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21/09/2013

(Mini-série UK) What remains : isolement et secrets derrière des portes closes

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Cette semaine, un des responsables de Sky déclarait dans une interview qu'il trouvait les dramas diffusés sur la BBC ou Channel 4 trop déprimants, voire moroses, et qu'a contrario, sa chaîne comptait justement développer des séries avec une tonalité plus nuancée. Une chose est sûre, ce n'est pas en s'installant devant la dernière mini-série de BBC1, What remains, que le téléspectateur anglais lui donnera tort sur ce constat de noirceur.

Écrite par Tony Basgallop (Inside Men), cette fiction compte en tout 4 épisodes, proposée du 25 août au 15 septembre 2013. Cette année, la télévision anglaise ayant véritablement regorgé de crime dramas ambitieux, il apparaissait difficile pour elle de se faire une place. Pourtant, à l'instar de ses prédécesseurs, What remains a su décliner un certain nombre de codes traditionnels au genre dans un registre qui lui est propre, glissant le téléspectateur dans le quotidien des habitants d'un immeuble.

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Un corps est découvert dans le grenier d'une maison, par un couple venant d'aménager dans un des appartements du haut. Les analyses montrent qu'il s'agit des restes de Melissa Young, une jeune femme à qui appartenait l'habitation du dernier étage. Cela faisait plus de deux ans que ses voisins ne l'avait plus croisée, mais personne n'avait donné l'alerte sur sa disparition, ni cherché à savoir ce qui était advenu d'elle. Compte-tenu de l'état avancé de décomposition du cadavre, la police reste prudente, incapable de conclure de manière certaine à l'homicide ou au suicide.

Cependant, le détective Len Harper, à contre-courant de sa hiérarchie, s'implique tout particulièrement dans cette affaire, persuadé qu'il s'agit d'un meurtre. Partant à la retraite, il décide malgré tout de poursuivre l'enquête de son côté, alors même que ses collègues s'en désintéressent. Peu à peu, à mesure qu'il apprend à connaître chacun des habitants des lieux, les apparences lisses et les phrases toutes faites qui lui ont été servies pour évoquer Melissa s'effritent. Chaque appartement a ses secrets consciencieusement dissimulés. C'est dans un de ces secrets que se trouve peut-être les raisons de la mort de la jeune femme...

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Derrière ses atours de fiction d'enquête classique, What remains se démarque tout d'abord par l'angle avec lequel la mort de Melissa Young est abordée. La jeune femme étant décédée depuis plus de deux ans, les services de police se retrouvent quelque peu démunis. De plus, personne n'ayant rien réclamé pendant tout ce temps, qui se préoccupera que toutes les diligences soient bien réalisées ? Melissa Young est tombée dans l'oubli. C'est cet isolement si profond que révèle cette situation qui touche profondément le policier Len Harper. L'idée qu'une disparition puisse être si longtemps ignorée le déroute, et surtout, elle le renvoie à sa propre solitude et à ses craintes.

La fragilité actuelle du lien social interpelle d'autant plus Harper qu'il part à la retraite. Melissa Young est sa dernière affaire. Il laisse derrière lui des collègues, un quotidien, tout un réseau sur lequel s'est construite sa vie. Même ses liens familiaux se diluent, puisqu'il est veuf et qu'il assiste, dans le même temps, impuissant, à la lente agonie de son frère à l'hôpital. Contre cette société qui semble si facilement avoir effacé l'existence de la jeune femme, il ressent une responsabilité : il lui doit de découvrir la vérité. C'est pourquoi il poursuit inlassablement son investigation, malgré la retraite, malgré les avertissements de son ancienne partenaire. Cette motivation particulière traverse toute la série, conférant une tonalité à part à l'ensemble.

