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21/09/2013

(Mini-série UK) What remains : isolement et secrets derrière des portes closes

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Cette semaine, un des responsables de Sky déclarait dans une interview qu'il trouvait les dramas diffusés sur la BBC ou Channel 4 trop déprimants, voire moroses, et qu'a contrario, sa chaîne comptait justement développer des séries avec une tonalité plus nuancée. Une chose est sûre, ce n'est pas en s'installant devant la dernière mini-série de BBC1, What remains, que le téléspectateur anglais lui donnera tort sur ce constat de noirceur.

Écrite par Tony Basgallop (Inside Men), cette fiction compte en tout 4 épisodes, proposée du 25 août au 15 septembre 2013. Cette année, la télévision anglaise ayant véritablement regorgé de crime dramas ambitieux, il apparaissait difficile pour elle de se faire une place. Pourtant, à l'instar de ses prédécesseurs, What remains a su décliner un certain nombre de codes traditionnels au genre dans un registre qui lui est propre, glissant le téléspectateur dans le quotidien des habitants d'un immeuble.

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Un corps est découvert dans le grenier d'une maison, par un couple venant d'aménager dans un des appartements du haut. Les analyses montrent qu'il s'agit des restes de Melissa Young, une jeune femme à qui appartenait l'habitation du dernier étage. Cela faisait plus de deux ans que ses voisins ne l'avait plus croisée, mais personne n'avait donné l'alerte sur sa disparition, ni cherché à savoir ce qui était advenu d'elle. Compte-tenu de l'état avancé de décomposition du cadavre, la police reste prudente, incapable de conclure de manière certaine à l'homicide ou au suicide.

Cependant, le détective Len Harper, à contre-courant de sa hiérarchie, s'implique tout particulièrement dans cette affaire, persuadé qu'il s'agit d'un meurtre. Partant à la retraite, il décide malgré tout de poursuivre l'enquête de son côté, alors même que ses collègues s'en désintéressent. Peu à peu, à mesure qu'il apprend à connaître chacun des habitants des lieux, les apparences lisses et les phrases toutes faites qui lui ont été servies pour évoquer Melissa s'effritent. Chaque appartement a ses secrets consciencieusement dissimulés. C'est dans un de ces secrets que se trouve peut-être les raisons de la mort de la jeune femme...

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Derrière ses atours de fiction d'enquête classique, What remains se démarque tout d'abord par l'angle avec lequel la mort de Melissa Young est abordée. La jeune femme étant décédée depuis plus de deux ans, les services de police se retrouvent quelque peu démunis. De plus, personne n'ayant rien réclamé pendant tout ce temps, qui se préoccupera que toutes les diligences soient bien réalisées ? Melissa Young est tombée dans l'oubli. C'est cet isolement si profond que révèle cette situation qui touche profondément le policier Len Harper. L'idée qu'une disparition puisse être si longtemps ignorée le déroute, et surtout, elle le renvoie à sa propre solitude et à ses craintes.

La fragilité actuelle du lien social interpelle d'autant plus Harper qu'il part à la retraite. Melissa Young est sa dernière affaire. Il laisse derrière lui des collègues, un quotidien, tout un réseau sur lequel s'est construite sa vie. Même ses liens familiaux se diluent, puisqu'il est veuf et qu'il assiste, dans le même temps, impuissant, à la lente agonie de son frère à l'hôpital. Contre cette société qui semble si facilement avoir effacé l'existence de la jeune femme, il ressent une responsabilité : il lui doit de découvrir la vérité. C'est pourquoi il poursuit inlassablement son investigation, malgré la retraite, malgré les avertissements de son ancienne partenaire. Cette motivation particulière traverse toute la série, conférant une tonalité à part à l'ensemble.

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La construction de l'intrigue de What remains suit la mode narrative actuelle des timelines qui s'entremêlent, nous faisant vivre les derniers mois de Melissa Young en écho à la progression de l'investigation dans le présent. S'employant à montrer toujours plus l'isolement de la jeune femme, la mini-série entrouvre peu à peu les secrets que cache chacun des habitants de l'immeuble. Le cadre choisi d'une vieille et grande maison est ici très opportun pour susciter inquiétude et mystère. La haute bâtisse apparaît en effet comme une véritable métaphore des vies qui s'y déroulent. En dépit de la promiscuité, chacun semble si loin des autres. L'escalier central n'offre qu'une vision partielle de toutes ces portes closes qui sont autant de barrières empêchant des vérités inavouables de sortir, un moyen de s'isoler mais aussi d'isoler.

