aménager dans un des appartements du haut. Les analyses montrent qu'il s'agit des restes de Melissa Young, une jeune femme à qui appartenait l'habitation du dernier étage. Cela faisait plus de deux ans que ses voisins ne l'avait plus croisée, mais personne n'avait donné l'alerte sur sa disparition, ni cherché à savoir ce qui était advenu d'elle. Compte-tenu de l'état avancé de décomposition du cadavre, la police reste prudente, incapable de conclure de manière certaine à l'homicide ou au suicide.

Cependant, le détective Len Harper, à contre-courant de sa hiérarchie, s'implique tout particulièrement dans cette affaire, persuadé qu'il s'agit d'un meurtre. Partant à la retraite, il décide malgré tout de poursuivre l'enquête de son côté, alors même que ses collègues s'en désintéressent. Peu à peu, à mesure qu'il apprend à connaître chacun des habitants des lieux, les apparences lisses et les phrases toutes faites qui lui ont été servies pour évoquer Melissa s'effritent. Chaque appartement a ses secrets consciencieusement dissimulés. C'est dans un de ces secrets que se trouve peut-être les raisons de la mort de la jeune femme...

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Derrière ses atours de fiction d'enquête classique, What remains se démarque tout d'abord par l'angle avec lequel la mort de Melissa Young est abordée. La jeune femme étant décédée depuis plus de deux ans, les services de police se retrouvent quelque peu démunis. De plus, personne n'ayant rien réclamé pendant tout ce temps, qui se préoccupera que toutes les diligences soient bien réalisées ? Melissa Young est tombée dans l'oubli. C'est cet isolement si profond que révèle cette situation qui touche profondément le policier Len Harper. L'idée qu'une disparition puisse être si longtemps ignorée le déroute, et surtout, elle le renvoie à sa propre solitude et à ses craintes.

La fragilité actuelle du lien social interpelle d'autant plus Harper qu'il part à la retraite. Melissa Young est sa dernière affaire. Il laisse derrière lui des collègues, un quotidien, tout un réseau sur lequel s'est construite sa vie. Même ses liens familiaux se diluent, puisqu'il est veuf et qu'il assiste, dans le même temps, impuissant, à la lente agonie de son frère à l'hôpital. Contre cette société qui semble si facilement avoir effacé l'existence de la jeune femme, il ressent une responsabilité : il lui doit de découvrir la vérité. C'est pourquoi il poursuit inlassablement son investigation, malgré la retraite, malgré les avertissements de son ancienne partenaire. Cette motivation particulière traverse toute la série, conférant une tonalité à part à l'ensemble.

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La construction de l'intrigue de What remains suit la mode narrative actuelle des timelines qui s'entremêlent, nous faisant vivre les derniers mois de Melissa Young en écho à la progression de l'investigation dans le présent. S'employant à montrer toujours plus l'isolement de la jeune femme, la mini-série entrouvre peu à peu les secrets que cache chacun des habitants de l'immeuble. Le cadre choisi d'une vieille et grande maison est ici très opportun pour susciter inquiétude et mystère. La haute bâtisse apparaît en effet comme une véritable métaphore des vies qui s'y déroulent. En dépit de la promiscuité, chacun semble si loin des autres. L'escalier central n'offre qu'une vision partielle de toutes ces portes closes qui sont autant de barrières empêchant des vérités inavouables de sortir, un moyen de s'isoler mais aussi d'isoler.

L'enquête agit comme un révélateur, c'est un catalyseur qui va faire ressortir tout ce que les habitants ont enfoui. Il ne s'agit pas seulement pour Harper de chercher un tueur, c'est la mémoire même de Melissa qu'il veut réhabiliter et préserver contre ceux qui souhaiteraient l'effacer. Réveiller le souvenir de la jeune femme provoque des réactions en chaîne inattendues. Démontrant combien tous ont contribué à conduire à cette mort anonyme, la mini-série souligne l'hypocrisie sociale, mais aussi la manière dont chacun transige pour fuir la solitude qui menace. D'anciens démons rejaillissent, ranimant chez certains une part d'ombre bien éloignée de l'image lissée initiale. Tandis que les apparences tombent, c'est tout leur quotidien qui menace de s'effondrer. Loin de se réduire à un simple whodunit, What remains propose ainsi un éclairage des plus troublants sur une communauté humaine, amenant à s'interroger sur les liens - et l'absence de liens - existant dans ce cadre citadin moderne.