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La construction de l'intrigue de What remains suit la mode narrative actuelle des timelines qui s'entremêlent, nous faisant vivre les derniers mois de Melissa Young en écho à la progression de l'investigation dans le présent. S'employant à montrer toujours plus l'isolement de la jeune femme, la mini-série entrouvre peu à peu les secrets que cache chacun des habitants de l'immeuble. Le cadre choisi d'une vieille et grande maison est ici très opportun pour susciter inquiétude et mystère. La haute bâtisse apparaît en effet comme une véritable métaphore des vies qui s'y déroulent. En dépit de la promiscuité, chacun semble si loin des autres. L'escalier central n'offre qu'une vision partielle de toutes ces portes closes qui sont autant de barrières empêchant des vérités inavouables de sortir, un moyen de s'isoler mais aussi d'isoler.

L'enquête agit comme un révélateur, c'est un catalyseur qui va faire ressortir tout ce que les habitants ont enfoui. Il ne s'agit pas seulement pour Harper de chercher un tueur, c'est la mémoire même de Melissa qu'il veut réhabiliter et préserver contre ceux qui souhaiteraient l'effacer. Réveiller le souvenir de la jeune femme provoque des réactions en chaîne inattendues. Démontrant combien tous ont contribué à conduire à cette mort anonyme, la mini-série souligne l'hypocrisie sociale, mais aussi la manière dont chacun transige pour fuir la solitude qui menace. D'anciens démons rejaillissent, ranimant chez certains une part d'ombre bien éloignée de l'image lissée initiale. Tandis que les apparences tombent, c'est tout leur quotidien qui menace de s'effondrer. Loin de se réduire à un simple whodunit, What remains propose ainsi un éclairage des plus troublants sur une communauté humaine, amenant à s'interroger sur les liens - et l'absence de liens - existant dans ce cadre citadin moderne.

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Sur la forme, What remains est une mini-série très solide. La réalisation a été confiée à Coky Giedrovc : elle est parfaitement maîtrisée avec un visuel abouti très appréciable. Elle entreprend de construire l'atmosphère particulière dans laquelle évolue le récit, avec une ambiance tour à tour intriguante et inquiétante qui retient l'attention du téléspectateur. La bande-son, bien dosée et sans excès, complète cet effort.

Enfin, What remains rassemble un casting choral des plus convaincants. Dans le rôle du détective Len Harper, le téléspectateur retrouve avec plaisir David Threlfall, évoluant ici dans un registre très différent du Frank Gallagher de Shameless. Parmi les habitants de la maisonnée, on retrouve Steven Mackintosh (Inside Men, The Jury II, Luther), Russell Tovey (Little Dorrit, Being Human, Him & Her), Indira Varma (Rome, Luther, Human Target), David Bamber (Rome, Collision), Amber Rose Revah (The Bible), Denise Gough (Titanic : Blood and Steel) et Victoria Hamilton (The Time of your Life, Lark Rise to Candleford). A noter que, après avoir bien sur jouer l'ambiguïté dans A Mother's Son, le jeune Alex Arnold (Skins) retrouve ici un rôle guère éloigné. Quant à Melissa Young, elle est interprétée par Jessica Gunning (White Heat, Law & Order : UK).

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Bilan : Tout en réunissant les ingrédients classiques d'un solide crime drama, l'enquête de What remains agit en réalité comme un révélateur permettant d'évoquer la communauté humaine qui vit dans la grande bâtisse mise en scène. Derrière son intrigue criminelle, c'est surtout une fiction qui interpelle par la manière dont elle traite ce thème central qu'est la solitude. Elle rappelle combien on peut être isolé en dépit de la promiscuité urbaine, tout en soulignant également la hantise, existant en chacun, que représente cette crainte d'être seul. Cette peur conduit à faire bien des compromis derrière des portes closes qui préservent secrets et non-dits, permettant de s'isoler et isolant l'autre. Laissant ainsi le téléspectateur songeur, la mini-série dépasse la seule fiction policière et retient l'attention du début à la fin. A découvrir.


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce de la série :

20/10/2012

(UK) Hunted : une froide fiction d'espionnage

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Orphelin de Spooks en cette rentrée télévisuelle, privé de la perspective de retrouver les missions tendues de ces agents du MI-5 qui lui ont fait perdre quelques cheveux au fil des ans, le téléspectateur se cherchait instinctivement des substituts. Il était facile d'en imaginer un dans Hunted, une série derrière laquelle on retrouve justement la boîte de production Kudos, et avec un développement confié à Frank Spotnitz dont le nom reste associé à X-Files. Diffusée sur BBC1 depuis le 4 octobre, Hunted a démarré hier soir aux Etats-Unis sur Cinemax. Malheureusement la série ne m'a toujours pas convaincu.

