25/09/2013
(BR) Filhos do Carnaval, saison 1 : au nom du père et des fils, et du Carnaval
En l'absence exceptionnelle du mercredi asiatique, je vous avais promis d'aller au-delà des destinations habituellement explorées sur ce blog. Après Israël la semaine dernière, changeons à nouveau de continent : direction aujourd'hui l'Amérique Latine, et plus précisément le Brésil. Au printemps dernier, la saison 1 de la chilienne Profugos m'avait beaucoup enthousiasmé (d'ailleurs, notez que la diffusion de la saison 2 a commencé depuis le 15 septembre dernier outre-Atlantique). L'an passé, c'était le Brésil que j'avais découvert grâce à Cidade dos Homens. Si bien que cet été, j'ai recherché une série susceptible de leur succéder. C'est finalement seulement en septembre que j'ai mis la main sur une perle rare qui a plus que retenu mon attention.
Filhos do Carnaval est une série brésilienne, comptant deux saisons pour un total de 13 épisodes. Elle est, comme Profugos, une production de HBO Latino. Elle a été diffusée de 2006 à 2009. En France, elle a été diffusée sur OCS et sur France Ô. Si elle a pour cadre un lieu que tout téléspectateur étranger a en tête en songeant au Brésil, une école de samba sur fond de préparation au carnaval, la série nous glisse dans la pègre locale et l'organisation des jeux d'argent. Cependant, c'est avant tout une histoire de relations familiales, centrée sur un père et ses fils, issus de femmes différentes, qui s'efforcent de trouver leur place les uns par rapport aux autres.
Anésio Gebara est un patriarche qui règne sur des affaires très rentables. Il est propriétaire d'une école de samba, mais surtout en charge d'une loterie illégale. Son âge avançant, il envisage de plus de plus sa succession. Il faut dire qu'il a quatre fils, mais n'a reconnu que ses deux légitimes : Anesinho, l'aîné et son favori programmé pour prendre sa place, et Claudinho, qui joue le businessman loin de la ville où sont centralisés tous leurs revenus. Claudinho est né la même semaine que ses deux autres demi-frères : Brown, très investi dans l'école de samba, et Nilo qui sert de garde du corps à Anésio. Les liens qui unissent ces derniers à leur père biologique restent distendus, chargés de non-dits et d'incompréhensions.
Tout bascule le jour de l'anniversaire d'Anésio : au cours de la soirée festive organisée, Anesinho se suicide. Il laisse derrière lui un père profondément ébranlé et des affaires dans un état extrêmement chaotique avec des dettes dont il va rapidement falloir s'acquitter. Conscients du vide laissé par la disparition de leur aîné, les trois frères restants vont s'efforcer chacun de le remplir, espérant une redistribution des responsabilités. Les six épisodes que compte la saison suivent les trajectoires croisées de ces trois fils mal aimés qui cherchent leur place, par rapport à ce patriarche parfois si cruel qui n'a rien de paternel, mais aussi par rapport à eux et à la manière dont ils veulent mener leur vie.
Rythmée par des airs de samba, des répétitions de l'école jusqu'au défilé final, Filhos de Carnaval est tout d'abord une fiction d'ambiance. Son décor est un acteur à part entière du récit. La tonalité y est empreinte d'un souci de réalisme et d'authenticité pour capturer les quartiers populaires brésiliens sans artifices, ni glamour. Elle propose une véritable immersion dans Rio de Janeiro, avec ses favelas, mais aussi ceux qui tirent les ficelles et parviennent à s'élever par l'intermédiaire d'activités illégales. C'est un portrait coloré et dense qui se dessine : par-delà la fébrilité des jeux d'argent mis en scène, il nous glisse dans un tourbillon plein de vie et de musique, parfois dur, mais jamais misérabiliste. Signe de sa richesse, la série joue aussi sur les croyances et les symboles qui comptent dans ce milieu, utilisant les rêves tournant autour de la loterie comme autant de possibles présages qui suscitent fréquemment l'inquiétude et de vives réactions de la part du patriarche. Exploitant ce riche univers, la série prend son temps pour y greffer et construire ses différentes histoires. L'ensemble de la saison tend vers un final sous forme d'apothéose qui donnera de beaux frissons : le soir du défilé du carnaval, parallèlement à la représentation, chaque fils prend des décisions déterminantes pour son futur. Un tournant qui parachève les évolutions dont la saison a été le témoin.