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Sur la forme, What remains est une mini-série très solide. La réalisation a été confiée à Coky Giedrovc : elle est parfaitement maîtrisée avec un visuel abouti très appréciable. Elle entreprend de construire l'atmosphère particulière dans laquelle évolue le récit, avec une ambiance tour à tour intriguante et inquiétante qui retient l'attention du téléspectateur. La bande-son, bien dosée et sans excès, complète cet effort.

Enfin, What remains rassemble un casting choral des plus convaincants. Dans le rôle du détective Len Harper, le téléspectateur retrouve avec plaisir David Threlfall, évoluant ici dans un registre très différent du Frank Gallagher de Shameless. Parmi les habitants de la maisonnée, on retrouve Steven Mackintosh (Inside Men, The Jury II, Luther), Russell Tovey (Little Dorrit, Being Human, Him & Her), Indira Varma (Rome, Luther, Human Target), David Bamber (Rome, Collision), Amber Rose Revah (The Bible), Denise Gough (Titanic : Blood and Steel) et Victoria Hamilton (The Time of your Life, Lark Rise to Candleford). A noter que, après avoir bien sur jouer l'ambiguïté dans A Mother's Son, le jeune Alex Arnold (Skins) retrouve ici un rôle guère éloigné. Quant à Melissa Young, elle est interprétée par Jessica Gunning (White Heat, Law & Order : UK).

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Bilan : Tout en réunissant les ingrédients classiques d'un solide crime drama, l'enquête de What remains agit en réalité comme un révélateur permettant d'évoquer la communauté humaine qui vit dans la grande bâtisse mise en scène. Derrière son intrigue criminelle, c'est surtout une fiction qui interpelle par la manière dont elle traite ce thème central qu'est la solitude. Elle rappelle combien on peut être isolé en dépit de la promiscuité urbaine, tout en soulignant également la hantise, existant en chacun, que représente cette crainte d'être seul. Cette peur conduit à faire bien des compromis derrière des portes closes qui préservent secrets et non-dits, permettant de s'isoler et isolant l'autre. Laissant ainsi le téléspectateur songeur, la mini-série dépasse la seule fiction policière et retient l'attention du début à la fin. A découvrir.


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce de la série :

19/09/2013

(ISRL) Ta Gordin (The Gordin Cell / Mice) : jeux de dupes et d'espions russo-israéliens


"He didn't choose to betray. He was born to it."

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Si le dernier Festival SériesMania a conforté ma curiosité à l'égard du petit écran israélien, grâce aux découvertes des premiers épisodes de 30 shekel per hour et d'Ananda, les difficultés pour pouvoir visionner ces séries continuent de se confirmer. Hatufim nous est certes parvenue (merci Arte), dans le sillage tracé par le succès de Homeland, mais la barrière linguistique ne semble pas encore prête d'être résolue pour accéder à ce vivier de créations télévisuelles. Heureusement la magie d'internet opère parfois : une âme curieuse et charitable (en plus d'être bilingue) qui se lance dans le sous-titrage d'une série jusqu'alors inaccessible. C'est le chemin qu'a suivi Ta Gordin cet été. Cela tombe bien, car elle figurait parmi les quelques fictions israéliennes récentes que j'avais très envie de découvrir (une fiction d'espionnage, vous savez que je ne peux y résister...).

Créée par Ron Leshem, Ta Gordin (ou The Gordin Cell / Mice en version internationale) a été diffusée en Israël du 4 janvier au 22 mars 2012. Elle compte 12 épisodes de 40 minutes environ. Notez qu'elle avait été projetée en France au Festival SeriesMania 2012 (d'où l'importance du circuit des Festivals pour s'ouvrir au monde). A l'international, le format de Ta Gordin a retenu l'attention de NBC qui en a acheté les droits l'année dernière pour un éventuel remake. Une adaptation locale russe est également en projet. Sur le papier, cette série apparaît comme la cousine éloignée d'une autre série américaine récente : The Americans. Il est en effet question d'agents russes, de cellules dormantes... Mais elle se situe dans le présent, l'URSS n'est plus, les enjeux ont changé. Que se passe-t-il alors lorsque les anciennes allégeances sont rappelées pour réclamer une loyauté aux enfants des ex-agents ?