Il n'y a pourtant rien que j'aime tant qu'une solide fiction d'espionnage, aussi classiques soient les voies qu'elle emprunte. Vous vous souvenez peut-être de ce véritable coup de coeur  qu'a été The Sandbaggers au printemps dernier - elle reste sans doute une de mes révélations sériephiles de l'année 2012. Cette série m'a prouvé et rappelé qu'un genre connu par coeur peut toujours être aussi fascinant et excitant qu'au premier jour, sans besoin de se réinventer, à condition que l'écriture (et le casting) soit à la hauteur. Hunted s'est engouffrée sur bien des sentiers déjà battus, mais elle peine cependant à dépasser le stade de la caricature. Un léger mieux se perçoit au fil des trois épisodes, après un début poussif, mais est-ce suffisant ?

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Après une mission conduite à Tanger, Sam Hunter, agent d'une compagnie de sécurité privée, est grièvement blessée dans un bar où elle avait rendez-vous. Elle échappe de peu à la mort, mais perd l'enfant qu'elle portait. Ignorant qui l'a trahie et qui a commandité cette tentative d'assassinat, elle fait le choix de disparaître pour se rétablir en Ecosse. Une année plus tard, de nouveau sur pied, elle recontacte son ancien employeur bien décidée à découvrir le fin mot de l'histoire. Se méfiant des membres de son ancien équipe, de son supérieur, mais aussi de tous ceux qu'elle a pu croiser à Tanger, elle entend découvrir qui et pourquoi elle a été prise pour cible. Elle obtient rapidement sa réintégration pour être incluse dans une mission d'infiltration dans la maison d'un riche et trouble homme d'affaires, qui doit prendre part à des enchères qui attisent bien des convoitises. Mais ceux qui voulaient sa mort ne semblent pas l'avoir oubliée...

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Des histoires d'infiltration, de tentatives d'assassinat, de taupe, le tout dans un milieu où chacun garde jalousement ses secrets et ses atouts, et où la méfiance règne... Nul doute que Hunted entend se réapproprier bien des classiques du genre. Son approche même ne manque pas de potentiel. Fiction feuilletonnante, elle nous plonge dans les coulisses d'une compagnie de renseignements privée, ravivant un peu plus l'écho du fantôme d'Alias déjà présent dans l'inconscient du téléspectateur du seul fait de la présence de Melissa George. Conduire des missions pour d'obscurs clients, sans avoir même la perspective de se raccrocher à l'idée que ces sacrifices potentiels auront lieu "pour le bien commun du pays", voilà de quoi construire un univers particulièrement endurci. L'ensemble fonctionne par intermittence grâce à l'ambiance que ce cadre génère, par cette paranoïa excessivement froide dans laquelle la fiction se complaît. Mais le problème est que la série peine à dépasser l'enchaînement des poncifs. Son écriture, manquant trop de subtilité, a souvent du mal à maîtriser et à exposer les enjeux afin de capturer l'attention du téléspectateur. La progression des intrigues est hachée et inégale, fonctionnant par à-coup et parachutage d'informations sans réelle cohésion.