L'enquête agit comme un révélateur, c'est un catalyseur qui va faire ressortir tout ce que les habitants ont enfoui. Il ne s'agit pas seulement pour Harper de chercher un tueur, c'est la mémoire même de Melissa qu'il veut réhabiliter et préserver contre ceux qui souhaiteraient l'effacer. Réveiller le souvenir de la jeune femme provoque des réactions en chaîne inattendues. Démontrant combien tous ont contribué à conduire à cette mort anonyme, la mini-série souligne l'hypocrisie sociale, mais aussi la manière dont chacun transige pour fuir la solitude qui menace. D'anciens démons rejaillissent, ranimant chez certains une part d'ombre bien éloignée de l'image lissée initiale. Tandis que les apparences tombent, c'est tout leur quotidien qui menace de s'effondrer. Loin de se réduire à un simple whodunit, What remains propose ainsi un éclairage des plus troublants sur une communauté humaine, amenant à s'interroger sur les liens - et l'absence de liens - existant dans ce cadre citadin moderne.

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Sur la forme, What remains est une mini-série très solide. La réalisation a été confiée à Coky Giedrovc : elle est parfaitement maîtrisée avec un visuel abouti très appréciable. Elle entreprend de construire l'atmosphère particulière dans laquelle évolue le récit, avec une ambiance tour à tour intriguante et inquiétante qui retient l'attention du téléspectateur. La bande-son, bien dosée et sans excès, complète cet effort.

Enfin, What remains rassemble un casting choral des plus convaincants. Dans le rôle du détective Len Harper, le téléspectateur retrouve avec plaisir David Threlfall, évoluant ici dans un registre très différent du Frank Gallagher de Shameless. Parmi les habitants de la maisonnée, on retrouve Steven Mackintosh (Inside Men, The Jury II, Luther), Russell Tovey (Little Dorrit, Being Human, Him & Her), Indira Varma (Rome, Luther, Human Target), David Bamber (Rome, Collision), Amber Rose Revah (The Bible), Denise Gough (Titanic : Blood and Steel) et Victoria Hamilton (The Time of your Life, Lark Rise to Candleford). A noter que, après avoir bien sur jouer l'ambiguïté dans A Mother's Son, le jeune Alex Arnold (Skins) retrouve ici un rôle guère éloigné. Quant à Melissa Young, elle est interprétée par Jessica Gunning (White Heat, Law & Order : UK).

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Bilan : Tout en réunissant les ingrédients classiques d'un solide crime drama, l'enquête de What remains agit en réalité comme un révélateur permettant d'évoquer la communauté humaine qui vit dans la grande bâtisse mise en scène. Derrière son intrigue criminelle, c'est surtout une fiction qui interpelle par la manière dont elle traite ce thème central qu'est la solitude. Elle rappelle combien on peut être isolé en dépit de la promiscuité urbaine, tout en soulignant également la hantise, existant en chacun, que représente cette crainte d'être seul. Cette peur conduit à faire bien des compromis derrière des portes closes qui préservent secrets et non-dits, permettant de s'isoler et isolant l'autre. Laissant ainsi le téléspectateur songeur, la mini-série dépasse la seule fiction policière et retient l'attention du début à la fin. A découvrir.


NOTE : 7,5/10


La bande-annonce de la série :

25/02/2012

(Mini-série UK) Inside Men : trois individualités, un braquage

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En février, sur My Télé is Rich!, j'ai beaucoup parlé de télévision scandinave - un de ces cycles de téléphage monomaniaque -, au point de ne pas avoir encore consacré un seul billet au petit écran anglais. Il est grand temps d'y remédier, d'autant que ce début 2012 aura vu des fictions très intéressantes outre Manche. 

La belle surprise sera indéniablement venue de Call the Midwife, une série dont j'ai déjà eu l'occasion de vous parler et dont les scores d'audience (une moyenne de 8,7 millions de téléspectateurs) l'auront imposée comme le plus grand succès de ces dix dernières années (!) pour la BBC. Je n'aurais sans doute pas le temps de faire un bilan de cette première saison ; sachez donc qu'il s'agit d'un de ces period drama émotionnels et justes qui fait chaud au coeur, et que je conseille fortement ! Toujours pour les amateurs de séries historiques, notez aussi que Upstairs, Downstairs a repris dimanche dernier, pour une saison 2 que l'on espère plus maîtrisée et devant laquelle je me suis installée avec curiosité.