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Les Gordin sont une famille d'origine russe ayant immigré en Israël dans les années 90. En apparence sans histoire, Mikhail et Diana, ainsi que la mère de cette dernière, vivent dans un beau quartier résidentiel. Le couple a deux enfants, désormais adultes : l'aînée, Nati, une jeune femme pragmatique qui s'est éloignée et mène sa propre vie, et Eyal, un soldat décoré dans l'armée israélienne qui, lui, vit toujours chez ses parents. Le quotidien bien ordonnancé de Mikhail et Diana bascule lorsqu'une figure du passé ressurgit à leur porte : Yaakov, le responsable des opérations du SVR (le service des renseignements extérieurs russes, successeur du KGB) en Israël, vient les solliciter pour une mission. Il avait déjà embrigadé Nati il y a des années, mais cette fois, c'est d'Eyal dont il a besoin.

Or ce dernier ignore tout de l'ancienne vie parallèle de sa famille. Déterminé à s'intégrer dans le pays, il s'est efforcé de laisser derrière lui ses origines russes. En dépit des efforts de ses parents, qui tentent de fuir, puis de convaincre le SVR de les utiliser eux plutôt qu'Eyal, Yaakov poursuit implacablement ses projets à la recherche de quelque chose auquel seul le jeune homme peut accéder... Débute un jeu des manipulations complexe, riche en faux-semblants, où chacun sert ses propres intérêts. Les choses se compliquent d'autant plus que le Shabak (le Shin Bet, le service de sécurité intérieur israélien) se rapproche dangereusement du réseau d'agents russes. En effet, celui qui dirige l'investigation israélienne a des comptes personnels à solder avec Yaakov.

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Le premier atout de Ta Gordin est le cadre particulier dans lequel elle se déroule : à la différence de The Americans où les origines russes des protagonistes sont un arrière-plan parfois lointain et très lissé, la série israélienne embrasse au contraire une dimension résolument multiculturelle. Indirectement, il est donc question d'intégration, mais aussi de respect d'une certaine culture, voire de traditions, au sein de la communauté immigrante russe. De plus, Ta Gordin se vit linguistiquement puisqu'il s'agit d'une fiction bilingue, alternant constamment entre hébreu et russe - y compris chez ceux qui traquent ces agents extérieurs, car la connaissance de cette langue s'impose comme une nécessité jusqu'au sein de l'unité spéciale du Shaback. Si un téléspectateur à l'oreille non aiguisée mettra quelques épisodes pour distinguer les deux langues, pour un public international en quête de dépaysement télévisuel, cet effort de remise en contexte est très attrayant, fonctionnant un peu comme l'avait fait Im Angesicht des Verbrechens.

Cependant, à partir d'une telle base, Ta Gordin n'en décline pas moins une histoire assez neutre. La série ne s'embarrasse ni de politique, ni d'idéologie, posant des enjeux tels que l'histoire pourrait se dérouler dans n'importe quel cadre. C'est une pure fiction d'espionnage qui se réapproprie pleinement les codes les plus classiques du genre. La partie d'échecs qui se joue est létale, et ses finalités inconnues. On y trahit et on est trahi : la manipulation est constante, élevée au rang d'art, et les allégeances fluctuantes, le double-jeu régnant en maître. Privilégiant la progression de l'histoire, le récit est vif, sans temps mort, et n'hésite pas à prendre quelques raccourcis pour provoquer plus sûrement les confrontations. L'ambiance glisse peu à peu dans une paranoïa de plus en plus prononcée, chaque développement contribuant à s'interroger sur ce qui est réellement à l’œuvre et sur ce que cachent les ordres et les opérations montées. Ce ne sera que dans la toute dernière ligne droite que les pièces du puzzle s'emboîteront.