En trois épisodes, une amélioration se constate cependant, grâce à cette tension presque mécanique engendrée par moment par quelques coups d'éclat. Ou plutôt, devrais-je dire, par ces explosions de violence. La dure réalité de l'univers dans lequel évolue la série était un atout légitimement exploitable. Mais, comme pour le reste, ses scénaristes abusent de ces ressorts violents vite banalisés : leur gratuité finit par leur faire perdre tout impact. La fiction évolue dans un univers complètement désensibilisé, presque déshumanisé. Le problème est que la caractérisation des personnages en souffre : nulle émotion, encore moins d'empathie, chez des protagonistes trop unidimensionnels, peu aidés par des répliques souvent assez creuses et où manque de façon parfois criante cette dose de manipulation subtile, de non-dits, sur laquelle un vrai thriller paranoïaque doit être en mesure de jouer. La série ne s'attarde vraiment que sur l'héroïne, les autres peinant à exister par eux-mêmes et à susciter l'intérêt d'un téléspectateur qui ne trouve pas vraiment ces repères dans l'équipe dysfonctionnelle mise en scène. Et même Sam Hunter reste une figure à la psychologie à peine esquissée. On peut finir par se préoccuper de son enquête sur ses tueurs, mais on ne s'implique pas, ni ne s'attache à la jeune femme.

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Sur la forme, Hunted présente une réalisation stylée, plutôt agréable de premier abord. Elle propose également quelques plans inspirés, notamment en extérieur - les scènes en Ecosse du pilote sont tout simplement magnifiques. Mais elle a aussi tendance à trop en faire (cette façon de prendre une idée pas mauvaise sur le papier, mais de tirer ensuite trop sur la corde se retrouve comme sur le fond). La photographie, avec ses teintes bleutées - ou jaunâtres suivant les lieux, apparaît dans certains scènes vraiment trop saturée. Cela contribue à donner à l'ensemble une impression d'artificialité, mais aussi de distance avec le récit, qui n'aide pas à l'investissement du téléspectateur.

Enfin, le casting, international, rassemblé pour l'occasion ne permet pas de redresser la barre. Melissa George peut parfois être très correcte dans certains rôles, comme dans The Slap l'an dernier. Mais dans Hunted, elle peine à s'exprimer, dépeignant un personnage trop froid, dont les quelques parenthèses d'humanité sonnent superficielles ou forcées. L'ensemble du casting souffre de l'écriture trop rigide et mal agencée, qui fait que beaucoup de scènes semblent fausses. J'ai beau vouer un culte à Stephen Dillane depuis John Adams, il faut que admettre que ses quelques scènes glacées et pseudo-cryptiques en patron de cette agence tombent le plus souvent à plat. Adam Rayner, Adewale Akinnuove-Agbaje, Morven Christie ou encore Lex Shrapnel n'échappent pas à ces mêmes limites.

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Bilan : Ressassant les clichés du genre espionnage sans parvenir à se les réapproprier, Hunted est une série souvent frustrante en raison de ses difficultés à gérer le développement régulier de ses intrigues et du manque de subtilité de son écriture. Si on devine qu'elle ne souhaite pas être une simple fiction d'action, elle ne se prive pourtant pas d'explosions de violence assez gratuites. Evoluant dans un univers presque déshumanisé, dont même les personnages semblent cantonnés à une froideur peu engageante, Hunted se cherche, et sa seule réussite est de parvenir par intermittence à nous prendre au jeu de cette ambiance tendue et glacée. Le potentiel était là, je voulais vraiment l'aimer, mais la mécanique reste grippée...


NOTE : 5,5/10


La bande-annonce de la série :

06/05/2010

(Pilote UK) Luther : une nouvelle figure policière, surdouée et ambivalente


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BBC One proposait ce mardi soir, en prime-time, le premier épisode d'une nouvelle série policière, Luther. En m'installant devant mon petit écran, ma principale interrogation était de déterminer si le show allait offrir d'autres raisons que son casting de prestige (pas seulement pour Idris Elba), pour donner envie de poursuivre plus avant la découverte.

Au terme de  ce pilote plaisant, qui, sans pour autant être dépourvu d'excellentes scènes, ronronne sur des sentiers convenus, la série laisse entrevoir un potentiel bien réel. Sans que l'on sache précisément quelle sera l'orientation future de la série - suivra-t-elle ce mélange de ressorts scénaristiques conventionnels et de twists plus atypiques, comme elle le fait durant sa première heure, ou bien s'enfermera-t-elle dans un formula-show classique ? -, les promesses introduites par le "fil rouge" installé, ainsi que par la performance des acteurs, ont suffisamment aiguisé ma curiosité et mon intérêt pour je veuille découvrir la suite.