Parallèlement, du côté des fictions contemporaines, le bilan est un peu plus mitigé. J'émettrais des réserves à l'encontre de Prisoner's Wives qui ne m'a pas convaincue : toutes ces personnalités fortes n'auront jamais réussi à dépasser l'impression d'artificialité que j'ai éprouvée devant les trois premiers épisodes. Finalement, c'est dans le registre du thriller que BBC1 se sera démarquée, avec une mini-série composée de 4 épisodes, d'une heure chacun, diffusée du 2 au 23 février 2012 : Inside Men. Créée par Tony Basgallop, cette fiction se sera révélée très prenante et intrigante, mêlant introspection et suspense pour un cocktail détonnant.

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Inside Men entreprend de nous relater le braquage d'un centre de dépôt et de traitement de fonds. Le premier épisode s'ouvre sur l'attaque à main armée en elle-même, pour ensuite, remonter aux origines de cette idée et à la planification minutieuse qui l'a précédée. Au-delà du but poursuivi, la mini-série s'intéresse surtout aux motivations et aux préoccupations de ceux qui ont imaginé et mis cette opération en place. Car, comme le titre l'indique, la particularité de ce braquage tient au fait qu'il est commis, avec une aide extérieure, par des employés du centre, des hommes de l'intérieur sans qui rien n'aurait été possible.

Ce basculement de l'autre côté de la loi réunit, autour de ce projet, trois personnes qui n'avaient a priori rien en commun, ni vraiment de prédispositions pour organiser une telle opération. On y trouve un des responsables managers du site, connu pour son comportement rigide et effacé ; un garde de la sécurité, avec son lot de soucis familiaux ; et un agent chargé de transférer les caisses de fond, pas forcément très ambitieux et plutôt adepte des petites combines. Inside Men nous retrace une année d'hésitations et de choix, de l'idée de départ aux semaines qui suivront le braquage, pour tenter de nous expliquer tous les ressorts de l'évènement et les dérapages qui vont avoir lieu.

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La réussite de Inside Men tient qu'elle dépasse rapidement la simple série sur une attaque à main armée, pour proposer un récit centré sur ses personnages, et les choix qu'ils vont être amenés à faire. Elle se démarque donc par sa dimension humaine : chacun bénéficie d'une caractérisation travaillée, avec ses ambivalences et ses failles. Dès le départ, l'alliance de circonstances entre les trois hommes apparaît très fragile, les causes de défiance ne manquent pas. Les relations entre les futures complices ont cette volatilité extrême qui sied aux rapports humains et crédibilise l'ensemble.

La préparation du braquage se révèle être un travail de longue haleine. Or, à mesure que l'échéance se rapproche, que le plan se concrétise, chacun voit ses doutes ou ses certitudes se renforcer, et c'est l'occasion finalement d'en apprendre plus sur lui-même que ce qu'il aurait pu imaginer. Dans le souci qu'ont certains de s'affirmer, de rompre cet anonymat anecdotique qui les étouffe, dans la volonté qu'ont d'autres de s'installer et au contraire d'embrasser une normalité bienvenue, sont ainsi dépeints des portraits très humains de personnages proches, auprès desquels le téléspectateur a envie de s'impliquer.

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Si la priorité est donc donnée à l'humain sur l'opération en cours, Inside Men obéit cependant à tous les codes classiques - et efficaces - du thriller. La narration, solide, distille un suspense supplémentaire grâce aux mélanges des lignes temporelles, nous faisant d'abord vivre le braquage - et ses dérapages - pour ensuite repartir en arrière et expliquer ce qu'il s'est passé pour en arriver là. Le tableau d'ensemble se dévoile peu à peu, à mesure que l'on comprend les personnages et leurs motivations. Les loyautés changeantes des trois hommes restent toujours au coeur du récit, demeurant le fil rouge constant autour duquel la planification de l'opération se greffe.

Construite suivant un compte à rebours qui nous mène inéxorablement au jour du braquage, la mini-série rend vraiment palpable l'escalade des tensions. La gestion de l'après permettra de préciser le propos principal de la fiction : si la dernière scène peut dérouter, tant le choix de John semble a priori illogique après tout ce qui a été fait, elle s'inscrit pourtant parfaitement dans la logique d'une oeuvre qui n'était pas tant consacrée à un braquage, qu'à une véritable introspection personnelle où chacun aura beaucoup appris sur ses priorités et ses limites.