Pour autant, aussi codifiés que soient ces jeux d'espions, les premiers épisodes de Ta Gordin manquent de la tension légitimement attendue. La faute à une narration un peu trop huilée, un peu trop plate, qui va droit au but et déroule sans prendre le temps de nuancer ses propos, ni de s'intéresser à l'ensemble des possibilités que les situations dépeintes lui ouvrent. La seconde partie est plus accrocheuse, délivrant des épisodes intenses et prenants qui immergent totalement le téléspectateur dans la course contre-la-montre qui se joue. L'approche narrative très directe a une autre conséquence : la série se concentre avant tout sur l'engrenage qui va broyer ses protagonistes, sans trop s'attarder sur ces derniers. La caractérisation se contente du minimum, laissant quelques regrets tant il y avait de la matière pour approfondir les figures si ambivalentes qui peuplent la série. Les duplicités des uns, les déchirements des autres, les dilemmes posés, tout cela aurait mérité d'être développé avec plus d'ambitions. Au final, Ta Gordin est une fiction d'espionnage efficace, mais elle aurait pu acquérir une dimension supplémentaire si elle avait su explorer toutes ces pistes qu'elle ne fait qu'effleurer.

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Par ailleurs, Ta Gordin bénéficie d'une réalisation correcte, sans que la forme permette à la série de véritablement se démarquer. La caméra est plutôt nerveuse, la photographie assez claire, renvoyant une impression d'ensemble dynamique. Elle correspond à la tonalité du récit proposé. Pareillement, le générique reprend les crispations troublées et paranoïaques qui parcourent la fiction. Un petit reproche cependant : il lui manque un fond sonore peut-être plus identifiable que l'on associerait durablement à la série (cf., sur cette limite, la 2e vidéo ci-dessous pour un aperçu du générique).

Enfin, Ta Gordin rassemble un casting homogène. Ran Danker (dont les cinéphiles se souviennent peut-être pour le film Eyes wide open/Tu n'aimeras point en 2009) interprète Eyal Gordin, personnage souvent fuyant, mais intense, qui subit les évènements plus qu'il ne les provoque ou les comprend. Jouant sa soeur, Neta Riskin est celle qui a le rôle le plus ambivalent de la distribution, ayant l'occasion de souligner les talents d'actrice de son personnage reine de la manipulation. Slava Bibergal et Elena Yerlova - qui sait faire ressortir une froide détermination - interprètent leurs parents. Côté SVR, c'est Mark Ivanir (qu'on a déjà croisé sur ce blog dans une autre série empreinte d'ambiance russe, l'allemande Im Angesicht des Verbrechens, plus récemment vu aux États-Unis dans Royal Pains) qui incarne un Yaakov difficile à déchiffrer, maître-espion rompu à tous ces jeux létaux. Côté Shaback, le duo en charge du contre-espionnage russe est composé de Moni Moshonov (Be Tipul), pendant parfait à Yaakov ayant lui-aussi plus d'un tour dans son sac, et Aviv Alush (Asfur), nouveau venu plus impulsif qui doit encore faire ses preuves. On croise également Tom Hagi, Samuel Calderon, Nathalia Manor, Valeria Polyakova, ou encore Ischo Avital.

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Bilan : Fiction d'espionnage solide, Ta Gordin se réapproprie les ficelles classiques de ce genre, les adaptant au cadre familial atypique dans lequel la série se déroule. En douze épisodes, elle signe une intrigue complexe, rythmée par les manipulations et les trahisons de personnages ambivalents qui suivent tous leurs propres agendas. La série fait le choix de privilégier l'engrenage qui se referme sur la famille Gordin. Il en résulte quelques points perfectibles : la caractérisation des personnages aurait méritée d'être plus fouillée et aboutie, de même que le récit aurait parfois gagné à prendre son temps et à être moins précipité. Peut-être en attendais-je trop (depuis le temps que je souhaitais la voir). Reste que l'ensemble est très efficace, avec un cadre multiculturel russo-israélien qui constitue aussi un argument de poids.

C'est donc une série que je recommande à tout amateur de fictions d'espionnage, mais aussi aux téléphages curieux d'explorer le petit écran israélien. Une chose est sûre, elle a confirmé et conforté mon intérêt pour la télévision de ce pays, en espérant voir ses fictions continuer à nous parvenir, même au compte-goutte actuel !


Une dernière remarque, d'ordre technique : les sous-titres anglais de Ta Gordin se trouvent sur internet, mais les vidéos sont celles diffusées à la télévision israélienne, donc avec des sous-titres hébreux incrustés. Pensez à modifier les réglages des sous-titres que vous ajoutez de façon à ce que l'anglais ressorte. Bien réglée (à partir d'un lecteur tel que VLC), la superposition ne pose aucun problème pour le confort de visionnage.


NOTE : 7,25/10


Une bande-annonce de la série (sous-titrée anglais) :

Le générique :