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Certes Luther ne révolutionne pas la fiction policière. Nous sommes face à un personnage principal qui s'inscrit dans la mouvance très actuelle des héros "anti-héros", surdoués dans leur métier, adoptant une méthode de travail atypique très personnelle. Leurs impulsions ou encore leur fort caractère les placent souvent en porte-à-faux de leur hiérarchie, loin du moule traditionnel et propret que l'on attendrait a priori d'eux. Charismatiques, souvent fascinants, mais loin d'être exempt de tous reproches, ils jouissent d'une latitude plus importante que la normale, leur personnalité façonnant généralement la série dans laquelle ils opèrent, pour le plus grand plaisir du téléspectateur.

John Luther s'impose immédiatement dans ce créneau apprécié par la télévision moderne. La scène d'ouverture du pilote donne d'ailleurs tout de suite le ton, soulignant l'atmosphère volontairement sombre et ambiguë (autant qu'un prime-time drama de BBC1 puisse l'être) que la série va essayer d'instaurer. Le DCI y poursuit un meurtrier en série, qui kidnappe et tue de jeunes enfants. Par le biais d'une mise en scène maintes fois vue, mais qui demeure efficace, Luther lui fait avouer le lieu de la cache où il a entreposé sa dernière victime : suspendu dans le vide après qu'il ait glissé d'une balustrade, le criminel lui donne toutes les informations souhaitées dans l'espoir que Luther l'aide à remonter. Seulement, emporté par sa colère, par une révulsion qui le submerge, le DCI s'emporte, manifeste son soulagement d'apprendre par ses collègues que la fillette enlevée est bien vivante, mais ne fait finalement rien pour sauver le meurtrier. La prise précaire de ce dernier finit par lâcher et il chute de plusieurs étages. En un passage, en assistant au conflit interne qui se joue en Luther, le téléspectateur a ainsi un aperçu direct de la complexité du personnage, et du fragile équilibre qui se maintient chez l'homme de loi, entre réactions instinctives et raisonnements logiques,  éthique professionnelle et rage incontrôlable.

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Suite à cet évènement, Luther est logiquement suspendu, le temps de l'investigation par la police des polices. Tandis que le kidnappeur d'enfants, qui n'est pas mort dans la chute, git, plongé dans le coma, à l'hôpital, le policier, désoeuvré, flirte avec la dépression. Son hyperactivité ne trouvant plus un exutoire dans son métier, au cours de cette parenthèse douloureuse, il est logique que l'inactivité se révèle la plus dangereuse des façons de perdre son temps, pour un homme qui - tout l'épisode va le souligner - ne sait pas s'arrêter et a un besoin viscéral de s'investir dans des défis dignes de son intérêt pour parvenir à fonctionner normalement. Finalement blanchi de tout soupçon, guéri de cette période d'apathie qui lui a presque été fatael, Luther peut redevenir le policier particulièrement intense, dont les capacités de déduction, le sens de l'observation et la compréhension psychologique des gens, sont autant d'outils précieux au cours d'une enquête.

Ce premier épisode de la série va adopter un schéma, à la fois très classique, mais aussi assez particulier dans le paysage policier moderne. L'affaire du jour va être également l'occasion pour Luther de rencontrer son archnemesis, une jeune femme brillante tout autant que sociopathe, avec laquelle il va entamer une étrange relation. La spécificité de l'épisode tient à sa construction : nous sommes face à un "cop-show" où il n'y a pas réellement d'enquête, ni même d'interrogation sur qui pourrait être l'auteur du terrible double meurtre qui constitue le premier cas sur lequel Luther est assigné. Alice Morgan appelle la police en état de choc, venant de découvrir ses parents abattus à bout portant dans leur maison. Aucune effraction pour pénétrer dans les lieux, aucune méfiance de la part des victimes qui n'ont rien vu venir... Serait-ce un de ces mystères insolubles, proche du "crime parfait" ? Des assassinats atroces perpétrés au hasard ? Aucun élément matériel ne donne le moindre indice.