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Sur la forme, Inside Men se révèle très soignée. Son esthétique travaillée, comme son alternance de plans larges et serrés, correspondent aux standards visuels de qualité auxquels BBC1 a habitué ses téléspectateurs. A noter que les scènes plus nerveuses sont également bien réussies, capturant parfaitement l'ambiance qui règne notamment lors du déroulement du braquage : sans trop en faire, la caméra sait mettre en scène les explosions et excès de violence les plus marquants.

Enfin, la mini-série repose sur les épaules d'une galerie d'acteurs qui constituent des valeurs sûres du petit écran britannique, et qui sont - sans surprise - tous à la hauteur. Steven Mackintosh (Criminal Justice, Luther, The Jury II) retranscrit admirablement la dualité de son personnage, de patron effacé et passif, il s'affirme, dérivant progressivement en plannificateur impitoyable du braquage. J'ai aussi beaucoup aimé Ashley Walter (Five Days, Outcasts, Top Boy) et Warren Brown (Luther, Single Father), fidèles à eux-mêmes, avec un jeu tout en sobriété pour nous montrer les doutes et évolutions de leurs personnages. A leurs côtés, on retrouve aussi Kiertson Wareing (The Shadow Line, Top Boy), Paul Popplewell, Nicola Walker (Spooks ; c'est toujours un plaisir de la croiser), Hannah Merry, Ruth Gemmel, Tom Mannion, Rebekah Staton, Leila Mimmack, Irfan Hussein et Gregg Chillin (Kidnap and Ransom).

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Bilan : Construite comme un thriller tournant entièrement autour de la réalisation d'un braquage, Inside Men est une mini-série à suspense, très prenante et sans temps mort, qui sait utiliser à propos flashforward et flashback pour créer et cultiver une tension permanente. Cependant sa valeur ajoutée à ce sujet assez classique réside avant tout dans le soin apporté à sa dimension humaine, la mini-série proposant une très intéressante caractérisation des personnages, de leurs relations et (surtout) de leurs ambivalences. A découvrir.


NOTE : 7,75/10


La bande-annonce de la série : 

03/12/2011

(Mini-série UK) The Jury II (2011) : chronique judiciaire ordinaire au sein d'un jury

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Poursuivons les week-end d'exploration du petit écran anglais sur My Télé is Rich!. Avant de bientôt revenir sur la saison 3 de Garrow's Law qui s'achève ce dimanche sur BBC1, c'est au XXIe siècle que nous retrouvons Old Bailey à l'occasion d'une mini-série judiciaire proposée sur ITV1 en ce mois de novembre 2011 : The Jury.

Écrite par Peter Morgan, cette fiction se compose de 5 épisodes. Si elle se visionne de manière indépendante, précisons qu'elle s'inscrit dans la continuité créative d'une première mini-série éponyme, datant de 2002. Drama judiciaire classique, sa particularité tient à son approche du système judiciaire : elle s'intéresse en effet à une institution spécifique, la place du jury.

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L'affaire qu'entreprend de nous relater The Jury est le procès en révision d'Alan Lane. L'homme a été condamné cinq ans auparavant pour les meurtres de trois femmes avec lesquelles il était entré en contact via un site de rencontres sur internet. A l'époque, le fait divers avait défrayé les médias. Mais la cour d'appel a infirmé et annulé l'arrêt de condamnation rendu par le premier jury, estimant qu'une des preuves apportées au dossier était irrecevable. Alan Lane doit donc être rejugé devant ses pairs.

C'est le jury convoqué pour ce nouveau procès que la mini-série va suivre. On y retrouve des personnes issues de milieux très différents, tels une assistante de direction qui se fait passer pour sa patronne débordée, une enseignante qui a eu une aventure avec élève, un immigré soudanais (la condition de résidence suffit à pouvoir être tiré au sort), un jeune homme souffrant du syndrome d'Asperger ou encore un divorcé s'occupant de sa mère malade. Chacun arrive dans le box des jurés avec son histoire et ses soucis, mais ils vont devoir se faire une opinion en conscience, car ils détiennent entre leurs mains le sort de l'accusé.