Car par-delà le travail d'immersion réalisé, la trame centrale de Filhos do Carnaval est celle d'une dynamique familiale. Ce n'est pas une simple série de gangsters centrée sur leur gestion des affaires et transposée au cadre brésilien, c'est avant tout le récit des relations d'un père avec ses fils, et la manière dont ces trois derniers cherchent à se positionner. Chacun apparaît insignifiant pour ce père qui n'a jamais eu d'yeux que pour Anesinho. Tandis que certains amorcent une quête de reconnaissances, d'autres songent plutôt à s'émanciper de cette figure autoritaire qui remplit si rarement le rôle qui devrait être le sien. Au fil de la saison, face à l'indifférence d'Anésino, c'est en réaction une quasi-dynamique fraternelle qui s'esquisse timidement. Claudinho, Brown et Nilo sont très dissemblables physiquement ; ils ont des caractères extrêmement différents. Mais s'ils n'ont jamais été proches, le décès de leur frère et le rejet de leur père les rassemblent un temps dans cette volonté de faire face et de remplir le vide laissé par leur aîné. Le plus lucide des trois, Nilo, sert de narrateur, dressant un portrait intime et sans complaisance de toutes les ambiguïtés de cette famille éclatée. Chacun a ses démons à surmonter, et chacun se façonne par rapport au père, soit en embrassant sa voie, soit en la repoussant. Au risque peut-être de répéter les mêmes tragédies...
Sur la forme, Filhos do Carnaval a une volonté constante de sonner authentique. La photographie est plutôt sombre, la réalisation nerveuse, avec des plans parfois très heurtés, notamment lorsque les rêves d'Anésio viennent troubler le quotidien et l'inquiéter. La bande-son est omniprésente : outre la samba, le récit est aussi rythmé par des instrumentaux qui accompagnent les changements de tonalité, renvoyant soudain à des ambiances troublées après des passages plus calmes. L'ensemble fonctionne parfaitement pour construire un univers particulier dans lequel le téléspectateur se laisse entraîner sans difficulté, avec une atmosphère brésilienne dépaysante à souhait à l'image du générique représentatif des choix faits (cf. la 1ère vidéo ci-dessous).
Enfin, la série bénéfice d'un casting homogène qui retranscrit bien cet effort de réalisme et de sobriété. Parmi les trois frères survivants, Enrique Diaz (Cordel Encantado, 3 Teresas) interprète un Claudinho qui tente de prendre la suite de son aîné, mais n'a sans doute pas la carrure pour mener de telles affaires. Rodrigo dos Santos joue Brown, partageant le penchant de son père pour les femmes, au risque d'être confronté à ces paternités multiples si difficiles à gérer. Et Thogun incarne Nilo, le plus proche de leur père en raison de son travail, mais celui qui a paradoxalement le plus de recul par rapport à ce dernier, s'interrogeant notamment sur le sort de sa mère décédée quand il était bébé. Quant à Jece Valadão, il interprète le patriarche dont les actions et les propos conditionnent les décisions de chacun des frères. On retrouve également Mariana Lima (O Brado Retumbante), ou encore Felipe Camargo (Cordel Encantado, Som e Furia, Tempos Modernos), dans le rôle du frère aîné dont la mort bouleverse l'ordonnancement établi.
Bilan : Filhos do Carnaval est une série d'ambiance qui réussit une belle immersion dans une Rio de Janeiro dont le portrait est riche, dense et extrêmement vivant, entre favelas et samba. Si elle emprunte aux fictions de gangsters en évoquant la gestion de jeux d'argent illégaux, et toutes les tensions et convoitises que de telles affaires peuvent générer, elle s'intéresse avant tout à une trame familiale centrale, suivant les trajectoires des trois fils survivants du patriarche et leurs rapports compliqués avec ce père qui les avait toujours ignorés au profit de leur aîné. Les relations mises en scène sont complexes, souvent ambivalentes, mais une intéressante maturation s'observe au fil de la saison. Ces six épisodes forment un arc qui se suit avec énormément de plaisir.
La saison 2 verra la dynamique quelque peu changer, car l'acteur incarnant Anésio est décédé entre les deux saisons : la mort du patriarche sera incluse dans le récit qui racontera comment les trois évoluent suite à cet évènement. J'espère pouvoir vous en parler prochainement (si je parviens à la trouver en VOST). En attendant, n'hésitez pas à prendre la direction de Rio de Janeiro, Filhos do Carnaval est un belle série qui mérite vraiment le détour. Ces explorations dans le petit écran d'Amérique du Sud se continuent de façon très positive.
NOTE : 8/10
Le générique de la série :
Une bande-annonce de la saison :
16:30 Publié dans (Séries Amérique Latine) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : brésil, filhos do carnaval, hbo latin america, enrique diaz, rodrigo do santos, thogun, jece veladão, felipe camargo, mariana lima | Facebook |