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Mais la série n'occupera pas le créneau de la police scientifique, où les résidus et autres bouts de tissus s'envisagent et s'agencent, pointant le coupable presque indépendamment des êtres humains. Dans Luther, c'est par une désarmante logique, déduction implacable confirmée par l'observation, que l'enquête va être résolue. Une approche résolument psychologique qui replace la dimension humaine au coeur de la dynamique du scénario. Si personne ne semble avoir pénétré les lieux, si aucune trace n'a été trouvée, il faut cesser de retourner ces interrogations apparemment insolubles pour se rabattre sur l'explication la plus simple. La logique du principe posé par le rasoir d'Ockam conduit ainsi Luther à suspecter la fille des victimes, qui a découvert les corps. Il n'y a aucune preuve matérielle ; rien qui puisse être reçu par un tribunal. Mais il n'y aucun doute qu'Alice est la coupable. Ses formes de dénégation sont aussi criantes que des aveux.

L'épisode tourne ainsi à un face-à-face entre Luther et la jeune femme, chacun trouvant en l'autre un adversaire à sa hauteur, venant inconsciemment nourrir un certain narcissisme propre à ceux qui se détachent de l'anonymat de la masse. L'absence de suspense n'est pas préjudiciable à l'intrigue (ce n'est pas pour rien que le scénariste évoquait dans les médias une filiation avec Columbo). Certes tout se déroule selon une mécanique bien huilée, peut-être un peu trop même. Tout est calibré, s'enchaînant sur des bases très convenues. Pas de surprise, ni de moments où le sénario s'écarte de ce sentier bien balisé. En fait, l'enquête policière s'efface progressivement derrière la confrontation entre deux personnalités qui écrasent l'intrigue et pour lesquelles elle devient un prétexte leur permettant de partager le haut de l'affiche.

Ce schéma ne devrait sans doute pas être suivi par tous les épisodes, car cette première affaire pose, en même temps, les bases d'un affrontement récurrent entre Luther et Alice, même si les scénaristes ne semblent pas encore avoir pleinement décidé dans quelle direction l'orienter. Pour le moment, la jeune femme s'en tire ; mais elle conserve sa fascination pour le policier, son "nouveau projet", ce qui promet un fil rouge des plus intrigants, dans la droite lignée de ces face-à-faces classiques, mais souvent efficaces, entre homme de loi et sociopathe, suffisamment brillants pour évoluer sur un terrain qui leur est propre.

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Ce schéma particulier du premier épisode semble ainsi indiquer que nous ne sommes pas face à un simple formula-show, même si le principe sera une affaire principale par épisode. La présence de fils rouges, qu'il  s'agisse d'Alice ou du meurtrier plongé dans le coma suite à la chute que Luther n'a pas empêchée, mais aussi l'introduction d'éléments plus feuilletonnants, devraient nous faire éviter une déclinaison trop invariable d'enquêtes policières calquées sur une même construction narrative. De plus, Luther est bel et bien un one-man-show, l'ensemble de la série et de ses protagonistes tournant autour de la figure centrale du détective, lequel conditionnant souvent leurs réactions. Le côté plus obscur du personnage, que l'on entrevoit par intermittence, marqué par des explosions de violence, tranche avec le caractère excessivement propret qui se dégage de la série, permettant de contrebalancer un peu son côté très conventionnel.

De manière générale, il faut d'ailleurs reconnaître que les ingrédients, aussi classiques et parfois convenus soient-ils, prennent bien. Le rythme est posé, pourtant l'attention ne fait jamais défaut. Le téléspectateur rentre progressivement dans la série. Sans déclencher immédiatement une étincelle chez lui, elle propose plusieurs scènes qui se détachent clairement du lot et lui donne cette tonalité ambivalente, mélange indéfinissable d'intensité et de déroulement ronronnant qui fonctionne auprès du téléspectateur. Cependant, l'attrait de l'épisode tient également à l'opposition offerte par le personnage fort d'Alice ; il faudra voir quelle est la pérennité de cette ambiance face à d'autres criminels moins atypiques, dans des affaires moins sordides.