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Se réappropriant tous les codes classiques du drame judiciaire, The Jury est une fiction bien huilée qui va efficacement développer les différents volets du procès qu'elle relate, avec des audiences rythmées par les revirements que peuvent apporter les témoins et les contre-interrogatoires musclés des représentants des parties. Il faut noter que la mini-série conserve une préoccupation centrale : celle de rester le simple instantané d'une justice à l'oeuvre, peu importe l''importance de l'affaire et le volet forcément passionnel qu'elle soulève. Cette approche sobre, visant à dépeindre un fonctionnement ordinaire du système judiciaire, s'inscrit dans une recherche plus générale de représentativité.

Le même parti pris se retrouve ainsi dans la distribution des rôles au sein du jury. Fiction logiquement chorale du fait de son concept, The Jury propose un certain reflet de la société anglaise, insistant sur le caractère banal de ces jurés sélectionnés par le hasard. Si la mini-série n'évite pas certains clichés ou raccourcis pour développer les personnalités de chacun et les histoires qui leur sont attachées, en nous entrouvrant timidement les portes de la vie privée de certains, la mini-série va s'humaniser peu à peu. Elle va habilement jouer sur le contraste entre leur vie quotidienne - et leurs problèmes personnels - et les responsabilités qui leur incombent soudain, obligés de remplir un devoir au cours duquel l'avenir d'un homme est en jeu. Il est aussi intéressant de voir les réactions de chacun, face à l'affaire mais aussi par le pouvoir qui leur est confié.  

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Cependant, si la fiction s'impose comme une chronique judiciaire efficace, elle ne va pas réussir à aller au bout de son sujet. En effet The Jury reste trop timorée, ne parvenant pas à prendre la mesure des problématiques légitimement soulevées par son thème. C'est ainsi qu'elle relègue en toile de fond tout un volet qui aurait mérité d'être exploré plus avant : chaque épisode débute sur des bribes d'un débat politique, qui divise alors le pays, visant justement à remettre en cause l'acquis multiséculaire que représente l'institution du jury. La ministre de la Justice a entrepris une vaste campagne en faveur de sa suppression, invoquant pêle-mêle économies budgétaires, gains de temps et supposé laxisme.

The Jury commet sans doute l'erreur de mentionner un débat qui, pour elle, ne se pose pas et dans lequel elle ne veut pas rentrer. Les arguments qui seront avancés resteront obstinément détachés de l'affaire relatée dans la mini-série. C'est une forme de caution narrative permet d'éclairer de façon très superficielle toutes les facettes du sujet, mais sans prendre le temps de former un tout homogène. Si cela laisse sur une impression un peu frustrante, cela s'inscrit dans la continuité du parti pris du récit. La conscience de chacun des jurés du devoir qui leur incombe est la démonstration la plus éclatante du caractère profondément ancré de cet acquis fondamental du système judiciaire du pays. Si bien que la façon dont les différents membres seront affectés, à leur manière, par cette expérience ravive un sens civique qui semble être le propos premier de The Jury.

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Sur la forme, The Jury bénéficie d'une réalisation qui reste simple et classique. La photographie est dans l'ensemble assez froide, comme un écho au fait qu'il s'agisse d'une chronique judiciaire ordinaire de fait divers. Sa bande-son alterne entre une mélodie introductive plutôt envoûtante et quelques extraits de chansons qui permettent de marquer l'importance de certaines scènes.

Enfin, The Jury bénéficie d'un casting homogène globalement solide, au sein duquel le sériephile reconnaîtra notamment Branka Katicas (Big Love), Steven Mackintosh (Luther, Criminal Justice), Anne Reid (Bleak House, Upstairs Downstairs, Five Days, Marchlands), Sarah Alexander (Green Wing, Mutual Friends), Jodhi May (Strike Back) ou encore Natalie Press (Bleak House, Five Daughters). Grâce à cette galerie d'acteurs, la mini-série peut ainsi fonctionner pleinement dans sa dimension chorale.

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Bilan : Avec une sobriété à saluer, The Jury exploite efficacement son registre de chronique judiciaire ordinaire, plaçant cette institution particulière qu'est le jury en son centre. Si elle parvient à assez bien mettre en scène les dynamiques qui le traversent et vont conduire jusqu'à la décision clôturant le procès - le cinquième épisode étant à ce titre le plus réussi -, la mini-série va cependant échouer à prendre la mesure des problématiques plus générales de son sujet, alors même qu'elle prend soin d'ouvrir le débat en arrière-plan. En dépit de ce manque d'envergure qui peut lui être reproché, The Jury demeure malgré tout un legal drama intéressant qui devrait satisfaire les amateurs de ce genre de fiction.


NOTE : 6,5/10


La bande-annonce :

06/05/2010

(Pilote UK) Luther : une nouvelle figure policière, surdouée et ambivalente


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BBC One proposait ce mardi soir, en prime-time, le premier épisode d'une nouvelle série policière, Luther. En m'installant devant mon petit écran, ma principale interrogation était de déterminer si le show allait offrir d'autres raisons que son casting de prestige (pas seulement pour Idris Elba), pour donner envie de poursuivre plus avant la découverte.

Au terme de  ce pilote plaisant, qui, sans pour autant être dépourvu d'excellentes scènes, ronronne sur des sentiers convenus, la série laisse entrevoir un potentiel bien réel. Sans que l'on sache précisément quelle sera l'orientation future de la série - suivra-t-elle ce mélange de ressorts scénaristiques conventionnels et de twists plus atypiques, comme elle le fait durant sa première heure, ou bien s'enfermera-t-elle dans un formula-show classique ? -, les promesses introduites par le "fil rouge" installé, ainsi que par la performance des acteurs, ont suffisamment aiguisé ma curiosité et mon intérêt pour je veuille découvrir la suite.

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Certes Luther ne révolutionne pas la fiction policière. Nous sommes face à un personnage principal qui s'inscrit dans la mouvance très actuelle des héros "anti-héros", surdoués dans leur métier, adoptant une méthode de travail atypique très personnelle. Leurs impulsions ou encore leur fort caractère les placent souvent en porte-à-faux de leur hiérarchie, loin du moule traditionnel et propret que l'on attendrait a priori d'eux. Charismatiques, souvent fascinants, mais loin d'être exempt de tous reproches, ils jouissent d'une latitude plus importante que la normale, leur personnalité façonnant généralement la série dans laquelle ils opèrent, pour le plus grand plaisir du téléspectateur.

John Luther s'impose immédiatement dans ce créneau apprécié par la télévision moderne. La scène d'ouverture du pilote donne d'ailleurs tout de suite le ton, soulignant l'atmosphère volontairement sombre et ambiguë (autant qu'un prime-time drama de BBC1 puisse l'être) que la série va essayer d'instaurer. Le DCI y poursuit un meurtrier en série, qui kidnappe et tue de jeunes enfants. Par le biais d'une mise en scène maintes fois vue, mais qui demeure efficace, Luther lui fait avouer le lieu de la cache où il a entreposé sa dernière victime : suspendu dans le vide après qu'il ait glissé d'une balustrade, le criminel lui donne toutes les informations souhaitées dans l'espoir que Luther l'aide à remonter. Seulement, emporté par sa colère, par une révulsion qui le submerge, le DCI s'emporte, manifeste son soulagement d'apprendre par ses collègues que la fillette enlevée est bien vivante, mais ne fait finalement rien pour sauver le meurtrier. La prise précaire de ce dernier finit par lâcher et il chute de plusieurs étages. En un passage, en assistant au conflit interne qui se joue en Luther, le téléspectateur a ainsi un aperçu direct de la complexité du personnage, et du fragile équilibre qui se maintient chez l'homme de loi, entre réactions instinctives et raisonnements logiques,  éthique professionnelle et rage incontrôlable.

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Suite à cet évènement, Luther est logiquement suspendu, le temps de l'investigation par la police des polices. Tandis que le kidnappeur d'enfants, qui n'est pas mort dans la chute, git, plongé dans le coma, à l'hôpital, le policier, désoeuvré, flirte avec la dépression. Son hyperactivité ne trouvant plus un exutoire dans son métier, au cours de cette parenthèse douloureuse, il est logique que l'inactivité se révèle la plus dangereuse des façons de perdre son temps, pour un homme qui - tout l'épisode va le souligner - ne sait pas s'arrêter et a un besoin viscéral de s'investir dans des défis dignes de son intérêt pour parvenir à fonctionner normalement. Finalement blanchi de tout soupçon, guéri de cette période d'apathie qui lui a presque été fatael, Luther peut redevenir le policier particulièrement intense, dont les capacités de déduction, le sens de l'observation et la compréhension psychologique des gens, sont autant d'outils précieux au cours d'une enquête.