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Si John Luther a ses ambivalences au travail, c'est pourtant surtout dans sa vie privée que son absence de maîtrise des évènements lui fait beaucoup plus rapidement perdre son sang froid. Elle fait ressortir cette part sombre du personnage évoquée dès la scène d'ouverture ; cette rage intérieure difficilement contrôlable s'exprime pleinement dès lors qu'une situation paraît lui échapper en le touchant personnellement. Or, sa femme n'a pas su ou pu attendre qu'il se remette des évènements de ces derniers mois. Lassée de ces écarts, de cette hyperactivité qui, sur le long terme, l'épuise, elle a trouvé le réconfort dans les bras d'un autre. Leur mariage semble n'exister plus qu'en pointillés. Les sentiments sont toujours là ; mais les besoins de chacun ont changé. Offrant un équilibre avec le volet policier dominant, cet angle privé permet de mettre en lumière une autre facette du personnage de Luther, soulignant ses limites et touchant une partie plus sensible de l'homme.

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Sur la forme, Luther rejoint ces dramas à la réalisation particulièrement soignée que l'on peut croiser à la télévision anglaise. Les plans sont rarement centraux. Il y a une volonté de la part de la caméra d'investir et d'utiliser tout l'espace, accentuant la profondeur des images. Cela donne un rendu visuel intéressant et très esthétique, volontairement un peu froid et distancier.

Enfin, cette série attire - et a initialement fait parler d'elle - en raison des membres de son casting. En tête d'affiche, pour supporter le poids du scénario, on retrouve rien moins qu'Idris Elba, revenu au pays de son périple à Baltimore (The Wire / Sur Ecoute). Il se coule progressivement dans la peau de son personnage, mettant en exergue, avec une force qui en impose à l'écran, les paradoxes et les énergies contraires qui l'animent. Si Idris Elba parlera donc aux téléspectateurs habitués du petit écran américain, il est entouré de valeurs sûres britanniques, qui seront très familières à qui suit un petit peu les fictions d'outre-Manche. Steven Mackintosh (Criminal Justice l'été dernier) incarne le DCI Ian Reed, un ami de Luther. Leur compréhensive supérieure, Rose Teller, est jouée par Saskia Reeves (au sujet de laquelle je me suis torturée les neurones tout l'épisode, avant de réussir à me rappeler qu'elle incarnait Jessica dans la mini-série Dune). Pour son retour, Luther est associé au jeune DS Justin Ripley (Warren Brown, omni-présent ces dernières années dans le petit écran, avec son actif des séries aussi diverses qu'Occupation ou encore Dead Set). Concernant le volet non policier, la femme de Luther, Zoe, est incarnée par Indira Varma (qui reste dans mon esprit associée à Rome) ; avocate spécialisée dans les droits de l'homme, elle s'est éprise d'un collègue, Mark North (Paul McGann, vu dans Collision l'année dernière et qui fut Eight dans le téléfilm de 1996 de Doctor Who). Enfin, Ruth Wilson (croisée dans Le Prisonnier version AMC, ou encore Jane Eyre) incarne de façon glaciale et assez fascinante, la troublante Alice Morgan.

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Bilan : Usant de ficelles narratives très conventionnelles qui peuvent un peu frustrées, ce premier épisode n'en demeure pas moins plaisant à suivre. Doté de plusieurs scènes se détachant clairement du lot, le scénario se déroule sans anicroche. Luther apparaît être une série très calibrée, particulièrement soignée tant sur la forme que sur le fond. Tous les ingrédients sont bien en place, dans une ambiance somme toute très proprette que viennent faire vaciller par intermittence les explosions de colère de Luther. La relation entre Luther et Alice constituera sans doute le fil rouge majeur ; il faudra voir si les scénaristes sont capables de lui insuffler la consistance et la cohésion des grandes confrontation similaire.

Si Luther ne révolutionnera pas le genre policier, elle montre un potentiel qui mérite qu'on lui laisse une chance de pleinement se réaliser. A suivre.


NOTE : 6,5/10


La bande-annonce de la série :


Le générique de la série :