Ce premier épisode de la série va adopter un schéma, à la fois très classique, mais aussi assez particulier dans le paysage policier moderne. L'affaire du jour va être également l'occasion pour Luther de rencontrer son archnemesis, une jeune femme brillante tout autant que sociopathe, avec laquelle il va entamer une étrange relation. La spécificité de l'épisode tient à sa construction : nous sommes face à un "cop-show" où il n'y a pas réellement d'enquête, ni même d'interrogation sur qui pourrait être l'auteur du terrible double meurtre qui constitue le premier cas sur lequel Luther est assigné. Alice Morgan appelle la police en état de choc, venant de découvrir ses parents abattus à bout portant dans leur maison. Aucune effraction pour pénétrer dans les lieux, aucune méfiance de la part des victimes qui n'ont rien vu venir... Serait-ce un de ces mystères insolubles, proche du "crime parfait" ? Des assassinats atroces perpétrés au hasard ? Aucun élément matériel ne donne le moindre indice.

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Mais la série n'occupera pas le créneau de la police scientifique, où les résidus et autres bouts de tissus s'envisagent et s'agencent, pointant le coupable presque indépendamment des êtres humains. Dans Luther, c'est par une désarmante logique, déduction implacable confirmée par l'observation, que l'enquête va être résolue. Une approche résolument psychologique qui replace la dimension humaine au coeur de la dynamique du scénario. Si personne ne semble avoir pénétré les lieux, si aucune trace n'a été trouvée, il faut cesser de retourner ces interrogations apparemment insolubles pour se rabattre sur l'explication la plus simple. La logique du principe posé par le rasoir d'Ockam conduit ainsi Luther à suspecter la fille des victimes, qui a découvert les corps. Il n'y a aucune preuve matérielle ; rien qui puisse être reçu par un tribunal. Mais il n'y aucun doute qu'Alice est la coupable. Ses formes de dénégation sont aussi criantes que des aveux.

L'épisode tourne ainsi à un face-à-face entre Luther et la jeune femme, chacun trouvant en l'autre un adversaire à sa hauteur, venant inconsciemment nourrir un certain narcissisme propre à ceux qui se détachent de l'anonymat de la masse. L'absence de suspense n'est pas préjudiciable à l'intrigue (ce n'est pas pour rien que le scénariste évoquait dans les médias une filiation avec Columbo). Certes tout se déroule selon une mécanique bien huilée, peut-être un peu trop même. Tout est calibré, s'enchaînant sur des bases très convenues. Pas de surprise, ni de moments où le sénario s'écarte de ce sentier bien balisé. En fait, l'enquête policière s'efface progressivement derrière la confrontation entre deux personnalités qui écrasent l'intrigue et pour lesquelles elle devient un prétexte leur permettant de partager le haut de l'affiche.

Ce schéma ne devrait sans doute pas être suivi par tous les épisodes, car cette première affaire pose, en même temps, les bases d'un affrontement récurrent entre Luther et Alice, même si les scénaristes ne semblent pas encore avoir pleinement décidé dans quelle direction l'orienter. Pour le moment, la jeune femme s'en tire ; mais elle conserve sa fascination pour le policier, son "nouveau projet", ce qui promet un fil rouge des plus intrigants, dans la droite lignée de ces face-à-faces classiques, mais souvent efficaces, entre homme de loi et sociopathe, suffisamment brillants pour évoluer sur un terrain qui leur est propre.

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Ce schéma particulier du premier épisode semble ainsi indiquer que nous ne sommes pas face à un simple formula-show, même si le principe sera une affaire principale par épisode. La présence de fils rouges, qu'il  s'agisse d'Alice ou du meurtrier plongé dans le coma suite à la chute que Luther n'a pas empêchée, mais aussi l'introduction d'éléments plus feuilletonnants, devraient nous faire éviter une déclinaison trop invariable d'enquêtes policières calquées sur une même construction narrative. De plus, Luther est bel et bien un one-man-show, l'ensemble de la série et de ses protagonistes tournant autour de la figure centrale du détective, lequel conditionnant souvent leurs réactions. Le côté plus obscur du personnage, que l'on entrevoit par intermittence, marqué par des explosions de violence, tranche avec le caractère excessivement propret qui se dégage de la série, permettant de contrebalancer un peu son côté très conventionnel.

De manière générale, il faut d'ailleurs reconnaître que les ingrédients, aussi classiques et parfois convenus soient-ils, prennent bien. Le rythme est posé, pourtant l'attention ne fait jamais défaut. Le téléspectateur rentre progressivement dans la série. Sans déclencher immédiatement une étincelle chez lui, elle propose plusieurs scènes qui se détachent clairement du lot et lui donne cette tonalité ambivalente, mélange indéfinissable d'intensité et de déroulement ronronnant qui fonctionne auprès du téléspectateur. Cependant, l'attrait de l'épisode tient également à l'opposition offerte par le personnage fort d'Alice ; il faudra voir quelle est la pérennité de cette ambiance face à d'autres criminels moins atypiques, dans des affaires moins sordides.

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Si John Luther a ses ambivalences au travail, c'est pourtant surtout dans sa vie privée que son absence de maîtrise des évènements lui fait beaucoup plus rapidement perdre son sang froid. Elle fait ressortir cette part sombre du personnage évoquée dès la scène d'ouverture ; cette rage intérieure difficilement contrôlable s'exprime pleinement dès lors qu'une situation paraît lui échapper en le touchant personnellement. Or, sa femme n'a pas su ou pu attendre qu'il se remette des évènements de ces derniers mois. Lassée de ces écarts, de cette hyperactivité qui, sur le long terme, l'épuise, elle a trouvé le réconfort dans les bras d'un autre. Leur mariage semble n'exister plus qu'en pointillés. Les sentiments sont toujours là ; mais les besoins de chacun ont changé. Offrant un équilibre avec le volet policier dominant, cet angle privé permet de mettre en lumière une autre facette du personnage de Luther, soulignant ses limites et touchant une partie plus sensible de l'homme.

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Sur la forme, Luther rejoint ces dramas à la réalisation particulièrement soignée que l'on peut croiser à la télévision anglaise. Les plans sont rarement centraux. Il y a une volonté de la part de la caméra d'investir et d'utiliser tout l'espace, accentuant la profondeur des images. Cela donne un rendu visuel intéressant et très esthétique, volontairement un peu froid et distancier.

Enfin, cette série attire - et a initialement fait parler d'elle - en raison des membres de son casting. En tête d'affiche, pour supporter le poids du scénario, on retrouve rien moins qu'Idris Elba, revenu au pays de son périple à Baltimore (The Wire / Sur Ecoute). Il se coule progressivement dans la peau de son personnage, mettant en exergue, avec une force qui en impose à l'écran, les paradoxes et les énergies contraires qui l'animent. Si Idris Elba parlera donc aux téléspectateurs habitués du petit écran américain, il est entouré de valeurs sûres britanniques, qui seront très familières à qui suit un petit peu les fictions d'outre-Manche. Steven Mackintosh (Criminal Justice l'été dernier) incarne le DCI Ian Reed, un ami de Luther. Leur compréhensive supérieure, Rose Teller, est jouée par Saskia Reeves (au sujet de laquelle je me suis torturée les neurones tout l'épisode, avant de réussir à me rappeler qu'elle incarnait Jessica dans la mini-série Dune). Pour son retour, Luther est associé au jeune DS Justin Ripley (Warren Brown, omni-présent ces dernières années dans le petit écran, avec son actif des séries aussi diverses qu'Occupation ou encore Dead Set). Concernant le volet non policier, la femme de Luther, Zoe, est incarnée par Indira Varma (qui reste dans mon esprit associée à Rome) ; avocate spécialisée dans les droits de l'homme, elle s'est éprise d'un collègue, Mark North (Paul McGann, vu dans Collision l'année dernière et qui fut Eight dans le téléfilm de 1996 de Doctor Who). Enfin, Ruth Wilson (croisée dans Le Prisonnier version AMC, ou encore Jane Eyre) incarne de façon glaciale et assez fascinante, la troublante Alice Morgan.

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Bilan : Usant de ficelles narratives très conventionnelles qui peuvent un peu frustrées, ce premier épisode n'en demeure pas moins plaisant à suivre. Doté de plusieurs scènes se détachant clairement du lot, le scénario se déroule sans anicroche. Luther apparaît être une série très calibrée, particulièrement soignée tant sur la forme que sur le fond. Tous les ingrédients sont bien en place, dans une ambiance somme toute très proprette que viennent faire vaciller par intermittence les explosions de colère de Luther. La relation entre Luther et Alice constituera sans doute le fil rouge majeur ; il faudra voir si les scénaristes sont capables de lui insuffler la consistance et la cohésion des grandes confrontation similaire.

Si Luther ne révolutionnera pas le genre policier, elle montre un potentiel qui mérite qu'on lui laisse une chance de pleinement se réaliser. A suivre.


NOTE : 6,5/10


La bande-annonce de la série :


Le générique de la série :